REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Août

Nous venons à notre tour jeter quelques fleurs sur la tombe récemment fermée d'un homme aussi recommandable par son savoir que par ses éminentes qualités morales, et auquel, chose rare, tous les partis s'accordent à rendre justice.

Jean Reynaud, né à Lyon en février 1808, est mort à Paris le 28 juin 1863. Nous ne saurions donner une idée plus juste de son caractère qu'en reproduisant la courte et touchante notice nécrologique que son ami, M. Ernest Legouvé, a publiée dans le Siècle du 30 juin 1863.

« La démocratie, la philosophie, et, je ne crains pas de le dire, la religion, viennent de faire une perte immense : Jean Reynaud est mort hier après une courte maladie. De quelque point de vue que l'on juge ses doctrines, son œuvre, comme sa vie, a été éminemment religieuse ; car sa vie, comme son œuvre, a été une des protestations les plus éloquentes contre le grand fléau qui nous menace : le scepticisme sous toutes ses formes. Nul n'a cru plus énergiquement à la personnalité divine, nul n'a cru plus énergiquement à la personnalité humaine, nul n'a aimé plus ardemment la liberté. Dans ce livre de Terre et Ciel, qui a creusé dès l'abord un sillon si profond, et dont la trace ira se marquant toujours davantage, dans ce livre respire un tel sentiment de l'infini, un tel sentiment de la présence divine, qu'on peut dire que Dieu y palpite à chaque page ! Et comment pourrait-il en être autrement, quand celui qui les a écrites, ces pages, vivait toujours en présence de Dieu ! Nous le savons bien, nous tous qui l'avons connu, aimé, et dont le plus beau titre d'honneur est d'avoir été aimés par un tel homme. C'était une source de vie morale toujours jaillissante ; on ne pouvait pas s'approcher de lui sans être plus affermi dans le bien ; son visage seul était une leçon de droiture, d'honneur, de dévouement ; les âmes déchues se troublaient devant ce clair regard comme devant l'œil même de la justice : et tout cela est parti ! parti, en pleine force, lorsque tant d'utiles paroles, tant de grands exemples pouvaient encore sortir de cette bouche, de ce cœur !… Nous ne pleurons pas Reynaud pour nous seuls, nous le pleurons pour notre pays tout entier.

« E. Legouvé. »

M. Henri Martin, dans le même journal du 16 juillet, a donné sur la vie et les ouvrages de Jean Reynaud des détails plus circonstanciés. « Élevé, dit-il, dans la liberté de la campagne par une mère à l'âme forte et tendre, ce fut là qu'il prit ces habitudes d'intimité avec la nature qui ne le quittèrent jamais, et se forma ces organes robustes avec lesquels, plus tard, il faisait vingt lieues d'une haleine, et passait de glacier en glacier, d'une crête à l'autre des Alpes, sur d'étroites corniches où ne se hasardent point les chasseurs de chamois. Ses études furent rapides et fécondes ; tout en manifestant dès son jeune âge le goût le plus vif pour les lettres et pour toutes les formes du beau, il tourna d'abord ses vues d'avenir vers les sciences, heureuse direction qui devait lui fournir les aliments et les instruments de sa pensée, et faire du savant l'utile serviteur du philosophe. Sorti au premier rang de l'École polytechnique, il était ingénieur des mines en Corse au moment de la révolution de juillet. Il revint à Paris ; le saint-simonisme y venait de faire explosion ; il fut enveloppé dans ce grand et singulier mouvement qui prenait alors tant de jeunes intelligences par l'attrait du dogme de la perfectibilité du genre humain. L'école, cependant, prétendit devenir une église ; Jean Reynaud ne la suivit pas ; il quitta le saint-simonisme pour la démocratie ; il tâcha de reconstituer un groupe et un centre d'action intellectuelle avec les amis qui s'en étaient séparés en même temps que lui. Pierre Leroux, Carnot et lui reprirent des mains de Julien (de Paris) la Revue Encyclopédique ; ce fut là que Pierre Leroux publia son remarquable Essai sur la doctrine du progrès continu, et Jean Reynaud le morceau si frappant de l'Infinité des cieux, germe de son grand livre de Terre et Ciel. Il fonda ensuite avec Pierre Leroux l'Encyclopédie Nouvelle, œuvre immense qui est restée inachevée. Le 24 février enleva le philosophe à ses paisibles travaux pour le jeter dans la politique active. Président de la commission des hautes études scientifiques et littéraires, puis sous-secrétaire d'État au ministère de l'Instruction publique, il élabora avec le ministre Carnot, un de ses plus anciens et de ses plus constants amis, des plans destinés à mettre l'instruction publique au niveau des institutions démocratiques. De l'Instruction publique transféré au Conseil d'État, Jean Reynaud y prit rapidement une autorité qui procédait de son caractère autant que de ses lumières, et, si court qu'y ait été son passage, il y laissa dans la mémoire des hommes spéciaux les plus éminents une impression ineffaçable. »

De tous les écrits de Jean Reynaud, celui qui a le plus contribué à sa popularité, c'est sans contredit son livre de Terre et Ciel, quoique la forme abstraite du langage ne le mette pas à la portée de tout le monde ; mais la profondeur des idées et la logique des déductions l'ont fait apprécier de tous les penseurs sérieux, et ont placé l'auteur au premier rang des philosophes spiritualistes. Cet ouvrage parut à l'Église un danger pour l'orthodoxie de la foi ; il fut en conséquence condamné et mis à l'Index par la cour de Rome, ce qui accrut encore le crédit dont il jouissait déjà et le fit rechercher avec plus d'avidité. A l'époque où parut cet ouvrage, vers 1840, il n'était point encore question des Esprits, et cependant Jean Reynaud semble avoir eu, comme du reste beaucoup d'autres écrivains modernes, l'intuition et le pressentiment du Spiritisme dont il a été un des plus éloquents précurseurs. Comme Charles Fourier il admet le progrès indéfini de l'âme, et, comme conséquence de ce progrès, la nécessité de la pluralité des existences démontrée par les divers états de l'homme sur la terre.

Jean Reynaud n'avait rien vu ; il avait tout puisé dans sa profonde intuition. Le Spiritisme a vu ce que le philosophe n'avait fait que pressentir ; il ajoute ainsi la sanction de l'expérience à la théorie purement spéculative, et l'expérience lui a naturellement fait découvrir des points de détail que l'imagination seule ne pouvait entrevoir, mais qui viennent compléter et corroborer les points fondamentaux. Comme toutes les grandes idées qui ont révolutionné le monde, le Spiritisme n'est point éclos subitement ; il a germé dans plus d'un cerveau, s'est montré, çà et là, petit à petit, comme pour habituer les hommes à cette idée ; une brusque apparition complète eût rencontré une trop vive résistance : elle eût ébloui sans convaincre. Chaque chose d'ailleurs doit venir en son temps, et toute plante doit germer et croître avant d'atteindre son entier développement. Il en est de même en politique ; il n'est aucune révolution qui n'ait été élaborée de longue main, et quiconque, guidé par l'expérience et l'étude du passé, suit attentivement ces préliminaires, peut, presque à coup sûr, sans être prophète, en prévoir le dénouement. C'est ainsi que les principes du Spiritisme moderne se sont montrés partiellement et sous différentes faces à plusieurs époques : au siècle dernier, dans Swedenborg ; au commencement de ce siècle, dans la doctrine des théosophes, qui admettaient clairement les communications entre le monde visible et le monde invisible ; dans Charles Fourier, qui admet le progrès de l'âme par la réincarnation ; dans Jean Reynaud, qui admet le même principe, en sondant l'infini, la science à la main ; il y a une douzaine d'années, dans les manifestations américaines qui ont eu un si grand retentissement et sont venues prouver les rapports matériels entre les morts et les vivants, et, finalement, dans la philosophie spirite, qui a réuni ces divers éléments en corps de doctrine et en a déduit les conséquences morales. Qui eût dit, alors qu'on s'occupait des tables tournantes, que de cet amusement sortirait toute une philosophie ? Quand cette philosophie parut, qui eût dit qu'en quelques années elle ferait le tour du monde et conquerrait des millions d'adhérents ? Aujourd'hui, qui pourrait affirmer qu'elle a dit son dernier mot ? Non certes, elle ne l'a pas dit ; si les bases fondamentales en sont établies, il est encore beaucoup de points de détail à élucider et qui viendront à leur tour ; puis, plus on avance, plus on voit combien sont multiples les intérêts auxquels elle touche, car on peut dire, sans exagération, qu'elle touche à toutes les questions de l'ordre social ; l'avenir seul peut donc en développer toutes les conséquences, ou, pour mieux dire, ces conséquences se dérouleront d'elles-mêmes par la force des choses, parce qu'on trouve dans le Spiritisme ce qu'on a inutilement cherché ailleurs ; par cela même on sera conduit à reconnaître que seul il peut combler le vide moral qui se fait chaque jour autour de l'homme, vide qui menace la société elle-même dans sa base, et dont on commence à s'effrayer. A un moment donné le Spiritisme sera l'ancre de salut ; mais il ne fallait pas attendre ce moment pour jeter la corde de sauvetage, de même qu'on n'attend pas le moment où l'on a besoin de la récolte pour semer. La Providence, dans sa sagesse, prépare les choses de longue main ; c'est pourquoi l'idée mère a eu, comme nous l'avons dit, de nombreux précurseurs qui ont frayé la voie et préparé le terrain à recevoir la semence, les uns dans un sens, les autres dans un autre, et l'on reconnaîtra un jour par quels fils nombreux toutes ces idées partielles se relient à l'idée fondamentale ; or, chacune de ces idées ayant eu ses partisans, il en résulte chez ceux-ci une prédisposition toute naturelle à accepter le complément de l'idée, chacune de ces théories ayant défriché une portion du terrain ; là, sans contredit, est une des causes de cette propagation qui tient du prodige, et dont l'histoire des doctrines philosophiques n'offre aucun exemple ; déjà les adversaires s'étonnent de la résistance qu'il présente à leurs attaques ; plus tard ils devront céder devant la puissance de l'opinion.

Parmi les précurseurs du Spiritisme, il faut encore placer une foule d'écrivains contemporains dont les œuvres sont semées, peut-être à leur insu, d'idées spirites. Il y aurait des volumes à faire si l'on voulait recueillir les innombrables passages où il est fait une allusion plus ou moins directe à la préexistence et à la survivance de l'âme, à sa présence parmi les vivants, à ses manifestations, à ses pérégrinations à travers les mondes progressifs, à la pluralité des existences, etc. En admettant que cela ne soit, de la part de certains auteurs, qu'un jeu de l'imagination, l'idée ne s'en infiltre pas moins dans l'esprit des masses où elle demeure latente jusqu'au moment où elle sera démontrée comme une vérité. Est-il une pensée plus spirite que celle que renferme la lettre de M. Victor Hugo sur la mort de madame Lamartine, et que la plupart des journaux ont acclamée avec enthousiasme, même ceux qui glosent le plus sur la croyance aux Esprits ? Voici cette lettre, qui en dit beaucoup en quelques lignes :



« Hauteville-House, 23 mai.

Cher Lamartine,

Un grand malheur vous frappe ; j'ai besoin de mettre mon cœur près du vôtre. Je vénérais celle que vous aimiez. Votre haut esprit voit au delà de l'horizon ; vous apercevez distinctement la vie future.

Ce n'est pas à vous qu'il est besoin de dire : Espérez. Vous êtes de ceux qui savent et qui attendent.

Elle est toujours votre compagne, invisible, mais présente. Vous avez perdu la femme, mais non l'âme. Cher ami, vivons dans les morts.

Victor Hugo. »



Ce ne sont pas seulement des écrivains isolés qui sèment çà et là quelques idées, c'est la science elle-même qui vient préparer les voies. Le magnétisme a été le premier pas vers la connaissance de l'action périspritale, source de tous les phénomènes spirites ; le somnambulisme a été la première manifestation de l'isolement de l'âme. La phrénologie a prouvé que l'organisme cérébral est un clavier au service du principe intelligent pour l'expression des diverses facultés ; contrairement à l'intention de Gall, son fondateur, qui l'était matérialiste, elle a servi à prouver l'indépendance de l'Esprit et de la matière. L'homéopathie, en prouvant la puissance d'action de la matière spiritualisée, se lie au rôle important que joue le périsprit dans certaines affections ; elle attaque le mal à sa source même qui est en dehors de l'organisme dont l'altération n'est que consécutive. Telle est la raison pour laquelle l'homéopathie triomphe dans une foule de cas où échoue la médecine ordinaire : plus que celle-ci, elle tient compte de l'élément spiritualiste, si prépondérant dans l'économie, ce qui explique la facilité avec laquelle les médecins homéopathes acceptent le Spiritisme, et pourquoi la majeure partie des médecins spirites appartiennent à l'école d'Hahnemann. Il n'est pas enfin jusqu'aux récentes découvertes sur les propriétés de l'électricité qui ne soient venues apporter leur contingent dans la question qui nous occupe en jetant leur part de lumière sur ce qu'on pourrait appeler la physiologie des Esprits.

Nous n'en finirions plus si nous voulions analyser toutes les circonstances, petites ou grandes, qui depuis un demi-siècle sont venues frayer la route à la philosophie nouvelle ; nous verrions les doctrines les plus contradictoires provoquer au développement de l'idée, les évènements politiques eux-mêmes préparer son introduction dans la vie pratique ; mais de toutes ces causes, la plus prépondérante, c'est l'Église qui semble prédestinée à y pousser fatalement.

Tout lui vient en aide, et si l'on connaissait l'innombrable quantité de documents qui nous arrivent de toutes parts ; si l'on pouvait suivre comme nous sommes à même de le faire, cette marche providentielle à travers le monde, favorisée par les événements les moins attendus, et qui, au premier abord, sembleraient y être contraires, on comprendrait mieux encore combien elle est irrésistible, et l'on s'étonnerait moins de notre impassibilité ; c'est que nous voyons tout le monde y travailler, de gré ou de force, volontairement ou involontairement ; c'est que nous voyons le but, et que nous savons quand et comment il sera atteint ; nous voyons l'ensemble qui avance, c'est pourquoi nous nous inquiétons peu de quelques individualités qui vont de travers.

Jean Reynaud fut donc un précurseur du Spiritisme par ses écrits ; lui aussi avait sa mission providentielle et devait creuser un sillon ; il lui sera encore utile après sa mort. Un éminent Esprit a donné l'appréciation suivante sur cet évènement :

« Encore une circonstance qui va tourner au profit du Spiritisme. Jean Reynaud avait accompli ce qu'il devait faire dans cette dernière existence ; on va parler de sa mort, de sa vie, et plus que jamais de ses œuvres ; or, parler de ses œuvres, c'est mettre un pied dans la voie du Spiritisme. Bien des intelligences apprendront notre croyance, en voulant étudier ce philosophe qui fait autorité ; on comparera, et l'on verra que vous n'êtes pas si fous que le prétendent ceux qui rient de vous et de votre foi. Tout ce que fait Dieu est bien fait, croyez-moi. Il sera loué par vos détracteurs eux-mêmes, et vous savez que ce sont eux qui, sans le vouloir, travaillent le plus à vous faire des adeptes. Laissez faire, laissez crier, tout sera selon la volonté de Dieu. Encore un peu de patience, et l'élite des hommes d'intelligence et de savoir se ralliera à vous, et devant certaines adhésions ostensibles, la critique devra baisser la voix. «

Saint Augustin. »


Nota. – Voir ci après, aux dissertations, quelques communications de Jean Reynaud.



Extrait du Voyage en Orient, par M. de Lamartine

« Oh ! pour cela, lui dis-je, c'est une autre question. Nul plus que moi ne souffre et ne gémit du gémissement universel de la nature, des hommes et des sociétés. Nul ne confesse plus haut les énormes abus sociaux, politiques et religieux. Nul ne désire et n'espère davantage une réparation à ces maux intolérables de l'humanité. Nul n'est plus convaincu que ce réparateur ne peut être que divin ! Si vous appelez cela attendre un messie, je l'attends comme vous, et plus que vous je soupire après sa prochaine apparition ; comme vous et plus que vous je vois dans les croyances ébranlées de l'homme, dans le tumulte de ses idées, dans le vide de son cœur, dans la dépravation de son état social, dans les tremblements répétés de ses institutions politiques, tous les symptômes d'un bouleversement, et par conséquent d'un renouvellement prochain et imminent. Je crois que Dieu se montre toujours au moment précis où tout ce qui est humain est insuffisant, où l'homme confesse qu'il ne peut rien pour lui-même. Le monde en est là. Je crois donc à un messie ; je ne vois pas le Christ qui n'a rien de plus à nous donner en sagesse, en vertu et en vérité ; je vois celui que le Christ a annoncé devoir venir après lui : cet Esprit-Saint toujours agissant, toujours assistant l'homme, toujours lui révélant, selon les temps et les besoins, ce qu'il doit faire et savoir. Que cet Esprit divin s'incarne dans un homme ou dans une doctrine, dans un fait ou dans une idée, peu importe, c'est toujours lui, homme ou doctrine, fait ou idée. Je crois en lui, j'espère en lui et je l'attends, et plus que vous, milady, je l'invoque ! Vous voyez donc que nous pouvons nous entendre et que nos étoiles ne sont pas si divergentes que cette conversation a pu vous le faire penser. » (1er vol., page 176.)

« L'imagination de l'homme est plus vraie qu'on ne le pense ; elle ne bâtit pas toujours avec des rêves, mais elle procède par des assimilations instinctives de choses et d'images qui lui donnent des résultats plus sûrs et plus évidents que la science et la logique. Excepté les vallées du Liban, les ruines de Balbek, les rives du Bosphore à Constantinople, et le premier aspect de Damas, du haut de l'Anti-Liban, je n'ai jamais rencontré un lieu, une chose dont la première vue ne fût pour moi comme un souvenir !

Avons-nous vécu deux fois ou mille fois ? Notre mémoire n'est-elle qu'une glace ternie que le souffle de Dieu ravive ? ou bien avons-nous dans notre imagination la puissance de pressentir et de voir avant que nous voyions réellement ? Questions insolubles ! » (1er vol., page 327.)



Remarque. – Dans notre précédent article sur les précurseurs du Spiritisme, nous avons dit qu'on trouve dans maints auteurs les éléments épars de cette doctrine ; les fragments ci-dessus sont trop clairs pour qu'il soit nécessaire d'en faire ressortir l'à-propos.

De ce que des hommes, comme M. Lamartine et autres, émettent, dans leurs écrits, des idées spirites, s'ensuit-il qu'ils adoptent franchement le Spiritisme ? Non ; pour la plupart ils ne l'ont pas étudié, ou s'ils l'ont fait ils n'osent attacher leur nom connu à un nouveau drapeau. Leur conviction, d'ailleurs, n'est que partielle, et l'idée n'est souvent pour eux qu'un éclair qui part d'une intuition vague non formulée, non arrêtée dans leur esprit ; ils peuvent donc reculer devant un ensemble dont certaines parties peuvent les offusquer, les effrayer même ; pour nous, ce n'en est pas moins l'indice du pressentiment de l'idée générale qui germe partiellement dans les cerveaux d'élite, et cela suffit pour prouver à certains adversaires que ces idées ne sont pas aussi dépourvues de sens qu'ils le prétendent, puisqu'elles sont partagées par les hommes mêmes dont ils reconnaissent la supériorité. En réunissant et en coordonnant les idées partielles de chacun, on arriverait certainement à constituer la doctrine spirite complète d'après les hommes les plus éminents et les plus accrédités.

Nous remercions notre abonné de Joinville qui a eu l'obligeance de nous transmettre les deux passages précités, et nous serons toujours très reconnaissant envers les personnes qui voudront bien, comme lui, nous faire part du fruit de leurs lectures.

Nota. – Nous saisissons cette occasion pour remercier la personne qui nous a adressé une brochure intitulée : Dissertation sur le déluge. Cet envoi n'étant accompagné d'aucune lettre, nous ne pouvons la remercier directement. Un coup d'œil jeté sur cette brochure nous a convaincu que le système fort original de l'auteur est en contradiction avec les données les plus vulgaires et les plus positives de la science géologique, qui, quoi qu'il en dise, ont bien leur valeur. Il serait donc facile de réfuter sa théorie par des observations au moins aussi rigoureuses que les siennes.

Par Hippolyte Renaud, ancien élève de l'École polytechnique

La Presse du 27 Juillet 1862 donnait le compte rendu suivant de l'ouvrage ci-dessus indiqué. Il se rattache d'une manière trop directe à la doctrine spirite pour que nos lecteurs ne nous sachent pas gré de le reproduire. Nous aurions pu faire nous-même une analyse de cet ouvrage, mais nous préférons celle d'une personne désintéressée dans la question. Nous nous bornerons à la faire suivre de quelques considérations :

Quoi de plus attachant pour l'esprit, dit le rédacteur, et de plus rafraîchissant pour l'âme que de rencontrer à l'heure présente un homme de foi sincère, naïve et profonde, un homme qui croit et pourtant raisonne, et raisonne sans parti pris pour rechercher le vrai à la lumière de sa conscience ? Tel est M. Renaud. Chez lui les mathématiques et la science n'ont pas tué le sentiment et troublé les sources mystérieuses qui nous rattachent à l'infini par la foi. M. Renaud est un croyant ferme, convaincu, même un excellent chrétien, s'il est d'ailleurs un mauvais catholique, ce dont il ne se défend pas, au contraire.

Sa raison éclairée, non moins que son cœur aimant, lui fait repousser bien loin l'idée d'un Dieu vengeur, jaloux et colère, d'un Dieu qui aurait choisi la colère pour lier la créature à son auteur, d'un Dieu qui punit l'enfant pour la faute de son père, chose inique aux regards de la justice humaine.

Le Dieu de M. Renaud est un Dieu de lumière et d'amour. L'harmonie de son œuvre infinie manifeste sa toute-puissance et sa bonté. L'homme n'est point sa victime, mais son collaborateur pour une part minime mais encore glorieuse et proportionnée à ses forces. Alors pourquoi le mal et comment l'expliquer ? Le mal ne vient pas d'une chute primitive qui aurait changé toutes les conditions de la vie humaine, il a pour cause le non-accomplissement de la loi de Dieu et la désobéissance de l'homme mésusant de son libre arbitre. Nous aurions trouvé plus net que M. Renaud nous dît tout simplement que l'homme commence par l'instinct, que ce n'est que graduellement qu'il a pu développer ses sentiments supérieurs et son intelligence. L'homme espèce, comme tous les êtres vivants, ne peut pas tout à coup se saisir de la plénitude de son être. Il parcourt des évolutions successives et normales. Son enfance sociale est caractérisée par la domination des instincts ; de là son ignorance, sa misère et sa brutalité. A mesure qu'il s'élève dans la vie, il se dégage peu à peu du limon des premiers âges. L'intelligence grandit, les sentiments prennent de la force, il commence à s'humaniser. Plus l'homme comprend, plus il se rallie à la loi, plus il devient religieux, et concourt pour sa part à l'harmonie générale. La souffrance est un avertissement, un stimulant pour se délivrer du mal, pour se retirer de l'ombre et marcher vers la lumière. Plus il va et plus il a horreur du monde de l'instinct, de la lutte, de la violence et de la guerre ; plus il voit et comprend, mieux il aspire au monde de la paix et de l'ordre, à l'empire de la raison, au règne des sentiments élevés, qui sont la dignité et le signe sacré de son espèce.

Il résulte de là que, grâce à la science, à l'industrie, au progrès incessant de la sociabilité, le genre humain tend à se constituer comme le roi, ou, si l'on préfère un terme moins ambitieux, comme le gérant de son globe. Mais après, et en admettant pour un moment cette hypothèse qui, à vrai dire, semble devenir plus certaine chaque jour, mais après, il restera toujours à satisfaire ce désir inassouvi de l'homme, qui ne peut s'arrêter et se borner au présent, quelque magnifique qu'il puisse être ?

Que me fait, après tout, votre bonheur matériel et terrestre, s'il me laisse l'âme vide et altérée ? On se sent saisi d'un souverain ennui et d'un grand dégoût en présence d'un tel bonheur qui dure si peu.

Cela est vrai, répond M. Renaud, et c'est ici qu'il triomphe. Illuminé par la science, sa foi robuste dans les destinées éternelles de l'homme lui montre tout un avenir infini d'activité consciente et de joies paradisiaques.

Au premier éveil de sa pensée, aux premiers tressaillements de son âme, l'homme élève son regard vers le ciel, interroge ses profondeurs infinies et cherche quel peut être son lien avec l'univers qu'il entrevoit. Cette existence terrestre, si courte et souvent si triste, ne lui suffit pas. Il sent qu'il participe de l'infini, et à tout prix il veut y trouver place. L'homme a horreur du néant, comme la nature a horreur du vide. Plutôt que de demeurer sans idéal, il se jettera éperdu dans les croyances les plus étranges. De là tant de conceptions paradisiaques plus ou moins folles, mais qui attestent ce besoin absolu et fondamental de se sentir rattaché à l'infini, assuré de l'immortalité.

On connaît le paradis des bouddhistes, les champs Élysées des Grecs, le paradis des sauvages, avec leurs forêts et leurs prairies giboyeuses, le paradis de Mahomet, avec ses délices matérielles et ses houris sans tache. Le paradis catholique, qui place l'humanité dans un état de béatitude contemplative, infinie, est une conception en rapport avec les époques cruelles où le travail est peine et châtiment, où la souffrance générale est telle que la résignation en ce monde et le repos dans l'autre ont pu paraître la souveraine sagesse et idéal le plus élevé. Mais évidemment cette hypothèse est tout à fait contradictoire avec les notions les plus simples et les plus claires de l'existence. Vivre, c'est être ; être, c'est agir avec toutes les puissances de ses facultés et de son énergie vitale. Vivre, c'est aspirer et se transformer sans cesse.

La métempsycose de Pythagore, tout en respectant l'idée d'activité, est incomplète en ce sens qu'elle borne la transformation à des passages dans des organismes vivant à la surface de la terre, et qu'elle ne tient pas compte de la loi du progrès ascendant qui gouverne toute chose.

Selon. M. Renaud, il n'y a qu'une manière rationnelle d'envisager cette question de l'immortalité. L'auteur repousse d'abord cette conception qui, à la suite d'une station dans le monde visible, lieu d'épreuve, placerait l'homme dans le monde invisible, le Paradis, à l'état de béat contemplatif et plus que désintéressé de ses semblables et de son œuvre terrestre. Quels élus et quels vivants que ces êtres dépouillés de tout désir et de toute aspiration, de toute activité féconde, de tout intérêt pour leur passé et leurs semblables, pour l'univers infini où ils ont travaillé, senti et pensé !…

M. Renaud repousse également cette hypothèse d'une suite indéfinie d'existences soit sur la terre, soit dans d'autres globes. Ce genre d'immortalité possède déjà un grand avantage sur la première conception puisqu'il ouvre à l'activité humaine un champ indéfini. MM. Jean Reynaud, Pierre Leroux, Henri Martin, Lamennais, se rallient plus ou moins à cette idée. Mais il est un point capital qui la ruine par la base, c'est l'absence de la mémoire. Que me fait une immortalité dont je n'ai pas conscience et que Dieu seul connaît ? Pour que mon immortalité soit réelle, il faut que dans une vie différente de ma vie actuelle j'aie le souvenir de mes existences antérieures, j'aie conscience de la continuité et de l'identité de mon être. A cette condition seule, je suis véritablement immortel, participant de l'infini et conscient de ma fonction dans l'univers. Nous ne connaissons notre être que par ses manifestations ; son essence virtuelle nous échappe. En quoi répugnerait-il donc à notre raison d'admettre que notre être, dont nous constatons ici-bas la persistance dans ses modifications incessantes, persistât éternellement ? Seulement, il change de forme et d'organes selon le milieu qu'il traverse dans ses incarnations successives.

C'est ainsi que M. Renaud arrive à exposer sa conception, qui satisfait à cette condition essentielle, conserver la mémoire, et, en outre, est conforme à la justice et à la toute-puissante bonté de Dieu.

Dans l'univers il n'y a pas de vide, pas plus qu'il n'y a de néant. Or, si le monde visible est partout, le monde invisible n'est nulle part, dit justement M. Renaud, à moins qu'il ne soit partout aussi.

Sur cette terre, l'homme a deux états bien distincts. Pendant la veille, il se rappelle généralement tous ses actes et a conscience de lui-même ; pendant le sommeil, il perd la mémoire et la conscience. Pourquoi l'homme n'aurait-il pas conséquemment deux modes d'existences distinctes, toujours liées entre elles, toujours unies à la vie de l'espèce et de la planète ? D'abord, l'existence que nous connaissons ici-bas, puis une autre existence d'un ordre plus élevé où l'individu s'organise et s'incarne au moyen des fluides impondérables, participe d'une façon plus large et plus étendue à la vie de notre tourbillon, conserve alors la mémoire de ses existences antérieures et possède pleine conscience de son rôle et de sa fonction dans l'univers ? L'existence mondaine ou visible est en rapport avec le sommeil, l'existence transmondaine ou éthérée est en analogie avec la veille ?

Dans cette hypothèse, la solidarité du genre humain, dans ses générations présentes et futures, nous apparaît complète et entière. Chacun de nous a vécu, vit et vivra aux différentes époques de la vie de l'espèce sur cette terre, et dans son double mode visible et invisible. Chacun de nous y naît et en sort, selon la loi de nombre, poids et mesures qui préside à l'harmonie des mondes. Nos divers alternats sont comptés comme les jours et les saisons. Chacun de nous renaît sur la terre, prend son rang dans l'espèce et sa fonction dans le travail général, conformément à sa valeur et selon la loi de l'ordre universel. Peut-être chacun de nous passe-t-il par les divers états et fonctions que nous présente l'ensemble de l'espèce. A coup sûr la justice la plus absolue préside à ces transformations, comme l'ordre le plus harmonieux éclate dans l'éternelle création, dans les combinaisons variées qui caractérisent tout organisme et tout être vivant. Nous renaissons à la vie éthérée, et nous sortons sous ces mêmes conditions d'ordre et d'harmonie.

Telle est la conception de M. Renaud, que je ne puis exposer ici avec tout le développement convenable. Il faut recourir à son livre, clair, simple, rapide, où une foi profonde, unie à une raison non moins haute qu'impartiale, tient constamment le lecteur sous le charme d'une théorie aussi consolante qu'elle est religieuse et grandiose. La libre spontanéité de l'homme, sa solidarité intime et incessante avec ses semblables, avec son globe, avec son tourbillon, avec l'univers, son activité de plus en plus progressive, efficace, rayonnante, en harmonie avec les lois divines, une carrière infinie pour son éternelle aspiration, la toute-puissance et la bonté de Dieu justifiées, expliquées et glorifiées, l'amour pour lien entre Dieu et l'homme, voilà ce qui ressort de ce petit livre, le plus complet de tous ceux qui ont été écrits sous l'inspiration de cette grande parole : « Les désirs de l'homme sont les promesses de Dieu. »

E. de Pompéry.

Cet article a donné lieu aux deux lettres suivantes, également publiées dans la Presse des 31 juillet et 5 août 1862.

« Paris, ce 29 juillet 1862.

Au rédacteur,

Monsieur,

Je viens de lire dans la Presse d'hier soir le passage suivant (article de M. de Pompéry sur l'ouvrage de M. Renaud) :

M. Renaud repousse l'hypothèse d'une suite indéfinie d'existences, soit sur la terre, soit dans d'autres globes… Hypothèse à laquelle se rallient plus ou moins MM. Jean Reynaud, Pierre Leroux, Henri Martin, Lamennais… Il est un point capital qui la ruine par la base, c'est l'absence de la mémoire. Que me fait une immortalité dont je n'ai pas conscience, et que Dieu seul connaît ? Pour que mon immortalité soit réelle, il faut que, dans une vie différente de ma vie actuelle, j'aie le souvenir de mes existences antérieures, j'aie conscience de la continuité et de l'identité de mon être. »

M. de Pompéry a raison, à mon avis : une métempsycose indéfinie et sans mémoire n'est pas l'immortalité. Mais, s'il a raison quant aux idées, il a tort quant aux personnes. Des quatre écrivains qu'il cite, un seul a professé la doctrine qu'il combat, c'est M. Pierre Leroux, dans son livre de l'Humanité. Pour mon compte, puisqu'il me faut ci comparaître, quoique sans titre à figurer auprès des trois célèbres philosophes, je dois, dire que je n'ai point d'autre opinion que celle que vient d'exprimer ci-dessus M. de Pompéry.

Quant à M. Jean Reynaud, il a fait de cette opinion le couronnement, en quelque sorte, de son livre de Terre et Ciel, où il présente l'absence de mémoire comme la condition des existences inférieures, et la mémoire retrouvée et conservée pour toujours comme un attribut essentiel de la vie d'en haut.

Je ne crois pas non plus que M. Lamennais, à une époque quelconque de sa carrière, ait aucunement paru incliner à l'idée de la transmigration inconsciente et indéfinie ; elle était fort contraire à toutes ces tendances.

Je vous serai reconnaissant monsieur le rédacteur en chef, de vouloir bien accueillir cette réclamation, et vous prie d'agréer mes sentiments les plus distingués.

Henri Martin. »



Au rédacteur,

« Monsieur,

En rendant compte du livre de M. Renaud, j'ai dit, d'après l'auteur, que MM. Henri Martin, Jean Reynaud, Pierre Leroux et Lamennais ne pouvaient, selon les systèmes adoptés par eux, conserver à l'homme la mémoire dans ses existences ultérieures. Ceci n'implique point qu'il ne fût pas dans la pensée de ces philosophes de conserver à l'homme dans ses existences indéfinies l'identité et la perpétuité de son être au moyen de la mémoire.

La réclamation dé M. Henri Martin serait donc très juste, au point de vue de son intention, je le constate avec plaisir. Reste à savoir maintenant si M. Renaud, discutant les systèmes de ses illustres contradicteurs, n'a pas raison de conclure à leur impuissance. Là est toute la question, dans laquelle je ne puis entrer à cette place. Il faut voir le débat dans le livre de M. Renaud, qui témoigne d'ailleurs la plus haute sympathie pour ces hommes éminents.

Veuillez agréer, etc.

E. de Pompéry. »



Voilà donc un débat sérieusement engagé dans un journal, sans sottes et plates plaisanteries, sur la question de la pluralité des existences, une des bases fondamentales de la doctrine spirite, par des hommes dont la valeur intellectuelle ne saurait être contestée, ce qui prouve qu'elle n'est pas aussi saugrenue qu'il plaît à quelques-uns de le dire. Si l'on veut bien approfondir les idées émises dans l'article de M. de Pompéry, on y trouvera toutes celles de la doctrine spirite sur ce point ; il n'y manque, pour les compléter, que les rapports du monde visible et du monde invisible, dont il n'est pas question. Par la seule force du raisonnement et de l'intuition, ces messieurs, auxquels on aurait pu en ajouter bien d'autres, tels que Charles Fourier et Louis Jourdan, sont arrivés au point culminant du Spiritisme sans avoir passé par la filière intermédiaire. La seule différence entre eux et nous, c'est qu'ils ont trouvé la chose par eux-mêmes, tandis qu'à nous elle a été révélée par les Esprits, et, aux yeux de certaines gens, c'est là son plus grand tort.

Le fait suivant nous est transmis par M. A. Superchi, de Parme, membre honoraire de la Société spirite de Paris.

« Dans notre séance du 23 avril dernier, je fis mettre au médium la main sur le papier sans évoquer aucun Esprit. Aussitôt que sa main commença à se mouvoir, il sentit une force inconnue qui le contraignit à tenir l'index soulevé et roide, dans une position tout à fait anormale ; le doigt était singulièrement refroidi. Ne pouvant me rendre raison d'une semblable étrangeté, j'en demandai l'explication à l'Esprit. Il répondit : « Oublieux que vous êtes, ne vous souvenez-vous pas de celui qui, de son vivant, écrivait de telle façon ? J'ai roidi ce doigt pour vous donner une preuve de notre authenticité et de notre pouvoir. » C'était l'Esprit d'un frère du médium, mort depuis plus de vingt ans à Florence. Il s'était blessé au doigt en cassant une bouteille, tandis qu'il en versait le contenu, de telle sorte que le doigt était resté ankylosé. Ci-joint un dessin représentant la position de la main du médium.

Un autre médium, dépité par une mystification méritée, s'efforçait de prouver que les phénomènes provenaient de notre propre esprit concentré de je ne sais quelle façon. Tout en causant, un jour, il prit machinalement un crayon pour dessiner quelques lignes en jouant ; mais sa main resta immobile malgré tous ses efforts pour s'en servir. A la fin elle se mit en mouvement et écrivit ces mots : « Quand je ne voudrai pas, tu ne pourras jamais rien écrire. » Surpris, mais en même temps blessé dans son amour-propre, il reprit le crayon, en disant qu'il ne voulait pas écrire, et qu'il verrait bien ainsi si ce soi-disant Esprit aurait la puissance de le faire aller. Malgré sa résolution, sa main s'ébranla rapidement et écrivit : « Quand je voudrai, tu ne pourras pas ne pas écrire. »

Dans les deux faits ci-dessus, l'action de l'Esprit sur les organes est, comme on le voit, tout à fait indépendante de la volonté ; on conçoit dès lors qu'elle peut s'exercer spontanément, abstraction faite de toute notion du Spiritisme ; c'est, en effet, ce que prouvent maintes observations ; ici elle a lieu sur un doigt, ailleurs ce sera sur un autre organe, et pourra se traduire par d'autres effets. Cette action, temporaire en cette circonstance, pourrait acquérir une certaine durée et présenter une apparence pathologique qui n'existerait pas en réalité, et contre laquelle la thérapeutique ordinaire serait impuissante.

Ce phénomène, considéré au point de vue des manifestations spirites, offre une preuve remarquable d'identité. L'Esprit, en tant qu'Esprit, n'a incontestablement pas le doigt ankylosé, mais à un médium voyant il se serait présenté avec cette infirmité pour se faire reconnaître ; à celui-ci qui n'était pas voyant, il communique momentanément son infirmité ; c'est encore là une preuve évidente que l'Esprit s'identifie avec le médium et se sert du corps de celui-ci comme il se servait du sien propre. Que cette action soit produite par un Esprit malveillant, qu'elle acquière une certaine durée, qu'elle affecte des formes plus caractérisées et plus excentriques, et l'on aura l'explication de la plupart des cas de subjugation corporelle que l'on prend pour de la folie.

Le fait suivant, d'une nature analogue, nous est rapporté par un membre de la Société de Paris qui en a été témoin dans une ville de province.

« J'ai vu, dit-il, un médium très singulier ; c'est une dame jeune encore qui demande à son Esprit familier de lui paralyser la langue, par exemple, et aussitôt elle ne peut plus parler qu'à la manière d'un muet qui s'efforce de se faire comprendre. A sa prière, il fait adhérer ses mains l'une contre l'autre de telle façon qu'il devient impossible de les disjoindre ; il la cloue sur sa chaise jusqu'à ce qu'elle prie l'Esprit de lui rendre sa liberté. Je priai l'Esprit de l'endormir instantanément, ce qu'il fit : le médium s'endormit pour la première fois, presque de suite, sans le concours de personne. Ce fut dans cet état que je crus reconnaître la nature de cet Esprit, qui me parut obsesseur, car lorsque cette dame souffrait, ou du moins était très agitée pendant son sommeil, si je voulais lui faire quelques passes magnétiques pour la calmer, l'Esprit la faisait me repousser très durement. Je conseillai à cette dame de ne pas répéter trop souvent ces expériences. »

Quant à nous, nous lui conseillons de s'en abstenir totalement, car elles pourraient lui jouer un mauvais tour. Il est évident qu'un bon Esprit ne peut se prêter à de pareilles choses ; en faire un jeu, c'est se mettre volontairement sous une funeste dépendance, moralement et physiquement, et Dieu sait où cela s'arrêterait ; il pourrait en résulter pour elle quelque terrible subjugation corporelle dont il lui serait bien difficile ensuite, sinon impossible, de se débarrasser. C'est déjà bien assez que ces accidents arrivent spontanément, sans y donner lieu en les provoquant à plaisir, et pour satisfaire une vaine curiosité. De telles expériences sont sans aucune utilité pour l'amélioration morale, et peuvent avoir les plus graves inconvénients ; puis on s'en prendrait au Spiritisme, tandis qu'il ne faudrait accuser que l'imprévoyance ou l'orgueil de ceux qui se croient capables de mener à leur gré les mauvais Esprits ; ce n'est jamais impunément qu'on se fait fort de les braver. Nous n'affirmons pas que l'Esprit en question soit foncièrement mauvais, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne peut être élevé ni même foncièrement bon, et qu'il est toujours dangereux de se soumettre à une pareille subordination, dont le moindre inconvénient serait la neutralisation du libre arbitre. En donnant accès aux Esprits de cette espèce, on se pénètre de leurs fluides, nécessairement réfractaires aux influences des bons Esprits, qui s'éloignent si on ne s'efforce de les attirer à soi, en cherchant dans le Spiritisme les moyens de s'améliorer. Le périsprit, une fois pénétré par un fluide malfaisant, est comme un vêtement imprégné d'une odeur acre que les plus délicieux parfums ne peuvent faire disparaître.

La revue hebdomadaire du Siècle du 12 juillet 1863 contenait le paragraphe suivant :

« En dehors de ces questions importantes, il en est d'un tout autre ordre et qu'il ne faut pas non plus négliger, entre autres la question si vivante des spectres. Avez-vous vu les spectres ? Depuis une huitaine de jours le spectre est le seul sujet qui égaye un peu la conversation. Aussi chaque théâtre a-t-il ses spectres, spectres d'honnêtes gredins qui ont volé, pillé, assassiné, et qui reviennent, ombres impalpables, se promener à l'heure de minuit dans le cinquième acte d'un drame fortement charpenté. Ce secret du spectre ou, pour parler le langage des coulisses, ce truc, payé, dit-on, si cher à un Anglais, est d'une simplicité tellement élémentaire que tous les théâtres ont eu leurs spectres le même jour, celui-ci renchérissant sur celui-là ; puis du théâtre le spectre a passé au salon, où il fait les beaux soirs des messieurs et des dames, piqués comme d'une tarentule de cette aimable spectromanie. Voilà un divertissement qui arrive à point pour expliquer bien des prodiges, et je veux surtout parler des prodiges du Spiritisme. On a beaucoup parlé de ces Spirites qui évoquent les morts et les montrent en petit comité à des croyants terrifiés ; on peut, à l'aide d'un simple truc, faire la même besogne sans passer pour un grand sorcier. Cette évocation générale des spectres porte un coup funeste au merveilleux, aujourd'hui qu'il est prouvé qu'il n'est pas plus difficile de faire paraître des fantômes que des personnes en chair et en os. Le célèbre M. Home lui-même a déjà dû baisser de soixante et quinze pour cent dans l'estime de ses nombreuses admiratrices.

L'idéal tombe en poudre au toucher du réel. Le réel, c'est le truc.

Edmond Texier. »



Nous avions raison de dire qu'à propos de ce nouveau procédé fantasmagorique, les journaux ne manqueraient pas de parler du Spiritisme ; déjà l'Indépendance belge s'était aussi frotté les mains en s'écriant : Comment les Spirites vont-ils se tirer de là ? Nous dirons simplement à ces messieurs de s'informer comment se porte le Spiritisme. Ce qui ressort le plus clairement de ces articles, c'est, comme toujours, la preuve de l'ignorance la plus absolue du sujet qu'ils attaquent. Il faut en effet n'en pas savoir le premier mot, pour croire que les Spirites se réunissent pour faire apparaître des fantômes ; or, ce qui est le plus singulier, c'est que nous n'en avons jamais vu, pas même ceux des théâtres, quoique, au dire de ces messieurs, nous soyons grandement intéressé dans la question.

M. Robin, le prestidigitateur cité dans notre précédent article du mois de juillet, va plus loin : ce n'est pas seulement l'espiritisme qu'il prétend démolir, c'est la Bible elle-même ; dans son allocution quotidienne à ses spectateurs, il affirme que l'apparition de Samuel à Saül eut lieu par le même procédé que le sien. Nous ne pensions pas que la science de l'optique fût aussi avancée à cette époque, chez les Hébreux, qui ne passaient pas pour très savants. A ce compte-là, c'est sans doute aussi au moyen de quelque truc que Jésus apparut à ses disciples.

Les faux spectres ne produisant pas le résultat espéré, nous verrons sans doute bientôt surgir quelque nouveau stratagème. Ils auront leur temps, comme tout ce qui n'a pour résultat que de satisfaire la curiosité ; ce temps sera peut-être plus court qu'on ne croit, car on se lasse vite de ce qui ne laisse rien dans l'esprit. Les théâtres feront donc bien d'en profiter pendant qu'ils ont le privilège d'attirer la foule par l'attrait de la nouveauté. Leur apparition aura toujours eu l'avantage de faire parler du Spiritisme et d'en répandre l'idée ; c'était un moyen comme un autre d'exciter beaucoup de personnes à s'enquérir de la vérité.

Que dirons-nous du feuilleton de M. Oscar Comettant sur le livre de M. Home, publié dans le Siècle du 15 juillet 1863 ? Rien, sinon que c'est la meilleure des réclames pour faire vendre l'ouvrage, et dont profitera le Spiritisme. Il est utile que de temps en temps il y ait de ces coups de fouet pour réveiller l'attention des indifférents. Si l'article n'est ni spirite, ni spiritualiste, est-il au moins spirituel ? Nous laissons à d'autres le soin de prononcer.

Il y a pourtant quelque chose de bon dans cet article, c'est que l'auteur, à l'exemple de plusieurs de ses confrères, tombe à bras raccourci sur ceux qui font métier de la faculté médianimique ; il blâme avec une juste sévérité les abus qui en résultent, et par là contribue à les discréditer, ce dont le Spiritisme sérieux ne saurait se plaindre, puisque lui-même répudie toute exploitation de ce genre comme indigne du caractère exclusivement moral du Spiritisme, et comme une atteinte au respect que l'on doit aux morts. M. Comettant a le tort de généraliser ce qui serait tout au plus une très rare exception, et surtout d'assimiler les médiums aux jongleurs, aux tireurs de cartes, aux diseurs de bonne aventure, aux saltimbanques, parce qu'il a vu des saltimbanques prendre le nom de médiums, comme on voit des charlatans se dire médecins. Il paraît ignorer qu'il y a des médiums parmi les membres des familles du rang le plus élevé, qu'il y en a même chez certains écrivains renommés, tenus en grande estime par lui et ses amis ; qu'il est de notoriété que madame Émile de Girardin était un excellent médium ; nous serions curieux de savoir s'il oserait leur dire en face qu'ils sont des faiseurs de dupes.

Si ceux qui parlent ainsi s'étaient donné la peine d'étudier avant de parler, ils sauraient que l'exercice de la médiumnité exige un profond recueillement incompatible avec la légèreté de caractère et la cohue des curieux, et qu'on ne doit rien attendre de sérieux dans les réunions publiques. Le Spiritisme désapprouve toute expérience de pure curiosité, faite en vue d'un amusement, parce qu'on ne doit pas s'amuser avec ces choses-là. Les Esprits, c'est-à-dire les âmes de ceux qui ont quitté la terre, de nos parents et de nos amis, ce qui n'a rien de plaisant, viennent nous instruire, nous moraliser, et non pour égayer les oisifs ; ils ne viennent ni prédire l'avenir, ni découvrir les secrets et les trésors cachés ; ils viennent nous apprendre qu'il y a une autre vie, et comment il faut se conduire pour y être heureux, ce qui est peu récréatif pour certaines gens. Si l'on ne croit pas à l'âme et à la survivance de ceux qui nous furent chers, il est toujours déplacé de tourner cette croyance en dérision, ne fût-ce que par respect pour leur mémoire. Le Spiritisme nous apprend encore que les Esprits ne sont aux ordres de personne ; qu'ils viennent quand ils veulent et avec qui ils veulent ; que quiconque prétendrait les avoir à sa disposition et les gouverner à son gré, peut, à bon droit passer pour un ignorant ou un charlatan ; qu'il est illogique autant qu'irrévérencieux d'admettre que les Esprits sérieux soient au caprice du premier venu qui prétend les évoquer à toute heure et à tant la séance pour leur faire jouer un rôle de comparse ; qu'il y a même un sentiment instinctif de répugnance attaché à l'idée que l'âme de l'être que l'on pleure vienne à prix d'argent. D'un autre côté, il est de principe consacré par l'expérience que les Esprits ne se communiquent ni facilement ni volontiers par certains médiums, que parmi ces derniers il en est de tout à fait répulsifs à certains Esprits, ce que l'on comprend facilement quand on connaît la manière dont s'opère la communication, par l'assimilation des fluides. Il peut donc y avoir entre l'Esprit et le médium attraction ou répulsion, selon le degré d'affinité sympathique. La sympathie est fondée sur les similitudes morales et l'affection ; or, quelle sympathie l'Esprit peut-il avoir pour un médium qui ne l'appelle que pour de l'argent ? On dira peut-être que l'Esprit vient pour la personne qui le demande et non pour le médium, qui n'est qu'un instrument. D'accord, mais il n'en faut pas moins chez celui-ci les conditions fluidiques nécessaires, essentiellement modifiées par les sentiments moraux et par les rapports personnels d'Esprit à médium ; c'est pourquoi il n'est pas un médium qui puisse se flatter de communiquer indistinctement avec tous les Esprits, difficulté capitale pour celui qui voudrait les exploiter. Voilà ce que nous apprendrons à M. Comettant, puisqu'il ne le sait pas, et ce qui détruit les assimilations qu'il prétend établir. La médiumnité réelle est une faculté précieuse qui acquiert d'autant plus de valeur qu'elle est employée pour le bien, et qu'elle est exercée religieusement et avec un complet désintéressement moral et matériel. Quant à la médiumnité simulée, ou abusive en quoi que ce soit, nous la livrons à toutes les sévérités de la critique, et c'est ignorer les principes les plus élémentaires du Spiritisme de croire qu'il s'en constitue le défenseur, et que la répression légale d'un abus, si elle avait lieu, fût un échec ; aucune répression ne saurait atteindre les médiums qui ne feront point profession de leur faculté et ne s'écarteront point de la voie morale qui leur est tracée par la doctrine. Les armes que les abus fournissent aux détracteurs, toujours ardents à saisir les occasions de blâme, à les inventer même quand elles n'existent pas, font encore mieux ressortir, aux yeux des Spirites sincères, la nécessité de montrer qu'il n'y a aucune solidarité entre la vraie doctrine et ceux qui la parodient.



Questions et problèmes

Une lettre de Locarno contient le passage suivant :

« … Pour moi le doute serait impossible, puisque j'ai une fille très bon médium, et que mon fils lui-même écrit ; mais, hélas ! il a eu de si cruelles mystifications que son découragement m'a un peu gagné, sans ébranler pourtant notre croyance si pure et si consolante, malgré les chagrins que l'on éprouve quand on se voit trompé par des réponses décevantes. Pourquoi donc Dieu permet-il que ceux qui ont de bonnes intentions soient ainsi trompés par ceux qui devraient les éclairer ?… »

Réponse. – Le monde corporel se déversant dans le monde spirite par la mort, et le monde spirite se déversant dans le monde corporel par l'incarnation, il en résulte que la population normale de l'espace qui environne la terre se compose des Esprits provenant de l'humanité terrestre ; cette humanité, étant une des plus imparfaites, ne peut donner que des produits imparfaits ; c'est la raison pour laquelle les mauvais Esprits pullulent autour d'elle. Par la même raison, dans les mondes plus avancés, dans ceux où le bien règne sans partage, il n'y a que de bons Esprits. Ceci étant admis, on comprendra que l'immixtion si fréquente des mauvais Esprits dans les rapports médianimiques est inhérente à l'infériorité de notre globe ; on y court risque d'être dupe des Esprits trompeurs, comme dans un pays de voleurs on court risque d'être volé. Ne pourrait-on aussi demander pourquoi Dieu permet que les honnêtes gens soient dépouillés par les fripons, victimes de la malveillance, en butte à toutes sortes de misères ? Demandez plutôt pourquoi vous êtes sur cette terre, et il vous sera répondu que c'est parce que vous n'avez pas mérité un meilleur séjour, sauf les Esprits qui y sont en mission ; il faut donc en subir les conséquences et faire ses efforts pour en sortir le plus tôt possible. En attendant il faut s'efforcer de se préserver des atteintes des mauvais Esprits, ce à quoi on n'arrive qu'en leur fermant toutes les issues qui pourraient leur donner accès dans notre âme, en leur imposant par la supériorité morale, le courage, la persévérance et une foi inébranlable dans la protection de Dieu et des bons Esprits, dans l'avenir qui est tout, tandis que le présent n'est rien. Mais comme nul n'est parfait sur terre, nul ne peut se flatter, sans orgueil, d'être à l'abri de leurs malices d'une manière absolue. La pureté des intentions est beaucoup sans doute ; c'est la route qui conduit à la perfection, mais elle n'est pas la perfection, et il peut y avoir encore au fond de l'âme quelque vieux levain ; c'est pourquoi il n'est pas un seul médium qui n'ait été plus ou moins trompé.

La simple raison nous dit que les bons Esprits ne peuvent faire que le bien, autrement ils ne seraient pas bons, et que le mal ne peut venir que des Esprits imparfaits ; donc les mystifications ne peuvent être le fait que d'Esprits légers ou menteurs qui abusent de la crédulité, et souvent exploitent l'orgueil, la vanité ou d'autres passions. Ces mystifications ont pour but de mettre à l'épreuve la persévérance, la fermeté dans la foi, et d'exercer le jugement. Si les bons Esprits les permettent dans certaines occasions, ce n'est pas impuissance de leur part, mais pour nous laisser le mérite de la lutte : l'expérience que l'on acquiert à ses dépens étant la plus profitable ; si le courage fléchit, c'est une preuve de faiblesse qui nous laisse à la merci des mauvais Esprits. Les bons Esprits veillent sur nous, ils nous assistent et nous aident, mais à la condition que nous nous aiderons nous-mêmes. L'homme est sur la terre pour la lutte, il lui faut vaincre pour en sortir, sinon il y reste.

On nous écrit de Saint-Pétersbourg, 1er juillet 1863 :

« … Dans le Livre des Esprits, livre I, chapitre Ier, no 2, j'ai remarqué cette proposition : Tout ce qui est inconnu est infini. Il me semble que beaucoup de choses nous sont inconnues sans pour cela être infinies. Ce mot se trouvant dans toutes les éditions, j'en ai demandé l'explication à mon guide, qui m'a répondu : « Le mot infini est ici une erreur ; il faut indéfini. » Qu'en faut-il penser ?… »

Réponse. Ces deux mots, quoique synonymes par le sens général, ont chacun une acception spéciale. L'Académie les définit ainsi :

Indéfini, dont la fin, les bornes ne sont ou ne peuvent point être déterminées. Temps indéfini Nombre indéfini. Ligne indéfinie. Espace indéfini.

Infini, qui n'a ni commencement ni fin, qui est sans bornes et sans limites. L'espace est infini. Dieu est infini. La miséricorde de Dieu est infinie. Il se dit, par extension, de ce dont on ne peut assigner les bornes, le terme, et, par exagération, tant au sens physique qu'au sens moral, de tout ce qui est très considérable en son genre. Il se dit particulièrement pour innombrable. Une durée infinie. La béatitude infinie des élus. Des astres placés à une distance infinie. Je vous en sais un gré infini. Une infinie variété d'objets. Des peines infinies. Il y a un nombre infini d'auteurs qui ont écrit sur ce sujet.

Il résulte de là que le mot indéfini a un sens plus particulier, et le mot infini un sens plus général ; que le premier se dit plutôt au propre des choses matérielles, et le second des choses abstraites : il est plus vague que l'autre. Le sens plus général du mot infini permet de l'appliquer dans certains cas à ce qui n'est qu'indéfini, tandis que l'inverse ne pourrait avoir lieu. On dit également : une durée infinie et une durée indéfinie ; on ne pourrait pas dire : Dieu est indéfini, sa miséricorde est indéfinie.

A ce point de vue, l'emploi du mot infini dans la phrase précitée n'est donc point abusif, et n'est pas une erreur. Nous disons de plus que le mot indéfini ne rendrait pas la même idée. Du moment qu'une chose est inconnue, elle a pour la pensée le vague de l'infini, sinon absolu, du moins relatif. Par exemple, vous ne savez ce qui vous arrivera demain : votre pensée erre dans l'infini ; ce sont les évènements qui sont indéfinis ; vous ne savez combien il y a d'étoiles : c'est un nombre indéfini, mais c'est aussi l'infini pour l'imagination. Dans le cas dont il s'agit, il convenait donc d'employer le mot qui généralise la pensée de préférence à celui qui lui donnerait un sens restrictif.



M. Cardon, médecin, mort en septembre 1862

(Société de Paris. – Médium, M. Leymarie.)

M. Cardon avait passé une partie de sa vie dans la marine marchande, en qualité de médecin de baleinier, et y avait puisé des habitudes et des idées un peu matérielles ; retiré dans le village de J…, il y exerçait la modeste profession de médecin de campagne. Depuis quelque temps il avait acquis la certitude qu'il était atteint d'une hypertrophie du cœur, et, sachant que cette maladie est incurable, la pensée de la mort le plongeait dans une sombre mélancolie dont rien ne pouvait le distraire. Deux mois d'avance environ, il prédit sa fin à jour fixe ; quand il se vit près de mourir, il réunit sa famille autour de lui pour lui dire un dernier adieu. Sa femme, sa mère, ses trois enfants et d'autres parents étaient rassemblés autour de son lit ; au moment où sa femme essayait de le soulever, il s'affaissa, devint d'un bleu livide, ses yeux se fermèrent et on le crut mort ; sa femme se plaça devant lui pour cacher ce spectacle à ses enfants. Après quelques minutes il rouvrit les yeux ; sa figure, pour ainsi dire illuminée, prit une expression de radieuse béatitude, et il s'écria : « Oh ! mes enfants, que c'est beau ! que c'est sublime ! Oh ! la mort ! quel bienfait ! quelle douce chose ! J'étais mort, et j'ai senti mon âme s'élever bien haut, bien haut ; mais Dieu m'a permis de revenir pour vous dire : « Ne redoutez plus la mort, c'est la délivrance… » Que ne puis-je vous dépeindre la magnificence de ce que j'ai vu et les impressions dont je me suis senti pénétré ! Mais vous ne pourriez le comprendre… Oh ! mes enfants, conduisez-vous toujours de manière à mériter cette ineffable félicité, réservée aux hommes de bien ; vivez selon la charité ; si vous avez quelque chose, donnez-en une partie à ceux qui manquent du nécessaire… Ma chère femme, je te laisse dans une position qui n'est pas heureuse ; on nous doit de l'argent, mais, je t'en conjure, ne tourmente pas ceux qui nous doivent ; s'ils sont dans la gêne, attends qu'ils puissent s'acquitter, et ceux qui ne le pourront pas, fais-en le sacrifice : Dieu t'en récompensera. Toi, mon fils, travaille pour soutenir ta mère ; sois toujours honnête homme et garde-toi de rien faire qui puisse déshonorer notre famille. Prends cette croix qui vient de ma mère ; ne la quitte pas, et qu'elle te rappelle toujours mes derniers conseils… Mes enfants, aidez-vous et soutenez-vous mutuellement ; que la bonne harmonie règne entre vous ; ne soyez ni vains, ni orgueilleux ; pardonnez à vos ennemis, si vous voulez que Dieu vous pardonne… » Puis, ayant fait approcher ses enfants, il étendit ses mains vers eux, et ajouta : « Mes enfants, je vous bénis. » Et ses yeux se fermèrent cette fois pour toujours ; mais sa figure conserva une expression si imposante que, jusqu'au moment où il fut enseveli, une foule nombreuse vint le contempler avec admiration.

Ces intéressants détails nous ayant été transmis par un ami de la famille, nous avons pensé que cette évocation pouvait être instructive pour tous, en même temps qu'elle serait utile à l'Esprit.

1. Évocation. – Rép. Je suis près de vous.

2. On nous a rapporté vos derniers instants qui nous ont ravis d'admiration. Voudriez-vous être assez bon pour nous décrire, mieux que vous ne l'avez fait, ce que vous avez vu dans l'intervalle de ce qu'on pourrait appeler vos deux morts ?

Rép. Ce que j'ai vu, pourriez-vous le comprendre ? Je ne le sais, car je ne pourrais trouver d'expressions capables de rendre compréhensible ce que j'ai pu voir pendant les quelques instants où il m'a été possible de laisser ma dépouille mortelle.

3. Vous rendez-vous compte où vous avez été ? Est-ce loin de la terre, dans une autre planète ou dans l'espace ? – R. L'Esprit ne connaît pas la valeur des distances telles que vous les envisagez. Emporté par je ne sais quel agent merveilleux, j'ai vu la splendeur d'un ciel comme nos
rêves seuls pourraient le réaliser. Cette course à travers l'infini s'est faite si rapidement que je ne puis préciser les instants employés par mon Esprit.

4. Actuellement jouissez-vous du bonheur que vous avez entrevu ? – R. Non ; je voudrais bien pouvoir en jouir, mais Dieu ne peut me récompenser ainsi. Je me suis trop souvent révolté contre les pensées bénies que dictait mon cœur, et la mort me semblait une injustice. Médecin incrédule, j'avais puisé dans l'art de guérir une aversion contre la seconde nature qui est notre mouvement intelligent, divin ; l'immortalité de l'âme était une fiction propre à séduire les natures peu élevées ; néanmoins le vide m'épouvantait, car j'ai maudit bien des fois cet agent mystérieux qui frappe toujours et toujours. La philosophie m'avait égaré sans me faire comprendre toute la grandeur de l'Éternel qui sait répartir la douleur et la joie pour l'enseignement de l'humanité.

5. Lors de votre mort véritable, vous êtes-vous reconnu aussitôt ? – R. Non ; je me suis reconnu pendant la transition que mon Esprit a faite pour parcourir des lieux éthérés, mais après la mort réelle, non ; il a fallu quelques jours pour mon réveil.

Dieu m'avait accordé une grâce ; je vais vous en dire la raison :

Mon incrédulité première n'existait plus ; avant ma mort, j'avais cru, car après avoir scientifiquement sondé la matière grave qui me faisait dépérir, je n'avais, à bout de raisons terrestres, trouvé que la raison divine ; elle m'avait inspiré, consolé, et mon courage était plus fort que la douleur. Je bénissais ce que j'avais maudit ; la fin me paraissait la délivrance. La pensée de Dieu est grande comme le monde ! Oh ! quelle suprême consolation dans la prière qui donne des attendrissements ineffables ; elle est l'élément le plus sûr de notre nature immatérielle ; par elle j'ai compris, j'ai cru fermement, souverainement, et c'est pour cela que Dieu, écoutant mes actions bénies, a bien voulu me récompenser avant de finir mon incarnation.

6. Pourrait-on dire que la première fois vous étiez mort ? – R. Oui et non ; l'Esprit ayant laissé le corps, naturellement la chair s'éteignait ; mais en reprenant possession de ma demeure terrestre, la vie est revenue au corps qui avait subi une transition, un sommeil.

7. A ce moment sentiez-vous les liens qui vous rattachaient à votre corps ? – R. Sans doute ; l'Esprit a un lien difficile à briser, il lui faut le dernier tressaillement de la chair pour rentrer dans sa vie naturelle.

8. Comment se fait-il que lors de votre mort apparente, et pendant quelques minutes, votre Esprit ait pu se dégager instantanément et sans trouble, tandis que la mort réelle a été suivie d'un trouble de plusieurs jours ? Il semble que, dans le premier cas, les liens entre l'âme et le corps subsistant plus que dans le second, le dégagement devrait être plus lent, et c'est le contraire qui a lieu. – Rép. Vous avez souvent fait l'évocation d'un Esprit incarné, vous en avez reçu des réponses réelles ; j'étais dans la position de ces Esprits. Dieu m'appelait, et ses serviteurs m'avaient dit : « Viens… » J'ai obéi, et je remercie Dieu de la grâce spéciale qu'il a bien voulu me faire ; j'ai pu voir l'infini de sa grandeur et m'en rendre compte. Merci à vous qui m'avez, avant la mort réelle, permis d'enseigner aux miens pour qu'ils soient de bonnes et justes incarnations.

9. D'où vous venaient les belles et bonnes paroles que, lors de votre retour à la vie, vous avez adressées à votre famille ? – R. Elles étaient le reflet de ce que j'avais vu et entendu ; les bons Esprits inspiraient ma voix et animaient mon visage.

10. Quelle impression croyez-vous que votre révélation ait faite sur les assistants et sur vos enfants en particulier ? – R. Frappante, profonde ; la mort n'est pas menteuse ; les enfants, quelque ingrats qu'ils puissent être, s'inclinent devant l'incarnation qui s'en va. Si l'on pouvait scruter le cœur de ses enfants, près d'une tombe entrouverte, on ne sentirait battre que des sentiments vrais, touchés profondément par la main secrète des Esprits qui disent à toutes les pensées : Tremblez si vous êtes dans le doute ; la mort c'est la réparation, la justice de Dieu ; et je vous l'assure, malgré les incrédules, mes amis et ma famille croiront aux paroles que ma voix a prononcées avant de mourir. J'étais l'interprète d'un autre monde.

11. Vous avez dit que vous ne jouissiez pas du bonheur que vous avez entrevu ; est-ce que vous êtes malheureux ? – R. Non, puisque je croyais avant de mourir, et cela en mon âme et conscience. La douleur étreint ici-bas, mais elle relève pour l'avenir spirite. Remarquez que Dieu a su me tenir compte de mes prières et de ma croyance absolue en lui ; je suis sur la route de la perfection, et j'arriverai au but qu'il m'a été permis d'entrevoir. Priez, mes amis, pour ce monde invisible qui préside à vos destinées ; cet échange fraternel, c'est de la charité ; c'est un levier puissant qui met en communion les Esprits de tous les mondes.

12. Voudriez-vous adresser quelques paroles à votre femme et à vos enfants ?

Rép. Je prie tous les miens de croire en Dieu puissant, juste, immuable ; en la prière qui console et soulage ; en la charité qui est l'acte le plus pur de l'incarnation humaine ; qu'ils se souviennent qu'on peut donner peu : l'obole du pauvre est la plus méritoire devant Dieu, qui sait qu'un pauvre donne beaucoup en donnant peu ; il faut que le riche donne grandement et souvent pour mériter autant que lui.

L'avenir c'est la charité, la bienveillance dans toutes les actions ; c'est de croire que tous les Esprits sont frères, en ne se prévalant jamais de toutes les puériles vanités.

Famille bien-aimée, tu auras de rudes épreuves ; mais sache les prendre courageusement en pensant que Dieu les voit.

Dites souvent cette prière :

Dieu d'amour et de bonté, qui donnes tout et toujours, accorde-nous cette force qui ne recule devant aucune peine ; rends-nous bons, doux et charitables, petits par la fortune, grands par le cœur ; que notre Esprit soit Spirite sur terre pour mieux vous comprendre et vous aimer.

Que votre nom, ô mon Dieu, emblème de liberté, soit le but consolateur de tous les opprimés, de tous ceux qui ont besoin d'aimer, pardonner et croire.

Cardon.





Dissertations spirites

L'Esprit de Jean Reynaud

Société spirite de Paris. – Médium, madame Costel

Mes amis, que cette nouvelle vie est magnifique ! Semblable à un torrent lumineux, elle entraîne dans sa course immense les âmes ivres de l'infini ! Après la rupture des liens charnels, mes yeux ont embrassé les horizons nouveaux qui m'entourent, et joui des splendides merveilles de l'infini. J'ai passé des ombres de la matière à l'aube éclatante qui annonce le Tout-Puissant. Je suis sauvé, non par le mérite de mes œuvres, mais par la connaissance du principe éternel qui m'a fait éviter les souillures imprimées par l'ignorance à la pauvre humanité. Ma mort a été bénie ; mes biographes la jugeront prématurée ; les aveugles ! ils regretteront quelques écrits nés de la poussière, et ils ne comprendront pas combien le peu de bruit qui se fait autour de ma tombe mi-close est utile pour la sainte cause du Spiritisme. Mon œuvre était finie ; mes devanciers couraient dans la carrière ; j'avais atteint ce point culminant où l'homme a donné ce qu'il avait de meilleur, et où il ne fait plus que recommencer. Ma mort ravive l'attention des lettrés et la ramène sur mon ouvrage capital, qui touche à la grande question spirite qu'ils affectent de méconnaître, et qui bientôt les enlacera. Gloire à Dieu ! Aidé par les Esprits supérieurs qui protègent la nouvelle doctrine, je vais être un des éclaireurs qui jalonnent votre route.



Dans une réunion de famille. – Médium, M. Charles V…

L'Esprit répond à cette réflexion : Votre mort inattendue, dans un âge si peu avancé, a surpris bien du monde.

« Qui vous dit que ma mort n'est pas un bienfait pour le Spiritisme, pour son avenir, pour ses conséquences ? Avez-vous remarqué, mon ami, la marche que suit le progrès, la route que prend la foi spirite ? Dieu a tout d'abord donné des preuves matérielles : danse des tables, coups frappés et toutes sortes de phénomènes ; c'était pour appeler l'attention ; c'était une préface amusante. Il faut aux hommes des preuves palpables pour croire. Maintenant c'est bien autre chose !

Après les faits matériels, Dieu parle à l'intelligence, au bon sens, à la froide raison ; ce ne sont plus des tours de force, mais des choses rationnelles qui doivent convaincre et rallier même les incrédules les plus opiniâtres. Et ce n'est encore que le commencement. Remarquez bien ce que je vous dis : toute une série de faits intelligents, irréfutables, vont se suivre, et le nombre des adeptes de la foi spirite, déjà si grand, va encore augmenter. Dieu va s'en prendre aux intelligences d'élite, aux sommités de l'esprit, du talent et du savoir. Cela va être un rayon lumineux qui se répandra sur toute la terre, comme un fluide magnétique irrésistible, et poussera les plus récalcitrants à la recherche de l'infini, à l'étude de cette admirable science qui nous enseigne des maximes si sublimes. Tous vont se grouper autour de vous, et, faisant abstraction du diplôme de génie qui leur avait été donné, ils vont se faire humbles et petits pour apprendre et pour se convaincre. Puis, plus tard, lorsqu'ils seront bien instruits et bien convaincus, ils se serviront de leur autorité et de la notoriété de leur nom pour pousser encore plus loin, et atteindre les dernières limites du but que vous vous êtes tous proposé : la régénération de l'espèce humaine par la connaissance raisonnée et approfondie des existences passées et futures. Voilà ma sincère opinion sur l'état actuel du Spiritisme. »

Jean Reynaud.



Bordeaux. - Médium, madame C…

Je me rends avec plaisir à votre appel, madame. Oui, vous avez raison, le trouble spirite n'a pour ainsi dire point existé pour moi (ceci répondait à la pensée du médium) ; exilé volontaire sur votre terre, où j'avais à jeter la première semence sérieuse des grandes vérités qui enveloppent le monde en ce moment, j'ai toujours eu la conscience de la patrie et me suis vite reconnu au milieu de mes frères.

D. Je vous remercie d'avoir bien voulu venir ; mais je n'aurais pas cru que mon désir de vous entretenir eût de l'influence sur vous ; il doit nécessairement y avoir une différence si grande entre nous, que j'y pense qu'avec respect.

R. Merci de cette bonne pensée, mon enfant ; mais vous devez savoir aussi que quelque distance que des épreuves achevées plus ou moins promptement, plus ou moins heureusement, puissent établir entre nous, il y a toujours un lien puissant qui nous unit : la sympathie, et ce lien, vous l'avez resserré par votre pensée constante.

D. Bien que beaucoup d'Esprits aient expliqué leurs premières sensations au réveil, seriez-vous assez bon pour me dire ce que vous avez éprouvé en vous reconnaissant, et comment la séparation de votre Esprit et de votre corps s'est opérée ?

R. Comme pour tous. J'ai senti le moment de la délivrance approcher, mais, plus heureux que beaucoup, elle ne m'a point causé d'angoisses, parce que j'en connaissais les résultats, quoiqu'ils fussent encore plus grands que je ne le pensais. Le corps est une entrave aux facultés spirituelles, et, quelles que soient les lumières que l'on ait conservées, elles sont toujours plus ou moins étouffées par le contact de la matière. Je me suis endormi espérant un réveil heureux ; le sommeil a été court, l'admiration immense ! Les splendeurs célestes déroulées à mes regards brillaient de tout leur éclat. Ma vue émerveillée plongeait dans les immensités de ces mondes dont j'avais affirmé l'existence et l'habitabilité. C'était un mirage qui me révélait et me confirmait la vérité de mes sentiments. L'homme a beau se croire sûr, quand il parle il y a souvent au fond de son cœur des moments de doute, d'incertitude ; il se méfie, sinon de la vérité qu'il proclame, du moins souvent des moyens imparfaits qu'il emploie pour la démontrer. Convaincu de la vérité que je voulais faire admettre, j'ai eu souvent à combattre contre moi-même, contre le découragement de voir, de toucher pour ainsi dire la vérité, et de ne pouvoir la rendre palpable à ceux qui auraient tant besoin d'y croire pour marcher sûrement dans la voie qu'ils ont à suivre.

D. De votre vivant, professiez-vous le Spiritisme ?

R. Entre professer et pratiquer il y a une grande différence. Bien des gens professent une doctrine qui ne la pratiquent pas ; je pratiquais et ne professais pas. De même que tout homme est chrétien qui suit les lois de Christ, fût-ce sans les connaître, de même tout homme peut être Spirite qui croit à son âme immortelle, à ses réexistences, à sa marche progressive incessante, aux épreuves terrestres, ablutions nécessaires pour se purifier ; j'y croyais, j'étais donc Spirite. J'ai compris l'erraticité, ce lien intermédiaire entre les incarnations, ce purgatoire où
l'Esprit coupable se d
épouille de ses vêtements souillés pour revêtir une nouvelle robe, où l'Esprit en progrès tisse avec soin la robe qu'il va porter de nouveau et qu'il veut conserver pure. J'ai compris, je vous l'ai dit, et sans professer j'ai continué de pratiquer.



Remarque. – Ces trois communications ont été obtenues par trois médiums différents complètement étrangers l'un à l'autre. Nous n'avons aucune preuve matérielle de l'identité de l'Esprit qui s'est manifesté, mais, à l'analogie des pensées, à la forme du langage, on peut admettre au moins la présomption d'identité. L'expression : tisse avec soin la robe qu'il va porter de nouveau, est une charmante figure qui peint la sollicitude avec laquelle l'Esprit en progrès prépare la nouvelle existence qui doit le faire progresser encore. Les Esprits arriérés prennent moins de précautions et font quelquefois des choix malheureux qui les forcent à recommencer.




Société spirite de Paris, 13 mars 1863. – Médium madame Costel

Ma fille, je viens donner un enseignement médical aux Spirites. L'astronomie, la philosophie ont ici d'éloquents interprètes : la morale compte autant d'écrivains que de médiums ; pourquoi la médecine, dans son côté pratique et physiologique, serait-elle négligée ? Je fus le créateur de la rénovation médicale qui pénètre aujourd'hui jusque dans les rangs des sectateurs de l'ancienne médecine ; ligués contre l'homéopathie, ils ont beau lui créer des digues sans nombre, ils ont beau lui crier : « Tu n'iras pas plus loin ! » la jeune médecine, triomphante, franchit tous les obstacles ; le Spiritisme lui sera un puissant auxiliaire ; grâce à lui, elle abandonnera la tradition matérialiste qui a si longtemps retardé son essor. L'étude médicale est entièrement liée à la recherche des causes et des effets spiritualistes ; elle dissèque les corps, et doit aussi analyser l'âme. Laissez donc un vieux médecin justifier les fins et le but de la doctrine qu'il a propagée, et qu'il voit étrangement défigurée ici-bas par les praticiens, et là-haut par des Esprits ignorants qui usurpent son nom. Je voudrais que ma parole écoutée eût le pouvoir de corriger les abus qui altèrent l'homéopathie et l'empêchent d'être aussi utile qu'elle le devrait.

Si je parlais dans un centre pratique, où les conseils puissent être entendus avec fruit, je m'élèverais contre la négligence de mes collègues terrestres qui méconnaissent les lois primordiales de l'Organon, en exagérant les doses, et surtout en n'apportant pas à la trituration si importante des médicaments les soins que j'ai indiqués. Beaucoup oublient que cent et souvent deux cents coups sont absolument nécessaires au dégagement du principe médical approprié à chacune des plantes ou poisons qui forment notre arsenal guérisseur. Aucun remède n'est indifférent, aucun médicament n'est inoffensif ; lorsque le diagnostic mal observé le fait donner hors de propos, il développe les germes de la maladie qu'il était appelé à combattre.

Mais je me laisse entraîner par mon sujet, et me voici sur la pente de faire un cours d'homéopathie à un auditoire qui ne peut s'intéresser à cette question. Pourtant je ne crois pas inutile d'initier les Spirites aux principes fondamentaux de la science, afin de les prémunir contre les déceptions qu'ils subissent, soit de la part des hommes, soit même de celle des Esprits.

Samuel Hahnemann.



Remarque. – Cette dissertation a été motivée par la présence à la séance d'un médecin homéopathe étranger qui désirait avoir l'opinion d'Hahnemann sur l'état actuel de la science. Nous ferons observer qu'elle a été donnée par l'entremise d'une jeune dame qui n'a pas fait d'études médicales, et à laquelle nécessairement beaucoup de termes spéciaux sont étrangers.



Lettre de M. T. Jaubert, de Carcassonne.

M. T. Jaubert, vice-président du tribunal civil de Carcassonne, nous adresse la lettre suivante au sujet du titre de membre honoraire que lui a décerné la Société spirite de Paris. La Société a été heureuse de donner à M. Jaubert ce témoignage de sympathie, et de lui prouver combien elle apprécie son dévouement à la cause du Spiritisme, sa modestie autant que sa fermeté de caractère. Il est des positions qui relèvent encore le mérite du courage de l'opinion, et des qualités qui mettent l'homme au-dessus de la critique. (Voir la Revue de juin 1863 : Un Esprit couronné par l'Académie des Jeux Floraux.)

Molitg-les-Bains, 21 juillet 1863.

« Monsieur le président,

Votre lettre et le procès-verbal constatant mon admission parmi les membres honoraires de la Société spirite parisienne me trouvent à Molitg où j'épuise, dans l'intérêt de ma santé, un congé de vingt-neuf jours ; je tiens à vous donner sur l'heure l'expression de toute ma gratitude.

Je crois à l'immortalité de l'âme, à la communication des morts avec les vivants, comme je crois au soleil. J'aime le Spiritisme comme l'affirmation la plus légitime de la loi de Dieu : la loi du progrès. Je le confesse hautement, parce que le confesser c'est bien faire. J'ai accepté la primevère de l'Académie de Toulouse comme une réponse éclatante à ceux qui ne veulent voir dans les dictées réelles des Esprits que des perceptions erronées ou des élucubrations ridicules. Je reçois le titre de membre honoraire de la Société dont vous êtes le chef, comme le plus honorable entre ceux que je tiens de la main des hommes. Encore une fois, monsieur, recevez pour vous et pour tous les membres de la Société parisienne mes remerciements les plus sincères.

Votre compte rendu de la séance des Jeux Floraux a fidèlement interprété et mes sentiments et ma conduite. Je ne pouvais pas, en déclarant que la fable couronnée était l'œuvre de mon Esprit familier, m'exposer à heurter et le public et mes juges. Vous avez parfaitement exprimé, dans votre Revue, le respect que j'ai de moi-même et de l'opinion des autres. Et maintenant, si dans toute cette affaire je n'ai pas pris l'initiative à votre égard, si je ne fais que vous répondre, c'est qu'il aurait fallu vous parler de moi, et associer mon nom à un évènement dont je suis heureux sans doute, mais que d'autres ont daigné considérer comme un succès.

Aujourd'hui je me sens plus libre, et c'est du plus profond de mon cœur que je vous prie, monsieur et cher maître, d'accepter l'hommage de ma reconnaissance, de ma sympathie et de ma considération la plus distinguée.

T. Jaubert,

Vice-président du tribunal de Carcassonne. »





L'abondance des matières nous force à remettre au prochain numéro notre seconde lettre à M. l'abbé Marouzeau, ainsi que la réponse à la question qui nous a été adressée sur la distinction à faire entre l'expiation et l'épreuve.



Allan Kardec.









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