REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Juin

Des questions ayant plusieurs fois été soulevées sur le principe de la non rétrogradation des Esprits, principe diversement interprété, nous allons essayer de les résoudre. Le Spiritisme veut être clair pour tout le monde, et ne laisser à ses futurs enfants aucun sujet de querelles de mots, c'est pourquoi tous les points susceptibles d'interprétation seront successivement élucidés.

Les Esprits ne rétrogradent pas, en ce sens qu'ils ne perdent rien du progrès accompli ; ils peuvent rester momentanément stationnaires ; mais de bons, ils ne peuvent devenir méchants, ni de savants ignorants. Tel est le principe général, qui ne s'applique qu'à l'état moral, et non à la situation matérielle, qui de bonne peut devenir mauvaise si l'Esprit l'a mérité.

Citons une comparaison. Supposons un homme du monde, instruit, mais coupable d'un crime qui le conduit aux galères ; certes, il y a pour lui une bien grande déchéance comme position sociale et comme bien-être matériel ; à l'estime et à la considération ont succédé le mépris et l'abjection ; et pourtant il n'a rien perdu quant au développement de l'intelligence ; il portera au bagne ses facultés, ses talents, ses connaissances ; c'est un homme déchu, et c'est ainsi qu'il faut entendre les Esprits déchus. Dieu peut donc, au bout d'un certain temps d'épreuve, retirer d'un monde où ils n'auront pas progressé moralement ceux qui l'auront méconnu, qui auront été rebelles à ses lois, pour les envoyer expier leurs erreurs et leur endurcissement dans un monde inférieur, parmi des êtres encore moins avancés ; là ils seront ce qu'ils étaient avant, moralement et intellectuellement, mais dans une condition rendue infiniment plus pénible par la nature même du globe, et surtout par le milieu dans lequel ils se trouveront ; ils seront en un mot dans la position d'un homme civilisé forcé de vivre parmi les sauvages, ou d'un homme bien élevé condamné à la société des forçats. Ils ont perdu leur position, leurs avantages, mais ils n'ont pas rétrogradé vers leur état primitif ; d'hommes adultes ils ne sont pas redevenus enfants ; voilà ce qu'il faut entendre par la non rétrogradation. N'ayant pas mis le temps à profit, c'est pour eux un travail à recommencer ; Dieu, dans sa bonté, ne veut pas les laisser plus longtemps parmi les bons dont ils troublent la paix ; c'est pourquoi il les envoie parmi des hommes qu'ils auront pour mission de faire avancer en leur communiquant ce qu'ils savent ; par ce travail ils pourront avancer eux-mêmes et se racheter tout en expiant leurs fautes passées, comme l'esclave qui amasse peu à peu de quoi acheter un jour sa liberté ; mais, comme l'esclave, beaucoup n'amassent que de l'argent au lieu d'amasser des vertus qui seules peuvent payer leur rançon.

Telle a été jusqu'à ce jour la situation de notre terre, monde d'expiation et d'épreuve, où la race adamique, race intelligente, fut exilée parmi les races primitives inférieures qui l'habitaient avant elle. Telle est la raison pour laquelle il y a tant d'amertumes ici-bas, amertumes que sont loin de ressentir au même degré les peuples sauvages. Il y a certainement rétrogradation de l'Esprit en ce sens qu'il recule son avancement, mais non au point de vue de ses acquisitions, en raison desquelles et du développement de son intelligence, sa déchéance sociale lui est plus pénible ; c'est ainsi que l'homme du monde souffre plus dans un milieu abject que celui qui a toujours vécu dans la fange.

Selon un système qui a quelque chose de spécieux au premier abord, les Esprits n'auraient point été créés pour être incarnés, et l'incarnation ne serait que le résultat de leur faute. Ce système tombe par cette seule considération que si aucun Esprit n'avait failli, il n'y aurait point d'hommes sur la terre ni sur les autres mondes ; or, comme la présence de l'homme est nécessaire pour l'amélioration matérielle des mondes ; qu'il concourt par son intelligence et son activité à l'œuvre générale, il est un des rouages essentiels de la création. Dieu ne pouvait subordonner l'accomplissement de cette partie de son œuvre à la chute éventuelle de ses créatures, à moins qu'il ne comptât pour cela sur un nombre toujours suffisant de coupables pour alimenter d'ouvriers les mondes créés et à créer. Le bon sens repousse une telle pensée.

L'incarnation est donc une nécessité pour l'Esprit qui, tout en accomplissant sa mission providentielle, travaille à son propre avancement par l'activité et l'intelligence qu'il lui faut déployer pour pourvoir à sa vie et à son bien-être ; mais l'incarnation devient une punition quand l'Esprit, n'ayant pas fait ce qu'il doit, est contraint de recommencer sa tâche et multiplie ses existences corporelles pénibles par sa propre faute. Un écolier n'arrive à prendre ses grades qu'après avoir passé par la filière de toutes les classes ; ces classes sont-elles une punition ? Non : elles sont une nécessité, une condition indispensable de son avancement ; mais si, par sa paresse, il est obligé de les doubler, là est la punition ; pouvoir en passer quelques-unes est un mérite. Ce qui est donc vrai, c'est que l'incarnation sur la terre est une punition pour beaucoup de ceux qui l'habitent, parce qu'ils auraient pu l'éviter, tandis qu'ils l'ont peut-être doublée, triplée, centuplée par leur faute, retardant ainsi leur entrée dans les mondes meilleurs. Ce qui est faux, c'est d'admettre en principe l'incarnation comme un châtiment.

Une autre question souvent agitée est celle-ci : L'Esprit étant créé simple et ignorant avec liberté de faire le bien ou le mal, n'y a-t-il pas déchéance morale pour celui qui prend la mauvaise route, puisqu'il arrive à faire le mal qu'il ne faisait pas auparavant ?

Cette proposition n'est pas plus soutenable que la précédente. Il n'y a déchéance que dans le passage d'un état relativement bon à un état pire ; or, l'Esprit créé simple et ignorant est, à son origine, dans un état de nullité morale et intellectuelle comme l'enfant qui vient de naître ; s'il n'a pas fait de mal, il n'a pas non plus fait de bien ; il n'est ni heureux ni malheureux ; il agit sans conscience et sans responsabilité ; puisqu'il n'a rien, il ne peut rien perdre, et ne peut non plus rétrograder ; sa responsabilité ne commence que du moment où se développe en lui le libre arbitre ; son état primitif n'est donc point un état d'innocence intelligente et raisonnée ; par conséquent le mal qu'il fait plus tard en enfreignant les lois de Dieu, en abusant des facultés qui lui ont été données, n'est pas un retour du bien au mal, mais la conséquence de la mauvaise voie où il s'est engagé.

Ceci nous conduit à une autre question. Néron, par exemple, peut-il, en tant que Néron, avoir fait plus de mal que dans sa précédente incarnation ? A cela nous répondons oui, ce qui n'implique pas que dans l'existence où il aurait fait moins de mal il fût meilleur. D'abord ce mal peut changer de forme sans être pire ou moins mal ; la position de Néron, comme empereur, l'ayant mis en évidence, ce qu'il a fait a été plus remarqué ; dans une existence obscure il a pu commettre des actes tout aussi répréhensibles, quoique sur une moins grande échelle, et qui ont passé inaperçus ; comme souverain il a pu faire brûler une ville ; comme simple particulier, il a pu brûler une maison et faire périr une famille ; tel assassin vulgaire qui tue quelques voyageurs pour les dépouiller, s'il était sur un trône, serait un tyran sanguinaire, faisant en grand ce que sa position ne lui permet de faire qu'en petit.

Prenant la question à un autre point de vue, nous dirons qu'un homme peut faire plus de mal dans une existence que dans la précédente, montrer des vices qu'il n'avait pas, sans que cela implique une dégénérescence morale ; ce sont souvent les occasions qui manquent pour faire le mal, quand le principe existe à l'état latent ; vienne l'occasion, et les mauvais instincts se montrent à nu. La vie ordinaire nous en offre de nombreux exemples : tel homme que l'on avait cru bon, déploie tout à coup des vices qu'on ne soupçonnait pas, et l'on s'en étonne ; c'est tout simplement ou qu'il a su dissimuler, ou qu'une cause a provoqué le développement d'un mauvais germe. Il est bien certain que celui en qui les bons sentiments sont fortement enracinés n'a pas même la pensée du mal ; quand cette pensée existe, c'est que le germe existe : il n'y manque souvent que l'exécution.

Puis, comme nous l'avons dit, le mal, quoique sous différentes formes, n'en est pas moins le mal. Le même principe vicieux peut être la source d'une foule d'actes divers provenant d'une même cause ; l'orgueil, par exemple, peut faire commettre un grand nombre de fautes auxquelles on est exposé tant que le principe radical n'est pas extirpé. Un homme peut donc, dans une existence, avoir des défauts qu'il n'aurait pas manifestés dans une autre, et qui ne sont que des conséquences variées d'un même principe vicieux. Néron est pour nous un monstre, parce qu'il a commis des atrocités ; mais croit-on que ces hommes perfides, hypocrites, véritables vipères qui sèment le poison de la calomnie, dépouillent les familles par l'astuce et les abus de confiance, qui couvrent leurs turpitudes du masque de la vertu pour arriver plus sûrement à leurs fins et recevoir des éloges alors qu'ils méritent l'exécration, croit-on, disons-nous, qu'ils valent mieux que Néron ? Assurément non ; être réincarnés dans un Néron ne serait pas pour eux une déchéance, mais une occasion de se montrer sous une nouvelle face ; comme tels ils étaleront les vices qu'ils cachaient ; ils oseront faire par la force ce qu'ils faisaient par la ruse, voilà toute la différence. Mais cette nouvelle épreuve n'en rendra le châtiment que plus terrible, si, au lieu de profiter des moyens qui leur sont donnés de réparer, ils s'en servent pour le mal. Et cependant, chaque existence, quelque mauvaise qu'elle soit, est une occasion de progrès pour l'Esprit ; il développe son intelligence, acquiert de l'expérience et des connaissances qui, plus tard, l'aideront à progresser moralement.


Toute idée nouvelle a nécessairement contre elle tous ceux dont elle froisse les opinions et les intérêts. Quelques-uns croient ceux de l'Eglise compromis, – nous ne le pensons pas, mais notre opinion ne fait pas loi, – c'est pourquoi on nous attaque en son nom avec une fureur à laquelle il ne manque que les grandes exécutions du moyen âge. Les sermons, les instructions pastorales lancent la foudre sur toute la ligne ; les brochures et les articles de journaux pleuvent comme la grêle, pour la plupart avec un cynisme d'expressions fort peu évangélique. C'est chez plusieurs une rage qui tient de la frénésie. Pourquoi donc ce déploiement de forces et tant de colères ? Parce que nous disons que Dieu pardonne au repentir et que les peines ne seront éternelles que pour ceux qui ne se repentiront jamais ; et parce que nous proclamons la clémence et la bonté de Dieu, nous sommes des hérétiques voués à l'exécration, et la société est perdue ; on nous signale comme des perturbateurs ; on somme l'autorité de nous poursuivre au nom de la morale et de l'ordre public ; on lui dit qu'elle ne fait pas son devoir en nous laissant tranquilles !

Un intéressant problème se présente ici. On se demande pourquoi ce déchaînement contre le Spiritisme, plutôt que contre tant d'autres théories philosophiques ou religieuses bien moins orthodoxes ? L'Eglise a-t-elle fulminé contre le matérialisme qui nie tout, comme elle le fait contre le Spiritisme qui se borne à l'interprétation de quelques dogmes ? Ces dogmes et bien d'autres n'ont-ils pas été maintes fois niés, discutés, controversés dans une foule d'écrits qu'elle laisse passer inaperçus ? Les principes fondamentaux de la foi : Dieu, l'âme et l'immortalité, n'ont-ils pas été publiquement attaqués sans qu'elle s'en soit émue ? Jamais le saint-simonisme, le fouriérisme, l'Eglise même de l'abbé Chatel n'ont soulevé tant de colères, sans parler d'autres sectes moins connues, telles que les fusionnistes, dont le chef vient de mourir, qui ont un culte, leur journal, et n'admettent pas la divinité du Christ ; les catholiques apostoliques qui ne reconnaissent pas le pape, qui ont leurs prêtres et évêques mariés, leurs églises à Paris et en province où l'on fait des baptêmes, des mariages et des enterrements. Pourquoi donc le Spiritisme, qui n'a ni culte ni église, et dont les prêtres ne sont que dans l'imagination, soulève-t-il tant d'animosités ? Chose bizarre ! le parti religieux et le parti matérialiste, qui sont la négation l'un de l'autre, se donnent la main pour nous pulvériser, c'est leur mot. L'esprit humain présente vraiment de singulières bizarreries quand il est aveuglé par la passion, et l'histoire du Spiritisme aura de plaisantes choses à enregistrer.

La réponse est tout entière dans cette conclusion de la brochure du R. P. Nampon[1] : « En général rien n'est plus abject, plus dégradé, plus vide de fond et d'attrait dans la forme que ces publications-là, dont le succès fabuleux est un des symptômes les plus alarmants de notre époque. Détruisez-les donc, vous n'y perdrez rien. Avec l'argent qu'on a dépensé à Lyon pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans nos hospices d'aliénés, encombrés depuis l'invasion du Spiritisme. Et que ferons-nous de ces brochures malsaines ? Nous ferons d'elles ce que le grand apôtre en fit à Ephèse ; et par là nous conserverons au milieu de nous l'empire de la raison et de la foi, et nous préserverons les victimes de ces lamentables illusions d'une foule de déceptions dans la vie présente et des flammes de l'éternité malheureuse. »

Ce succès fabuleux, voilà ce qui confond nos adversaires ; ils ne peuvent comprendre l'inutilité de tout ce qu'ils font pour enrayer cette idée qui glisse sous leurs embûches, se redresse sous leurs coups, et poursuit sa marche ascendante sans prendre souci des pierres qu'on lui jette. Ceci est un fait acquis, et constaté maintes fois par les adversaires de l'une et de l'autre catégorie, dans leurs prédications et dans leurs publications ; tous déplorent le progrès inouï de cette épidémie qui attaque même les hommes de science, les médecins et les magistrats. Il faut en vérité revenir du Texas pour dire que le Spiritisme est mort et qu'on n'en parle plus. (Voir la Revue de février 1863, page 41.)

Pour réussir, que faisons-nous ? Allons-nous prêcher le Spiritisme sur les places ? Convoquons-nous le public à nos réunions ? Avons-nous nos missionnaires de propagande ? Avons-nous l'appui de la presse ? Avons-nous enfin tous les moyens d'action ostensibles et secrets que vous possédez et dont vous usez si largement ? Non ; pour recruter des partisans nous nous donnons mille fois moins de peine que vous n'en prenez pour les détourner. Nous nous contentons de dire : « Lisez, et si cela vous convient, revenez à nous » ; nous faisons plus, nous disons : lisez le pour et le contre et comparez. Nous répondons à vos attaques sans fiel, sans animosité, sans aigreur, parce que nous n'avons point de colères ; loin de nous plaindre des vôtres, nous y applaudissons, parce qu'elles servent notre cause. Voici entre des milliers une preuve de la force persuasive des arguments de nos adversaires. Un monsieur qui vient d'écrire à la Société de Paris pour demander à en faire partie, commence ainsi sa lettre : « La lecture de la Question du surnaturel, les morts et les vivants du P. Matignon, de la Question des Esprits de M. de Mirville, de l'Esprit frappeur du docteur Bronson, et enfin de différents articles contre le Spiritisme, n'ont fait que me rallier plus complètement à la doctrine du Livre des Esprits, et m'ont donné le plus vif désir de faire partie de la Société Spirite de Paris pour pouvoir continuer l'étude du Spiritisme d'une manière plus suivie et plus fructueuse. »

La passion aveugle parfois au point de faire commettre de singulières inconséquences. Dans le passage cité plus haut, le R. P. Nampon dit que : « Rien n'est plus vide d'attrait que ces publications dont le succès fabuleux, etc. » Il ne s'aperçoit pas que ces deux propositions se détruisent l'une par l'autre ; une chose sans attrait ne saurait avoir un succès quelconque, car elle ne peut avoir de succès qu'à la condition d'avoir de l'attrait ; à plus forte raison quand ce succès est fabuleux.

Il ajoute qu'avec l'argent dépensé à Lyon pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans les hospices d'aliénés de cette ville, encombrés depuis l'invasion du Spiritisme. Il aurait fallu, il est vrai, fonder trente à quarante mille places, à Lyon seulement, puisque tous les Spirites sont des fous. D'un autre côté, puisque ce sont des inepties, cela n'a aucune valeur ; pourquoi donc leur faire les honneurs de tant de sermons, de mandements, de brochures ? A cette question d'emploi d'argent nous savons qu'à Lyon beaucoup de gens, mal pensants sans doute, se sont dit qu'avec les deux millions fournis par cette ville au denier de Saint-Pierre, on aurait pu donner du pain à bien des ouvriers malheureux pendant l'hiver, tandis que la lecture des livres spirites leur a donné le courage et la résignation pour supporter leur misère sans se révolter.

Le P. Nampon n'est pas heureux dans ses citations. Dans un passage du Livre des Esprits, il nous fait dire : « Il y a autant de distance entre l'âme de la bête et l'âme de l'homme, qu'entre l'âme de l'homme et l'âme de Dieu. (N° 597.) Nous avons mis : qu'entre l'âme de l'homme et Dieu, ce qui est fort différent ; l'âme de Dieu implique une sorte d'assimilation entre Dieu et les créatures corporelles. On conçoit l'omission d'un mot par inadvertance ou faute typographique ; mais on n'en ajoute pas sans intention ; pourquoi cette addition qui dénature le sens de la pensée, si ce n'est pour nous donner une couleur matérialiste aux yeux de ceux qui se contenteront de lire la citation, sans la vérifier dans l'original ? Un livre qui a paru peu avant le Livre des Esprits, et qui contient toute une théorie théogonique et cosmogonique, fait de Dieu un être bien autrement matériel, puisqu'il en fait un composé de tous les globes de l'univers, molécules de l'être universel qui a un estomac, mange et digère, et dont les hommes sont les mauvais produits de sa digestion ; et cependant pas un mot n'a été dit pour le combattre : toutes les colères se sont concentrées sur le Livre des Esprits : serait-ce donc parce qu'en six ans il est arrivé à la dixième édition, et qu'il est répandu dans tous les pays du monde ?

On ne se contente pas de critiquer, mais on tronque et dénature les maximes pour ajouter à l'horreur que doit inspirer cette abominable doctrine, et nous mettre en contradiction avec nous-même. C'est ainsi que le P. Nampon, citant une phrase de l'introduction du Livre des Esprits, page xxxiii, dit : « Certaines personnes, dites-vous vous-même, en s'adonnant à ces études ont perdu la raison. » Nous avons ainsi l'air de reconnaître que le Spiritisme conduit à la folie ; tandis qu'en lisant tout le paragraphe XV l'accusation tombe précisément sur ceux qui la lancent. C'est ainsi qu'en prenant des lambeaux de phrase d'un auteur on pourrait « le faire pendre » ; les auteurs les plus sacrés eux-mêmes n'échapperaient pas à cette dissection. C'est avec ce système que certains critiques espèrent donner le change sur les tendances du Spiritisme, et faire croire qu'il préconise l'avortement, l'adultère, le suicide, alors qu'il en démontre péremptoirement la criminalité et les funestes conséquences pour l'avenir.

Le P. Nampon va même jusqu'à s'emparer des citations faites dans le but de réfuter certaines idées : « L'auteur, dit-il, appelle quelquefois Jésus-Christ Homme-Dieu ; mais ailleurs (Livre des Médiums, page 368), dans un dialogue avec un médium qui, prenant le nom de Jésus, lui disait : « Je ne suis pas Dieu, mais je suis son fils, » il réplique aussitôt : « Vous êtes donc Jésus ? » Si, ajoute le P. Nampon, Jésus est appelé Fils de Dieu, c'est donc dans un sens arien, et sans être pour cela consubstantiel au Père. »

D'abord, ce n'est point un médium qui se disait Jésus, mais bien un Esprit, ce qui est fort différent, et la citation est précisément faite pour montrer la fourberie de certains Esprits, et tenir les médiums en garde contre leurs subterfuges. Vous prétendez que le Spiritisme nie la divinité du Christ ; où avez-vous vu cette proposition formulée en principe ? C'est dites-vous, la conséquence de toute la doctrine. Ah ! si nous entrons sur le terrain des interprétations, nous pourrons aller plus loin que vous ne voulez. Si nous disions, par exemple, que le Christ n'était pas arrivé à la perfection, qu'il a eu besoin des épreuves de la vie corporelle pour progresser ; que sa passion lui a été nécessaire pour monter en gloire, vous auriez raison, parce que nous en ferions, non pas même un pur Esprit, envoyé sur la terre avec une mission divine, mais un simple mortel, à qui la souffrance était nécessaire pour progresser lui-même. Où trouvez-vous que nous ayons dit cela ? Eh bien, ce que nous n'avons jamais dit, ce que nous ne dirons jamais, c'est vous qui le dites.

Nous avons vu dernièrement, dans le parloir d'une maison religieuse de Paris, l'inscription suivante, imprimée en gros caractères et affichée pour l'instruction de tous : « Il a fallu que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire, et ce n'est qu'après avoir bu à longs traits dans le torrent de la tribulation et de la souffrance qu'il a été élevé au plus haut des cieux. » (Psaume 109, v. 8.) C'est le commentaire de ce verset dont le texte est : « Il boira dans le chemin l'eau du torrent, et c'est par là qu'il élèvera sa tête (De torrente in via bibet : propterea exultabit caput). » Si donc « il a fallu que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ; s'il n'a pu être élevé au plus haut des cieux que par les tribulations et la souffrance, » c'est qu'auparavant il n'était ni dans la gloire ni au plus haut des cieux, donc il n'était pas Dieu ; ses souffrances n'étaient donc pas au profit de l'humanité seule, puisqu'elles étaient nécessaires à son propre avancement. Dire que le Christ avait besoin de souffrir pour s'élever, c'est dire qu'il n'était pas parfait avant sa venue ; nous ne connaissons pas de protestation plus énergique contre sa divinité. Si tel est le sens de ce verset du psaume que l'on chante à vêpres, tous les dimanches on chante la non-divinité du Christ.

Avec le système des interprétations on va fort loin, disons-nous ; si nous voulions citer celles de quelques conciles sur cet autre verset : « Le Seigneur est à votre droite, il brisera les rois au jour de sa colère, » il serait facile de prouver qu'on en a tiré la justification du régicide.

« La vie future, dit encore le P. Nampon, change entièrement de face (avec le Spiritisme). L'immortalité de l'âme se réduit à une permanence matérielle, sans identité morale, sans conscience du passé. »

C'est une erreur ; le Spiritisme n'a jamais dit que l'âme fût sans conscience du passé ; elle en perd momentanément le souvenir pendant la vie corporelle, mais « lorsque l'Esprit rentre dans sa vie primitive (la vie spirite), tout son passé se déroule devant lui ; il voit les fautes qu'il a commises et qui sont cause de sa souffrance, et ce qui aurait pu l'empêcher de les commettre ; il comprend que la position qui lui est donnée est juste, et cherche alors l'existence qui pourrait réparer celle qui vient de s'écouler. » (Livre des Esprits, n° 393.) Puisqu'il y a souvenir du passé, conscience du moi, il y a donc identité morale ; puisque la vie spirituelle est la vie normale de l'Esprit, que les existences corporelles ne sont que des points dans la vie spirite, l'immortalité ne se réduit pas à une permanence matérielle ; le Spiritisme, comme on le voit, dit tout le contraire. En le dénaturant ainsi, le P. Nampon n'a pas pour excuse l'ignorance, car ses citations prouvent qu'il a lu, mais il a le tort de faire des citations tronquées, et de lui faire dire tout le contraire de ce qu'il dit.

Le Spiritisme est accusé, par quelques-uns, d'être fondé par le plus grossier matérialisme, parce qu'il admet le périsprit, qui a des propriétés matérielles. C'est encore une fausse conséquence tirée d'un principe incomplètement rapporté. Le Spiritisme n'a jamais confondu l'âme avec le périsprit, qui n'est qu'une enveloppe, comme le corps en est une autre. Eût-elle dix enveloppes, cela n'ôterait rien à son essence immatérielle. Il n'en est pas de même de la doctrine adoptée par le concile de Vienne en Dauphiné, dans sa seconde session, le 3 avril 1312. Selon cette doctrine « l'autorité de l'Eglise ordonne de croire que l'âme n'est que la forme substantielle du corps ; qu'il n'y a point d'idées innées, et déclare hérétiques ceux qui nieraient la matérialité de l'âme. » Raoul Fornier, professeur en droit, enseigne positivement la même chose dans ses discours académiques sur l'origine de l'âme, imprimés à Paris en 1619, avec approbation et des éloges de plusieurs docteurs en théologie.

Il est probable que le concile, se fondant sur les faits nombreux de manifestations spirites visibles et tangibles rapportés dans les Ecritures, manifestations qui ne peuvent être que matérielles, puisqu'elles frappent les sens, a confondu l'âme avec son enveloppe fluidique ou périsprit, dont le Spiritisme nous démontre la distinction. Sa doctrine est donc moins matérialiste que celle du concile.

« Mais abordons sans hésiter l'homme de France qui est le plus avancé dans ces études. Pour constater l'identité de l'Esprit qui parle, il faut, dit M. Allan Kardec, étudier son langage. Eh bien ! soit. Nous connaissons par leurs écrits authentiques la pensée certaine et, par conséquent, le langage de saint Jean, de saint Paul, de saint Augustin, de Fénelon, etc., comment donc osez-vous attribuer dans vos livres à ces grands génies des pensées et des sentiments tout contraires à ceux qui resteront à jamais consignés dans leurs ouvrages ? »

Ainsi vous admettez que ces personnages n'ont pu se tromper en rien ; que tout ce qu'ils ont écrit est l'expression de la vérité ; que s'ils revenaient aujourd'hui corporellement ils devraient enseigner tout ce qu'ils ont enseigné jadis ; que revenant en Esprit, ils ne doivent renier aucune de leurs paroles. Cependant saint Augustin regardait comme une hérésie la croyance à la rondeur de la terre et aux antipodes. Il soutenait l'existence des incubes et des succubes, et croyait à la procréation par le commerce des hommes avec les Esprits. Croyez-vous qu'il ne puisse, à cet égard, penser, comme Esprit, autrement qu'il ne pensait comme homme, et qu'il professerait ces doctrines aujourd'hui ? Si ses idées ont dû se modifier sur certains points, elles ont pu le faire sur d'autres. S'il s'est trompé, lui, génie incontestablement supérieur, pourquoi ne vous tromperiez-vous pas vous-même, et faut-il, par respect pour l'orthodoxie, lui dénier le droit, disons mieux, le mérite de rétracter ses erreurs ?

« Vous attribuez à saint Louis cette sentence ridicule, surtout dans sa bouche, contre l'éternité des peines : Supposer des Esprits inguérissables, c'est nier la loi du progrès. » (Livre des Esprits, n° 1007.)

Ce n'est point ainsi qu'elle est formulée. A cette question : Y a-t-il des Esprits qui ne se repentent jamais ? saint Louis a répondu : « Il y en a dont le repentir est très tardif, mais prétendre qu'ils ne s'amélioreront jamais, ce serait nier la loi du progrès et dire que l'enfant ne peut devenir adulte. » La première forme pourrait sembler ridicule ; pourquoi donc toujours tronquer et dénaturer les phrases ? Qui pense-t-on abuser ? ceux qui ne liront que ces commentaires inexacts ? Mais le nombre en est bien petit auprès de ceux qui veulent connaître à fond les choses sur lesquelles vous appelez vous-même l'attention ; or, la comparaison ne peut être que favorable au Spiritisme.

Nota. Pour l'édification de tout le monde, nous recommandons la lecture de la brochure intitulée : Du Spiritisme, par le R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus, chez Girard et Josserand, Lyon, place Bellecour, n° 30 ; Paris, rue Cassette, n° 5, en priant de vouloir bien lire dans le Livre des Esprits et le Livre des Médiums les textes complets, cités en abrégés ou altérés dans la brochure ci-dessus.



[1] Discours prêché dans l'église primatiale de Saint-Jean-Baptiste, en présence de Son Éminence le cardinal Archevêque de Lyon, les 14 et 21 décembre 1862, par le R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus, prédicateur de l'Avent.



Sous ce titre, un ancien officier retraité, ex-représentant du peuple à l'Assemblée Constituante en 1848, a publié à Alger une brochure dans laquelle, cherchant à prouver que le but du Spiritisme est une gigantesque spéculation, il établit des calculs d'où il résulte pour nous des revenus fabuleux qui laissent bien loin derrière eux les millions dont nous a si généreusement gratifié un certain abbé de Lyon (V. la Revue de juin 1862, page 179). Pour mettre nos lecteurs à même d'apprécier cet intéressant inventaire, nous le citons textuellement, ainsi que les conclusions de l'auteur. Cet extrait donnera une idée de ce que peut être le reste de la brochure au point de vue de l'appréciation du Spiritisme.

« Sans nous arrêter à analyser tous les articles concernant en apparence les épreuves du néophytisme et la discipline de la Société, nous appellerons l'attention du lecteur sur les articles 15 et 16. Tout est là.

Il y verra que, sous le prétexte de subvenir aux dépenses de la Société, chaque membre titulaire paye : 1° une entrée de 10 fr. ; 2° une cotisation annuelle de 24 fr., et que chaque associé libre paye une cotisation de 20 fr. par an.

Les cotisations se payent intégralement pour l'année, c'est-à-dire d'avance : M. Allan Kardec prend ses précautions contre les désertions.

Or, par l'engouement qu'on remarque partout pour le Spiritisme, nous croyons être modeste en ne comptant pour Paris que 3 000 associés, tant titulaires que libres. Les cotisations rapportent donc, par an, 63 000 fr., sans compter les entrées qui ont servi à monter l'affaire.

Nous ne compterons que pour mémoire les bénéfices faits sur la vente des Livres des Esprits et des Médiums. Ils doivent cependant être considérables, car nous ne connaissons guère d'ouvrage qui ait eu une plus grande vogue, vogue fondée sur l'insatiable désir qui pousse l'homme à percer le mystère de la vie à venir.

Mais, dans ce qui précède, nous n'avons pas encore montré la source la plus abondante des profits. Il existe une revue mensuelle spirite, publiée par M. Allan Kardec, recueil indigeste qui dépasse de loin les légendes merveilleuses de l'antiquité et du moyen âge, et dont l'abonnement est de 10 fr. par an pour Paris ; 12 et 14 fr. pour la province et l'étranger.

Or, quel est celui des nombreux adeptes du Spiritisme qui, faute de 10 fr. par an (environ 90 centimes par mois), se priverait de sa part d'apparitions, d'évocations, de manifestations d'Esprits et de légendes ? On ne peut donc compter, en France et à l'étranger, moins de 30 000 abonnés à la Revue, produisant un total annuel de300 000 fr.

Lesquels, ajoutés aux 63 000 fr. de cotisation 63 000 donnent un total de 363 000 fr.

Les frais à déduire sont :

1° Le loyer de la salle des séances de la Société, les gages des secrétaires, du trésorier, des garçons de salle et de bon nombre de médiums. Nous croyons être au-dessus de la réalité en portant ces frais à 40 000 fr.

Le prix de revient de la Revue : Un numéro de 32 pages ne coûte pas plus de 20 centimes ; les 12 numéros de l'année reviendront à 2 fr. 40 c. qui, répétés 30 000 fois, donnent un chiffre de 72 000 - Total des frais112 000 fr.


Retranchant ces frais des 363 000 fr., reste pour M. Allan Kardec un bénéfice annuel net de 250 000 fr., sans compter celui de la vente des Livres des Esprits et des Médiums.

Au train dont marche l'épidémie, la moitié de la France sera bientôt spirite, si cela n'est déjà fait, et comme on ne peut être bon Spirite si l'on n'est au moins associé libre et abonné à la Revue, il y a probabilité que sur 20 millions d'habitants dont se compose cette moitié, il y aura 5 millions d'associés et autant d'abonnés à la Revue ; conséquemment, le revenu des présidents et vice-présidents des sociétés spirites sera de 100 millions par an, et celui de M. Allan Kardec, propriétaire de la Revue et souverain pontife, 38 millions.

Si le Spiritisme gagne l'autre moitié de la France, ce revenu sera doublé, et, si l'Europe se laisse infester, ce ne sera plus par millions qu'il faudra compter, mais bien par milliards.

Eh bien, naïfs Spirites ! Que pensez-vous de cette spéculation basée sur votre simplicité ? Eussiez-vous jamais cru que, du jeu des tables tournantes, il pût sortir de pareils trésors, et êtes-vous édifiés maintenant sur l'ardeur que mettent à fonder des sociétés les propagateurs de la doctrine ?

N'a-t-on pas raison de dire que la sottise humaine est une mine inépuisable à exploiter ?

Examinons maintenant les moyens mis en pratique par M. Allan Kardec, et son habileté comme spéculateur sera la seule chose qu'on ne pourra révoquer en doute.

Il comprend que, dans la vogue universelle des tables tournantes, se trouve toute faite, et sans bourse délier, la chose la plus difficile à se procurer, la publicité.

Or, dans de telles circonstances, promettre, au moyen des tables tournantes, de dévoiler les mystères de l'avenir et de la vie future, c'était s'adresser à une immense clientèle, avide de ces mystères et conséquemment toute disposée à écouter ses révélations. Ensuite, pensant que les cultes existants peuvent lui ravir bon nombre d'adeptes, il proclame leur déchéance. On lit dans la brochure : Le Spiritisme à sa plus simple expression (p. 15) : « Au point de vue religieux, le Spiritisme a pour base les vérités fondamentales de toutes les religions : Dieu, l'âme, l'immortalité, les peines et les récompenses futures ; mais il est indépendant de tout culte particulier. »

Cette doctrine, bien faite pour séduire le nombre toujours croissant des hommes qui ne veulent plus supporter aucune hiérarchie sociale, ne pouvait manquer son effet.

( Rem. Il y en a donc beaucoup, selon vous, à qui le joug de la religion est insupportable ! )

Ce qui nous surprend étrangement, c'est qu'en autorisant la prédication du Spiritisme, le gouvernement n'ait pas vu que cette audacieuse tentative contient en germe l'abolition possible de sa propre autorité ; car enfin, lorsque l'épidémie aura encore grandi, n'est-il pas possible que, sur l'injonction des Esprits, l'abolition d'une autorité qui peut menacer l'existence du Spiritisme soit décrétée ?

On pouvait sans danger permettre les sociétés spirites ; mais, n'était-il pas sage d'en interdire les publications ?

La secte eût été renfermée dans l'enceinte des salles des séances et n'eût probablement jamais dépassé la portée des représentations de Conus ou de Robert-Houdin.

Mais la loi est athée, a dit la philosophie moderne, et c'est en vertu de ce paradoxe qu'un homme a pu proclamer la déchéance de l'autorité de l'Église.

Cet exemple, soit dit en passant, démontrerait, aux yeux les moins clairvoyants, la sagesse des législateurs de l'antiquité qui ne croyaient pas que l'ordre matériel pût coexister avec le désordre moral et qui avaient si intimement lié, dans leurs codes, les lois civiles et les lois religieuses.

S'il était au pouvoir de l'humanité de détruire les créations spirituelles de Dieu, le premier effet du Spiritisme serait d'arracher l'Espérance du cœur de l'homme.

Qu'espérerait l'homme ici-bas, s'il acquérait la conviction (nous ne disons pas la preuve) qu'après la mort, il aura à sa disposition et indéfiniment plusieurs existences corporelles ?

Ce dogme, qui n'est autre chose que la métempsycose renouvelée de Pythagore, n'est-il pas de nature à affaiblir en lui le sentiment du devoir et à lui faire dire ici-bas : A plus tard les affaires sérieuses ? La Charité, si fortement recommandée par le Christ et par l'Eglise, et dont le Spiritisme affecte lui-même de faire la pierre angulaire de son édifice, n'en reçoit-elle pas une mortelle atteinte ?

Un autre effet du Spiritisme est de transformer la Foi, qui est un acte de libre arbitre et de volonté, en une aveugle crédulité.

Ainsi, pour faire réussir la spéculation du Spiritisme ou des tables tournantes, M. Allan Kardec prêche une doctrine dont la tendance est la destruction de la Foi, de l'Espérance et de la Charité.

Cependant que le monde chrétien se rassure, le Spiritisme ne prévaudra pas contre l'Eglise. « On reconnaîtra toute la valeur d'un principe religieux (comme dit Mgr l'évêque d'Alger, dans sa lettre du 13 février 1863, aux curés de son diocèse), car il suffit à lui seul pour vaincre tous les tâtonnements, toutes les oppositions et toutes les résistances. »

Mais y a-t-il de vrais Spirites ? – Nous le nierons tant qu'un homme sentira que l'Espérance n'est pas éteinte dans son cœur.

Qu'y a-t-il donc dans le Spiritisme ? Rien autre chose qu'un spéculateur et des dupes. Et du jour où l'autorité temporelle comprendra sa solidarité avec l'autorité morale et se bornera seulement à interdire les publications spirites, cette immorale spéculation tombera pour ne plus se relever. »

Le journal d'Alger, l'Akhbar, du 28 mars 1863, dans un article aussi bienveillant que la brochure, reproduisant une partie de ces arguments, conclut qu'il est bien et dûment prouvé, par des calculs authentiques, que le Spiritisme nous donne actuellement un revenu positif de 250 000 fr. par an. L'auteur de la brochure voit les choses plus largement encore, puisque ses prévisions le portent d'ici à peu d'années à 38 millions, c'est-à-dire à un chiffre supérieur à la liste civile des plus riches souverains de l'Europe. Nous ne prendrons certainement pas la peine de combattre des calculs qui se réfutent par leur exagération même, mais qui prouvent une chose, c'est l'effroi que cause aux adversaires la rapide propagation du Spiritisme, au point de leur faire dire les plus grandes inconséquences.

Admettons en effet, pour un instant, la réalité des chiffres de l'auteur, ne serait-ce pas la plus énergique protestation contre les idées actuelles, qui crouleraient dans le monde entier devant l'idée émise par un seul homme, inconnu il y a six ans à peine ? N'est-ce pas reconnaître l'irrésistible puissance de cette idée ? Elle tend, dites-vous, à supplanter la religion, et pour le prouver, vous la présentez adoptée avant peu par vingt millions, puis par quarante millions d'habitants dans la France seule ; puis vous vous écriez : « Non, la religion ne peut périr. » Mais si vos prévisions se réalisent, que restera-t-il pour la religion ? Faisons aussi une petite statistique de chiffres d'après l'auteur : En France, 36 millions d'habitants ; Spirites, 40 millions ; reste pour les catholiques 0 moins 4 millions ; puisque, selon vous, on ne peut être catholique et Spirite. Si l'Eglise est aussi facilement renversée par un individu à l'aide d'une idée saugrenue, n'est-ce pas reconnaître qu'elle repose sur une base bien fragile ? Dire qu'elle peut être compromise par une absurdité, c'est faire une mince éloge de la puissance de ses arguments et livrer le secret de sa propre faiblesse. Où donc alors est sa base inébranlable ? Nous souhaitons à l'Eglise un défenseur plus fort et surtout plus logique que l'auteur de la brochure. Rien n'est dangereux comme un imprudent ami.

On ne pense pas à tout : l'auteur n'a pas songé qu'en voulant nous dénigrer il exalte notre importance, et le moyen qu'il emploie va juste contre son but. L'argent étant le dieu de notre époque, celui qui en possède le plus ne manque pas de courtisans attirés par l'espoir de la curée. Les milliards dont il nous gratifie, loin d'éloigner de nous, mettraient les princes mêmes à nos pieds. Que dirait l'auteur si, puisque nous n'avons point d'enfants, nous le faisions notre légataire de quelques dizaines de millions ? En trouverait-il la source mauvaise ? Ce serait bien capable de lui faire dire que le Spiritisme est bon à quelque chose.

Selon lui, une des sources de nos immenses revenus est la Société de Paris qu'il suppose avoir au moins 3000 membres. Nous pourrions lui demander d'abord de quel droit il vient s'immiscer dans les affaires privées ; mais nous passons là-dessus. Puisqu'il se pique de tant d'exactitude, et il en faut quand on veut prouver par des chiffres, s'il se fût donné la peine de lire seulement le compte rendu de la Société, publié dans la Revue de juin 1862, il aurait pu se faire une idée plus vraie de ses ressources, et de ce qu'il appelle le budget du Spiritisme.

En puisant ses renseignements ailleurs que dans son imagination, il aurait su que la Société ; rangée officiellement parmi les sociétés scientifiques, n'est ni une confrérie ni une congrégation, mais une simple réunion de personnes s'occupant de l'étude d'une science nouvelle qu'elle approfondit ; que loin de viser au nombre, qui serait plus nuisible qu'utile à ses travaux, elle le restreint plutôt qu'elle ne l'augmente, par la difficulté des admissions ; qu'au lieu de 3000 membres, elle n'en a jamais eu cent ; qu'elle ne rétribue aucun de ses fonctionnaires, ni présidents, vice-présidents ou secrétaires ; qu'elle n'emploie aucun médium payé, et s'est toujours élevée contre l'exploitation de la faculté médianimique ; qu'elle n'a jamais perçu un centime sur ses visiteurs qu'elle admet toujours en très petit nombre, n'ouvrant jamais ses portes au public ; qu'en dehors des membres reçus, aucun Spirite n'est son tributaire ; que les membres honoraires ne payent aucune cotisation ; qu'il n'existe entre elle et les autres sociétés spirites aucune affiliation, ni aucune solidarité matérielle ; que le produit des cotisations ne passe jamais par les mains du président ; que toute dépense, quelque minime qu'elle soit, ne peut être faite sans l'avis du comité ; enfin que son budget de 1862 s'est soldé par un encaisse de 429 fr. 40 cent.

Ce maigre résultat infirme-t-il l'importance croissante du Spiritisme ? Non, au contraire, car il prouve que la Société de Paris n'est une spéculation pour personne. Et quand l'auteur cherche à exciter l'animosité contre nous, en disant aux adeptes qu'ils se ruinent à notre profit, ils répondront tout simplement que c'est une calomnie, parce qu'on ne leur demande rien, et qu'ils ne payent rien. Pourrait-on en dire autant de tout le monde, et ne pourrait-on renvoyer à d'autres l'argument de l'auteur par des chiffres plus authentiques que les siens ? Quant aux trente mille abonnés de la Revue, nous nous les souhaitons. « Calomniez, calomniez, a dit un auteur, il en reste toujours quelque chose. » Oui, certainement, il en reste toujours quelque chose qui, tôt ou tard, retombe sur le calomniateur.

Injures, calomnies, inventions manifestes, jusqu'à l'immixtion dans la vie privée, en vue de jeter la déconsidération sur un individu et sur une classe nombreuse d'individus, cette brochure, qui a dépassé de beaucoup toutes les diatribes publiées jusqu'à ce jour, a toutes les conditions requises pour être déférée à la justice. Nous ne l'avons point fait, malgré les sollicitations qui nous ont été adressées à ce sujet, parce que c'est une bonne fortune pour le Spiritisme, et nous ne voudrions pas, au prix de plus grandes injures encore, qu'elle n'eût pas été publiée. Nos adversaires ne pouvaient rien faire de mieux pour se discréditer eux-mêmes, en montrant à quels tristes expédients ils en sont réduits pour nous attaquer, et jusqu'à quel point le succès des idées nouvelles les épouvante, nous pourrions dire leur fait perdre la tête.

L'effet de cette brochure a été de provoquer un immense éclat de rire chez tous ceux qui nous connaissent, et ils sont nombreux ; quant à ceux qui ne nous connaissent pas, elle a dû leur inspirer un vif désir de connaître ce Nabab improvisé qui récolte les millions plus facilement qu'on ne récolte les gros sous, et n'a qu'à lancer une idée pour y rallier la population de tout un empire ; or comme, selon l'auteur, il ne rallie que les sots, il en résulte que cet empire n'est composé que de sots du haut en bas de l'échelle. L'histoire de l'humanité n'offre aucun exemple d'un pareil phénomène. L'auteur eût été payé pour ce résultat qu'il n'eût pas mieux réussi ; nous n'avons donc pas à nous en plaindre[1].







[1] On nous écrit d'Algérie, nous le donnons sous toute réserve, que l'auteur de la brochure a fait partie d'un groupe spirite ; que son zèle pour la cause l'avait fait nommer président ; mais que plus tard, n'ayant pas voulu renoncer à certains projets désapprouvés par les autres membres, il avait été rayé de la liste.



Nous reproduisons textuellement la lettre suivante, qui nous a été adressée de Bordeaux le 7 mai 1863.

« Cher maître,

Le 22 avril dernier, je recevais de M. T. Jaubert, vice-président du tribunal civil de Carcassonne, président honoraire de la Société Spirite de Bordeaux, une lettre qui m'informait que l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse avait rendu son jugement sur le mérite des pièces de poésie admises au concours de 1863. Soixante-huit concurrents se sont présentés pour la fable ; deux fables ont été remarquées : l'une a obtenu le premier prix (la Primevère) ; l'autre a été mentionnée avec éloge au procès-verbal. Or, ces deux pièces, me dit M. Jaubert, appartiennent toutes deux à son Esprit familier.

Comme ce fait était capital pour le Spiritisme, j'ai voulu moi-même en être le témoin, et me suis, à cet effet, rendu à Toulouse avec une députation de la Société Spirite de Bordeaux, pour assister au couronnement de l'Esprit frappeur de Carcassonne. Nous assistâmes donc à la séance solennelle des prix, et après la lecture de la fable couronnée, nous avons mêlé nos applaudissements à ceux du public toulousain, et avons vu, par les suffrages et les honneurs qu'elle a recueillis des honorables membres de l'académie, crouler sous ces bravos l'hydre du matérialisme et surgir à sa place le dogme saint et consolant de l'immortalité de l'âme.

Nous ne sommes auprès de vous, cher maître, que les interprètes de notre honorable président, M. Jaubert. Il nous a chargé de vous faire part de cet heureux événement, sachant comme nous que nul ne pourra avec autant de sagesse en déduire les conséquences pour le rendre utile à la cause que nous sommes fiers de servir sous votre paternelle direction.

Nous saisissons avec empressement cette occasion pour témoigner notre reconnaissance à l'excellent et honorable M. Jaubert pour l'accueil cordial et sympathique qu'il a fait à la députation de la Société de Bordeaux. Ces témoignages d'amitié sont précieux pour nous, et ils nous encourageront à marcher avec persévérance dans la voie pénible et laborieuse de l'apostolat, sans nous arrêter aux obstacles que nous pourrions y rencontrer. M. Jaubert est un de ces hommes qui peuvent servir d'exemple aux autres ; c'est un vrai Spirite, simple, modeste et bon, plein de dignité et d'abnégation ; calme et grave comme tout ce qui est grand ; sans orgueil et sans enthousiasme, qualités essentielles à tout homme qui se fait l'apôtre d'une doctrine, et qui attache son nom aux courageuses professions de foi qu'il envoie aux faibles et aux timides.

Nous regardons le triomphe de l'Esprit au Capitole toulousain comme une victoire pour notre sainte et sublime doctrine. Dieu veut arrêter les sourires de l'ironie et de l'incrédulité ; c'est pour cela, sans doute, qu'il a permis que le savant aréopage couronnât l'âme d'un mort. Que le 3 mai soit donc gravé en lettres d'or dans les fastes de l'histoire du Spiritisme ; il cimente le premier chaînon de la solidarité fraternelle qui unit les vivants aux morts : révélation splendide et sublime qui réchauffe et vivifie les âmes du rayonnement de la foi.

Pour tous les Spirites qui assistaient à cette solennité, que la fête était belle ! Dégageant leurs pensées du monde matériel, ils voyaient dans la salle des Jeux Floraux voltiger çà et là des groupes de bons Esprits qui se félicitaient de cette victoire obtenue par un de leurs frères, et, rayonnant sur tous, l'Esprit de Clémence Isaure, la fondatrice de ces nouveaux jeux Olympiques, tenant dans ses mains une flexible couronne pour la déposer au moment du triomphe sur le front de l'Esprit lauréat.

S'il est dans la vie des moments d'amertume, il y a aussi des moments d'ineffable bonheur ; c'est vous dire que le 3 mai 1863 à Toulouse j'ai eu, ou plutôt nous avons eu un de ces moments qui font oublier les tribulations de la vie terrestre.

Recevez, cher maître, etc. « Sabò. »

C'est en effet un événement grave que celui qui vient de se passer à Toulouse, et chacun concevra l'émotion des Spirites sincères qui assistaient à cette solennité, car ils en comprenaient les conséquences, émotion rendue en termes si simples et si touchants dans la lettre qu'on vient de lire ; c'est l'expression de la vérité sans forfanterie, ni jactance, ni vaines bravades.

Quelques personnes pourraient s'étonner que M. Jaubert n'ait pas confondu les adversaires du Spiritisme en proclamant séance tenante, et devant la foule assemblée, la véritable origine des fables couronnées. S'il ne l'a pas fait, la raison en est bien simple : c'est que M. Jaubert est un homme modeste qui ne cherche point le bruit, et qui par-dessus tout a du savoir-vivre. Or, parmi les juges il s'en trouvait probablement qui ne partageaient pas ses opinions touchant les Esprits ; c'eût donc été leur jeter publiquement à la face une sorte de défi, un démenti, procédé indigne d'un galant homme, nous disons plus, d'un vrai Spirite qui respecte toutes les opinions, même celles qui ne sont pas les siennes. Qu'eût produit cet éclat ? Des protestations de la part de quelques assistants, du scandale peut-être. Le Spiritisme y aurait-il gagné ? Non, il aurait compromis sa dignité. M. Jaubert, ainsi que les nombreux Spirites qui assistaient à la cérémonie, ont donc fait preuve d'une haute sagesse en s'abstenant de toute démonstration publique ; c'était une marque de déférence et de respect soit envers l'académie, soit envers l'assemblée ; ils ont prouvé une fois de plus, en cette circonstance, que les Spirites savent conserver le calme dans le succès comme ils savent le conserver devant les injures de leurs adversaires, et que ce n'est pas de leur part qu'on doit attendre l'excitation au désordre. Le fait n'y perd rien de son importance, car avant peu il sera connu et acclamé dans cent pays différents.

Les négateurs de bonne ou de mauvaise foi, car il y en a des uns des autres, diront sans doute que rien ne prouve l'origine de ces fables, et que le lauréat, pour servir les intérêts du Spiritisme, pourrait avoir attribué aux Esprits les produits de son propre talent. A cela il est une réponse bien simple, c'est l'honorabilité notoire du caractère de M. Jaubert qui défie toute suspicion d'avoir joué une comédie indigne de sa gravité et de sa position. Quand les adversaires nous opposent les charlatans qui simulent les phénomènes spirites sur les tréteaux, nous leur répondons que le Spiritisme vrai n'a rien de commun avec eux, pas plus que la vraie science n'a de rapport avec prestidigitateurs qui s'intitulent physiciens ; c'est à ceux qui veulent se donner la peine d'étudier d'en faire la différence ; tant pis pour le jugement de ceux qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas.

La question de loyauté ne pouvant être mise en doute, reste à voir si M. Jaubert est poète, et s'il n'aurait pas, de bonne foi, pris pour l'œuvre des Esprits, ce qui serait la sienne. Nous ignorons s'il est poète ; mais eût-il le talent de Racine, le moyen par lequel il obtient ses fables spirites ne peut laisser l'ombre d'un doute à cet égard ; il est notoire que toutes celles qu'il a obtenues l'ont été par la typtologie, c'est-à-dire par le langage alphabétique des coups frappés, et que la plupart ont eu de nombreux témoins non moins dignes de foi que lui ; or, pour quiconque connaît ce mode d'obtention, il est évident que son imagination ne saurait exercer la moindre influence. L'authenticité de l'origine est donc incontestable, et l'Académie de Toulouse pourrait s'en assurer en assistant à une expérience.

Nous donnons ci-après les deux fables qui ont obtenu son suffrage

Un lion parcourait ses immenses domaines,

Par un noble orgueil dominé ;

Sans colère, croquant ses sujets par douzaines ;

Bon prince, au demeurant, quand il avait dîné !

Il ne marchait pas seul ; autour de sa crinière

Se groupaient empressés loups, tigres, léopards,

Panthères, sangliers ; on dit que les renards

Prudemment restaient en arrière.

Or, le monarque, un certain jour,

Comme suit harangua les manants et la cour :

« Illustres compagnons, vrais soutiens de ma gloire,

Quadrupèdes soumis à ma noble mâchoire,

Pour m'entendre, vous tous accourus en ce lieu,

Ecoutez : Je suis roi par la grâce de Dieu !

Je pourrais… Mais pourquoi songer à ma puissance ? »

Puis, le lion, avec aisance,

Comme n'eût pas mieux fait un puissant avocat

Doublé d'un procureur à fertile cervelle,

Parla de ses devoirs, des charges de l'Etat,

Des bergers, de leurs chiens, de la charte nouvelle,

Du mal que trop souvent de lui disent les sots ;

Et toujours plus ému termina par ces mots :

« J'ai quitté mon palais tout exprès pour vous plaire ;

Exposez vos griefs ; je pèserai l'affaire.

Taureaux, moutons, chevreuils, comptez sur ma bonté.

J'attends ; expliquez-vous en toute liberté.

Eh quoi ! dans cette vaste enceinte,

Pas un seul malheureux ! pas une seule plainte !… »

Un vieux corbeau l'interrompit,

Et libre dans l'air répondit :

« Tu les crois satisfaits ; leur silence te touche,

Grand roi !… c'est la terreur qui leur ferme la bouche. »

Orné d'un casque à mèche et plein de bienveillance,

Un disciple de feu Vatel,

Dans la cour de son vaste hôtel,

A ses chiens donnait audience.

« A vous, leur disait-il, j'ai bien voulu songer ;

Je vous aime et je vous destine,

Tout frais sortant de ma cuisine,

Cet os, ce bel os à ronger !

Mais un seul l'obtiendra de ma faveur insigne ;

Je suis juste, et j'entends le donner au plus digne.

Le concours est ouvert ; faites valoir vos droits. »

Un barbet, renommé parmi les plus adroits,

D'une troupe canine autrefois premier rôle,

A l'instant salua, risqua la cabriole,

Promena sur la foule un oeil triomphateur,

Aboya, fit le mort, sauta pour l'empereur.

Un dogue s'écria : « Qu'importe ta souplesse !

Sur toute la maison, moi je veille sans cesse.

Maître, n'oubliez pas qu'un voleur imprudent

L'an passé tomba sous ma dent. »

Un caniche disait : « Vaillamment, sans reproche,

Depuis bientôt dix ans je tourne votre broche ;

Pour vous, depuis dix ans, muni d'un petit sac,

Au plus voisin débit j'achète le tabac. »

– « J'aime, hurla Tayaut, la fanfare sonore ;

En chasse me vit-on dans les rangs des traînards ?

Vous me devez au moins cent lièvres, vingt renards ;

Je suis sobre, soumis ; jamais je ne dévore

La perdrix trouvée au lacet. »

Enfin, qui rongea l'os ? Ce fut un vieux basset !

Comme l'eût fait jadis un député du centre,

Comme sans plus rougir on le fera demain,

Devant le marmiton se traînant à plat ventre,

Il lui lécha les pieds et… fit ouvrir sa main.

Bassets de grands seigneurs, héros de réfectoire,

Vils flatteurs, voilà votre histoire.

Si l'on persistait à croire à l'influence des connaissances personnelles du médium dans la production des vers couronnés par l'Académie de Toulouse, il ne saurait en être ainsi pour les choses qu'il lui est matériellement impossible de connaître. Le fait suivant, entre mille, est une réponse péremptoire à cette objection. Nous le puisons dans une seconde lettre de M. Sabô.

« Le 4 mai, dit-il, la députation de Bordeaux étant partie, je restai un jour de plus à Toulouse, et dans une visite que je fis à M. Jaubert, il me proposa une expérimentation que j'acceptai avec grand plaisir, ne l'ayant jamais vu opérer. Une tourde table à quatre pieds se trouvait dans sa chambre, nous nous plaçâmes vis-à-vis l'un de l'autre, et après diverses évolutions de la table qui obéissait à son commandement, celle-ci ayant repris sa position normale, il me pria d'évoquer mentalement un Esprit. Voici les questions posées par lui et les réponses faites par l'Esprit.

Dem. Voudriez-vous nous faire connaître votre sexe ? – Rép. Féminin. (C'était vrai.)

D. A quel âge avez-vous quitté la terre ? – R. A vingt-deux ans. (C'était encore vrai.)

D. Quel est votre prénom ?

Lorsque l'Esprit eut montré six lettres formant Félici, M. Jaubert crut deviner, et ajouta : « Ce doit être Félicie ou Félicité. » Sans répondre à son observation, je le priai de continuer. L'Esprit indiqua un a. J'étais très ému, et le médium craignait une mystification. Rassuré à ce sujet, lui ayant dit que le nom était bien Félicia, il continua.

D. A quel degré de parenté étiez-vous liée avec M. Sabô ? – R. J'étais sa femme.

Pour le coup, M. Jaubert se croyait bel et bien mystifié, puisqu'il savait que ma femme était encore de ce monde. Je ne vous le dissimule pas, j'étais très heureux : je venais de palper, si je puis m'exprimer ainsi, l'âme de ma chère Félicia. J'expliquai alors à M. Jaubert, ce qu'il ignorait, que j'étais veuf et remarié depuis quelques mois seulement à la sœur de l'Esprit qui venait de nous donner une preuve si irrécusable de la manifestation de l'âme. Il était aussi heureux que moi de ce résultat, quoique, m'a-t-il dit, il obtienne des faits de cette nature devant lesquels l'incrédulité la plus absolue devra se rendre bon gré mal gré. A qui me dira : « C'est impossible, » je répondrai avec M. Jaubert : « Cela est. Incrédules ! cherchez de bonne foi et vous trouverez. »

A notre tour, nous dirons à ces messieurs qu'ils ont trop bonne opinion des incrédules absolus en croyant qu'ils se rendront à l'évidence ; il en est qui sont nés incrédules et mourront incrédules, non qu'ils ne puissent croire, mais parce qu'ils ne veulent pas croire ; or, il n'y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Un savant officiel disait dernièrement à un de nos amis qui lui parlait de ces phénomènes : « Je ne croirai jamais qu'une table puisse se mouvoir et se soulever autrement que par l'impulsion des muscles de l'opérateur. – Mais si vous voyiez une table se maintenir dans l'espace sans contact et sans point d'appui, qu'en diriez-vous ? – Je n'y croirais pas davantage, parce que je sais que c'est impossible. »

Croyez donc bien que tous les Esprits frappeurs de Carcassonne et du monde entier ne parviendront jamais à vaincre ces incrédulités absolues et de parti pris. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de les laisser tranquilles ; quand, sur mille personnes, neuf cent quatre-vingt-dix croiront, ce qui ne tardera pas, que feront les dix autres ? Ils diront encore, comme aujourd'hui, qu'ils ont seuls du bon sens, et qu'il faut enfermer avec les fous les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population. Laissons-leur donc cette innocente satisfaction, et poursuivons notre chemin sans nous inquiéter des traînards.

Ce mot, « je sais que c'est impossible, » nous rappelle l'anecdote suivante : Un ambassadeur hollandais s'entretenant avec le roi de Siam des particularités de la Hollande, dont ce prince s'informait, lui dit entre autres choses que, dans son pays, l'eau se durcissait quelquefois si fort pendant la saison la plus froide de l'année, que les hommes marchaient dessus, et que cette eau ainsi durcie porterait des éléphants, s'il y en avait. Sur quoi le roi répondit : « Monsieur l'ambassadeur, j'ai cru jusqu'ici les choses extraordinaires que vous m'avez racontées, parce que je vous prenais pour un homme d'honneur et de probité ; mais présentement, je suis assuré que vous mentez. » N'est-ce pas l'équivalent du « je sais que c'est impossible » ?

Le fait relaté ci-dessus, diront certains négateurs, ne prouve rien, parce que si le médium ignorait la chose, M. Sabô la connaissait parfaitement ; c'est donc sa pensée qui s'est reproduite. Ainsi, ce serait la pensée de celui qui n'était pas médium qui se serait réfléchie dans la table, l'aurait agitée d'une manière intelligente pour lui faire frapper les coups indicateurs des lettres formulant sa pensée, et cela sans sa volonté, sans la participation de ses mains ? Singulière propriété de la pensée ! Ce phénomène seul, en admettant votre théorie, ne serait-il pas prodigieux et digne de la plus sérieuse attention ? Pourquoi donc le dédaigner ? Vous vous absorbez sur la composition d'un grain de poussière, vous calculez avec soin les proportions de ses éléments, et vous n'avez que des dédains pour une manifestation aussi étrange de la pensée ! Qu'un nouveau rayon du spectre solaire se sépare, aussitôt vous étudiez ses propriétés, son action chimique, vous calculez son angle de réflexion, son pouvoir réfringent ; un rayon de la pensée s'isole, agite la matière, se réfléchit comme la lumière et cela n'éveille pas votre attention ! « A quoi bon nous en occuper ? dites-vous ; ce n'est que la pensée ! »

Mais comment expliquerez-vous, avec cette théorie, les faits si nombreux de révélations, soit par la typtologie, soit par l'écriture, de choses complètement ignorées de tous les assistants, et dont l'exactitude a été constatée, entre autres celui de Simon Louvet, rapporté dans la Revue de mars 1863, page 87 ? De la pensée de qui cette communication pouvait-elle être le reflet, puisqu'il a fallu recourir à un journal de six ans antérieur pour la vérifier ? Est-il plus simple d'admettre que ce soit la pensée du journaliste que celle de l'Esprit de Simon Louvet lui-même ? Vous avez donc bien peur d'être forcés de convenir que l'âme survit au corps ! et l'idée d'être anéanti après la mort vous sourit donc bien plus que celle de revivre dans des conditions plus heureuses, et de retrouver dans le monde des Esprits les affections que vous aurez laissées sur la terre ! Si vous vous complaisez dans la douce quiétude de finir pour toujours au fond de la fosse, et de vous endormir au sein de la pourriture de votre corps, quel tort vous font ceux qui croient le contraire, et pourquoi les poursuivre comme les ennemis du genre humain ? A raison de votre croyance vous cherchez à leur faire du mal ; à raison de la leur ils ne vous en faut point, alors que sans cela ils se fussent peut-être vengés de vos injures ; là est la condamnation des conséquences sociales de vos doctrines.

Nous ne refusons pas de croire, disent quelques-uns d'entre vous, mais nous ne pouvons rien voir ; on nous refuse même l'entrée des réunions où nous pourrions nous convaincre, et où l'on n'admet que des gens convaincus. On vous refuse l'entrée des réunions par une raison bien simple : c'est que vous ne voulez pas faire ce qu'il faut pour vous éclairer ni suivre la voie qui vous est indiquée ; c'est que vous venez dans les réunions, non pour étudier froidement et sérieusement, mais avec un sentiment hostile, avec la pensée d'y faire prévaloir vos idées préconçues, et que la plupart du temps vous y portez le trouble ; que sans respect pour le caractère privé, quoique non secret, des réunions, vous cherchez à y pénétrer par la ruse pour satisfaire une inutile curiosité, y chercher des thèmes à vos sarcasmes, et souvent pour dénaturer ensuite ce que vous y aurez vu ; tels sont les motifs de votre exclusion qui ne saurait jamais être trop rigoureuse, puisque vous y seriez nuisibles aux uns, et sans utilité pour vous. Ceux qui voudront consciencieusement s'instruire doivent le prouver par une bonne volonté patiente et persévérante, et les moyens ne leur manqueront pas ; mais on ne saurait voir cette bonne volonté dans le désir de soumettre la chose à leurs exigences, au lieu de se soumettre eux-mêmes aux exigences de la chose. Cela dit, laissons les négateurs en repos en attendant que l'heure où ils pourront voir la lumière soit venue.

La première réponse faite par l'Esprit de Félicia pourrait, à certaines personnes, sembler une contradiction ; elle dit qu'elle est du sexe féminin, et l'on sait que les Esprits n'ont pas de sexe. Ils n'ont pas de sexe, c'est vrai, mais on sait que pour se faire reconnaître ils se présentent sous la forme que nous leur avons connue de leur vivant. Pour son ancien mari, Félicia est toujours une femme ; elle ne pouvait donc se présenter à lui sous un autre aspect qui eût troublé son souvenir. Il y a plus : lorsque celui-ci entrera dans le monde des Esprits, il la retrouvera ce qu'elle était sur la terre, autrement il ne la reconnaîtrait pas ; mais peu à peu les caractères purement physiques s'effacent, pour ne laisser subsister que les caractères essentiellement moraux. C'est ainsi qu'une mère retrouve son enfant en bas âge, quoiqu'en réalité ce ne soit plus un enfant. Ajoutons encore que les caractères matériels sont d'autant plus persistants que les Esprits sont moins dématérialisés, c'est-à-dire moins élevés dans la hiérarchie des êtres ; en s'épurant, les traces de la matérialité disparaissent à mesure que la pensée se dégage de la matière ; c'est pourquoi les Esprits inférieurs, encore attachés à la terre, sont, dans le monde invisible, à peu près ce qu'ils y étaient de leur vivant, avec les mêmes goûts et les mêmes penchants.

Nous ferons sur ce chapitre une dernière observation, c'est sur la qualification de frappeur donnée, à tort selon nous, à l'Esprit qui communique à M. Jaubert. Cette qualification ne convient, comme nous l'avons dit ailleurs, qu'aux Esprits qu'on peut dire frappeurs de profession, et qui appartiennent toujours, par le peu d'élévation de leurs idées et de leurs connaissances, aux catégories inférieures. Il ne saurait en être ainsi de celui-ci, qui prouve à la fois la supériorité de ses qualités morales et intellectuelles. La typtologie n'est pas pour lui un amusement ; c'est un moyen de transmission de pensée dont il se sert faute d'avoir trouvé en son médium la faculté nécessaire à l'emploi d'un autre mode. Son but est sérieux, tandis que celui des Esprits frappeurs proprement dits est presque toujours futile, si même il n'est malveillant. La qualification d'Esprit frappeur pouvant être prise en mauvaise part, nous préférerions celle d'Esprit typteur, terme qui se rapporte au langage de la typtologie.

Poésie par Madame Raoul de Navery

Lue à la Société spirite de Paris, le 27 mars 1863.



Remarque. ‑ Quoiqu'il ne soit pas dans nos habitudes de publier des poésies qui ne sont pas des produits médianimiques constatés, nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de faire exception pour le morceau suivant, inspiration pour ainsi dire spontanée d'une personne qui, il y a peu de temps encore, reléguait les croyances spirites parmi les utopies.



Quand la main de la Mort, multipliant ses coups,

Semait jadis le deuil, le vide autour de nous,

Le seul mot consolant qui frappât notre oreille

Etait : « Si dans la tombe un être aimé sommeille,

L'âme, s'affranchissant de la prison du corps,

D'une lourde enveloppe a brisé les ressorts ;

Maintenant, retournée à sa source première,

Elle jouit de Dieu, sa force et sa lumière ;

Vous la retrouverez, et confondrez un jour

Avec l'amour terrestre un immortel amour ! »

Aujourd'hui ce n'est pas l'espérance lointaine

Qui jette sur nos maux sa lueur incertaine ;

Ce n'est plus l'avenir qui nous rendra nos morts :

Ils sont là, près de nous, secondant nos efforts,

Attentifs à nos vœux, souffrant de nos souffrances ;

Messagers apportant de saintes espérances,

Ils répondent d'en haut à nos secrets pensers ;

Leurs mains pressent nos mains, leur bouche a des baisers ;

Plus consolants, plus doux, du sein d'une autre sphère,

Ils joignent à l'amour la grandeur du mystère.

Quand nous les évoquons, invisibles essaims,

Ils soufflent la clarté, la chaleur dans nos seins ;

Ils viennent ! et pour nous tout change, se colore ;

De mondes inconnus nous pressentons l'aurore ;

Un reflet sidéral illumine nos fronts,

Et courbés, à genoux, muets nous adorons

La majesté du Dieu qui par eux se révèle.

Réponds ! t'offensons-nous, ô Sagesse éternelle !

Quand saintement hardis nous déchirons des mains

Le voile qui bornait le regard des humains ?

Allons-nous, sectateurs d'un esprit indocile

Lacérer les feuillets divins de l'Évangile ?

Non ! Hommes convaincus, hommes au vaillant cœur,

Nous faisons après lui ce que fit le Seigneur :

Nous croyons : ‑ Nous pouvons opérer des miracles,

Faire de nos foyers autant d'autres cénacles,

Appeler cet Esprit dont les langues de feu

Changeaient d'obscurs pêcheurs en apôtres de Dieu.

Des quatre coins du ciel, soufflez, ô vents célestes !

Chassez autour de nous les ténèbres funestes ;

Répandez vos clartés, ô candélabre d'or,

Qui de l'arche sacrée éclairiez le trésor !

Foudres du Sinaï ! buisson d'Horeb en flammes !

Esprits puissants des forts, des prophètes, des femmes,

Esprit, souffle furtif que Job sentit passer

Sur le poil de sa chair jusqu'à le hérisser ;

Vous tous qui, consumant des âmes exaltées,

Fîtes tant de martyrs des foules ameutées,

Lorsque le moyen âge, aidé du tourmenteur,

Enfanta tout sanglant le moine inquisiteur ;

Venez ! nous avons soif d'enseignements étranges ;

De l'enfance à jamais nous rejetons les langes ;

Il nous faut d'autres mots et d'autres vérités

Que celles des discours qu'on nous a répétés.

Nous marchons en avant des foules indolentes,

Et si la Vérité, de ses torches ardentes

Nous dévore, et de nous daigne faire un martyr ;

Nous mourrons souriant et sans la démentir.

Précédons notre temps ; cherchons comme les Mages

Le Dieu caché qui doit recevoir nos hommages.

Nous le savons, plus d'un dira parlant de nous :

« Ces poètes rêveurs sont devenus des fous ! »

Eh bien ! soit ! car ce nom dont notre orgueil se raille,

A Jésus fut donné lorsque la valetaille

Eut souffleté sa joue, et sur ses vêtements

Jeté, sublime emblème, une robe aux plis blancs.

Paul l'a dit : « La folie, alors, c'est la sagesse ! »

Sans nous décourager, cherchons, fouillons sans cesse ;

Demandons au trépas ses secrets tout-puissants,

Dépouillons notre esprit des entraves des sens ;

Du monde que pour nous Dieu dévoile les règles,

Et qu'il nous change ainsi qu'il rajeunit les aigles !

Soutenus par sa Droite, et forts de son pouvoir,

Nous ouvrirons à tous les sources du savoir.

Un jour viendra, – je crois que son aube est prochaine, –

Où, lasse de pleurer, la multitude humaine,

Sachant que nous avons pour la soif de nos cœurs

L'onde qui désaltère au lieu du feu des pleurs,

Viendra nous répéter dans une immense plainte :

« Donnez-nous la lumière et l'espérance sainte ;

Mettez de votre main l'onction de vertu

Qui relève le front vers la terre abattu.

A nos yeux aveuglés par la poussière immonde,

Faites luire soudain une clarté féconde.

Prononcez l'Ephpheta mystérieux du Christ !

Transfigurez la chair asservie à l'esprit !

Placez-nous, nous vivants, au milieu des cohortes

Des apparitions et des figures mortes !

Les sépulcres, hélas ! ne sont pas les tombeaux,

Mais bien les cœurs mauvais, mal blanchis à la chaux.

Les morts nous apprendront comment nous devons vivre

Pour obtenir qu'en Dieu nous puissions nous survivre ! »

Et nous, qui du Seigneur recevons le bienfait

D'habiter sur la terre un centre plus parfait,

Nous ouvrirons les bras à l'adepte docile,

Au nom du Spiritisme ! au nom de l'Évangile !

Raoul de Navery.





Dissertations spirites

Ce qui s'oppose souvent à ce que vous vous corrigiez d'un défaut, d'un vice, c'est assurément parce que vous ne vous apercevez même pas que vous l'avez. Tandis que vous voyez les moindres défauts de votre voisin, de votre frère, vous ne vous doutez même pas que vous avez les mêmes défauts, peut-être cent fois plus grands que les siens. Ceci n'est qu'une suite de l'orgueil qui vous porte, comme tous les êtres imparfaits, à ne trouver rien de bien qu'en vous. Vous devriez vous considérer un peu comme si ce n'était point vous. Figurez-vous, par exemple, que ce que vous avez fait à votre frère, c'est votre frère qui vous l'a fait ; mettez-vous à sa place, que feriez-vous ? Répondez sans arrière-pensée, car je crois que vous voulez la vérité. En faisant cela je suis sûr que vous vous trouverez souvent des défauts que vous n'aperceviez pas auparavant. Soyez franc avec vous-même ; faites un peu connaissance avec votre caractère, mais ne le gâtez pas, car les enfants que l'on gâte deviennent souvent bien mauvais, et ceux qui les ont gâtés sont les premiers à en ressentir les effets. Retournez un peu la besace où sont placés vos défauts et ceux d'autrui ; mettez les vôtres par-devant et ceux d'autrui par derrière, et regardez bien si cela ne vous fait pas baisser la tête, quand vous aurez cette charge-là, par-devant.

La Fontaine.

Dieu, en créant les âmes, n'a point mis de différence entre elles. Que cette égalité de droits entre les âmes serve de principe à l'amitié, qui n'est autre chose que l'unité dans les tendances et dans les sentiments. La véritable amitié n'existe que chez les hommes vertueux qui se réunissent sous la protection du Tout-Puissant pour s'encourager réciproquement dans l'accomplissement de leurs devoirs. Tout cœur vraiment chrétien possède le sentiment de l'amitié ; au contraire, cette vertu trouve dans l'égoïsme des âmes vicieuses la pierre d'achoppement qui, semblable à la semence tombée sur la roche aride, la rend inféconde pour le bien.

Entourez votre âme du rempart protecteur d'une prière pleine de foi, afin que l'ennemi, soit intérieur, soit extérieur, ne puisse y pénétrer.

La prière élève l'esprit de l'homme vers Dieu, le dégage de toutes les inquiétudes terrestres, le transporte dans un état de tranquillité, de paix, que le monde ne pourrait lui offrir. Plus la prière est confiante et fervente, mieux elle est écoutée et plus elle est agréable à Dieu. Quand l'âme de l'homme, entièrement pénétrée d'un saint zèle, s'élance vers les cieux dans l'intime et ardente prière, alors les ennemis intérieurs, c'est-à-dire les passions de l'homme, et les ennemis extérieurs c'est-à-dire les vices du monde, sont impuissants à forcer les remparts qui la protègent. Hommes, priez Dieu en toute confiance, du fond du cœur, avec foi et vérité !

Tu me demandes quel sera l'avenir du Spiritisme, et quelle place il tiendra dans le monde. Il ne tiendra pas une place seulement, il remplira le monde entier. Le Spiritisme est dans l'air, dans l'espace, dans la nature. C'est la clef de voûte de l'édifice social ; tu peux présager de son avenir par son passé, par son présent. Le Spiritisme est l'œuvre de Dieu ; vous, hommes, vous lui avez donné un nom, Dieu vous en a donné la pensée quand le temps est venu ; car le Spiritisme est la loi immuable du Créateur. Dès que l'homme a eu l'intelligence, Dieu lui a inspiré le Spiritisme, et d'époque en époque, il a envoyé sur terre des Esprits avancés qui ont essayé sur les natures corporelles l'influence du Spiritisme. Si ces hommes n'ont pas réussi, c'est que l'intelligence humaine n'était pas assez perfectionnée ; mais ces hommes n'en ont pas moins implanté l'idée, et ont laissé derrière eux leurs noms et leurs actes comme on place un poteau indicateur sur une route, afin que le voyageur puisse retrouver son chemin. Regarde en arrière et tu verras combien de fois déjà Dieu a essayé de l'influence spirite comme amélioration morale.

Il y a dix-huit siècles, qu'était le christianisme si ce n'était du Spiritisme ? Le nom seul est différent, mais la pensée est la même. Seulement l'homme, avec son libre arbitre, a dénaturé l'œuvre de Dieu. La nature a été prépondérante et l'erreur est venue s'implanter sur cette prépondérance. Depuis, le Spiritisme a fait des efforts pour germer ; mais le terrain était inculte et la semence s'est brisée et a frappé au front les semeurs que Dieu avait chargés de la répandre. Avec le temps l'intelligence s'est accrue, le champ a pu être défriché, car l'époque approche où ce terrain doit être de nouveau ensemencé ; le Spiritisme se répand, chacun l'admet ; les plus incrédules même le comprennent, et s'ils ne l'avouent pas, s'ils ferment les yeux, c'est que la lumière éblouissante du Spiritisme les aveugle ; mais Dieu protège son œuvre, il la soutient de son puissant regard, il l'encourage, et bientôt tous les peuples seront Spirites, car c'est là l'universalité de toutes les croyances.

Le Spiritisme est le grand niveleur qui s'avance pour aplanir toutes les hérésies ; il est conduit par la sympathie, il est suivi par la concorde, l'amour, la fraternité ; il s'avance sans secousse, sans révolution ; il ne vient rien détruire, rien renverser dans l'organisation sociale, il vient tout renouer. Ne vois pas là une contradiction : les hommes, devenus meilleurs, rêveront des lois meilleures ; le maître, comprenant que l'ouvrier est de même essence que lui, introduira dans ses transactions commerciales des lois plus douces, plus sages ; les rapports sociaux eux-mêmes se transformeront tout naturellement entre la fortune et la médiocrité ; l'Esprit ne pouvant pas se constituer en majorat, le Spirite sentira qu'il y a autre chose de plus important pour lui que la richesse ; il se détachera de cette pensée d'entasser qui engendre la cupidité, et certainement encore le pauvre profitera de cet amoindrissent de l'égoïsme. Te dire qu'il n'y aura pas de rebelles à ces idées, que tous grandiront universellement fécondés par le flot du Spiritisme, non ; il y aura encore des réfractaires, des anges déchus ; car les hommes ont leur libre arbitre, et, bien que les conseils ne leur manquent pas, beaucoup ne voyant qu'à leur point de vue, que restreint l'horizon de la cupidité, ne voudront pas se rendre à l'évidence. Malheur à ceux-là ! Plaignez-les, éclairez-les ; car vous n'êtes pas leur juge, et Dieu seul est le maître de blâmer leur conduite.

Par l'avenir que je te montre pour le Spiritisme, tu peux juger de l'influence qu'il exercera sur les masses. Comment êtes-vous organisés, moralement parlant ? avez-vous fait une statistique de vos défauts et de vos qualités ? Les hommes légers et neutres peuplent une bonne partie de votre terre ; les bienveillants ont-ils la majorité ? c'est douteux ; mais parmi les neutres, c'est-à-dire parmi ceux qui ont un pied dans la balance du bien et l'autre dans la balance du mal, beaucoup peuvent mettre les deux pieds dans ce plateau de bienveillance, qui est le premier échelon conduisant rapidement aux régions plus avancées. Il y a encore sur le globe une partie d'êtres mauvais, mais elle tend à s'amoindrir chaque jour. Quand les hommes seront bien imbus de cette pensée : que la peine du talion est la loi immuable que Dieu leur inflige, loi bien plus terrible que vos plus terribles lois terrestres, bien plus effrayante et plus logique que les flammes éternelles de l'enfer auxquelles ils ne croient plus, ils auront peur de cette réciprocité de peines, et ils regarderont à deux fois avant de commettre un acte blâmable. Quand, par la manifestation spirite, le criminel pourra pronostiquer le sort qui l'attend, il reculera devant la pensée du crime, car il saura que Dieu voit tout et que le crime, restât-il impuni sur terre, il lui faudra payer un jour chèrement cette impunité. Alors tous ces forfaits odieux, qui viennent de temps à autre apporter leur marque indélébile au front de l'humanité, disparaîtront pour faire place à une concorde, une fraternité qui vous est prêchée depuis bien des siècles ; votre législation s'adoucira en raison de l'amélioration morale, et l'esclavage et la peine de mort ne resteront plus dans vos lois que semblables au souvenir des tortures de l'inquisition. L'homme, ainsi régénéré pourra s'occuper davantage de ses progrès intellectuels ; l'égoïsme n'existant plus, les découvertes scientifiques, qui demandent souvent le concours de plusieurs intelligences, se développeront rapidement, chacun se disant : « Qu'importe celui qui produit le bien, pourvu que le bien se produise ! » Car, en effet, qui arrête souvent vos savants dans leur marche ascendante vers les progrès, si ce n'est la personnalité, l'ambition d'attacher son nom à son œuvre ? Voilà quel est l'avenir et l'influence du Spiritisme sur les peuples de la terre.

Un philosophe de l'autre monde


Nous avons dit dans notre dernier numéro, en parlant du journal la Vérité de Lyon, que Bordeaux aurait bientôt aussi sa Revue Spirite ; nous avons vu une épreuve de cette publication, qui portera le titre de : la Ruche Spirite bordelaise, Revue de l'enseignement des Esprits, et promet un nouvel organe sérieux pour la défense et la propagation du Spiritisme. Les directeurs, avant bien voulu nous demander nos conseils, nous les avons formulés dans une lettre qu'ils ont cru devoir placer en tête de leur premier numéro, déclarant vouloir suivre en tous points la bannière de la Société de Paris. Nous sommes heureux d'une adhésion qui ne peut que resserrer, par la communion des idées, les liens d'union entre tous les Spirites sincèrement dévoués à la cause commune, sans arrière-pensée personnelle.

La Ruche Spirite bordelaise paraît, le 1er et le 15 de chaque mois, par cahiers de 16 pages grand in-8°, à partir du 1er juin 1863. Prix 6 francs par an pour la France et l'Algérie. Bureau à Bordeaux, 44, rue des Trois-Conils.



Allan Kardec

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