REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

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Mars

Petit bonhomme vit encore - A propos de l'article du journal des Débats, par M. Deschanel

M. Émile Deschanel, dont le nom ne nous était point encore parvenu, a bien voulu nous consacrer vingt-quatre colonnes du feuilleton des Débats dans les numéros des 15 et 29 novembre dernier ; nous le remercions du fait, sinon de l'intention. En effet, après l'article de la Bibliographie catholique et celui de la Gazette de Lyon, qui vomissaient l'anathème et l'injure à pleine bouche, de manière à faire croire au retour du quinzième siècle, nous ne connaissons rien de plus malveillant, de moins scientifique, de plus long surtout, que celui de M. Deschanel. Une si vigoureuse sortie a dû lui faire croire que le Spiritisme, frappé par lui d'estoc et de taille, était à tout jamais bien et dûment mort et enterré ; comme nous ne lui avons pas répondu, que nous ne lui avons fait aucune sommation, que nous n'avons entamé avec lui aucune polémique à outrance, il a pu se méprendre sur les causes de notre silence : nous devons en exposer les motifs. Le premier, c'est qu'à notre avis il n'y avait rien d'urgent, et que nous étions bien aise d'attendre, afin de juger l'effet de cet assaut, pour régler notre réponse ; aujourd'hui que nous sommes complètement édifiés à cet égard, nous en dirons quelques mots.

Le second motif est la conséquence du précédent. Pour réfuter cet article en détail, il eût fallu le reproduire en entier, afin de mettre en regard l'attaque et la défense, ce qui eût déjà absorbé un numéro de notre Revue ; la réfutation en eût au moins absorbé deux ; cela faisait donc trois numéros employés à réfuter quoi ? des raisons ? non, mais les plaisanteries de M. Deschanel : franchement cela n'en valait pas la peine, et nos lecteurs aiment mieux autre chose. Ceux qui désireraient connaître sa logique pourront se contenter en lisant les numéros cités. Et puis, notre réponse n'eût été en définitive que la répétition de ce que nous avons écrit, de ce que nous avons répondu à l'Univers, à M. Oscar Comettant, à la Gazette de Lyon, à M. Louis Figuier, à la Bibliographie catholique[1], car toutes ces attaques ne sont que des variantes d'un même thème. Il eût donc fallu redire la même chose en d'autres termes pour n'être pas monotone, et nous n'en avons pas le temps. Ce que nous pourrions dire serait inutile pour les adeptes et ne serait pas assez complet pour convaincre les incrédules ; ce serait donc peine perdue ; nous préférons renvoyer à nos ouvrages ceux qui voudront sérieusement s'éclairer ; ils pourront mettre en parallèle les arguments pour et contre : leur propre jugement fera le reste.

Pourquoi d'ailleurs répondrions-nous à M. Deschanel ? serait-ce pour le convaincre ? Mais nous n'y tenons pas du tout. Ce serait, dit-on, un adepte de plus. Mais que nous fait la personne de M. Deschanel de plus ou de moins ? De quel poids peut-il peser dans la balance, quand les adhésions arrivent par milliers depuis les sommités de l'échelle sociale ? - Mais c'est un publiciste, et si, au lieu de faire une diatribe, il avait fait un éloge, est-ce que cela n'aurait pas fait beaucoup de bien à la doctrine ? Ceci est une question plus grave, examinons-la.

D'abord est-il bien certain que M. Deschanel nouveau converti eût publié 24 colonnes en faveur du Spiritisme, comme il les a publiées contre ? Nous ne le pensons pas, par deux raisons : la première, qu'il eût craint de se faire tourner en ridicule par ses confrères ; la seconde, que le directeur du journal ne l'eût probablement pas accepté, de peur d'effaroucher certains lecteurs moins effrayés du diable que des Esprits. Nous connaissons bon nombre de littérateurs et de publicistes qui sont dans ce cas, et n'en sont pas moins de bons et sincères Spirites. On sait que madame Émile de Girardin, qui passe assez généralement pour avoir eu quelque intelligence pendant sa vie, était non seulement très croyante, mais de plus très bon médium, et qu'elle a obtenu d'innombrables communications ; mais elle les réservait pour le cercle intime de ses amis qui partageaient ses convictions ; aux autres, elle n'en parlait pas. Donc, pour nous, un publiciste qui ose bien parler contre, mais qui n'oserait pas parler pour, s'il était convaincu, n'est pour nous qu'un simple individu, et lorsque nous voyons une mère désolée de la perte d'un enfant chéri trouver d'ineffables consolations dans la doctrine, son adhésion à nos principes a pour nous cent fois plus de prix que la conversion d'une illustration quelconque, si cette illustration n'ose rien dire. D'ailleurs les hommes de bonne volonté ne manquent pas ; ils abondent tellement, et il en vient tant à nous, que nous pouvons à peine suffire à leur répondre ; nous ne voyons donc pas pourquoi nous perdrions notre temps avec les indifférents, et à courir après ceux qui ne nous recherchent pas.

Un seul mot fera connaître si M. Deschanel est un homme sérieux ; voici le début de son second article du 29 novembre :

« La doctrine spirite se réfute d'elle-même, il suffit de l'exposer. Après tout, elle n'a pas tort de s'appeler Spirite tout court, car elle n'est ni spirituelle ni spiritualiste. Elle est au contraire fondée sur le matérialisme le plus grossier, et elle n'est amusante que parce qu'elle est ridicule. »

Dire que le Spiritisme est fondé sur un matérialisme grossier, alors qu'il le combat à outrance, qu'il ne serait rien sans l'âme, son immortalité, les peines et les récompenses futures dont il est la démonstration patente, c'est le comble de l'ignorance de la chose qu'on traite ; si ce n'est pas ignorance, c'est mauvaise foi et calomnie. En voyant cette accusation, et à l'entendre citer les textes bibliques, les prophètes, la loi de Moïse qui défend d'interroger les morts, - preuve qu'on peut les interroger, car on ne défend pas une chose impossible, - on le croirait d'une orthodoxie furibonde ; mais en lisant le facétieux passage suivant de son article, les lecteurs seront fort embarrassés de se prononcer sur ses opinions :

« Comment des Esprits peuvent-ils tomber sous les sens ? Comment peuvent-ils être vus, être entendus, être palpés ? Et comment peuvent-ils écrire eux-mêmes et nous laisser des autographes de l'autre monde ?

- « Oh ! mais c'est que ces Esprits-là ne sont pas des Esprits comme vous pourriez croire ; des Esprits purement Esprits. « L'Esprit, - entendez bien cela, - n'est point un être abstrait, indéfini, que la pensée seule peut concevoir ; c'est un être réel, circonscrit, qui, dans un certain cas, est appréciable pour les sens de la vue, de l'ouïe et du toucher. »

- « Mais ces Esprits ont donc des corps ?

- « Pas précisément.

- « Mais enfin ?…

- « Il y a dans l'homme trois choses :

« 1° Le corps, ou être matériel, analogue aux animaux, mû par le même principe vital ;

« 2° L'âme, ou être immatériel, Esprit incarné dans le corps ;

« 3° Le lien qui unit l'âme et le corps, principe intermédiaire entre la matière et l'Esprit. »

- « Intermédiaire ? Que diable voulez-vous dire ? On est matière ou on ne l'est pas.

- « Cela dépend.

- « Comment ! cela dépend !

- « Voici la chose : « Le lien, ou périsprit, qui unit le corps et l'Esprit est une sorte d'enveloppe semi-matérielle… »

- « Semi ! semi !

- « La mort est la destruction de l'enveloppe la plus grossière ; l'Esprit conserve la seconde, qui constitue pour lui un corps éthéré, invisible pour nous dans l'état normal, mais qu'il peut rendre accidentellement visible et même tangible, comme cela a lieu dans le phénomène des apparitions. »

- « Éthéré tant que vous voudrez : un corps est un corps. Cela en fait deux. Et la matière est la matière. Subtilisez-la tant qu'il vous plaira, il n'y a point de semi là dedans. L'électricité elle-même n'est que matière, et non semi-matière. Et quant à votre… Comment appelez-vous cela ?

- « Le périsprit ?

- « Oui, votre périsprit… je trouve qu'il n'explique rien, et qu'il a grand besoin lui-même d'explication.

- « Le périsprit sert de première enveloppe à l'Esprit, et unit l'âme et le corps. Tels sont, dans un fruit, le germe, le périsperme et la coquille… Le périsprit est puisé dans le milieu ambiant, dans le fluide universel ; il tient à la fois de l'électricité, du fluide magnétique, et, jusqu'à un certain point, de la matière inerte… » Comprenez-vous ?

- « Pas trop.

- « On pourrait dire que c'est la quintessence de la matière. »

- « Vous avez beau quintessencier, vous n'en tirerez pas de l'esprit, ni du semi-esprit, et c'est pure matière que votre périsprit.

- « C'est le principe de la vie organique, mais ce n'est pas celui de la vie intellectuelle. »

- « Enfin, c'est ce que vous voudrez ; mais votre périsprit est tant de choses, que je ne sais pas trop ce qu'il est, et qu'il pourrait bien n'être rien. »

Le mot périsprit vous offusque, à ce qu'il paraît ? Si vous eussiez vécu au temps où fut inventé le mot périsperme, vous l'eussiez probablement trouvé ridicule aussi ; que ne critiquez-vous ceux que l'on invente chaque jour pour exprimer les idées nouvelles ? Ce n'est pas le mot que je critique, direz-vous, c'est la chose. Soit, vous ne l'avez jamais vu ; mais niez-vous l'âme que vous n'avez jamais vue ? niez-vous Dieu que vous n'avez pas vu davantage ? Eh bien ! si l'on ne peut voir l'âme ou l'Esprit, ce qui est la même chose, on peut voir son enveloppe fluidique ou périsprit quand elle est libre, comme on voit son enveloppe charnelle quand elle est incarnée.

M. Deschanel s'efforce de prouver que le périsprit doit être de la matière ; mais c'est ce que nous disons en toutes lettres. Serait-ce, par hasard, ce qui lui fait dire que le Spiritisme est une doctrine matérialiste ? Mais la citation même qu'il fait le condamne, puisque nous disons en propres termes, moins ses spirituelles facéties, que ce n'est qu'une enveloppe indépendante de l'Esprit. Où a-t-il vu que nous ayons dit que c'est le périsprit qui pense ? Il ne veut pas de périsprit, soit ; mais qu'il nous dise comment il peut expliquer l'action de l'Esprit sur la matière sans intermédiaire ? Nous ne parlerons pas des apparitions contemporaines auxquelles sans doute il ne croit pas ; mais puisqu'il est si ferré sur la Bible dont il prend si chaudement la défense, c'est qu'il croit à la Bible et à ce qu'elle dit ; qu'il veuille donc nous expliquer les apparitions d'anges dont elle fait à chaque instant mention ? Les anges, selon la doctrine théologique, sont de purs Esprits ; mais quand ils se rendent visibles, dira-t-il que c'est l'Esprit qui se fait voir ? Alors ce serait, pour le coup, matérialiser l'Esprit lui-même, car il n'y a que la matière qui puisse tomber sous les sens. Nous, nous disons que l'Esprit revêt une enveloppe qu'il peut rendre visible et même tangible à volonté ; l'enveloppe seule est matérielle, quoique très éthérée, ce qui n'ôte rien aux qualités propres de l'Esprit. Nous expliquons ainsi un fait jusqu'alors inexpliqué, et nous sommes certes moins matérialistes que ceux qui prétendent que c'est l'Esprit lui-même qui se transforme en matière pour se faire voir et agir. Ceux qui ne croyaient pas à l'apparition des anges de la Bible, peuvent donc y croire maintenant, s'ils croient à l'existence des anges, sans que cela répugne à leur raison ; ils peuvent, par cela même, comprendre la possibilité des manifestations actuelles, visibles, tangibles ou autres, du moment que l'âme ou Esprit possède une enveloppe fluidique, si tant est qu'ils croient à l'existence de l'âme.

Au reste, M. Deschanel a oublié une chose, c'est de donner sa théorie de l'âme, ou de l'Esprit ; en homme judicieux, il aurait dû dire : Vous avez tort par telle ou telle raison ; les choses ne sont pas telles que vous le dites : voilà ce qui est. Alors seulement nous aurions eu quelque chose sur quoi discuter. Mais il est à remarquer que c'est ce que n'a encore fait aucun des contradicteurs du Spiritisme : ils nient, se moquent ou disent des injures : nous ne leur connaissons pas d'autre logique, ce qui est fort peu inquiétant ; aussi ne nous en inquiétons-nous pas du tout ; car, s'ils ne proposent rien, c'est qu'apparemment ils n'ont rien de meilleur à proposer. Les francs matérialistes seuls ont un système arrêté : le néant après la mort ; nous leur souhaitons bien du plaisir si cela les satisfait. Ceux qui admettent l'âme sont malheureusement dans l'impuissance de résoudre les questions les plus vitales d'après leur seule théorie, c'est pourquoi ils n'ont d'autre recours que la foi aveugle, raison peu concluante pour ceux qui aiment les raisons, et le nombre en est grand par ce temps de lumières ; or, les spiritualistes n'expliquant rien d'une manière satisfaisante pour les penseurs, ceux-ci concluent qu'il n'y a rien, et que les matérialistes ont peut-être raison : c'est ce qui conduit tant de gens à l'incrédulité, tandis que ces mêmes difficultés trouvent une solution toute simple et toute naturelle par la théorie spirite. Le matérialisme dit : Il n'y a rien en dehors de la matière ; le spiritualisme dit : Il y a quelque chose, mais il ne le prouve pas ; le Spiritisme dit : Il y a quelque chose et il le prouve, et à l'aide de son levier il explique ce qui jusqu'alors était inexplicable ; c'est ce qui fait que le Spiritisme ramène tant d'incrédules au spiritualisme. Nous ne demandons à M. Deschanel qu'une chose, c'est de donner carrément sa théorie, et de répondre non moins carrément aux diverses questions que nous avons adressées à M. Figuier.

En somme, les objections de M. Deschanel sont puériles ; s'il eût été un homme sérieux, s'il eût tenu à faire de la critique en connaissance de cause, et à ne pas s'exposer à commettre une aussi lourde bévue que de taxer le Spiritisme de doctrine matérialiste, il aurait cherché à approfondir ; il serait venu nous trouver, comme tant d'autres, nous demander des éclaircissements que nous nous serions fait un plaisir de lui donner ; mais il a préféré parler d'après ses propres idées qu'il regarde sans doute comme le régulateur suprême, comme l'unité métrique de la raison humaine ; or, comme son opinion personnelle nous est indifférente, nous ne tenons nullement à lui en faire changer, c'est pourquoi nous n'avons fait aucun pas pour cela, nous ne l'avons convié à aucune réunion, à aucune démonstration ; s'il avait tenu à savoir, il serait venu ; il n'est pas venu, c'est donc qu'il n'y tenait pas, et nous n'y tenions pas plus que lui.

Un autre point à examiner est celui-ci : Une critique aussi virulente et aussi longue, fondée ou non, dans un journal aussi important que les Débats, ne peut-elle nuire à la propagation des idées nouvelles ? Voyons.

Il faut d'abord remarquer qu'il n'en est pas d'une doctrine philosophique comme d'une marchandise. Si un journal affirmait, avec preuves à l'appui, que tel marchand vend des denrées avariées ou frelatées, personne ne serait tenté d'aller essayer si cela est vrai ; mais toute théorie métaphysique est une opinion qui, fût-elle de Dieu même, trouverait des contradicteurs. N'a-t-on pas vu les meilleures choses, les vérités les plus incontestables aujourd'hui, tournées en ridicule à leur apparition par les hommes les plus capables ? Cela les a-t-il empêchées d'être des vérités et de se propager ? Tout le monde sait cela ; c'est pourquoi l'opinion d'un journaliste sur des questions de ce genre n'est toujours qu'une opinion personnelle, et l'on se dit que si tant de savants se sont trompés sur des choses positives, M. Deschanel peut bien se tromper sur une chose abstraite ; et pour peu qu'on ait une idée, même vague, du Spiritisme, son accusation de matérialisme est sa propre condamnation. Il en résulte qu'on veut voir et juger par soi-même : c'est tout ce que nous demandons. Sous ce rapport M. Deschanel a donc rendu, sans le vouloir, un véritable service à notre cause, et nous l'en remercions, parce qu'il nous épargne des frais de publicité, n'étant pas assez riches pour payer un feuilleton de 24 colonnes. Quelque répandu qu'il soit, le Spiritisme n'a pas encore pénétré partout ; il y a bien des gens qui n'en ont jamais entendu parler ; un article de cette importance attire l'attention, le fait pénétrer même dans le camp ennemi où il cause des désertions, car on se dit naturellement qu'on ne frappe pas ainsi une chose sans valeur ; en effet, on ne s'amuse pas à dresser des batteries formidables contre une place qu'on peut prendre à coups de fusil. On juge la résistance par le déploiement des forces d'attaque, et c'est ce qui éveille l'attention sur des choses qui eussent peut-être passé inaperçues.

Ceci n'est que du raisonnement ; voyons si les faits viennent le contredire. On juge du crédit d'un journal, des sympathies qu'il trouve dans l'opinion publique par le nombre de ses lecteurs. Il doit en être de même du Spiritisme représenté par quelques ouvrages spéciaux ; nous ne parlerons que des nôtres, parce que nous en savons le chiffre exact ; eh bien ! le Livre des Esprits, qui passe pour contenir l'exposé le plus complet de la doctrine, a été publié en 1857 ; la 2° édition en avril 1860, la 3° en août 1860, c'est-à-dire quatre mois plus tard, et en février 1861 la 4° était en vente ; ainsi trois éditions en moins d'un an prouvent que tout le monde n'est pas de l'avis de M. Deschanel. Notre nouvel ouvrage, le Livre des Médiums, a paru le 15 janvier 1861 et déjà il faut songer à préparer une nouvelle édition ; il est demandé en Russie, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Espagne, aux États-Unis, au Mexique, au Brésil, etc. Les articles du Journal des Débats ont paru en novembre dernier ; s'ils avaient exercé la moindre influence sur l'opinion, c'est assurément sur la Revue Spirite, que nous publions, qu'elle se serait fait sentir ; or le 1° janvier 1861, époque des renouvellements annuels, il y avait un tiers d'abonnés inscrits de plus qu'à la même époque de l'année précédente, et chaque jour elle en reçoit de nouveaux qui, chose digne de remarque, demandent tous les collections des années antérieures, si bien qu'il a fallu les faire réimprimer ; donc cela prouve qu'elle ne leur semble pas par trop ridicule. De tous les côtés, à Paris, en province, à l'étranger, se forment des réunions Spirites ; nous en connaissons plus de cent dans les départements, et nous sommes loin de les connaître toutes, sans compter toutes les personnes qui s'en occupent isolément ou dans l'intérieur des familles. Que diront à cela MM. Deschanel, Figuier et consorts ? que le nombre des fous augmente. Oui, il augmente tellement qu'avant peu les fous seront plus nombreux que les gens sensés ; mais ce que ces Messieurs, si pleins de sollicitude pour le bon sens humain, doivent déplorer, c'est de voir que tout ce qu'ils ont fait pour arrêter le mouvement produit un résultat tout contraire. Veulent-ils en connaître la cause ? Elle est bien simple. Ils prétendent parler au nom de la raison et n'offrent rien de mieux ; les uns donnent pour perspective le néant, les autres les flammes éternelles, deux alternatives qui plaisent à bien peu de personnes ; entre les deux on choisit ce qui est le plus rassurant. Étonnez-vous donc, après cela, de voir les hommes se jeter dans les bras du Spiritisme ! Ces Messieurs ont cru le tuer, nous avons tenu à leur prouver que Petit Bonhomme vit encore, et vivra longtemps.

L'expérience nous ayant donc démontré que les articles de M. Deschanel, loin de nuire à la cause du Spiritisme, l'ont servie, en excitant chez ceux qui n'en avaient pas entendu parler le désir de le connaître, nous jugeons superflu de discuter une à une ses assertions. Toutes les armes ont été employées contre cette doctrine : on l'a attaquée au nom de la religion, qu'elle sert au lieu de lui nuire, au nom de la science, au nom du matérialisme ; on lui a prodigué tour à tour l'injure, la menace, la calomnie, et elle a résisté à tout, même au ridicule ; sous la nuée des traits qu'on lui lance, elle fait paisiblement le tour du monde et s'implante partout, à la barbe de ses ennemis les plus acharnés ; n'y a-t-il pas là matière à sérieuse réflexion, et n'est-ce pas la preuve qu'elle trouve de l'écho dans le cœur de l'homme, en même temps qu'elle est sous la sauvegarde d'une puissance contre laquelle viennent se briser les efforts humains ?

Il est remarquable qu'à l'époque où parurent les articles du Journal des Débats, des communications spontanées eurent lieu de différents côtés à Paris et dans les départements ; toutes expriment la même pensée. La suivante a été faite dans la Société le 30 novembre dernier :

« Ne vous inquiétez pas de ce que le monde peut écrire contre le Spiritisme ; ce n'est pas à vous que s'attaquent les incrédules, c'est à Dieu même, mais Dieu est plus puissant qu'eux. C'est une ère nouvelle, entendez-vous bien, qui s'ouvre devant vous, et ceux qui cherchent à s'opposer aux desseins de la Providence seront bientôt renversés. Comme on vous l'a parfaitement dit, loin de nuire au Spiritisme, le scepticisme se frappe de sa propre main, et c'est lui-même qui se tuera. Puisque le monde veut rendre la mort toute-puissante par le néant, laissez-le dire, n'opposez que de l'indifférence à son amer pédantisme. Pour vous la mort ne sera plus cette déesse atroce qu'ont rêvée les poètes : la mort se présentera à vous comme l'aurore aux doigts de rose d'Homère. »André Chénier.

Saint Louis avait dit précédemment sur le même sujet :

« De semblables articles ne font de mal qu'à ceux qui les écrivent, ils n'en font aucun au Spiritisme qu'ils contribuent à répandre même parmi ses ennemis. »

Un autre Esprit répondit à un médecin Spirite de Nîmes, qui lui demandait ce qu'il pensait de ces articles :

« Vous devez en être très satisfaits ; si vos ennemis s'occupent tant de vous, c'est qu'ils vous reconnaissent quelque valeur, et qu'ils vous craignent. Laissez-les donc dire et faire ce qu'ils voudront ; plus ils parleront, plus ils vous feront connaître, et le temps n'est pas loin où ils seront bien forcés de se taire. Leur colère prouve leur faiblesse ; la véritable force seule sait se posséder : elle a le calme de la confiance ; la faiblesse cherche à s'étourdir en faisant beaucoup de bruit. »

Veut-on maintenant un échantillon de l'usage que certains savants font de la science au profit de la Société ? citons un exemple.

Un de nos collègues de la Société parisienne des Études Spirites, M. Indermuhle, de Berne, nous écrit ce qui suit :

« M. Schiff, professeur d'anatomie (je ne sais si c'est le même qui a si ingénieusement découvert le muscle craqueur, dont M. Jobert de Lambale s'est fait l'éditeur responsable)[2], a fait ici, il y a quelques semaines, un cours public sur la digestion. Le cours n'était certes pas sans intérêt ; mais après avoir longtemps parlé de cuisine et de chimie à propos des aliments, et prouvé qu'aucune matière ne s'anéantit ; qu'elle peut se diviser et se transformer, mais qu'on la retrouve dans la composition de l'air, de l'eau et des tissus organiques, il vient à la solution suivante : « Ainsi donc, dit-il, l'âme, telle que le vulgaire l'entend, est juste dans ce sens que ce qu'on appelle l'âme, après la mort du corps, se dissout, comme le corps matériel ; elle se décompose pour rejoindre les matières contenues, soit dans l'air, soit dans les autres corps, c'est seulement dans ce sens que le mot immortalité est justifié, autrement, non. »

« C'est ainsi qu'en 1861, les savants, chargés d'instruire et d'éclairer les hommes, leur offrent des pierres au lieu de pain. Il faut dire, à la louange de l'humanité, que les auditeurs étaient, pour la plupart, très peu édifiés et satisfaits de cette conclusion amenée si brusquement ; que beaucoup en ont été scandalisés ; moi, j'ai eu pitié de cet homme. S'il eût attaqué le Gouvernement, on l'eût interdit, on l'eût puni même ; comment peut-on tolérer l'enseignement public du matérialisme, ce dissolvant de la société ? »

À ces judicieuses réflexions de notre collègue nous ajouterons qu'une société matérialiste, telle que certains hommes s'efforcent de rendre la société actuelle, n'ayant aucun frein moral, est la plus dangereuse pour toute espèce de gouvernement ; jamais peut-être le matérialisme n'a été professé avec autant de cynisme ; ceux qu'un peu de pudeur retient s'en dédommagent en traînant dans la boue ce qui peut le détruire ; mais ils auront beau faire, ce sont les convulsions de son agonie ; et, quoi qu'en dise M. Deschanel, c'est le Spiritisme qui lui donnera le coup de grâce.

Nous nous sommes borné à adresser à M. Deschanel la lettre suivante :



Monsieur,

Vous avez publié deux articles dans le Journal des Débats des 15 et 29 novembre dernier, dans lesquels vous appréciez le Spiritisme à votre point de vue. Le ridicule que vous jetez sur cette doctrine, sur moi par contrecoup, et sur tous ceux qui la professent, m'autorisait à vous adresser une réfutation que j'aurais pu vous prier d'insérer ; je ne l'ai pas fait, parce que, quelque étendue que j'y eusse donnée, elle eût toujours été insuffisante pour les personnes étrangères à cette science, et elle eût été inutile pour celles qui la connaissent. La conviction ne peut s'acquérir que par une étude sérieuse, faite sans prévention, sans idées préconçues et par des observations nombreuses, faites avec la patience et la persévérance de quiconque veut réellement savoir et comprendre. Il m'aurait donc fallu faire à vos lecteurs un véritable cours qui eût dépassé les bornes d'un article ; mais, comme je vous crois trop homme d'honneur pour vouloir attaquer sans admettre la défense, je me bornerai à leur dire, par cette simple lettre, que je vous prie de vouloir bien publier dans le même journal, qu'ils trouveront, soit dans le Livre des Esprits, soit dans le Livre des Médiums, que je viens de publier chez MM. Didier et Cie, une réponse suffisante, à mon avis ; je laisse à leur jugement le soin de mettre en parallèle vos arguments et les miens. Ceux qui voudraient, au préalable, en avoir une idée succincte et à peu de frais, pourront lire la petite brochure intitulée : Qu'est-ce que le Spiritisme ? et qui ne coûte que 60 centimes, ainsi que la Lettre d'un catholique sur le Spiritisme par M. le docteur Grand, ancien vice-consul de France. Ils trouveront encore quelques réflexions sur votre article dans le n° du mois de mars de la Revue Spirite que je publie.

Toutefois, il est un point que je ne saurais passer sous silence ; c'est le passage de votre article où vous dites que le Spiritisme est fondé sur le plus grossier matérialisme. Je mets de côté les expressions offensantes et peu parlementaires auxquelles j'ai l'habitude de ne prêter aucune attention, et je me borne à dire que ce passage contient une erreur, je ne dirai pas grossière, le mot serait incivil, mais capitale, et qu'il m'importe de relever pour l'édification de vos lecteurs. En effet, le Spiritisme a pour base essentielle, et sans laquelle il n'aurait aucune raison d'être, l'existence de Dieu, celle de l'âme, son immortalité, les peines et les récompenses futures ; or, ces points sont la négation la plus absolue du matérialisme, qui n'en admet aucun. La doctrine Spirite ne se borne pas à les affirmer, elle ne les admet pas à priori, elle en est la démonstration patente ; c'est pourquoi elle a déjà ramené un si grand nombre d'incrédules qui avaient abjuré tout sentiment religieux.

Elle peut n'être pas spirituelle, mais à coup sûr, elle est essentiellement spiritualiste, c'est-à-dire contraire au matérialisme, car on ne concevrait pas une doctrine de l'âme immortelle, fondée sur la non-existence de l'âme. Ce qui conduit tant de gens à l'incrédulité absolue, c'est la manière dont l'âme et son avenir sont présentés ; je vois tous les jours des gens me dire : « Si dès mon enfance on m'avait enseigné ces choses comme vous le faites, je n'aurais jamais été incrédule, parce qu'à présent je comprends, et qu'avant je ne comprenais pas ; » aussi ai-je tous les jours la preuve qu'il suffit d'exposer cette doctrine pour lui conquérir de nombreux partisans.

Agréez, etc.



[1] A l'Univers : mai et juillet 1859 ; à M. Oscar Comettant : décembre 1859 ; à la Gazette de Lyon : octobre 1860 ; à M. Louis Figuier : septembre et décembre 1860 ; à la Bibliographie catholique : janvier 1861.


[2] Voy. la Revue Spirite, juin 1859.



La tête de Garibaldi

Le Siècle du 4 février contient une lettre du docteur Riboli qui est allé à Caprera examiner la tête de Garibaldi au point de vue phrénologique. Il n'entre pas dans notre cadre d'apprécier le jugement du docteur, et encore moins le personnage politique ; mais la lecture de cette lettre nous a fourni quelques réflexions qui trouvent naturellement ici leur place.

Le docteur Riboli trouve que l'organisation cérébrale de Garibaldi correspond parfaitement à toutes les éminentes facultés morales et intellectuelles qui le distinguent, et il ajoute :

« Vous pourrez sourire de mon fanatisme, mais je puis vous assurer que ce moment passé à examiner cette tête remarquable est le plus heureux de ma vie ; j'ai vu, mon cher ami, j'ai vu ce grand homme se prêter comme un enfant à tout ce que je lui demandais ; cette tête qui porte tout un monde, je l'ai tenue entre mes mains pendant plus de vingt minutes, sentant à tout instant saillir sous mes doigts les inégalités et les contrastes de son génie…

« Garibaldi a 1 mètre 64 centimètres de hauteur. J'ai mesuré toutes les proportions, la largeur des épaules, la longueur des bras et des jambes, l'épaisseur de la taille ; c'est en un mot l'homme bien proportionné, fort et d'un tempérament nerveux sanguin.

« Le volume de la tête est remarquable ; la phénoménalité principale est la hauteur du crâne mesurée de l'oreille au sommet de la tête, qui est de 20 centimètres. Cette prédominance particulière de toute la partie supérieure de la tête dénote au premier coup d'œil, et sans examen préalable, une organisation exceptionnelle ; le développement du crâne dans sa partie supérieure, siège des sentiments, indique la prépondérance de toutes les facultés nobles sur les instincts. Bref, la craniologie de la tête de Garibaldi, après examen, présente une phénoménalité originale des plus rares, on peut dire sans précédent : l'harmonie de tous les organes parfaite ; et la résultante mathématique de leur assemblage, présente au premier chef :

- l'abnégation avant tout et partout ;

- la prudence et le sang-froid ;

- l'austérité naturelle des mœurs ;

- la méditation presque perpétuelle ;

- l'éloquence grave et exacte ;

- la loyauté dominante ;

- sa déférence incroyable avec ses amis au point d'en souffrir ;

- sa perceptibilité à l'égard des hommes qui l'entourent est surtout dominante.

« En un mot, mon cher, sans vous ennuyer de toutes les comparaisons, de tous les contrastes de causalité, d'habitativité, de constructivité, de destructivité[1], c'est une tête merveilleuse, organique, sans défaillances, que la science étudiera et prendra pour modèle, etc. »

Toute la lettre est écrite avec un enthousiasme qui dénote la plus profonde et la plus sincère admiration pour le héros italien. Cependant, nous voulons bien croire que les observations de l'auteur n'ont été influencées par aucune idée préconçue ; mais ce n'est pas ce dont il s'agit : nous acceptons ses données phrénologiques comme exactes, et ne le fussent-elles pas, Garibaldi n'en serait ni plus ni moins ce qu'il est. On sait que les disciples de Gall forment deux écoles : celle des matérialistes et celle des spiritualistes. Les premiers attribuent les facultés aux organes ; pour eux les organes sont la cause, les facultés sont le produit ; d'où il suit qu'en dehors des organes il n'y a pas de facultés, autrement dit, que quand l'homme est mort, tout est mort. Les seconds admettent l'indépendance des facultés ; les facultés sont la cause, le développement des organes est un effet ; d'où il suit que la destruction des organes n'entraîne pas l'anéantissement des facultés. Nous ne savons à laquelle de ces deux écoles appartient l'auteur de la lettre, car son opinion ne se révèle par aucun mot ; mais nous supposons un instant que les observations ci-dessus aient été faites par un phrénologue matérialiste, et nous demandons quelle impression il devait ressentir à l'idée que cette tête, qui porte tout un monde, ne doit son génie qu'au hasard ou au caprice de la nature qui lui aurait donné une plus grande masse cérébrale dans un endroit plutôt que dans un autre ; or, comme le hasard est aveugle, et n'a pas de dessein prémédité, il pouvait tout aussi bien augmenter le volume d'une autre circonvolution du cerveau, et donner ainsi, sans le vouloir, un tout autre cours à ses inclinations. Ce raisonnement s'applique nécessairement à tous les hommes transcendants, à quelque titre que ce soit. Où serait leur mérite s'il ne tenait qu'au déplacement d'un petit morceau de substance cérébrale ? Si un simple caprice de la nature peut, au lieu d'un grand homme, faire un homme vulgaire, au lieu d'un homme de bien faire un scélérat ?

Ce n'est pas tout. En considérant cette tête puissante aujourd'hui, n'y a-t-il pas quelque chose de terrible à penser que demain peut-être, de ce génie il ne restera rien, absolument rien qu'une matière inerte qui sera la pâture des vers ? Sans parler des funestes conséquences d'un pareil système, s'il était accrédité, nous dirons qu'il fourmille de contradictions inexplicables, et que les faits le démontrent à chaque pas. Tout s'explique au contraire par le système spiritualiste : les facultés ne sont pas le produit des organes, mais les attributs de l'âme dont les organes ne sont que les instruments servant à leur manifestation. La faculté étant indépendante, son activité pousse au développement de l'organe, comme l'exercice d'un muscle en augmente le volume. L'être pensant est l'être principal dont le corps n'est qu'un accessoire destructible. Le talent alors est un mérite réel, parce qu'il est le fruit du travail, et non le résultat d'une matière plus ou moins abondante. Avec le système matérialiste, le travail à l'aide duquel on acquiert le talent, est entièrement perdu à la mort, qui souvent ne laisse pas le temps d'en jouir ; avec l'âme, le travail a sa raison d'être, parce que tout ce que l'âme acquiert sert à son développement ; on travaille pour un être immortel, et non pour un corps qui n'a peut-être que quelques heures à vivre.

Mais, dira-t-on, le génie ne s'acquiert pas : il est inné ; c'est vrai ; mais aussi pourquoi deux hommes nés dans les mêmes conditions sont-ils si disparates au point de vue intellectuel ? Pourquoi Dieu aurait-il favorisé l'un plus que l'autre ? Pourquoi aurait-il donné à l'un les moyens de progresser qu'il aurait refusés à l'autre ? Quel est le système philosophique qui a résolu ce problème ? La doctrine de la préexistence de l'âme peut seule l'expliquer : l'homme de génie a déjà vécu, il a de l'acquis, de l'expérience, et à ce titre il a plus de droits à nos respects que s'il tenait sa supériorité d'une faveur non justifiée de la Providence, ou du caprice de la nature. Nous aimons à croire que le docteur Riboli a vu dans la tête de celui qu'il ne touchait, pour ainsi dire, qu'avec une crainte respectueuse, quelque chose de plus digne de sa vénération qu'une masse de chair, et qu'il ne l'a pas rabaissée au rôle d'une mécanique organisée. On se rappelle ce chiffonnier philosophe qui, regardant un chien mort au coin d'une borne, se disait à part lui : Ce que c'est que de nous ! Eh bien ! vous tous qui niez l'existence future, voilà à quoi vous nous réduisez les plus grands génies.

Nous renvoyons pour plus de détails sur la question de la phrénologie et de la physiognomonie à l'article publié dans la Revue Spirite du mois de juillet 1860, page 198.



[1] En voilà des néologismes, qui pourtant ne sont pas plus des barbarismes que le spiritisme et le périsprit.



Assassinat de M. Poinsot

Le mystère qui environne encore ce déplorable événement a fait naître chez beaucoup de personnes la pensée qu'en évoquant l'Esprit de la victime on pourrait arriver à connaître la vérité. De nombreuses lettres nous ont été écrites à ce sujet, et comme la question repose sur un principe d'une certaine gravité, nous croyons utile de faire connaître la réponse à tous nos lecteurs.

Ne faisant jamais du Spiritisme un objet de curiosité, nous n'avions point songé à évoquer M. Poinsot ; néanmoins, à la prière instante d'un de nos correspondants qui avait eu une communication de lui, soi-disant, et désirait savoir par nous si elle était authentique, nous essayâmes de le faire il y a quelques jours. Selon notre habitude, nous demandâmes à notre guide spirituel si cette évocation était possible et si c'était bien lui qui s'était manifesté à notre correspondant. Voici les réponses que nous avons obtenues :

« M. Poinsot ne peut répondre à votre appel ; il ne s'est encore communiqué à personne : Dieu le lui défend pour le moment. »

1. Peut-on en savoir le motif ? - R. Oui : parce que des révélations de ce genre influenceraient la conscience des juges qui doivent agir en toute liberté.

2. Cependant ces révélations, en éclairant les juges, pourraient quelquefois leur épargner des erreurs regrettables, et même irréparables. - R. Ce n'est pas par ce moyen qu'ils doivent être éclairés ; Dieu veut leur laisser l'entière responsabilité de leurs jugements, comme il laisse à chaque homme la responsabilité de ses actes ; il ne veut pas plus leur épargner la peine des recherches qu'il ne veut leur ôter le mérite de les avoir faites.

3. Mais, faute de renseignements suffisants, un coupable peut échapper à la justice ? - R. Croyez-vous qu'il échappe à la justice de Dieu ? S'il doit être frappé par la justice des hommes, Dieu saura bien le faire tomber sous leurs mains.

4. Soit, pour le coupable ; mais si un innocent était condamné, ne serait-ce pas un grand mal ? - R. « Dieu juge en dernier ressort, et l'innocent condamné injustement par les hommes aura sa réhabilitation. Cette condamnation, d'ailleurs, peut être pour lui une épreuve utile à son avancement ; mais quelquefois aussi elle peut être la juste punition d'un crime auquel il aura échappé dans une autre existence.

« Rappelez-vous que les Esprits ont pour mission de vous instruire dans la voie du bien, et non de vous aplanir la voie terrestre laissée à l'activité de votre intelligence ; c'est en vous écartant du but providentiel du Spiritisme que vous vous exposez à être trompés par la tourbe des Esprits menteurs qui s'agitent sans cesse autour de vous. »

Après la première réponse, les assistants discutaient sur les motifs de cette interdiction, et, comme pour justifier le principe, un Esprit fait écrire au Médium : Je vais l'amener… le voici ; puis un peu après : « Que vous êtes aimables de vouloir bien causer avec moi ; cela m'est d'autant plus agréable que j'ai beaucoup de choses à vous dire. » Ce langage parut suspect de la part d'un homme tel que M. Poinsot, et en raison surtout de la réponse qui venait d'être faite ; c'est pourquoi on le pria de vouloir bien affirmer son identité au nom de Dieu. Alors l'Esprit écrit : « Mon Dieu, je ne peux pas mentir ; j'aurais cependant bien désiré causer dans une aussi aimable société, mais vous ne voulez pas de moi : adieu. » C'est alors que notre guide spirituel ajouta : « Je vous ai dit que cet Esprit ne peut répondre ce soir ; Dieu lui défend de se manifester ; si vous insistez vous serez trompés. »

Remarque. Il est évident que si les Esprits pouvaient épargner des recherches aux hommes, ceux-ci se donneraient moins de peine pour découvrir la vérité, puisqu'elle leur arriverait toute seule. A ce titre, le plus paresseux pourrait en savoir autant que le plus laborieux, ce qui ne serait pas juste. Ceci est un principe général. Appliqué à l'affaire de M. Poinsot, il n'est pas moins évident que si l'Esprit déclarait un individu innocent ou coupable, et que les juges ne trouvassent pas de preuves suffisantes de l'une ou l'autre affirmation, leur conscience en serait troublée ; que l'opinion publique pourrait s'égarer par d'injustes préventions. L'homme n'étant pas parfait, nous devons en conclure que Dieu sait mieux que lui ce qui doit lui être révélé ou caché. Si une révélation doit être faite par des moyens extra-humains, Dieu sait y donner un cachet d'authenticité capable de lever tous les doutes, témoin le fait suivant :

Dans le voisinage des mines, au Mexique, une ferme avait été incendiée. Dans une réunion où l'on s'occupait de manifestations spirites (il y en a plusieurs dans ce pays, où probablement ne sont pas encore parvenus les articles de M. Deschanel, c'est pourquoi on y est si arriéré) ; dans cette réunion, disons-nous, un Esprit se communiquait par coups frappés ; il dit que le coupable est parmi les assistants ; on en doute d'abord, et l'on croit à une mystification ; l'Esprit insiste et désigne un des individus présents ; on s'étonne ; celui-ci fait bonne contenance, mais l'Esprit semble s'acharner après lui, et fait si bien qu'on arrête l'homme qui, pressé de questions, finit par avouer son crime. Les coupables, comme on le voit, ne doivent pas trop se fier à la discrétion des Esprits qui, souvent, sont les instruments dont Dieu se sert pour les châtier. Comment M. Figuier expliquerait-il ce fait ? Est-ce l'intuition, l'hypnotisme, la biologie, la surexcitation du cerveau, la concentration de la pensée, l'hallucination, qu'il admet sans croire à l'indépendance de l'Esprit et de la matière ? Arrangez donc tout cela si vous le pouvez ; sa solution elle-même est un problème, et il devrait bien donner sa solution de sa solution. Mais pourquoi un Esprit ne ferait-il pas connaître l'assassin de M. Poinsot, comme il l'a fait pour cet incendiaire ? Demandez donc à Dieu compte de ses actions ; demandez-le à M. Figuier, qui croit en savoir plus que lui.



Entretiens familiers d'outre-tombe

Madame Bertrand (Haute Saône.)

Décédée le 7 février 1861, évoquée dans la Société Spirite de Paris, le 15 du même mois.

Nota. Madame Bertrand avait fait une étude sérieuse du Spiritisme dont elle professait la doctrine, et dont elle comprenait toute la portée philosophique.

1. Évocation. - R. Je suis là.

2. Votre correspondance nous ayant appris à vous apprécier, et connaissant votre sympathie pour la Société, nous avons pensé que vous ne nous sauriez pas mauvais gré de vous avoir appelée sitôt. - R. Vous voyez que je suis là.

3. Un autre motif me détermine personnellement à le faire : je compte écrire à mademoiselle votre fille au sujet de l'événement qui vient de la frapper, et je suis sûr qu'elle sera heureuse de connaître le résultat de notre entretien. - R. Certainement ; elle l'attend, car je lui avais promis de me révéler aussitôt qu'une évocation me serait adressée.

4. Éclairée comme vous l'étiez sur le Spiritisme, et pénétrée des principes de cette doctrine, vos réponses seront pour nous doublement instructives.

Veuillez d'abord nous dire si vous avez beaucoup tardé à vous reconnaître, et si vous avez déjà recouvré la pleine jouissance de vos facultés ? - R. La pleine jouissance de mes anciennes facultés, oui ; la pleine jouissance de mes nouvelles facultés, non.

5. L'usage est de demander aux vivants comment ils se portent ; mais aux Esprits on leur demande s'ils sont heureux ; c'est avec un profond sentiment de sympathie que nous vous adressons cette dernière question. - R. Merci, mes amis. Je ne suis pas encore heureuse dans le sens spiritualiste du mot ; mais je suis heureuse par le renouvellement de mon être ravi en extase ; par la vue des choses qui nous sont révélées, mais que nous comprenons encore imparfaitement, tout bon médium ou Spirite que nous soyons.

6. De votre vivant vous vous étiez fait une idée du monde Spirite par l'étude de la doctrine ; veuillez nous dire si vous avez trouvé les choses telles que vous vous les étiez représentées ? - R. A peu près, comme nous voyons les objets dans l'incertitude de demi-ténèbres ; mais combien sont-elles différentes lorsque le jour éclatant les révèle !

7. Ainsi le tableau qui nous est fait de la vie Spirite n'a rien d'exagéré, rien d'illusoire ! - R. Il est amoindri par votre esprit qui ne peut comprendre les choses divines qu'adoucies et voilées ; nous agissons avec vous comme vous le faites avec les enfants auxquels vous ne montrez qu'une partie des choses disposées pour leur entendement.

8. Avez-vous été témoin de l'instant de la mort de votre corps ? - R. Mon corps, épuisé par de longues souffrances, n'a pas eu à subir une grande lutte ; mon âme s'est détachée de lui comme le fruit mûr tombe de l'arbre. L'anéantissement complet de mon être m'a empêchée de sentir la dernière angoisse de l'agonie.

9. Pourriez-vous nous décrire vos sensations au moment du réveil ? - R. Il n'y a pas de réveil, ou plutôt il m'a semblé qu'il y avait continuation ; comme après une courte absence on rentre chez soi, il m'a semblé que quelques minutes me séparaient à peine de ce que je venais de quitter. Errante autour de mon lit, je me voyais étendue, transfigurée, et je ne pouvais m'éloigner, retenue que j'étais, ou du moins à ce qu'il me semblait, par un dernier lien à cette enveloppe corporelle qui m'avait tant fait souffrir.

10. Avez-vous immédiatement vu d'autres Esprits vous entourer ? - R. Aussitôt ils sont venus me recevoir. J'ai alors détourné ma pensée du moi terrestre, et le moi spirituel transporté s'est abîmé dans la délicieuse jouissance des choses nouvelles et connues que je retrouvais.

11. Étiez-vous parmi les membres de votre famille pendant la cérémonie funèbre ? - R. J'ai vu enlever mon corps, mais je me suis détournée aussitôt ; le Spiritisme dématérialise par avance, et rend plus soudain le passage du monde terrestre au monde spirituel. Je n'avais emporté de ma migration sur la terre ni vains regrets ni curiosité puérile.

12. Avez-vous quelque chose de particulier à dire à mademoiselle votre fille qui partageait vos croyances, et m'a écrit plusieurs fois en votre nom ? - R. Je lui recommande de donner à ses études un caractère plus sérieux ; je lui recommande de transformer la douleur stérile en souvenir pieux et fécond ; qu'elle n'oublie pas que la vie se poursuit sans interruption, et que les frivoles intérêts du monde pâlissent devant le grand mot : Éternité ! D'ailleurs mon souvenir personnel, tendre et intime, lui sera transmis bientôt.

13. Au mois de janvier je vous ai adressé une carte de visite-portrait ; comme vous ne m'avez jamais vu, veuillez nous dire si vous me reconnaissez. - R. Mais je ne vous reconnais pas ; je vous vois.

N'avez-vous pas reçu cette carte ? - R. Je ne me la rappelle pas.

14. J'aurais plusieurs questions importantes à vous adresser sur les faits extraordinaires qui se sont passés dans votre demeure, et dont vous nous avez entretenus ; je pense que vous pourrez nous donner à ce sujet d'intéressantes explications ; mais l'heure avancée et la fatigue du médium m'engagent à les ajourner ; je me borne à quelques demandes pour terminer.

Quoique votre mort soit récente, avez-vous déjà quitté la terre ? avez-vous parcouru les espaces et visité d'autres mondes ? - R. Le mot visiter ne répond pas au mouvement aussi rapide que l'est la parole qui nous fait, aussi vite que la pensée, découvrir les sites nouveaux. La distance n'est qu'un mot, comme le temps n'est qu'une même heure pour nous.

15. En préparant les questions que l'on se propose d'adresser à un Esprit, c'est généralement une évocation anticipée ; veuillez nous dire si, par là, vous étiez prévenue de notre intention, et si vous étiez près de moi hier pendant que je préparais les questions ? - R. Oui, je savais tout ce que vous me diriez aujourd'hui, et je répondrai avec développement aux questions que vous réservez.

16. De votre vivant nous aurions été très heureux de vous voir parmi nous, mais puisque cela n'a pas pu avoir lieu, nous sommes également heureux de vous avoir en Esprit, et nous vous remercions de votre empressement à répondre à notre appel. - R. Mes amis, je suivais vos études avec intérêt, et maintenant que je puis en Esprit habiter parmi vous, je vous donne le conseil de vous attacher à l'Esprit plus qu'à la lettre.

Adieu.



La lettre suivante nous a été adressée au sujet de cette évocation :

Monsieur,

C'est avec un sentiment de profonde reconnaissance que je viens vous remercier, au nom de mon père et au mien, d'avoir devancé notre désir de recevoir par vous des nouvelles de celle que nous pleurons.

Les nombreuses épreuves morales et physiques que ma chère et bonne mère a eu à subir pendant son existence, sa patience à les supporter, son dévouement, sa complète abnégation d'elle-même, me faisaient espérer qu'elle était heureuse ; mais l'assurance que vous venez de nous en donner, Monsieur, est une grande consolation pour nous qui l'aimions tant, et voulons son bonheur avant le nôtre.

Ma mère était l'âme de la maison, Monsieur ; je n'ai pas besoin de vous dire quel vide son absence y fait ; nous souffrons de ne plus la voir, plus que je ne saurais l'exprimer, et pourtant nous éprouvons une certaine quiétude de ne plus la sentir dans les atroces douleurs qu'elle a éprouvées. Ma pauvre mère était une martyre ; elle doit avoir une belle récompense pour la patience et la douceur avec lesquelles elle a enduré toutes ses angoisses ; sa vie n'a été qu'une longue torture d'esprit et de corps. Ses sentiments élevés, sa foi dans une autre existence l'ont soutenue ; elle avait comme un pressentiment et un souvenir voilé du monde des Esprits ; souvent je la voyais, regardant en pitié les choses de notre planète, me dire : Rien d'ici-bas ne peut me suffire ; j'ai la nostalgie d'un autre monde.

Dans les réponses que ma chère et adorée mère vous a faites, Monsieur, nous avons parfaitement reconnu sa manière de penser et de s'exprimer ; elle aimait à se servir de figures. Seulement je suis étonnée qu'elle ne se soit pas souvenue de l'envoi de votre carte-portrait qui lui avait fait un si grand et si vif plaisir ; je devais vous en remercier de sa part ; mes nombreuses occupations, pendant les derniers temps de la maladie de ma vénérée mère, ne m'ont pas permis de le faire ; je crois que, plus tard, elle se souviendra mieux ; pour le moment elle est enivrée des splendeurs de sa nouvelle vie ; l'existence qu'elle vient d'achever ne lui apparaît que comme un rêve pénible déjà bien loin d'elle. Nous espérons aussi, mon père et moi, qu'elle viendra nous dire quelques paroles d'affection dont nous avons bien besoin. Serait-ce une indiscrétion, Monsieur, de vous prier, quand ma bonne mère vous parlera de nous, de nous en faire part ? vous nous avez fait tant de bien en venant nous parler d'elle, en venant nous dire de sa part qu'elle ne souffre plus ! Ah ! merci encore, Monsieur ! je prie Dieu de cœur et d'âme qu'il vous en récompense. En me quittant, ma mère chérie me prive de la meilleure des mères, de la plus tendre des amies ; il me faut la certitude de la savoir heureuse, et ma croyance dans le Spiritisme pour me donner un peu de force. Dieu m'a soutenue ; mon courage a été plus grand que je ne l'espérais.

Recevez, etc.

Remarque. Que les incrédules rient tant qu'ils voudront du Spiritisme ; que ses adversaires plus ou moins intéressés le tournent en ridicule, qu'ils l'anathématisent même, cela ne lui ôtera pas cette puissance consolatrice qui fait la joie du malheureux, et qui le fait triompher du mauvais vouloir des indifférents en dépit de leurs efforts pour l'abattre. Les hommes ont soif de bonheur ; quand ils ne le trouvent pas sur la terre, n'est-ce pas un grand soulagement d'avoir la certitude de le trouver dans une autre vie si l'on fait ce qu'il faut pour le mériter. Qui donc leur offre plus d'adoucissements aux maux de la terre ? Est-ce le matérialisme, avec l'horrible expectative du néant ? Est-ce la perspective des flammes éternelles, auxquelles n'échappe pas un sur des millions ? Ne vous y trompez pas, cette perspective est encore plus horrible que celle du néant, et voilà pourquoi ceux dont la raison se refuse à l'admettre sont portés au matérialisme ; quand on présentera aux hommes l'avenir d'une manière rationnelle, il n'y aura plus de matérialistes. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir les idées spirites accueillies avec tant d'empressement par les masses, parce que ces idées relèvent le courage au lieu de l'abattre. L'exemple du bonheur est contagieux ; quand tous les hommes verront autour d'eux des gens heureux par le Spiritisme, ils se jetteront dans les bras du Spiritisme comme sur une planche de salut, car ils préféreront toujours une doctrine qui sourit et parle à la raison à celles qui épouvantent. L'exemple que nous venons de citer n'est pas le seul de ce genre, c'est par milliers qu'ils s'offrent à nous, et la plus grande joie que Dieu nous ait réservée ici-bas c'est d'être témoin des bienfaits et des progrès d'une croyance que nos efforts tendent à répandre. Les gens de bonne volonté, ceux qui viennent y puiser des consolations sont si nombreux que nous ne saurions leur dérober notre temps, en nous occupant des indifférents qui n'ont aucun désir de se convaincre. Ceux qui viennent à nous suffisent pour l'absorber, c'est pourquoi nous n'allons au-devant de personne ; c'est pourquoi aussi nous ne le perdons pas à glaner dans les champs stériles ; le tour des autres viendra quand il plaira à Dieu de lever le voile qui les aveugle, et ce temps viendra plus tôt qu'ils ne le pensent, pour la gloire des uns, et pour la honte des autres.


Mademoiselle Pauline M… (Envoi de M. Pichon, médium de Sens.)

1. Évocation. - R. Je suis là, mes bons amis.

2. Vos parents nous ont priés de vous demander si vous êtes plus heureuse que pendant votre existence terrestre ; auriez-vous l'obligeance de nous le dire ? - R. Oh ! oui ; je suis plus heureuse qu'eux.

3. Assistez-vous souvent votre mère ? - R. Je ne la quitte presque pas ; mais elle ne peut comprendre tous les encouragements que je lui donne, sans cela elle ne serait pas aussi mal. Elle me pleure et je suis heureuse ! Dieu m'a rappelée à lui : c'est une faveur ; si toutes les mères étaient bien pénétrées des lumières du Spiritisme, quelles consolations pour elles ! Dites bien à ma pauvre mère qu'elle se résigne, car sans cela elle s'éloignerait de sa fille chérie. Toute personne qui n'est pas docile aux épreuves que lui envoie son Créateur manque le but de ses épreuves. Qu'elle comprenne bien ceci, car elle ne me reverrait pas de sitôt. Elle m'a perdue matériellement, mais elle me retrouvera spirituellement. Qu'elle se dépêche donc de se rétablir pour assister à vos séances ; c'est alors que je pourrai mieux la consoler ; je serai plus heureuse moi-même.

4. Pourriez-vous vous manifester à elle d'une manière plus particulière ? pourrait-elle vous servir de médium ? Elle recevrait ainsi plus de consolations que par notre entremise. - R. Qu'elle prenne un crayon, comme vous le faites, et j'essaierai de lui dire quelque chose. Ceci nous est bien difficile quand nous ne trouvons pas les dispositions voulues pour cela.

5. Pourriez-vous nous dire pourquoi Dieu vous a retirée si jeune du sein de votre famille dont vous faisiez la joie et la consolation ? - R. Relisez.

6. Voudriez-vous nous dire ce que vous avez ressenti à l'instant de votre mort ? - R. Un trouble ; je ne croyais pas être morte. Cela m'a fait tant de peine de quitter ma bonne mère ! Je ne me reconnaissais pas ; mais quand j'ai compris ce n'a plus été la même chose.

7. Êtes-vous maintenant complètement dématérialisée ? - R. Oui.

8. Pourriez-vous nous dire combien de temps vous êtes restée dans le trouble ? - R. J'y suis restée six de vos semaines.

9. A quel endroit étiez-vous lorsque vous vous êtes reconnue ? - R. Vers mon corps ; j'ai vu le cimetière et j'ai compris.

Mère ! je suis toujours à tes côtés ; je te vois, je te comprends beaucoup mieux que quand j'avais mon corps. Cesse donc de t'attrister, puisque tu n'as perdu que le pauvre corps que tu m'avais donné. Ta fille est toujours là ; ne pleure plus ; réjouis-toi au contraire, c'est le seul moyen de te faire du bien et à moi aussi. Nous nous comprendrons mieux ; je te dirai de bien douces choses ; Dieu me le permettra ; nous le prierons ensemble. Tu viendras parmi ces hommes qui travaillent pour le bien de l'humanité ; tu prendras part à leurs travaux ; je t'aiderai : cela servira à notre avancement à toutes les deux.

Ta fille qui t'aime,

Pauline.

P. S. Vous donnerez ceci à ma mère ; je vous en serai reconnaissante.

10. Pensez-vous que la convalescence de votre mère soit encore longue ? - R. Cela dépendra des consolations qu'elle recevra et de sa résignation.

11. Vous rappelez-vous toutes vos incarnations ? - R. Non, pas toutes.

12. L'avant-dernière a-t-elle eu lieu sur la terre ? - R. Oui ; j'étais dans une grande maison de commerce.

13. A quelle époque était-ce ? - R. Sous le règne de Louis XIV ; au commencement.

14. Vous rappelez-vous quelques-uns des personnages de ce temps-là ? - R. J'ai connu M. le duc d'Orléans, car il se fournissait chez nous. J'ai bien connu aussi Mazarin et une partie de sa famille.

15. Votre dernière existence a-t-elle beaucoup servi à votre avancement comme Esprit ? - R. Elle n'a pu me servir beaucoup, puisque je n'y ai subi aucune épreuve ; elle a été pour mes parents, plutôt que pour moi, un sujet d'épreuves.

16. Et votre avant-dernière existence, vous a-t-elle été plus profitable ? - R. Oui, car j'y ai été bien éprouvée. Des revers de fortune ; la mort de toutes les personnes qui m'étaient chères ; je suis restée seule ; mais, confiante en mon Créateur, j'ai supporté tout cela avec résignation. Dites à ma mère qu'elle fasse comme j'ai fait. Que celui qui leur portera mes consolations serre la main pour moi à tous mes bons parents ! Adieu.

Henri Murger

Nota. Dans une séance spirite intime qui avait lien chez un de nos collègues de la Société, le 6 février 1861, le médium écrivit spontanément ce qui suit :

Plus grand est l'espace des cieux, plus grande est l'atmosphère, plus belles sont les fleurs, plus doux sont les fruits, et les aspirations sont remplies au-delà même de l'illusion. Salut, nouvelle patrie ! Salut, nouveau séjour ! Salut, bonheur, amour ! Que notre courte station sur la terre est pâle, et que celui qui a poussé le soupir de soulagement doit se trouver heureux d'avoir quitté le Tartare pour le ciel ! Salut, vraie bohème ! Salut, vraie insouciance ! Salut, rêves réalisés ! je me suis endormi gai, parce que je savais me réveiller heureux. Ah ! merci à mes amis de leur doux souvenir !

H. Murger.

Les questions et les réponses suivantes ont été faites à la Société le 8 février :

1. Mercredi vous êtes venu spontanément vous communiquer chez un de nos collègues, et vous y avez dicté une charmante page ; cependant il ne s'y trouvait personne qui vous connût particulièrement ; veuillez nous dire, je vous prie, ce qui nous a procuré l'honneur de votre visite ? - R. Je suis venu faire acte de vie pour être évoqué aujourd'hui.

2. Étiez-vous porté aux idées spirites ? - R. Entre les deux ; je pressentais, puis je me laissais facilement aller à mes inspirations.

3. Il paraît que le trouble a duré peu de temps chez vous, puisque vous vous exprimez si promptement, avec autant de facilité et de clarté ? - R. Je suis mort dans la parfaite connaissance de moi-même, et par conséquent je n'ai eu qu'à ouvrir les yeux de l'Esprit aussitôt que les yeux de la chair ont été fermés.

4. Cette dictée peut être considérée comme un récit de vos premières impressions dans le monde où vous êtes maintenant ; voudriez-vous nous décrire avec plus de précision ce qui s'est passé en vous depuis l'instant où votre âme a quitté votre corps ? - R. La joie m'a inondé ; j'ai revu de chers visages que je croyais perdus à jamais. A peine dématérialisé, je n'ai encore eu que des sensations quasi terrestres.

5. Voudriez-vous nous donner une appréciation, à votre point de vue actuel, de votre principal ouvrage : La Vie de Bohème ? - R. Comment voulez-vous qu'ébloui, comme je le suis, des splendeurs inconnues de la résurrection, je fasse un retour sur cette pauvre œuvre, pâle reflet d'une jeunesse souffrante ?

6. Un de vos amis, M. Théodore Pelloquet, a publié dans le Siècle du 6 de ce mois un article bibliographique sur vous. Voudriez-vous lui adresser quelques paroles, ainsi qu'à vos autres amis et confrères en littérature, et parmi lesquels il doit s'en trouver d'assez peu croyants sur la vie future ? - R. Je leur dirai que le succès présent est semblable à l'or changé en feuilles sèches ; ce que nous croyons, ce que nous espérons, nous autres glaneurs affamés du champ parisien, c'est le succès, toujours le succès, et jamais nos yeux ne s'élèvent vers le ciel pour penser à celui qui juge en dernier ressort nos œuvres. Mes paroles les changeront-elles ? Non ; entraînés par la vie brûlante qui consume croyance et jeunesse, ils écouteront distraits et passeront oublieux.

7. Voyez-vous ici Gérard de Nerval qui vient de nous parler de vous ? - Je le vois, et Musset, et l'aimable, la grande Delphine ; je les vois tous ; ils m'aident, ils m'encouragent ; ils m'apprennent à parler.

Remarque. Cette question est motivée par la communication suivante qu'un des médiums de la Société avait écrite spontanément au commencement de la séance.

Un frère est arrivé parmi nous, heureux et dispos ; il remercie le ciel, comme vous l'avez entendu tout à l'heure, de sa délivrance un peu tardive. Au loin ! maintenant la tristesse, les larmes et le rire amer, car nous le voyons bien à présent, le rire n'est jamais franc parmi vous ; ce qu'il y a de lamentable et de vraiment pénible sur la terre, c'est qu'il faut rire ; il faut rire forcément et d'un rien, surtout d'un rien en France, quand on serait disposé à rêver solitairement. Ce qu'il y a d'affreux pour le cœur qui a beaucoup espéré, c'est la désillusion, ce squelette hideux dont on veut palper en vain les contours : la main inquiète et tremblante ne rencontre que les os. O horreur ! pour celui qui a cru à l'amour, à la religion, à la famille, à l'amitié ; ceux qui peuvent regarder en face impunément ce masque horrible qui pétrifie, ah ! ceux-là vivent, quoique pétrifiés ; mais ceux qui chantent en bohémiens, ah ! ceux-là meurent bien vite : ils ont vu la tête de Méduse ; mon frère Murger était de ces derniers.

Vous le voyez, amis, désormais nous ne vivons plus seulement dans nos œuvres, et nous serons aussitôt votre appel près de vous. Loin d'être fiers de cet air de bonheur qui nous entoure, nous viendrons à vous comme si nous étions encore sur la terre, et Murger chantera encore.

Gérard de Nerval.

L'Esprit et les roses (Envoi de Madame de B… de la Nouvelle-Orléans.)

Emma D…, jeune et jolie petite fille, morte à l'âge de 7 ans, après 6 mois de souffrances, ne mangeant presque plus six semaines avant sa mort.

1. Évocation. - R. Je suis là, madame, que voulez-vous ?

2. Savoir où vous êtes ; si vous êtes heureuse, et pourquoi Dieu a infligé à votre charmante mère et à vos sœurs un si grand chagrin que celui de vous perdre ? - R. Je suis au milieu de bons Esprits, qui m'aiment et m'instruisent ; je suis heureuse, bien heureuse ; mon passage chez vous n'était qu'un reste d'épreuve physique ; j'ai souffert, mais cette souffrance n'était rien ; elle épurait mon âme en même temps qu'elle saccageait mon pauvre corps. Maintenant, j'apprends la vie de l'âme ; je suis réincarnée, mais en Esprit conservateur ; je suis dans un monde où nul de nous ne séjourne que pendant la durée des enseignements qui nous sont donnés par les Grands Esprits. En dehors de cela, je voyage, prévenant les malheurs, éloignant les tentations ; je suis souvent par ici : il y a tant de pauvres nègres ; je les ai toujours plaints, mais maintenant je les aime. Oui, je les aime, pauvres âmes ! Parmi eux, il y en a beaucoup de bons, de meilleurs que leurs maîtres ; et même ceux qui sont paresseux, il faut les plaindre.

Ma mère chérie, je vais souvent près d'elle ; et quand elle sent son cœur raffermi, c'est moi qui lui ai versé le baume divin ; mais il faut qu'elle souffre, hélas ! mais, plus tard, tout sera oublié ; et Lucie, ma bien-aimée Lucie sera avec moi avant tout ; mais les autres viendront ; ce n'est rien que mourir pour être ainsi ; rien : on change de corps, c'est tout. Moi, je n'ai plus ce mal qui me rendait un sujet d'horreur pour chacun ; je suis plus heureuse, et, la nuit, je me penche vers ma mère et je l'embrasse ; elle ne sent rien, mais alors elle rêve de moi, et me voit comme j'étais avant mon affreuse maladie. Vous comprenez, madame, que je suis heureuse.

Je voudrais des roses dans le coin du jardin où j'allais dormir autrefois ; suggérez à Lucie l'idée d'en mettre. J'aimais tant les roses, et je vais si souvent là ! J'ai des roses là-bas ; mais Lucie dort chaque jour dans mon ancien coin, et je viens chaque jour aussi près d'elle ; je l'aime tant !

3. Ma chère enfant, est-ce que je ne pourrais pas vous voir ? - R. Non, pas encore. Vous ne pouvez me voir ; mais regardez le rayon du soleil, là, sur votre table, je vais le traverser. Merci de m'avoir évoquée ; soyez indulgente pour mes sœurs. Adieu.

L'Esprit disparut en faisant ombre un instant sur le rayon de soleil qui continuait. Les roses ayant été mises dans le cher petit coin, trois jours après, le médium écrivant une lettre, le mot merci est venu sous la plume ainsi que la signature de l'enfant, qui lui fit écrire : « Recommence ta lettre ; tant pis ! mais je suis si heureuse d'avoir un médium ! Je reviendrai. Merci pour les roses. Adieu !




Enseignements et dissertations spirites

La loi de Moïse et la loi du Christ (Communication obtenue par M. R… de Mulhouse.)

Un de nos abonnés de Mulhouse nous adresse la lettre et la communication suivantes :

… « Je profite de l'occasion qui se présente de vous écrire, pour vous faire part d'une communication que j'ai reçue, comme médium, de mon Esprit protecteur, et qui me paraît intéressante et instructive à juste titre ; si vous la jugez telle, je vous autorise à en faire l'usage que vous croirez le plus utile. Voilà quel en a été le principe. Je dois d'abord vous dire que je professe le culte israélite, et que je suis naturellement porté aux idées religieuses dans lesquelles j'ai été élevé. J'avais remarqué que, dans toutes les communications faites par les Esprits, il n'était toujours question que de la morale chrétienne prêchée par le Christ, et qu'il n'était jamais parlé de la loi de Moïse. Je me disais cependant que les commandements de Dieu, révélés par Moïse, me paraissaient être le fondement de la morale chrétienne ; que le Christ avait pu en élargir le cadre, en développer les conséquences, mais que le germe était dans la loi dictée au Sinaï. Je me suis demandé alors si la mention, si souvent répétée de la morale du Christ, bien que celle de Moïse n'y fût pas étrangère, ne provenait pas du fait que la plupart des communications reçues émanaient d'Esprits ayant appartenu à la religion dominante, et si elles ne seraient pas un souvenir des idées terrestres. Sous l'empire de ces pensées, j'ai évoqué mon Esprit protecteur, qui fut un de mes proches parents et s'appelait Mardoché R… Voici les questions que je lui ai adressées et les réponses qu'il m'a faites, etc.…

1. Dans toutes les communications qui sont faites à la Société parisienne des études spirites, on cite Jésus comme étant celui qui a enseigné la plus belle morale ; que dois-je en penser ? - R. Oui, c'est le Christ qui a été l'initiateur de la morale la plus pure, la plus sublime ; la morale évangélique chrétienne qui doit rénover le monde, rapprocher les hommes et les rendre tous frères ; la morale qui doit faire jaillir de tous les cœurs humains la charité, l'amour du prochain ; qui doit créer entre tous les hommes une solidarité commune ; une morale enfin qui doit transformer la terre et en faire un séjour pour des Esprits supérieurs à ceux qui l'habitent aujourd'hui. C'est la loi du progrès à laquelle la nature est soumise qui s'accomplit, et le Spiritisme est une des forces vives dont Dieu se sert pour arriver à faire avancer l'humanité dans la voie du progrès moral. Les temps sont arrivés où les idées morales doivent se développer pour accomplir les progrès qui sont dans les desseins de Dieu ; elles doivent suivre la même route que les idées de liberté ont parcourue et dont elles étaient l'avant-coureur. Mais il ne faut pas croire que ce développement se fera sans luttes ; non ; elles ont besoin, pour arriver à maturité, de secousses et de discussions, afin qu'elles attirent l'attention des masses ; mais une fois l'attention fixée, la beauté et la sainteté de la morale frapperont les Esprits, et ils s'attacheront à une science qui leur donne la clef de la vie future et leur ouvre les portes du bonheur éternel.

Dieu est seul et unique, et Moïse est l'Esprit que Dieu a envoyé en mission pour se faire connaître, non seulement aux Hébreux, mais encore aux peuples païens. Le peuple hébreu a été l'instrument dont Dieu s'est servi pour faire sa révélation, par Moïse et par les prophètes, et les vicissitudes de ce peuple si remarquable étaient faites pour frapper les yeux et faire tomber le voile qui cachait aux hommes la Divinité.

2. En quoi donc la morale de Moïse est-elle inférieure à celle du Christ ? - R. En ce que celle de Moïse n'était appropriée qu'à l'état d'avancement dans lequel se trouvaient les peuples qu'elle était appelée à régénérer, et que ces peuples, à demi sauvages quant au perfectionnement de leur âme, n'auraient pas compris qu'on pût adorer Dieu autrement que par des holocaustes, ni qu'il fallût faire grâce à un ennemi. Leur intelligence, remarquable au point de vue de la matière, et même sous celui des arts et des sciences, était très arriérée en moralité, et ne se serait pas convertie sous l'empire d'une religion entièrement spirituelle ; il leur fallait une représentation semi-matérielle, telle que l'offrait alors la religion hébraïque. C'est ainsi que les holocaustes parlaient à leurs sens pendant que l'idée de Dieu parlait à leur esprit.

Les commandements de Dieu donnés par Moïse portent le germe de la morale chrétienne la plus étendue, mais les commentaires de la Bible en rétrécissaient le sens, parce que, mise en œuvre dans toute sa pureté, elle n'eût pas été comprise alors. Mais les dix commandements de Dieu n'en restaient pas moins comme le frontispice brillant, comme le phare qui devait éclairer l'humanité dans la route qu'elle avait à parcourir. C'est Moïse qui a ouvert la voie ; Jésus a continué l'œuvre ; le Spiritisme l'achèvera.

3. Le samedi est-il un jour consacré ? - R. Oui, le samedi est un jour consacré au repos, à la prière ; c'est l'emblème du bonheur éternel après lequel aspirent tous les Esprits, et auquel ils n'arriveront qu'après s'être perfectionnés par le travail, et s'être dépouillés par les incarnations de toutes les impuretés du cœur humain.

4. Comment se fait-il alors que chaque secte ait consacré un jour différent ? - R. Chaque secte, il est vrai, a consacré un jour différent, mais ce n'est pas un motif pour ne pas s'y conformer. Dieu agrée les prières et les formes de chaque religion, pourvu que les actes répondent à l'enseignement. Sous quelque forme qu'on invoque Dieu, la prière lui est agréable si l'intention est pure.

5. Peut-on espérer l'établissement d'une religion universelle ? - R. Non, pas dans notre planète, ou, du moins, pas avant qu'elle n'ait fait des progrès que plusieurs milliers de générations ne verront même pas.

Mardoché R….

Leçons familières de morale (Envoi de madame la comtesse F… de Varsovie, médium. Traduit du polonais.)

I

Mes chers enfants, votre manière de comprendre la volonté de Dieu est erronée, en ce que vous prenez tout ce qui arrive pour l'expression de cette volonté. Certes, Dieu connaît tout ce qui est, tout ce qui a été et tout ce qui doit être ; sa sainte volonté étant toujours l'expression de son amour divin, apporte en se réalisant la grâce et la bénédiction, tandis qu'en s'écartant de cette voie unique, l'homme s'attire des peines qui ne sont que des avertissements. Malheureusement l'homme d'aujourd'hui, aveuglé par l'orgueil de son esprit, ou noyé dans la fange de ses passions, ne veut pas les comprendre ; or, sachez-le, mes enfants, le temps approche où le règne de la volonté de Dieu commencera sur la terre ; alors, malheur à celui qui oserait encore s'y opposer, il sera brisé comme le roseau, tandis que ceux qui se seront amendés verront s'ouvrir pour eux les trésors de la miséricorde infinie. Vous voyez par là que si la volonté de Dieu est l'expression de son amour, et par cela même immuable et éternelle, tout acte de rébellion contre cette volonté, quoique souffert par l'incompréhensible sagesse, n'est que temporaire et passager, et plutôt une preuve de la patiente miséricorde de Dieu, que l'expression de sa volonté.



II

Je vois avec plaisir, mes enfants, que votre foi ne faiblit point, malgré les attaques des incrédules. Si les hommes avaient tous accueilli avec le même zèle, la même persévérance et surtout avec la même pureté d'intention cette manifestation extraordinaire de la bonté divine, nouvelle porte ouverte à votre avancement, c'eût été une preuve évidente que le monde n'est ni aussi méchant, ni aussi endurci qu'il le paraît, et que, ce qui est inadmissible, la main de Dieu s'est injustement appesantie sur les humains. Ne soyez donc pas étonnés de l'opposition que le Spiritisme rencontre dans le monde ; destiné à combattre victorieusement l'égoïsme et à amener le triomphe de la charité, il est tout naturellement en butte aux persécutions de l'égoïsme et du fanatisme qui souvent en dérive. Rappelez-vous ce qui a été dit il y a bien des siècles : « Il y aura beaucoup d'appelés et peu d'élus. » Cependant le bien qui vient de Dieu finira toujours par triompher du mal qui vient des hommes.



III

Dieu fit descendre sur la terre la foi et la charité pour aider les hommes à secouer la double tyrannie du péché et de l'arbitraire, et il ne saurait être douteux qu'avec ces deux divins moteurs ils auraient depuis longtemps atteint un bonheur aussi parfait que le comporte la nature humaine et l'état physique de votre globe, si les hommes n'avaient laissé la foi languir et leurs cœurs se dessécher. Ils crurent même un moment pouvoir s'en passer et se sauver par la seule charité. C'est alors que l'on vit naître cette foule de systèmes sociaux, bons dans l'intention qui les dictait, mais défectueux et impraticables dans la forme. Et pourquoi sont-ils impraticables, direz-vous ? ne sont-ils pas fondés sur le désintéressement de chacun ? Oui, sans doute ; mais pour fonder sur le désintéressement il faut d'abord que le désintéressement existe, or il ne suffit pas de le décréter, il faut l'inspirer. Sans la foi qui donne la certitude des compensations de la vie future, le désintéressement est une duperie aux yeux de l'égoïste ; voilà pourquoi les systèmes qui ne reposent que sur les intérêts matériels sont instables, tant il est vrai que l'homme ne saurait rien construire d'harmonieux et de durable sans la foi qui, non seulement, le dote d'une force morale supérieure à toutes les forces physiques, mais lui ouvre l'assistance du monde spirituel, et lui permet de puiser à la source de la toute-puissance divine.



IV

« Quand même vous rempliriez tout ce qui vous a été commandé, regardez-vous comme des serviteurs inutiles. » Ces paroles du Christ vous enseignent l'humilité comme la première base de la foi et une des premières conditions de la charité. Celui qui a la foi n'oublie pas que Dieu connaît toutes les imperfections ; il ne s'avise par conséquent jamais de vouloir paraître aux yeux de son prochain meilleur qu'il n'est. Celui qui a l'humilité accueille toujours avec douceur les reproches qu'on lui adresse, quelque injustes qu'ils soient ; car, sachez-le bien, l'injustice n'irrite jamais le juste, mais c'est en mettant le doigt sur quelque plaie envenimée de votre âme que l'on fait monter sur votre front la rougeur de la honte, indice certain d'un orgueil mal caché. L'orgueil, mes enfants, est le plus grand obstacle à votre perfectionnement, parce qu'il ne vous laisse point profiter des leçons qu'on vous donne ; c'est donc en le combattant sans paix ni trêve que vous travaillerez le mieux à votre avancement.



V

Si vous jetez les yeux sur le monde qui vous entoure, vous voyez que tout y est harmonie : l'harmonie du monde matériel, c'est le beau. Cependant ce n'est encore que la partie la moins noble de la création ; l'harmonie du monde spirituel, c'est l'amour, émanation divine qui remplit les espaces et conduit la créature à son créateur. Tâchez, mes enfants, d'en remplir vos cœurs ; tout ce que vous pourriez faire de grand en dehors de cette loi ne saurait vous être compté ; l'amour seul, lorsque vous en aurez assuré le triomphe sur la terre, fera venir à vous le règne de Dieu promis par les apôtres.

Les Missionnaires (Envoi de M. Sabò, de Bordeaux.)

Je vais vous dire quelques mots pour vous faire comprendre le but que se proposent les Missionnaires en quittant patrie et famille pour aller évangéliser des peuplades ignorantes ou féroces, des frères cependant, mais enclins au mal et ne connaissant pas le bien ; ou pour aller prêcher la mortification, la confiance en Dieu, la prière, la foi, la résignation dans la douleur la charité, l'espérance d'une meilleure vie après le repentir ; dites, n'est-ce pas là du Spiritisme ? Oui, âmes d'élite qui avez toujours servi Dieu et fidèlement observé ses lois ; qui aimez et secourez votre prochain, vous êtes Spirites. Mais vous ne connaissez pas ce mot de création nouvelle, et vous y voyez un danger. Eh bien ! puisque le mot vous effraie, ne le prononçons plus devant vous jusqu'à ce que vous-mêmes veniez demander ce nom, qui résume l'existence des Esprits et leurs manifestations : le Spiritisme.

Frères aimés, que sont les Missionnaires auprès des nations dans l'enfance ? des Esprits en mission qui sont envoyés par Dieu, notre père, pour éclairer de pauvres Esprits plus ignorants ; pour leur apprendre à espérer en lui, à le connaître, à l'aimer, à être bons époux, bons parents, bons pour leurs semblables ; pour leur donner, autant que le comporte leur nature inculte, l'idée du bien et du beau. Or, vous, qui êtes si fiers de votre intelligence, sachez que vous êtes partis d'aussi bas, et que vous avez encore beaucoup à faire pour arriver au plus haut degré. Je vous le demande, mes amis, sans les missions et les Missionnaires, que deviendraient ces pauvres gens abandonnés à leurs passions et à leur sauvage nature ? Mais, dites : Est-ce vous qui, à l'exemple de ces hommes dévoués, iriez prêcher l'Evangile à ces frères abrupts ? non, ce n'est pas vous : vous avez une famille, des amis, une position que vous ne pouvez abandonner ; non, ce n'est pas vous, qui aimez les douceurs du foyer domestique ; non, ce n'est pas vous, qui avez de la fortune, des honneurs, tous les bonheurs enfin qui satisfont votre vanité et votre égoïsme ; non, ce n'est pas vous. Il faut des hommes qui quittent le toit paternel et la patrie avec joie ; des hommes qui fassent peu de cas de la vie, car souvent elle est tranchée par le fer et le feu ; il faut des hommes bien convaincus que, s'ils vont travailler à la vigne du Seigneur et l'arroser de leur sang, ils trouveront là-haut la récompense de tant de sacrifices ; dites, sont-ce des matérialistes qui seraient capables d'un tel dévouement, ceux qui n'espèrent plus rien après cette vie ? Croyez-moi, ce sont des Esprits envoyés par Dieu. Ne riez donc plus de ce que vous appelez leur sottise, car ils sont instruits, et, en exposant leur vie pour éclairer leurs frères ignorants, ils ont droit à vos respects et à votre sympathie. Oui, ce sont des Esprits incarnés qui ont la mission périlleuse d'aller défricher ces intelligences incultes, comme d'autres Esprits plus élevés ont pour mission de vous faire progresser vous-mêmes.

Ce que nous venons de faire, mes amis, c'est du Spiritisme ; ne vous effrayez donc pas de ce mot ; n'en riez pas, surtout, car il est le symbole de la loi universelle qui régit les êtres vivants de la création.

Adolphe, évêque d'Alger

La France (Communication envoyée par M. Sabò, de Bordeaux.)

Toi aussi, terre des Francs, tu étais plongée dans la barbarie, et les cohortes sauvages portaient l'épouvante et la désolation jusqu'au sein des nations civilisées. Tu offrais à Teutatès des montagnes de sacrifices humains, et tremblais à la voix des Druides qui choisissaient leurs victimes ; et les dolmens qui te servaient d'autels gisent au milieu des landes stériles ! et le pâtre qui y conduit ses maigres troupeaux regarde avec étonnement ces blocs de granit, et se demande à quoi ont servi ces souvenirs d'un autre âge !

Cependant tes fils, pleins de bravoure, domptaient les nations, et rentraient sur le sol natal, le front triomphant, tenant dans leurs mains les trophées de leurs victoires, et traînant les vaincus dans un honteux esclavage ! Mais Dieu voulait que tu prisses ton rang parmi elles, et il t'envoya ses bons Esprits, apôtres d'une religion nouvelle, qui venaient prêcher à tes sauvages enfants l'amour, le pardon, la charité ; et quand Clovis, à la tête de ses armées, appelait à son secours ce Dieu puissant, il accourut à sa voix, lui donna la victoire, et en fils reconnaissant le vainqueur embrassa le christianisme ! L'apôtre du Christ, en lui versant l'onction sainte, inspiré par l'Esprit de Dieu, lui ordonna d'adorer ce qu'il avait brûlé, et de brûler ce qu'il avait adoré.

Alors commença pour toi une longue lutte entre tes enfants, qui ne pouvaient se décider à braver la colère de leurs dieux et de leurs prêtres, et ce n'est qu'après que le sang des martyrs eût arrosé ton sol, pour y faire germer leurs prédications, que tu secouas peu à peu de ton cœur le culte de tes pères, pour suivre celui de tes rois. Ils étaient braves et vaillants ; ils allaient à leur tour combattre les hordes sauvages des barbares du Nord ; et, rentrés dans le calme de leurs palais, ils s'appliquaient au progrès et à la civilisation de leurs peuples ; pendant une longue suite de siècles on les voit accomplir ce progrès, lentement il est vrai, mais enfin ils t'ont mise au premier rang.

Pourtant tu as été si souvent coupable que le bras de Dieu s'était levé, et était prêt à t'exterminer ; mais si le sol français est un foyer d'incrédulité et d'athéisme, il est aussi le foyer des élans généreux, de la charité et des sublimes dévouements ; à côté de l'impiété fleurissent les vertus prêchées par l'Evangile ; aussi ont-elles désarmé son bras prêt à frapper tant de fois, et jetant sur ce peuple qu'il aime un regard de clémence, il l'a choisi pour être l'organe de sa volonté, et c'est de son sein que doivent sortir les germes de la doctrine Spirite qu'il fait enseigner par les bons Esprits, afin que ses rayons bienfaisants aillent peu à peu pénétrer le cœur de toutes les nations, et que les peuples, consolés par des préceptes d'amour, de charité, de pardon et de justice, marchent à pas de géant vers la grande réforme morale qui doit régénérer l'humanité. France ! tu tiens ton sort entre tes mains ; si tu méconnaissais la voix céleste qui t'appelle à ces glorieuses destinées, si ton indifférence te faisait repousser ta lumière que tu dois répandre, Dieu te répudierait, comme jadis il répudia le peuple hébreu, car il sera avec celui qui accomplira ses desseins. Hâte-toi donc, car le moment est venu ! Que les peuples apprennent de toi le chemin de la vraie félicité ; que ton exemple leur montre les fruits consolants qu'ils doivent en retirer, et ils répéteront avec le chœur des bons Esprits : Dieu protège et bénisse la France !

Charlemagne

L'ingratitude (Envoi de M. Pichon, médium de Sens.)

Il faut toujours aider aux faibles et à ceux qui ont le désir de faire le bien, quoique sachant d'avance qu'on n'en sera pas récompensé par ceux à qui on le fait, parce que celui qui vous refuse de vous savoir gré de l'avoir assisté n'est pas toujours aussi ingrat que vous vous l'imaginez : bien souvent il agit selon les vues que Dieu s'est proposées, mais ses vues ne sont pas, et très souvent ne peuvent pas être appréciées par vous. Qu'il vous suffise de savoir qu'il faut faire le bien par devoir et par amour de Dieu, car Jésus a dit : « Celui qui ne fait le bien que par intérêt a déjà reçu sa récompense. » Sachez que si celui à qui vous rendez service oublie le bienfait, Dieu vous en tiendra plus de compte que si vous étiez déjà récompensé par la gratitude de votre obligé.

Socrate




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