REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

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Mai

Discours de M. Allan Kardec à l’occasion du renouvellement de l’année sociale, prononcé dans la séance du 5 avril 1861

Messieurs et chers collègues,

Au moment où notre société commence sa quatrième année, je crois que nous devons un remerciement spécial aux bons Esprits qui ont bien voulu nous assister, et, en particulier, à notre Président spirituel dont les sages conseils ont su nous préserver de plus d'un écueil, et dont la protection nous a fait surmonter les difficultés qui ont été semées sur notre route, sans doute pour mettre à l'épreuve notre dévouement et notre perspicacité. Nous devons le reconnaître, sa bienveillance ne nous a jamais fait défaut, et, grâce au bon esprit dont la Société est maintenant animée, elle a triomphé du mauvais vouloir de ses ennemis. Permettez-moi, à ce sujet, quelques observations rétrospectives.

L'expérience nous avait démontré des lacunes regrettables dans la constitution de la Société, lacunes qui ouvraient la porte à certains abus ; la Société les a comblées, et depuis lors elle n'a eu qu'à s'en applaudir. Réalise-t-elle l'idéal de la perfection ? Nous ne serions pas Spirites si nous avions l'orgueil de le croire ; mais quand la base est bonne et que le reste ne dépend que de la volonté, il faut espérer que, les bons Esprits aidant, nous ne nous arrêterons pas en chemin.

Au nombre des réformes les plus utiles, il faut placer en première ligne l'institution des Associés libres, qui donne un accès plus facile aux candidats, tout en leur permettant de se faire connaître et apprécier avant leur admission définitive comme membres titulaires ; participant aux travaux et aux études de la Société, ils profitent de tout ce qui s'y fait ; mais, comme ils n'ont pas voix dans la partie administrative, ils ne peuvent, dans aucun cas, engager la responsabilité de la Société. Vient ensuite la mesure qui a eu pour objet de restreindre le nombre des auditeurs, et d'entourer de plus de difficultés, par un choix plus sévère, leur admission aux séances ; puis, celle qui interdit la lecture de toute communication obtenue en dehors de la Société, avant qu'au préalable il n'en ait été pris connaissance, et que cette lecture n'ait été autorisée ; enfin, celles qui arment la Société contre quiconque pourrait y porter la perturbation, ou tenterait d'y imposer sa volonté.

Il en est d'autres encore qu'il serait superflu de rappeler, dont l'utilité n'est pas moins grande, et dont nous sommes chaque jour à même d'apprécier les heureux résultats. Mais si cet état de choses est compris dans le sein de la Société, il n'en est pas de même au dehors, où, il ne faut pas se le dissimuler, nous n'avons pas que des amis. On nous critique sur plusieurs points, et quoique nous n'ayons pas à nous en préoccuper, puisque l'ordre de la Société n'intéresse que nous, il n'est peut-être pas inutile de jeter un coup d'œil sur ce que l'on nous reproche, parce qu'en définitive, si ces reproches étaient fondés, nous devrions en profiter.

Certaines personnes blâment la sévère restriction apportée dans l'admission des auditeurs ; elles disent que, si nous voulons faire des prosélytes, il faut éclairer le public, et, pour cela, lui ouvrir les portes de nos séances, autoriser toutes questions et toutes interpellations ; que si nous n'admettons que des gens croyants, nous n'avons pas grand mérite à les convaincre. Ce raisonnement est spécieux, et si, en ouvrant nos portes au premier venu, le résultat supposé était atteint, certes nous aurions tort de ne pas le faire ; mais comme c'est le contraire qui arriverait, nous ne le faisons pas.

Il serait, du reste, bien fâcheux que la propagation de la doctrine fût subordonnée à la publicité de nos séances ; quelque nombreux que pût être l'auditoire, il serait toujours fort restreint, imperceptible, comparé à la masse de la population. D'un autre côté nous savons, par expérience, que la véritable conviction ne s'acquiert que par l'étude, la réflexion et une observation soutenue, et non en assistant à une ou deux séances quelque intéressantes qu'elles soient ; et cela est si vrai, que le nombre de ceux qui croient sans avoir rien vu, mais parce qu'ils ont étudié et compris, est immense. Sans doute le désir de voir est très naturel, et nous sommes loin de le blâmer, mais nous voulons que l'on voie dans des conditions profitables ; voilà pourquoi nous disons : Étudiez d'abord et vous verrez ensuite, parce que vous comprendrez mieux.

Si les incrédules réfléchissaient à cette condition, ils y verraient la meilleure garantie de notre bonne foi d'abord, et ensuite de la puissance de la doctrine. Ce que le charlatanisme redoute le plus, c'est d'être compris ; il fascine les yeux et n'est pas assez sot pour s'adresser à l'intelligence qui découvrirait aisément le dessous de carte. Le Spiritisme, au contraire, n'admet pas de confiance aveugle ; il veut être clair en tout ; il veut que l'on comprenne tout, que l'on se rende compte de tout ; donc, quand nous prescrivons d'étudier et de méditer, c'est appeler le concours de la raison, et prouver que la science spirite ne redoute pas l'examen, puisque avant de croire nous faisons une obligation de comprendre.

Nos séances n'étant pas des séances de démonstration, leur publicité n'atteindrait donc pas le but, et aurait de graves inconvénients ; avec un public sans choix, apportant plus de curiosité que de véritable désir de s'instruire, et encore plus d'envie de critiquer et de railler, il serait impossible d'avoir le recueillement indispensable pour toute manifestation sérieuse ; une controverse plus ou moins malveillante, et basée, la plupart du temps, sur l'ignorance des principes les plus élémentaires de la science, entraînerait de perpétuels conflits où la dignité pourrait être compromise. Or, ce que nous voulons, c'est que, si en sortant de chez nous les auditeurs n'emportent pas la conviction, ils emportent de la Société l'idée d'une assemblée grave, sérieuse, qui se respecte et sait se faire respecter, qui discute avec calme et modération, examine avec soin, approfondit tout avec l'œil de l'observateur consciencieux qui cherche à s'éclairer, et non avec la légèreté du simple curieux. Et croyez-le bien, messieurs, cette opinion fait plus pour la propagande que s'ils sortaient avec la seule pensée d'avoir satisfait leur curiosité, car l'impression qui en résulte les porte à réfléchir, tandis que dans le cas contraire, ils seraient plus disposés à rire qu'à croire.

J'ai dit que nos séances ne sont pas des séances de démonstration, mais si jamais nous en faisions de ce genre, à l'usage des novices qu'il s'agirait d'instruire et de convaincre, tout s'y passerait avec autant de gravité et de recueillement que dans nos séances ordinaires ; la controverse s'y établirait avec ordre, de manière à être instructive et non tumultueuse, et quiconque s'y permettrait un mot déplacé en serait exclus ; alors l'attention serait soutenue, et la discussion même serait profitable à tout le monde ; c'est probablement ce que nous ferons un jour. On nous demandera, sans doute, pourquoi nous ne l'avons pas fait plus tôt dans l'intérêt de la vulgarisation de la science ; la raison en est simple : c'est que nous avons voulu procéder avec prudence, et non comme des étourdis plus impatients que réfléchis ; avant d'instruire les autres, nous avons voulu nous instruire nous-mêmes. Nous voulons appuyer notre enseignement sur une masse imposante de faits et d'observations, et non sur quelques expériences décousues, observées à la légère et superficiellement. Toute science, à son début, rencontre forcément des faits qui, au premier abord, paraissent contradictoires, et dont une étude complète, minutieuse, peut seule démontrer la connexion ; c'est la loi commune de ces faits que nous avons voulu rechercher, afin de présenter un ensemble aussi complet, aussi satisfaisant que possible, et donnant le moins possible prise à la contradiction. Dans ce but, nous recueillons les faits, nous les examinons, nous les scrutons dans ce qu'ils ont de plus intime, nous les commentons, nous les discutons froidement, sans enthousiasme, et c'est ainsi que nous sommes arrivés à découvrir l'admirable enchaînement qui existe dans toutes les parties de cette vaste science qui touche aux plus graves intérêts de l'humanité. Tel a été jusqu'à présent, messieurs, l'objet de nos travaux, objet parfaitement caractérisé par le simple titre de Société des études spirites que nous avons adopté. Nous nous réunissons dans le but de nous éclairer et non de nous distraire ; ne cherchant point à nous amuser, nous ne voulons pas amuser les autres ; voilà pourquoi nous tenons à n'avoir que des auditeurs sérieux, et non des curieux qui croiraient trouver ici un spectacle. Le Spiritisme est une science, et, pas plus que toute autre science, il ne peut s'apprendre en se jouant ; bien plus, prendre les âmes de ceux qui ne sont plus comme sujet de distraction, ce serait manquer au respect qu'on leur doit ; spéculer sur leur présence et leur intervention, serait une impiété et une profanation.

Ces réflexions répondent au reproche que quelques personnes nous ont adressé, de revenir sur des faits connus, et de ne pas constamment chercher du nouveau. Au point où nous en sommes, il est difficile qu'à mesure que nous avançons, les faits qui se produisent ne roulent pas à peu près dans le même cercle ; mais on oublie que des points aussi importants que ceux qui touchent à l'avenir de l'homme ne peuvent arriver à l'état de vérité absolue qu'après un grand nombre d'observations ; il y aurait de la légèreté à formuler une loi sur quelques exemples ; l'homme sérieux et prudent est plus circonspect ; non seulement il veut tout voir, mais voir beaucoup et souvent ; c'est pourquoi nous ne reculons pas devant la monotonie des répétitions, parce qu'il en ressort des confirmations et souvent des nuances instructives, et que si nous y découvrions des faits contradictoires, nous en rechercherions la cause. Nous ne nous sommes point hâtés de prononcer sur de premières données nécessairement incomplètes ; avant de cueillir nous attendons la maturité. Si nous avons été moins en avant que quelques-uns l'eussent désiré au gré de leur impatience, nous avons marché plus sûrement, sans nous égarer dans le labyrinthe des systèmes ; nous savons peut-être moins de choses, mais nous savons mieux, ce qui est préférable, et nous pouvons affirmer ce que nous savons sur la foi de l'expérience.

Ne croyez pas, du reste, messieurs, que l'opinion de ceux qui critiquent l'organisation de la Société soit celle des vrais amis du Spiritisme ; non, c'est celle de ses ennemis, qui sont vexés de voir la Société poursuivre sa route avec calme et dignité à travers les embûches qu'ils lui ont tendues et lui tendent encore ; ils regrettent que l'accès en soit difficile, parce qu'ils seraient enchantés d'y venir semer le trouble. C'est dans ce but qu'ils la blâment encore de limiter le cercle de ses travaux, et prétendent qu'elle ne s'occupe que de choses insignifiantes et sans portée, parce qu'elle s'abstient de traiter les questions politiques et religieuses ; ils voudraient la voir entrer dans la controverse dogmatique ; or, c'est là précisément que perce le bout de l'oreille. La Société s'est sagement renfermée dans un cercle inattaquable à la malveillance ; on voudrait, en piquant son amour-propre, l'entraîner dans une voie périlleuse, mais elle ne s'y laissera pas prendre ; en s'occupant exclusivement des questions qui intéressent la science, et qui ne peuvent porter ombrage à personne, elle s'est mise à l'abri des attaques, et elle tient à y rester ; par sa prudence, sa modération, sa sagesse, elle s'est concilié l'estime des vrais Spirites, et son influence s'étend jusque dans les pays lointains d'où l'on aspire à l'honneur d'en faire partie ; or, cet hommage qui lui est rendu par des personnes qui ne la connaissent que de nom, par ses travaux, et par la considération qu'elle s'est acquise, lui est cent fois plus précieux que le suffrage des imprudents trop pressés, ou des malveillants qui voudraient l'entraîner à sa perte, et seraient enchantés de la voir se compromettre. Tant que j'aurai l'honneur de la diriger, tous mes efforts tendront à la maintenir dans cette voie ; si jamais elle devait en sortir, je la quitterais à l'instant même, parce que, à aucun prix, je n'en voudrais assumer la responsabilité.

Au reste, messieurs, vous savez par quelles vicissitudes la Société a passé ; tout ce qui est arrivé avant et depuis a été annoncé, et tout s'est accompli ainsi que cela avait été prévu ; ses ennemis voulaient sa ruine ; les Esprits, qui savaient qu'elle était utile, voulaient sa conservation, et elle s'est maintenue, et elle se maintiendra tant qu'elle sera nécessaire à leurs vues ; si vous aviez été à même d'observer, comme j'ai pu le faire, les choses dans les détails intimes, vous ne pourriez méconnaître l'intervention d'une puissance supérieure, car pour moi elle est manifeste, et vous comprendriez que tout a été pour le mieux et dans l'intérêt de sa propre conservation ; mais il viendra un temps où, telle qu'elle est actuellement, elle ne sera plus indispensable ; nous verrons alors ce que nous aurons à faire, car la marche est tracée en vue de toutes les éventualités.

Les ennemis les plus dangereux de la Société ne sont pas ceux du dehors ; nous pouvons leur fermer nos portes et nos oreilles ; les plus à craindre sont les ennemis invisibles qui pourraient s'introduire ici malgré nous. C'est à nous de leur prouver, comme nous l'avons déjà fait, qu'ils perdraient leur temps s'ils tentaient de s'imposer à nous. Leur tactique, nous le savons, est de chercher à semer la désunion, de jeter des brandons de discorde, d'inspirer la jalousie, la défiance et les puériles susceptibilités qui engendrent la désaffection ; opposons-leur le rempart de la charité, de la bienveillance mutuelle, et nous serons invulnérables aussi bien contre leurs malignes influences occultes que contre les diatribes de nos adversaires incarnés qui s'occupent plus de nous que nous ne nous occupons d'eux ; car nous pouvons, sans amour-propre, nous rendre cette justice que jamais ici leur nom même n'a été prononcé, soit par un sentiment de convenance, soit parce que nous avons à nous occuper de choses plus utiles. Nous ne forçons personne à venir à nous ; nous accueillons avec plaisir et empressement les gens sincères et de bonne volonté, sérieusement désireux de s'éclairer, et nous en trouvons assez pour ne pas perdre notre temps à courir après ceux qui nous tournent le dos par de futiles motifs d'amour-propre ou de jalousie. Ceux-là ne peuvent être considérés comme de vrais Spirites malgré les apparences ; ce sont peut-être des Spirites croyant aux faits, mais à coup sûr ce ne sont pas des Spirites croyant aux conséquences morales des faits, autrement ils montreraient plus d'abnégation, d'indulgence, de modération, et moins de présomption dans leur infaillibilité. Les rechercher, serait même leur rendre un mauvais service, car ce serait faire croire à leur importance et qu'on ne peut s'en passer. Quant à ceux qui nous dénigrent, nous ne devons pas nous en préoccuper davantage ; des hommes qui valaient cent fois mieux que nous ont été dénigrés et bafoués : nous ne saurions avoir de privilège à cet égard ; c'est à nous de prouver par nos actes que leurs diatribes portent à faux, et les armes dont ils se servent se tourneront contre eux.

Après avoir, en commençant, remercié les Esprits qui nous assistent, nous ne devons pas oublier, leurs interprètes dont quelques-uns nous donnent leur concours avec un zèle, une complaisance qui ne se sont jamais démentis ; nous ne pouvons, en échange, leur offrir qu'un stérile témoignage de notre satisfaction ; mais le monde des Esprits les attend, et là tous les dévouements sont comptés au poids du désintéressement, de l'humilité et de l'abnégation.

En résumé, messieurs, nos travaux ont marché, pendant l'année qui vient de s'écouler, avec une parfaite régularité et rien ne les a interrompus ; une foule de faits du plus haut intérêt ont été rapportés, expliqués et commentés ; des questions fort importantes ont été résolues ; tous les exemples qui ont passé sous nos yeux par les évocations, toutes les investigations auxquelles nous nous sommes livrés sont venus confirmer les principes de la science et nous fortifier dans nos croyances ; de nombreuses communications d'une incontestable supériorité ont été obtenues par divers médiums ; la province et l'étranger nous en ont adressé d'excessivement remarquables, et qui prouvent, non seulement combien le Spiritisme se répand, mais aussi sous quel point de vue grave et sérieux il est maintenant partout envisagé. Ceci, sans doute, est un résultat dont nous devons être heureux, mais il en est un non moins satisfaisant et qui, du reste, est une conséquence de ce qui avait été prédit dès l'origine : c'est l'unité qui s'établit dans la théorie de la doctrine à mesure qu'on l'étudie et qu'on la comprend mieux. Dans toutes les communications qui nous viennent du dehors, nous trouvons la confirmation des principes qui nous sont enseignés par les Esprits, et comme les personnes qui les obtiennent nous sont pour la plupart inconnues, on ne peut dire qu'elles subissent notre influence.

Le principe même de la réincarnation qui avait, au premier abord, trouvé le plus de contradicteurs, parce qu'on ne le comprenait pas, est aujourd'hui accepté par la force de l'évidence, et parce que tout homme qui pense y reconnaît la seule solution possible des plus grands problèmes de la philosophie morale et religieuse. Sans la réincarnation on est arrêté à chaque pas, tout est chaos et confusion ; avec la réincarnation tout s'éclaircit, tout s'explique de la manière la plus rationnelle ; si elle rencontre encore quelques adversaires plus systématiques que logiques, le nombre en est fort restreint ; or qui l'a inventée ? ce n'est à coup sûr ni vous ni moi ; elle nous a été enseignée, nous l'avons acceptée, voilà tout ce que nous avons fait. De tous les systèmes qui ont surgi dans le principe, bien peu survivent aujourd'hui, et on peut dire que leurs rares partisans sont surtout parmi les gens qui jugent sur un premier aspect, et souvent d'après des idées préconçues ou des préjugés ; mais il est évident maintenant que quiconque se donne la peine d'approfondir toutes les questions et juge froidement, sans prévention, sans hostilité systématique surtout, est invinciblement ramené, par le raisonnement autant que par les faits, à la théorie fondamentale qui prévaut aujourd'hui, on peut dire dans tous les pays du monde.

Certes, messieurs, la Société n'a pas tout fait pour ce résultat ; mais je crois que, sans vanité, elle peut en revendiquer une petite part ; son influence morale est plus grande qu'on ne le croit, et cela précisément parce qu'elle n'a jamais dévié de la ligne de modération qu'elle s'est tracée ; on sait qu'elle s'occupe exclusivement de ses études, sans se laisser détourner par les mesquines passions qui s'agitent autour d'elle ; qu'elle le fait sérieusement comme doit le faire toute assemblée scientifique ; qu'elle poursuit son but sans se mêler d'aucune intrigue, sans jeter la pierre à personne, sans même ramasser celles qu'on lui lance ; voilà, sans aucun doute, la principale cause du crédit et de la considération dont elle jouit et dont elle peut justement être fière, et qui donne un certain poids à son opinion. Continuons, messieurs, par nos efforts, par notre prudence et l'exemple de l'union qui doit exister entre de vrais Spirites, à montrer que les principes que nous professons ne sont pas pour nous une lettre morte, et que nous prêchons d'exemple autant que de théorie. Si nos doctrines trouvent de si nombreux échos, c'est qu'apparemment on les trouve plus rationnelles que d'autres ; je doute qu'il en fût de même si nous eussions professé la doctrine de l'intervention exclusive du diable et des démons dans les manifestations spirites, doctrine aujourd'hui complètement ridicule, qui excite plus de curiosité qu'elle ne cause d'effroi, si ce n'est sur quelques personnes timorées, qui bientôt elles-mêmes en reconnaîtront la futilité.

La doctrine spirite, telle qu'elle est aujourd'hui professée, a une ampleur qui lui permet d'embrasser toutes les questions de l'ordre moral ; elle satisfait à toutes les aspirations, et l'on peut dire à la raison la plus exigeante pour quiconque se donne la peine de l'étudier et n'est pas dominé par les préjugés ; elle n'a pas les mesquines restrictions de certaines philosophies ; elle élargit jusqu'à l'infini le cercle des idées, et nulle n'est capable d'élever plus haut la pensée et de sortir l'homme de l'étroite sphère de l'égoïsme dans laquelle on a cherché à le confiner ; elle s'appuie enfin sur les immuables principes fondamentaux de la religion dont elle est la démonstration patente ; voilà, sans aucun doute, ce qui lui conquiert de si nombreux partisans parmi les gens éclairés de toutes les contrées, et ce qui la fera prévaloir dans un temps plus ou moins rapproché, et cela malgré ses adversaires, pour la plupart plus opposés par intérêt que par conviction. Sa marche progressive si rapide, depuis qu'elle est entrée dans la voie philosophique sérieuse, nous est un sûr garant de l'avenir qui lui est réservé, et qui, comme vous le savez, est annoncé de toutes parts. Laissons donc dire et faire ses ennemis, ils ne peuvent rien contre la volonté de Dieu, car rien n'arrive sans sa permission, et comme le disait naguère un ecclésiastique éclairé : Si ces choses ont lieu, c'est que Dieu le permet pour ranimer la foi qui s'éteint dans les ténèbres du matérialisme.

L'Ange du choléra

Un de nos correspondants de Varsovie nous écrit ce qui suit :

« . . . . J'ose réclamer votre attention pour un fait tellement extraordinaire, qu'il faudrait le ranger dans la catégorie de l'absurde, si le caractère de la personne qui me l'a rapporté ne m'était un garant de sa réalité. Nous tous qui connaissons du Spiritisme tout ce qui, par vous, en a été si judicieusement traité, ce qui veut dire que nous croyons le bien comprendre, nous n'avons pas trouvé d'explication à ce fait, et je le livre à votre appréciation, vous priant de me pardonner le temps que je vous fais perdre à le lire, si vous ne le jugez pas digne d'un plus sérieux examen. Voici ce dont il s'agit :

« La personne dont j'ai parlé plus haut se trouvait, en 1852, à Wilna, ville de la Lithuanie qui, à ce moment, était ravagée par le choléra. Sa fille, charmante enfant de douze ans, était douée de toutes les qualités qui constituent les natures supérieures. Dès son plus bas âge, elle se fit remarquer par une intelligence exceptionnelle, une bonté de cœur et une candeur vraiment angéliques. Elle fut une des premières, dans notre pays, à jouir de la faculté médianimique, et toujours assistée par des Esprits d'un ordre très élevé. Souvent, et sans être somnambule, elle avait le pressentiment de ce qui allait arriver, et le prédisait toujours avec justesse. Ces renseignements ne me paraissent pas inutiles pour juger de sa sincérité. Une nuit, au moment où les bougies venaient d'être éteintes, la jeune fille, encore complètement éveillée, vit se dresser devant son lit la figure livide et sanglante d'une vieille femme dont la seule vue la fit frissonner. Cette femme s'approcha du lit de l'enfant et lui dit : « Je suis le choléra, et je viens te demander un baiser ; si tu m'embrasses, je rentrerai aux lieux que j'ai quittés et la ville sera délivrée de ma présence. » L'héroïque jeune fille ne recula point devant le sacrifice : elle appliqua ses lèvres sur le visage glacé et humide de la vieille, et la vision, si s'en était une, disparut. L'enfant, épouvantée, ne se calma que dans le sein de son père qui, ne comprenant rien à la chose, était cependant convaincu que sa fille avait dit la vérité ; mais on n'en parla à personne. Vers midi on reçut la visite d'un médecin, ami de la famille : « Je vous apporte une bonne nouvelle, dit-il ; cette nuit aucun malade n'a été apporté à l'hôpital des cholériques que je viens de visiter. » Et depuis ce jour, en effet, le choléra cessa de sévir. Environ trois ans plus tard, cette personne et sa famille firent un autre voyage dans la même ville. Pendant leur séjour le choléra y reparut, et déjà l'on y comptait les victimes par centaines, lorsqu'une nuit la même vieille femme apparut près du lit de la jeune fille, toujours parfaitement éveillée, et lui fit la même demande, en ajoutant que, si sa prière était exaucée, cette fois elle quitterait la ville pour n'y plus revenir. La jeune personne ne recula pas plus que la première fois ; aussitôt elle vit un sépulcre s'ouvrir et se refermer sur la femme. Le choléra se calma comme par miracle, et il n'est pas à ma connaissance qu'il ait reparu depuis à Wilna. Était-ce une hallucination ou une vision réelle ? je l'ignore ; tout ce que je puis certifier, c'est que je ne puis douter de la sincérité de la jeune fille et de ses parents. »

Ce fait est, en effet, très singulier ; les incrédules ne manqueront pas de dire que c'est une hallucination ; mais il leur serait probablement plus difficile d'expliquer cette coïncidence avec un fait matériel que rien ne pouvait faire prévoir. Une première fois, cela pouvait être mis sur le compte du hasard, cette manière si commode de passer outre sur ce qu'on ne comprend pas ; mais à deux reprises différentes, et dans des conditions identiques, c'était plus extraordinaire. En admettant le fait de l'apparition, il restait à savoir ce que c'était que cette femme ; était-ce réellement l'ange exterminateur du choléra ? Les fléaux seraient-ils personnifiés dans certains Esprits chargés de les provoquer ou de les apaiser ? On pouvait le croire en voyant celui-ci disparaître par la volonté de cette femme ; mais alors pourquoi s'adressait-elle à cette enfant, étrangère à la ville, et comment un baiser de sa part pouvait-il avoir cette influence ? Quoique le Spiritisme nous ait déjà donné la clef de bien des choses, il ne nous a pas encore dit son dernier mot, et, dans le cas dont il s'agit, la dernière hypothèse n'avait rien de positivement absurde ; nous avouons qu'au premier abord nous penchions assez de ce côté, ne voyant pas dans le fait le caractère de la véritable hallucination ; mais d'un mot les Esprits sont venus renverser notre supposition. Voici l'explication fort simple et fort logique qu'en a donnée saint Louis dans la séance de la Société du 19 avril 1861.

D. Le fait qui vient d'être rapporté paraît très authentique ; nous désirerions avoir à ce sujet quelques explications. Pourriez-vous d'abord nous dire quelle est cette femme qui est apparue à la jeune fille et a dit être le choléra ?

R. Ce n'était pas le choléra ; un fléau matériel ne revêt pas d'apparence humaine ; c'était l'Esprit familier de la jeune fille qui éprouvait sa foi, et faisait coïncider cette épreuve avec la fin du fléau. Cette épreuve était salutaire pour l'enfant qui la subissait ; elle fortifiait, en les idéalisant, les vertus en germe dans cet être protégé et béni. Les natures d'élite, celles qui apportent en venant au monde le ressouvenir des biens acquis, subissent souvent ces avertissements qui seraient dangereux pour une âme non épurée, et non préparée par les migrations antérieures aux grands dévouements de l'amour et de la foi.

D. L'Esprit familier de cette jeune fille avait-il assez de pouvoir pour prévoir l'avenir et la fin du fléau ?

R. Les Esprits sont les instruments de la volonté divine, et souvent ils sont élevés à la hauteur de messagers célestes.

D. Les Esprits n'ont-ils aucune action sur les fléaux comme agents producteurs ?

R. Ils n'y sont absolument pour rien, pas plus que les arbres n'agissent sur le vent, ni les effets sur les causes.

Dans la prévision de réponses conformes à notre pensée première, nous avions préparé une série de questions qui sont par conséquent devenues inutiles ; cela prouve une fois de plus que les médiums ne sont pas le reflet de la pensée de l'interrogateur. Du reste, nous devons dire que nous n'avions sur ce sujet aucune idée arrêtée ; faute de mieux, nous penchions vers celle que nous avons émise, parce qu'elle ne nous paraissait pas impossible, mais l'explication donnée par l'Esprit étant plus simple et plus rationnelle, nous la regardons comme infiniment préférable.

On peut, du reste, tirer de ce fait une autre instruction. Ce qui est arrivé à cette jeune fille a dû se produire en d'autres circonstances, et même dans l'antiquité, puisque les phénomènes spirites sont de tous les temps. Ne serait-ce pas une des causes qui ont porté les Anciens à tout personnifier et à voir dans chaque chose un génie particulier ? Nous ne pensons pas qu'il faille en chercher la source dans le seul génie poétique, car on voit ces idées chez les peuples les moins avancés.

Supposons qu'un fait analogue à celui que nous avons rapporté se soit produit chez un peuple superstitieux et barbare, il n'en fallait pas davantage pour accréditer l'idée d'une divinité malfaisante qu'on ne pouvait apaiser qu'en lui sacrifiant des victimes. Nous l'avons déjà dit, tous les dieux du paganisme n'ont pas d'autre origine que les manifestations spirites ; le christianisme est venu renverser leurs autels, mais il était réservé au Spiritisme de faire connaître leur véritable nature, et de jeter la lumière sur ces phénomènes dénaturés par la superstition, ou exploités par la cupidité.



Phénomène des apports

Ce phénomène est, sans contredit, l'un des plus extraordinaires parmi ceux que présentent les manifestations spirites, et c'est aussi l'un des plus rares. Il consiste dans l'apport spontané d'un objet qui n'existe pas dans l'endroit où l'on est. Nous le connaissions depuis longtemps par ouï-dire, mais comme il nous a été donné depuis peu d'en être témoin, nous pouvons maintenant en parler en connaissance de cause. Disons d'abord que c'est un de ceux qui se prêtent le plus à l'imitation, et que par conséquent il faut se tenir en garde contre la supercherie. On sait jusqu'où peut aller l'art de la prestidigitation en fait d'expériences de ce genre ; mais, sans avoir affaire à un homme du métier, on pourrait être facilement dupe d'une manœuvre habile. La meilleure de toutes les garanties est dans le caractère, l'honorabilité notoire, le désintéressement absolu de la personne qui obtient de semblables effets ; en second lieu dans l'examen attentif de toutes les circonstances dans lesquelles les faits se produisent ; enfin dans la connaissance éclairée du Spiritisme, qui seule peut faire découvrir ce qui serait suspect.

Nous avons dit que ce phénomène est un des plus rares, et moins que les autres, peut-être, il ne se produit à volonté et surtout à point nommé ; il peut quelquefois, quoique rarement, être provoqué, mais le plus souvent il est spontané ; d'où il résulte que quiconque se flatterait de l'obtenir à son gré et à un instant donné, peut être hardiment taxé d'ignorance et suspecté de fraude, à plus forte raison s'il s'y mêlait le moindre motif d'intérêt matériel. Un médium qui tirerait un profit quelconque de sa faculté peut être réellement médium ; mais comme cette faculté est sujette à des intermittences, que les phénomènes dépendent exclusivement de la volonté des Esprits qui ne se soumettent pas à notre caprice, il en résulte que le médium intéressé, pour ne pas rester court ou pour produire plus d'effet selon les circonstances, appelle la ruse à son aide, car, pour lui, il faut que l'Esprit agisse quand même, sinon on y supplée, et la ruse se cache quelquefois sous les dehors les plus simples.

Ces réflexions préliminaires ayant pour but de mettre les observateurs sur leurs gardes, nous revenons à notre sujet ; mais, avant de parler de ce qui nous concerne, nous croyons devoir rapporter la lettre suivante qui nous a été écrite d'Orléans, le 14 février dernier.

« Monsieur,

« C'est un Spirite convaincu qui vous écrit cette lettre ; les faits qu'elle relate sont rares ; ils doivent servir au bien de tous, et ont déjà porté la conviction chez plusieurs des personnes qui nous entourent et qui en ont été témoins.

« Le premier fait s'est passé le 1° janvier 1861. Une de mes parentes, qui possède au suprême degré la faculté médianimique, et qui l'ignorait complètement avant que je lui eusse parlé du Spiritisme, voyait quelquefois sa mère, mais elle prenait cela pour des hallucinations et tâchait de les éviter. Le 1° janvier dernier, vers trois heures de l'après-midi, elle la vit de nouveau ; le saisissement qu'elle éprouva, ainsi que son mari, quoique celui-ci ne vît rien, l'empêcha de se rendre compte de ses mouvements. Quelques minutes après, son mari rentrant dans cette chambre, voit sur la table un anneau que sa femme reconnaît parfaitement pour l'anneau de sa mère qu'elle lui avait mis elle-même au doigt lors de sa mort. A quelques jours de là, comme cette dame souffrait d'un étouffement auquel elle était sujette, je conseillai à son mari de la magnétiser, ce qu'il fit, et au bout de trois minutes elle s'endormit profondément, et la lucidité fut parfaite. Elle dit alors à son mari que sa mère leur avait apporté son anneau pour leur prouver qu'elle est avec eux et qu'elle veille sur eux. Son mari lui demande si elle voit sa fille morte il y a 8 ans, à l'âge de 2 ans, et si celle-ci peut lui apporter un souvenir ? La somnambule répond qu'elle est là, ainsi que la mère de son mari ; qu'elle lui apportera le lendemain une rose qu'il trouvera sur le secrétaire. Le fait s'est accompli ; la rose fanée était accompagnée d'un papier sur lequel étaient écrits ces mots : A mon papa cheri. Laure. Le surlendemain, sommeil magnétique ; le mari demande s'il pourrait avoir des cheveux de sa mère à lui ? Son désir est exaucé à l'instant : les cheveux sont sur la cheminée. Depuis, deux lettres ont été écrites spontanément par les deux mères.

« J'arrive à des faits qui se sont passés chez moi. Après une étude sérieuse de vos ouvrages sur le Spiritisme, la foi m'était venue sans que j'aie vu un seul fait. Le Livre des médiums m'avait engagé à essayer d'écrire, mais sans aucun résultat ; persuadé que je n'obtiendrais rien sans la présence de la personne dont j'ai parlé plus haut, je la priai de venir à Orléans, ainsi que son mari. Le lundi 11 février, à 10 heures du soir, sommeil magnétique et extase ; elle voit auprès d'elle et de nous les Esprits qui l'accompagnent et lui avaient promis de venir avec elle. Je lui demande si je serai médium écrivain ; elle répond : Oui, dans 15 jours ; elle ajoute que le lendemain elle écrira par l'entremise de sa mère pour convaincre un de mes amis qu'elle me prie de faire venir. Le lendemain 12, à 8 heures du matin, sommeil ; nous lui demandons si on doit lui donner un crayon : Non, me dit-elle ; ma mère est près de toi et écrit ; sa lettre est sur la cheminée. J'y vais, et je trouve un papier plié contenant ces mots : Croyez et priez, je suis avec vous ; ceci est pour vous convaincre. Elle me dit encore que ce soir je pourrais essayer d'écrire avec sa main posée sur la mienne. Je n'osais espérer un pareil résultat et pourtant j'ai écrit ces mots : Croyez ; je vais venir ; n'oubliez pas le magnétisme ; ne restez pas plus longtemps. Ma parente devait partir le lendemain. Le soir nous avons écrit ceci : La science spirite n'est pas une plaisanterie ; c'est vrai ; le magnétisme peut y conduire. Priez, et invoquez ceux que votre cœur vous dira. Ne restez pas plus longtemps. Catherine. C'est le nom de sa mère.

« Il m'a été ordonné à plusieurs reprises de vous écrire ces faits ; j'ai même été blâmé de ne l'avoir pas fait plus tôt ; du reste elle m'a dit que vous pourriez avoir la preuve de ce que je vous dis, et que sa mère elle-même irait vous confirmer ces faits si vous l'appeliez. Agréez, etc. »

Cette lettre relate deux phénomènes remarquables, celui des apports et celui de l'écriture directe. Nous ferons à ce sujet une observation essentielle, c'est que, lorsque le mari et la femme obtinrent les premiers effets, ils étaient seuls, tout préoccupés de ce qui leur arrivait, et qu'ils n'avaient aucun intérêt à se tromper mutuellement. En second lieu, l'apport de la bague qui avait été enterrée avec la mère, était un fait positif qui ne pouvait être le résultat d'une supercherie, car on ne joue pas avec ces choses.

Plusieurs faits de la même nature nous ont été rapportés par des personnes en qui nous avons toute confiance, et qui se sont passés dans des circonstances tout aussi authentiques, mais voici celui dont nous avons été deux fois témoin oculaire ainsi que plusieurs membres de la Société.

Mademoiselle V. B…, jeune personne de 16 à 17 ans, est un très bon médium écrivain, et en même temps somnambule très clairvoyante. Pendant son sommeil elle voit surtout l'Esprit d'un de ses cousins qui déjà plusieurs fois lui avait apporté différents objets, entre autres des bagues, des bonbons en grande quantité et des fleurs. Il faut toujours qu'elle soit endormie environ deux heures avant la production du phénomène. La première fois que nous assistâmes à une manifestation de ce genre, il y eut apport d'une bague qui lui fut remise dans la main. Pour nous, qui connaissions la jeune personne et ses parents pour des gens très honorables, nous n'avions aucun motif de douter ; cependant nous avouons que, pour des étrangers, la manière dont cela se passa était peu concluante. Il en fut tout autrement dans une autre séance. Après deux heures de sommeil préalable pendant lesquelles la jeune somnambule fut occupée de choses très intéressantes mais étrangères à ce qui nous occupe, l'Esprit lui apparut tenant un bouquet, visible pour elle seulement. Ce ne fut qu'après avoir longtemps aiguillonné sa convoitise et provoqué d'incessantes supplications, que l'Esprit fit tomber à ses pieds un bouquet de crocus. La jeune personne n'était pas satisfaite ; l'Esprit tenait encore quelque chose qu'elle voulait avoir ; nouvelles supplications pendant près d'une demi-heure après laquelle un gros bouquet de violettes entouré de mousse parut sur le parquet ; puis quelque temps après un bonbon gros comme le poing tomba à ses côtés ; au goût on reconnut que c'était de la conserve d'ananas qui semblait avoir été pétrie dans les mains.

Tout cela dura environ une heure, et pendant ce temps la somnambule fut constamment isolée de tous les assistants ; son magnétiseur lui-même se tint à une assez grande distance ; nous étions placé de manière à ne pas perdre de vue un seul mouvement, et nous déclarons sincèrement qu'il n'y eut pas la moindre chose de suspect. Dans cette séance, l'Esprit, qui s'appelle Léon, promit de venir à la Société donner les explications qu'on lui demanderait.

Nous l'avons évoqué dans la séance de la Société du 1° mars, conjointement avec l'Esprit de madame Catherine qui s'était manifesté à Orléans, et voici l'entretien qui s'en est suivi :

1. Évocation de madame Catherine. - R. Je suis présente, et prête à vous répondre.

2. Vous avez dit à votre fille et à votre parent d'Orléans que vous viendriez confirmer ici les phénomènes dont ils ont été les témoins ; nous serons charmés de recevoir de vous les explications que vous voudrez bien nous donner à ce sujet. Je vous demanderai d'abord dans quel but vous avez tant insisté pour qu'on m'écrivît la relation de ces faits ? - R. Ce que j'ai dit, je suis prête à le faire, car c'est vous que l'on doit le plus instruire ; j'avais dit à mes enfants de vous faire part de ces preuves en vue de propager le Spiritisme.

3. J'ai été témoin, il y a quelques jours, de faits analogues, et je vais prier l'Esprit qui les a produits de vouloir bien venir. Ayant pu observer toutes les phases du phénomène, je compte lui adresser différentes questions. Veuillez, je vous prie, vous joindre à lui pour compléter les réponses si cela est nécessaire. - R. Ce que vous me demandez je le ferai, et à nous deux la clarté sera plus nette et plus précise.

4. Évocation de Léon. - R. Me voici tout prêt à remplir la promesse que je vous ai faite, monsieur.

Remarque. Les Esprits se dispensent assez généralement de nos formules de politesse ; celui-ci offre cette particularité que chaque fois que nous l'avons évoqué il s'est toujours servi du mot monsieur.

5. Veuillez, je vous prie, nous dire pourquoi ces phénomènes ne se sont produits que dans le sommeil magnétique du médium ? - R. Cela tient à la nature du médium ; les faits que je produis quand le mien est endormi, je pourrais également les produire dans l'état de veille.

6. Pourquoi faites-vous attendre si longtemps l'apport des objets, et pourquoi excitez-vous la convoitise du médium en irritant son désir d'obtenir l'objet promis ? - R. Ce temps m'est nécessaire afin de préparer les fluides qui servent à l'apport ; quant à l'excitation, ce n'est souvent que pour amuser les personnes présentes et la somnambule.

7. J'avais pensé que cette excitation pouvait produire une émission plus abondante de fluide de la part du médium et faciliter la combinaison nécessaire. - R. Vous vous étiez trompé, monsieur ; les fluides qui nous sont nécessaires n'appartiennent pas au médium, mais à l'Esprit, et l'on peut même, dans certains cas, s'en passer, et l'apport avoir lieu immédiatement.

8. La production du phénomène tient-elle à la nature spéciale du médium, et pourrait-il se produire par d'autres médiums avec plus de facilité et de promptitude ? - R. La production tient à la nature du médium, et ne peut se produire qu'avec des natures correspondantes ; pour la promptitude, l'habitude que nous prenons, en correspondant souvent avec le même médium, nous est d'un grand secours.

9. La nature du médium doit-elle correspondre à la nature du fait ou à la nature de l'Esprit ? - R. Il faut qu'elle corresponde à la nature du fait, et non pas de l'Esprit.

10. L'influence des personnes présentes y est-elle pour quelque chose ? - R. Quand il y a de l'incrédulité, de l'opposition, on peut beaucoup nous gêner ; nous aimons bien mieux faire nos preuves avec des croyants et des personnes versées dans le Spiritisme ; mais je n'entends pas par là dire que la mauvaise volonté pourrait nous paralyser complètement.

11. Il n'y a ici que des croyants et des personnes très sympathiques ; y a-t-il un empêchement à ce que le fait ait lieu ? - R. Il y a celui que je ne suis pas préparé, ni disposé.

12. Le serez-vous un autre jour ? - R. Oui.

13. Pourriez-vous le fixer ? - R. Un jour que vous ne me demanderez rien, je viendrai à l'improviste vous surprendre avec un joli bouquet.

14. Il y a peut-être des personnes qui aimeraient mieux des bonbons. - R. S'il y a des gourmands, on pourra également les contenter ; je crois que les dames, qui ne dédaignent pas les fleurs, aimeront encore mieux les bonbons.

15. Mademoiselle V. B… aura-t-elle besoin d'être en somnambulisme ? - R. Je ferai l'apport éveillé.

16. Où avez-vous été prendre les fleurs et les bonbons que vous avez apportés ? - R. Les fleurs je les prends dans les jardins, où elles me plaisent.

17. Mais les bonbons ; le marchand a dû s'apercevoir qu'ils lui manquaient ? - R. Je les prends où cela me plaît ; le marchand ne s'en est pas aperçu du tout, parce que j'en ai mis d'autres à la place.

18. Mais les bagues ont une valeur ; où les avez-vous prises ? Est-ce que cela n'a pas fait de tort à celui à qui vous les avez empruntées ? - R. Je les ai prises dans des endroits inconnus à tous, et de manière que personne ne puisse en éprouver aucun tort.

19. Est-il possible d'apporter des fleurs d'une autre planète ? - R. Non, ce n'est pas possible à moi.

20. Est-ce que d'autres Esprits le pourraient ? - R. Oui, il y a des Esprits plus élevés que je ne le suis qui peuvent le faire ; quant à moi, je ne puis me charger de cela ; contentez-vous de ce que je vous apporterai.

21. Pourriez-vous apporter des fleurs d'un autre hémisphère, des tropiques, par exemple ? - R. Du moment que c'est sur terre, je le puis.

22. Comment avez-vous introduit ces objets l'autre jour, puisque la chambre était close ? - R. Je les ai fait entrer avec moi, enveloppés, pour ainsi dire, dans ma substance ; quant à vous en dire plus long, ce n'est pas explicable.

23. (A madame Catherine.) Puisque la bague que vous avez apportée à votre fille avait été enterrée avec vous, comment l'avez-vous eue ? - R. Je l'ai retirée de terre et apportée à mon enfant.

24. (A Léon.) Comment avez-vous fait pour rendre visibles ces objets qui étaient invisibles un instant auparavant ? - R. J'ai ôté la matière qui les enveloppait.

25. Ces objets que vous avez apportés, pourriez-vous les faire disparaître et les remporter ? - R. Aussi bien que je les ai fait venir, je puis les remporter à ma volonté.

26. Hier… (l'Esprit rectifie en écrivant : mercredi). C'est juste ; mercredi, le médium vous a vu prendre des ciseaux et couper des fleurs d'oranger au bouquet qui est dans sa chambre ; avez-vous eu réellement besoin d'un instrument tranchant pour couper cela ? - R. Je n'avais pas de ciseaux du tout, mais je me faisais voir ainsi, afin que l'on fût bien sûr que c'était moi qui les ôtais.

27. Mais le bouquet était sous un globe de verre ? - R. Oh ! je pouvais bien ôter le globe.

28. L'avez-vous ôté ? - R. Non.

29. Nous ne comprenons pas comment cela peut se faire ; croyez-vous qu'un jour nous arrivions à nous expliquer ce phénomène ? - R. Dans peu de temps même ; nous ne faisons pas que de le croire, nous en sommes assurés.

30. Qui est-ce qui vient de répondre ? Est-ce Léon ou madame Catherine ? - R. C'est nous deux.

31. La production du phénomène des apports vous cause-t-elle une peine, un embarras quelconque ? - R. Elle ne nous cause aucune peine quand nous en avons la permission ; elle pourrait nous en causer de très grandes si nous voulions produire des effets sans y être autorisés.

32. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? - R. Aucune autre que de mauvaises dispositions fluidiques qui peuvent nous être contraires.

33. Comment apportez-vous l'objet ; le tenez-vous avec les mains ? - R. Non, nous l'enveloppons en nous.

34. Apporteriez-vous avec la même facilité un objet d'un poids considérable ; de 50 kil., par exemple ? - R. Le poids n'est rien pour nous ; nous apportons des fleurs, parce que cela peut être plus agréable qu'un poids volumineux.

35. Y a-t-il quelquefois des disparitions d'objets dont la cause est ignorée, et qui seraient le fait des Esprits ? - Cela arrive très souvent, plus souvent que vous ne le pensez, et l'on pourrait y remédier en priant l'Esprit de rapporter l'objet disparu.

36. Y a-t-il des effets que l'on regarde comme des phénomènes naturels et qui sont dus à l'action de certains Esprits ? - R. Vos jours sont remplis de ces faits-là que vous ne comprenez pas, parce que vous n'y avez pas songé, et qu'un peu de réflexion vous ferait voir clairement.

37. Parmi les objets apportés, n'y en a-t-il pas qui peuvent être fabriqués par les Esprits ; c'est-à-dire produits spontanément par les modifications que les Esprits peuvent faire subir au fluide ou à l'élément universel ? - R. Pas par moi, car je n'en ai pas la permission ; un Esprit élevé le peut seul.


38. Un objet fait de cette manière pourrait-il avoir de la stabilité, et devenir un objet usuel ? Si un Esprit me faisait une tabatière, par exemple, pourrais-je m'en servir ? - R. Il pourrait en avoir si l'Esprit le voulait ; mais il pourrait aussi n'être que pour la vue et s'évanouir au bout de quelques heures.

Remarque. On peut ranger dans la catégorie des phénomènes des apports les faits de la nature de ceux qui se sont passés dans la rue des Noyers et que nous avons rapportés dans la Revue du mois d'août 1860 ; il y a cette différence que, dans ce dernier cas, ils sont produits par un Esprit malveillant qui n'a en vue que de causer du trouble, tandis que dans ceux dont il s'agit ici ce sont des Esprits bienveillants qui cherchent à être agréables et à témoigner leurs sympathies.

Nota. Voir, pour la théorie de la formation spontanée des objets, le Livre des médiums, chap. intitulé : Laboratoire du monde invisible.



Entretiens familiers d'outre-tombe Le docteur Glas

Né à Lyon, mort le 21 février 1861, à l'âge de 35 ans et demi.

(Société spirite de Paris, 5 avril 1861.)

M. Glas était un fervent Spirite ; il a succombé à une longue et douloureuse maladie dont les souffrances n'ont été adoucies que par l'espérance que donne le Spiritisme. Sa vie laborieuse et accidentée de soucis amers, et un accident méconnu d'abord ont abrégé son existence. Il a été évoqué sur la demande de son père.

1. Évocation. - R. Je suis là.

2. Nous serons charmés de nous entretenir avec vous, d'abord pour condescendre au désir de M. votre père et de votre femme, et ensuite parce que, vu l'état de vos connaissances, nous espérons en profiter pour nous-mêmes. - R. Je désire que cette communication soit pour ceux qui me regrettent une consolation, et pour vous, qui m'évoquez, un sujet d'études instructives.

3. Il paraît que vous avez succombé à une cruelle maladie ; pourriez-vous nous donner quelques explications sur sa nature et sa cause ? - R. Ma maladie, je le vois bien clairement aujourd'hui, était toute morale et a fini par m'étreindre douloureusement le corps. Quant à m'étendre longuement sur mes souffrances, je les ai encore assez présentes pour ne pas me les rappeler. Un travail opiniâtre, joint à une agitation continuelle dans le cerveau, a été la véritable source de mon mal.

Remarque. - Cette réponse est confirmée par le passage suivant de la lettre de son père : « Sa vie laborieuse et accidentée de soucis amers, et un accident méconnu d'abord, ont abrégé son existence. » Cette lettre n'avait point été lue avant l'évocation, et ni le médium ni les assistants n'avaient connaissance de ce fait.

4. Il paraît aussi que vos croyances vous ont aidé à supporter vos souffrances avec courage, et nous vous en félicitons. - R. J'avais en moi la conscience d'une vie meilleure ; c'est assez dire.

5. Ces croyances ont-elles contribué à hâter votre dégagement ? - R. Infiniment, car les idées spiritualistes que l'on peut avoir sur la vie sont, pour ainsi dire, des indulgences plénières qui écartent de vous, après la mort, toute influence terrestre.

6. Veuillez, je vous prie, nous décrire le plus exactement possible la nature du trouble que vous avez éprouvé, sa durée et vos sensations quand vous vous êtes reconnu. - R. J'avais en moi, lorsque je suis mort, la parfaite connaissance de moi-même, et j'entrevoyais avec calme ce que tant d'autres redoutent avec tant d'effroi. Mon trépas a été court, et ma conscience de moi-même n'a pas changé ; j'ignore combien de temps le trouble a duré ; mais lorsque je me suis réveillé, réellement j'étais mort.

7. Au moment où vous vous êtes reconnu, vous êtes-vous trouvé isolé ? - R. Oui ; du reste, j'étais encore par le coeur tout à la terre ; je n'ai pas vu d'Esprits autour de moi sur-le-champ ; peu à peu seulement.

8. Que pensez-vous de vos confrères qui cherchent, par la science, à prouver aux hommes qu'il n'y a en eux que matière, et que le néant seul les attend ? - R. Orgueil ! Quand ils seront près de la mort, peut-être le feront-ils taire ; je le leur souhaite. Ah ! comme disait Lamennais à l'instant, il y a deux sciences, celle du bien et celle du mal ; ils ont la science qui vient de l'homme : c'est celle du mal.

Remarque. - L'Esprit fait allusion à une communication que Lamennais venait de donner un instant auparavant, ce qui prouve qu'il n'avait pas attendu l'évocation pour se rendre à la séance.

9. Êtes-vous souvent auprès de votre femme, de votre enfant et de votre père ? - R. Presque constamment.

10. Le sentiment que vous éprouvez en les voyant est-il différent de celui que vous éprouviez de votre vivant quand vous étiez près d'eux ? - R. La mort donne aux sentiments comme aux idées une vue large, mais pleine d'espérance que l'homme ne peut saisir sur terre. Je les aime, mais je les voudrais auprès de moi ; c'est surtout en vue des espérances futures que l'Esprit doit avoir du courage et du sang-froid.

11. Vous, étant ici, pouvez-vous les voir chez eux sans vous déranger ? - R. Oh ! parfaitement.

Remarque. Un Esprit inférieur ne le pourrait pas ; ceux qui ont une certaine élévation peuvent seuls voir simultanément des points différents : les autres sont encore trop terre à terre.

Certaines personnes, en lisant cette réponse, diront sans doute que c'était une bonne occasion de contrôle ; qu'il aurait fallu demander à l'Esprit ce que faisaient ses parents à ce moment, et s'assurer si c'était exact. Dans quel but l'aurions-nous fait ? Pour nous assurer que c'était vraiment un Esprit qui nous parlait ? Mais alors, si ce n'était pas un Esprit, c'est que le médium nous trompait ; or, depuis plusieurs années que ce médium donne son concours à la Société, nous n'avons jamais eu lieu de suspecter sa bonne foi.

Si c'eût été, comme preuve d'identité, cela ne nous aurait pas servi à grand'chose, car un Esprit trompeur aurait pu le savoir tout aussi bien que l'Esprit véritable. Cette question serait donc rentrée dans la catégorie des questions de curiosité et d'épreuve qui déplaisent aux esprits sérieux et auxquelles ils ne répondent jamais. Comme fait, nous savons par expérience que cela est possible ; mais nous savons aussi que lorsqu'un Esprit veut entrer dans certains détails, il le fait spontanément, s'il le juge utile, et non pour satisfaire un caprice.

12. Faites-vous une distinction entre votre Esprit et votre périsprit, et quelle différence établissez-vous entre ces deux choses ? - R. Je pense, donc je sens et j'ai une âme, comme a dit un philosophe ; je n'en sais pas plus que lui sur ce point. Quant au périsprit, c'est une forme, comme vous savez, fluidique et naturelle ; mais chercher l'âme, c'est vouloir chercher l'absolu spirituel.

13. Croyez-vous que la faculté de penser réside dans le périsprit ; en un mot que l'âme et le périsprit soient une seule et même chose ? - R. C'est absolument comme si vous demandiez si la pensée réside dans votre corps ; l'un se voit, l'autre se sent et se conçoit.

14. Vous êtes ainsi non un être vague et indéfini, mais un être limité et circonscrit ? - R. Limité, oui ; mais rapide comme la pensée.

15. Veuillez préciser la place où vous êtes ici ? - R. A votre gauche et à la droite du médium.

Nota. - M. Allan Kardec se met à la place même indiquée par l'Esprit.

16. Avez-vous été obligé de quitter votre place pour me la céder ? - R. Du tout ; nous passons à travers tout, comme tout passe à travers nous ; c'est le corps spirituel.

17. Je suis donc plongé dans vous ? - R. Oui.

18. Pourquoi est-ce que je ne vous sens pas ? - R. Parce que les fluides qui composent le périsprit sont trop éthérés, pas assez matériels pour vous ; mais par la prière, la volonté, la foi en un mot, les fluides peuvent devenir plus pondérables, plus matériels, et affecter même le toucher, ce qui arrive dans les manifestations physiques et qui est la conclusion de ce mystère.

Remarque. - Supposons un rayon lumineux pénétrant dans un endroit obscur ; on peut le traverser, s'y plonger, sans en altérer la forme ni la nature ; quoique ce rayon soit une sorte de matière, elle est si subtile, qu'elle ne fait aucun obstacle au passage de la matière plus compacte. Il en est de même d'une colonne de fumée ou de vapeur que l'on peut également traverser sans difficulté ; seulement la vapeur ayant plus de densité fera sur le corps une impression que ne fait pas la lumière.

19. Supposons qu'à ce moment vous puissiez vous rendre visible aux yeux de l'assemblée, quel effet produiraient nos deux corps ainsi l'un dans l'autre ? - R. L'effet que vous vous figurez naturellement vous-mêmes ; tout votre côté gauche serait moins visible que votre côté droit ; il serait dans le brouillard, dans la vapeur du périsprit ; il en serait de même du côté droit du médium.

20. Supposons maintenant que vous puissiez vous rendre non-seulement visible, mais tangible, comme cela a lieu quelquefois, cela se pourrait-il en conservant la situation où nous sommes ? - R. Forcément je changerais peu à peu de place ; je me construirais à côté de vous.

21. Tout à l'heure, quand j'ai parlé de la visibilité seule, vous avez dit que vous seriez entre le médium et moi, ce qui indique que vous auriez changé de place ; maintenant, pour la tangibilité, il paraît que vous vous écarteriez encore davantage ; est-ce qu'il n'est pas possible que vous preniez ces deux apparences en conservant notre position première, moi restant plongé dans vous ? - R. Non, du tout, puisque je réponds à cette question. Je me reconstruirais à côté ; je ne peux me solidifier dans cette position ; je ne peux y être que si je reste fluidique.

Remarque. - De cette explication il ressort un enseignement grave ; dans l'état normal, c'est-à-dire fluidique et invisible, le périsprit est parfaitement pénétrable à la matière solide ; dans l'état de visibilité, il y a déjà un commencement de condensation qui le rend moins pénétrable ; dans l'état de tangibilité, la condensation est complète, et la pénétrabilité ne peut plus avoir lieu.

22. Croyez-vous qu'un jour la science parvienne à soumettre le périsprit à l'appréciation des instruments, comme elle le fait pour les autres fluides ? - R. Parfaitement ; vous ne connaissez encore que la surface de la matière ; mais la finesse, l'essence de la matière, vous ne la connaîtrez que peu à peu ; l'électricité et le magnétisme sont des voies certaines.

23. Avec quel autre fluide connu le périsprit a-t-il le plus d'analogie ? - R. La lumière, l'électricité et l'oxygène.

24. Il y a ici une personne qui croit avoir été votre camarade de collège ; la reconnaissez-vous ? - R. Je ne la vois pas ; je ne me souviens pas.

25. C'est M. Lucien B…, de Montbrison, qui a été avec vous au collège de Lyon. - R. Je n'aurais jamais cru vous rencontrer ainsi. J'ai fait de fortes études sur terre ; mais je vous assure que mes études, comme Esprit, sont plus graves encore. Merci, mille fois, de votre bon souvenir.

Questions et problèmes divers

M. Jobard, de Bruxelles, nous adresse la lettre suivante, ainsi que les réponses qu'il a obtenues à diverses questions.

Mon cher Président,

Bruxelles étant aussi loin de Paris que la lune du soleil, les rayons du Spiritisme ne l'ont pas encore échauffée ; pourtant Nicolas B… m'ayant consacré deux jours, nous a inoculé un médium intuitif écrivain de première qualité qui nous étonne chaque jour, autant qu'il est étonné lui-même des magnifiques dictées qui lui sont faites par l'Esprit de Tertullien, lequel veut qu'il écrive un livre explicatif du tableau de la création des mondes à partir du chaos jusqu'à Dieu. Je l'ai lu hier au grand peintre Wiertz qui l'a compris et veut lui consacrer une page de 100 pieds. Je n'ose vous envoyer ces sublimes dictées avant que vous ne vous soyez assuré de l'identité du personnage. J'en joins seulement deux ou trois bribes que je viens d'extraire des brouillons médianimiques que je conserve précieusement.

Nous avons appelé Cabanis le matérialiste qui est aussi malheureux que votre athée et tous les autres casseurs de crayons. Appelez donc Henri Mondeux pour savoir la longue filière de mathématiciens qu'il doit avoir habités. Tout le monde veut que l'on découvre Jud, l'assassin de M. Poinsot. La reddition de Gaëte nous a été annoncée huit jours à l'avance. J'ai aussi l'ordre d'écrire un livre, mais je ne sais par où commencer, n'étant pas et ne pouvant pas devenir médium écrivain, sous prétexte que je n'ai pas besoin de le devenir davantage. Votre discours de Lyon est admirable ; je le fais lire aux humanimaux les plus avancés de notre lune ; il n'y en a guère, hélas ! Quand pourrai-je aller me réchauffer à votre soleil ? Adieu, cher maître.

Jobard.

D. Les mages, les sages, les grands philosophes et les prophètes anciens n'étaient-ils pas des médiums ? - R. Évidemment, oui ; le lien qui les unissait aux intelligences supérieures agissait sur eux, et leur inspirait de nobles pensées, sans parler de leur supériorité propre qui leur permettait d'émettre des appréciations plus exactes ; ils communiquaient aux Esprits incarnés des idées qui semblaient des prophéties, car les prophéties ne sont que des communications venant des grands Esprits ; et comme ceux-ci possèdent une partie des attributs divins, les idées énoncées avaient un caractère de divination, et se sont forcément réalisées dans les temps et aux époques indiquées.

D. La médiumnité est donc une faveur pour ceux qui la possèdent ? - R. Le véritable médium qui ne fait pas métier de ce don sublime doit évidemment devenir meilleur. Comment en serait-il autrement, lorsqu'à chaque instant il peut recevoir des impressions si favorables à son progrès dans la voie du bien ? Les idées philosophiques qu'il émet, non seulement par son propre Esprit, mais encore et surtout par nous, sont rectifiées en ce que son intelligence trop faible pourrait mal comprendre et mal énoncer.

Remarque de M. J. Il suit de ces réponses pleines de justesse, que les bons médiums se multipliant, la race humaine s'améliorant par eux, finira par amener, dans un temps donné, le règne de Dieu sur la terre.

D. Dans les statistiques du crime, on remarque que les ouvriers qui travaillent le fer y figurent rarement ; est-ce que le fer aurait quelque influence sur eux ? - R. Oui, car dans ce travail manuel de transformation de la matière, il y a quelque chose qui doit élever l'esprit le moins bien doué ; une influence magnétique agit sur lui. Le fer est le père de tous les minéraux ; il est le plus utile à l'homme, et représente pour lui la vie de tous les jours, tandis que les métaux que vous appelez riches représentent pour les esprits de bas étage la source de la satisfaction de toutes les passions humaines ; ce sont les instruments de l'Esprit du mal.

D. Tous les métaux peuvent donc se changer les uns dans les autres, comme certains savants le prétendent ? R. Oui, mais cette transformation ne se fait que par le temps.

D. Et le diamant ? - R. C'est du carbone dégagé de la source qui le produit à l'état gazeux, et qui est cristallisé sous des pressions que vous ne pouvez apprécier. Mais, pas de ces questions ; je ne puis y répondre.

Tertullien.

Remarque de M. J. : généralement les Esprits refusent de répondre aux questions qui pourraient faire la fortune d'un homme sans le travail ; c'est à lui de chercher, car ces recherches font partie des épreuves qu'il doit subir dans le pénitencier que nous avons à traverser. Il est probable que les Esprits n'en savent pas plus que nous sur les découvertes à faire ; ils peuvent bien les pressentir comme nous ; ils peuvent nous guider dans nos recherches, mais ne peuvent nous éviter le plaisir ou la peine de chercher. Il n'en est pas moins très agréable, quand nous croyons tenir une solution, d'obtenir leur approbation que nous pouvons regarder comme une confirmation.

Nota. Voyez sur l'objet de la remarque ci-dessus, le Livre des Esprits, n° 532 et suivants ; le Livre des médiums, chap. des Évocations ; Questions que l'on peut adresser aux Esprits, n° 78 et suivants.

Remarque de M. A. K. La lettre de notre honorable confrère est antérieure à la publication du numéro du mois de mars de la Revue, où nous avons inséré un article sur M. Poinsot. Quant à Henri Mondeux, diverses explications ont été données à son sujet dans la Société, mais les circonstances n'ayant pas encore permis de compléter son évocation, c'est le motif pour lequel nous n'en avons pas parlé. A la demande que nous fait M. Jobard de nous assurer de l'identité de l'Esprit qui s'est communiqué sous le nom de Tertullien, nous lui avons répondu dans le temps ce que nous avons dit à ce sujet dans notre Livre des médiums. Il ne saurait y avoir de preuves matérielles de l'identité de l'Esprit des personnages anciens ; quand il s'agit surtout d'un enseignement supérieur, le nom n'est le plus souvent qu'un moyen de fixer les idées, attendu que parmi les Esprits qui viennent nous instruire, le nombre de ceux qui sont inconnus sur la terre est incontestablement le plus grand ; le nom est plutôt un signe d'analogie qu'un signe d'identité ; il ne faut y attacher qu'une importance secondaire. Ce qu'il faut considérer avant tout, c'est la bonté et la rationalité de l'enseignement ; s'il ne dément en rien le caractère de l'Esprit dont il porte le nom, s'il est à sa hauteur, c'est l'essentiel ; s'il est inférieur, l'origine doit être suspecte, parce qu'un Esprit peut faire mieux, mais non plus mal que de son vivant, attendu qu'il peut gagner, mais non perdre ce qu'il avait acquis. Les réponses suivantes, considérées à ce point de vue, nous semblent avouables par Tertullien, d'où nous concluons que ce peut être lui, sans pouvoir l'affirmer, ou un Esprit de sa catégorie qui a pris ce nom pour indiquer le rang qu'il occupe.



Les questions et les réponses suivantes nous sont adressées par un de nos correspondants de Saint-Pétersbourg.

1. Je voudrais me rendre compte quelle peut être la destination de la beauté dans l'univers ; n'est-ce qu'un écueil qui sert aux épreuves ? - R. On croit tout ce que l'on espère, on espère tout ce que l'on aime, on aime tout ce qui est beau, donc la beauté contribue à fortifier la foi. Si, souvent, elle devient une tentation, ce n'est point à cause de la beauté elle-même qui est un attribut des œuvres de Dieu, mais à cause des passions qui, semblables aux Harpies, flétrissent tout ce qu'elles touchent.

2. Et que diras-tu de l'amour ? - R. C'est un bienfait de Dieu quand il germe et se développe dans un cœur non corrompu, chaste et pur ; c'est une calamité quand les passions s'en mêlent. Autant il élève et épure dans le premier cas, autant il trouble et agite dans le second. C'est toujours la même loi admirable de l'Éternel : beauté, amour, mémoire d'une autre existence, talents que vous apportez en naissant ; tous les dons du Créateur peuvent devenir des poisons au souffle envenimé des passions que le libre arbitre peut contenir ou développer.

3. Je demande à un bon Esprit de vouloir bien m'éclairer sur les questions que je vais lui soumettre à propos des faits relatés aux pages 223 et suivantes du Livre des médiums sur la transfiguration. - R. Questionne.

4. Si dans l'augmentation du volume et du poids de la jeune fille des environs de Saint-Étienne le phénomène se produisait par l'épaississement de son périsprit, combiné avec celui de son frère, comment ses yeux, à elle, qui devaient être restés à la même place, pouvaient-ils voir à travers la couche épaisse d'un nouveau corps qui se formait devant eux ? - R. Comme voient les somnambules qui ont les paupières closes : par les yeux de l'âme.

5. Dans le phénomène cité, le corps a augmenté ; à la fin du chapitre viii il est dit qu'il est probable que si la transfiguration avait eu lieu sous l'aspect d'un petit enfant, le poids eût diminué en proportion. Je ne puis me rendre compte, d'après la théorie du rayonnement et de la transfiguration du périsprit, qu'il puisse rendre plus petit un corps solide ; il me semble que celui-ci devait déborder les deux périsprits combinés. - R. Comme le corps peut devenir invisible par la volonté d'un Esprit supérieur, celui de la jeune fille le devient par la force d'une puissance indépendante de sa volonté ; en même temps son périsprit se combinant avec celui du petit enfant, peut former, et forme en effet, l'image de cet enfant. La théorie du changement du poids spécifique t'est connue.

6. Le Spiritisme, après avoir dissipé mes doutes un à un et raffermi ma foi dans sa base, me laisse une question non résolue que voici :

Comment les Esprits nouveaux que Dieu crée, et qui sont destinés un jour à devenir de purs Esprits, après avoir passé par l'étamine d'une multitude d'existences et d'épreuves, sortent-ils si imparfaits des mains du Créateur, qui est la source de toute perfection, et ne s'améliorent-ils graduellement qu'en s'éloignant de leur origine ? - R. Ce mystère est un de ceux que l'Éternel ne nous permet point de pénétrer avant que nous autres Esprits errants ou incarnés ayons atteint la perfection qui nous est dévolue, grâce à la bonté divine, perfection qui nous rapprochera de nouveau de notre origine et fermera le cercle de l'éternité.

Remarque. Notre correspondant ne nous dit pas quel est l'Esprit qui lui a répondu, mais la sagesse de ses réponses prouve que ce n'est pas un Esprit vulgaire, c'est là l'essentiel ; car, on le sait, le nom importe peu. Nous n'avons rien à dire sur les premières réponses, qui concordent de tous points avec ce qui nous a été enseigné, ce qui prouve que la théorie que nous avons donnée des phénomènes spirites n'est pas un produit de notre imagination, puisqu'elle est donnée par d'autres Esprits, dans des temps et des lieux différents, et hors de notre influence personnelle. La dernière réponse seule ne résout pas la question proposée ; nous allons tâcher d'y suppléer. Disons d'abord que la solution peut être aisément déduite de ce qui est dit avec quelques développements dans le Livre des Esprits, sur la progression des Esprits, n° 114 et suivants. Nous aurons peu de chose à y ajouter. Les Esprits sortent des mains du Créateur simples et ignorants, mais ils ne sont ni bons ni mauvais, autrement Dieu aurait, dès leur origine, voué les uns au bien et au bonheur, les autres au mal et au malheur, ce qui ne s'accorderait ni avec sa bonté, ni avec sa justice. Les Esprits, au moment de leur création, ne sont imparfaits qu'au point de vue du développement intellectuel et moral, comme l'enfant à sa naissance, comme le germe contenu dans la graine de l'arbre ; mais ils ne sont pas mauvais par leur nature. En même temps que la raison se développe en eux, le libre arbitre en vertu duquel ils choisissent, les uns la bonne route et les autres la mauvaise, fait que les uns arrivent au but plus tôt que les autres ; mais tous, sans exception, doivent passer par les vicissitudes de la vie corporelle, pour acquérir l'expérience et avoir le mérite de la lutte ; or, dans cette lutte les uns triomphent, les autres succombent, mais les vaincus peuvent toujours se relever et racheter leur défaite.

Cette question en soulève une autre plus grave, qui nous a souvent été faite ; c'est celle-ci : Dieu qui sait tout, le passé, le présent et l'avenir, doit savoir que tel Esprit suivra la mauvaise route, qu'il succombera et sera malheureux ; dans ce cas, pourquoi l'a-t-il créé ?

Oui, certes, Dieu sait parfaitement la ligne que suivra un Esprit, autrement il n'aurait pas la souveraine science ; si la mauvaise voie dans laquelle l'Esprit s'engage devait fatalement le conduire à une éternité absolue de peines et de souffrances ; si, parce qu'il aura failli, il lui était à tout jamais défendu de se réhabiliter, l'objection ci-dessus aurait une force de logique incontestable, et c'est là peut-être le plus puissant argument contre le dogme des supplices éternels ; car, dans ce cas, il est impossible de sortir de ce dilemme : ou Dieu ne connaît pas le sort réservé à sa créature, et alors il n'a pas la souveraine science ; s'il le connaît, il l'a donc créée pour être éternellement malheureuse, et alors il n'a pas la souveraine bonté. Avec la doctrine spirite, tout s'accorde parfaitement, et il n'y a plus de contradiction : Dieu sait qu'un Esprit s'engage dans la mauvaise voie ; il connaît tous les périls dont elle est semée, mais il sait aussi qu'il en sortira, et qu'il n'y a pour lui qu'un retard ; et dans sa bonté, et pour le faciliter, il multiplie sur sa route les avertissements salutaires, dont malheureusement pour lui il ne profite pas toujours. C'est l'histoire de deux voyageurs qui veulent atteindre un beau pays où ils vivront heureux ; l'un sait éviter les obstacles, les tentations qu'il aurait de s'arrêter en chemin ; l'autre, par son imprudence, se heurte à ces mêmes obstacles, fait des chutes qui le retardent, mais il arrivera à son tour. Si, chemin faisant, des personnes charitables le préviennent des dangers qu'il court, et si, par présomption, il ne les écoute pas, il n'en sera que plus répréhensible.

Le dogme de l'éternité absolue des peines est battu en brèche de tous côtés, non seulement par l'enseignement des Esprits, mais par la simple logique du bon sens ; le soutenir c'est méconnaître les attributs les plus essentiels de la Divinité ; c'est se contredire soi-même en affirmant d'un côté ce qu'on nie de l'autre ; il tombe, et les rangs de ses partisans s'éclaircissent chaque jour, de telle sorte que, s'il faut absolument y croire pour être catholique, il n'y aura bientôt plus de vrais catholiques, pas plus qu'il n'y aurait aujourd'hui de vrais catholiques si l'Église eût persisté à faire un article de foi du mouvement du soleil et des six jours de la création. Persister dans une thèse que la raison repousse, c'est porter un coup fatal à la religion et donner des armes au matérialisme ; le Spiritisme vient, au contraire, ranimer le sentiment religieux qui fléchit sous les coups que lui porte l'incrédulité, en donnant sur les questions de l'avenir une solution que la raison la plus sévère peut admettre ; le rejeter, c'est refuser l'ancre de salut.



Enseignements et dissertations spirites

Madame de Girardin (Société spirite de Paris. Méd. Mme Costel.)

Nota. Quelques observations critiques ayant été faites sur la communication dictée, dans une précédente séance, par madame de Girardin, celle-ci y répond spontanément. Elle fait allusion aux circonstances qui ont accompagné cette communication.

Je viens remercier le membre qui a bien voulu présenter ma défense et ma réhabilitation morale devant vous. En effet, de mon vivant, j'aimais et je respectais les lois du bon goût qui sont celles de la délicatesse, je dirai plus, du cœur, pour le sexe auquel j'appartenais ; et après ma mort, Dieu a permis que je fusse assez élevée pour pratiquer facilement et simplement les devoirs de charité qui nous lient tous, Esprits et hommes. Cette explication donnée, je n'insisterai pas sur la communication signée de mon nom, la critique et le blâme ne conviennent ni à mon médium ni à moi-même ; croyez donc que je viendrai lorsque je serai évoquée, mais que jamais je ne m'interposerai dans des incidents futiles. Je vous ai parlé des enfants. Laissez-moi reprendre ce sujet qui a été la plaie douloureuse de ma vie. Une femme a besoin de la double couronne de l'amour et de la maternité pour remplir le mandat d'abnégation que Dieu lui a confié en la jetant sur la terre. Hélas ! je n'ai jamais connu ce doux et tendre souci qu'impriment dans l'âme ces frêles dépôts. Que de fois j'ai suivi d'un œil noyé de larmes amères les enfants qui venaient, en se jouant, frôler ma robe ; et je sentais l'angoisse et l'humiliation de ma déchéance. Je frémissais, j'attendais, j'écoutais, et ma vie remplie des succès du monde, fruits remplis de cendres, ne m'a laissé qu'un goût amer et décevant.

Delphine de Girardin.



Remarque. Il y a dans ce morceau une leçon qui ne doit pas passer inaperçue. Madame de Girardin, faisant allusion à certains passages de sa communication précédente qui avaient soulevé quelques objections, dit que, de son vivant, elle aimait et respectait les lois du bon goût qui sont celles de la délicatesse, et qu'elle a conservé ce sentiment après sa mort ; elle répudie, par conséquent, tout ce qui, dans des communications portant son nom s'écarterait du bon goût. L'âme, après la mort, reflète les qualités et les défauts qu'elle avait pendant sa vie corporelle, sauf les progrès qu'elle peut avoir faits en bien, car elle peut s'être améliorée, mais elle ne se montre jamais inférieure à ce qu'elle était. Dans l'appréciation des communications d'un Esprit, il y a donc souvent des nuances d'une extrême délicatesse à observer, pour distinguer ce qui est vraiment de lui, ou ce qui pourrait être le fait d'une substitution. Les Esprits vraiment élevés ne se contredisent jamais, et l'on peut hardiment rejeter tout ce qui démentirait leur caractère. Cette appréciation est souvent d'autant plus difficile qu'à une communication parfaitement authentique peut se mêler un reflet, soit de l'Esprit propre du médium qui ne rend pas exactement la pensée, soit d'un Esprit étranger qui s'interpose en insinuant sa propre pensée dans celle du médium. On doit donc considérer comme apocryphes les communications qui, de tous points, et par le fond même des idées, démentiraient le caractère de l'Esprit dont elles portent le nom ; mais il serait injuste d'en condamner l'ensemble sur quelques taches partielles qui peuvent avoir la cause que nous venons de signaler.

La peinture et la musique (Société spirite de Paris. Méd. M. Alfred Didier.)

L'art a été défini cent mille fois : c'est le beau, le vrai, le bien. La musique, qui est une des branches de l'art, est entièrement dans le domaine de la sensation. Entendons-nous, et tâchons de n'être pas obscur. La sensation est produite chez l'homme quand il comprend l'art de deux façons distinctes, mais qui se lient étroitement ; la sensation de la pensée qui a pour conclusion la mélancolie ou la philosophie, et puis la sensation qui appartient entièrement au cœur. La musique, selon moi, est l'art qui va le plus droit au cœur. La sensation, vous me comprenez, est toute dans le cœur ; la peinture, l'architecture, la sculpture, la peinture avant tout, atteignent bien plus à la sensation cérébrale ; en un mot la musique va du cœur à l'esprit, la peinture de la pensée au cœur. L'exaltation religieuse a créé l'orgue ; quand la poésie, sur la terre, touche l'orgue, les anges du ciel lui répondent ; ainsi la musique sérieuse, religieuse élève l'âme et les pensées ; la musique légère fait vibrer les nerfs, rien de plus. Je voudrais bien faire quelques personnalités, mais je n'en ai pas le droit : je ne suis plus sur la terre. Aimez le Requiem de Mozart qui l'a tué. Je ne désire pas plus que les Esprits votre mort par la musique, mais la mort vivante cependant, c'est là l'oubli de tout ce qui est terrestre, par l'élévation morale.

Lamennais.

Fête des bons Esprits - A l'arrivée d'un Frère parmi eux. (Envoi de Mme Cazemajoux, médium de Bordeaux.)

Nous avons aussi nos fêtes, et cela nous arrive souvent, car les bons Esprits de la terre, nos frères bien-aimés, en se dépouillant de leur enveloppe matérielle, nous tendent les bras, et nous allons en troupe innombrable les recevoir à l'entrée du séjour qu'ils vont désormais habiter avec nous ; et dans ces fêtes ne s'agitent pas, comme dans les vôtres, les passions humaines qui, sous les visages gracieux, et les fronts couronnés de fleurs, cachent l'envie, l'orgueil, la jalousie, la vanité, le désir de plaire et de primer sur ses rivaux dans ces plaisirs factices qui n'en sont pas. Ici règnent la joie, la paix, la concorde ; chacun est content du rang qui lui est assigné et heureux du bonheur de ses frères. Eh bien ! mes amis, avec cet accord parfait qui règne entre nous, nos fêtes ont un charme indescriptible ; des millions de musiciens chantent sur des lyres harmonieuses les merveilles de Dieu et de la création, avec des accents plus ravissants que vos plus suaves mélodies ; de longues processions aériennes d'Esprits voltigent comme des zéphyrs, en jetant sur les nouveaux arrivés des nuages de fleurs dont vous ne pouvez comprendre le parfum et les nuances variées ; puis le banquet fraternel où sont conviés ceux qui ont terminé avec bonheur leur épreuve, et viennent recevoir la récompense de leurs travaux. Oh ! mon ami, tu voudrais en savoir davantage, mais votre langue est impuissante à décrire ces magnificences ; je vous en ai dit assez, à vous qui êtes mes bien-aimés, pour vous donner le désir d'y aspirer, et alors, cher Emile, libre de la mission que je remplis auprès de toi sur la terre, je la continuerai pour te conduire à travers l'espace, et te faire jouir de toutes ces félicités.

Félicia, Femme de l'évocateur Émile, et depuis un an son guide protecteur.

Venez à nous. (Envoi de Mme Cazemajoux, médium de Bordeaux.)

Le Spiritisme est l'application de la morale évangélique prêchée par le Christ dans toute sa pureté, et les hommes qui le condamnent sans le connaître sont peu sages. En effet, pourquoi qualifier de superstition, de jongleries, de sortilèges, de démonomanie des choses que le vulgaire bon sens ferait accepter s'il voulait les étudier ? L'âme est immortelle : c'est l'Esprit. La matière inerte, c'est le corps périssable se dépouillant de ses formes pour ne devenir, quand l'Esprit l'a quitté, qu'un amas de pourriture sans nom. Et vous trouvez logique, vous qui ne croyez pas au Spiritisme, que cette vie qui, pour la plupart d'entre vous, est une vie d'amertume, de douleurs, de déceptions, un véritable purgatoire, n'ait d'autre but que la tombe ! Détrompez-vous ; venez à nous, pauvres déshérités des biens, des grandeurs et des jouissances terrestres, venez à nous et vous serez consolés en voyant que vos douleurs, vos privations, vos souffrances, doivent vous ouvrir les portes des mondes heureux, et que Dieu, juste et bon pour toutes ses créatures, ne nous a éprouvés que pour notre bien, selon cette parole du Christ : Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés. - Venez donc, incrédules et matérialistes ; rangez-vous sous la bannière où sont écrites en lettres d'or ces paroles : Amour et charité pour les hommes qui sont tous frères ; bonté, justice, indulgence d'un père grand et généreux pour les Esprits qu'il a créés, et qu'il élève vers lui par des voies sûres, quoiqu'elles vous soient inconnues ; la charité, l'amélioration morale, le développement intellectuel, vous conduiront vers l'auteur et le maître de toutes choses.

Nous ne vous instruisons que pour que vous travailliez à votre tour à répandre cette instruction ; mais surtout faites-le sans aigreur ; soyez patients et attendez. Jetez la semence ; la réflexion et l'aide de Dieu la feront fructifier, d'abord pour un petit nombre qui fera comme vous, et peu à peu le nombre des ouvriers s'augmentant, vous fera espérer après les semailles une bonne et abondante moisson.

Ferdinand, Fils du médium.

Le progrès intellectuel et moral (Envoi de M. Sabo, de Bordeaux.)

Je viens vous dire que le progrès moral est le plus utile à acquérir, parce qu'il nous corrige de nos mauvais penchants, et nous rend bons, charitables et dévoués pour nos frères. Cependant, le progrès intellectuel est utile aussi pour notre avancement, car il élève l'âme, nous fait juger plus sainement nos actions, et par là facilite le progrès moral ; il nous initie aux enseignements que Dieu nous fait donner depuis des siècles par tant d'hommes de mérites divers, qui sont venus sous toutes les formes et dans toutes les langues pour nous faire connaître la vérité, et qui n'étaient autres que des Esprits déjà avancés, envoyés par Dieu pour le développement de l'entendement humain. Mais dans le temps où vous vivez la lumière qui n'éclairait qu'un petit nombre va luire pour tous. Travaillez donc pour comprendre la grandeur, la puissance, la majesté, la justice de Dieu ; pour comprendre la sublime beauté, de ses œuvres ; pour comprendre les magnifiques récompenses accordées aux bons, et les châtiments infligés aux méchants ; pour comprendre enfin que le seul but auquel vous devez aspirer, c'est de vous rapprocher de lui.

Georges, Évêque de Périgueux et de Sarlat, qui est heureux d'être un des guides du médium.

L'Inondation. (Envoi de M. Casimir H., d'Inspruck ; traduit de l'allemand.)

Dans une contrée jadis stérile, surgit un jour une source ; ce n'était d'abord qu'un mince filet d'eau qui s'écoula dans la plaine, et l'on n'y donna que peu d'attention. Peu à peu ce faible ruisseau grossit et devint rivière ; en s'élargissant, il empiéta sur les terres voisines, mais celles qui restèrent à découvert furent fertilisées et rapportèrent le centuple. Cependant un propriétaire riverain, mécontent de voir son terrain reculé, entreprit d'en arrêter le cours pour reprendre la portion couverte par les eaux, croyant ainsi accroître sa richesse ; or il arriva que la rivière refoulée submergea tout, terrain et propriétaire.

Telle est l'image du progrès ; comme un fleuve impétueux il rompt les digues qu'on lui oppose et entraîne avec lui les imprudents qui, au lieu d'en suivre le cours, cherchent à l'entraver. Il en sera de même du Spiritisme ; Dieu l'envoie pour fertiliser le terrain moral de l'humanité, bienheureux ceux qui sauront en profiter, malheur à ceux qui tenteraient de s'opposer aux desseins de Dieu ! Ne le voyez-vous pas qui s'avance à pas de géant des quatre points cardinaux ? Déjà partout sa voix se fait entendre, et bientôt elle couvrira tellement celle de ses ennemis, que ceux-ci seront forcés au silence et contraints de se courber devant l'évidence. Hommes ! ceux qui essaient d'enrayer la marche irrésistible du progrès vous préparent de rudes épreuves ; Dieu permet qu'il en soit ainsi pour le châtiment des uns et pour la glorification des autres ; mais il vous donne dans le Spiritisme le pilote qui doit vous conduire au port, en portant dans ses mains le drapeau de l'espérance.

Wilhelm, Aïeul du médium.




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