REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

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Avril

Encore un mot sur M. Deschanel du Journal des Débats

Dans le précédent numéro de la Revue Spirite, nos lecteurs ont pu voir, à côté de nos réflexions sur l'article de M. Deschanel, la lettre personnelle que nous lui avons adressée. Cette lettre, très courte, dont nous lui demandions l'insertion, avait pour objet de rectifier une erreur grave qu'il avait commise dans son appréciation. En présentant la doctrine Spirite comme étant fondée sur le plus grossier matérialisme, c'était en dénaturer complètement l'esprit, puisqu'elle tend au contraire à détruire les idées matérialistes. Il y avait dans soit article bien d'autres erreurs que nous aurions pu relever, mais celle-là était trop capitale pour rester sans réponse ; elle avait une gravité réelle en ce qu'elle tendait à jeter une véritable défaveur sur les nombreux adeptes du Spiritisme. M. Deschanel n'a pas cru devoir obtempérer à notre demande, et voici la réponse qu'il nous a adressée :

« Monsieur,

« J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, en date du 25 février. Votre éditeur, M. Didier, a bien voulu me charger de vous expliquer que c'était sur sa demande réitérée que j'avais consenti à rendre compte dans les Débats de votre Livre des Esprits, sauf à le critiquer tant que je voudrais ; c'était notre convention. Je vous remercie d'avoir compris que, dans ces circonstances, user de votre droit de contre-exposition eût été strictement légal, mais moins délicat assurément que l'abstention à laquelle vous avez accédé, ainsi que M. Didier me l'apprend ce matin.

« Veuillez agréer, etc. E. Deschanel. »

Cette lettre manque d'exactitude sur plusieurs points. Il est vrai que M. Didier a remis à M. Deschanel un exemplaire du Livre des Esprits, comme cela se pratique d'éditeur à journaliste ; mais ce qui n'est pas exact, c'est que M. Didier se soit chargé de ne nous rien expliquer sur ses prétendues instances réitérées pour qu'il en fût rendu compte, et si M. Deschanel a cru devoir y consacrer vingt-quatre colonnes de railleries, il nous permettra de croire que ce n'est ni par condescendance ni par déférence pour M. Didier. Au reste, nous l'avons dit, ce n'est pas ce dont nous nous plaignons : la critique était dans son droit ; et du moment qu'il ne partage pas notre manière de voir, il était libre d'apprécier l'ouvrage à son point de vue, ainsi que cela a lieu tous les jours ; une chose est portée aux nues par les uns, décriée par les autres, mais ni l'un ni l'autre de ces jugements n'est sans appel ; le seul juge en dernier ressort, c'est le public, et surtout le public à venir, qui est étranger aux passions et aux intrigues du moment. Les éloges obséquieux des coteries ne l'empêchent pas d'enterrer à tout jamais ce qui est réellement mauvais, et ce qui est vraiment bon survit en dépit des diatribes de l'envie et de la jalousie.

De cette vérité deux fables feront foi.
Tant la chose en preuves abonde, aurait dit La Fontaine ; nous ne citerons pas deux fables, mais deux faits. A son apparition, la Phèdre de Racine eut contre elle la cour et la ville, et fut bafouée ; l'auteur fut abreuvé de tant de dégoûts, qu'à l'âge de trente-huit ans il renonça à écrire pour le théâtre ; la Phèdre de Pradon, au contraire, fut prônée outre mesure ; quel est aujourd'hui le sort de ces deux ouvrages ? Un autre livre plus modeste, Paul et Virginie, fut déclaré mort-né par l'illustre Buffon qui le trouvait fade et insipide, et pourtant on sait si jamais livre fut plus populaire. Par ces deux exemples, notre but est simplement de prouver que l'opinion d'un critique, quel que soit son mérite, est toujours une opinion personnelle qui n'est pas toujours ratifiée par la postérité. Mais revenons de Buffon à M. Deschanel, sans comparaison, car Buffon s'est lourdement trompé, tandis que M. Deschanel croit sans doute qu'on n'en dira pas autant de lui.

M. Deschanel, dans sa lettre, reconnaît que notre droit de contre-exposition eût été strictement légal, mais il trouve plus de délicatesse de notre part à ne pas l'exercer ; il se trompe encore complètement quand il dit que nous avons accédé à une abstention, ce qui donnerait à entendre que nous nous sommes rendu à une sollicitation, et même que M. Didier aurait été chargé de le lui apprendre ; or rien n'est moins exact. Nous n'avons pas cru devoir exiger l'insertion d'un exposé contradictoire ; libre à lui de trouver notre doctrine mauvaise, détestable, absurde, de le crier sur les toits, mais nous attendions de sa loyauté la publication de notre lettre pour rectifier une allégation fausse, et pouvant porter atteinte à notre considération, en ce qu'il nous accuse de professer et de propager les doctrines mêmes que nous combattons, comme subversives de l'ordre social et de la morale publique. Nous ne lui demandions pas une rétractation à laquelle son amour-propre se fût peut-être refusé, mais simplement d'insérer notre protestation ; nous n'abusions certes pas du droit de réponse, puisqu'en échange de vingt-quatre colonnes nous ne lui demandions que trente à quarante lignes. Nos lecteurs sauront apprécier son refus ; s'il a bien voulu voir de la délicatesse dans notre procédé, nous ne saurions juger le sien de la même manière.

Quand M. l'abbé Chesnel publia dans l'Univers, en 1858, son article sur le Spiritisme, il donna de la Société parisienne des Études spirites une idée également fausse en la présentant comme une secte religieuse ayant son culte et ses prêtres ; cette allégation dénaturait complètement son but et ses tendances et pouvait tromper l'opinion publique ; elle était d'autant plus erronée que le règlement de la Société lui interdit de s'occuper de matières religieuses ; on ne concevrait pas en effet une Société religieuse qui ne pourrait pas s'occuper de religion. Nous protestâmes contre cette assertion, non par quelques lignes, mais par un article entier et longuement motivé que, sur notre simple demande, l'Univers se fit un devoir d'insérer. Nous regrettons qu'en pareille circonstance, M. Deschanel, du journal des Débats, se croie moins moralement obligé de rétablir la vérité que Messieurs de l'Univers ; si ce n'était une question de droit, ce serait toujours une question de loyauté ; se réserver le droit d'attaque sans admettre la défense, c'est un moyen facile pour lui de faire croire à ses lecteurs qu'il a raison.

M. Louis Jourdan et le Livre des Esprits

Puisque nous sommes en train de parler des publicistes à propos du Spiritisme, ne nous arrêtons pas en chemin ; ces Messieurs, en général, ne nous gâtent pas, et comme nous ne faisons pas mystère de leurs critiques, on nous permettra bien d'en présenter la contrepartie, et d'opposer à l'opinion de M. Deschanel et autres celle d'un écrivain dont personne ne conteste la valeur et l'influence, sans qu'on puisse nous taxer d'amour-propre. Les éloges, d'ailleurs, ne s'adressent pas à notre personne, ou du moins nous ne les prenons pas pour nous, et nous en reportons l'honneur aux guides spirituels qui veulent bien nous diriger. Nous ne saurions donc nous prévaloir du mérite que l'on peut trouver à nos travaux ; nous acceptons les éloges, non comme un indice de notre valeur personnelle, mais comme une consécration de l'œuvre que nous avons entreprise, œuvre qu'avec l'aide de Dieu nous espérons mener à bonne fin, car nous ne sommes pas au terme, et le plus difficile n'est pas fait. Sous ce rapport l'opinion de M. Louis Jourdan est d'un certain poids, parce qu'on sait qu'il ne parle pas à la légère et pour parler, ou remplir des colonnes avec des mots ; certes, il peut se tromper comme un autre, mais dans tous les cas son avis est toujours consciencieux.

Il serait prématuré de dire que M. Jourdan est un adepte avoué du Spiritisme ; il déclare lui-même n'avoir rien vu, n'être en rapport avec aucun médium ; il juge la chose d'après son sentiment intime, et comme il ne prend pas son point de départ dans la négation de l'âme et de toute puissance extra-humaine, il voit dans la doctrine Spirite une nouvelle phase du monde moral et un moyen d'expliquer ce qui jusqu'alors était inexplicable ; or, en admettant la base, sa raison ne se refuse nullement à en admettre les conséquences, tandis que M. Figuier ne peut admettre ces conséquences, dès lors qu'il repousse le principe fondamental. N'ayant point tout étudié, tout approfondi dans cette vaste science, il n'est pas étonnant que ses idées ne soient pas fixées sur tous les points, et, par cela même, certaines questions doivent lui paraître encore hypothétiques ; mais en homme de sens, il ne dit pas : Je ne comprends pas, donc cela n'est pas ; il dit au contraire : Je ne sais pas, parce que je n'ai pas appris, mais je ne nie pas. En homme sérieux, il ne plaisante pas sur une question qui touche aux intérêts les plus graves de l'humanité, et en homme prudent, il se tait sur ce qu'il ignore, de peur que les faits ne viennent, comme à tant d'autres, donner un démenti à ses dénégations, et qu'on ne lui oppose cet irrésistible argument : Vous parlez de ce que vous ne savez pas. Passant donc sur les questions de détail pour lesquelles il confesse son incompétence, il se borne à l'appréciation du principe, et ce principe, le seul raisonnement lui en fait admettre la possibilité, ainsi que cela a lieu journellement.

M. Jourdan a d'abord publié un article sur le Livre des Esprits dans le Causeur (n° 8, avril 1860) ; voilà de cela un an, et nous n'en avons pas encore parlé dans cette Revue, preuve que nous ne sommes pas très empressés de nous prévaloir des éloges, tandis que nous avons cité textuellement, ou indiqué, les plus amères critiques, preuve aussi que nous ne craignons pas leur influence. Cet article est reproduit dans son nouvel ouvrage : Un Philosophe au coin du feu *, dont il forme un chapitre. Nous en extrayons les passages suivants :

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« J'ai formellement promis de revenir sur un sujet dont j'ai dit quelques mots à peine et qui mérite une attention toute particulière, c'est le Livre des Esprits, contenant les principes de la doctrine et de la philosophie spirites. Le mot peut vous paraître barbare, mais qu'y faire ? Aux choses nouvelles il faut des mots nouveaux. Les tables tournantes ont abouti au spiritisme, et nous sommes aujourd'hui en possession d'une doctrine complète entièrement révélée par les Esprits, car ce Livre des Esprits n'est pas fait de main d'homme ; M. Allan Kardec s'est borné à recueillir et à mettre en ordre les réponses faites par les Esprits aux innombrables questions qui leur ont été posées, réponses brèves, qui ne satisfont pas toujours complètement la curiosité du questionneur, mais qui, considérées dans leur ensemble, constituent en effet une doctrine, une morale, et qui sait ? peut-être une religion.

« Jugez-en vous-mêmes. Les Esprits se sont nettement expliqués sur les causes premières, sur Dieu et l'infini, sur les attributs de la Divinité. Ils nous ont donné les éléments généraux de l'univers, la connaissance du principe des choses, les propriétés de la matière. Ils ont dit les mystères de la création, la formation des mondes et des êtres vivants, les causes de la diversité des races humaines. De là au principe vital, il n'y avait qu'un pas, et ils nous ont dit ce qu'était le principe vital, ce qu'étaient la vie et la mort, l'intelligence et l'instinct.

« Puis ils ont levé le voile qui nous cache le monde spirite, c'est-à-dire le monde des Esprits, et nous ont dit quelle était leur origine et quelle était leur nature ; comment ils s'incarnaient et quel était le but de cette incarnation ; comment s'effectuait le retour de la vie corporelle à la vie spirituelle. Esprits errants, mondes transitoires, perceptions, sensations et souffrances des Esprits, relations d'outre-tombe, rapports sympathiques et antipathiques des Esprits, retour à la vie corporelle, émancipation de l'âme, intervention des Esprits dans le monde corporel, occupations et missions des Esprits, rien ne nous a été caché.

« J'ai dit que les Esprits étaient en train de fonder non seulement une doctrine et une philosophie, mais aussi une religion. Ils ont en effet élaboré un code de morale où se trouvent formulées des lois dont la sagesse me paraît très grande, et, pour que rien n'y manque, ils ont dit quelles seraient les peines et les jouissances futures, ce qu'il fallait entendre par ces mots : Paradis, purgatoire et enfer. C'est, comme on le voit, un système complet, et je n'éprouve aucun embarras à reconnaître que si ce système n'a pas la cohésion puissante d'une œuvre philosophique, si des contradictions y éclatent çà et là, il est du moins très remarquable par son originalité, par sa haute portée morale, par les solutions inattendues qu'il donne aux délicates questions qui ont de tout temps inquiété ou préoccupé ?

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« Je n'ai aucune répugnance à admettre ces influences, ces inspirations, ces révélations, si vous voulez. Ce que je repousse absolument, c'est que, sous prétexte de révélation, on vienne me dire : Dieu a parlé, donc vous allez vous soumettre. Dieu a parlé par la bouche de Moïse, du Christ, de Mahomet, donc vous serez juifs, chrétiens ou musulmans, sinon vous encourrez les châtiments éternels et en attendant nous allons vous maudire ou vous torturer ici-bas.

« Non ! l'esprit humain.

« Je suis complètement, étranger à l'école spirite ; je ne connais ni ses chefs, ni ses adeptes ; je n'ai jamais vu fonctionner la moindre table tournante ; je n'ai de rapport avec aucun médium ; je n'ai été témoin d'aucun de ces faits surnaturels ou miraculeux dont je trouve les récits incroyables dans les recueils spirites que l'on m'envoie. Je n'affirme ni ne repousse absolument les communications des Esprits ; je crois à priori que ces communications sont possibles et ma raison n'en est nullement alarmée. Je n'ai pas besoin, pour y croire, de l'explication que me donnait dernièrement mon savant ami, M. Louis Figuier, sur ces faits qu'il attribue à l'influence magnétique des médiums.

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« Je ne vois rien d'impossible à ce que des relations s'établissent entre le monde invisible et nous. Ne me demandez pas le comment et le pourquoi, je n'en sais rien ; ceci est affaire de sentiment et non de démonstration mathématique. C'est donc un sentiment que j'exprime, mais un sentiment qui n'a rien de vague et prend dans mon esprit et dans mon cœur des formes assez précises.

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« Si par le jeu de nos poumons, nous puisons dans l'espace infini qui nous environne les fluides, les principes vitaux nécessaires à notre existence, il est bien évident que nous sommes en rapport constant et nécessaire avec le monde invisible. Ce monde est-il peuplé d'Esprits errants comme des âmes en peine et toujours prêts à répondre à nos appels ? C'est là ce qu'il est le plus difficile d'admettre, mais aussi c'est ce qu'il serait téméraire de nier absolument.

« Sans doute, nous n'avons pas de peine à croire que toutes les créatures de Dieu ne ressemblent pas aux tristes habitants de notre planète. Nous sommes assez imparfaits, nous sommes soumis à des besoins assez grossiers pour qu'il ne soit pas difficile d'imaginer qu'il existe des êtres supérieurs que n'étreint aucune peine corporelle ; des êtres rayonnants et lumineux, esprit et matière comme nous, mais esprit plus subtil et plus pur, matière moins dense et moins lourde ; messagers fluidiques qui unissent entre eux les univers, soutiennent, encouragent les astres et les races diverses qui les peuplent dans l'accomplissement de leur tâche.

« Par l'aspiration et la respiration nous sommes en rapport avec toute la hiérarchie de ces créatures, de ces êtres dont nous ne pouvons pas plus comprendre l'existence que nous ne pouvons nous représenter leur forme. Il n'est donc pas absolument impossible que quelques-uns de ces êtres entrent accidentellement en relation avec des hommes, mais ce qui nous semble puéril, c'est qu'il faille le concours matériel d'une table, d'une planchette ou d'un médium quelconque pour que ces relations s'établissent.

« De deux choses l'une : ou ces communications sont utiles, ou elles sont oiseuses. Si elles sont utiles, les Esprits ne doivent pas avoir besoin d'être appelés d'une façon mystérieuse, d'être évoqués et interrogés pour apprendre aux hommes ce qu'il importe de savoir ; si elles sont oiseuses, pourquoi y avoir recours non ! de pareilles révélations, je n'en veux à aucun prix ; au-dessus de toutes les révélations, de toutes les inspirations, de tous les prophètes présents, passés ou futurs, il est une loi suprême : c'est la loi de la liberté. Avec cette loi pour base, j'admettrai, sauf discussion, tout ce qui vous plaira. Supprimez cette loi, il n'y a plus que ténèbres et violences. Je veux avoir la liberté de croire ou de ne pas croire et de le dire hautement ; c'est mon droit, j'en veux user ; c'est ma liberté et j'y tiens. Dites-moi qu'en ne croyant pas ce que vous m'enseignez, je perds mon âme ; c'est possible. Je veux ma liberté jusqu'à cette limite ; je veux perdre mon âme si cela me plaît. Et qui donc ici-bas sera juge de mon salut ou de ma perte ? Qui donc peut dire : Celui-là est sauvé, celui-ci est perdu sans retour ? Est-ce que la miséricorde de Dieu n'est pas infinie ? Est-ce que qui que ce soit au monde peut sonder l'abîme d'une conscience ?

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« C'est parce que cette doctrine se retrouve aussi dans le curieux livre de M. Allan Kardec, que je me réconcilie avec les Esprits qu'il a interrogés. Le laconisme de leurs réponses prouve que les Esprits n'ont pas de temps à perdre, et si je m'étonne de quelque chose, c'est qu'ils en aient encore assez pour répondre complaisamment à l'appel de tant de gens qui perdent le leur à les évoquer.

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« Tout ce que disent d'une façon plus ou moins claire, plus ou moins sommaire, les Esprits dont M. Allan Kardec a colligé les réponses a été exposé et développé avec une remarquable netteté par Michel qui me paraît être, à beaucoup près, le plus avancé et le plus complet de tous les mystiques contemporains. Sa révélation est à la fois une doctrine et un poème, doctrine saine et fortifiante, poème étincelant. Le seul avantage que je trouve aux demandes et réponses que M. Allan Kardec a publiées, c'est qu'elles présentent sous une forme plus accessible à la grande masse des lecteurs, et des lectrices surtout, les principales idées sur lesquelles il importe d'appeler leur attention. Les livres de Michel ne sont pas d'une lecture facile ; ils exigent une tension d'esprit très soutenue. Le livre dont nous parlons, au contraire, peut être une sorte de vade mecum ; on le prend, on le quitte, on l'ouvre n'importe où, et soudain la curiosité est éveillée. Les questions adressées aux Esprits sont celles qui nous préoccupent tous ; les réponses sont quelquefois très faibles, d'autres fois elles condensent en peu de mots la solution des problèmes les plus ardus, et toujours elles offrent un vif intérêt ou de salutaires indications. Je ne sais pas de cours de morale plus attrayant, plus consolant, plus charmant que celui-là. Tous les grands principes sur lesquels se fondent les civilisations modernes y sont confirmés et notamment le principe des principes : la liberté ! L'esprit et le cœur sortent de là rassérénés et fortifiés.

« Ce sont surtout les chapitres relatifs à la pluralité des systèmes, à la loi du progrès collectif et individuel qui ont un attrait et un charme puissants. Pour moi, les Esprits de M. Allan Kardec ne m'ont rien appris sous ce rapport. Il y a longtemps que je crois fermement au développement progressif de la vie à travers les mondes ; que la mort est le seuil d'une existence nouvelle dont les épreuves sont proportionnées aux mérites de l'existence antérieure. C'est du reste la vieille foi gauloise, c'était la doctrine druidique, et les Esprits n'ont rien inventé en cela ; mais ce qu'ils y ont ajouté, c'est une série de déductions et de règles pratiques excellentes dans la conduite de la vie. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d'autres, la lecture de ce livre, indépendamment de l'intérêt et de la curiosité qu'excite son origine, peut avoir un haut caractère d'utilité pour les caractères indécis, pour les âmes mal affermies qui flottent dans les limbes du doute. Le doute ! c'est le pire des maux ! c'est la plus horrible des prisons, il en faut sortir à tout prix. Ce livre étrange en aidera plus d'un et plus d'une à affermir sa vie, à briser les verrous de sa prison, précisément parce qu'il est présenté sous une forme simple et élémentaire, sous la forme d'un catéchisme populaire que tout le monde peut lire et comprendre. »

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Après avoir cité quelques questions sur le mariage et le divorce, qu'il trouve un peu puériles et ne sont pas traitées à son gré, M. Jourdan termine ainsi :

« Je me hâte de dire cependant que toutes les réponses des Esprits ne sont pas aussi superficielles que celles dont je viens de parler. C'est l'ensemble de ce livre qui est remarquable, c'est la donnée générale qui est empreinte d'une certaine grandeur et d'une très vive originalité. Qu'elle émane ou non d'une source extra-naturelle, l'œuvre est saisissante à plus d'un titre, et par cela seul qu'elle m'a vivement intéressé, je suis fondé à croire qu'elle peut intéresser beaucoup de gens. »


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* 1 vol. in-12; prix 3 Fr. Chez Dentu.


Réponse

M. Jourdan fait une question, ou plutôt une objection nécessairement motivée par l'insuffisance de ses connaissances sur la matière.

« Il n'est donc pas absolument impossible, dit-il, que quelques-uns de ces êtres entrent accidentellement en relation avec les hommes, mais ce qui nous semble puéril, c'est qu'il faille le concours matériel d'une table, d'une planchette ou d'un médium quelconque pour que ces relations s'établissent. De deux choses l'une : ou ces communications sont utiles, ou elles sont oiseuses. Si elles sont utiles, les Esprits ne doivent pas avoir besoin d'être appelés d'une façon mystérieuse, d'être évoqués pour apprendre aux hommes ce qu'il leur importe de savoir ; si elles sont oiseuses, pourquoi y avoir recours ? » Dans son Philosophe au coin du feu, il ajoute à ce sujet : « Voilà un dilemme d'où l'école Spirite aura de la peine à sortir. »

Non, certes, elle n'a pas de peine à en sortir, car elle se l'était posé depuis longtemps, et depuis longtemps aussi il est résolu, et s'il ne l'est pas pour M. Jourdan, c'est qu'il ne sait pas tout ; or, nous croyons que s'il avait lu le Livre des Médiums qui traite la partie pratique et expérimentale du Spiritisme, il aurait su à quoi s'en tenir sur ce point.

Oui, sans doute, il serait puéril, et ce mot employé par convenance par M. Jourdan serait trop faible, nous disons qu'il serait ridicule, absurde et inadmissible que pour des rapports aussi graves que ceux du monde visible et du monde invisible, les Esprits eussent besoin, pour nous transmettre leurs enseignements d'un ustensile aussi vulgaire qu'une table, une corbeille ou une planchette, car il s'ensuivrait que celui qui serait privé de ces accessoires serait aussi privé de leurs leçons. Non, il n'en est pas ainsi ; les Esprits n'étant que les âmes des hommes dépouillées de la grossière enveloppe du corps, il y a des Esprits depuis qu'il y a des hommes dans l'Univers (nous ne disons pas sur la terre) ; ces Esprits composent le monde invisible qui peuple les espaces, qui nous entoure, au milieu duquel nous vivons sans nous en douter, comme nous vivons sans nous en douter également, au milieu du monde microscopique. De tous temps ces Esprits ont exercé leur influence sur le monde visible ; de tous temps ceux qui sont bons ou savants ont aidé le génie par des inspirations, tandis que d'autres se bornent à nous guider dans les actes ordinaires de la vie ; mais ces inspirations, qui ont lieu par la transmission de pensée à pensée, sont occultes et ne peuvent laisser aucune trace matérielle ; si l'Esprit veut se manifester d'une manière ostensible, il faut qu'il agisse sur la matière ; s'il veut que son enseignement, au lieu d'avoir le vague et l'incertitude de la pensée, ait de la précision et de la stabilité, il lui faut des signes matériels, et pour cela, qu'on nous passe l'expression, il se sert de tout ce qui lui tombe sous la main, pourra que ce soit dans des conditions appropriées à sa nature. Il se sert d'une plume ou d'un crayon s'il veut écrire, d'un objet quelconque, table ou casserole s'il veut frapper, sans qu'il en soit humilié. Y a-t-il rien de plus vulgaire qu'une plume d'oie ? n'est-ce pas avec cela que les plus grands génies lèguent leurs chefs-d'œuvre à la postérité ? Otez-leur tout moyen d'écrire ; que font-ils ? ils pensent ; mais leurs pensées se perdent si personne ne les recueille. Supposez un littérateur manchot, comment s'y prend-il ? il a un secrétaire qui écrit sous sa dictée. Or, comme les Esprits ne peuvent tenir la plume sans intermédiaire, ils la font tenir parce qu'on appelle un médium qu'ils inspirent et dirigent. Ce médium agit quelquefois en connaissance de cause : c'est le médium proprement dit ; d'autres fois il agit d'une manière inconsciente de la cause qui le sollicite : c'est le cas de tous les hommes inspirés qui sont ainsi médiums sans le savoir. On voit donc que la question des tables et planchettes est tout à fait accessoire au lieu d'être la chose principale, comme le croient ceux qui n'en savent pas davantage ; elles ont été le prélude des grands et puissants moyens de communication, comme l'alphabet est le prélude de la lecture courante.

La seconde partie du dilemme n'est pas moins facile à résoudre. « Si ces communications sont utiles, dit M. Jourdan, les Esprits ne doivent pas avoir besoin d'être appelés d'une façon mystérieuse, d'être évoqués. »

Disons d'abord qu'il ne nous appartient pas de régler ce qui se passe monde des Esprits ; ce n'est pas à nous de dire : Les choses doivent ou ne doivent pas être de telle ou telle façon, car ce serait vouloir régenter l'œuvre de Dieu. Les Esprits veulent bien nous initier en partie à leur monde, parce que ce monde sera le nôtre peut-être demain ; c'est à nous de le prendre tel qu'il est, et, s'il ne nous convient pas, il n'en sera ni plus ni moins, car Dieu ne le changera pas pour nous.

Ceci posé, hâtons-nous de dire qu'il n'y a jamais d'évocation mystérieuse et cabalistique ; tout se fait simplement, au grand jour et sans formule obligatoire. Ceux qui croiraient ces choses nécessaires ignorent les premiers éléments de la science spirite.

En second lieu, si les communications spirites ne pouvaient exister que par suite d'une évocation, il s'ensuivrait qu'elles seraient le privilège ceux qui savent évoquer, et que l'immense majorité de ceux qui n'en ont jamais entendu parler en serait privée ; or ce serait en contradiction avec ce que nous avons dit tout à l'heure des communications occultes et spontanées. Ces communications sont pour tout le monde, pour le petit comme pour le grand, le riche comme le pauvre, l'ignorant comme le savant. Les Esprits qui nous protègent, les parents et les amis que nous avons perdus n'ont pas besoin d'être appelés ; ils sont près de nous, et, quoique invisibles, nous entourent de leur sollicitude ; notre pensée seule suffit pour les attirer, en leur prouvant notre affection, car, si nous ne pensons pas à eux, il est assez naturel qu'ils ne pensent pas à nous.

Alors, direz-vous, à quoi bon évoquer ? Le voici. Supposez que vous soyez dans la rue, entouré d'une foule compacte qui cause et bourdonne à vos oreilles ; mais, dans le nombre, vous apercevez au loin quelqu'un de connaissance à qui vous voulez parler en particulier ; que faites-vous si vous ne pouvez aller à lui ? Vous l'appelez, et il vient à vous. Il en est de même des Esprits. A côté de ceux qui nous affectionnent et qui ne sont peut-être pas toujours là, il y a la foule innombrable des indifférents ; si vous voulez parler à un Esprit déterminé, comme vous ne pouvez aller à lui, retenu que vous êtes par votre boulet corporel, vous l'appelez, et là est tout le mystère de l'évocation, qui n'a d'autre but que de vous adresser à celui que vous voulez, au lieu d'écouter le premier venu. Dans les communications occultes et spontanées dont nous avons parlé tout à l'heure, les Esprits qui nous assistent nous sont inconnus ; ils le font à notre insu ; par le fait des manifestations matérielles, écrites ou autres, ils révèlent leur présence d'une manière patente, et peuvent se faire connaître s'ils le veulent : c'est un moyen de savoir à qui l'on a affaire, et si l'on a autour de soi des amis ou des ennemis ; or les ennemis ne manquent pas plus dans le monde des Esprits que parmi les hommes ; là, comme chez nous, les plus dangereux sont ceux qu'on ne connaît pas ; le Spiritisme pratique donne les moyens de les connaître.

En résumé, celui qui ne connaît le Spiritisme que par les tables tournantes s'en fait une idée aussi mesquine et aussi puérile que celui qui ne connaîtrait la physique que par certains jouets d'enfants ; mais plus on avance, plus l'horizon s'élargit, et c'est alors seulement que l'on en comprend la véritable portée, car il nous dévoile une des forces les plus puissantes de la nature, force qui agit à la fois sur le monde moral et sur le monde physique. Personne ne conteste la réaction qu'exerce sur nous le milieu matériel, visible ou invisible dans lequel nous sommes plongés ; si nous sommes dans une foule, cette multitude d'êtres réagit aussi sur nous moralement et physiquement. A notre mort, nos âmes vont quelque part ; où vont-elles ? Comme il n'y a pour elles aucun lien clos et circonscrit, le Spiritisme dit et prouve par les faits, que ce quelque part est l'espace ; elles forment autour de nous une population innombrable. Or, comment admettre que ce milieu intelligent ait moins d'action que le milieu inintelligent ? Là est la clef d'un grand nombre de faits incompris que l'homme interprète selon ses préjugés et qu'il exploite au gré de ses passions. Quand ces choses seront comprises de tout le monde, les préjugés disparaîtront, et le progrès pourra suivre sa marche sans entraves. Le Spiritisme est une lumière qui éclaire les replis les plus ténébreux de la société ; il est donc tout naturel que ceux qui craignent la lumière cherchent à l'éteindre ; mais, quand la lumière aura pénétré partout, il faudra bien que ceux qui cherchent l'obscurité se décident à vivre au grand jour ; c'est alors que l'on verra bien des masques tomber. Tout homme qui veut véritablement le progrès ne peut donc rester indifférent à l'une des causes qui doivent le plus y contribuer, et qui prépare une des plus grandes révolutions morales qu'ait encore subies l'humanité. Nous sommes loin, comme on le voit, des tables tournantes : c'est qu'il y a aussi loin de ce modeste début à ses conséquences que de la pomme de Newton à la gravitation universelle.


Appréciation de l'histoire du Merveilleux De M. Louis Figuier, par M. Escande, rédacteur de la Mode Nouvelle.

Dans les articles que nous avons publiés sur cet ouvrage, nous nous sommes principalement attachés à chercher le point de départ de l'auteur, et il ne nous a pas été difficile, en citant ses propres paroles, de prouver qu'il se base sur les idées matérialistes. La base étant fausse, au point de vue du moins de l'immense majorité des hommes, les conséquences qu'il en tire contre les faits qu'il qualifie de merveilleux sont par cela même entachées d'erreur. Cela n'a pas empêché quelques-uns de ses confrères de la presse d'exalter le mérite, la profondeur et la sagacité de l'ouvrage. Tous cependant ne sont pas de cet avis. Nous trouvons sur ce sujet, dans la Mode Nouvelle[1], journal plus sérieux que son titre, un article aussi remarquable par le style que par la justesse des appréciations. Son étendue ne nous permet pas de le citer en entier, et d'ailleurs l'auteur en promet d'autres, car dans celui-ci il ne s'occupe guère que du premier volume. Nos lecteurs nous sauront gré de leur en donner quelques fragments.



I

« Ce livre a de grandes prétentions, et il n'en justifie aucune. Il voudrait passer pour érudit, il affecte la science, il affiche un luxe apparent de recherches, et son érudition est superficielle, sa science incomplète, ses recherches hâtives, mal digérées. M. Louis Figuier s'est donné la spécialité de recueillir, un à un, les mille petits faits qui poussent, au jour le jour, autour des académies, comme ces longues rangées de champignons qui naissent du soir au matin sur les couches cryptogamifères, et il en compose ensuite des livres qui font concurrence à la Cuisinière bourgeoise et aux traités du Bonhomme Richard. Rompu à ce travail de compositions faciles, - inférieur au travail de compilation de ce bon abbé Trublet dont Voltaire s'est spirituellement moqué, - et qui lui laisse forcément des loisirs, il s'est dit qu'il ne lui serait pas plus difficile d'exploiter la passion du surnaturel qui enfièvre plus que jamais les imaginations, qu'il ne lui était difficile d'utiliser les partages presque toujours oiseux de la seconde classe de l'Institut. Habitué à rédiger des revues scientifiques avec les redites d'autrui, avec des abrégés de comptes rendus qu'il abrége à son tour, avec des thèses et des mémoires qu'il analyse ; habile à brocher plus tard en volumes ces réductions de réductions, il s'est donc mis à l'oeuvre ; et fidèle à son passé, il a compulsé, à la hâte, tous les traités sur la matière qui lui sont tombés sous la main, les a émiettés, puis il a repétri ces miettes à sa façon, et en a composé un livre, après quoi nous ne mettons pas en doute qu'il ne se soit écrié avec Horace : Exegi monumentum ; « moi aussi, j'ai élevé mon monument, et il sera plus durable que l'airain ! »

« Et il aurait raison d'être fier de son chiffonnage, si la qualité se mesurait à là quantité ! En effet, elle ne forme pas moins de quatre forts volumes, cette histoire du merveilleux, et elle ne contient que l'histoire du merveilleux dans les temps modernes, depuis 1630 jusqu'à nos jours, à peine deux siècles, ce qui en supposerait au moins un peu plus du double que les plus volumineuses encyclopédies, si elle contenait l'histoire du merveilleux dans tous les temps et chez tous les peuples ! Aussi, quand on pense que ce fragment de monographie d'une si vaste étendue ne lui a coûté que quelques mois de travail, on est d'abord tenté de croire que cet enfantement, à la fois si gros et si hâtif, est plus merveilleux que les merveilles qu'il contient. Mais cette fécondité cesse d'être un prodige, lorsqu'on étudie de près le procédé de composition dont il a fait usage, et, à vrai dire, il lui est si familier, qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il en employât un autre. Au lieu de condenser les faits, de les exposer sommairement, de négliger les détails inutiles, de s'attacher surtout à mettre en relief les circonstances caractéristiques, et de les discuter ensuite, il s'est étudié uniquement à écrire un feuilleton plus long que ceux qu'il écrit hebdomadairement dans la Presse. Armé d'une paire de ciseaux, il a découpé, dans les ouvrages antérieurs au sien, ce qui favorisait les idées préconçues qu'il désirait faire triompher, écartant ce qui pouvait contrarier l'opinion qu'il s'était formée à priori sur cette importante question, ce qui surtout pouvait contrarier l'explication naturelle qu'il se proposait de donner des manifestations qualifiées surnaturelles par ce que les libres penseurs sont unanimes à appeler la crédulité publique. Car c'est encore une des prétentions de son livre, - et cette prétention n'est pas mieux justifiée que les autres, - que celle d'en donner une solution physique ou médicale nouvelle, trouvée par lui, solution triomphante, inattaquable, désormais à l'abri des objections des hommes assez simples pour croire que Dieu est plus puissant que nos savants. Il le répète en cent endroits de son ouvrage, afin que nul ne l'ignore, et avec l'espoir qu'on finira par le croire, quoiqu'il se borne à répéter ce qu'ont dit à cet égard, avant lui, tous ceux, physiciens ou médecins, philosophes ou chimistes, qui ont plus horreur du surnaturel que Pascal n'avait horreur du vide.

« Il en résulte que cette histoire du merveilleux manque à la fois et d'autorité et de proportions. Au point de vue dogmatique, elle ne dépasse pas les dénégations des dénégateurs antérieurs, elle n'ajoute aucun argument aux arguments qu'ils ont déjà développés, et en cette question comme en toute autre, nous ne comprenons pas l'utilité des échos. Il y a plus : tourmenté du désir de paraître faire mieux que Calmeil, Esquiros, Montègre, Hecquet et tant d'autres qui l'ont précédé et seront toujours ses maîtres, M. Louis Figuier s'égare souvent dans le labyrinthe confus des démonstrations qu'il leur emprunte, en voulant se les approprier, et finit parfois par rivaliser de logique avec M. Babinet. Quant aux faits, il les y a accumulés en immense quantité, quoiqu'un peu au hasard, tronquant, les uns, écartant les autres, s'attachant à reproduire de préférence ceux qui pouvaient offrir un certain attrait à la lecture ; ce qui prouve qu'il a principalement visé à un succès facile, à lutter d'intérêt avec les romanciers du jour, et nous sommes à nous demander comment il n'a pas engagé l'éditeur à comprendre son ouvrage dans l'amusante Bibliothèque des chemins de fer, afin qu'il allât plus droit à l'adresse de cette foule de lecteurs qui lisent pour se distraire et nullement pour s'instruire.

« Et son livre est amusant, nous ne le contestons pas, s'il suffit à un livre, pour posséder ce mérite, de ressembler à un ana composé d'historiettes accumulées en vue du pittoresque, sans trop de souci de la vérité ; ce qui ne l'empêche pas de s'y vanter à tout propos et hors de propos de son impartialité, de sa véracité : - une prétention de plus à ajouter à toutes celles que nous avons relevées, et dans laquelle il se drape avec d'autant plus d'affectation, qu'il ne se dissimule pas combien elle lui fait défaut. - Tel qu'il est, nous ne saurions mieux le comparer qu'à ces restaurants-omnibus, prodigues de comestibles, qui n'ont guère de séduisant que l'apparence, et qu'ils servent aux consommateurs un peu au hasard de la fourchette. Plus superficiel que profond, l'important y est sacrifié au futile, le principal à l'accessoire, le côté dogmatique au côté épisodique ; les lacunes y abondent d'ailleurs autant que les choses inutiles, et afin que rien n'y manque, il est plein de contradictions, affirmant ici ce qu'il dénie plus loin, si bien qu'on serait tenté de croire que, différent en cela au célèbre Pic de la Mirandole, - capable de disserter de omni re simili, - M. Louis Figuier a entrepris d'enseigner aux autres ce qu'il ne savait pas lui-même.



II

Nous pourrions borner là l'examen de cette histoire du merveilleux, si nous ne tenions pas à justifier ces sévères mais justes appréciations. Et d'abord avons-nous besoin d'ajouter que celui qui l'a écrite ne croit pas à la possibilité du surnaturel ? nous ne le pensons pas. En sa qualité d'académicien surnuméraire, - un surnumérariat qui ne se terminera probablement qu'avec sa vie ; - en vertu des pouvoirs que lui confère son titre de feuilletoniste scientifique, il ne pouvait soutenir d'autre thèse, sans s'exposer à être mis à l'index par l'armée dés incrédules dont il s'estime susceptible de faire partie. Lui non plus ne croit pas, et, à cet égard, son incroyance est au-dessus du soupçon. Il est du nombre « de ces esprits sages qui, témoins du débordement imprévu du merveilleux contemporain, ne peuvent comprendre un tel égarement en plein dix-neuvième siècle, avec une philosophie avancée, et au milieu de ce magnifique mouvement scientifique qui dirige tout aujourd'hui vers le positif et l'utile. » - Nous reconnaissons qu'il doit être pénible pour « ces esprits sages » de voir que l'esprit public se refuse ainsi à dépouiller ses vieux préjugés, et persiste à avoir des croyances autres que celles du positivisme philosophique, qui sont cependant celles de tous les animaux. Ce déboire ne date pas, du reste, seulement de nos jours. M. Louis Figuier en fait l'aveu, non sans dépit, lorsqu'il se demande, en termes ahuris, comment il a pu se faire que le merveilleux ait résisté au dix-huitième siècle, « dans le siècle de Voltaire et de l'Encyclopédie, tandis que les yeux s'ouvraient aux lumières du bon sens et de la raison. » Qu'y faire ? Elle est si vivace cette croyance au merveilleux, consacrée par toutes les religions, qui a été celle de tous les temps, de tous les peuples, sous toutes les latitudes et sur tous les continents, que les libres penseurs, satisfaits de l'avoir secouée par eux-mêmes et pour eux-mêmes, feraient sagement de s'abstenir désormais d'un prosélytisme dont ils savent l'inévitable insuccès.

« Mais M. Louis Figuier n'est pas de ces cœurs pusillanimes qui s'effraient à l'avance de l'inutilité de leurs efforts. Plein de confiance et de suffisance dans sa force, il s'est flatté de réaliser ce que Voltaire, Diderot, Lamétrie, Dupuis, Volney, Dulaure, Pigault-Lebrun, ce que Dulaurens avec son Compère Mathieu, ce que les chimistes avec leurs alambics, les physiciens avec leurs piles électriques, les astronomes avec leurs compas, les panthéistes avec leurs sophismes et les mauvais plaisants avec leur scepticisme de mauvais aloi, ont été impuissants à accomplir. Il s'est proposé de démontrer à nouveau et triomphalement cette fois que « le surnaturel n'existe pas, qu'il n'a jamais existé, » et par suite que « les prodiges anciens et contemporains peuvent être tous rapportés à une cause naturelle. » L'entreprise est ardue, les plus intrépides ont jusqu'ici succombé à la peine ; mais « une pareille conclusion, qui évincerait nécessairement tout agent surnaturel, serait une victoire remportée par la science sur l'esprit de superstition, au grand bénéfice de la raison et de la dignité humaines, » et cette victoire a flatté son ambition ; - victoire aisée à tout prendre, plus aisée que nous le supposions, si M. Louis Figuier ne s'est pas mépris lorsqu'il dit, dans son introduction, que « notre siècle s'inquiète assez peu des matières théologiques et des disputes religieuses. » Alors à quoi bon s'armer en guerre contre une croyance qui n'existe pas ? à quoi bon s'attaquer à des opinions de théologie dont nous n'avons nul souci ? à quoi bon s'en prendre à des superstitions religieuses qui ne nous préoccupent plus ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, » dit le poète, et il ne convient pas de faire sonner trop haut la trompette guerrière, si l'on n'a à combattre que des moulins à vent. Que voulez-vous ? M. Louis Figuier avait oublié, en écrivant ceci, ce qu'il avait écrit plus haut, lorsqu'il avouait, la honte au front, que notre siècle, sourd aux leçons de l'Encyclopédie et aux enseignements de la presse irréligieuse, s'était subitement épris du merveilleux et croyait plus que ses devanciers au surnaturel, aberration incompréhensible dont il ambitionnait de le guérir. Mais cette contradiction est si minime qu'elle ne valait peut-être pas la peine d'être relevée : nous en verrons bien d'autres, et encore serons-nous obligé d'en négliger beaucoup !

Donc M. Louis Figuier nie qu'il se produise de nos jours et qu'il se soit produit en aucun temps des manifestations surnaturelles. En fait de miracles, il n'y a que la science qui ait le pouvoir d'en faire : le pouvoir de Dieu n'a jamais été jusque-là. Encore quand nous disons que Dieu n'a pas ce pouvoir, avons-nous une sorte de scrupule de traduire incomplètement sa pensée. Reconnaît-il un autre dieu que le dieu nature, si admirable dans son intelligence aveugle, et qui accomplit des merveilles sans s'en douter, dieu chéri des savants, parce qu'il est assez débonnaire pour leur laisser croire qu'ils usurpent journellement un lambeau de sa souveraineté ? C'est une question que nous ne nous permettrons pas d'approfondir.

« Médiocrement merveilleuse, cette histoire du merveilleux débute par une introduction que M. Louis Figuier appelle un coup d'œil rapide jeté sur le surnaturel dans l'antiquité et au moyen âge, dont nous ne dirons rien, parce que nous aurions trop à en dire. Les manifestations les plus importantes y sont défigurées, sous prétexte de résumé, et l'on comprend qu'il nous faudrait trop de temps et d'espace pour restituer leur véritable physionomie aux milliers de faits qui n'y figurent qu'à l'état de raccourci.

« L'édifice est digne du péristyle ; cette histoire du merveilleux, pendant ces deux derniers siècles, s'ouvre par le récit de l'affaire d'Urbain Grandier et des religieuses de Loudun ; viennent ensuite la baguette divinatoire, les Trembleurs des Cévennes, les Convulsionnaires jansénistes, Cagliostro, le magnétisme et les tables tournantes. Mais de la possession de Louviers pas un mot, et pas un mot non plus des illuminés, des Martinistes, du swedenborgisme, des sygmatisés du Tyrol, de la remarquable manifestation des enfants en Suède, il n'y a pas cinquante ans ; à peine y est-il dit un mot des exorcismes du prêtre Gassner, et moins d'une page insignifiante y est consacrée à la voyante de Prevorst. M. Louis Figuier aurait mieux fait d'intituler son livre : Épisodes de l'histoire du merveilleux dans les temps modernes ; encore les épisodes qu'il a choisis peuvent-ils donner lieu à de sérieuses objections. Personne n'a jamais attribué aux tours de passe-passe de Cagliostro une signification surnaturelle. C'était un habile intrigant, qui possédait quelques secrets curieux, dont il sut habilement se servir pour éblouir ceux qu'il voulait exploiter, et qui possédait surtout de nombreux compères. Cagliostro méritait plutôt de trouver place dans la galerie des précurseurs révolutionnaires que dans le pandémonium des sorciers. Nous ne voyons pas également ce que le magnétisme a à faire dans cette histoire du merveilleux, surtout au point de vue où M. Louis Figuier s'est placé. Le magnétisme ressort de l'Académie de médecine et de l'Académie des sciences, qui l'ont trop dédaigné ; mais il ne peut intéresser le surnaturalisme qu'à l'occasion de quelques-unes de ses manifestations, celles que M. Louis Figuier a négligées du reste, afin de réserver l'espace qu'il lui a consacré au récit de la vie de Mesmer, des expériences du marquis de Puységur et de l'incident relatif au fameux rapport de M. Husson. Nous avons traité, il y a deux ans, cette importante question, et nous n'y reviendrons pas, parce que nous ne pourrions que nous répéter. Nous laisserons aussi de côté celle des tables tournantes, que nous avons examinée à la même époque. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur l'explication naturelle et physique que M. Louis Figuier prétend fournir de cette danse des tables et des manifestations qui en sont la suite ; mais il faut savoir se borner. Laissons-le donc se débattre avec la Revue spiritualiste et avec la Revue spirite, deux revues publiées à Paris par les adeptes de la croyance à la manifestation des Esprits, qui l'accusent d'avoir écrit son réquisitoire sans avoir au préalable entendu les témoins et consulté les pièces du procès. L'une et l'autre prétendent qu'il n'a jamais assisté qu'à une seule séance spiritualiste, et qu'à son arrivée, il eut soin de déclarer que son opinion était arrêtée, que rien ne l'en ferait changer.

« Est-ce vrai ? nous ne savons. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'après avoir repoussé, avec juste raison, la solution de M. Babinet, par les mouvements naissants et inconscients, il finit par l'adopter pour son propre compte, tant il est inconscient lui-même de ce qu'il pense et de ce qu'il écrit, et la preuve la voici. « Dans ces réunions de personnes fixement attachées, dit-il, pendant vingt minutes ou une demi-heure, à former la chaîne, les mains posées à plat sur une table, sans avoir la liberté de distraire un instant leur attention de l'opération à laquelle elles prennent part, le plus grand nombre n'éprouve aucun effet particulier. Mais il est bien difficile que l'une d'elles, une seule si l'on veut, ne tombe pas, pour un moment, en proie à l'état hypnotique ou biologique. (L'hypnotisme lui fournit une réponse à tout, ainsi que nous le verrons plus tard.) Il ne faut peut-être qu'une seconde de durée de cet état pour que le phénomène attendu se réalise. Le membre de la chaîne tombé dans ce demi-sommeil nerveux, n'ayant plus conscience de ses actes, et n'ayant d'autre pensée que l'idée fixe de la rotation de la table, imprime à son insu le mouvement au meuble. » Que ne commençait-il alors par se moquer de lui-même, puisqu'il lui plaisait de se moquer de M. Babinet ? C'eût été logique, surtout après avoir annoncé qu'il venait éclaircir le mystère, et du moment qu'il ne plaçait dans sa lanterne qu'un lumignon aussi ridicule que celui qu'avait précédemment allumé le savant académicien. Mais la logique et M. Louis Figuier ont divorcé dans cette histoire du merveilleux. Hélas ! les échos ont beau prétendre qu'ils vont parler, leurs efforts n'aboutissent qu'à répéter ce qu'ils entendent.

« Quant aux longs chapitres qu'il consacre à la baguette divinatoire, et en particulier à Jacques Aymar, nous nous permettrons d'abord de lui faire observer qu'il s'abuse s'il pense que ce problème a été suffisamment étudié par M. Chevreul. C'est une illusion qu'il peut laisser, si bon lui semble, à ce savant ; mais en dehors de l'Académie des sciences, il ne trouvera personne qui admette que la théorie du pendule explorateur réponde à toutes les objections. Le mot prêté à Galilée : « Et cependant elle tourne ! » n'est pas sans une application possible à la baguette divinatoire. Elle a tourné et elle tourne, en dépit des sceptiques qui nient le mouvement, parce qu'ils se refusent à le voir ; et les milliers d'exemples que nous pourrons citer, - et que M. Louis Figuier cite lui-même, - attestent la réalité du phénomène. Tourne-t-elle par une impulsion diabolique ou spirite, comme on dirait aujourd'hui, ou bien sous l'impression qu'elle reçoit de quelques effluves inconnus ? Volontiers nous rejetterons toute influence surnaturelle, quoiqu'elle puisse être admise dans certains cas. Ce qui ne nous paraît pas prouvé, c'est la non-existence de fluides inconnus. Le fluide magnétique compte, entre autres, de nombreux partisans, dont les affirmations méritent autant d'autorité que les négations de leurs adversaires. Quoi qu'il en soit, la baguette divinatoire a accompli des merveilles qui peuvent n'avoir rien de surnaturel, mais que la science est incapable d'expliquer, elle qui en explique d'ailleurs fort peu de toutes celles que nous voyons se produire chaque jour autour de nous, dans la vie du moindre brin d'herbe. La modestie est une vertu qui lui fait défaut, et qu'elle ferait sagement d'acquérir.

« Entre autres merveilles, celles qu'accomplissait Jacques Aymar, dont nous parlions tantôt, mériteraient d'être rapportées au long. Un jour, entre autres, il est appelé à Lyon, au lendemain d'un grand crime commis dans cette ville. Armé de sa baguette, il explore la cave qui en avait été le théâtre, déclare que les assassins étaient au nombre de trois ; puis il se met à suivre leurs traces, qui le conduisent chez un jardinier dont la maison était située sur le bord du Rhône, et affirme qu'ils y sont entrés, qu'ils y ont même bu une bouteille de vin. Le jardinier proteste du contraire ; mais ses jeunes enfants interrogés avouent que trois individus sont venus, en l'absence de leur père, et qu'ils leur ont vendu du vin. Alors Aymar se remet en route, - toujours conduit par sa baguette, - découvre l'endroit où ils se sont embarqués sur le Rhône, se jette lui-même dans une nacelle, descend à tous les endroits où ils sont descendus, se rend au camp de Sablon, entre Vienne et Saint-Vallier, trouve qu'ils y ont séjourné quelques jours, se remet à leur poursuite, et arrive d'étape en étape jusqu'à Beaucaire, en pleine foire, dont il parcourt les rues encombrées de monde et s'arrête devant la porte de la prison où il entre et désigne un petit bossu comme étant l'un des meurtriers. Ses investigations lui firent ensuite trouver que les autres s'étaient dirigés du côté de Nîmes ; mais les agents de l'autorité ne voulurent pas alors pousser plus loin leurs recherches. Le bossu, conduit à Lyon, confessa son forfait, et fut rompu vif.

« Voilà l'exploit de Jacques Aymar, et les exploits aussi surprenants que celui-là sont nombreux dans sa vie. M. Louis Figuier l'admet dans toutes ses circonstances. Il ne pouvait d'ailleurs faire autrement, puisqu'il est attesté par des centaines de témoignages dont il n'est pas permis de suspecter la véracité, « par trois relations et plusieurs lettres concordantes écrites par les témoins et par des magistrats, hommes également honorables et désintéressés, et que personne, dans le public contemporain, n'a soupçonné d'un concert véritablement impossible entre eux. » Mais comme ici une explication physique ne pouvait même être essayée, il s'est vu obligé de renoncer à son procédé ordinaire, et s'est jeté dans un labyrinthe de suppositions plus ingénieuses que vraisemblables. Il transforme Jacques Aymar en un agent de police d'une perspicacité à distancer celle de M. de Sartines, quelque célèbre qu'elle soit. Auprès de lui nos chefs de la police de sûreté les plus intelligents ne seraient que des écoliers. Il suppose donc que ce tourneur de baguette, pendant trois ou quatre heures qu'il passa à Lyon, avant de commencer ses expériences, eut le temps de prendre des informations et de découvrir ce que les autorités judiciaires ignoraient elles-mêmes. Il se rendit chez le jardinier, parce qu'il était présumable que les assassins s'étaient embarqués sur le Rhône, afin de s'éloigner plus vite ; il devina qu'ils y avaient bu du vin, parce qu'ils devaient avoir soif ; il aborda le long de ce fleuve partout où l'on sut plus tard qu'ils avaient réellement abordé, parce que les lieux habituels d'abordage lui étaient connus ; il s'arrêta au camp de Sablon, parce qu'il était évident qu'ils avaient voulu se donner le spectacle de cette réunion de troupes ; il se rendit à Beaucaire, parce qu'il était certain que le désir d'y faire quelque bon coup de leur métier les y avait conduits ; il s'arrêta enfin devant la porte de la prison, parce qu'il était probable que quelqu'un d'entre eux avait eu la maladresse de se faire arrêter. « Voilà pourquoi votre fille est muette ! » dit Sganarelle ; et M. Louis Figuier ne dit pas mieux ni autrement. Il croit surtout triompher, parce que Jacques Aymar, ayant été appelé plus tard à Paris, sur le bruit de sa renommée, y vit sa perspicacité subir des échecs réels, à côté de quelques réussites réelles aussi. Mais ces éclipses, qui lui valurent alors une certaine défaveur, M. Louis Figuier devait, moins que tout autre, lui en faire un reproche ; moins que tout autre, il pouvait s'en autoriser pour le déclarer un imposteur, lui qui sait mieux que personne, lui qui reconnaît, à propos du magnétisme, que ces sortes d'expériences sont capricieuses, et réussissent un jour pour échouer un autre. A cette inconséquence il en ajoute enfin une seconde, moins excusable. Non content d'accuser Jacques Aymar de charlatanisme, il prononce la même condamnation contre presque tous les tourneurs de baguette dont il raconte les faits et gestes, et dans la discussion, il dit cependant : « Parmi les nombreux adeptes praticiens, un petit nombre seulement étaient de mauvaise foi ; encore ne l'étaient-ils pas toujours ; le plus grand nombre opérait avec une entière sincérité. La baguette tournait positivement entre leurs mains, indépendante de tout artifice, et le phénomène, en tant que fait, était bien réel. » Bien, très bien, on ne peut mieux, la vérité est là. Mais comment et pourquoi tournait-elle ? Impossible d'échapper à cette interrogation indiscrète. Or M. Louis Figuier y répond ainsi : « Ce mouvement du bâton s'opérait en vertu d'un acte de leur pensée et sans qu'ils eussent aucune conscience de cette action secrète de leur volonté. » Toujours cette inconscience plus merveilleuse que le merveilleux qu'on repousse ! Y croira qui voudra. »



[1] Bureau, rue Sainte-Anne, 63, n° du 22 février 1861. Prix, par n°, 1 fr.



La mer par M. Michelet

M. Michelet n'a qu'à se tenir sur ses gardes, car voilà tous les dieux marins de l'antiquité qui s'apprêtent à lui faire un mauvais parti ; c'est ce que nous apprend M. Taxile Delord, dans un spirituel article publié par le Siècle du 4 février dernier. Leur langage est digne de l'Orphée aux enfers des Bouffes-Parisiens, témoin cet échantillon : Neptune paraissant tout à coup à la porte de la demeure d'Amphitrite, où étaient rassemblés les mécontents, s'écrie : « Voilà le Neptune demandé. Vous ne m'attendiez pas en ce moment, chère Amphitrite ; c'est l'heure de ma sieste ; mais il n'y a pas moyen de fermer l'oeil, depuis l'apparition de ce diable de livre intitulé La Mer. J'ai voulu le parcourir, mais il est plein de sornettes ; je ne sais de quelles mers M. Michelet veut nous parler ; pour moi, il m'est impossible de m'y reconnaître. Tout le monde sait fort bien que la mer finit aux colonnes d'Hercule ; que peut-il y avoir au-delà ?… etc. »

Il va sans dire que M. Michelet triomphe sur toute la ligne ; or, après la dispersion de ses ennemis, M. Taxile Delord lui dit : « Vous serez peut-être bien aise de savoir ce que sont devenus les dieux marins depuis que la mer les a chassés de leur empire. Neptune fait de la pisciculture en grand ; Glaucus est professeur de natation aux bains Ouarnier ; Amphitrite est dame de comptoir aux bains de la Méditerranée à Marseille ; Nérée a accepté une place de cuisinier sur les paquebots transatlantiques, plusieurs tritons sont morts, d'autres se montrent dans les foires. »

Nous ne garantissons pas l'exactitude des renseignements fournis par M. Delord sur la condition actuelle des héros olympiques, mais, comme principe, il a dit, sans le vouloir, quelque chose de plus sérieux qu'il n'avait l'intention de le faire.

Le mot dieu, chez les Anciens, avait une acception fort élastique ; c'était une qualification générique appliquée à tout être qui leur semblait s'élever au-dessus du niveau de l'humanité ; voilà pourquoi ils ont divinisé leurs grands hommes ; nous ne les trouverions pas aussi ridicules, si nous ne nous étions pas servis du même mot pour désigner l'être unique, souverain maître de l'univers. Les Esprits, qui existaient alors comme aujourd'hui, s'y manifestaient également, et ces êtres mystérieux devaient aussi, selon les idées du temps, et à bien meilleur titre encore, appartenir à la classe des dieux. Les peuples ignorants, les regardant comme des êtres supérieurs, leur rendirent un culte ; les poètes les chantèrent et semèrent leur histoire de profondes vérités philosophiques, cachées sous le voile d'ingénieuses allégories, dont l'ensemble forma la mythologie païenne. Le vulgaire qui, généralement, ne voit que la surface des choses, prit la figure à la lettre, sans rechercher le fond de la pensée, absolument comme celui qui, de nos jours, ne verrait dans les fables de Lafontaine que la conversation des animaux.

Tel est en substance le principe de la mythologie ; les dieux n'étaient donc que les Esprits ou les âmes de simples mortels, comme ceux de nos jours ; mais les passions que la religion païenne leur prêtait ne donnent pas une brillante idée de leur élévation dans la hiérarchie spirite, à commencer par leur chef Jupiter, ce qui ne les empêchait pas de savourer l'encens qu'on brûlait sur leurs autels. Le christianisme les a dépouillés de leur prestige, et le Spiritisme, aujourd'hui, les réduit à leur juste valeur. Leur infériorité même a pu les assujettir à diverses réincarnations sur la terre ; il se pourrait donc que, parmi nos contemporains, il se trouvât quelques-uns des Esprits qui auraient jadis reçu les honneurs divins, et qui n'en seraient pas plus avancés pour cela. M. Taxile Delord, qui n'y croit pas sans doute, n'a certainement voulu faire qu'une plaisanterie, mais, à son insu, il n'en a pas moins dit une chose peut-être plus vraie qu'il ne pense, ou, tout au moins, qui n'est pas matériellement impossible, comme principe. C'est ainsi, qu'à l'imitation de M. Jourdain, quantité de personnes font du Spiritisme sans le savoir.





Entretiens familiers d'outre-tombe

Alfred Leroy, suicidé (Société spirite de Paris, 8 mars 1861.)

Le Siècle du 2 mars 1861 rapporte le fait suivant :

Dans un terrain vague, à l'angle du chemin dit de l'Arcade, qui conduit de Conflans à Charenton, des ouvriers se rendant à leur travail, hier de grand matin, ont trouvé pendu à un sapin très élevé un individu qui avait cessé de vivre.

Averti de ce fait, le commissaire de police de Charenton s'est rendu sur les lieux, accompagné du docteur Josias et a procédé aux constatations.

Le suicidé était, dit le Droit, un homme d'une cinquantaine d'années, d'une figure pleine de distinction et mis d'une manière convenable. De l'une de ses poches on a retiré un billet au crayon ainsi conçu :

« Onze heures trois quarts du soir ; je monte au supplice. Dieu me pardonnera mes erreurs. »


Cette poche renfermait encore une lettre sans adresse et sans signature, dont voici le contenu :

« Oui, j'ai lutté jusqu'à la dernière extrémité ! Promesses, garanties, tout m'a manqué. Je pouvais arriver ; j'avais tout à croire, tout à espérer : un manque de parole me tue ; je ne puis plus lutter. J'abandonne cette existence depuis quelque temps si douloureuse. Plein de force et d'énergie, je suis obligé de recourir au suicide. J'en atteste Dieu, j'avais la plus grande envie de m'acquitter envers ceux qui m'avaient aidé dans l'infortune ; la fatalité m'écrase : tout se met contre moi. Abandonné subitement par ceux que j'ai représentés, je subis mon sort ; je meurs sans fiel, je l'avoue ; mais on aura beau dire, la calomnie n'empêchera pas que dans mes derniers moments je n'aie eu pour moi de nobles sympathies. Insulter l'homme qu'on réduit à la dernière des résolutions serait une infamie. C'est assez de l'avoir réduit là. La honte ne sera pas toute pour moi ; l'égoïsme m'aura tué. »

D'après d'autres papiers, ce suicidé serait un sieur Alfred Leroy, âgé de cinquante ans, originaire de Vimoutiers (Orne). La profession et le domicile sont restés inconnus, et, à la suite des formalités ordinaires, le corps, que personne n'a réclamé, a été transporté à la Morgue.

1. - Évocation. - R. Je ne viens pas en supplicié ; je suis sauvé ! Alfred.

Remarque. - Ces mots : Je suis sauvé ! ont étonné la plupart des assistants ; l'explication en a été demandée dans la suite de l'entretien.

2. - Nous avons appris par les journaux l'acte de désespoir auquel vous avez succombé, et, quoique nous ne vous connaissions pas, nous y compatissons, parce que la religion nous fait un devoir de compatir au sort de tous nos frères malheureux, et c'est pour vous donner un témoignage de sympathie que nous vous avons appelé. - R. Je dois taire les motifs qui m'ont poussé à cet acte désespéré. Je vous remercie de ce que vous faites pour moi ; c'est un bonheur, une espérance de plus ; merci !

3. Veuillez nous dire d'abord si vous avez bien la conscience de votre situation actuelle ? - R. Parfaite ; je suis heureux relativement ; je ne me suis pas suicidé pour des causes purement matérielles ; croyez qu'il y avait plus, mes dernières paroles le font bien voir ; c'est une main de fer qui m'a saisi ; quand je me suis incarné sur la terre, j'ai vu dans l'avenir mon suicide ; c'était l'épreuve contre laquelle j'avais à lutter ; j'ai voulu être plus fort que la fatalité, j'ai succombé.

Remarque. On verra tout à l'heure que cet Esprit n'échappe pas au sort des suicidés, malgré ce qu'il vient de dire. Quant au mot fatalité, il est évident que c'est chez lui un souvenir des idées terrestres ; on met sur le compte de la fatalité tous les malheurs qu'on ne sait pas éviter. Le suicide était pour lui l'épreuve contre laquelle il avait à lutter ; il a cédé à l'entraînement au lieu de résister en vertu de son libre arbitre, et il a cru que c'était dans sa destinée.

4. Vous avez voulu échapper à une position fâcheuse par le suicide ; y avez-vous gagné quelque chose ? - R. C'est là mon châtiment : la confusion de mon orgueil et la conscience de ma faiblesse.

5. D'après la lettre trouvée sur vous, il paraît que la dureté des hommes et un manque de parole vous ont conduit à vous détruire ; quel sentiment éprouvez-vous maintenant pour ceux qui ont été la cause de cette résolution funeste ? - R. Oh ! ne me tentez pas, ne me tentez pas, je vous en prie !

Remarque. Cette réponse est admirable ; elle peint la situation de l'Esprit luttant contre l'envie de haïr ceux qui lui ont fait du mal, et le sentiment du bien qui l'engage à pardonner. Il craint que cette question ne provoque une réponse que sa conscience réprouve.

6. Regrettez-vous ce que vous avez fait ? - R. Je vous l'ai dit, mon orgueil et ma faiblesse en sont la cause.

7. De votre vivant croyiez-vous en Dieu et à la vie future ? - R. Mes dernières paroles le prouvent ; je marche au supplice.

Remarque. Il commence à comprendre sa position sur laquelle il a pu se faire illusion au premier abord, car il ne pourrait être sauvé et marcher au supplice.

8. En prenant cette résolution, que pensiez-vous qu'il adviendrait de vous ? - R. J'avais assez conscience de la justice pour comprendre ce qui me fait souffrir maintenant. J'eus un moment l'idée du néant ; mais je l'ai repoussée bien vite. Je ne me serais pas tué si j'avais eu cette idée en moi, je me serais vengé d'abord.

Remarque. Cette réponse est à la fois très logique et très profonde. S'il avait cru au néant après la mort, au lieu de se tuer, il se serait vengé, ou tout au moins il aurait commencé par se venger ; l'idée de l'avenir l'a empêché de commettre un double crime ; avec celle du néant qu'avait-il à craindre s'il voulait s'ôter la vie ? il ne craignait plus la justice des hommes, et il avait le plaisir de la vengeance. Telle est la conséquence des doctrines matérialistes que certains savants s'efforcent de propager.

9. Si vous aviez été bien convaincu que les plus cruelles vicissitudes de la vie sont des épreuves bien courtes en présence de l'éternité, auriez-vous succombé ? - R. Bien courtes, je le savais, mais le désespoir ne peut raisonner.

10. Nous supplions Dieu de vous pardonner, et nous lui adressons pour vous cette prière à laquelle nous nous associons tous :

« Dieu tout-puissant, nous savons le sort qui est réservé à ceux qui abrègent leurs jours, et nous ne pouvons entraver votre justice ; mais nous savons aussi que votre miséricorde est infinie ; puisse-t-elle s'étendre sur l'âme d'Alfred Leroy ! Puissent aussi nos prières, en lui montrant qu'il y a sur la terre des êtres qui s'intéressent à son sort, alléger les souffrances qu'il endure pour n'avoir pas eu le courage de supporter les vicissitudes de la vie !

« Bons Esprits dont la mission est de soulager les malheureux, prenez-le sous votre protection ; inspirez-lui le regret de ce qu'il a fait, et le désir de progresser par de nouvelles épreuves qu'il saura mieux supporter. »

R. Cette prière me fait pleurer, et puisque je pleure, je sus heureux.

11. Vous avez dit en commençant : maintenant je suis sauvé ; comment concilier ces paroles avec ce que vous avez dit plus tard : Je marche au supplice ? - R. Et pourquoi comptez-vous la bonté divine ? Je ne pouvais vivre ; c'était impossible ; croyez-vous que Dieu ne voit pas l'impossible en ce cas ?

Remarque. Au milieu de quelques réponses remarquablement sensées, il y en a d'autres, et celle-ci est de ce nombre, qui dénotent chez cet Esprit une idée imparfaite de sa situation. Cela n'a rien d'étonnant, si l'on songe qu'il est mort depuis peu de jours.

12 (A Saint-Louis). Veuillez nous dire quel est le sort du malheureux que nous venons d'évoquer ? - R. L'expiation et la souffrance. Non, il n'y a pas de contradiction entre les premières paroles de cet infortuné et ses douleurs. Il est heureux, dit-il ; heureux de la cessation de la vie, et comme il est encore engagé dans les liens terrestres, il ne sent encore que l'absence du mal terrestre ; mais lorsque son Esprit s'élèvera, les horizons de la douleur, de l'expiation lente et terrible se dérouleront devant lui, et la connaissance de l'infini, encore voilée à ses yeux, sera pour lui le supplice qu'il a entrevu.

13. Quelle différence établissez-vous entre ce suicidé et celui de la Samaritaine ? Tous les deux se sont tués de désespoir, et pourtant leur situation est bien différente : celui-ci se reconnaît parfaitement ; il parle avec lucidité, et il ne souffre pas encore ; tandis que l'autre ne croyait pas être mort, et dès les premiers instants subissait un supplice cruel, celui de ressentir l'impression de son corps en décomposition. - R. Une immense différence ; le supplice de chacun de ces deux hommes revêt le caractère propre à leur avancement moral. Le dernier, âme faible et brisée, a supporté autant qu'il a cru ; il a douté de sa force, de la bonté de Dieu, mais il n'a ni blasphémé ni maudit ; son supplice intérieur, lent et profond, aura la même intensité de douleur que celui du premier suicidé ; seulement la loi d'expiation n'est pas uniforme.

Nota. La relation du suicidé de la Samaritaine a été donnée dans le n° de juin 1858, page 166.

14. Quel est le plus coupable aux yeux de Dieu, et quel est celui qui subira le grand châtiment, ou de cet homme qui a succombé à sa faiblesse, ou de celui qui, par sa dureté, l'a conduit au désespoir ? - R. Assurément celui qui l'a fait succomber à la tentation.

15. La prière que nous avons adressée à Dieu pour lui, lui sera-t-elle utile ? - R. Oui, la prière est une rosée bienfaisante.

Jules Michel

Mort à 14 ans, ami du fils du médium, madame Costel, évoqué huit jours après sa mort.

1. Evocation. - R. Je vous remercie de m'évoquer. Je me souviens de vous et des promenades que vous nous avez fait faire au parc Monceau.

2. Et votre camarade Charles, qu'en dites-vous ? - R. Charles a beaucoup de chagrin de ma mort. Mais suis-je mort ? Je vois, je vis, je pense comme avant, seulement je ne puis me toucher, et je ne reconnais rien de ce qui m'entoure.

3. Que voyez-vous ? - R. Je vois une grande clarté ; mes pieds ne touchent pas le sol ; je glisse ; je me sens entraîné. Je vois des figures brillantes, et d'autres qui sont enveloppées de blanc ; on me presse, on m'entoure ; les unes me sourient ; les autres me font peur avec leurs regards noirs.

4. Voyez-vous votre mère ? - R. Ah ! oui ; je vois ma mère, et ma sœur, et mon frère ; les voilà tous ! ma mère pleure beaucoup. Je voudrais lui parler comme à vous ; elle verrait que je ne suis pas mort. Comment donc faire pour la consoler ? Je vous en prie, parlez-lui de moi. Je voudrais bien aussi que vous dissiez à Charles que je vais bien m'amuser à le regarder travailler.

5. Voyez-vous votre corps ? - R. Mais oui, je vois mon corps, couché là, tout raide. Je ne suis pourtant pas dans ce trou, puisque me voici.

6. Où êtes-vous donc ? - R. Je suis là, près de votre table, à droite. Je trouve drôle que vous ne me voyiez pas ; je vous vois si bien, moi.

7. Qu'avez-vous ressenti quand vous avez quitté votre corps ? - R. Je ne me rappelle pas trop ce que j'ai senti alors ; j'avais très mal à la tête, et je voyais toutes sortes de choses autour de moi. J'étais tout engourdi ; je voulais remuer, je ne pouvais pas ; mes mains étaient toutes mouillées de sueur, et je sentais un grand travail dans mon corps ; puis je n'ai plus rien senti, et je me suis réveillé très soulagé ; je ne souffrais plus et j'étais léger comme une plume. Alors je me suis vu sur le lit, et pourtant je n'y étais pas ; j'ai vu tout le grand mouvement que l'on faisait, et je m'en suis allé ailleurs.

8. Comment avez-vous su que je vous demandais ? - R. Je ne me rends pas bien compte de tout ceci. J'ai bien entendu que vous me demandiez tout à l'heure, et je suis venu de suite, parce que, comme je disais à Charles, vous n'êtes pas ennuyeuse. Adieu, madame, à revoir. Je reviendrai vous parler, n'est-ce pas ?


Correspondance

Rome, ce 2 mars 1861

Monsieur,

Depuis quatre ans, environ, je m'occupe ici des manifestations spirites, et j'ai le bonheur d'avoir dans ma famille un très bon médium qui nous donne des communications d'un ordre supérieur. Nous avons lu et relu votre Livre des Esprits qui fait notre joie et notre consolation en nous donnant les notions les plus sublimes et les plus admissibles de la vie future. Si j'en pouvais douter, les preuves que j'en ai maintenant sont plus que suffisantes pour affermir ma foi. J'ai perdu des personnes qui m'étaient bien chères, et j'ai le bonheur inappréciable de savoir qu'elles sont heureuses, et de pouvoir correspondre avec elles. Vous dire la joie que j'en ai ressentie est inexprimable. La première fois qu'elles m'ont donné des signes manifestes de leur présence, je me suis écrié : Il est donc vrai que tout ne meurt pas avec le corps ! Je vous dois, monsieur, de m'avoir donné cette confiance ; croyez à mon éternelle gratitude pour le bien que vous m'avez fait, car malgré moi l'avenir me tourmentait. L'idée du néant était affreuse, et hors du néant, je ne retrouvais qu'une incertitude accablante ; à présent plus de doute ; il me semble que je renais à la vie : toutes mes appréhensions sont dissipées, et ma confiance en Dieu, est revenue plus forte que jamais. J'espère bien que, grâce à vous, mes enfants n'auront pas les mêmes tourments, car ils sont nourris de ces vérités que la raison grandissant ne peut que fortifier en eux.

Cependant il nous manquait un guide sûr pour la pratique ; si je n'avais pas craint de vous importuner, je vous aurais depuis longtemps demandé les conseils de votre expérience ; heureusement votre livre des médiums est venu combler cette lacune, et maintenant nous marchons d'un pas plus ferme, puisque nous sommes prévenus des écueils que l'on peut rencontrer.

Je vous envoie, monsieur, quelques échantillons des communications que nous avons obtenues depuis peu ; elles ont été écrites en italien, et ont sans doute perdu à la traduction ; malgré cela, je vous serai fort reconnaissant de me dire ce que vous en pensez, si vous voulez bien me favoriser d'une réponse ; ce sera pour nous un encouragement.

Excusez, je vous prie, monsieur, cette longue lettre, et croyez au témoignage de sympathie de votre tout dévoué,Comte X…

Nota. L'abondance des matières nous force d'ajourner la publication des communications que nous transmet M. le comte X…, au nombre desquelles il s'en trouve de très remarquables ; nous en extrayons seulement les réponses suivantes faites par un des Esprits qui se sont manifestés à lui.

Demande. Connaissez-vous le Livre des Esprits ? - Réponse. Comment les Esprits ne connaîtraient-ils pas leur ouvrage ? Tous le connaissent.

D. C'est très naturel pour ceux qui y ont travaillé ; mais les autres ? - R. Il y a entre les Esprits une communauté de pensées et une solidarité que vous ne pouvez comprendre, hommes qui êtes nourris dans l'égoïsme et ne voyez que par les étroites fenêtres de votre prison.

D. Y avez-vous travaillé ? - R. Non, pas personnellement, mais je savais qu'il devait être fait, et que d'autres Esprits, bien au-dessus de moi, étaient chargés de cette mission.

D. Quels résultats produira-t-il ? - R. C'est un arbre qui a déjà jeté des semences fécondes par toute la terre ; ces semences germent, bientôt elles mûriront, et avant peu on en recueillera les fruits.

D. N'a-t-il pas à craindre l'opposition de ses détracteurs ? - R. Quand les nuages qui obscurcissent le soleil sont dissipés, il brille d'un plus vif éclat.

D. Ces nuages seront donc dissipés ? - R. Un souffle de Dieu suffit.

D. Ainsi, selon vous, le spiritisme deviendra une croyance générale ? - R. Dites universelle.

D. Il y a pourtant des hommes qu'il paraît bien difficile de convaincre ? - R. Il y en a qui ne le seront jamais dans cette vie, mais chaque jour la mort les moissonne.

D. Est-ce qu'il n'en viendra pas d'autres à leur place et qui seront incrédules comme eux ? - R. Dieu veut le triomphe du bien sur le mal, de la vérité sur l'erreur, ainsi qu'il l'a annoncé ; il faut que son règne arrive ; ses voies sont impénétrables ; mais croyez bien que ce qu'il veut il le peut.

D. Le spiritisme sera-t-il jamais accepté ici ? - R. Il y sera accepté et il y fleurira. (Au même instant l'Esprit porte avec vivacité le crayon sur la réponse avant-dernière, et il la souligne avec force.)

D. Quelle peut être l'utilité du spiritisme pour le triomphe du bien sur le mal ; la loi du Christ ne suffit-elle pas pour cela ? - R. Cette loi suffirait certainement si on la pratiquait ; mais combien le font ? Combien y en a-t-il qui n'ont que les apparences de la foi ? Dieu voyant donc que sa loi était méconnue et incomprise, et que, malgré cette loi l'homme va se précipitant de plus en plus dans le gouffre de l'incrédulité, a voulu lui donner une nouvelle marque de sa bonté infinie, en multipliant sous ses yeux les preuves de l'avenir par les manifestations éclatantes dont il est témoin, en le faisant avertir de tous côtés par ceux mêmes qui ont quitté la terre et qui viennent lui dire : Nous vivons. En présence de ces témoignages, ceux qui résisteront seront sans excuse ; ils expieront leur aveuglement et leur orgueil par de nouvelles existences plus pénibles dans des mondes inférieurs jusqu'à ce qu'enfin ils ouvrent les yeux à la lumière. Croyez bien que, parmi ceux qui souffrent sur la terre, il y en a beaucoup qui expient leurs existences passées.

D. Le spiritisme peut-il être regardé comme une loi nouvelle ? - R. Non, ce n'est pas une loi nouvelle. Les interprétations que les hommes ont données de la loi du Christ ont engendré des luttes qui sont contraires à son esprit ; Dieu ne veut plus qu'une loi d'amour soit un prétexte de désordre et de luttes fratricides. Le spiritisme, s'exprimant sans ambages et sans allégories, est destiné à ramener à l'unité de croyance ; il est donc la confirmation et l'éclaircissement du christianisme qui est et qui sera toujours la loi divine, celle qui doit régner sur toute la terre et dont la propagation va être rendue plus facile par cet auxiliaire puissant.



Enseignements et dissertations Spirites

La Vérité va naître (Envoi de M. Sabo, de Bordeaux.)

Quels sont les douloureux gémissements qui viennent retentir jusqu'à mon cœur et en font vibrer toutes les fibres ? C'est l'humanité qui se débat sous les efforts d'un rude et pénible travail, car elle va enfanter la Vérité. Accourez, Spirites, rangez-vous autour de son lit de souffrance ; que les plus forts d'entre vous tiennent ses membres raidis sous les convulsions de la douleur ; que les autres attendent la naissance de cet enfant et le reçoivent dans leurs bras à son entrée dans la vie. Le moment suprême arrive ; il s'échappe, par un dernier effort, du sein qui l'avait conçu, laissant sa mère quelque temps affaissée sous l'atonie de la faiblesse. Cependant il est né sain et robuste, et de sa large poitrine il aspire la vie à pleins poumons. Vous, qui avez assisté à sa naissance, il faut que vous le suiviez pas à pas dans la vie. Voyez ! la joie de l'avoir enfanté a donné à sa mère une recrudescence de force et de courage, et de ses accents maternels elle appelle tous les hommes à se grouper autour de cet enfant de bénédiction, car elle pressent que de sa voix retentissante il va, dans quelques années, faire tomber l'échafaudage de l'Esprit de mensonge, et, vérité immuable comme Dieu lui-même, appeler par le Spiritisme tous les hommes sous son drapeau. Mais il n'achètera le triomphe qu'au prix de la lutte, car il a des ennemis acharnés qui conspirent sa perte, et ces ennemis sont l'orgueil, l'égoïsme, la cupidité, l'hypocrisie et le fanatisme, ennemis tout-puissants qui jusqu'alors ont régné en maîtres et ne se laisseront pas détrôner sans résistance. Quelques-uns rient de sa faiblesse, mais d'autres s'effraient de sa venue et pressentent leur ruine ; c'est pourquoi ils cherchent à le faire périr, comme jadis Hérode chercha à faire périr Jésus dans le massacre des Innocents. Cet enfant n'a point de patrie ; il erre sur toute la terre, cherchant le peuple qui, le premier, arborera son drapeau, et ce peuple sera le plus puissant parmi les peuples, car telle est la volonté de Dieu.

Massillon.

Progrès d'un Esprit pervers (Société spirite de Paris. Médium madame Costel.)

Sous le titre de Châtiment de l'égoïste, nous avons publié, dans le numéro de décembre 1860, plusieurs communications, signées Claire, où cet Esprit révèle ses mauvais penchants et la situation déplorable où il se trouve. Notre collègue, madame Costel, qui a connu cette personne de son vivant, et lui sert de médium, a entrepris son éducation morale ; ses efforts ont été couronnés de succès ; on en peut juger par la dictée spontanée suivante qu'elle a faite à la Société le 1° mars dernier.

« Je vous parlerai de la différence importante qui existe entre la morale divine et la morale humaine. La première assiste la femme adultère dans son abandon, et dit aux pécheurs : « Repentez-vous, et le royaume des cieux vous sera ouvert. » La morale divine, enfin, accepte tous les repentirs et toutes les fautes avouées, tandis que la morale humaine repousse celles-ci et admet, en souriant, les péchés cachés qui, dit-elle, sont à moitié pardonnés. A l'une la grâce du pardon, à l'autre l'hypocrisie ; choisissez, esprits avides de vérité ! Choisissez entre les cieux ouverts au repentir, et la tolérance qui admet le mal qui ne dérange pas son égoïsme et ses faux arrangements, mais qui repousse la passion et les sanglots de fautes confessées au grand jour. Repentez-vous, vous tous qui péchez ; renoncez au mal, mais surtout renoncez à l'hypocrisie qui voile la laideur du mal sous le masque riant et trompeur des convenances mutuelles.

Claire. »



Voici un autre exemple de conversion obtenue dans un cas à peu près semblable. Dans la même séance se trouvait une dame étrangère, médium, qui écrivait dans la Société pour la première fois. Elle avait connu une femme, morte il y a neuf ans, et qui, de son vivant, méritait peu d'estime. Depuis sa mort, son Esprit s'était montré à la fois pervers et méchant, ne cherchant qu'à faire le mal. Cependant de bons conseils avaient fini par la ramener à de meilleurs sentiments. Dans cette séance elle dicta spontanément ce qui suit :

« Je demande qu'on prie pour moi ; il faut que je sois bonne ; j'ai persécuté et obsédé longtemps un être appelé à faire du bien, et Dieu ne veut plus que je persécute ; mais j'ai peur de manquer de courage ; aidez-moi ; j'ai fait tant de mal ! Oh ! que je souffre ! que je souffre ! Je me suis réjouie du mal arrivé ; j'y ai contribué de toutes mes forces, mais je ne veux plus faire le mal. Oh ! priez pour moi !

Adèle. »

Sur la jalousie chez les médiums (Envoi de M. Ky…, correspondant de la Société à Carlsruhe.)

L'homme vain de lui-même et de sa propre intelligence est aussi méprisable que pitoyable. Il chasse la vérité devant lui, pour y substituer ses arguments et ses convictions personnelles, qu'il croit infaillibles et irrévocables, parce qu'ils lui appartiennent. L'homme vain est toujours égoïste, et l'égoïsme est le fléau de l'humanité ; mais en méprisant le reste du monde, il ne montre que trop sa propre petitesse ; en repoussant des vérités qui pour lui sont nouvelles, il montre aussi l'espace limité de sa propre intelligence pervertie par son obstination, qui accroît encore sa vanité et son égoïsme.

Malheur à l'homme qui se laisse dominer par ces deux ennemis de lui-même ! quand il se réveillera dans cet état où la vérité et la lumière fondront sur lui de toutes parts, alors il ne verra en lui qu'un être misérable qui s'est follement exalté au-dessus de l'humanité pendant sa vie terrestre, et qui sera bien au-dessous de certains êtres plus modestes et plus simples auxquels il pensait en imposer ici-bas.

Soyez humbles de cœur, vous à qui Dieu a fait part de ses dons spirituels. N'attribuez aucun mérite à vous-mêmes, pas plus qu'on n'attribue l'ouvrage, non aux outils, mais à l'ouvrier. Souvenez-vous bien que vous n'êtes que les instruments dont Dieu se sert pour manifester au monde son Esprit tout-puissant, et que vous n'avez nul sujet de vous glorifier de vous-mêmes. Il y a tant de médiums, hélas ! qui deviennent vains, au lieu de devenir humbles à mesure que leurs dons s'accroissent. Ceci est un retard dans le progrès, car au lieu d'être humble et passif, le médium repousse souvent, par sa vanité et par son orgueil, des communications importantes qui se font alors jour par des sujets plus méritants. Dieu ne regarde pas à la position matérielle d'une personne pour lui communiquer son esprit de sainteté ; bien loin de là, car il élève souvent les humbles d'entre les humbles, pour les douer des plus grandes facultés, afin que le monde voie bien que ce n'est pas l'homme, mais l'esprit de Dieu par l'homme qui fait des miracles. Le médium est, comme je l'ai dit, le simple instrument du grand Créateur de toutes choses, et c'est à ce dernier qu'il faut rendre gloire, c'est lui qu'il faut remercier de son inépuisable bonté.

Je voudrais aussi dire un mot sur l'envie et la jalousie qui règnent bien souvent entre les médiums, et que, comme la mauvaise herbe, il faut arracher dès qu'elle commence à paraître, de peur qu'elle n'étouffe les bons germes avoisinants.

Chez le médium la jalousie est autant à craindre que l'orgueil ; elle prouve le même besoin d'humilité ; je dirai même qu'elle dénote un manque de sens commun. Ce n'est pas en vous montrant jaloux des dons de votre voisin que vous en recevrez de pareils, car si Dieu donne beaucoup aux uns et peu aux autres, soyez certains qu'en agissant ainsi, il a un motif bien fondé ! La jalousie aigrit le cœur ; elle étouffe même les meilleurs sentiments ; c'est donc un ennemi qu'on ne saurait éviter avec trop de soin, car il ne laisse aucun repos quand une fois il s'est emparé de nous ; ceci s'applique à tous les cas de la vie d'ici-bas ; mais j'ai voulu surtout parler de la jalousie entre médiums, aussi ridicule que méprisable et mal fondée, et qui prouve combien l'homme est faible quand il se rend esclave de ses passions.

Luos.



Remarque. Lors de la lecture de cette dernière communication devant la Société, une discussion s'établit sur la jalousie des médiums comparée à celle des somnambules. Un des membres, M. D…, dit qu'à son avis la jalousie est la même dans les deux cas, et que si elle paraît plus fréquente chez les somnambules, c'est que, dans cet état, ils ne savent pas la dissimuler.

M. Allan Kardec réfute cette opinion : « La jalousie, dit-il, paraît inhérente à l'état somnambulique, et cela par une cause dont il est difficile de se rendre compte, et que les somnambules eux-mêmes ne peuvent expliquer. Ce sentiment existe entre somnambules qui, à l'état de veille, n'ont l'un pour l'autre que de la bienveillance. Chez les médiums, il est loin d'être habituel, et tient évidemment à la nature morale de l'individu. Un médium n'est jaloux d'un autre médium que parce qu'il est dans sa nature d'être jaloux ; ce défaut, conséquence de l'orgueil et de l'égoïsme, est essentiellement nuisible à la bonté des communications, tandis que le somnambule le plus jaloux peut être très lucide, et cela se conçoit facilement. Le somnambule voit par lui-même ; c'est son propre Esprit qui se dégage et agit : il n'a besoin de personne ; le médium, au contraire, n'est qu'un intermédiaire : il reçoit tout des Esprits étrangers, et sa personnalité est bien moins en jeu que chez le somnambule. Les Esprits sympathisent avec lui en raison de ses qualités ou de ses défauts ; or, les défauts qui sont le plus antipathiques aux bons Esprits sont l'orgueil, l'égoïsme et la jalousie. L'expérience nous apprend que la faculté médianimique, en tant que faculté, est indépendante des qualités morales ; elle peut, de même que la faculté somnambulique, exister au plus haut degré chez l'homme le plus pervers. Il en est tout autrement à l'égard des sympathies des bons Esprits, qui se communiquent naturellement d'autant plus volontiers, que l'intermédiaire chargé de transmettre leur pensée est plus pur, plus sincère, et s'écarte plus de la nature des mauvais Esprits ; ils font à cet égard ce que nous faisons nous-mêmes quand nous prenons quelqu'un pour confident. En ce qui concerne spécialement la jalousie, comme ce travers existe chez presque tous les somnambules, et qu'il est beaucoup plus rare chez les médiums, il paraît que chez les premiers il est la règle, et chez les seconds l'exception, d'où il suivrait qu'il ne doit pas avoir la même cause dans les deux cas. »



Allan Kardec


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