REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

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Décembre

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MM. les abonnés qui ne voudront pas éprouver de retard dans l'envoi de la Revue spirite pour l'année 1862 (5° année) sont priés de vouloir bien renouveler leur abonnement avant le 31 décembre.

Les abonnés de 1862 pourront se procurer la collection des quatre années précédentes, prises ensemble, au prix de 30 fr. au lieu de 40 ; de sorte qu'avec l'abonnement courant ils ne payeront les cinq années que 40 fr., c'est-à-dire que, pour le même prix, ils auront cinq années au lieu de quatre ; soit une diminution de 20 p. 100. Les années prises isolément sont au prix de 10 fr. chacune, comme par le passé.

Le second tirage des années 1858, 1859 et 1860 étant épuisé, il vient d'en être fait une troisième réimpression.

Nota. Le numéro de janvier 1862 contiendra un article très développé sur l'Interprétation de la doctrine des Anges rebelles, des Anges déchus, du Paradis perdu, et sur l'Origine et la condition morale de l'homme sur la terre.

Nouveaux ouvrages de M. Allan Kardec devant paraître prochainement.

Le Spiritisme à sa plus simple expression ; brochure destinée à populariser les éléments de la doctrine spirite. Elle sera vendue 25 c.

Réfutation des critiques contre le Spiritisme, au point de vue du Matérialisme, de la Science et de la Religion. Cette dernière partie aura tous les développements nécessaires. Elle contiendra la réponse à la brochure de M. le curé Marouzeau.

Plusieurs autres ouvrages, dont un d'une importance à peu près égale, comme volume, au Livre des Esprits, seront publiés dans le courant de 1862.

Organisation du Spiritisme

1. Jusqu'à présent les Spirites, quoique très nombreux, ont été disséminés dans tous les pays, et ce n'est pas là un des caractères les moins saillants de la doctrine ; comme une semence emportée par les vents, elle a pris racine sur tous les points du globe, preuve évidente que sa propagation n'est l'effet ni d'une coterie ni d'une influence locale et personnelle. Les adeptes, d'abord isolés, sont tout surpris aujourd'hui de se trouver en nombre ; et comme la similitude des idées inspire le désir du rapprochement, ils cherchent à se réunir et à fonder des Sociétés ; aussi, de toutes parts, nous demande-t-on des instructions à cet égard, en nous manifestant le désir de s'unir à la Société centrale de Paris. Le moment est donc venu de s'occuper de ce qu'on peut appeler l'organisation du Spiritisme. Le Livre des Médiums (2° édition) contient sur la formation des Sociétés spirites des observations importantes auxquelles nous renvoyons, et que nous prions de méditer avec soin. L'expérience vient chaque jour en confirmer la justesse ; nous les rappellerons succinctement, en y ajoutant des instructions plus circonstanciées.

2. Parlons d'abord des adeptes qui se trouvent encore isolés au milieu d'une population ou hostile, ou ignorante des idées nouvelles. Nous recevons journellement des lettres de personnes qui sont dans ce cas et qui nous demandent ce qu'elles peuvent faire en l'absence de médiums et de copartisans du Spiritisme. Ils sont dans la situation où se trouvaient, il y a un an à peine, les premiers Spirites des centres les plus nombreux aujourd'hui ; peu à peu les adeptes se sont multipliés, et il est telle ville où ils se comptaient naguère par unités clairsemées, et où ils sont maintenait des centaines et des milliers ; il en sera bientôt de même partout : c'est une question de patience. Quant à ce qu'ils ont à faire, c'est fort simple. Ils peuvent d'abord travailler pour leur propre compte, se pénétrer de la doctrine par la lecture et la méditation des ouvrages spéciaux ; plus ils l'approfondiront, plus ils y découvriront de vérités consolantes confirmées par leur raison. Dans leur isolement, ils doivent s'estimer heureux d'avoir été les premiers favorisés. Mais s'ils se bornaient à puiser dans la doctrine une satisfaction personnelle, ce serait une sorte d'égoïsme ; ils ont, en raison de leur position même, une belle et importante mission à remplir : celle de répandre la lumière autour d'eux. Ceux qui accepteront cette mission sans être arrêtés par les difficultés, en seront largement récompensés par le succès et par la satisfaction d'avoir fait une chose utile. Sans doute ils rencontreront de l'opposition ; ils seront en butte à la raillerie et aux sarcasmes des incrédules, à la malveillance même des gens intéressés à combattre la doctrine ; mais où serait le mérite s'il n'y avait aucun obstacle à vaincre ? A ceux donc qui seraient arrêtés par la crainte puérile du qu'en dira-t-on, nous n'avons rien à dire, aucun conseil à donner ; mais à ceux qui ont le courage de leur opinion, qui sont au-dessus des mesquines considérations mondaines, nous dirons que ce qu'ils ont à faire se borne à parler ouvertement du Spiritisme, sans affectation, comme d'une chose toute simple et toute naturelle, sans la prêcher, et surtout sans chercher ni à forcer les convictions, ni à faire des prosélytes quand même. Le Spiritisme ne doit pas s'imposer ; on vient à lui parce qu'on en a besoin, et parce qu'il donne ce que les autres philosophies ne donnent pas. Il convient même de n'entrer dans aucune explication avec les incrédules obstinés : ce serait leur donner trop d'importance et leur faire croire qu'on tient à eux. Les efforts que l'on fait pour les attirer à soi les éloignent, et, par amour-propre, ils se roidissent dans leur opposition ; c'est pourquoi il est inutile de perdre son temps avec eux ; lorsque le besoin s'en fera sentir, ils y viendront d'eux-mêmes ; en attendant, il faut les laisser tranquilles se complaire dans leur scepticisme, qui, croyez-le bien, leur pèse souvent plus qu'ils ne veulent le faire paraître ; car, ils ont beau dire, l'idée du néant après la mort a quelque chose de plus effrayant, de plus navrant que la mort même.

Mais, à côté des railleurs il se trouvera des gens qui demanderont : « Qu'est-ce que c'est que cela ? » Empressez-vous alors de les satisfaire en proportionnant vos explications à la nature des dispositions que vous trouverez en eux. Lorsqu'on parle du Spiritisme en général, il faut considérer les paroles que l'on prononce comme des graines jetées à la volée : dans le nombre, beaucoup tombent sur des pierres et ne produisent rien ; mais n'y en eût-il qu'une seule qui tombât sur de la terre fertile, estimez-vous heureux ; cultivez-la, et soyez certains que cette plante, fructifiant, aura des rejetons. La difficulté, pour quelques adeptes, est de répondre à certaines objections ; la lecture attentive des ouvrages leur en fournira les moyens ; mais ils pourront surtout s'aider, à cet effet, de la brochure que nous allons publier sous le titre de : Réfutation des critiques contre le Spiritisme au point de vue matérialiste, scientifique et religieux.

3. Parlons maintenant de l'organisation du Spiritisme dans les centres déjà nombreux. L'accroissement incessant des adeptes démontre l'impossibilité matérielle de constituer dans une ville, et surtout dans une ville populeuse, une Société unique. Outre le nombre, il y a la difficulté des distances, qui est un obstacle pour beaucoup. D'un autre côté, il est reconnu que les grandes réunions sont moins favorables aux belles communications, et que les meilleures s'obtiennent dans les petits comités. C'est donc à multiplier les groupes particuliers qu'il faut s'attacher. Or, comme nous l'avons dit, vingt groupes de quinze à vingt personnes obtiendront plus et feront plus pour la propagande qu'une Société unique de quatre cents membres. Les groupes se forment naturellement par affinité de goûts, de sentiments, d'habitudes et de position sociale ; tout le monde s'y connaît, et, comme ce sont des réunions privées, on est libre du nombre et du choix de ceux que l'on y admet.

4. Le système de la multiplication des groupes a encore pour résultat, ainsi que nous l'avons dit en plusieurs occasions, d'empêcher les conflits et les rivalités de suprématie et de présidence. Chaque groupe est naturellement dirigé par le chef de la maison, ou celui qui est désigné à cet effet ; il n'y a pas, à proprement parler, de président officiel, car tout se passe en famille. Le chef de la maison, étant maître chez lui, a toute autorité pour le maintien du bon ordre. Avec une Société proprement dite, il faut un local spécial, un personnel administratif, un budget, en un mot, une complication de rouages que le mauvais vouloir de quelques dissidents malintentionnés pourrait compromettre.

5. A ces considérations, longuement développées dans le Livre des Médiums, nous en ajouterons une qui est prépondérante. Le Spiritisme n'est pas encore vu d'un bon œil par tout le monde. Avant peu on comprendra qu'on a tout intérêt à favoriser une croyance qui rend les hommes meilleurs, et qui est une garantie d'ordre social ; mais jusqu'à ce qu'on soit bien convaincu de son heureuse influence sur l'esprit des masses et de ses effets moralisateurs, les adeptes doivent s'attendre à ce que, soit par ignorance du véritable but de la doctrine, soit dans des vues d'intérêt personnel, on leur suscitera des embarras ; non seulement on les bafouera, mais, quand on verra s'émousser l'arme du ridicule, on les calomniera. On les accusera de folie, de charlatanisme, d'irréligion, de sorcellerie, afin d'ameuter le fanatisme contre eux. De folie ! Sublime folie que celle qui fait croire à Dieu et à l'avenir de l'âme ; pour ceux qui ne croient à rien, c'est, en effet, de la folie de croire à la communication des morts et des vivants ; folie qui fait le tour du monde et atteint les hommes les plus éminents. De charlatanisme ! Ils ont une réponse péremptoire : le désintéressement, car le charlatanisme n'est jamais désintéressé. D'irréligion ! eux qui, depuis qu'ils sont Spirites, sont plus religieux qu'ils ne l'étaient auparavant. De sorcellerie et de commerce avec le diable ! eux qui nient l'existence du diable, et ne reconnaissent que Dieu comme seul maître tout-puissant, souverainement juste et bon ; singuliers sorciers que ceux qui renieraient leur maître et agiraient au nom de son antagoniste ! En vérité, le diable ne devrait guère être content de ses adeptes. Mais les bonnes raisons sont le moindre souci de ceux qui veulent chercher noise ; quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est enragé. Heureusement le moyen âge jette ses dernières et pâles lueurs sur notre siècle ; comme le Spiritisme vient lui donner le coup de grâce, il n'est pas étonnant de le voir tenter un suprême effort ; mais qu'on se rassure, la lutte ne sera pas longue. Cependant, que la certitude de la victoire ne rende pas imprudent, car une imprudence pourrait, sinon compromettre, du moins retarder le succès. Par ces motifs, la constitution de Sociétés nombreuses rencontrerait peut-être des obstacles dans certaines localités, tandis qu'il n'en saurait être de même des réunions de famille.

6. Ajoutons encore une considération. Les Sociétés proprement dites sont sujettes à de nombreuses vicissitudes ; mille causes dépendantes ou non de leur volonté peuvent en amener la dissolution. Supposons donc qu'une Société spirite ait rallié à elle tous les adeptes d'une même ville, et que, par une circonstance quelconque, elle cesse d'exister ; voilà les membres dispersés et désorientés. Maintenant, qu'au lieu de cela il y ait cinquante groupes, s'il en disparaît quelques-uns, il en restera toujours, et d'autres se formeront ; ce sont autant de plantes vivaces qui renaissent quand même. N'ayez dans un champ qu'un seul gros arbre, la foudre peut l'abattre ; ayez-en cent, le même coup ne saurait les atteindre tous, et plus ils seront petits, moins ils seront exposés.

Tout milite donc en faveur du système que nous proposons ; lorsqu'un premier groupe fondé quelque part devient trop nombreux, qu'il fasse comme les abeilles : que des essaims sortis de la ruche mère aillent fonder de nouvelles ruches qui, à leur tour, en formeront d'autres. Ce seront autant de centres d'action rayonnant dans leur cercle respectif, et plus puissants pour la propagande qu'une Société unique.

7. La formation des groupes étant donc admise en principe, plusieurs questions importantes restent à examiner. La première de toutes, c'est l'uniformité dans la doctrine. Cette uniformité ne serait pas mieux garantie par une Société compacte, puisque les dissidents auraient toujours la facilité de se retirer et de faire bande à part. Que la Société soit une ou fractionnée, l'uniformité sera la conséquence naturelle de l'unité de base que les groupes adopteront. Elle sera complète chez tous ceux qui suivront la ligne tracée par le Livre des Esprits et le Livre des Médiums : l'un contenant les principes de la philosophie de la science ; l'autre, les règles de la partie expérimentale et pratique. Ces ouvrages sont écrits avec assez de clarté pour ne pas donner lieu à des interprétations divergentes, condition essentielle de toute nouvelle doctrine.

Jusqu'à présent ces ouvrages servent de régulateur à l'immense majorité des Spirites, et partout ils sont accueillis avec une sympathie non équivoque ; ceux qui ont voulu s'en écarter ont pu reconnaître, à leur isolement et au nombre décroissant de leurs partisans, qu'ils n'avaient pas pour eux l'opinion générale. Cet assentiment donné par le plus grand nombre est d'un grand poids ; c'est un jugement qu'on ne saurait suspecter d'influence personnelle, puisqu'il est spontané et qu'il est prononcé par des milliers de personnes qui nous sont complètement inconnues. Une preuve de cet assentiment, c'est qu'on nous a demandé de les traduire en diverses langues : en espagnol, en anglais, en portugais, en allemand, en italien, en polonais, en russe et même en langue tartare. Nous pouvons donc, sans présomption, en recommander l'étude et la pratique aux diverses réunions spirites, et cela avec d'autant plus de raison, qu'ils sont les seuls, jusqu'à présent, où la science soit traitée d'une manière complète ; tous ceux qui ont été publiés sur la matière n'ont touché que quelques points isolés de la question. Au reste, nous n'avons nullement la prétention d'imposer nos idées ; nous les émettons, comme c'est notre droit ; ceux à qui elles conviennent les adoptent ; les autres les rejettent, comme c'est aussi leur droit ; les instructions que nous donnons sont donc naturellement pour ceux qui marchent avec nous, pour ceux qui nous honorent du titre de leur chef spirite, et nous ne prétendons en aucune façon réglementer ceux qui veulent suivre une autre voie. Nous livrons la doctrine que nous professons à l'appréciation générale ; or, nous avons rencontré assez d'adhérents pour nous donner confiance, et nous consoler de quelques dissidences isolées. L'avenir, d'ailleurs, sera le juge en dernier ressort ; avec les hommes actuels disparaîtront, par la force des choses, les susceptibilités d'amour-propre froissé, les causes de jalousie, d'ambition, d'espérances matérielles déçues ; ne voyant plus les personnes, on ne verra que la doctrine, et le jugement sera plus impartial. Quelles sont les idées nouvelles qui, à leur apparition, n'ont eu leurs contradicteurs plus ou moins intéressés ? Quels sont les propagateurs de ces idées qui n'ont été en butte aux traits de l'envie, surtout si le succès couronne leurs efforts ? Mais revenons à notre sujet.

8. Le second point est la constitution des groupes. Une des premières conditions, c'est l'homogénéité, sans laquelle il ne saurait y avoir communion de pensées. Une réunion ne peut être ni stable ni sérieuse, s'il n'y a pas sympathie entre ceux qui la composent ; et il ne peut y avoir sympathie entre gens qui ont des idées divergentes et qui se font une opposition sourde si elle n'est ouverte. Loin de nous de dire par là qu'il faille étouffer la discussion, puisque, au contraire, nous recommandons l'examen scrupuleux de toutes les communications et de tous les phénomènes ; il est donc bien entendu que chacun peut et doit émettre son opinion ; mais il y a des gens qui discutent pour imposer la leur et non pour s'éclairer. C'est contre l'esprit d'opposition systématique que nous nous élevons ; contre les idées préconçues qui ne cèdent, même pas devant l'évidence. De telles gens sont incontestablement une cause de trouble qu'il faut éviter. Les réunions spirites sont, à cet égard, dans des conditions exceptionnelles ; ce qu'elles requièrent par-dessus tout, c'est le recueillement ; or, comment être recueilli si l'on est à chaque instant distrait par une polémique acrimonieuse ; s'il règne entre les assistants un sentiment d'aigreur, et quand on sent autour de soi des êtres que l'on sait hostiles, sur la figure desquels on lit le sarcasme et le dédain pour tout ce qui n'abonde pas dans leur sens ?

9. Nous avons tracé dans le Livre des Médiums (n° 28) le caractère des principales variétés de Spirites ; cette distinction étant importante pour le sujet qui nous occupe, nous croyons devoir la rappeler.

On peut mettre en première ligne ceux qui croient purement et simplement aux manifestations. Le Spiritisme n'est pour eux qu'une science d'observation, une série de faits plus ou moins curieux ; la philosophie et la morale sont des accessoires dont ils se préoccupent peu, ou dont ils ne soupçonnent pas la portée. Nous les appelons Spirites expérimentateurs.

Viennent ensuite ceux qui voient dans le Spiritisme autre chose que des faits ; ils en comprennent la portée philosophique ; ils admirent la morale qui en découle, mais ils ne la pratiquent pas ; ils s'extasient devant de belles communications, comme devant un éloquent sermon qu'on écoute sans en profiter. Son influence sur leur caractère est insignifiante ou nulle ; ils ne changent rien à leurs habitudes et ne se priveraient pas d'une seule jouissance : l'avare est toujours ladre, l'orgueilleux, toujours plein de lui-même, l'envieux et le jaloux toujours hostiles ; pour eux la charité chrétienne n'est qu'une belle maxime, et les biens de ce monde l'emportent dans leur estime sur ceux de l'avenir ; ce sont les spirites imparfaits.

A côté de ceux-là il en est d'autres, plus nombreux qu'on ne croit, qui ne se bornent pas à admirer la morale spirite, mais qui la pratiquent et en acceptent pour eux-mêmes toutes les conséquences. Convaincus que l'existence terrestre est une épreuve passagère, ils tâchent de mettre à profit ces courts instants pour marcher dans la voie du progrès, en s'efforçant de faire le bien et de réprimer leurs penchants mauvais ; leurs relations sont toujours sûres, car leur conviction les éloigne de toute pensée du mal. La charité est en toutes choses la règle de leur conduite ; ce sont les vrais spirites, ou mieux les Spirites chrétiens.

10. Si l'on a bien compris ce qui précède, on comprendra aussi qu'un groupe exclusivement formé des éléments de cette dernière classe serait dans les meilleures conditions, car c'est entre gens pratiquant la loi d'amour et de charité qu'un lien fraternel sérieux peut seul s'établir. Entre hommes pour qui la morale n'est qu'une théorie, l'union ne saurait être durable ; comme ils n'imposent aucun frein à leur orgueil, à leur ambition, à leur vanité, à leur égoïsme, ils n'en imposeront pas davantage à leurs paroles ; ils voudront primer quand ils devraient s'abaisser ; ils s'irriteront des contradictions et ne se feront aucun scrupule de semer le trouble et la discorde. Entre vrais Spirites, au contraire, il règne un sentiment de confiance et de bienveillance réciproque ; on se sent à son aise dans ce milieu sympathique, tandis qu'il y a contrainte et anxiété dans un milieu mélangé.

11. Ceci est dans la nature des choses, et nous n'inventons rien sous ce rapport. S'ensuit-il que, dans la formation des groupes, il faille exiger la perfection ? Ce serait tout simplement absurde, parce que ce serait vouloir l'impossible, et qu'à ce compte nul ne pourrait prétendre en faire partie. Le Spiritisme, ayant pour but l'amélioration des hommes, ne vient point chercher ceux qui sont parfaits, mais ceux qui s'efforcent de le devenir en mettant en pratique l'enseignement des Esprits. Le vrai Spirite n'est pas celui qui est arrivé au but, mais celui qui veut sérieusement l'atteindre. Quels que soient donc ses antécédents, il est bon Spirite dès lors qu'il reconnaît ses imperfections et qu'il est sincère et persévérant dans son désir de s'amender. Le Spiritisme est pour lui une véritable régénération, car il rompt avec son passé ; indulgent pour les autres, comme il voudrait qu'on le fût pour lui, il ne sortira de sa bouche aucune parole malveillante ni blessante pour personne. Celui qui, dans une réunion, s'écarterait des convenances prouverait non seulement un défaut de savoir-vivre et d'urbanité, mais un manque de charité ; celui qui se froisserait de la contradiction et prétendrait imposer sa personne ou ses idées, ferait preuve d'orgueil ; or, ni l'un ni l'autre ne seraient dans la voie du vrai Spiritisme, c'est-à-dire du Spiritisme chrétien. Celui qui croit avoir une opinion plus juste que les autres la fera bien mieux accepter par la douceur et la persuasion ; l'aigreur serait de sa part un très mauvais calcul.

12. La simple logique démontre donc à quiconque connaît les lois du Spiritisme quels sont les meilleurs éléments pour la composition des groupes vraiment sérieux, et nous n'hésitons pas à dire que ce sont ceux qui ont la plus grande influence sur la propagation de la doctrine ; par la considération qu'ils commandent, par l'exemple qu'ils donnent de ses conséquences morales, ils en prouvent la gravité et imposent silence à la raillerie, qui, lorsqu'elle s'attaque au bien, est plus que ridicule, car elle est odieuse ; mais que voulez-vous que pense un critique incrédule quand il assiste à des expériences dont les assistants sont les premiers à se faire un jeu ? Il en sort un peu plus incrédule qu'en y entrant.

13. Nous venons d'indiquer la meilleure composition des groupes ; mais la perfection n'est pas plus possible dans les ensembles que dans les individus ; nous indiquons le but, et nous disons que plus on en approchera, plus les résultats seront satisfaisants. On est quelquefois dominé par les circonstances, mais c'est à éluder les obstacles qu'il faut apporter tous ses soins. Malheureusement, quand un groupe se crée, on est assez peu rigoureux sur le choix, parce qu'on veut avant tout former un noyau ; il suffit, la plupart du temps, pour y être admis, d'un simple désir, ou d'une adhésion quelconque aux idées les plus générales du Spiritisme ; plus tard, on s'aperçoit qu'on a été trop facile.

14. Dans un groupe, il y a toujours l'élément stable et l'élément flottant. Le premier se compose des personnes assidues qui en forment la base ; le second, de celles qui n'y sont admises que temporairement et accidentellement. C'est à la composition de l'élément stable qu'il est essentiel d'apporter une attention scrupuleuse, et, dans ce cas, il ne faut pas hésiter à sacrifier la quantité à la qualité, car c'est lui qui donne l'impulsion et sert de régulateur ; l'élément flottant est moins important, parce qu'on est toujours libre de le modifier à son gré. Il ne faut pas perdre de vue que les réunions spirites, comme du reste toutes les réunions en général, puisent les sources de leur vitalité dans la base sur laquelle elles sont assises ; tout dépend, sous ce rapport, du point de départ. Celui qui a l'intention d'organiser un groupe dans de bonnes conditions doit avant tout s'assurer du concours de quelques adeptes sincères, prenant la doctrine au sérieux, et dont le caractère conciliant et bienveillant lui soit connu. Ce noyau étant formé, ne fût-il que de trois ou quatre personnes, on établira des règles précises, soit pour les admissions, soit pour la tenue des séances et l'ordre des travaux, règles auxquelles les nouveaux arrivants seront tenus de se conformer. Ces règles peuvent subir des modifications selon les circonstances ; mais il en est quelques-unes d'essentielles.

15. L'unité de principe étant un des points importants, cette unité ne peut exister chez ceux qui, n'ayant pas étudié, ne peuvent s'être formé une opinion. La première condition à imposer, si l'on ne veut être à chaque instant distrait par des objections ou par des questions oiseuses, c'est donc l'étude préalable. La seconde est une profession de foi catégorique, et une adhésion formelle à la doctrine du Livre des Esprits, et telles autres conditions spéciales qu'on jugera à propos. Ceci est pour les membres titulaires et dirigeants ; pour les auditeurs, qui viennent généralement pour acquérir un surcroît de connaissances et de conviction, on peut être moins rigoureux ; toutefois, comme il en est qui pourraient causer du trouble par des observations déplacées, il est important de s'assurer de leurs dispositions ; il faut surtout, et sans exception, écarter les curieux et quiconque ne serait attiré que par un motif frivole.

16. L'ordre et la régularité des travaux sont des choses également essentielles. Nous regardons comme éminemment utile d'ouvrir chaque séance par la lecture de quelques passages du Livre des Médiums et du Livre des Esprits ; par ce moyen, on aura toujours présents à la mémoire les principes de la science et les moyens d'éviter les écueils que l'on rencontre à chaque pas dans la pratique. L'attention se fixera ainsi sur une foule de points qui échappent souvent dans une lecture particulière, et pourront donner lieu à des commentaires et à des discussions instructives auxquelles les Esprits eux-mêmes pourront prendre part.

Il n'est pas moins nécessaire de recueillir et de mettre au net toutes les communications obtenues, par ordre de dates, avec indication du médium qui a servi d'intermédiaire. Cette dernière mention est utile pour l'étude du genre de faculté de chacun. Mais il arrive souvent qu'on perd de vue ces communications, qui deviennent ainsi des lettres mortes ; cela décourage les Esprits qui les avaient données en vue de l'instruction des assistants. Il est donc essentiel de faire un recueil spécial des plus instructives, et d'en faire de temps en temps une nouvelle lecture. Ces communications sont souvent d'un intérêt général, et ne sont pas données par les Esprits pour l'instruction de quelques-uns seulement, et pour être enfouies dans des archives. Il est donc utile qu'elles soient portées à la connaissance de tous par la publicité. Nous examinerons cette question dons un article de notre prochain numéro, en indiquant le mode le plus simple, le plus économique et en même temps le plus propre à atteindre le but.

17. Comme on le voit, nos instructions s'adressent exclusivement aux groupes formés d'éléments sérieux et homogènes ; à ceux qui veulent suivre la route du Spiritisme moral en vue du progrès de chacun, but essentiel et unique de la doctrine ; à ceux enfin qui veulent bien nous accepter pour guide et tenir compte des conseils de notre expérience. Il est incontestable qu'un groupe formé dans les conditions que nous avons indiquées fonctionnera avec régularité, sans entraves, et d'une manière fructueuse. Ce qu'un groupe peut faire, d'autres peuvent le faire de même. Supposons donc, dans une ville, un nombre quelconque de groupes constitués sur les mêmes bases, il y aura nécessairement entre eux unité de principes, puisqu'ils suivent le même drapeau ; union sympathique, puisqu'ils ont pour maxime amour et charité ; ce sont, en un mot, les membres d'une même famille, entre lesquels il ne saurait y avoir ni concurrence, ni rivalité d'amour-propre, s'ils sont tous animés des mêmes sentiments pour le bien.

18. Il serait utile cependant qu'il y eût entre eux un point de ralliement, un centre d'action. Selon les circonstances et les localités, les divers groupes, mettant de côté toute question personnelle, pourraient désigner à cet effet celui qui, par sa position et son importance relative, serait le plus apte à donner au Spiritisme une impulsion salutaire. Au besoin, et s'il est nécessaire de ménager des susceptibilités, un groupe central, formé des délégués de tous les groupes, prendrait le nom de groupe directeur. Dans l'impossibilité pour nous de correspondre avec tous, c'est celui-ci avec lequel nous aurions des rapports plus directs. Nous pourrons également, dans certains cas, désigner une personne chargée plus spécialement de nous représenter.

Sans préjudice des relations qui s'établiront par la force des choses entre les groupes d'une même ville marchant dans une voie identique, une assemblée générale annuelle pourrait réunir les Spirites des divers groupes dans une fête de famille, qui serait en même temps la fête du Spiritisme. Des discours y seraient prononcés, et il y serait donné lecture des communications les plus remarquables ou appropriées à la circonstance.

Ce qui est possible entre les groupes d'une même ville l'est également entre les groupes directeurs de différentes villes, dès lors qu'il y a entre eux communauté de vues et de sentiments ; c'est-à-dire qu'ils peuvent établir des rapports réciproques. Nous en indiquerons les moyens en parlant du mode de publicité.

19. Tout cela, comme on le voit, est d'une exécution très simple, et sans rouages compliqués ; mais tout dépend du point de départ, c'est-à-dire de la composition des groupes primitifs. S'ils sont formés de bons éléments, ce seront autant de bonnes racines qui donneront de bons rejetons. Si, au contraire, ils sont formés d'éléments hétérogènes et antipathiques, de Spirites douteux, s'occupant plus de la forme que du fond, considérant la morale comme la partie accessoire et secondaire, il faut s'attendre à des polémiques irritantes et sans issue, à des prétentions personnelles, à des froissements de susceptibilités, et, par suite, à des conflits précurseurs de la désorganisation. Entre vrais Spirites tels que nous les avons définis, voyant le but essentiel du Spiritisme dans la morale qui est la même pour tous, il y aura toujours abnégation de la personnalité, condescendance et bienveillance, et, par suite, sûreté et stabilité dans les rapports. Voilà pourquoi nous avons tant insisté sur les qualités fondamentales.

20. On dira peut-être que ces restrictions sévères sont un obstacle à la propagation ; c'est une erreur. Ne croyez pas qu'en ouvrant vos portes au premier venu vous fassiez plus de prosélytes ; l'expérience est là pour prouver le contraire ; vous seriez assaillis par la foule des curieux et des indifférents, qui y viendraient comme à un spectacle ; or, les curieux et les indifférents sont des embarras et non des auxiliaires. Quant aux incrédules par système ou par orgueil, quoi que vous leur montriez, ils n'en traiteront pas moins ce qu'ils verront de jonglerie, parce qu'ils ne le comprendront pas, et ne veulent pas se donner la peine de comprendre. Nous l'avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, la véritable propagation, celle qui est utile et fructueuse, se fait par l'ascendant moral des réunions sérieuses ; s'il n'y en avait jamais eu que de semblables, les Spirites seraient encore plus nombreux qu'ils ne le sont, car, il faut bien le dire, beaucoup ont été détournés de la doctrine parce qu'ils n'ont assisté qu'à des réunions futiles, sans ordre et sans gravité. Soyez donc sérieux dans toute l'acception du mot, et les gens sérieux viendront à vous : ce sont les meilleurs propagateurs, parce qu'ils parlent de conviction et qu'ils prêchent d'exemple autant que de paroles.

21. Du caractère essentiellement sérieux des réunions, il ne faut pas inférer qu'on doive systématiquement proscrire les manifestations physiques. Ainsi que nous l'avons dit dans le Livre des Médiums (n° 326), elles son d'une utilité incontestable au point de vue de l'étude des phénomènes et pour la conviction de certaines personnes ; mais pour en profiter à ce double point de vue, il faut en exclure toute pensée frivole. Une réunion qui posséderait un bon médium à effets physiques, et qui s'occuperait de ce genre de manifestations avec ordre, méthode et gravité, dont la condition morale offrirait toute garantie contre le charlatanisme et la supercherie, non seulement pourrait obtenir des choses remarquables au point de vue phénoménal, mais produirait beaucoup de bien. Nous engageons donc fortement à ne point négliger ce genre d'expérimentation, si l'on a à sa disposition des médiums appropriés à la chose, et à organiser à cet effet des séances spéciales, indépendantes de celles où l'on s'occupe des communications morales et philosophiques. Les médiums puissants de cette catégorie sont rares ; mais il est des phénomènes qui, quoique plus vulgaires, n'en sont pas moins très intéressants et très concluants, parce qu'ils prouvent d'une manière évidente l'indépendance du médium ; de ce nombre sont les communications par la typtologie alphabétique, qui donnent souvent les résultats les plus inattendus. La théorie de ces phénomènes est nécessaire pour pouvoir se rendre compte de la manière dont ils s'opèrent, car il est rare qu'ils amènent une conviction profonde chez ceux qui ne les comprennent pas ; elle a, de plus, l'avantage de faire connaître les conditions normales dans lesquelles ils peuvent se produire, et, par conséquent, d'éviter des tentatives inutiles, et de faire découvrir la fraude si elle se glissait quelque part.

On a cru à tort que nous étions systématiquement opposé aux manifestations physiques ; nous préconisons et nous préconiserons toujours les communications intelligentes, celles surtout qui ont une portée morale et philosophique, parce que seules elles tendent au but essentiel et définitif du Spiritisme ; quant aux autres, nous n'en avons jamais contesté l'utilité, mais nous nous sommes élevé contre l'abus déplorable qu'on en a fait et qu'on peut en faire, contre l'exploitation qu'en a faite le charlatanisme, contre les mauvaises conditions dans lesquelles on opère le plus souvent, et qui prêtent au ridicule ; nous avons dit et nous répétons que les manifestations physiques sont le début de la science, et qu'on n'avance pas en restant à l'a b c ; que si le Spiritisme n'était pas sorti des tables tournantes, il n'aurait pas grandi comme il l'a fait, et qu'on n'en parlerait peut-être plus aujourd'hui ; voilà pourquoi nous nous sommes efforcé de le faire entrer dans la voie philosophique, certain qu'alors, s'adressant plus à l'intelligence qu'aux yeux, il toucherait le cœur, et ne serait pas une affaire de mode ; c'est à cette seule condition qu'il pouvait faire le tour du monde et s'implanter comme doctrine ; or, le résultat a de beaucoup dépassé notre attente. Nous n'attachons aux manifestations physiques qu'une importance relative et non absolue ; c'est là notre tort aux yeux de certaines personnes qui en font leur occupation exclusive, et ne voient rien au-delà. Si nous ne nous en occupons pas personnellement, c'est qu'elles ne nous apprendraient rien de nouveau, et que nous avons des choses plus essentielles à faire ; loin de blâmer ceux qui s'en occupent, nous les y encourageons, au contraire, s'ils le font dans des conditions réellement profitables ; toutes les fois donc que nous connaîtrons des réunions de ce genre méritant toute confiance, nous serons les premiers à les recommander à l'attention des nouveaux adeptes. Telle est, sur cette question, notre profession de foi catégorique.

22. Nous avons dit en commençant que plusieurs réunions spirites ont demandé à s'unir à la Société de Paris ; on s'est même servi du mot affilier ; une explication à ce sujet est nécessaire.

La Société de Paris est la première qui ait été régulièrement et légalement constituée ; par sa position et la nature de ses travaux, elle a eu une grande part dans le développement du Spiritisme, et justifie, à notre avis, le titre de Société initiatrice que certains Esprits lui ont donné. Son influence morale s'est fait sentir au loin, et, bien qu'elle se soit restreinte, numériquement parlant, elle a la conscience d'avoir plus fait pour la propagande que si elle eût ouvert ses portes au public. Elle s'est formée dans l'unique but d'étudier et d'approfondir la science spirite ; elle n'a besoin pour cela ni d'un auditoire nombreux, ni de beaucoup de membres, sachant très bien que la véritable propagande se fait par l'influence des principes. Comme elle n'est mue par aucune vue d'intérêt matériel, un excédant numérique lui serait plus nuisible qu'utile ; aussi verra-t-elle avec plaisir se multiplier autour d'elle les réunions particulières formées dans de bonnes conditions, et avec lesquelles elle pourrait établir des rapports de confraternité. Elle ne serait ni conséquente avec ses principes, ni à la hauteur de sa mission, si elle pouvait en concevoir l'ombre de jalousie ; ceux qui l'en croiraient capable ne la connaissent pas.

Ces observations suffisent pour montrer que la Société de Paris ne saurait avoir la prétention d'absorber les autres Sociétés qui pourraient se former à Paris ou ailleurs sur les mêmes errements ; le mot affiliation serait donc impropre, car il supposerait de sa part une sorte de suprématie matérielle à laquelle elle n'aspire nullement, et qui aurait même des inconvénients. Comme Société initiatrice et centrale, elle peut établir avec les autres groupes ou Sociétés des rapports purement scientifiques, mais là se borne son rôle ; elle n'exerce aucun contrôle sur ces Sociétés, qui ne relèvent d'elle en aucune façon, et restent entièrement libres de se constituer comme elles l'entendent, sans avoir à en rendre compte à personne, et sans que la Société de Paris ait à s'immiscer en quoi que ce soit dans leurs affaires. Les Sociétés étrangères peuvent donc se former sur les mêmes bases, déclarer qu'elles adoptent les mêmes principes, sans en relever autrement que par la concentration des études, les conseils qu'elles peuvent lui demander, et que celle-ci se fera toujours un plaisir de leur donner.

La Société de Paris, d'ailleurs, ne se flatte pas d'être plus que les autres à l'abri des vicissitudes. Si elle les tenait pour ainsi dire dans ses mains, et que, par une cause quelconque, elle cessât d'exister, le point d'appui manquant, il en résulterait une perturbation. Les groupes ou Sociétés doivent chercher un point d'appui plus solide que dans une institution humaine nécessairement fragile ; elles doivent puiser leur vitalité dans les principes de la doctrine, qui sont les mêmes pour toutes et qui survivent à toutes, que ces principes soient ou non représentés par une Société constituée.

23. Le rôle de la Société de Paris étant clairement défini pour éviter toute équivoque et toute fausse interprétation, les rapports qu'elle établira avec les Sociétés étrangères sont extrêmement simplifiés ; ils se bornent à des relations morales, scientifiques et de mutuelle bienveillance, sans aucune sujétion ; elles se transmettront réciproquement le résultat de leurs observations soit par la voie des publications, soit par la correspondance. Pour que la Société de Paris puisse établir ces relations, il faut nécessairement qu'elle soit fixée sur celles des Sociétés étrangères qui entendent marcher dans la même voie et adopter le même drapeau ; elle les inscrira sur la liste de ses correspondants. S'il y a plusieurs groupes dans une ville, ils seront représentés par le groupe central dont nous avons parlé au paragraphe 18.

24. Nous indiquerons dès à présent quelques travaux auxquels les diverses Sociétés pourront concourir d'une manière fructueuse ; par la suite nous en indiquerons d'autres.

On sait que les Esprits, n'ayant pas tous la souveraine science, peuvent envisager certains principes à leur point de vue personnel, et, par conséquent, n'être pas toujours d'accord. Le meilleur critérium de la vérité est naturellement dans la concordance des principes enseignés sur divers points par des Esprits différents et par l'entremise de médiums étrangers les uns aux autres. C'est ainsi qu'a été composé le Livre des Esprits ; mais il reste encore beaucoup de questions importantes qu'on peut résoudre de cette manière, et dont la solution aura d'autant plus d'autorité qu'elle aura obtenu une plus grande majorité. La Société de Paris pourra donc, à l'occasion, adresser des questions de cette nature à tous les groupes correspondants, qui en demanderont la solution par leurs médiums à leurs guides spirituels.

Un autre travail consiste dans des recherches bibliographiques. Il existe un très grand nombre d'ouvrages anciens et modernes où se trouvent des témoignages plus ou moins directs en faveur des idées spirites. Un recueil de ces témoignages serait très précieux, mais il est presque impossible qu'il soit fait par une seule personne. Il devient facile, au contraire, si chacun veut bien en puiser quelques éléments dans ses lectures ou dans ses études et les transmettre à la Société de Paris, qui les coordonnera.

25. Telle est, dans l'état actuel des choses, la seule organisation possible du Spiritisme ; plus tard, les circonstances pourront la modifier, mais il ne faut rien faire d'inopportun ; c'est déjà beaucoup qu'en si peu de temps les adeptes soient assez multipliés pour amener ce résultat. Il y a dans cette simple disposition un cadre qui peut s'étendre à l'infini, par la simplicité même des rouages ; ne cherchons donc pas à les compliquer, de peur de rencontrer des obstacles. Ceux qui veulent bien nous accorder quelque confiance peuvent être assurés que nous ne les laisserons pas en arrière, et que chaque chose viendra en son temps. C'est à eux seuls, comme nous l'avons dit, que nous nous adressons dans ces instructions, n'ayant pas la prétention de nous imposer à ceux qui ne marchent pas avec nous.

On a dit, par dénigrement, que nous voulions faire école dans le Spiritisme ; et pourquoi n'aurions-nous pas ce droit ? M. de Mirvil n'a-t-il pas tenté de former l'école démoniaque ? Pourquoi serions-nous obligé de suivre à la remorque tel ou tel ? N'avons-nous pas le droit d'avoir une opinion, de la formuler, de la publier, de la proclamer ? Si elle rencontre de si nombreux adhérents, c'est qu'apparemment on ne la trouve pas dénuée de tout sens commun ; mais c'est là notre tort aux yeux de certaines gens qui ne nous pardonnent pas d'avoir été plus vite qu'eux et surtout d'avoir réussi. Que ce soit donc une école, puisqu'ils le veulent ainsi ; nous nous faisons gloire d'inscrire sur le frontispice : École du Spiritisme moral, philosophique et chrétien ; et nous y convions tous ceux qui prennent pour devise : amour et charité. A ceux qui se rallient à ce drapeau, toutes nos sympathies sont acquises, et notre concours ne fera jamais défaut.


Allan Kardec.


Nécrologie Mort de M. Jobard, de Bruxelles

Le Spiritisme vient de perdre un de ses adeptes les plus fervents et les plus éclairés. M. Jobard, directeur du musée royal de l'Industrie de Bruxelles, officier de la Légion d'honneur, membre de l'Académie de Dijon et de la Société d'encouragement de Paris, est mort à Bruxelles, d'une attaque d'apoplexie, le 27 octobre 1861, à l'âge de soixante-neuf ans ; il était né à Baissey (Haute-Marne), le 14 mai 1792. Il avait été successivement ingénieur du cadastre, fondateur du premier établissement de lithographie en Belgique, directeur de l'Industriel et du Courrier belge, rédacteur du Bulletin de l'Industrie belge, de la Presse, et, en dernier lieu, du Progrès international. La Société parisienne des Études spirites lui avait conféré le titre de président honoraire. Voici l'appréciation qu'en a donnée le Siècle :

« Esprit original, fécond, prompt au paradoxe et au système, M. Jobard a rendu de réels services à la technologie industrielle, et à la cause, si longtemps délaissée, de la propriété intellectuelle, dont il a été le défenseur opiniâtre et peut-être excessif ; ses théories sur ce sujet ont été formulées dans son Maunotopole ; 1844. On doit à ce polygraphe infatigable une foule d'écrits et de brochures sur tous les sujets possibles, depuis le psychisme oriental jusqu'à l'utilité des sots dans l'ordre social. Il laisse encore des contes et des fables piquantes. Parmi ses nombreuses inventions, figure l'ingénieuse et économique lampe pour un, qui a figuré à l'exposition universelle de Paris en 1855. »

Aucun journal, à notre connaissance du moins, n'a parlé de ce qui avait été un des caractères saillants des dernières années de sa vie : son adhésion complète à la doctrine spirite, dont il avait embrassé la cause avec ardeur ; c'est qu'il en coûte aux adversaires du Spiritisme d'avouer que des hommes de génie, et qu'on ne peut taxer de folie sans faire douter de sa propre raison, adoptent ces idées nouvelles. C'est, en effet, pour eux un des points les plus embarrassants et dont ils n'ont jamais pu donner d'explication satisfaisante, que la propagation de ces idées se soit faite d'abord et de préférence dans la classe la plus éclairée de la société ; aussi se retranchent-ils derrière cet axiome banal, que le génie est cousin germain de la folie ; quelques-uns même affirment de bonne foi et sans rire que Socrate, Platon et tous les philosophes et savants qui ont professé des idées semblables n'étaient que des fous ; Socrate surtout, avec son démon familier ; peut-on, en effet, avoir le sens commun et croire qu'on a un Esprit à ses ordres ? M. Jobard ne pouvait donc trouver grâce devant cet aréopage qui s'érige en juge suprême de la raison humaine dont il se pose comme le type et l'étalon métrique. C'est, nous a-t-on dit, pour ménager la réputation de M. Jobard, et par respect pour sa mémoire, qu'ils ont passé sous silence ce travers de son esprit.

L'entêtement dans les idées fausses n'a jamais été regardé comme une preuve de bon sens ; c'est, de plus, de la petitesse quand il est le fait de l'orgueil, ce qui est le cas le plus ordinaire. M. Jobard a prouvé qu'il était à la fois homme de sens et d'esprit, en abjurant sans hésiter ses premières théories sur le Spiritisme, quand il lui fut démontré qu'il n'était pas dans le vrai.

On sait que, dans les premiers temps, avant que l'expérience n'eût élucidé la question, divers systèmes surgirent, et que chacun expliqua ces nouveaux phénomènes à sa manière. M. Jobard était partisan du système de l'âme collective. Selon ce système, « l'âme seule du médium se manifeste, mais elle s'identifie avec celle de plusieurs autres vivants, présents ou absents, de manière à former un tout collectif réunissant les aptitudes, l'intelligence et les connaissances de chacun. » De tous les systèmes créés à cette époque, combien sont restés debout aujourd'hui ? Nous ne savons si celui-ci compte encore quelques partisans, mais ce qui est positif, c'est que M. Jobard, qui l'avait préconisé et amplifié, fut un des premiers à l'abandonner quand parut le Livre des Esprits, à la doctrine duquel il se rallia franchement, ainsi que l'attestent les diverses lettres que nous avons publiées de lui.

La doctrine de la réincarnation surtout l'avait frappé comme un trait de lumière. « Si j'ai tant pataugé, nous disait-il un jour, dans le dédale des systèmes philosophiques, c'est qu'il me manquait une boussole ; je ne trouvais que des chemins sans issue et qui ne me menaient à rien ; aucun ne me donnait une solution concluante des problèmes les plus importants ; j'avais beau me creuser la tête, je sentais qu'il me manquait une clef pour arriver à la vérité. Eh bien ! cette clef est dans la réincarnation, qui explique tout d'une manière si logique, si conforme à la justice de Dieu, qu'on se dit naturellement : « Oui, il faut qu'il en soit ainsi. »

Depuis sa mort, M. Jobard a fait aussi bon marché de certaines théories scientifiques qu'il avait soutenues de son vivant. Nous en parlerons dans notre prochain numéro, dans lequel nous publierons les entretiens que nous avons eus avec lui. Disons, en attendant, qu'il s'est montré très promptement dégagé, et que le trouble a duré fort peu de temps. Comme tous les Spirites qui l'ont précédé, il confirme de tous points ce qui nous a été dit du monde des Esprits, dans lequel il se trouve beaucoup mieux que sur terre, où il laisse néanmoins des regrets sincères chez tous ceux qui ont été à même d'apprécier son éminent savoir, sa bienveillance et son affabilité. Ce n'était point un de ces savants jaloux qui barrent le chemin aux nouveaux venus dont le mérite leur porte ombrage ; tous ceux, au contraire, auxquels il a tendu la main et frayé la route auraient suffi pour lui former un beau cortège. En résumé, M. Jobard était un homme de progrès, travailleur infatigable et partisan de toutes les idées grandes, généreuses et propres à faire avancer l'humanité. Si sa perte est regrettable pour le Spiritisme, elle ne l'est pas moins pour les arts et l'industrie, qui inscriront son nom dans leurs annales.

Autodafé de Barcelone

Voir le numéro de novembre 1861.

Les journaux espagnols n'ont pas été aussi sobres de réflexions sur cet évènement que les journaux français. Quelle que soit l'opinion que l'on professe à l'endroit des idées spirites, il y a dans le fait en lui-même quelque chose de si étrange pour le temps où nous vivons, qu'il excite plus de pitié que de colère contre des gens qui semblent avoir dormi depuis plusieurs siècles, et se réveiller sans avoir conscience du chemin que l'humanité a parcouru, se croyant encore au point départ.

Voici un extrait de l'article publié à ce sujet par Las Novedades, un des grands journaux de Madrid :

« L'autodafé célébré il y a quelques mois à la Corogne, où on brûla un grand nombre de livres à la porte d'une église, avait produit dans notre esprit et dans celui de tous les hommes à idées libérales une bien triste impression. Mais c'est avec une indignation bien plus grande encore qu'a été reçue dans toute l'Espagne la nouvelle du second autodafé célébré à Barcelone, dans cette capitale civilisée de la Catalogne, au milieu d'une population essentiellement libérale, à laquelle sans doute on a fait cette insulte barbare parce qu'on reconnaît en elle de grandes qualités. »

Après avoir rendu compte des faits d'après le journal de Barcelone, il ajoute :

« Voilà le répugnant spectacle qu'ont autorisé les hommes de l'union libérale en plein dix-neuvième siècle : un bûcher à la Corogne, un autre à Barcelone, et bien d'autres encore qui ne feront point défaut en d'autres lieux. C'est ce qui devait arriver, parce que c'est une conséquence immédiate de l'esprit général qui domine l'état de choses actuel, et qui se reflète en toute chose. Réaction à l'intérieur touchant les projets de lois qu'on présente ; réaction à l'extérieur appuyant tous les gouvernements réactionnaires de l'Italie avant et après leur chute, combattant les idées libérales dans toutes les occasions, cherchant l'appui de la réaction de tous côté, et l'obtenant au prix des plus maladroites concessions. »

Suivent de longues considérations touchant les symptômes et les conséquences de cet acte, mais qui, par leur caractère essentiellement politique, ne sont pas du ressort de notre journal.

Le Diaro de Barcelone, journal ultramontain, est le premier qui ait annoncé l'autodafé, en disant que : « Les titres des livres brûlés suffisaient pour justifier leur condamnation ; que c'est le droit et le devoir de l'Église de faire respecter son autorité d'autant plus qu'on donne plus de latitude à la liberté de la presse, principalement dans les pays qui jouissent (gozan) de la terrible plaie de la liberté des cultes. »

La Corona, journal de Barcelone, fait à ce sujet les réflexions suivantes :

« Nous espérions que notre collègue (le Diaro), qui avait donné la nouvelle, aurait la bonté de satisfaire la curiosité du public sérieusement alarmé d'un acte semblable, incroyable au temps où nous vivons ; mais c'est en vain que nous avons attendu ses explications. Depuis lors nous avons été assaillis de questions sur cet événement, et nous devons à la vérité de dire que les amis du gouvernement en éprouvent plus de peine que ceux qui lui font de l'opposition.

« Dans le but de satisfaire la curiosité si vivement excitée, nous nous sommes mis en quête de la vérité, et nous avons le regret de dire que le fait est exact, et qu'en effet l'autodafé a été célébré dans les circonstances suivantes :

(Suit le récit que nous avons donné dans notre dernier numéro.)

« Les expédients employés pour arriver à ce résultat ne peuvent être plus expéditifs ni plus efficaces. On présenta au contrôle de la douane les livres susdits ; on répondit au commis qu'on ne pouvait expédier sans un permis du seigneur évêque. Le seigneur évêque était absent ; à son retour on lui présenta un exemplaire de chaque ouvrage, et après les avoir lus, ou les avoir fait lire par des personnes de sa confiance, se conformant au jugement de leur conscience, il ordonna qu'ils fussent jetés au feu comme étant immoraux et contraires à la foi catholique. On réclama contre une telle sentence, on demanda au gouvernement que, puisqu'on ne permettait pas la circulation de ces livres en Espagne, on permît au moins à leur propriétaire de les réexpédier au lieu de leur provenance ; mais cela même a été refusé, donnant pour raison qu'étant contre la morale et la foi catholique, le gouvernement ne pouvait consentir que ces livres allassent pervertir la morale et la religion des autres pays. Malgré cela, le propriétaire a été obligé de payer les droits, qui semblaient ne pas devoir être exigés. Une foule immense a assisté à l'autodafé, ce qui n'a rien d'étonnant, si l'on tient compte de l'heure et du lieu de l'exécution, et surtout de la nouveauté du spectacle. L'effet qu'il produisit sur les assistants fut la stupéfaction chez les uns, le rire chez les autres, et l'indignation parmi le plus grand nombre, à mesure qu'ils se rendaient compte de ce qui se passait. Des paroles de haine sortirent de plus d'une bouche, puis vinrent les plaisanteries, les dictons bouffons et mordants de la part de ceux qui voyaient avec un extrême plaisir l'aveuglement de certains hommes ; en cela ils ont raison, car ils entrevoient dans cette réaction, digne du temps de l'inquisition, le triomphe plus prompt de leurs idées ; ils se moquaient afin que cette cérémonie n'accrût pas le prestige de l'autorité qui, avec tant de complaisance, se prête à des exigences vraiment ridicules. Lorsque les cendres de ce nouveau bûcher furent refroidies, on a remarqué que les personnes qui avaient été présentes, ou qui passaient aux environs, instruites du fait, se dirigèrent vers le lieu de l'autodafé, et y recueillirent une partie des cendres pour les conserver.

« Tel est le récit de cet événement, dont ne peuvent s'empêcher de parler les personnes qui se rencontrent ; on s'en indigne, on se lamente ou l'on se réjouit, selon la manière d'interpréter les choses. Les sincères partisans de la paix, du principe d'autorité et de la religion, s'affligent de ces démonstrations réactionnaires, parce qu'ils comprennent qu'aux réactions succèdent les révolutions, et qu'ils savent que ceux qui sèment les vents ne peuvent récolter que des tempêtes. Les libéraux sincères s'indignent que de semblables spectacles soient donnés au monde par des hommes qui ne comprennent pas la religion sans intolérance, et veulent l'imposer comme Mahomet imposait son Coran.

« Maintenant, abstraction faite de la qualification donnée aux livres brûlés, nous examinerons le fait en lui-même. La jurisprudence peut-elle admettre qu'un évêque diocésain ait une autorité sans appel et puisse empêcher la publication et la circulation d'un livre ? On nous dira que la loi sur l'imprimerie signale ce qu'il y a à faire dans ce cas ; mais cette loi dit-elle que les livres, si mauvais et si pernicieux qu'ils soient, seront jetés au feu avec cet appareil ? Nous n'y trouvons aucun article qui puisse justifier un acte semblable. En outre, les livres en question ont été publiquement déclarés. Un commissionnaire déclare des livres à la douane, parce qu'ils pourraient être dans la catégorie de ceux que signale l'article 6 ; ils passent à la censure diocésaine, le gouvernement pouvait en prohiber la circulation, et la chose était terminée. Les prêtres devraient se borner à conseiller à leurs fidèles l'abstention de telle ou telle lecture, s'ils la jugent contraire à la morale et à la religion ; mais on ne devrait pas leur concéder un pouvoir absolu qui les rend juges et bourreaux. Nous nous abstenons d'émettre aucune opinion sur la valeur des ouvrages brûlés ; ce que nous voyons, c'est le fait, ce sont ses tendances, et l'esprit qu'il révèle. Dans quel diocèse s'abstiendra-t-on désormais d'user, si non d'abuser, d'une faculté que, d'après notre jugement, le gouvernement lui-même n'a pas, si, à Barcelone, dans la libérale Barcelone, on le fait ? L'absolutisme est très sagace ; il essaie s'il peut faire un coup d'autorité quelque part ; s'il réussit, il ose davantage. Espérons toutefois que les efforts de l'absolutisme seront inutiles, que toutes les concessions qu'on lui fait n'auront d'autre résultat que de dévoiler le parti qui, renouvelant des scènes comme celle de jeudi dernier, se précipite de plus en plus dans l'abîme où il court aveuglément ; c'est ce que nous fait espérer l'effet produit à Barcelone par cet autodafé. »

La Fauvette, le Ramier et le Petit Poisson Fable

A Madame et mademoiselle C***, de Bordeaux.
Amour et charité.
(Spiritisme.)



Dans le sein d'un rosier qui bordait un enclos,

Une fauvette avait déposé sa couvée ;

Tous les petits étaient heureusement éclos ;

Une infortune, hélas ! leur était réservée !

Des feux ont lui partout et l'orage a grondé ;

La pluie, à torrents descendue,

Dans les champs forme un lac d'une vaste étendue,

Déjà l'enclos est inondé.

Loin du rosier, le nid sur les eaux se balance ;

La fauvette le couvre et se livre au destin ;

Elle n'a point fermé son cœur à l'espérance ;

L'étoile de salut lui sourit au lointain.

Cependant l'eau s'écoule. Avec l'eau de la plaine

Le ruisseau dans son lit reçoit le nid flottant,

Qui, malgré les écueils dont chaque rive est pleine,

Arrive sans encombre au fleuve qui l'attend.

Vers le milieu du fleuve un petit banc de sable

Des eaux dominait la hauteur ;

Une vague, qu'aidait un zéphyr favorable,

Y pousse mollement le nid navigateur.

Aux premiers transports d'allégresse,

Qu'éprouve la fauvette en touchant à ce bord,

Succède tout à coup une morne tristesse :

En ce lieu quel sera son sort ?

Ses petits ont déjà demandé la pâture :

Doit-elle, pour chercher au loin leur nourriture,

Les laisser exposés sur ce sable mouvant ?

S'ils ont été sauvés par une vague amie

Ils ont à redouter une vague ennemie,

Ou le funeste effet de quelque coup de vent.

Au même instant près d'elle un gros ramier se pose,

« Oiseau puisant, dit-elle, excusez-moi si j'ose

Faire un appel à vos bontés :

Il s'agit du salut de toute une famille ;

Oh ! rendez leur enclos, leur rosier, leur charmille

A mes petits qu'ici l'ouragan a jetés.

Daignez ouvrir pour eux vos ailes généreuses ;

Le trajet n'est pas long, et vos serres nerveuses

N'auront jamais porté fardeau moins lourd. »

Le ramier à sa voix n'est pas tout à fait sourd :

« Je déplore votre infortune

Et regrette beaucoup qu'une affaire importune,

M'obligeant de mon vol à poursuivre le cours,

Me prive du bonheur de vous prêter secours ;

Mais soyez sans inquiétude,

Et suivez le conseil que ma sollicitude

Est heureuse de vous donner :

Confiez-vous aux flots… Le bienfaisant génie

Qui vous a jusqu'ici si bien sauvé la vie

Ne saurait vous abandonner. »

Et, satisfait de lui, dans les airs il s'élève.

Un carpillon, rôdant autour de cette grève,

Avait tout vu, tout entendu.

« Consolez-vous, dit-il, ô malheureuse mère !

Moi, je comprends votre douleur amère,

Et tout espoir n'est pas perdu.

Je n'ai pas la force en partage ;

J'espère cependant vous conduire au rivage. »

Et, prenant à sa bouche un des longs filaments

Dont l'épaisseur du nid abonde,

Il le déroule et fait glisser le nid sur l'onde.

La fauvette, debout, hardiment le seconde,

En ouvrant ses ailes aux vents.

La cargaison s'agite, et le poisson, qui hale,

Pour flotter sans cahot, tient une marche égale,

Et se détourne des courants.

On est près du bord… on arrive !

La fauvette charmée a trouvé sur la rive

Gazons touffus et hauts taillis ;

Et le poisson lui dit : « A l'avenir, ma chère,

Comptez peu sur les grands ; les cris de la misère

N'ont qu'un bien faible écho dans leurs cœurs endurcis ;

Leurs dons sont les conseils et la condoléance ;

Mais la cordiale assistance,

On la trouve chez les petits. »


C. Dombre (de Marmande).

Du Surnaturel - Par M. Guizot.

Nous extrayons du nouvel ouvrage de M. Guizot : L'Église et la société chrétienne en 1861, le remarquable chapitre sur le Surnaturel. Ce n'est pas, comme on pourrait le croire, un plaidoyer pour ou contre le Spiritisme, car il n'y est nullement question de la nouvelle doctrine ; mais comme aux yeux de beaucoup de personnes le Spiritisme est inséparable du surnaturel, qui selon les uns est une superstition, et selon d'autres une vérité, il est intéressant de connaître sur cette question l'opinion d'un homme de la valeur de M. Guizot. Il y a dans ce travail des observations d'une incontestable justesse, mais, selon nous, il y a aussi de grandes erreurs qui tiennent au point de vue où se place l'auteur. Nous en ferons un examen approfondi dans notre prochain numéro.

« Toutes les attaques dont le christianisme est aujourd'hui l'objet, quelque diverses qu'elles soient dans leur nature et dans leur mesure, partent d'un même point et tendent à un même but, la négation du surnaturel dans les destinées de l'homme et du monde, l'abolition de l'élément surnaturel dans la religion chrétienne, comme dans toute religion, dans son histoire comme dans ses dogmes.

« Matérialistes, panthéistes, rationalistes, sceptiques, critiques, érudits, les uns hautement, les autres discrètement, tous pensent et parlent sous l'empire de cette idée que le monde et l'homme, la nature morale comme la nature physique, sont uniquement gouvernés par des lois générales, permanentes et nécessaires, dont aucune volonté spéciale n'est jamais venue et ne vient jamais suspendre ou modifier le cours.

« Je ne songe pas à discuter pleinement ici cette question, qui est la question fondamentale de toute religion ; je ne veux que soumettre aux adversaires déclarés ou voilés du surnaturel deux observations ou, pour parler plus exactement, deux faits qui, selon moi, la décident.

« C'est sur une foi naturelle au surnaturel, sur un instinct inné du surnaturel, que toute religion se fonde. Je ne dis pas toute idée religieuse, mais toute religion positive, pratique, puissante, durable, populaire. Dans tous les lieux, sous tous les climats, à toutes les époques de l'histoire, à tous les degrés de la civilisation, l'homme porte en lui ce sentiment, j'aimerais mieux dire ce pressentiment, que le monde qu'il voit, l'ordre au sein duquel il vit, les faits qui se succèdent régulièrement et constamment autour de lui ne sont pas tout. En vain il fait chaque jour, dans ce vaste ensemble, des découvertes et des conquêtes ; en vain il observe et constate savamment les lois permanentes qui y président : sa pensée ne s'enferme point dans cet univers livré à sa science ; ce spectacle ne suffit point à son âme ; elle s'élance ailleurs ; elle cherche, elle entrevoit autre chose ; elle aspire pour l'univers et pour elle-même à d'autres destinés, à un autre maître :

Par delà tous ces cieux le Dieu des cieux réside,

a dit Voltaire, et le Dieu qui est par delà tous les cieux, ce n'est pas la nature personnifiée, c'est le surnaturel en personne. C'est à lui que les religions s'adressent ; c'est pour mettre l'homme en rapport avec lui qu'elles se fondent. Sans la foi instinctive des hommes au surnaturel, sans leur élan spontané et invincible vers le surnaturel, la religion ne serait pas.

« Seul entre tous les êtres ici-bas, l'homme prie. Parmi ses instincts moraux, il n'y en a point de plus naturel, de plus universel, de plus invincible que la prière. L'enfant s'y porte avec une docilité empressée. Le vieillard s'y replie comme dans un refuge contre la décadence et l'isolement. La prière monte d'elle-même sur les jeunes lèvres qui balbutient à peine le nom de Dieu et sur les lèvres mourantes qui n'ont plus la force de le prononcer. Chez tous les peuples, célèbres ou obscurs, civilisés ou barbares, on rencontre à chaque pas des actes et des formules d'invocation. Partout où vivent des hommes, dans certaines circonstances, à certaines heures, sous l'empire de certaines impressions de l'âme, les yeux s'élèvent, les mains se joignent, les genoux fléchissent pour implorer ou pour rendre grâces, pour adorer ou pour apaiser. Avec transport ou avec tremblement, publiquement ou dans le secret de son cœur, c'est à la prière que l'homme s'adresse, en dernier recours, pour combler les vides de son âme ou porter les fardeaux de sa destinée ; c'est dans la prière qu'il cherche, quand tout lui manque, de l'appui pour sa faiblesse, de la consolation dans ses douleurs, de l'espérance pour sa vertu.

« Personne ne méconnaît la valeur morale et intérieure de la prière, indépendamment de son efficacité quant à son objet. Par cela seul qu'elle prie, l'âme se soulage, se relève, s'apaise, se fortifie ; elle éprouve, en se tournant vers Dieu, ce sentiment de retour à la santé et au repos qui se répand dans le corps quand il passe d'un air orageux et lourd dans une atmosphère sereine et pure. Dieu vient en aide à ceux qui l'implorent, avant et sans qu'ils sachent s'il les exaucera.

« Les exaucera-t-il ? Quelle est l'efficacité extérieure et définitive de la prière ? Ici est le mystère, l'impénétrable mystère des desseins et de l'action de Dieu sur chacun de nous. Ce que nous savons, c'est que, soit qu'il s'agisse de notre vie extérieure ou intérieure, ce n'est pas nous seuls qui en disposons selon notre pensée et notre volonté propres. Tous les noms que nous donnons à cette part de notre destinée qui ne vient pas de nous-mêmes, hasard, fortune, étoile, nature, fatalité, sont autant de voiles jetés sur notre impiété ignorante. Quand nous parlons ainsi, nous refusons de voir Dieu où il est. Au-delà de l'étroite sphère où sont renfermées la puissance et l'action de l'homme, c'est Dieu qui règne et qui agit. Il y a, dans l'acte naturel et universel de la prière, une foi naturelle et universelle dans cette action permanente, et toujours libre, de Dieu sur l'homme et sur sa destinée : « Nous sommes ouvriers avec Dieu, » dit saint Paul : ouvriers avec Dieu, et dans l'œuvre des destinées générales de l'humanité, et dans celle de notre propre destinée, présente et future. C'est là ce que nous fait entrevoir la prière sur le lien qui unit l'homme à Dieu ; mais là s'arrête pour nous la lumière : « Les voies de Dieu ne sont pas nos voies ; » nous y marchons sans les connaître ; croire sans voir et prier sans prévoir, c'est la condition que Dieu a faite à l'homme en ce monde, pour tout ce qui en dépasse les limites. C'est dans la conscience et l'acceptation de cet ordre surnaturel que consistent la foi et la vie religieuses.

« Ainsi M. Edmond Scherer a raison quand il doute que « le rationalisme chrétien soit et puisse jamais être une religion. » Et pourquoi M. Jules Simon, qui s'incline devant Dieu avec un respect si sincère, a-t-il intitulé son livre : la Religion naturelle ? Il aurait dû l'appeler Philosophie religieuse. La philosophie poursuit et atteint quelques-unes des grandes idées sur lesquelles la religion se fonde ; mais, par la nature de ses procédés et les limites de son domaine, elle n'a jamais fondé et ne saurait fonder une religion. A parler exactement, il n'y a point de religion naturelle, car dès que vous abolissez le surnaturel, la religion aussi disparaît.

« Que cette foi instinctive au surnaturel, source de la religion, puisse être et soit aussi la source d'une infinité d'erreurs et de superstitions, source à leur tour d'une infinité de maux, qui songe à le nier ? Ici, comme partout, c'est la condition de l'homme que le bien et le mal se mêlent incessamment dans ses destinées et dans ses œuvres comme en lui-même ; mais de cet incurable mélange il ne s'ensuit pas que nos grands instincts n'aient point de sens et ne fassent que nous égarer quand ils nous élèvent. Quels que puissent être, en y aspirant, nos égarements, il reste certain que le surnaturel est dans la foi naturelle de l'homme, et qu'il est la condition sine quâ non, le véritable objet, l'essence même de la religion.

« Voici un second fait qui mérite, je crois, toute l'attention des adversaires du surnaturel.

« Il est reconnu et constaté par la science que notre globe n'a pas toujours été dans l'état où il est aujourd'hui, qu'à des époques diverses et indéterminées il a subi des révolutions, des transformations qui en ont changé la face, le régime physique, la population ; que l'homme en particulier n'y a pas toujours existé, et que, dans plusieurs des états successifs par lesquels ce monde a passé, l'homme n'aurait pu y exister.

« Comment y est-il venu ? De quelle façon et par quelle puissance le genre humain a-t-il commencé sur la terre ?

« Il ne peut y avoir, de son origine, que deux explications : ou bien il a été le produit du travail propre et intime des forces naturelles de la matière, ou bien il a été l'œuvre d'un pouvoir surnaturel, extérieur et supérieur à la matière. La génération spontanée ou la création, il faut, à l'apparition de l'homme ici-bas, l'une ou l'autre de ces causes.

« Mais en admettant, ce que pour mon compte je n'admets nullement, les générations spontanées, ce mode de production ne pourrait, n'aurait jamais pu produire que des êtres enfants, à la première heure et dans le premier état de la vie naissante. Personne, je crois, n'a jamais dit et personne ne dira jamais que, par la vertu d'une génération spontanée, l'homme, c'est-à-dire l'homme et la femme, le couple humain, ont pu sortir et qu'ils sont sortis un jour du sein de la matière tout formés et tout grands, en pleine possession de leur taille, de leur force, de toutes leurs facultés, comme le paganisme grec a fait sortir Minerve du cerveau de Jupiter.

« C'est pourtant à cette condition seulement qu'en apparaissant pour la première fois sur la terre l'homme aurait pu y vivre, s'y perpétuer et y fonder le genre humain. Se figure-t-on le premier homme naissant à l'état de la première enfance, vivant, mais inerte, inintelligent, impuissant, incapable de se suffire un moment à lui-même, tremblotant et gémissant, sans mère pour l'entendre et pour le nourrir ! C'est pourtant là le seul premier homme que le système de la génération spontanée puisse donner.

« Évidemment l'autre origine du genre humain est seule admissible, seule possible. Le fait surnaturel de la création explique seul la première apparition de l'homme ici-bas.

« Ceux-là donc qui nient et abolissent le surnaturel abolissent du même coup toute religion réelle ; et c'est en vain qu'ils triomphent du surnaturel si souvent introduit à tort dans notre monde et dans notre histoire ; ils sont contraints de s'arrêter devant le berceau surnaturel de l'humanité, impuissants à en faire sortir l'homme sans la main de Dieu. »

Guizot.

Méditations philosophiques et religieuses

Dictées à M. Alfred Didier, médium, par l'Esprit de Lamennais.

(Société Spirite de Paris.)

Nous avons déjà publié un certain nombre de communications dictées par l'Esprit de Lamennais et dont on a pu remarquer la haute portée philosophique. Le sujet était quelquefois nettement indiqué, mais souvent aussi il n'avait pas de caractère assez tranché pour qu'il fût facile d'y donner un titre. En ayant fait l'observation à l'Esprit, il répondit qu'il se proposait de donner une série de dissertations sur divers sujets variés, et à laquelle il proposait de donner le titre général de Méditations Philosophiques et religieuses, sauf à donner un titre particulier aux sujets qui le comporteront. Nous en avons alors suspendu la publication jusqu'à ce que nous ayons un ensemble susceptible d'être coordonné ; c'est cette publication que nous commençons aujourd'hui et que nous continuerons dans les numéros suivants.

Nous devons faire observer que les Esprits arrivés à un très haut degré de perfection sont seuls aptes à juger les choses d'une manière complètement saine ; que jusque-là, quel que soit le développement de leur intelligence et même de leur moralité, ils peuvent être plus ou moins imbus de leurs idées terrestres et voir les choses à leur point de vue personnel, ce qui explique les contradictions que l'on rencontre souvent dans leurs appréciations. Lamennais nous paraît être dans ce cas ; il y a sans doute dans ses communications de très belles et très bonnes choses, comme pensées et comme style, mais il y en a évidemment qui peuvent prêter à la critique, et dont nous ne prenons nullement la responsabilité ; chacun est libre d'y prendre ce qu'il trouvera de bon, et de rejeter ce qui lui paraîtra mauvais ; les Esprits parfaits peuvent seuls produire des choses parfaites ; or Lamennais, qui est sans contredit un Esprit bon et avancé, n'a pas la prétention d'être encore parfait, et le caractère sombre, mélancolique et mystique de l'homme se reflète incontestablement sur celui de l'Esprit, et, par conséquent, sur ses communications ; à ce point de vue seul elles seraient déjà un intéressant sujet d'observations.


I

Les idées changent, mais les idées et les desseins de Dieu ne changent pas. La religion, c'est-à-dire la foi, l'espérance, la charité, une seule chose en trois, l'emblème de Dieu sur la terre, reste inébranlable au milieu des luttes et des préjugés. La religion existe avant tout dans les cœurs, donc elle ne peut changer. C'est au moment où l'incrédulité règne, où les idées se choquent et s'entrechoquent, sans profit pour la vérité, qu'apparaît cette Aurore qui vous dit : Je viens au nom du Dieu des vivants et non des morts ; la matière seule est périssable, parce qu'elle est divisible ; mais l'âme est immortelle, parce qu'elle est une et indivisible. Lorsque l'âme de l'homme s'amollit dans le doute sur l'éternité, elle prend moralement l'aspect de la matière ; elle se divise, et, par suite, est sujette aux épreuves malheureuses dans ses réincarnations nouvelles. La religion est donc la force de l'homme ; elle assiste tous les jours aux crucifiements nouveaux qu'elle inflige au Christ ; elle entend tous les jours les blasphèmes qui lui sont jetés à la face ; mais, forte et inébranlable comme la Vierge, elle assiste divinement au sacrifice de son fils, parce qu'elle possède en elle la foi, l'espérance et la charité. La Vierge s'est évanouie devant les douleurs du Fils de l'homme, mais elle n'est pas morte.


II

Samson.

Après une lecture de la bible sur l'histoire de Samson, je vis dans ma pensée un tableau analogue à ceux de l'artiste puissant que la France vient de perdre, Decamps. Je vis un homme d'une stature colossale, aux membres musculeux, comme le Jour de Michel-Ange, et cet homme fort dormait à côté d'une femme qui faisait brûler autour d'elle des parfums tels que les Orientaux ont toujours su en introduire dans leur luxe et dans leurs mœurs efféminées. Les membres de ce géant tombaient de lassitude, et un petit chat sautait tantôt sur lui, tantôt sur la femme qui était auprès de lui. La femme se pencha pour voir si le géant dormait ; puis elle prit de petits ciseaux et se mit à couper la chevelure ondoyante du colosse, et vous savez le reste. - Des hommes armés se ruèrent sur lui et le garrottèrent, et l'homme pris dans les filets de Dalila se nomme Samson, me dit tout à coup un Esprit que je vis aussitôt près de moi ; cet homme représente l'humanité affaiblie par la corruption, c'est-à-dire par l'avidité et l'hypocrisie. L'humanité, quand Dieu fut avec elle, souleva, comme Samson, les portes de Gaza ; l'humanité, quand elle eut pour soutien la liberté, c'est-à-dire le christianisme, écrasa ses ennemis, comme ce géant écrasa à lui seul une armée de Philistins. - Ainsi, répondis-je à mon Esprit, la femme qui est auprès de lui… Il ne me laissa pas achever, et me dit : « Est celle qui a remplacé Dieu ; et songe que je ne veux pas parler de la corruption des siècles passés, mais du vôtre. » Depuis longtemps Samson et Dalila s'étaient effacés de devant mes yeux ; je voyais l'ange, seul toujours, qui me dit en souriant : « L'humanité est vaincue. » Son visage devint alors réfléchi et profond, et il ajouta : « Voici les trois êtres qui rendront à l'humanité sa vigueur première ; ils se nomment la Foi, l'Espérance et la Charité. Ils viendront dans quelques années, et ils fonderont une nouvelle doctrine que les hommes appelleront Spiritisme. »


III

Suite.

Chaque phase religieuse de l'humanité a possédé la force divine matérialisée par les figures de Samson, d'Hercule et de Roland. Un homme s'armant des arguments de la logique nous dirait : « Je vous devine ; mais cette comparaison me paraît bien subtile et bien compassée. » Il est vrai, peut-être jusqu'à présent n'est-elle venue à l'esprit de personne ; et cependant, examinons. Je vous ai parlé dernièrement de Samson, qui est l'emblème de la force de la foi divine dans les premiers âges. La Bible est un poème oriental ; Samson est la figure matérielle de cette force impétueuse qui renversa Héliodore sur le parvis du temple et qui réunit les flots de la mer Rouge après les avoir séparés. Cette grande force divine avait abattu des armées, renversé les murs de Jéricho. Les Grecs, vous le savez, vinrent d'Égypte et de l'Orient ; cette tradition de Samson n'existait plus que dans le domaine de la philosophie et de l'histoire égyptienne. Les Grecs dégrossirent les colosses de granit de l'Égypte, armèrent Hercule d'une massue et lui donnèrent la vie. Hercule fit ses douze travaux, terrassa l'hydre de Lerne, l'hydre des sept péchés capitaux, et devint, dans ce monde païen, le symbole de la force divine incarnée sur la terre : ils en firent un dieu. Mais remarquez quels furent les vainqueurs de ces deux géants. Faut-il sourire ? faut-il pleurer ? comme dit Lamartine. Ce furent deux filles d'Ève : Dalila et Déjanire. Vous le voyez, la tradition de Samson et d'Hercule est la même que celle de Dalila et de Déjanire. Dalila, seulement, avait changé la coiffure des filles de Pharaon pour le diadème de Vénus.

Vers le soir, dans la fameuse vallée de Roncevaux, un géant, couché dans un ravin profond, hurlait le nom de Charlemagne avec des cris désespérés. Il était à moitié écrasé sous un énorme rocher, que ses mains défaillantes essayaient en vain de remuer. Pauvre Rolland ! ton heure est venue ; les Basques te narguent du haut du rocher, et font encore rouler sur toi d'énormes pierres. Parmi tes ennemis se trouvent des femmes ; Rolland peut-être en avait aimé une : toujours Dalila et Déjanire ; l'histoire ne le dit pas, mais cela est fort probable. Toujours est-il que Roland mourut comme Samson et Hercule. Discutez maintenant si vous voulez ; mais il me semble, messieurs, que ce rapprochement ne paraît pas si subtil. Quelle sera dans les âges futurs la personnification de la force du Spiritisme ? Qui vivra verra, dit-on sur la terre ; ici l'on dit : L'homme verra toujours.

Lamennais.

(La suite au prochain numéro.)




Allan Kardec.




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