REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Décembre

Un publiciste distingué, pour le caractère duquel nous professons la plus profonde estime, et dont les sympathies sont acquises à la philosophie spirite, mais à qui l'utilité de l'enseignement des Esprits n'est pas encore démontrée, nous écrit ce qui suit :

« … Je crois que l'humanité était depuis longtemps en possession des principes que vous avez exposés, principes que j'aime et que je défends sans le secours des communications spirites, ce qui ne veut pas dire, remarquez-le bien, que je nie le secours des lumières divines. Chacun de nous reçoit ce secours dans une certaine limite, suivant le degré de sa bonne volonté, de son amour du prochain, et aussi dans la mesure de la mission qu'il a à remplir pendant son passage sur la terre. Je ne sais si vos communications vous ont mis en possession d'une seule idée, d'un seul principe qui n'ait été précédemment exposé par la série des philosophes et des penseurs qui, depuis Confucius jusqu'à Platon, jusqu'à Moïse, Jésus-Christ, saint Augustin, Luther, Diderot, Voltaire, Condorcet, Saint-Simon etc., ont fait progresser notre humble planète. Je ne le pense pas, et si je me trompe, je vous serais fort reconnaissant de la peine que vous prendriez pour me démontrer mon erreur. Notez bien que je ne condamne pas vos procédés spirites : je les crois inutiles pour moi, etc.… »

Mon cher monsieur, je vais répondre en quelques mots à votre question. Je n'ai ni votre talent ni votre éloquence, mais je tâcherai d'être clair, non seulement pour vous, mais pour mes lecteurs, à qui ma réponse pourra servir d'enseignement, c'est pourquoi je vous la fais par la voie de mon journal.

Je dirai d'abord que, de deux choses l'une, ou les communications avec les Esprits existent, ou elles n'existent pas. Si elles n'existent pas, des millions de personnes qui communiquent journellement avec eux se font une étrange illusion, et moi-même j'aurais eu une singulière idée de leur attribuer ce dont j'aurais pu me faire un mérite ; mais il est d'autant moins utile de discuter ce point que vous ne le contestez pas. Si cette communication existe, elle doit avoir son utilité, parce que Dieu ne fait rien d'inutile ; or, cette utilité ressort non seulement de cet enseignement, mais encore et surtout des conséquences de cet enseignement, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

Vous dites que ces communications n'apprennent rien de nouveau que ce qui a été enseigné par tous les philosophes depuis Confucius, d'où vous concluez qu'elles sont inutiles. Le proverbe : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil » est parfaitement vrai, et Edouard Fournier l'a clairement démontré dans son intéressant ouvrage du Vieux neuf ; ce qu'il a dit des œuvres de l'industrie est tout aussi vrai en matière philosophique, et cela par une raison très simple, c'est que les grandes vérités sont de tous les temps, et de tous temps elles ont dû se révéler à des hommes de génie. Mais de ce qu'un homme a formulé une idée, s'ensuit-il que celui qui la formule après lui soit inutile ? Socrate et Platon n'ont-ils pas énoncé des principes de morale identiques à ceux de Jésus ? Faut-il en conclure que la doctrine de Jésus a été une superfluité ? A ce compte-là, bien peu de travaux seraient d'une utilité réelle, puisque, de la plupart, on peut dire qu'un autre a eu la même pensée, et qu'il suffit d'y avoir recours. Vous-même, mon cher monsieur, qui consacrez votre talent au triomphe des idées de progrès et de liberté, que dites-vous que cent autres n'aient dit avant vous ? En faut-il conclure que vous devriez vous taire ? Vous ne le pensez pas. Confucius, par exemple, proclame une vérité, puis un, deux, trois, cent autres hommes viennent après lui qui la développent, la complètent, et la présentent sous une autre forme, si bien que cette vérité, qui fût restée dans les cartons de l'histoire et le privilège de quelques érudits, se popularise, s'infiltre dans les masses et finit par devenir une croyance vulgaire. Que serait-il advenu des idées des philosophes anciens si elles n'avaient été reprises en sous-œuvres par des écrivains modernes ? Combien les connaîtraient aujourd'hui ? C'est ainsi que, chacun, à son tour, vient donner son coup de marteau.

Supposons donc que les Esprits n'aient rien enseigné de nouveau ; qu'ils n'aient pas révélé la plus petite vérité nouvelle ; qu'ils n'aient fait, en un mot, que répéter toutes celles qu'ont professées les apôtres du progrès, n'est-ce donc rien que ces principes enseignés aujourd'hui par les voix du monde invisible dans toutes les parties du monde, dans l'intérieur de toutes les familles, depuis le palais jusqu'à la chaumière ? N'est-ce donc rien que ces millions de coups de marteau frappés tous les jours à toute heure et partout ? Croyez-vous que les masses n'en sont pas plus pénétrées et impressionnées, venant de leurs parents ou amis, que par les maximes de Socrate et de Platon qu'ils n'ont jamais lues ou qu'ils ne connaissent que de nom ? Comment, vous, mon cher monsieur, qui combattez les abus de toutes sortes, pouvez-vous dédaigner un pareil auxiliaire ? un auxiliaire qui frappe à toutes les portes, bravant toutes les consignes et toutes les mesures inquisitoriales ? Cet auxiliaire seul, vous en aurez un jour la preuve, triomphera de toutes les résistances, parce qu'il prend les abus par la base en s'appuyant sur la foi qui s'éteint et qu'il vient consolider.

Vous prêchez la fraternité en termes éloquents, c'est très bien, et je vous admire ; mais qu'est-ce que la fraternité avec l'égoïsme ? L'égoïsme sera toujours la pierre d'achoppement pour la réalisation des idées les plus généreuses ; les exemples anciens et récents ne manqueraient pas à l'appui de cette proposition. Il faut donc prendre le mal dans sa racine, et pour cela combattre l'égoïsme et l'orgueil qui ont fait et feront avorter les projets les mieux conçus ; et comment détruire l'égoïsme sous l'empire des idées matérialistes qui concentrent l'action de l'homme sur la vie présente ? Pour celui qui n'attend rien après cette vie, l'abnégation n'a aucune raison d'être ; le sacrifice est une duperie, parce que c'est autant de pris sur les courtes jouissances de ce monde. Or, qui donne cette foi inaltérable dans l'avenir mieux que le Spiritisme ?

Comment est-il parvenu à triompher de l'incrédulité d'un si grand nombre, à dompter tant de passions mauvaises, si ce n'est par les preuves matérielles qu'il donne, et comment peut-il donner ces preuves sans les rapports établis avec ceux qui ne sont plus sur la terre ? N'est-ce donc rien d'avoir appris aux hommes d'où ils viennent, où ils vont, et l'avenir qui leur est réservé ? La solidarité qu'il enseigne n'est plus une simple théorie, c'est une conséquence forcée des rapports qui existent entre les morts et les vivants ; rapports qui font de la fraternité entre vivants non seulement un devoir moral, mais une nécessité, parce qu'il y va de l'intérêt de la vie future.

Les idées de castes, les préjugés aristocratiques, produits de l'orgueil et de l'égoïsme, n'ont-ils pas été de tous temps un obstacle à l'émancipation des masses ? Suffit-il de dire en théorie aux privilégiés de la naissance et de la fortune : Tous les hommes sont égaux ! L'Evangile a-t-il suffi pour persuader aux chrétiens possesseurs d'esclaves que ces esclaves sont leurs frères ? Or, qui peut détruire ces préjugés, qui passe un niveau sur toutes les têtes mieux que la certitude que dans les derniers rangs de la société se trouvent des êtres qui ont occupé le haut de l'échelle sociale ; que parmi nos serviteurs, parmi ceux à qui nous donnons l'aumône, peuvent se trouver des parents, des amis, des hommes qui nous ont commandés ; que ceux enfin qui sont haut placés maintenant peuvent descendre au dernier échelon ? Est-ce donc là un enseignement stérile pour l'humanité ? Cette idée est-elle nouvelle ? Non ; plus d'un philosophe l'a émise et a pressenti cette grande loi de la justice divine ; mais n'est-ce rien que d'en donner la preuve palpable, évidente ? Bien des siècles avant Copernic, Galilée et Newton, la rondeur et le mouvement de la terre ont été posés en principes ; ces savants sont venus démontrer ce que d'autres n'avaient fait que soupçonner ; ainsi en est-il des Esprits qui viennent prouver les grandes vérités, restées à l'état de lettres mortes pour le plus grand nombre, en leur donnant pour base une loi de nature.

Ah ! mon cher monsieur, si vous saviez comme moi combien d'hommes, qui eussent été des entraves à la réalisation des idées humanitaires, ont changé de manière de voir et en deviennent aujourd'hui les champions, grâce au Spiritisme, vous ne diriez pas que l'enseignement des Esprits est inutile ; vous le béniriez comme l'ancre de salut de la société, et vous appelleriez de tous vos vœux sa propagation. Est-ce donc l'enseignement des philosophes qui leur avait manqué ? Non, car la plupart sont des hommes éclairés, mais pour eux les philosophes étaient des rêveurs, des utopistes, de beaux parleurs ; que dis-je ? des révolutionnaires ; il fallait les frapper au cœur, et ce qui les a frappés, ce sont les voix d'outre-tombe qui se sont fait entendre à leur propre foyer.

Permettez-moi, cher monsieur, d'en rester là pour aujourd'hui ; l'abondance des matières me force à remettre au prochain numéro la question envisagée à un autre point de vue.



Au sujet de notre article du mois dernier sur l'ordonnance de Mgr l'évêque d'Alger, plusieurs personnes nous ont demandé si nous le lui avions adressé. Nous ignorons si quelqu'un s'est chargé de ce soin ; quant à nous, nous ne l'avons point fait, et voici notre raison :

Nous n'avons nulle intention de convertir Mgr d'Alger à nos opinions. Il eût pu voir dans l'envoi direct de cet article une sorte de bravade de notre part, ce qui n'est pas dans notre caractère. Le Spiritisme, encore une fois, doit être accepté librement et ne violenter aucune conscience ; il doit attirer à lui par la puissance de son raisonnement, accessible à tous, et par les bons fruits qu'il donne ; il doit réaliser cette parole du Christ : « Jadis le ciel se gagnait par la violence, aujourd'hui, c'est par la douceur. » De deux choses l'une : ou Mgr d'Alger tient à ne parler que de ce qu'il sait, ou il n'y tient pas. Dans le premier cas, il doit de lui-même se tenir au courant de la question, et ne point se borner aux écrits qui abondent dans son sens, s'il ne veut s'exposer à commettre de regrettables erreurs ; dans le second cas, ce serait peine perdue de chercher à ouvrir les yeux à qui veut les fermer.

C'est une grave erreur de croire que le sort du Spiritisme dépende de l'adhésion de telle ou telle individualité ; il s'appuie sur une base plus solide : l'assentiment des masses, dans lesquelles l'opinion des plus petits a son poids comme celle des plus grands. Ce n'est pas une seule pierre qui fait la solidité d'un édifice, parce qu'une pierre peut être renversée : mais l'ensemble de toutes les pierres qui lui servent de fondation. Dans une question d'un aussi vaste intérêt, l'importance des individualités, considérées en elles-mêmes, s'efface en quelque sorte ; chacune apporte son contingent d'action, mais que quelques-unes manquent à l'appel, l'ensemble n'en souffre pas.

Dans son opinion, Mgr d'Alger a cru devoir faire ce qu'il a fait ; il était dans son droit ; nous disons plus : il a bien fait de le faire, puisqu'il a agi selon sa conscience ; si le résultat ne répond pas à son attente, c'est qu'il a fait fausse route, voilà tout. Il ne nous appartient pas de chercher à modifier ses idées, et, par ce motif, nous n'avions pas à lui adresser notre réfutation. Nous ne l'avons point écrite pour lui, mais pour l'instruction des Spirites de tous les pays, afin de les rassurer sur les conséquences d'une démarche qui aura probablement des imitateurs. Peu importe donc la mesure en elle-même ; l'essentiel était de prouver que ni celle-là ni d'autres ne pouvaient atteindre le but qu'on se propose : l'anéantissement du Spiritisme.

En thèse générale, dans toutes nos réfutations, nous n'avons jamais en vue les individus, parce que les questions personnelles meurent avec les personnes. Le Spiritisme voit les choses de plus haut ; il s'attache aux questions de principes, qui survivent aux individus. Dans un temps donné, tous les détracteurs actuels du Spiritisme seront morts ; puisque, de leur vivant, ils n'ont pas pu arrêter son élan, ils le pourront encore moins quand ils n'y seront plus ; bien au contraire, plus d'un, reconnaissant son erreur, secondera comme Esprit ce qu'il avait combattu comme homme, ainsi que le fait feu l'évêque de Barcelone, que nous recommandons aux prières de tous les Spirites, selon le désir qu'il a exprimé. Voyez déjà si, avant de partir, plus d'un antagoniste n'est pas mort moralement ! De tous les écrits qui prétendaient pulvériser la doctrine, combien ont survécu ? Un an ou deux ont suffi pour mettre la plupart en oubli, et ceux qui ont fait le plus de bruit n'ont jeté qu'un feu de paille, déjà éteint ou s'éteignant chaque jour ; encore quelques années, et il n'en sera plus question, on les cherchera comme des raretés. En est-il de même des idées spirites ? Les faits répondent à la question. Est-il à présumer qu'après leurs auteurs viendront des adversaires plus redoutables qui auront raison du Spiritisme ? C'est peu probable, parce que ce n'est ni le talent, ni la bonne volonté, ni la haute position qui manquent à ceux d'aujourd'hui ; ils sont tout feu et tout ardeur ; ce qui leur manque, ce sont des arguments qui l'emportent sur ceux du Spiritisme, et certainement ce n'est pas faute d'en chercher ; or, l'idée spirite gagnant sans cesse des partisans, le nombre des adversaires diminuera en proportion, et ils se verront forcés d'accepter un fait accompli.

Au reste, nous avons déjà dit que le clergé n'est point unanime dans sa réprobation contre le Spiritisme ; nous connaissons personnellement plusieurs ecclésiastiques qui sont très sympathiques à cette idée, et en acceptent toutes les conséquences ; en voici une preuve bien caractéristique. Le fait suivant, dont nous pouvons garantir l'authenticité, est tout récent.

Dans un compartiment de chemin de fer se trouvaient deux messieurs, un savant, matérialiste et athée au suprême degré, et son ami, au contraire, très spiritualiste. Ils discutaient chaudement et soutenaient chacun leur opinion. A une station monte un jeune abbé qui écoute d'abord la conversation, puis y prend part. S'adressant à l'incrédule, il lui dit : « Il paraît, monsieur, que vous ne croyez à rien, pas même à Dieu ? – C'est la vérité, je l'avoue, monsieur l'abbé, et personne n'a encore pu me prouver que je suis dans l'erreur. – Eh bien ! monsieur, je vous engage à aller chez les Spirites, et vous croirez. – Comment ! monsieur l'abbé, c'est vous qui me tenez un pareil langage ? – Oui, monsieur, et je le dis parce que c'est ma conviction. Je sais, par expérience, que lorsque la religion est impuissante à vaincre l'incrédulité, le Spiritisme en triomphe. – Mais, que penserait votre évêque s'il savait ce que vous me dites là ? – Il en penserait ce qu'il voudrait, et je le lui dirais à lui-même, parce que j'ai pour habitude de ne pas cacher ma façon de penser. »

C'est ce savant lui-même qui a raconté le fait à un de ses amis, de qui nous le tenons.

En voici un autre non moins significatif. Un de nos fervents adeptes étant allé voir un de ses oncles, curé de village, le trouva occupé à lire le Livre des Esprits. Nous transcrivons textuellement le récit qu'il nous a donné de sa conversation. « Eh quoi ! mon oncle, vous lisez ce livre, et vous n'avez pas peur d'être damné ? C'est sans doute pour le réfuter dans vos sermons ? – Au contraire, cette doctrine me tranquillise sur l'avenir, car je comprends aujourd'hui bien des mystères que je n'avais pu comprendre, même dans l'Évangile. Et toi, est-ce que tu connais cela ? – Comment donc, si je le connais ! Je suis Spirite de cœur et d'âme, et de plus quelque peu médium. – Alors, mon cher neveu, touche là ! Nous n'avions jamais pu nous entendre sur la religion, maintenant nous nous comprendrons. Pourquoi ne m'en as-tu pas encore parlé ? – Je craignais de vous scandaliser. – Tu me scandalisais bien davantage autrefois par ton incrédulité. – Si j'étais incrédule, c'est vous qui en êtes cause. – Comment cela ? – N'est-ce pas vous qui m'avez élevé ? Et qu'est-ce que vous m'avez appris en fait de religion ? Vous m'avez toujours voulu expliquer ce que vous ne compreniez pas vous-même ; puis, quand je vous questionnais et que vous ne saviez que répondre, vous me disiez : « Tais-toi, malheureux ! il faut croire et ne pas chercher à comprendre. Tu ne seras jamais qu'un athée. » Maintenant c'est peut-être moi qui pourrais vous en remontrer. Aussi, c'est moi qui me charge d'instruire mon fils ; il a dix ans, et je vous assure qu'il est plus croyant que je ne l'étais à son âge, entre vos mains, et je ne crains pas qu'il perde jamais sa foi, parce qu'il comprend tout aussi bien que moi. Si vous voyiez comme il prie avec ferveur, comme il est docile, laborieux, attentif à tous ses devoirs, vous en seriez édifié. Mais, dites-moi, mon oncle, est-ce que vous prêchez le Spiritisme à vos paroissiens ? – Ce n'est pas la bonne envie qui m'en empêche, mais tu comprends que cela ne se peut pas. – Est-ce que vous leur parlez toujours de la fournaise du diable, comme de mon temps ? Je puis vous dire cela maintenant sans vous offenser ; mais vraiment, cela nous faisait bien rire ; parmi vos auditeurs, je vous certifie qu'il n'y avait pas seulement trois ou quatre bonnes femmes qui croyaient à ce que vous disiez ; les jeunes filles, qui sont d'ordinaire assez craintives, allaient « jouer au diable » en sortant du sermon. Si cette crainte a si peu d'empire sur des gens de campagne, naturellement superstitieux, jugez de ce que cela doit être chez ceux qui sont éclairés. Ah ! mon cher oncle, il est grand temps de changer de batterie, car le diable a fini son temps. – Je le sais bien, et le pis de tout cela, c'est que la plupart ne croient pas plus à Dieu qu'au diable, c'est pourquoi ils sont plus souvent au cabaret qu'à l'église. Je suis, je t'assure, quelquefois bien embarrassé pour concilier mon devoir et ma conscience ; je tâche de prendre un moyen terme : je parle plus souvent de morale, des devoirs envers la famille et la société, en m'appuyant sur l'Évangile, et je vois que je suis mieux compris et mieux écouté. – Quel résultat pensez-vous que l'on obtiendrait si on leur prêchait la religion au point de vue du Spiritisme ? – Tu m'as fait ta confession, je vais te faire la mienne et te parler à cœur ouvert. J'ai la conviction qu'avant dix ans il n'y aurait pas un seul incrédule dans la paroisse, et que tous seraient d'honnêtes gens ; ce qui leur manque, c'est la foi ; chez eux il n'y en a plus, et leur scepticisme, n'ayant pas pour contre-poids le respect humain que donne l'éducation, a quelque chose de bestial. Je leur parle de morale, mais la morale sans la foi n'a point de base, et le Spiritisme leur donnerait cette foi ; car ces gens-là, malgré leur manque d'instruction, ont beaucoup de bon sens ; ils raisonnent plus qu'on ne croit, mais ils sont extrêmement défiants, et cette défiance fait qu'ils veulent comprendre avant de croire ; or, il n'y a pour cela rien de mieux que le Spiritisme. – La conséquence de ce que vous dites, mon oncle, est que, si ce résultat est possible dans une paroisse, il l'est également dans les autres ; si donc tous les curés de France prêchaient en s'appuyant sur le Spiritisme, la société serait transformée en peu d'années. – C'est mon opinion. – Pensez-vous que cela arrive un jour ? – J'en ai l'espoir. – Et moi, j'ai la certitude qu'avant la fin de ce siècle on verra ce changement. Dites-moi, mon oncle, êtes-vous médium ? – Chut ! (tout bas) Oui ! – Et que vous disent les Esprits ? – Ils me disent que… » (Ici le bon curé parla si bas, que son neveu ne put entendre.)

Nous avons dit que l'ordonnance de Mgr d'Alger n'avait point arrêté l'élan du Spiritisme dans cette contrée ; l'extrait suivant de deux lettres, entre beaucoup d'autres analogues, peut en donner une idée.

« Cher et vénéré maître, je viens aujourd'hui, en vous confirmant ma précédente lettre, et à l'occasion de la circulaire de Mgr l'évêque d'Alger, vous renouveler l'assurance de l'attachement inviolable de tous les Spirites de notre groupe à la sainte et sublime doctrine du Spiritisme, qu'on ne parviendra jamais à nous persuader être l'œuvre du diable, parce qu'elle nous a arrachés au doute et au culte de la matière, et qu'elle nous rend meilleurs les uns pour les autres, même pour nos ennemis, pour qui nous faisons chaque jour une prière. Nous continuons, comme par le passé, à nous réunir et à recevoir les instructions de nos Esprits protecteurs, qui nous assurent que tout ce qui se passe est pour le mieux et selon les vues de la Providence. Tous nous disent que les temps sont proches où de grands changements vont s'opérer dans les croyances auxquelles le Spiritisme servira de lien pour amener tous les hommes à la fraternité… »

Une autre lettre dit : « L'ordonnance de Mgr l'évêque d'Alger a fourni à notre curé le sujet d'un sermon fulminant contre le Spiritisme, mais il en a été pour les frais de son éloquence ; je me trompe, car il a fait une si forte impression sur plusieurs railleurs, que ceux-ci, voyant le Spiritisme pris au sérieux par l'autorité ecclésiastique, se sont dit qu'il devait y avoir là quelque chose de sérieux ; ils se sont donc mis à l'étudier, et maintenant ils n'en rient plus et sont des nôtres. Du reste le nombre des Spirites continue à augmenter et plusieurs nouveaux groupes sont en train de se former. »

Toute notre correspondance est dans le même sens, et ne nous signale pas une seule défection, mais seulement quelques individus que leur position dépendante de l'autorité ecclésiastique oblige à ne pas se mettre en évidence, sans cesser toutefois de s'occuper du Spiritisme dans l'intimité ou dans le silence du cabinet. On peut imposer les actes extérieurs, mais non maîtriser la conscience. La communication ci-après prouve que, pas plus chez les Esprits que chez les hommes, l'élan ne s'est ralenti.



Sétif, 17 septembre 1863.

« Je viens à vous, mes amis, rempli de joie, en voyant le Spiritisme faire de rapides progrès, prendre chaque jour de nouvelles forces, au milieu des entraves qu'on lui oppose. Ces forces ne sont pas seulement celles du nombre, mais encore celles de l'union, de la fraternité, de la charité. Ayez donc confiance, espoir et courage en marchant dans cette sainte route du progrès spirite dont nulle puissance humaine ne vous détournera.

Cependant, attendez-vous à la lutte, et préparez-vous à la soutenir. Vos ennemis sont là qui vous forgent de lourdes chaînes avec lesquelles ils espèrent vous tenir et vous dompter. Que feront-ils contre la volonté de Dieu qui vous protège ? Les fondements de sa loi s'élèveront malgré tous les empêchements. Les serviteurs du Tout-Puissant sont remplis d'ardeur et de zèle ; ils ne se laisseront pas abattre ; ils résisteront à toutes les attaques ; ils marcheront dans la voie quand même et toujours ; les entraves, les chaînes se briseront comme si elles étaient de verre.

Je vous le dis, veillez, priez, tendez la main aux malheureux, dessillez les yeux qui sont fermés ; que vos cœurs et vos bras soient ouverts à tous sans exception. Spirites, votre tâche est belle ! qu'y a-t-il de plus beau, de plus consolant, que ce pacte d'union entre les vivants et les morts ? Quels immenses services nous pourrons nous rendre mutuellement ! Par vos prières à Dieu, partant du fond du cœur, vous pouvez beaucoup pour le soulagement des âmes qui souffrent, et combien le bienfait est doux au cœur de celui qui le pratique ! Quelle touchante harmonie que celle des bénédictions que vous aurez méritées ! Encore une fois, priez en élevant votre âme au ciel, et soyez persuadés que chacune de vos prières sera écoutée et apaisera une douleur.

Comprenez bien que plus vous amènerez d'hommes à vous imiter, plus l'ensemble de vos prières aura de puissance. Prenez les hommes par la main, et conduisez-les dans la vraie route où ils grossiront votre phalange. Prêchez la bonne doctrine, la doctrine de Jésus, celle que le divin Maître enseigne lui-même dans ses communications, qui ne font que répéter et confirmer la doctrine des Évangiles. Ceux qui vivront verront des choses admirables, je vous le dis.

D. Faut-il répondre à ce mandement par la voix de la presse ? – R. Mon Dieu, permettez-moi de leur dire ce que je pense ! Ils ont établi une route ; ils la font balayer pour que le peuple s'y promène avec plus de commodité et en plus grand nombre ; aussi la foule vient s'y presser. Vous devez comprendre mon langage, quelque peu énigmatique. Votre devoir de Spirites est de leur montrer qu'ils ont ouvert la porte au lieu de la fermer.

Saint Joseph. »

Remarque. Cette communication a été obtenue par un ouvrier, médium complètement illettré, et qui savait à peine signer ; depuis qu'il est médium, il écrit un peu, mais très difficilement. On ne peut donc supposer que la dissertation ci-dessus soit l'œuvre de son imagination.

Une lettre qui nous est adressée contient le passage suivant :
« Je viens d'avoir une discussion avec le curé d'ici sur la doctrine spirite ; au sujet de la réincarnation il m'a dit de lui dire lequel des corps prendra l'Esprit d'Elie au dernier jugement annoncé par l'Eglise pour se présenter devant Jésus-Christ ; si ce sera son premier ou son second. Je n'ai pas pu lui répondre ; il a ri et m'a dit que nous n'étions pas forts, messieurs les Spirites. »

Nous ne savons lequel des deux a provoqué la discussion ; dans tous les cas, il y a toujours imprudence à s'engager dans une controverse quand on ne se sent pas de force à la soutenir. Si l'initiative est venue de notre correspondant, nous lui rappellerons ce que nous n'avons cessé de répéter, que « le Spiritisme s'adresse à ceux qui ne croient pas ou qui doutent, et non à ceux qui ont une foi et à qui cette foi suffit ; qu'il ne dit à personne de renoncer à ses croyances pour adopter les nôtres, » et en cela il est conséquent avec les principes de tolérance et de liberté de conscience qu'il professe. Par ce motif, nous ne saurions approuver les tentatives faites par certaines personnes pour convertir à nos idées le clergé de quelque communion que ce soit. Nous répèterons donc à tous les Spirites : Accueillez avec empressement les hommes de bonne volonté ; donnez la lumière à ceux qui la cherchent, car avec ceux qui croient l'avoir vous ne réussirez pas ; ne faites violence à la foi de personne, pas plus du clergé que des laïques, car vous venez ensemencer les champs arides ; mettez la lumière en évidence, pour que ceux qui voudront la voir la regardent ; montrez les fruits de l'arbre, et donnez à manger à ceux qui ont faim, et non à ceux qui disent être rassasiés. Si des membres du clergé viennent à vous avec des intentions sincères et sans arrière-pensée, faites pour eux ce que vous faites pour vos autres frères : instruisez ceux qui le demanderont, mais ne cherchez point à amener de force ceux qui croiront leur conscience engagée à penser autrement que vous ; laissez-leur la foi qu'ils ont, comme vous demandez qu'ils vous laissent la vôtre ; montrez-leur enfin que vous savez pratiquer la charité selon Jésus. S'ils attaquent les premiers, c'est alors qu'on a le droit de réponse et de réfutation ; s'ils ouvrent la lice, il est permis de les suivre sans s'écarter toutefois de la modération dont Jésus a donné l'exemple à ses disciples ; si nos adversaires s'en écartent eux-mêmes, il faut leur laisser ce triste privilège qui n'est jamais une preuve de la véritable force. Si nous-même sommes entré depuis quelque temps dans la voie de la controverse, et si nous avons relevé le gant jeté par quelques membres du clergé, on nous rendra cette justice que notre polémique n'a jamais été agressive ; s'ils n'eussent attaqué les premiers, jamais leur nom n'eût été prononcé par nous. Nous avons toujours méprisé les injures et les personnalités dont nous avons été l'objet, mais il était de notre devoir de prendre la défense de nos frères attaqués et de notre doctrine indignement défigurée, puisqu'on a été jusqu'à dire en pleine chaire qu'elle prêchait l'adultère et le suicide. Nous l'avons dit et nous le répétons, cette provocation était maladroite, parce qu'elle amène forcément l'examen de certaines questions qu'il eût été d'une meilleure politique de laisser assoupies, car une fois le champ ouvert, on ne sait où il peut s'arrêter ; mais la peur est une mauvaise conseillère.

Cela dit, nous allons essayer de donner à M. le curé cité plus haut la réponse à la question qu'il a proposée. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que si son interlocuteur n'était pas aussi fort que lui en théologie, lui-même ne nous paraît pas très fort sur l'Evangile. Sa question revient à celle qui fut posée à Jésus par les Sadducéens ; il n'avait donc qu'à s'en référer à la réponse de Jésus, que nous prenons la liberté de lui rappeler, puisqu'il ne la sait pas.

« Ce jour-là, les Sadducéens, qui nient la résurrection, vinrent le trouver et lui proposèrent une question, en lui disant : « Maître, Moïse a ordonné que si quelqu'un mourrait sans enfants, son frère épousât sa femme, et suscitât des enfants à son frère mort. Or, il y avait parmi nous sept frères, dont le premier ayant épousé une femme, est mort ; et n'ayant point eu d'enfants, il a laissé sa femme à son frère. La même chose arriva au second, au troisième et à tous les autres jusqu'au septième. Enfin, cette femme est morte après eux tous. Lors donc que la résurrection arriva, duquel de ces sept sera-t-elle femme, puisqu'ils l'ont tous eue ?

« Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l'erreur, ne comprenant pas les Écritures ni la puissance de Dieu ; car après la résurrection, les hommes n'auront point de femme, ni les femmes de mari ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous point lu ces paroles que Dieu vous a dites : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Or, Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants. » (Saint Matthieu, ch. xxii, v. de 23 à 32.)

Puisque après la résurrection les hommes seront comme les anges du ciel, et que les anges n'ont pas de corps charnel, mais un corps éthéré et fluidique, les hommes ne ressusciteront donc pas non plus en chair et en os. Si Jean-Baptiste a été Élie, ce n'est qu'une même âme ayant eu deux vêtements laissés à deux époques différentes sur la terre, et qui ne se présentera ni avec l'un ni avec l'autre, mais avec l'enveloppe éthérée propre au monde invisible. Si les paroles de Jésus ne vous semblent pas assez claires, lisez celles de saint Paul (que nous rapportons ci-après page 372), elles sont encore plus explicites. Doutez-vous que Jean-Baptiste ait été Élie ? Lisez saint Matthieu, ch. xi, v. 13, 14, 15 : « Car jusqu'à Jean, tous les prophètes, aussi bien que la loi, ont prophétisé ; et si vous voulez comprendre ce que je vous dis, c'est lui-même qui est cet Élie qui doit venir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » Ici il n'y a point d'équivoque ; les termes sont clairs et catégoriques, et pour ne pas entendre, il faut n'avoir pas d'oreilles, ou vouloir les fermer. Ces paroles étant une affirmation positive, de deux choses l'une : Jésus a dit vrai, ou il s'est trompé. Dans la première hypothèse, c'est la réincarnation attestée par lui ; dans la seconde, c'est le doute jeté sur tous ses enseignements, car s'il s'est trompé sur un point, il a pu se tromper sur les autres ; choisissez.

Maintenant, monsieur le curé, permettez qu'à mon tour je vous adresse une question, à laquelle il vous sera sans doute facile de répondre.

Vous savez que la Genèse en assignant six jours pour la création, non seulement de la terre, mais de l'univers entier : soleil, étoiles, lune, etc., avait compté sans la géologie et l'astronomie ; que Josué avait compté sans la loi de la gravitation universelle ; il me semble que le dogme de la résurrection de la chair a compté sans la chimie. Il est vrai que la chimie est une science diabolique, comme toutes celles qui font voir clair là où l'on voudrait que l'on vît trouble ; mais, quoiqu'il en soit de son origine, elle nous apprend une chose positive, c'est que le corps de l'homme, de même que toutes les substances organiques animales et végétales, est composé d'éléments divers dont les principes sont : l'oxygène, l'hydrogène, l'azote et le carbone. Elle nous apprend encore, – et notez que c'est un résultat d'expérience, – qu'à la mort ces éléments se dispersent et entrent dans la composition d'autres corps, si bien qu'au bout d'un temps donné le corps entier est absorbé. Il est encore constaté que le terrain où abondent les matières animales en décomposition sont les plus fertiles, et c'est au voisinage des cimetières que les mécréants attribuent la fécondité proverbiale des jardins de MM. les curés de campagne. Supposons donc, monsieur le curé, que des pommes de terre soient plantées aux alentours d'une fosse ; ces pommes de terre vont s'alimenter des gaz et des sels provenant de la décomposition du corps mort ; ces pommes de terre vont servir à engraisser des poules ; ces poules, vous les mangerez, vous les savourerez, de telle sorte que votre corps sera lui-même formé de molécules du corps de l'individu qui est mort, et qui n'en seront pas moins à lui, quoique ayant passé par des intermédiaires. Vous aurez donc en vous des parties ayant appartenu à un autre. Or, quand vous ressusciterez tous les deux au jour du jugement, chacun avec votre corps, comment ferez-vous ? Garderez-vous ce que vous avez à l'autre, ou l'autre vous reprendra-t-il ce qui lui appartient ; ou bien encore aurez-vous quelque chose de la pomme de terre ou de la poule ? Question au moins aussi grave que celle de savoir si Jean-Baptiste ressuscitera avec le corps de Jean ou celui d'Élie. Je la pose dans sa plus grande simplicité, mais jugez de l'embarras si, comme cela est certain, vous avez en vous des portions de cent individus. C'est là, à proprement parler, la résurrection de la chair ; mais tout autre est celle de l'Esprit, qui n'emporte point sa dépouille avec lui. Voyez, ci-après, ce que dit saint Paul.

Puisque nous sommes en voie de questions, en voici une autre, monsieur le curé, que nous avons entendu faire par des incrédules ; elle est étrangère, il est vrai, au sujet qui nous occupe, mais elle est amenée par un des faits rapportés ci-dessus. Selon la Genèse, Dieu a créé le monde en six jours, et il s'est reposé le septième ; c'est ce repos du septième jour qui est consacré par celui du dimanche, et dont la stricte observation est une loi canonique. Si donc, ainsi que le démontre la géologie, ces six jours, au lieu d'être de vingt-quatre heures, sont de quelques millions d'années, quelle sera la longueur du jour de repos ? Comme importance, cette question vaut bien les deux autres.

Ne croyez pas, monsieur le curé, que ces observations soient le résultat d'un mépris des saintes Écritures ; non, bien au contraire ; nous leur rendons peut-être un plus grand hommage que vous-même. Tenant compte de la forme allégorique, nous en cherchons l'esprit qui vivifie, nous y trouvons de grandes vérités, et par là nous amenons les incrédules à y croire et à les respecter ; tandis qu'en s'attachant à la lettre qui tue, on leur fait dire des choses absurdes et on augmente le nombre des sceptiques.


La communication suivante a été obtenue dans la séance de la Société de Paris du 9 octobre 1863 :

« Que de jours se sont écoulés depuis que je n'ai eu le bonheur de m'entretenir avec vous, mes bien chers enfants ! aussi, est-ce avec une bien douce satisfaction que je me retrouve au milieu de ma chère Société de Paris.

De quoi vous entretiendrai-je aujourd'hui ? La plupart des questions morales ont été traitées par des plumes habiles ; néanmoins, elles sont tellement de mon domaine et leur champ est si vaste, que je trouverai bien encore quelques grains de vérité à glaner. Au surplus, quand bien même je ne ferais que redire ce que d'autres vous ont déjà dit, il en ressortira peut-être quelques nouveaux enseignements, car les bonnes paroles, comme les bonnes semences, portent toujours leurs fruits.

Les livres saints sont pour nous des greniers inépuisables, et le grand apôtre Paul, qui jadis a tant contribué à l'établissement du Christianisme par sa puissante prédication, vous a laissé des monuments écrits qui serviront non moins énergiquement à l'épanouissement du Spiritisme. Je n'ignore pas que vos adversaires religieux invoquent son témoignage contre vous ; mais cela n'empêche pas que l'illustre illuminé de Damas ne soit pour vous et avec vous, soyez-en bien convaincus. Le souffle qui court dans ses épîtres, l'inspiration sainte qui anime ses enseignements, loin d'être hostile à votre doctrine, est au contraire remplie de singulières prévisions en vue de ce qui arrive aujourd'hui. C'est ainsi que, dans sa première aux Corinthiens, il enseigne que, sans la Charité, il n'existe aucun homme, fût-il saint, fût-il prophète, transportât-il des montagnes, qui puisse se flatter d'être un véritable disciple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Comme les Spirites, et avant les Spirites, ce fut lui qui proclama le premier cette maxime qui fait votre gloire : Hors la charité point de salut ! Mais ce n'est pas par cet unique côté qu'il se rattache à la doctrine que nous vous enseignons et que vous propagez aujourd'hui. Avec cette haute intelligence qui lui était propre, il avait prévu ce que Dieu réservait à l'avenir, et notamment, cette transformation, cette régénération de la foi chrétienne, que vous êtes appelés à asseoir profondément dans l'esprit moderne, puisqu'il décrit dans l'épître déjà citée, et d'une manière indiscutable, les principales facultés médianimiques qu'il appelle les dons bénis du Saint-Esprit.

Ah ! mes enfants, ce saint docteur contemple, avec une amertume qu'il ne peut dissimuler, le degré d'avilissement où sont tombés la plupart de ceux qui parlent en son nom, et qui proclament, urbi et orbi, que Dieu a jadis donné à la terre toute la somme de vérités que celle-ci était capable de recevoir. Et pourtant, l'apôtre s'était écrié qu'en son temps il n'avait qu'une science et que des prophéties imparfaites. Or, celui qui se plaignait de cette situation savait par cela même que cette science et ces prophéties se perfectionneraient un jour. N'est-ce pas là la condamnation absolue de tous ceux qui condamnent le progrès ? N'est-ce pas là le plus rude échec pour ceux qui prétendent que le Christ et les apôtres, les Pères de l'Eglise et surtout les révérends casuistes de la Compagnie de Jésus, ont donné à la terre toute la science religieuse et philosophique à laquelle celle-ci avait droit ? Heureusement l'apôtre lui-même a pris soin de les démentir d'avance.

Mes chers enfants, pour apprécier à leur valeur les hommes qui vous combattent, vous n'avez qu'à étudier les arguments de leur polémique, leurs paroles acerbes et les regrets qu'ils témoignent, comme le R. P. Pailloux, que les bûchers soient éteints, et que la Sainte Inquisition ne fonctionne plus ad majorem Dei gloriam. Mes frères, vous avez la charité, ils ont l'intolérance : ils sont donc bien à plaindre ; c'est pourquoi je vous convie à prier pour ces pauvres égarés, afin que l'Esprit-Saint, qu'ils invoquent si souvent, daigne enfin éclairer leur conscience et leur cœur. »

François-Nicolas Madeleine.

A cette remarquable communication, nous ajouterons les paroles suivantes de saint Paul, tirées de la première épître aux Corinthiens :

Mais quelqu'un me dira : En quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? – Insensés que vous êtes ! ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point de vie, s'il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante qui doit naître, mais la graine seulement, comme du blé ou de quelque autre chose. Après quoi Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui est propre à chaque plante. Toute chair n'est pas la même chair ; mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons.

Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres ; mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune, comme l'éclat de la lune diffère de l'éclat des étoiles, et, entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre.

Il en arrivera de même dans la résurrection des morts. Le corps, comme une semence, est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. Il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera tout glorieux. Il est mis en terre privé de mouvement, et il ressuscitera plein de vigueur. Il est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a un corps spirituel.

Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. » (Saint Paul, 1er ép. aux Corinth., ch. xv, v. de 35 à 44 et 50.)

Que peut être ce corps spirituel, qui n'est pas le corps animal, sinon le corps fluidique dont le Spiritisme démontre l'existence, le périsprit dont l'âme est revêtue après la mort ? A la mort du corps, l'Esprit entre dans le trouble ; il perd pour un instant la conscience de lui-même ; puis il recouvre l'usage de ses facultés, il renaît à la vie intelligente, en un mot il ressuscite avec son corps spirituel.

Le dernier paragraphe, relatif au jugement dernier, contredit positivement la doctrine de la résurrection de la chair, puisqu'il dit : « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu. » Les morts ne ressusciteront donc pas avec leur chair et leur sang, et n'auront pas besoin de rassembler leurs os dispersés, mais ils auront leur corps céleste, qui n'est pas le corps animal. Si l'auteur du Catéchisme philosophique avait bien médité le sens de ces paroles, il aurait pu se dispenser de faire le savant calcul mathématique auquel il s'est livré, pour prouver que tous les hommes morts depuis Adam, ressuscitant en chair et en os, avec leur propre corps, pourraient parfaitement tenir dans la vallée de Josaphat, sans être trop gênés[1].

Saint Paul a donc posé en principe et en théorie ce qu'enseigne aujourd'hui le Spiritisme sur l'état de l'homme après la mort.

Mais saint Paul n'est pas le seul qui ait pressenti les vérités enseignées par le Spiritisme ; la Bible, les Évangiles, les apôtres et les Pères de l'Église en sont remplis, de sorte que condamner le Spiritisme, c'est désavouer les autorités mêmes sur lesquelles s'appuie la religion. Attribuer tous ses enseignements au démon, c'est lancer le même anathème sur la plupart des auteurs sacrés. Le Spiritisme ne vient donc point détruire, mais au contraire rétablir toutes choses, c'est-à-dire restituer à chaque chose son véritable sens.



[1] Catéchisme philosophique, par l'abbé de Feller, t. iii, p. 83.



Nous avons dit qu'il n'y avait pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, mais des subjugués ; nous revenons sur cette assertion trop absolue, car il nous est démontré maintenant qu'il peut y avoir possession véritable, c'est-à-dire substitution, partielle toutefois, d'un Esprit errant à l'Esprit incarné. Voici un premier fait qui en est la preuve, et qui présente le phénomène dans toute sa simplicité.

Plusieurs personnes se trouvaient un jour chez une dame somnambule-médium. Tout à coup celle-ci prend des allures toutes masculines, sa voix change, et, s'adressant à l'un des assistants, s'écrie : « Ah ! mon cher ami, que je suis content de te voir ! » Surpris, on se demande ce que cela signifie. La dame reprend : « Comment ! mon cher, tu ne me reconnais pas ? Ah ! c'est vrai ; je suis tout couvert de boue ! Je suis Charles Z… » A ce nom, les assistants se rappelèrent un monsieur mort quelques mois auparavant, frappé d'une attaque d'apoplexie au bord d'une route ; il était tombé dans un fossé d'où l'on avait retiré son corps couvert de boue. Il déclare que, voulant causer avec son ancien ami, il a profité d'un moment où l'Esprit de madame A…, la somnambule, était éloigné de son corps, pour se mettre en son lieu et place. En effet, cette scène s'étant renouvelée plusieurs jours de suite, madame A… prenait chaque fois les poses et les manières habituelles de M. Charles, se renversant sur le dos du fauteuil, croisant les jambes, se frisant la moustache, passant les doigts dans ses cheveux, de telle sorte que, sauf le costume, on aurait pu croire avoir M. Charles devant soi ; toutefois il n'y avait pas transfiguration, comme nous l'avons vu en d'autres circonstances. Voici quelques-unes de ses réponses :

D. Puisque vous avez pris possession du corps de madame A…, pourriez-vous y rester ? – R. Non, mais ce n'est pas la bonne envie qui me manque.

D. Pourquoi ne le pouvez-vous pas ? – R. Parce que son Esprit tient toujours à son corps. Ah ! si je pouvais rompre ce lien, je lui jouerais le tour.

D. Que fait pendant ce temps l'Esprit de madame A… ? – R. Il est là, à côté, qui me regarde et qui rit de me voir dans ce costume.

Ces entretiens étaient très amusants ; M. Charles avait été un joyeux vivant, il ne démentait pas son caractère ; adonné à la vie matérielle, il était peu avancé comme Esprit, mais naturellement bon et bienveillant. En s'emparant du corps de madame A…, il n'avait aucune mauvaise intention ; aussi cette dame ne souffrait-elle nullement de cette situation, à laquelle elle se prêtait volontiers. Il est bon de dire qu'elle n'avait point connu ce monsieur, et ne pouvait être au fait de ses manières. Il est encore à remarquer que les assistants ne songeant point à lui, la scène n'a point été provoquée, et qu'il est venu spontanément.

La possession est ici évidente et ressort encore mieux des détails, qu'il serait trop long de rapporter ; mais c'est une possession innocente et sans inconvénient. Il n'en est pas de même quand elle est le fait d'un Esprit mauvais et mal intentionné ; elle peut alors avoir des suites d'autant plus graves que ces Esprits sont tenaces, et qu'il devient souvent très difficile d'en délivrer le patient dont ils font leur victime. En voici un exemple récent, que nous avons pu observer nous-même, et qui a été pour la société de Paris l'objet d'une étude sérieuse.

Mademoiselle Julie, domestique, née en Savoie, âgée de vingt-trois ans, d'un caractère très doux, sans aucune espèce d'instruction, était depuis quelque temps sujette à des accès de somnambulisme naturel qui duraient des semaines entières ; dans cet état elle vaquait à son service habituel sans que les personnes étrangères se doutassent de sa situation ; son travail même était beaucoup plus soigné. Sa lucidité était remarquable ; elle décrivait les lieux et les événements à distance avec une parfaite exactitude.

Il y a six mois environ, elle devint en proie à des crises d'un caractère étrange qui avaient toujours lieu pendant l'état somnambulique, devenu en quelque sorte l'état normal. Elle se tordait, se roulait à terre comme si elle se débattait sous les étreintes de quelqu'un qui cherchait à l'étrangler, et, en effet, elle avait tous les symptômes de la strangulation ; elle finissait par terrasser cet être fantastique, le prenait par les cheveux, l'accablait ensuite de coups, d'injures et d'imprécations, l'apostrophant sans cesse du nom de Frédégonde, infâme régente, reine impudique, vile créature souillée de tous les crimes, etc. Elle trépignait comme si elle la foulait aux pieds avec rage, lui arrachait ses vêtements et ses parures. Chose bizarre, se prenant elle-même pour Frédégonde, elle se frappait à coups redoublés sur les bras, la poitrine et le visage, en disant : « Tiens ! tiens ! en as-tu assez, infâme Frédégonde ? Tu veux m'étouffer, mais tu n'en viendras pas à bout ; tu veux te mettre dans ma boîte, mais je saurai bien t'en chasser. » Ma boîte était le terme dont elle se servait pour désigner son corps. Rien ne saurait peindre l'accent frénétique avec lequel elle prononçait le nom de Frédégonde, en grinçant des dents, ni les tortures qu'elle endurait dans ces moments-là.

Un jour, pour se débarrasser de son adversaire, elle saisit un couteau et s'en frappa elle-même, mais on put l'arrêter à temps pour empêcher un accident. Chose non moins remarquable, c'est que jamais elle n'a pris aucune des personnes présentes pour Frédégonde ; la dualité était toujours en elle-même ; c'est contre elle qu'elle dirigeait sa fureur quand l'Esprit était en elle, et contre un être invisible quand elle s'en était débarrassée ; pour les autres, elle était douce et bienveillante dans les moments même de sa plus grande exaspération.

Ces crises, vraiment effrayantes, duraient souvent plusieurs heures et se renouvelaient plusieurs fois par jour. Quand elle avait fini par terrasser Frédégonde, elle tombait dans un état de prostration et d'accablement dont elle ne sortait qu'à la longue, mais qui lui laissait une grande faiblesse et un embarras dans la parole. Sa santé en était profondément altérée ; elle ne pouvait rien manger et restait parfois huit jours sans prendre de nourriture. Les meilleurs aliments avaient pour elle un goût affreux qui les lui faisait rejeter ; c'était, disait-elle, l'œuvre de Frédégonde, qui voulait l'empêcher de manger.

Nous avons dit plus haut que cette jeune fille n'a reçu aucune instruction ; dans l'état de veille, elle n'a jamais ouï parler de Frédégonde, ni de son caractère, ni du rôle que celle-ci a joué. Dans l'état de somnambulisme, au contraire, elle le sait parfaitement, et dit avoir vécu de son temps. Ce n'était point Brunehaut, comme on l'avait d'abord supposé, mais une autre personne attachée à sa cour.

Une autre remarque, non moins essentielle, c'est que, lorsque commencèrent ces crises, mademoiselle Julie ne s'était jamais occupée de Spiritisme, dont le nom même lui était inconnu. Encore aujourd'hui, dans l'état de veille, elle y est étrangère, et n'y croit pas. Elle ne le connaît que dans l'état de somnambulisme, et seulement depuis qu'on a commencé à la soigner. Tout ce qu'elle a dit a donc été spontané.

En présence d'une situation aussi étrange, les uns attribuaient l'état de cette jeune fille à une affection nerveuse ; d'autres à une folie d'un caractère spécial, et il faut convenir qu'au premier abord cette dernière opinion avait une apparence de réalité. Un médecin a déclaré que, dans l'état actuel de la science, rien ne pouvait expliquer de pareils phénomènes, et qu'il ne voyait aucun remède. Cependant des personnes expérimentées en Spiritisme reconnurent sans peine qu'elle était sous l'empire d'une subjugation des plus graves et qui pouvait lui devenir fatale. Sans doute, celui qui ne l'aurait vue que dans les moments de crise, et n'eût considéré que l'étrangeté de ses actes et de ses paroles, aurait dit qu'elle était folle, et lui aurait infligé le traitement des aliénés qui eût, sans aucun doute, déterminé une folie véritable ; mais cette opinion devait céder devant les faits. Dans l'état de veille, sa conversation est celle d'une personne de sa condition et en rapport avec son défaut d'instruction ; son intelligence même est vulgaire ; il en est tout autrement dans l'état de somnambulisme : dans les moments de calme elle raisonne avec beaucoup de sens, de justesse et une véritable profondeur ; or, ce serait une singulière folie que celle qui augmenterait la dose d'intelligence et de jugement. Le Spiritisme seul peut expliquer cette anomalie apparente. Dans l'état de veille, son âme ou Esprit est comprimé par des organes qui ne lui permettent qu'un développement incomplet ; dans l'état de somnambulisme, l'âme, émancipée, est en partie affranchie de ses liens et jouit de la plénitude de ses facultés. Dans les moments de crise, ses actes et ses paroles ne sont excentriques que pour ceux qui ne croient pas à l'action des êtres du monde invisible ; ne voyant que l'effet, et ne remontant pas à la cause, voilà pourquoi tous les obsédés, subjugués et possédés passent pour des fous. Dans les maisons d'aliénés, il y a eu dans tous les temps de prétendus fous de cette nature, et que l'on guérirait facilement si l'on ne s'obstinait à ne voir en eux qu'une maladie organique.

Sur ces entrefaites, comme mademoiselle Julie était sans ressources, une famille de vrais et sincères Spirites consentit à la prendre à son service, mais dans sa position elle devait être bien plus un embarras qu'une utilité, et il fallait un véritable dévouement pour s'en charger. Mais ces personnes en ont été bien récompensées, d'abord par le plaisir de faire une bonne action, et ensuite par la satisfaction d'avoir puissamment contribué à sa guérison, aujourd'hui complète ; double guérison, car non seulement mademoiselle Julie est délivrée, mais son ennemie est convertie à de meilleurs sentiments.

C'est là que nous avons été témoin d'une de ces luttes effrayantes qui ne dura pas moins de deux heures, et que nous avons pu observer le phénomène dans les plus minutieux détails, phénomène dans lequel nous avons immédiatement reconnu une analogie complète avec ceux des possédés de Morzines[1]. La seule différence est qu'à Morzines les possédés se livraient à des actes contre les individus qui les contrariaient, et qu'ils parlaient du diable qu'ils avaient en eux, parce qu'on leur avait persuadé que c'était le diable. Mademoiselle Julie, à Morzines, eût appelé Frédégonde le Diable.

Dans un prochain article, nous exposerons avec détail les différentes phases de cette guérison et les moyens employés à cet effet ; nous rapporterons en outre les remarquables instructions que les Esprits ont données à ce sujet, ainsi que les importantes observations auxquelles il a donné lieu touchant le magnétisme.



[1] Voir l'Instruction sur les possédés de Morzines, Revue spirite de décembre 1862, janvier, février, avril et mai 1863.



La première période du Spiritisme, caractérisée par les tables tournantes, a été celle de la curiosité. La seconde fut la période philosophique, marquée par l'apparition du Livre des Esprits. Dès ce moment le Spiritisme prit un tout autre caractère ; on en entrevit le but et la portée, on y puisa la foi et la consolation, et la rapidité de ses progrès fut telle qu'aucune doctrine philosophique ou religieuse n'en offre d'exemple. Mais, comme toutes les idées nouvelles, il eut des adversaires d'autant plus acharnés que l'idée était plus grande, parce que toute grande idée ne peut s'établir sans froisser des intérêts ; il faut qu'elle se place, et les gens déplacés ne peuvent la voir d'un bon œil ; puis, à côté des gens intéressés sont ceux qui, par système, sans motifs précis, sont les adversaires-nés de tout ce qui est nouveau.

Dans les premières années, beaucoup doutèrent de sa vitalité, c'est pourquoi ils y donnèrent peu d'attention ; mais quand on le vit grandir malgré tout, se propager dans tous les rangs de la société et dans toutes les parties du monde, prendre sa place parmi les croyances et devenir une puissance par le nombre de ses adhérents, les intéressés au maintien des idées anciennes s'alarmèrent sérieusement. C'est alors qu'une véritable croisade fut dirigée contre lui, et que commença la période de la lutte, dont l'auto-da-fé de Barcelone, du 9 octobre 1861, fut en quelque sorte le signal. Jusque-là, il avait été en butte aux sarcasmes de l'incrédulité qui rit de tout, surtout de ce qu'elle ne comprend pas, même des choses les plus saintes, et auxquels aucune idée nouvelle ne peut échapper : c'est son baptême du tropique ; mais les autres ne rirent pas : ils se mirent en colère, signe évident et caractéristique de l'importance du Spiritisme. Dès ce moment les attaques prirent un caractère de violence inouïe ; le mot d'ordre fut donné : sermons furibonds, mandements, anathèmes, excommunications, persécutions individuelles, livres, brochures, articles de journaux, rien ne fut épargné, pas même la calomnie.

Nous sommes donc en plein dans la période de la lutte, mais elle n'est pas finie. Voyant l'inutilité de l'attaque à ciel ouvert, on va essayer de la guerre souterraine, qui s'organise et commence déjà ; un calme apparent va se faire sentir, mais c'est le calme précurseur de l'orage ; mais aussi à l'orage succède un temps serein. Spirites, soyez donc sans inquiétude, car l'issue n'est pas douteuse ; la lutte est nécessaire, et le triomphe n'en sera que plus éclatant. J'ai dit, et je le répète : je vois le but, je sais quand et comment il sera atteint. Si je vous parle avec cette assurance, c'est que j'ai pour cela des raisons sur lesquelles la prudence veut que je me taise, mais vous les connaîtrez un jour. Tout ce que je puis vous dire, c'est que de puissants auxiliaires viendront qui fermeront la bouche à plus d'un détracteur. Pourtant la lutte sera vive, et si, dans le conflit, il y a quelques victimes de leur foi, qu'elles s'en réjouissent, comme le faisaient les premiers martyrs chrétiens, dont plusieurs sont parmi vous pour vous encouragez et vous donner l'exemple ; qu'elles se rappellent ces paroles du Christ :

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Vous serez heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux ; car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous. » (Saint-Matthieu, ch. vi, v. 10, 11, 12.)

Ces paroles ne semblent-elles pas avoir été dites pour les Spirites d'aujourd'hui comme pour les apôtres d'alors ? C'est que les paroles du Christ ont cela de particulier, qu'elles sont de tous les temps, parce que sa mission était pour l'avenir comme pour le présent.

La lutte déterminera une nouvelle phase du Spiritisme et amènera la quatrième période, qui sera la période religieuse ; puis viendra la cinquième, période intermédiaire, conséquence naturelle de la précédente, et qui recevra plus tard sa dénomination caractéristique. La sixième et dernière période sera celle de la rénovation sociale, qui ouvrira l'ère du vingtième siècle. A cette époque, tous les obstacles au nouvel ordre de choses voulu par Dieu pour la transformation de la terre auront disparu ; la génération qui s'élève, imbue des idées nouvelles, sera dans toute sa force, et préparera la voie de celle qui inaugurera le triomphe définitif de l'union, de la paix et de la fraternité entre les hommes confondus dans une même croyance par la pratique de la loi évangélique. Ainsi seront vérifiées les paroles du Christ, qui toutes doivent recevoir leur accomplissement, et dont plusieurs s'accomplissent à cette heure, car les temps prédits sont arrivés. Mais c'est en vain que, prenant la figure pour la réalité, vous chercherez des signes dans le ciel : ces signes sont à vos côtés et surgissent de toutes parts.

Il est remarquable que les communications des Esprits ont eu un caractère spécial à chaque période : dans la première elles étaient frivoles et légères ; dans la seconde elles ont été graves et instructives ; dès la troisième ils ont pressenti la lutte et ses différentes péripéties. La plupart de celles qui s'obtiennent aujourd'hui dans les différents centres ont pour objet de prémunir les adeptes contre les menées de leurs adversaires. Partout donc des instructions sont données sur ce sujet, comme partout un résultat identique est annoncé. Cette coïncidence, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, n'est pas un des faits les moins significatifs. La situation se trouve complètement résumée dans les deux communications suivantes, dont plus d'un Spirite a déjà pu reconnaître la vérité.





Instruction des Esprits

La guerre sourde

Paris, 14 août 1863

« La lutte vous attend, mes chers fils ; c'est pourquoi je vous invite tous à imiter les lutteurs antiques, c'est-à-dire à vous ceindre les reins. Les années qui vont suivre sont pleines de promesses, mais aussi pleines d'anxiétés. Je ne viens point vous dire : Demain sera le jour de la bataille ! non, car l'heure du combat n'est pas encore fixée, mais je viens vous avertir, afin que vous soyez prêts à toutes les éventualités. Le Spiritisme, jusqu'à présent, n'a trouvé qu'une route facile et presque fleurie, car les injures et les railleries qu'on vous a adressées n'ont aucune portée sérieuse et sont restées sans effet, tandis que dorénavant les attaques qu'on dirigera contre vous auront un tout autre caractère : voici venir l'heure où Dieu va faire appel à tous les dévouements, où il va juger ses serviteurs fidèles pour faire à chacun la part qu'il aura méritée. On ne vous martyrisera point corporellement comme aux premiers temps de l'Église, on ne dressera point de bûchers homicides comme au moyen âge, mais on vous torturera moralement ; on dressera des embûches ; on tendra des pièges d'autant plus dangereux qu'on y emploiera des mains amies ; on agira dans l'ombre, et vous recevrez des coups sans savoir par qui ces coups seront portés, et vous serez frappés en pleine poitrine par les flèches empoisonnées de la calomnie. Rien ne manquera à vos douleurs ; on suscitera des défaillances dans vos rangs, et de soi-disant Spirites, perdus par l'orgueil et la vanité, se poseront dans leur indépendance en s'écriant : « C'est nous qui sommes dans le droit chemin ! » afin que vos adversaires-nés puissent dire : « Voyez, comme ils sont unis ! » On essayera de semer l'ivraie entre les groupes, en provoquant la formation de groupes dissidents ; on captera vos médiums pour les faire entrer dans une mauvaise voie ou pour les détourner d'aller dans les groupes sérieux ; on emploiera l'intimidation pour les uns, la captation pour les autres ; on exploitera toutes les faiblesses. Puis, n'oubliez pas que quelques-uns ont vu dans le Spiritisme un rôle à jouer, et un premier rôle, qui éprouvent aujourd'hui plus d'une déconvenue dans leur ambition. On leur promettra d'un côté ce qu'ils ne peuvent trouver de l'autre. Puis enfin, avec l'argent, si puissant dans votre siècle arriéré, ne peut-on trouver des comparses pour jouer d'indignes comédies afin de jeter le discrédit et le ridicule sur la doctrine ?

Voilà les épreuves qui vous attendent, mes fils, mais dont vous sortirez victorieux, si vous implorez du fond du cœur le secours du Tout-Puissant ; c'est pourquoi, je vous le répète de toute mon âme : mes fils, serrez vos rangs, soyez sur le qui-vive, car c'est votre Golgotha qu'on élève ; et si vous n'y êtes pas crucifiés en chair et en os, vous le serez dans vos intérêts, dans vos affections, dans votre honneur ! L'heure est grave et solennelle ; arrière donc toutes les mesquines discussions, toutes les préoccupations puériles, toutes les questions oiseuses, et toutes les vaines prétentions de prééminence et d'amour propre ; occupez-vous des grands intérêts qui sont en vos mains et dont le Seigneur vous demandera compte. Unissez-vous pour que l'ennemi trouve vos rangs compacts et serrés ; vous avez un mot de ralliement sans équivoque, pierre de touche à l'aide de laquelle vous pouvez reconnaître vos véritables frères, car ce mot implique l'abnégation et le dévouement, et résume tous les devoirs du vrai Spirite.

Courage donc et persévérance, mes enfants ! songez que Dieu vous regarde et vous juge ; souvenez-vous aussi que vos guides spirituels ne vous abandonneront pas tant qu'ils vous trouveront dans le droit chemin. D'ailleurs, toute cette guerre n'aura qu'un temps et tournera contre ceux qui croyaient créer des armes contre la doctrine ; le triomphe, et non plus le sanglant holocauste, rayonnera du Golgotha spirite.

A bientôt, mes fils, salut à tous.

Eraste, disciple de saint Paul, apôtre. »



Une des manœuvres prévues dans la communication ci-dessus vient, à ce qu'on nous apprend, de se réaliser. On nous écrit qu'une jeune femme, qui avait été conduite une seule fois dans une réunion, a quitté sa famille, sans motif, et s'est retirée chez une personne étrangère, d'où elle fut conduite dans un hospice d'aliénés, comme atteinte de folie spirite, à l'insu de ses parents, qui n'en furent informés qu'après la chose faite. Au bout de vingt jours, ceux-ci ayant obtenu l'autorisation d'aller la voir, ils lui reprochèrent de les avoir quittés ; alors elle avoua qu'on lui avait promis de l'argent pour simuler la folie. Jusqu'à ce moment, les démarches pour la faire sortir ont été infructueuses.

Si c'est ainsi qu'on recrute les fous spirites, le moyen est plus dangereux pour ceux qui l'emploient que pour le Spiritisme. Quand on en est réduit à de pareils expédients pour défendre sa propre cause, c'est la preuve la plus évidente qu'on est à bout de bonnes raisons. Nous dirons donc aux Spirites : Quand vous verrez de pareilles choses, réjouissez-vous au lieu de vous en inquiéter, parce qu'elles sont le signal d'un triomphe prochain. Une autre circonstance, d'ailleurs, doit être pour vous un motif d'encouragement, c'est que nos rangs augmentent, non seulement en nombre, mais aussi en puissance morale ; déjà vous voyez plus d'un homme de talent prendre résolument la défense du Spiritisme, et relever d'une main vigoureuse le gant jeté par nos adversaires. Des écrits d'une irrésistible logique leur montrent chaque jour que tous les Spirites ne sont pas des fous. Nos lecteurs connaissent l'excellente réfutation des sermons du R. P. Letierce par un Spirite de Metz. Voici maintenant celle non moins intéressante des Spirites de Villenave de Rions (Gironde) sur les sermons du P. Nicomède. La Vérité de Lyon est connue par ses profonds articles ; le numéro du 22 novembre mérite surtout une sérieuse attention. La Ruche de Bordeaux s'enrichit de nouveaux collaborateurs aussi capables que zélés. Enfin, si les agresseurs sont nombreux, les défenseurs ne le sont pas moins. Ainsi donc, Spirites, courage, confiance et persévérance, car tout va bien selon ce qui a été prévu.

La communication ci-après développe une des phases de la grave question que nous venons de traiter, et ne peut manquer de prémunir les Spirites sur les difficultés qui vont s'accumuler dans cette période.


Réunion particulière. 25 février 1863. – Médium, M. d'Ambel

Il y a dans le moment actuel une recrudescence d'obsession, résultat de la lutte que doivent inévitablement soutenir les idées nouvelles contre leurs adversaires incarnés et désincarnés. L'obsession, habilement exploitée par les ennemis du Spiritisme, est une des épreuves les plus périlleuses qu'il aura à subir avant de s'asseoir d'une manière stable dans l'esprit des populations, aussi doit-elle être combattue par tous les moyens possibles, et surtout par la prudence et l'énergie de vos guides spirituels et terrestres.

De toutes parts il surgit des médiums à prétendues missions, appelés, disent-ils, à prendre en mains la bannière du Spiritisme et à la planter sur les ruines du vieux monde, comme si nous venions détruire, nous qui ne venons que pour édifier. il n'est pas d'individualité, si médiocre soit-elle, qui n'ait trouvé, comme Macbeth, un Esprit pour lui dire : « Toi aussi, tu seras roi, » et qui ne se croie désignée à un apostolat tout particulier ; il est peu de réunions intimes, et même de groupes de famille qui n'aient compté parmi leurs médiums ou leurs simples croyants une âme assez infatuée d'elle-même pour se croire indispensable au succès de la grande cause, trop présomptueuse pour se contenter du modeste rôle d'ouvrier apportant sa pierre à l'édifice. Hélas ! mes amis, que de mouches du coche !

Presque tous les nouveaux médiums sont soumis, pour leur début, à cette tentation dangereuse ; quelques-uns y résistent, mais beaucoup y succombent, au moins pour un temps, jusqu'à ce que des échecs successifs viennent les désabuser. Pourquoi Dieu permet-il une épreuve aussi difficile, sinon pour prouver que le bien et le progrès ne s'établissent jamais chez vous sans peine et sans combat, pour rendre le triomphe de la vérité plus éclatant par les difficultés de la lutte ? Et que veulent certains Esprits de l'erraticité en fomentant parmi les médiocrités de l'incarnation cette exaltation de l'amour-propre et de l'orgueil, sinon entraver le progrès ? Sans le vouloir, ils sont les instruments de l'épreuve qui mettra en évidence les bons et les mauvais serviteurs de Dieu. A celui-ci, tel Esprit promet le secret de la transmutation des métaux, comme à un médium de R… ; à celui-là, comme à M…, un Esprit révèle de prétendus événements qui vont s'accomplir, il fixe les époques, précise les dates, nomme les acteurs qui doivent concourir au drame annoncé ; à tel autre, un Esprit mystificateur enseigne l'incubation des diamants ; à d'autres on indique des trésors cachés, on promet une fortune facile, des découvertes merveilleuses, la gloire, les honneurs, etc. ; en un mot, toutes les ambitions et toutes les convoitises des hommes sont exploitées adroitement par les Esprits pervers. C'est pourquoi de tous côtés vous voyez ces pauvres obsédés s'apprêter à monter au Capitole avec une gravité et une importance qui attristent l'observateur impartial. Quel est le résultat de toutes ces promesses fallacieuses ? Les déceptions, les déboires, le ridicule, parfois la ruine, juste punition de l'orgueil présomptueux qui se croit appelé à faire mieux que tout le monde, dédaigne les conseils et méconnaît les véritables principes du Spiritisme.

Autant la modestie est l'apanage des médiums choisis par les bons Esprits, autant l'orgueil, l'amour-propre et, disons-le, la médiocrité sont les côtés distinctifs des médiums inspirés par les Esprits inférieurs ; autant les premiers font bon marché des communications qu'ils reçoivent quand celles-ci s'écartent de la vérité, autant les seconds maintiennent contre tous la supériorité de ce qui leur est dicté, fût-ce même absurde. Il en résulte que, selon les paroles prononcées à la Société de Paris par son président spirituel, saint Louis, une véritable tour de Babel est en train de s'édifier parmi vous. Du reste, il faudrait être aveugle ou abusé pour ne pas reconnaître qu'à la croisade dirigée contre le Spiritisme par les adversaires-nés de toute doctrine progressive et émancipatrice, se joint une croisade spirituelle, dirigée par tous les Esprits faux savants, faux grands hommes, faux religieux et faux frères de l'erraticité, faisant cause commune avec les ennemis terrestres au moyen de cette multitude de médiums fanatisés par eux, et auxquels ils dictent tant d'élucubrations mensongères. Mais voyez ce qui reste de tous ces échafaudages élevés par l'ambition, l'amour-propre ou la jalousie ; combien n'en avez-vous pas vu crouler, et combien vous en verrez crouler encore ! Je vous le dis, tout édifice qui n'est pas assis sur la seule base solide : la vérité, tombera, parce que la vérité seule peut défier le temps et triompher de toutes les utopies. Spirites sincères, ne vous effrayez donc pas de ce chaos momentané ; le temps n'est pas éloigné où la vérité, débarrassée des voiles dont on veut la couvrir, en sortira plus radieuse que jamais, et où sa clarté, inondant le monde, fera rentrer dans l'ombre ses obscurs détracteurs un instant mis en évidence pour leur propre confusion.

Ainsi donc, mes amis, vous avez à vous défendre non seulement contre les attaques et les calomnies de vos adversaires vivants, mais aussi contre les manœuvres plus dangereuses encore de vos adversaires de l'erraticité. Fortifiez-vous donc par de saines études et surtout par la pratique de l'amour et de la charité, et retrempez-vous dans la prière. Dieu éclaire toujours ceux qui se consacrent à la propagation de la vérité quand ils sont de bonne foi et dépourvus de toute ambition personnelle.

Au surplus, Spirites, que vous importent les médiums qui ne sont, après tout, que des instruments ! Ce qu'il vous faut considérer, c'est la valeur et la portée des enseignements qui vous sont donnés ; c'est la pureté de la morale qui vous est enseignée ; c'est la netteté et la précision des vérités qui vous sont révélées ; c'est, enfin, de voir si les instructions qu'on vous donne répondent aux légitimes aspirations des âmes d'élite et si elles sont conformes aux lois générales et immuables de la logique et de l'harmonie universelles.

Les Esprits imparfaits qui jouent un rôle d'apôtre près de leurs obsédés ne se font, vous le savez, aucun scrupule de se parer des noms les plus vénérés ; aussi aurais-je mauvaise grâce, moi qui ne suis qu'un des derniers et des plus obscurs disciples de l'Esprit de vérité, si je me plaignais de l'abus que quelques-uns ont fait de mon modeste nom ; aussi, vous répéterai-je sans cesse ce que je disais à mon médium il y a deux ans : « Ne jugez jamais une communication médianimique en raison du nom dont elle est signée, mais seulement sur sa valeur intrinsèque. »

Il est urgent de vous tenir en garde contre toutes les publications d'origine suspecte qui paraissent ou qui vont paraître, contre toutes celles qui n'auraient pas une allure franche et nette, et tenez pour certain que plus d'une est élaborée dans les camps ennemis du monde visible ou du monde invisible en vue de jeter parmi vous des brandons de discorde. C'est à vous de ne pas vous y laisser prendre ; vous avez tous les éléments nécessaires pour les apprécier. Mais tenez également pour certain que tout Esprit qui s'annonce lui-même comme un être supérieur, et surtout comme d'une infaillibilité à toute épreuve n'est, au contraire, que l'opposé de ce qu'il annonce si pompeusement. Depuis que le pieux Esprit de François-Nicolas Madeleine a bien voulu me débarrasser d'une partie de mon fardeau spirituel, j'ai pu considérer l'ensemble de l'œuvre spirite, et faire la statistique morale des ouvriers qui travaillent à la vigne du Seigneur. Hélas ! si beaucoup d'Esprits imparfaits s'immiscent à l'œuvre que nous poursuivons, j'ai un bien plus grand regret de constater que parmi nos meilleurs aides de la terre, beaucoup ont fléchi sous le poids de leur tâche, et ont repris petit à petit le sentier de leurs anciennes faiblesses, de telle sorte qu'aux grandes âmes éthérées qui les conseillaient se sont dès lors substitués des Esprits moins purs et moins parfaits. Ah ! je sais que la vertu est difficile ; mais nous ne voulons ni ne demandons l'impossible. La bonne volonté nous suffit quand elle est accompagnée du désir de mieux faire. En tout, mes amis, le relâchement est pernicieux ; car il sera beaucoup demandé à ceux qui, après s'être élevés par un renoncement généreux à leur propre individualité, seront retombés dans le culte de la matière, et se seront encore laissé envahir par l'égoïsme et l'amour deux-mêmes. Néanmoins, prions pour eux et ne condamnons personne : car nous devons toujours avoir présent à la mémoire ce magnifique enseignement du Christ : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! »

Aujourd'hui, vos phalanges grossissent à vue d'œil, et vos partisans se comptent par millions. Or, en raison du nombre des adeptes, se glissent sous de faux masques les faux frères dont votre président temporel vous a entretenus dernièrement. Ce n'est pas que je vienne vous recommander de n'ouvrir vos rangs qu'aux agneaux sans tache et aux génisses blanches ; non, parce que, plus que tous autres, les pécheurs ont droit de trouver parmi vous un refuge contre leurs propres imperfections. Mais ceux dont je vous engage à vous méfier sont ces hypocrites dangereux auxquels, à première vue, on est tenté d'accorder toute confiance. A l'aide d'une tenue rigide, sous l'œil observateur des foules, ils conservent cet air grave et digne qui fait dire d'eux : « Quelles gens respectables ! » tandis que sous cette respectabilité apparente se dissimulent parfois la perfidie et l'immoralité. Ils sont liants, obséquieux, pleins d'aménité ; ils se faufilent dans les intérieurs ; fouillent volontiers dans la vie privée ; ils écoutent derrière les portes et font les sourds pour mieux entendre ; ils pressentent les inimitiés, les attisent et les entretiennent ; ils vont dans les camps opposés questionnant et interrogeant sur chacun. Que fait celui-ci ? De quoi vit celui-là ? Quelle est cette personne ? Connaissez-vous sa famille ? Vous les voyez ensuite aller sourdement distiller dans l'ombre les petites médisances qu'ils ont pu recueillir, en ayant soin de les envenimer par d'onctueuses calomnies. « Ce sont des bruits, disent-ils, auxquels on ne croit pas ; » mais cependant, ils ajoutent : « Il n'y a pas de fumée sans feu, etc., etc. »

A ces tartufes de l'incarnation réunissez les tartufes de l'erraticité, et vous verrez, mes chers amis, combien j'ai raison de vous conseiller d'agir désormais avec une réserve extrême, et de vous garder de toute imprudence et de tout enthousiasme irréfléchi. Je vous l'ai dit, vous êtes dans un moment de crise, rendu plus difficile par la malveillance, mais dont vous sortirez plus forts avec la fermeté et la persévérance.

Le nombre des médiums est aujourd'hui incalculable, et il est fâcheux de voir que quelques-uns se croient seuls appelés à distribuer la vérité au monde et s'extasier devant des banalités qu'ils considèrent comme des monuments. Pauvres abusés qui se baissent en passant sous les arcs de triomphe ! Comme si la vérité avait attendu leur venue pour être annoncée. Ni le fort, ni le faible, ni l'instruit, ni l'ignorant, n'ont eu ce privilège exclusif ; c'est par mille voix inconnues que la vérité s'est répandue, et c'est justement par cette unanimité qu'elle a su se faire reconnaître. Comptez ces voix, comptez ceux qui les écoutent, comptez surtout ceux qu'elles frappent au cœur, si vous voulez savoir de quel côté est la vérité. Ah ! si tous les médiums avaient la foi, je serais le premier à m'incliner devant eux ; mais ils n'ont, la plupart du temps, que foi en eux-mêmes, tant l'orgueil est grand sur la terre ! Non, leur foi n'est pas celle qui transporte les montagnes et qui fait marcher sur les eaux ! C'est le cas de répéter ici cette maxime évangélique qui me servit de thème lorsque je me fis entendre à mon début parmi vous : beaucoup d'appelés et peu d'élus.

En somme, publications à droite, publications à gauche, publications partout, pour ou contre, dans tous les sens, sous toutes les formes ; critiques outrées de la part de gens qui n'en savent pas le premier mot ; sermons fougueux de gens qui le redoutent ; en somme, dis-je, le Spiritisme est à l'ordre du jour ; il remue tous les cerveaux, agite toutes les consciences, privilège exclusif des grandes choses ; chacun pressent qu'il porte en lui le principe d'une rénovation que les uns appellent de leurs vœux, et les autres redoutent. Mais, de tout cela, que restera-t-il ? De cette tour de Babel que jaillira-t-il ? Une chose immense : la vulgarisation de l'idée spirite, et comme doctrine, ce qui sera véritablement doctrinal ! Ce conflit est inévitable, parce que l'homme est entaché de trop d'orgueil et d'égoïsme pour accepter sans opposition une vérité nouvelle quelconque ; je dis même que ce conflit est nécessaire, parce que c'est le frottement qui use les idées fausses et fait ressortir la puissance de celles qui résistent. Au milieu de cette avalanche de médiocrités, d'impossibilités et d'utopies irréalisables, la vérité splendide s'épanouira dans sa grandeur et sa majesté.

Eraste.


Société spirite de Paris, 20 novembre 1863. – Médium, M. Costel

Le devoir est l'obligation morale, vis-à-vis de soi d'abord, et des autres ensuite ; le devoir est la loi de la vie, il se trouve dans les plus infimes détails, aussi bien que dans les actes élevés. Je ne vais parler ici que du devoir moral, et non de celui qu'imposent les professions.

Dans l'ordre des sentiments, le devoir est très difficile à remplir, parce qu'il se trouve en antagonisme avec les séductions de l'instinct et du cœur ; ses victoires n'ont pas de témoins, et ses défaites n'ont pas de répression. Le devoir intime de l'homme est abandonné à son libre arbitre ; l'aiguillon de la conscience, cette gardienne de la probité intérieure, l'avertit et le soutient ; mais elle demeure souvent impuissante devant les sophismes de la passion. Le devoir du cœur, fidèlement observé, élève l'homme ; mais ce devoir, comment le préciser ? Où commence-t-il ? où s'arrête-t-il ? Il commence expressément au point où vous menacez le bonheur ou le repos de votre prochain ; il se termine à la limite que vous ne voudriez pas voir franchir pour vous-même.

Dieu a créé tous les hommes égaux pour la douleur ; petits ou grands, ignorants ou éclairés, souffrent par les mêmes causes, afin que chacun juge sainement le mal qu'il peut faire. Le même critérium n'existe pas pour le bien, infiniment plus varié dans ses expressions. L'égalité devant la douleur est une sublime prévoyance de Dieu, qui veut que ses enfants, instruits par l'expérience commune, ne commettent pas le mal en arguant de l'ignorance de ses effets.

Le devoir est le résumé pratique de toutes les spéculations morales ; c'est une bravoure de l'âme qui affronte les angoisses de la lutte ; il est austère et simple ; prompt à se plier aux complications diverses, il demeure inflexible devant leurs tentations. L'homme qui remplit son devoir aime Dieu plus que les créatures, et les créatures plus que lui-même ; il est à la fois juge et esclave dans sa propre cause. Le devoir est le plus beau fleuron de la raison ; il relève d'elle, comme le fils relève de sa mère. L'homme doit aimer le devoir, non parce qu'il préserve des maux de la vie auxquels l'humanité ne peut être soustraite, mais parce qu'il donne à l'âme la vigueur nécessaire à son développement. L'homme ne peut détourner le calice de ses épreuves ; le devoir est pénible dans ses sacrifices ; le mal est amer dans ses résultats ; mais ces douleurs, presque égales, ont des conclusions très différentes : l'une est salutaire comme les poisons qui rendent la santé, l'autre est nuisible comme les festins qui ruinent le corps.

Le devoir grandit et rayonne sous une forme plus élevée dans chacune des étapes supérieures de l'humanité. L'obligation morale ne cesse jamais de la créature à Dieu ; elle doit refléter les vertus de l'Éternel, qui n'accepte pas une ébauche imparfaite, parce qu'il veut que la beauté de son œuvre resplendisse devant lui.

Lazare.


Société de Paris, 4 juillet 1862. – Médium, M. A Didier

Le sacrifice de la chair fait sévèrement condamné par les grands philosophes de l'antiquité. L'Esprit élevé se révolte à l'idée du sang, et surtout à l'idée que le sang est agréable à la Divinité. Et notez bien qu'il n'est ici nullement question des sacrifices humains, mais uniquement des animaux offerts en holocauste. Quand Christ vint annoncer la Bonne Nouvelle, il n'ordonna pas le sacrifice du sang : il s'occupa uniquement de l'Esprit. Les grands sages de l'antiquité avaient également horreur de ces sortes de sacrifices, et ne se nourrissaient eux-mêmes que de fruits et de racines. Sur la terre, les incarnés ont une mission à remplir ; ils ont l'Esprit qu'il faut nourrir avec l'Esprit, le corps avec la matière ; mais la nature de la matière influe, on le conçoit facilement, sur l'épaisseur du corps, et par suite sur les manifestations de l'Esprit. Les tempéraments naturellement assez forts pour vivre comme les anachorètes font bien, parce que l'oubli de la chair amène plus facilement à la méditation et à la prière. Mais pour vivre ainsi, il faudrait généralement une nature plus spiritualisée que la vôtre, ce qui est impossible avec les conditions terrestres ; et comme, avant tout, la nature ne fait jamais de non-sens, il est impossible, pour l'homme, de se soumettre impunément à ces privations. On peut être bon chrétien et bon Spirite, et manger à sa guise, pourvu que ce soit en homme raisonnable. C'est une question un peu légère pour nos études, mais qui n'en est pas moins utile et profitable.

Lamennais.



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