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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863 > Mai
Mai
Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre.
Cinquième et dernier article[1]
Ainsi qu'on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines avec l'idée que la cause du mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous sommes loin de prétendre qu'il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui n'eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu'avec son idée préconçue il n'a vu que ce qui pouvait s'y rapporter, tandis que s'il eût été dans ses opinions d'admettre seulement la possibilité d'une autre cause, il aurait vu autre chose.
Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu'elle produit ; si certains effets viennent la contredire, c'est qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas unique, et alors il faut en chercher une autre. C'est incontestablement la marche la plus logique ; et la justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement. S'il s'agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l'idée qu'il a dû être commis de telle ou telle manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances, et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu'elle n'arrive pas à la constatation de la vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu'une difficulté reste insoluble, le plus sage est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c'est qu'elle est fausse : elle n'a le caractère d'une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C'est ainsi qu'en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable, parce que seul il explique clairement ce qu'aucun autre n'a pu expliquer.
En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment cette cause cesse-t-elle d'agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune voisine ? Si les crises nerveuses n'étaient accompagnées d'aucun autre symptôme, nul doute qu'on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.
Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations, lorsqu'on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l'espace sans point d'appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l'action de l'électricité, du magnétisme, ou d'un fluide inconnu ; cette supposition n'avait rien de déraisonnable, au contraire : elle offrait toute probabilité. Mais lorsqu'on vit ces mêmes mouvements donner des signes d'intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette intelligence ? C'est encore par la voie de l'expérimentation qu'on y est arrivé, et non par un système préconçu.
Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu'ils tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu'en voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu'à son commandement, au lieu de descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ; qu'elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître autre chose qu'une loi mécanique, c'est-à-dire que la pomme n'étant pas intelligente par elle-même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en est-il des malades de Morzine.
Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l'antipathie religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c'était un fait isolé, ce pourrait être une exception, mais on reconnaît qu'il est général et que c'est un des caractères de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ? soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu'il tient à ce que les habitants mangent des pommes de terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l'étroitesse de leur intelligence, car on vous opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l'abondance et ont reçu de l'instruction. S'il suffisait du confortable pour guérir de l'impiété, on s'étonnerait de trouver tant d'impies et de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.
Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général du sentiment de la dualité qui se traduit d'une manière non équivoque dans le langage des malades ? Certainement non. C'est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société qu'ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c'est qu'ils sont bons, comme ce tiers le dit, pour la fille, c'est-à-dire pour l'être corporel, mais non pour l'autre, celui qu'on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n'avoir rien vu qui justifie l'idée de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils s'expliquer par la cause qu'il leur attribue ? Non ; donc cette cause n'est pas la véritable ; il voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.
Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son appréciation[2], constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ; mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l'imagination des malades. Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d'une malade :
« L'accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent à sa figure si douce une expression effrayante : «S… médecin, s'écrie-t-elle, je suis le diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans que je la possède : elle est à moi, j'y resterai. ‑ Que fais-tu dans cette fille ? ‑ Je la tourmente. ‑ Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t'a fait aucun mal ? ‑ Parce qu'on m'y a mis pour la tourmenter ? ‑ Tu es un scélérat. » Ici je m'arrête, abasourdi par une avalanche d'injures et d'imprécations. »
En parlant d'une autre malade, il dit :
« Après quelques instants d'une scène muette, d'une pantomime plus ou moins expressive, notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n'est pas la fille qui s'exprime ainsi, c'est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre. Quant à notre énergumène, elle n'est qu'un instrument passif chez qui la notion du moi est entièrement abolie. Si on l'interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.
Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par enchantement. La fille B… reprend l'air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu'elle paraisse avoir interrompu son travail. Je l'interroge ; elle me répond n'éprouver aucune fatigue, et ne se souvient de rien. Je lui parle des injures qu'elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît en être contrariée et nous fait ses excuses.
Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l'une d'elles je fis un pli à la peau que je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.
A Morzines j'ai encore vu plusieurs de ces malades hors l'état de crise ; c'étaient des jeunes filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A les voir, il était impossible de supposer chez elle l'existence de la moindre affection. »
Ceci contraste avec l'état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer. Quant au phénomène de l'insensibilité pendant les crises, ce n'est pas, comme on a pu le voir, le seul rapprochement que ces faits présentent avec l'état cataleptique, le somnambulisme et la double vue.
De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :
« C'est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre pathologique des maladies nerveuses et mentales ; en un mot, c'est une affection sui generis, à laquelle je conserverai, attachant peu d'importance aux dénominations, le nom d'hystéro-démonie qu'on lui a déjà donné. »
C'est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C'est un mal particulier, formé de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C'est un mal que je ne comprends pas. » C'est un mal sui generis ; nous sommes d'accord ; mais quel est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?
Nous pourrions prouver l'insuffisance d'une cause purement matérielle pour expliquer le mal de Morzines, par bien d'autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes. Qu'ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous disons de la manière dont s'opère l'action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui résultent de cette action, et l'analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c'est qu'on leur a dit que c'était le diable, et qu'ils ne connaissent que cela. On sait d'ailleurs que certains Esprits de bas étage s'amusent à prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes d'obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un pays où dominerait l'idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens pour des fous ; ils disent que c'est le diable : c'est une affection nerveuse. C'est ce qui serait arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l'invasion de ces Esprits, et c'est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n'a pas voulu leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à combattre le mal par les moyens ordinaires.
En fin de compte, on a eu recours à l'éloignement des malades que l'on a dirigés sur les hôpitaux de Thonon, Chambéry, Lyon, Mâcon, etc. Le moyen était bon ; car, quand ils furent tous transportés, on put se flatter de dire qu'il n'y en avait plus dans le pays. Cette mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la commune, mais elle paraît l'avoir été sur une autre considération : l'isolement des malades. Du reste, l'opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de lazaret où l'on pourrait enfouir, aussitôt qu'ils se montrent, les désordres moraux et nerveux dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c'est l'asile d'aliénés ; c'est le seul lieu vraiment convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m'occupent, soit que l'on admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l'aliénation, et quand bien même encore on ne voudrait pas qu'elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut produire sur elles un certain degré d'intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le moins de temps possible à leurs préoccupations par d'autres préoccupations ; les soustraire absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou observations susceptibles d'entretenir leur erreur, qu'il faut au contraire combattre tous les jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions qu'il pourrait être utile d'associer à un traitement purement moral et avoir les moyens d'exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût été moins fâcheux qu'on ne l'a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et je reste convaincu que le nom d'asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d'une guérison, et qu'il se fût rencontré peu de diables qu'une douche n'eût mis en fuite. »
Nous sommes loin de partager l'optimisme de M. Constant sur l'innocuité du contact des aliénés et l'efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadé, au contraire, qu'un tel régime peut produire une folie véritable là où il n'y a qu'une folie apparente ; or, remarquez bien qu'en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et d'esprit ; il n'y a donc chez eux qu'un trouble passager qui n'a aucun des caractères de la folie proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu'il éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l'idée seule d'être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l'entretien de la maladie à l'imitation, à l'influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d'hôpital ! N'est-ce pas une contradiction évidente, et est-ce là ce qu'il entend par traitement moral ?
Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c'est-à-dire entre les hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des effets sont soumis à une loi de la nature, ils n'ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce monde, qui n'est point aussi immatériel qu'on se le figure, puisque ces êtres, quoique invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l'influence ; celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le contact des gens pervers dans la société.
Nous disons donc qu'à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s'est momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d'autres, et ce n'est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu'on les chassera. Les uns les appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits inférieurs, ce qui n'implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les conséquences, attendu que l'idée attachée aux démons est celle d'êtres à part, en dehors de l'humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu'ils ne sont autres que les âmes d'hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s'améliorer un jour ; en venant dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu'ils auraient fait s'ils y fussent venus de leur vivant, c'est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme on chasserait une troupe d'ennemis.
Il est dans la nature de ces Esprits d'être antipathiques à la religion, parce qu'ils en redoutent la puissance, comme les criminels sont antipathiques à la loi et aux juges qui les condamnent, et ils expriment ces sentiments par la bouche de leurs victimes, véritables médiums inconscients qui sont strictement dans le vrai quand ils disent n'être que des échos ; le patient est réduit à un état passif ; il est dans la situation d'un homme terrassé par un ennemi plus fort, qui le contraint à faire sa volonté ; le moi de l'Esprit étranger neutralise momentanément le moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.
Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n'en est pas moins aujourd'hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps viendra, moins éloigné qu'on ne pense, où, l'action du monde invisible étant généralement reconnue, l'influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.
S'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient l'inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c'est que les exorcismes tels qu'ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela parce que leur efficacité n'est pas dans l'acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes, mais dans l'ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas : « Ce ne sont pas des remèdes qu'il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci disant qu'ils n'étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l'intuition de la vérité. L'inefficacité de l'exorcisme en pareil cas est constatée par l'expérience ; et pourquoi cela ? parce qu'il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits, tandis qu'ils cèdent à l'ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu'on veut les maîtriser par des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu'il plie quand il a trouvé son maître.
« Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l'église où l'on avait réuni tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément, renversant, brisant les bancs de l'église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les hommes, qui s'efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »
Les cérémonies publiques d'exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y fit définitivement renoncer.
Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n'en aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu'exerçait le Christ qui, pour chasser les démons, n'avait qu'à leur commander de se retirer. Comparez, dans l'Evangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous appellerez d'autant moins miraculeux qu'il s'est passé chez les schismatiques.
M. A…, de Moscou, qui n'avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que dans ses propriétés les habitants d'un village furent atteints d'un mal en tout semblable à celui de Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les prêtres, mêmes effets de l'exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule imposition des mains qu'il accompagnait toujours d'une fervente prière. En réitérant cet acte il finit par les guérir presque tous radicalement.
Cet exemple n'est pas le seul ; comment l'expliquer, si ce n'est par l'influence magnétique secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu'il ne se trouve ni dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et non des lèvres, et qu'il s'appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En décrivant l'obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l'action fluidique qui s'exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c'eût été un puissant auxiliaire à Morzines.
Quoi qu'il en soit, le mal paraît arrivé à son terme, les conditions du pays restant cependant les mêmes. Pourquoi cela ? c'est ce qu'il nous est pas encore permis de dire ; mais, comme on le reconnaîtra plus tard, il aura, plus qu'on ne pense, servi la cause du Spiritisme, ne fût-ce qu'à prouver, par un grand exemple, que ceux qui ne le connaissent pas ne sont pas préservés de l'action des mauvais Esprits, et l'impuissance des moyens ordinaires employés pour les chasser.
Nous terminerons en rassurant certains habitants du pays sur la prétendue influence que quelques-uns d'entre eux auraient pu exercer en donnant le mal, comme ils le disent ; la croyance aux jeteurs de sorts doit être reléguée parmi les croyances superstitieuses. Qu'ils soient pieux de cœur, et que ceux qui sont chargés de les conduire s'efforcent de les élever moralement, c'est le plus sûr moyen de neutraliser l'influence des mauvais Esprits, et de prévenir le retour de ce qui s'est passé. Les mauvais Esprits ne s'adressent qu'à ceux qu'ils savent pouvoir maîtriser, et non à ceux que la supériorité morale, nous ne disons pas intellectuelle, cuirasse contre leurs atteintes.
Ici se présente une objection toute naturelle qu'il est utile de prévenir. On se demandera peut-être pourquoi tous ceux qui font le mal ne sont pas atteints de possession ? A cela nous répondrons qu'en faisant le mal, ils subissent d'une autre manière la pernicieuse influence des mauvais Esprits dont ils écoutent les conseils, et ils en seront punis avec d'autant plus de sévérité qu'ils agissent avec plus de connaissance de cause. Ne croyez à la vertu d'aucun talisman, d'aucune amulette, d'aucun signe, d'aucune parole pour écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l'intention, l'amour de Dieu et de son prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu'il leur ôte tout empire sur nos âmes.
Voici la communication qu'a donnée sur ce sujet l'Esprit de saint Louis, guide spirituel de la Société spirite de Paris :
« Les possédés de Morzines sont réellement sous l'influence des mauvais Esprits attirés dans cette contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la mauvaise ; c'est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes meilleurs, il écartera d'eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l'humanité. Si tous les hommes étaient bons, les mauvais Esprits s'en éloigneraient, parce qu'ils sauraient ne pouvoir les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les attire, tandis que c'est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez n'avoir que de bons Esprits autour de vous. » (Médium, Madame Costel.)
[1] Voir les numéros de décembre 1862, janvier, février, avril 1863. Voir aussi, sur le même sujet, le n° d'avril 1862, p. 109.
[2] Les Diables de Morzines, chez Mégret, quai de l'Hôpital, 51, à Lyon.
Cinquième et dernier article[1]
Ainsi qu'on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines avec l'idée que la cause du mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous sommes loin de prétendre qu'il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui n'eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu'avec son idée préconçue il n'a vu que ce qui pouvait s'y rapporter, tandis que s'il eût été dans ses opinions d'admettre seulement la possibilité d'une autre cause, il aurait vu autre chose.
Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu'elle produit ; si certains effets viennent la contredire, c'est qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas unique, et alors il faut en chercher une autre. C'est incontestablement la marche la plus logique ; et la justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement. S'il s'agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l'idée qu'il a dû être commis de telle ou telle manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances, et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu'elle n'arrive pas à la constatation de la vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu'une difficulté reste insoluble, le plus sage est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c'est qu'elle est fausse : elle n'a le caractère d'une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C'est ainsi qu'en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable, parce que seul il explique clairement ce qu'aucun autre n'a pu expliquer.
En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment cette cause cesse-t-elle d'agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune voisine ? Si les crises nerveuses n'étaient accompagnées d'aucun autre symptôme, nul doute qu'on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.
Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations, lorsqu'on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l'espace sans point d'appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l'action de l'électricité, du magnétisme, ou d'un fluide inconnu ; cette supposition n'avait rien de déraisonnable, au contraire : elle offrait toute probabilité. Mais lorsqu'on vit ces mêmes mouvements donner des signes d'intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette intelligence ? C'est encore par la voie de l'expérimentation qu'on y est arrivé, et non par un système préconçu.
Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu'ils tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu'en voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu'à son commandement, au lieu de descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ; qu'elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître autre chose qu'une loi mécanique, c'est-à-dire que la pomme n'étant pas intelligente par elle-même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en est-il des malades de Morzine.
Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l'antipathie religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c'était un fait isolé, ce pourrait être une exception, mais on reconnaît qu'il est général et que c'est un des caractères de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ? soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu'il tient à ce que les habitants mangent des pommes de terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l'étroitesse de leur intelligence, car on vous opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l'abondance et ont reçu de l'instruction. S'il suffisait du confortable pour guérir de l'impiété, on s'étonnerait de trouver tant d'impies et de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.
Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général du sentiment de la dualité qui se traduit d'une manière non équivoque dans le langage des malades ? Certainement non. C'est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société qu'ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c'est qu'ils sont bons, comme ce tiers le dit, pour la fille, c'est-à-dire pour l'être corporel, mais non pour l'autre, celui qu'on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n'avoir rien vu qui justifie l'idée de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils s'expliquer par la cause qu'il leur attribue ? Non ; donc cette cause n'est pas la véritable ; il voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.
Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son appréciation[2], constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ; mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l'imagination des malades. Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d'une malade :
« L'accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent à sa figure si douce une expression effrayante : «S… médecin, s'écrie-t-elle, je suis le diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans que je la possède : elle est à moi, j'y resterai. ‑ Que fais-tu dans cette fille ? ‑ Je la tourmente. ‑ Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t'a fait aucun mal ? ‑ Parce qu'on m'y a mis pour la tourmenter ? ‑ Tu es un scélérat. » Ici je m'arrête, abasourdi par une avalanche d'injures et d'imprécations. »
En parlant d'une autre malade, il dit :
« Après quelques instants d'une scène muette, d'une pantomime plus ou moins expressive, notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n'est pas la fille qui s'exprime ainsi, c'est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre. Quant à notre énergumène, elle n'est qu'un instrument passif chez qui la notion du moi est entièrement abolie. Si on l'interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.
Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par enchantement. La fille B… reprend l'air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu'elle paraisse avoir interrompu son travail. Je l'interroge ; elle me répond n'éprouver aucune fatigue, et ne se souvient de rien. Je lui parle des injures qu'elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît en être contrariée et nous fait ses excuses.
Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l'une d'elles je fis un pli à la peau que je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.
A Morzines j'ai encore vu plusieurs de ces malades hors l'état de crise ; c'étaient des jeunes filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A les voir, il était impossible de supposer chez elle l'existence de la moindre affection. »
Ceci contraste avec l'état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer. Quant au phénomène de l'insensibilité pendant les crises, ce n'est pas, comme on a pu le voir, le seul rapprochement que ces faits présentent avec l'état cataleptique, le somnambulisme et la double vue.
De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :
« C'est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre pathologique des maladies nerveuses et mentales ; en un mot, c'est une affection sui generis, à laquelle je conserverai, attachant peu d'importance aux dénominations, le nom d'hystéro-démonie qu'on lui a déjà donné. »
C'est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C'est un mal particulier, formé de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C'est un mal que je ne comprends pas. » C'est un mal sui generis ; nous sommes d'accord ; mais quel est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?
Nous pourrions prouver l'insuffisance d'une cause purement matérielle pour expliquer le mal de Morzines, par bien d'autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes. Qu'ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous disons de la manière dont s'opère l'action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui résultent de cette action, et l'analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c'est qu'on leur a dit que c'était le diable, et qu'ils ne connaissent que cela. On sait d'ailleurs que certains Esprits de bas étage s'amusent à prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes d'obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un pays où dominerait l'idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens pour des fous ; ils disent que c'est le diable : c'est une affection nerveuse. C'est ce qui serait arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l'invasion de ces Esprits, et c'est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n'a pas voulu leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à combattre le mal par les moyens ordinaires.
En fin de compte, on a eu recours à l'éloignement des malades que l'on a dirigés sur les hôpitaux de Thonon, Chambéry, Lyon, Mâcon, etc. Le moyen était bon ; car, quand ils furent tous transportés, on put se flatter de dire qu'il n'y en avait plus dans le pays. Cette mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la commune, mais elle paraît l'avoir été sur une autre considération : l'isolement des malades. Du reste, l'opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de lazaret où l'on pourrait enfouir, aussitôt qu'ils se montrent, les désordres moraux et nerveux dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c'est l'asile d'aliénés ; c'est le seul lieu vraiment convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m'occupent, soit que l'on admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l'aliénation, et quand bien même encore on ne voudrait pas qu'elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut produire sur elles un certain degré d'intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le moins de temps possible à leurs préoccupations par d'autres préoccupations ; les soustraire absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou observations susceptibles d'entretenir leur erreur, qu'il faut au contraire combattre tous les jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions qu'il pourrait être utile d'associer à un traitement purement moral et avoir les moyens d'exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût été moins fâcheux qu'on ne l'a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et je reste convaincu que le nom d'asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d'une guérison, et qu'il se fût rencontré peu de diables qu'une douche n'eût mis en fuite. »
Nous sommes loin de partager l'optimisme de M. Constant sur l'innocuité du contact des aliénés et l'efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadé, au contraire, qu'un tel régime peut produire une folie véritable là où il n'y a qu'une folie apparente ; or, remarquez bien qu'en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et d'esprit ; il n'y a donc chez eux qu'un trouble passager qui n'a aucun des caractères de la folie proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu'il éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l'idée seule d'être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l'entretien de la maladie à l'imitation, à l'influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d'hôpital ! N'est-ce pas une contradiction évidente, et est-ce là ce qu'il entend par traitement moral ?
Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c'est-à-dire entre les hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des effets sont soumis à une loi de la nature, ils n'ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce monde, qui n'est point aussi immatériel qu'on se le figure, puisque ces êtres, quoique invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l'influence ; celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le contact des gens pervers dans la société.
Nous disons donc qu'à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s'est momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d'autres, et ce n'est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu'on les chassera. Les uns les appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits inférieurs, ce qui n'implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les conséquences, attendu que l'idée attachée aux démons est celle d'êtres à part, en dehors de l'humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu'ils ne sont autres que les âmes d'hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s'améliorer un jour ; en venant dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu'ils auraient fait s'ils y fussent venus de leur vivant, c'est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme on chasserait une troupe d'ennemis.
Il est dans la nature de ces Esprits d'être antipathiques à la religion, parce qu'ils en redoutent la puissance, comme les criminels sont antipathiques à la loi et aux juges qui les condamnent, et ils expriment ces sentiments par la bouche de leurs victimes, véritables médiums inconscients qui sont strictement dans le vrai quand ils disent n'être que des échos ; le patient est réduit à un état passif ; il est dans la situation d'un homme terrassé par un ennemi plus fort, qui le contraint à faire sa volonté ; le moi de l'Esprit étranger neutralise momentanément le moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.
Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n'en est pas moins aujourd'hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps viendra, moins éloigné qu'on ne pense, où, l'action du monde invisible étant généralement reconnue, l'influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.
S'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient l'inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c'est que les exorcismes tels qu'ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela parce que leur efficacité n'est pas dans l'acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes, mais dans l'ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas : « Ce ne sont pas des remèdes qu'il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci disant qu'ils n'étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l'intuition de la vérité. L'inefficacité de l'exorcisme en pareil cas est constatée par l'expérience ; et pourquoi cela ? parce qu'il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits, tandis qu'ils cèdent à l'ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu'on veut les maîtriser par des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu'il plie quand il a trouvé son maître.
« Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l'église où l'on avait réuni tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément, renversant, brisant les bancs de l'église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les hommes, qui s'efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »
Les cérémonies publiques d'exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y fit définitivement renoncer.
Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n'en aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu'exerçait le Christ qui, pour chasser les démons, n'avait qu'à leur commander de se retirer. Comparez, dans l'Evangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous appellerez d'autant moins miraculeux qu'il s'est passé chez les schismatiques.
M. A…, de Moscou, qui n'avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que dans ses propriétés les habitants d'un village furent atteints d'un mal en tout semblable à celui de Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les prêtres, mêmes effets de l'exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule imposition des mains qu'il accompagnait toujours d'une fervente prière. En réitérant cet acte il finit par les guérir presque tous radicalement.
Cet exemple n'est pas le seul ; comment l'expliquer, si ce n'est par l'influence magnétique secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu'il ne se trouve ni dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et non des lèvres, et qu'il s'appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En décrivant l'obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l'action fluidique qui s'exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c'eût été un puissant auxiliaire à Morzines.
Quoi qu'il en soit, le mal paraît arrivé à son terme, les conditions du pays restant cependant les mêmes. Pourquoi cela ? c'est ce qu'il nous est pas encore permis de dire ; mais, comme on le reconnaîtra plus tard, il aura, plus qu'on ne pense, servi la cause du Spiritisme, ne fût-ce qu'à prouver, par un grand exemple, que ceux qui ne le connaissent pas ne sont pas préservés de l'action des mauvais Esprits, et l'impuissance des moyens ordinaires employés pour les chasser.
Nous terminerons en rassurant certains habitants du pays sur la prétendue influence que quelques-uns d'entre eux auraient pu exercer en donnant le mal, comme ils le disent ; la croyance aux jeteurs de sorts doit être reléguée parmi les croyances superstitieuses. Qu'ils soient pieux de cœur, et que ceux qui sont chargés de les conduire s'efforcent de les élever moralement, c'est le plus sûr moyen de neutraliser l'influence des mauvais Esprits, et de prévenir le retour de ce qui s'est passé. Les mauvais Esprits ne s'adressent qu'à ceux qu'ils savent pouvoir maîtriser, et non à ceux que la supériorité morale, nous ne disons pas intellectuelle, cuirasse contre leurs atteintes.
Ici se présente une objection toute naturelle qu'il est utile de prévenir. On se demandera peut-être pourquoi tous ceux qui font le mal ne sont pas atteints de possession ? A cela nous répondrons qu'en faisant le mal, ils subissent d'une autre manière la pernicieuse influence des mauvais Esprits dont ils écoutent les conseils, et ils en seront punis avec d'autant plus de sévérité qu'ils agissent avec plus de connaissance de cause. Ne croyez à la vertu d'aucun talisman, d'aucune amulette, d'aucun signe, d'aucune parole pour écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l'intention, l'amour de Dieu et de son prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu'il leur ôte tout empire sur nos âmes.
Voici la communication qu'a donnée sur ce sujet l'Esprit de saint Louis, guide spirituel de la Société spirite de Paris :
« Les possédés de Morzines sont réellement sous l'influence des mauvais Esprits attirés dans cette contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la mauvaise ; c'est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes meilleurs, il écartera d'eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l'humanité. Si tous les hommes étaient bons, les mauvais Esprits s'en éloigneraient, parce qu'ils sauraient ne pouvoir les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les attire, tandis que c'est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez n'avoir que de bons Esprits autour de vous. » (Médium, Madame Costel.)
[1] Voir les numéros de décembre 1862, janvier, février, avril 1863. Voir aussi, sur le même sujet, le n° d'avril 1862, p. 109.
[2] Les Diables de Morzines, chez Mégret, quai de l'Hôpital, 51, à Lyon.
On nous signale de différents points de nouvelles prédications contre le Spiritisme, toutes dans le même esprit que celles dont nous avons parlé, et comme ce n'est toujours que la variante d'une même pensée, en termes plus ou moins choisis, nous croyons superflu d'en donner l'analyse ; nous nous bornons à relever certains passages que nous faisons suivre de quelques réflexions.
« Mes frères, c'est un chrétien qui parle à des chrétiens, et comme tels nous avons le droit de nous étonner de voir le Spiritisme croître parmi nous. Qu'est-ce que le Spiritisme, je vous le demande, si ce n'est un assemblage d'horreurs que la folie seule peut justifier ? »
A cela nous n'avons rien à répondre, si ce n'est que toutes les prédications faites dans cette cité n'ont pu arrêter l'accroissement du Spiritisme, ainsi que le constate l'orateur ; donc les arguments qu'on lui oppose ont moins d'empire que les siens ; donc, si les prédications viennent de Dieu, et le Spiritisme du diable, c'est que le diable est plus puissant que Dieu. Rien n'est brutal comme un fait ; or, le fait de propagation du Spiritisme par suite même des prédications est notoire, donc, c'est qu'on trouve les arguments qu'il donne plus convaincants que ceux de ses adversaires. C'est un tissu d'horreurs, soit ; mais convenez que si ces mêmes Esprits venaient abonder dans toutes vos idées, au lieu de démons vous en feriez des saints, et, loin de condamner les évocations, vous les encourageriez.
« Notre siècle ne respecte plus rien ; la cendre des tombeaux n'est pas même épargnée, puisque des insensés osent appeler les morts pour s'entretenir avec eux. C'est pourtant ainsi, et voilà où en est arrivé ce prétendu siècle de lumières : causer avec des revenants. »
Causer avec les morts n'est pas le fait de ce siècle, puisque l'histoire de tous les peuples prouve qu'on l'a fait de tout temps ; la seule différence est qu'on le fait partout aujourd'hui et sans les accessoires superstitieux dont on entourait jadis les évocations ; qu'on le fait avec un sentiment plus religieux et plus respectueux. De l'un des deux : ou la chose est possible ou elle ne l'est pas ; si elle ne l'est pas, c'est une croyance illusoire, comme celle de croire à la fatalité du vendredi, à l'influence du sel renversé ; nous ne voyons donc pas qu'il y ait là tant d'horreurs, et que l'on manque de respect en causant avec des gens qui ne sont pas là ; si les morts viennent causer avec nous, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu, à moins de prétendre qu'ils viennent sans sa permission ou contre sa volonté, ce qui impliquerait que Dieu ne s'en occupe pas, ou que les évocateurs sont plus puissants que Dieu. Mais remarquez les contradictions : d'un côté vous dites que le diable seul se communique, et d'un autre qu'on trouble la cendre des morts en les appelant ; si c'est le diable, ce ne sont pas les morts, donc on ne les trouble pas et on ne leur manque pas de respect ; si ce sont les morts, donc ce n'est pas le diable. Il faudrait au moins vous accorder sur ce point capital. En admettant que ce soient les morts, nous reconnaissons qu'il y aurait profanation à les appeler légèrement, pour des causes futiles, et surtout d'en faire un métier lucratif, toutes choses que nous condamnons, n'assumant pas plus la responsabilité de ceux qui s'écartent des principes du Spiritisme sérieux, que vous n'assumez celle des faux dévots qui n'ont de la religion que le masque, qui prêchent ce qu'ils ne pratiquent pas, ou qui spéculent sur les choses saintes. Certes des évocations faites dans les conditions burlesques supposées par un éloquent orateur que nous citons plus loin seraient un sacrilège, mais, Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et nous ne croyons pas que celle de M. Viennois, également rapportée ci-après, soit dans ce cas.
« J'ai été moi-même témoin de ces faits, et j'ai entendu prêcher la morale, la charité, il est vrai ; mais sur quoi s'appuient cette morale, cette charité ? Hélas ! sur rien, car peut-on appeler morale une doctrine qui nie les peines éternelles ? »
Si cette morale conduit à faire le bien sans la crainte des peines éternelles, elle n'en a que plus de mérite. Autrefois on croyait impossible de maintenir les écoliers sans la crainte de la férule ; en étaient-ils meilleurs ? Non ; aujourd'hui on ne s'en sert plus et ils ne sont pas pires, au contraire ; donc le régime actuel est préférable. On juge la bonté d'un moyen par ses effets. D'ailleurs, à qui s'adresse cette morale ? à ceux précisément qui ne croient pas aux peines éternelles, et à qui nous donnons un frein qu'ils acceptent, tandis que vous ne leur en donnez point, puisqu'ils n'acceptent pas le vôtre. Empêchons-nous de croire à la damnation absolue ceux à qui cela convient ? Pas le moins du monde. Encore une fois nous ne nous adressons pas à ceux qui ont la foi et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui n'en ont point ou qui doutent. Aimeriez-vous mieux qu'ils restassent dans l'incrédulité absolue ? ce serait peu charitable. Avez-vous peur qu'on ne vous enlève des brebis ? c'est que vous n'avez pas grande confiance dans la puissance de vos moyens pour les retenir ; c'est que vous avez peur qu'elles ne soient attirées par l'herbe tendre du pardon et de la miséricorde divine. Croyez-vous donc que celles qui flottent incertaines préfèreront les charbons de l'enfer ? D'un autre côté, qui doit être plus convaincu des peines éternelles que ceux qui sont nourris dans le sein de l'Eglise ? Or, dites pourquoi cette perspective n'a pas arrêté tous les scandales, toutes les atrocités, toutes les prévarications aux lois divines et humaines dont fourmille l'histoire et qui se reproduisent incessamment de nos jours ? Sont-ce des crimes, oui ou non ? Si donc ceux qui font profession de cette croyance ne sont pas arrêtés, comment voulez-vous que le soient ceux qui n'y croient pas ? Non, il faut à l'homme éclairé de nos jours un autre frein, celui qu'admet sa raison ; or, la croyance aux peines éternelles, utile peut-être à une autre époque, a fait son temps ; elle s'éteint tous les jours, et vous aurez beau faire, vous ne donnerez pas plus la vie à ce cadavre que vous ne ferez revivre les us et coutumes et les idées du moyen âge. Si l'Église catholique croit sa sûreté compromise par la disparition de cette croyance, il faut la plaindre de reposer sur une base si fragile, car, si elle a un ver rongeur, c'est le dogme des peines éternelles.
Aussi, j'en appelle à la moralité de toutes les âmes honnêtes ; j'en appelle aux magistrats, car ils sont responsables de tout le mal qu'une semblable hérésie attire sur nos têtes. »
Nous ne savions pas qu'en France les magistrats fussent chargés de poursuivre les hérésies, puisque parmi eux, s'il y a des catholiques, il y aussi des protestants et des juifs, hérétiques qui seraient ainsi chargés de se poursuivre eux-mêmes et de se condamner ; qu'il y en a parmi les fonctionnaires du plus haut rang.
Oui, les Spirites, je ne crains pas de le déclarer ici hautement, ne sont pas seulement passibles de la police correctionnelle, de la Cour impériale, mais, entendez-le bien, il sont encore passibles de la Cour d'assises, car ce sont des faussaires ; ils signent des communications de noms honorables que n'auraient certes pas signées, de leur vivant, ceux que l'on fait si bien causer aujourd'hui. »
Les Spirites sont vraiment bien heureux que Confucius, Socrate, Platon, saint Augustin, saint Vincent de Paul, Fénelon, etc., ne puissent venir leur intenter des procès pour crimes de faux en écriture privée. Mais, j'y songe : ils auraient une planche de salut précisément dans les Cours d'assises dont ils sont justiciables ; car là ce sont les jurés qui prononcent selon leur conscience ; or, parmi eux il y a aussi des protestants et des juifs ; il y a même, chose abominable, des philosophes, des incrédules, d'affreux libres penseurs, qui, vu nos détestables lois modernes, se trouvent partout ; donc, si l'on nous accuse de faire dire à saint Augustin quelque chose d'hétérodoxe, nous trouverons toujours des jurés pour nous acquitter. O perversité du siècle ! dire que de nos jours Voltaire, Diderot, Luther, Calvin, Jean Huss, Arius, auraient été jurés par droit de naissance, qu'ils auraient pu être juges, préfets, ministres de la justice et même des cultes ! Les voyez-vous, ces gibiers de l'enfer, se prononcer sur une question d'hérésie ! car, pour condamner la signature de Fénelon mise au bas d'une communication soi-disant hérétique, il faut juger la question d'orthodoxie, et qui sera compétent dans le jury ?
Et pourtant, une chose serait si facile pour interdire de semblables forfaits ! Que faudrait-il faire ? la moindre des choses ; et même sans leur faire l'honneur de l'écharpe du commissaire, vous pouvez mettre un sergent de ville à l'entrée de chaque groupe pour dire : on ne passe pas. Je vous dépeins le mal, je vous décris le remède, rien de plus, rien de moins, car je leur fais grâce de l'inquisition. »
Merci beaucoup, mais il n'y a pas grand mérite à offrir ce qu'on n'a pas, et, malheureusement pour vous, vous n'avez pas l'inquisition, sans quoi il est douteux que vous nous en fissiez grâce. Que ne dites-vous donc aux magistrats d'interdire l'entrée des temples juifs et protestants où l'on prêche publiquement des dogmes qui ne sont pas les vôtres ? Quant aux Spirites, ils n'ont ni temples, ni prêtres, mais ils ont des groupes, ce qui pour vous est la même chose, à l'entrée desquels il suffit de mettre un sergent de ville pour que tout soit dit ; c'est bien simple, en effet ; mais vous oubliez que les Esprits forcent toutes les consignes et entrent partout sans demander la permission, même chez vous, car vous en avez à vos côtés qui vous écoutent, sans que vous vous en doutiez, et, qui plus est, parlent à vos oreilles ; rappelez bien vos souvenirs et vous verrez que vous avez eu plus d'une manifestation sans la chercher.
Vous paraissez ignorer une chose qu'il est bon que vous sachiez. Les groupes spirites ne sont nullement nécessaires ; ce sont de simples réunions où sont heureux de se rencontrer des gens qui pensent de même ; et la preuve en est, c'est qu'il y a aujourd'hui en France plus de six cent mille Spirites dont les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ne font partie d'aucun groupe et n'y ont jamais mis le pied ; que dans une foule de villes il n'y en a point ; que ni les groupes ni les sociétés n'ouvrent leurs portes au public pour prêcher leurs doctrines aux passants ; que le Spiritisme se prêche de lui-même et par la force des choses, parce qu'il répond à un besoin de l'époque ; que ces idées sont dans l'air et s'aspirent par tous les pores de l'intelligence ; que la contagion est dans l'exemple de ceux qui sont heureux de ces croyances et que l'on rencontre partout, dans le monde, sans aller les chercher dans les groupes. Ainsi, ce ne sont pas les groupes qui font de la propagande, puisqu'ils n'appellent pas le premier venu ; elle se fait de proche en proche, d'individu à individu ; donc, admettons l'interdiction de toutes les réunions, les Spirites en seraient quittes pour rester chez eux et se réunir en famille, ainsi que cela se fait dans des milliers d'endroits sans que le Spiritisme en souffre, bien au contraire, puisque nous avons toujours blâmé les grandes assemblées comme plus nuisibles qu'utiles, l'intimité étant reconnue la condition la plus favorable aux manifestations. Interdirez-vous les réunions de famille ? Mettrez-vous un sergent de ville à la porte d'un salon pour surveiller ce qui se passe au coin du feu ? On ne le fait pas en Espagne ; on ne le fait pas à Rome, où il y a plus de spirites et de médiums que vous ne le pensez. Il ne manquerait plus que cela pour faire grandir encore l'importance du Spiritisme.
Admettons maintenant l'interdiction légale des groupes, savez-vous ce que feraient ces Spirites que vous accusez de semer le désordre ? Ils diraient : « Respectons la loi ; dura lex, sed lex ; donnons l'exemple, et montrons que si nous prêchons l'union, la paix et la concorde, ce n'est pas pour nous transformer en fauteurs de trouble. Les sociétés organisées ne sont pas une condition nécessaire pour l'existence du Spiritisme ; il n'y a entre elles aucune solidarité matérielle qui puisse être brisée par leur suppression ; ce que les Esprits y enseignent, ils l'enseigneront tout aussi bien dans le tête-à-tête ; car le Spiritisme a ce privilège inouï d'avoir partout son foyer d'enseignement ; son signe de ralliement est l'amour de Dieu et du prochain, et pour le mettre en pratique il n'a pas besoin de réunions officielles, il l'étend sur ses ennemis comme sur ses amis. » Tout le monde peut-il en dire autant, et l'autorité n'a-t-elle pas trouvé plus d'une fois de la résistance là où elle aurait dû trouver le plus de soumission ? Si les Spirites étaient des gens aussi turbulents et aussi pervertis que vous le prétendez, pourquoi est-ce dans les centres où ils sont le plus nombreux que les fonctionnaires chargés du maintien de l'ordre ont le moins de peine, ce qui faisait dire à l'un d'eux que si tous ses administrés étaient Spirites, il pourrait fermer son bureau ? Pourquoi est-ce parmi les militaires spirites qu'il y a le moins de peines disciplinaires ?
Et puis, vous ne songez pas qu'il y a maintenant des Spirites partout, du haut en bas de l'échelle sociale ; qu'il y a des réunions et des médiums jusque chez ceux dont vous invoquez l'appui contre nous. Vous voyez donc que votre moyen est insuffisant ; il faut en chercher un autre. ‑ Nous avons les foudres de la chaire. ‑ C'est bien, et vous en usez largement, mais ne voyez-vous pas que partout où l'on fulmine, le nombre des Spirites augmente ? ‑ Nous avons les censures de l'Église et l'excommunication. ‑ C'est mieux, mais vous frappez encore dans le vide ; encore une fois, le Spiritisme ne s'adresse ni à vous ni à ceux qui sont avec vous ; il ne va pas les chercher et leur dire : quittez votre religion et suivez-moi, vous êtes damnés si vous ne le faites pas ; non, il est plus tolérant que cela, et laisse à chacun sa liberté de conscience. Il s'adresse, ainsi que nous l'avons dit, à la masse innombrable des incrédules, des douteurs et des indifférents ; ceux-là ne sont pas avec vous, et vos censures ne peuvent pas les atteindre. Ils revenaient à vous, vous les repoussez, c'est tout simplement maladroit. Si quelques-uns des vôtres les suivent, c'est que vos arguments ne sont pas assez forts pour les retenir, et ce n'est pas avec la rigueur que vous y parviendrez. Le Spiritisme plaît parce qu'il ne s'impose pas et s'accepte par la volonté et le libre examen ; en cela il est de notre époque ; il plaît par sa douceur, par les consolations qu'il procure dans les adversités, par l'inébranlable foi qu'il donne dans l'avenir, dans la bonté et la miséricorde de Dieu ; de plus, il s'appuie sur des faits patents, matériels, irrécusables, qui bravent toute dénégation ; voilà le secret de sa propagation si rapide ; que lui opposez-vous ? Toujours la damnation éternelle, mauvais moyen par le temps qui court ; puis le travestissement de ses doctrines ; vous l'accusez de prêcher l'avortement, l'adultère et tous les crimes ; à qui pensez-vous en imposer ? ce n'est pas aux Spirites, assurément ; à ceux qui ne le connaissent pas ? Mais dans le nombre beaucoup veulent savoir ce qu'il en est de cette abominable doctrine ; ils lisent, et voyant qu'elle dit tout le contraire de ce qu'on lui fait dire, ils vous laissent pour le suivre, et cela sans qu'il aille les chercher.
La position, je le sais, est embarrassante ; car vous vous dites : Si nous parlons contre le Spiritisme, nous lui recrutons des partisans ; si nous nous taisons, il marche tout seul. Que faire alors ? Jadis on disait : Laissez passer la justice du roi ; maintenait il faut dire : Laissons passer la justice de Dieu.
(La suite au prochain numéro.)
« Mes frères, c'est un chrétien qui parle à des chrétiens, et comme tels nous avons le droit de nous étonner de voir le Spiritisme croître parmi nous. Qu'est-ce que le Spiritisme, je vous le demande, si ce n'est un assemblage d'horreurs que la folie seule peut justifier ? »
A cela nous n'avons rien à répondre, si ce n'est que toutes les prédications faites dans cette cité n'ont pu arrêter l'accroissement du Spiritisme, ainsi que le constate l'orateur ; donc les arguments qu'on lui oppose ont moins d'empire que les siens ; donc, si les prédications viennent de Dieu, et le Spiritisme du diable, c'est que le diable est plus puissant que Dieu. Rien n'est brutal comme un fait ; or, le fait de propagation du Spiritisme par suite même des prédications est notoire, donc, c'est qu'on trouve les arguments qu'il donne plus convaincants que ceux de ses adversaires. C'est un tissu d'horreurs, soit ; mais convenez que si ces mêmes Esprits venaient abonder dans toutes vos idées, au lieu de démons vous en feriez des saints, et, loin de condamner les évocations, vous les encourageriez.
« Notre siècle ne respecte plus rien ; la cendre des tombeaux n'est pas même épargnée, puisque des insensés osent appeler les morts pour s'entretenir avec eux. C'est pourtant ainsi, et voilà où en est arrivé ce prétendu siècle de lumières : causer avec des revenants. »
Causer avec les morts n'est pas le fait de ce siècle, puisque l'histoire de tous les peuples prouve qu'on l'a fait de tout temps ; la seule différence est qu'on le fait partout aujourd'hui et sans les accessoires superstitieux dont on entourait jadis les évocations ; qu'on le fait avec un sentiment plus religieux et plus respectueux. De l'un des deux : ou la chose est possible ou elle ne l'est pas ; si elle ne l'est pas, c'est une croyance illusoire, comme celle de croire à la fatalité du vendredi, à l'influence du sel renversé ; nous ne voyons donc pas qu'il y ait là tant d'horreurs, et que l'on manque de respect en causant avec des gens qui ne sont pas là ; si les morts viennent causer avec nous, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu, à moins de prétendre qu'ils viennent sans sa permission ou contre sa volonté, ce qui impliquerait que Dieu ne s'en occupe pas, ou que les évocateurs sont plus puissants que Dieu. Mais remarquez les contradictions : d'un côté vous dites que le diable seul se communique, et d'un autre qu'on trouble la cendre des morts en les appelant ; si c'est le diable, ce ne sont pas les morts, donc on ne les trouble pas et on ne leur manque pas de respect ; si ce sont les morts, donc ce n'est pas le diable. Il faudrait au moins vous accorder sur ce point capital. En admettant que ce soient les morts, nous reconnaissons qu'il y aurait profanation à les appeler légèrement, pour des causes futiles, et surtout d'en faire un métier lucratif, toutes choses que nous condamnons, n'assumant pas plus la responsabilité de ceux qui s'écartent des principes du Spiritisme sérieux, que vous n'assumez celle des faux dévots qui n'ont de la religion que le masque, qui prêchent ce qu'ils ne pratiquent pas, ou qui spéculent sur les choses saintes. Certes des évocations faites dans les conditions burlesques supposées par un éloquent orateur que nous citons plus loin seraient un sacrilège, mais, Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et nous ne croyons pas que celle de M. Viennois, également rapportée ci-après, soit dans ce cas.
« J'ai été moi-même témoin de ces faits, et j'ai entendu prêcher la morale, la charité, il est vrai ; mais sur quoi s'appuient cette morale, cette charité ? Hélas ! sur rien, car peut-on appeler morale une doctrine qui nie les peines éternelles ? »
Si cette morale conduit à faire le bien sans la crainte des peines éternelles, elle n'en a que plus de mérite. Autrefois on croyait impossible de maintenir les écoliers sans la crainte de la férule ; en étaient-ils meilleurs ? Non ; aujourd'hui on ne s'en sert plus et ils ne sont pas pires, au contraire ; donc le régime actuel est préférable. On juge la bonté d'un moyen par ses effets. D'ailleurs, à qui s'adresse cette morale ? à ceux précisément qui ne croient pas aux peines éternelles, et à qui nous donnons un frein qu'ils acceptent, tandis que vous ne leur en donnez point, puisqu'ils n'acceptent pas le vôtre. Empêchons-nous de croire à la damnation absolue ceux à qui cela convient ? Pas le moins du monde. Encore une fois nous ne nous adressons pas à ceux qui ont la foi et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui n'en ont point ou qui doutent. Aimeriez-vous mieux qu'ils restassent dans l'incrédulité absolue ? ce serait peu charitable. Avez-vous peur qu'on ne vous enlève des brebis ? c'est que vous n'avez pas grande confiance dans la puissance de vos moyens pour les retenir ; c'est que vous avez peur qu'elles ne soient attirées par l'herbe tendre du pardon et de la miséricorde divine. Croyez-vous donc que celles qui flottent incertaines préfèreront les charbons de l'enfer ? D'un autre côté, qui doit être plus convaincu des peines éternelles que ceux qui sont nourris dans le sein de l'Eglise ? Or, dites pourquoi cette perspective n'a pas arrêté tous les scandales, toutes les atrocités, toutes les prévarications aux lois divines et humaines dont fourmille l'histoire et qui se reproduisent incessamment de nos jours ? Sont-ce des crimes, oui ou non ? Si donc ceux qui font profession de cette croyance ne sont pas arrêtés, comment voulez-vous que le soient ceux qui n'y croient pas ? Non, il faut à l'homme éclairé de nos jours un autre frein, celui qu'admet sa raison ; or, la croyance aux peines éternelles, utile peut-être à une autre époque, a fait son temps ; elle s'éteint tous les jours, et vous aurez beau faire, vous ne donnerez pas plus la vie à ce cadavre que vous ne ferez revivre les us et coutumes et les idées du moyen âge. Si l'Église catholique croit sa sûreté compromise par la disparition de cette croyance, il faut la plaindre de reposer sur une base si fragile, car, si elle a un ver rongeur, c'est le dogme des peines éternelles.
Aussi, j'en appelle à la moralité de toutes les âmes honnêtes ; j'en appelle aux magistrats, car ils sont responsables de tout le mal qu'une semblable hérésie attire sur nos têtes. »
Nous ne savions pas qu'en France les magistrats fussent chargés de poursuivre les hérésies, puisque parmi eux, s'il y a des catholiques, il y aussi des protestants et des juifs, hérétiques qui seraient ainsi chargés de se poursuivre eux-mêmes et de se condamner ; qu'il y en a parmi les fonctionnaires du plus haut rang.
Oui, les Spirites, je ne crains pas de le déclarer ici hautement, ne sont pas seulement passibles de la police correctionnelle, de la Cour impériale, mais, entendez-le bien, il sont encore passibles de la Cour d'assises, car ce sont des faussaires ; ils signent des communications de noms honorables que n'auraient certes pas signées, de leur vivant, ceux que l'on fait si bien causer aujourd'hui. »
Les Spirites sont vraiment bien heureux que Confucius, Socrate, Platon, saint Augustin, saint Vincent de Paul, Fénelon, etc., ne puissent venir leur intenter des procès pour crimes de faux en écriture privée. Mais, j'y songe : ils auraient une planche de salut précisément dans les Cours d'assises dont ils sont justiciables ; car là ce sont les jurés qui prononcent selon leur conscience ; or, parmi eux il y a aussi des protestants et des juifs ; il y a même, chose abominable, des philosophes, des incrédules, d'affreux libres penseurs, qui, vu nos détestables lois modernes, se trouvent partout ; donc, si l'on nous accuse de faire dire à saint Augustin quelque chose d'hétérodoxe, nous trouverons toujours des jurés pour nous acquitter. O perversité du siècle ! dire que de nos jours Voltaire, Diderot, Luther, Calvin, Jean Huss, Arius, auraient été jurés par droit de naissance, qu'ils auraient pu être juges, préfets, ministres de la justice et même des cultes ! Les voyez-vous, ces gibiers de l'enfer, se prononcer sur une question d'hérésie ! car, pour condamner la signature de Fénelon mise au bas d'une communication soi-disant hérétique, il faut juger la question d'orthodoxie, et qui sera compétent dans le jury ?
Et pourtant, une chose serait si facile pour interdire de semblables forfaits ! Que faudrait-il faire ? la moindre des choses ; et même sans leur faire l'honneur de l'écharpe du commissaire, vous pouvez mettre un sergent de ville à l'entrée de chaque groupe pour dire : on ne passe pas. Je vous dépeins le mal, je vous décris le remède, rien de plus, rien de moins, car je leur fais grâce de l'inquisition. »
Merci beaucoup, mais il n'y a pas grand mérite à offrir ce qu'on n'a pas, et, malheureusement pour vous, vous n'avez pas l'inquisition, sans quoi il est douteux que vous nous en fissiez grâce. Que ne dites-vous donc aux magistrats d'interdire l'entrée des temples juifs et protestants où l'on prêche publiquement des dogmes qui ne sont pas les vôtres ? Quant aux Spirites, ils n'ont ni temples, ni prêtres, mais ils ont des groupes, ce qui pour vous est la même chose, à l'entrée desquels il suffit de mettre un sergent de ville pour que tout soit dit ; c'est bien simple, en effet ; mais vous oubliez que les Esprits forcent toutes les consignes et entrent partout sans demander la permission, même chez vous, car vous en avez à vos côtés qui vous écoutent, sans que vous vous en doutiez, et, qui plus est, parlent à vos oreilles ; rappelez bien vos souvenirs et vous verrez que vous avez eu plus d'une manifestation sans la chercher.
Vous paraissez ignorer une chose qu'il est bon que vous sachiez. Les groupes spirites ne sont nullement nécessaires ; ce sont de simples réunions où sont heureux de se rencontrer des gens qui pensent de même ; et la preuve en est, c'est qu'il y a aujourd'hui en France plus de six cent mille Spirites dont les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ne font partie d'aucun groupe et n'y ont jamais mis le pied ; que dans une foule de villes il n'y en a point ; que ni les groupes ni les sociétés n'ouvrent leurs portes au public pour prêcher leurs doctrines aux passants ; que le Spiritisme se prêche de lui-même et par la force des choses, parce qu'il répond à un besoin de l'époque ; que ces idées sont dans l'air et s'aspirent par tous les pores de l'intelligence ; que la contagion est dans l'exemple de ceux qui sont heureux de ces croyances et que l'on rencontre partout, dans le monde, sans aller les chercher dans les groupes. Ainsi, ce ne sont pas les groupes qui font de la propagande, puisqu'ils n'appellent pas le premier venu ; elle se fait de proche en proche, d'individu à individu ; donc, admettons l'interdiction de toutes les réunions, les Spirites en seraient quittes pour rester chez eux et se réunir en famille, ainsi que cela se fait dans des milliers d'endroits sans que le Spiritisme en souffre, bien au contraire, puisque nous avons toujours blâmé les grandes assemblées comme plus nuisibles qu'utiles, l'intimité étant reconnue la condition la plus favorable aux manifestations. Interdirez-vous les réunions de famille ? Mettrez-vous un sergent de ville à la porte d'un salon pour surveiller ce qui se passe au coin du feu ? On ne le fait pas en Espagne ; on ne le fait pas à Rome, où il y a plus de spirites et de médiums que vous ne le pensez. Il ne manquerait plus que cela pour faire grandir encore l'importance du Spiritisme.
Admettons maintenant l'interdiction légale des groupes, savez-vous ce que feraient ces Spirites que vous accusez de semer le désordre ? Ils diraient : « Respectons la loi ; dura lex, sed lex ; donnons l'exemple, et montrons que si nous prêchons l'union, la paix et la concorde, ce n'est pas pour nous transformer en fauteurs de trouble. Les sociétés organisées ne sont pas une condition nécessaire pour l'existence du Spiritisme ; il n'y a entre elles aucune solidarité matérielle qui puisse être brisée par leur suppression ; ce que les Esprits y enseignent, ils l'enseigneront tout aussi bien dans le tête-à-tête ; car le Spiritisme a ce privilège inouï d'avoir partout son foyer d'enseignement ; son signe de ralliement est l'amour de Dieu et du prochain, et pour le mettre en pratique il n'a pas besoin de réunions officielles, il l'étend sur ses ennemis comme sur ses amis. » Tout le monde peut-il en dire autant, et l'autorité n'a-t-elle pas trouvé plus d'une fois de la résistance là où elle aurait dû trouver le plus de soumission ? Si les Spirites étaient des gens aussi turbulents et aussi pervertis que vous le prétendez, pourquoi est-ce dans les centres où ils sont le plus nombreux que les fonctionnaires chargés du maintien de l'ordre ont le moins de peine, ce qui faisait dire à l'un d'eux que si tous ses administrés étaient Spirites, il pourrait fermer son bureau ? Pourquoi est-ce parmi les militaires spirites qu'il y a le moins de peines disciplinaires ?
Et puis, vous ne songez pas qu'il y a maintenant des Spirites partout, du haut en bas de l'échelle sociale ; qu'il y a des réunions et des médiums jusque chez ceux dont vous invoquez l'appui contre nous. Vous voyez donc que votre moyen est insuffisant ; il faut en chercher un autre. ‑ Nous avons les foudres de la chaire. ‑ C'est bien, et vous en usez largement, mais ne voyez-vous pas que partout où l'on fulmine, le nombre des Spirites augmente ? ‑ Nous avons les censures de l'Église et l'excommunication. ‑ C'est mieux, mais vous frappez encore dans le vide ; encore une fois, le Spiritisme ne s'adresse ni à vous ni à ceux qui sont avec vous ; il ne va pas les chercher et leur dire : quittez votre religion et suivez-moi, vous êtes damnés si vous ne le faites pas ; non, il est plus tolérant que cela, et laisse à chacun sa liberté de conscience. Il s'adresse, ainsi que nous l'avons dit, à la masse innombrable des incrédules, des douteurs et des indifférents ; ceux-là ne sont pas avec vous, et vos censures ne peuvent pas les atteindre. Ils revenaient à vous, vous les repoussez, c'est tout simplement maladroit. Si quelques-uns des vôtres les suivent, c'est que vos arguments ne sont pas assez forts pour les retenir, et ce n'est pas avec la rigueur que vous y parviendrez. Le Spiritisme plaît parce qu'il ne s'impose pas et s'accepte par la volonté et le libre examen ; en cela il est de notre époque ; il plaît par sa douceur, par les consolations qu'il procure dans les adversités, par l'inébranlable foi qu'il donne dans l'avenir, dans la bonté et la miséricorde de Dieu ; de plus, il s'appuie sur des faits patents, matériels, irrécusables, qui bravent toute dénégation ; voilà le secret de sa propagation si rapide ; que lui opposez-vous ? Toujours la damnation éternelle, mauvais moyen par le temps qui court ; puis le travestissement de ses doctrines ; vous l'accusez de prêcher l'avortement, l'adultère et tous les crimes ; à qui pensez-vous en imposer ? ce n'est pas aux Spirites, assurément ; à ceux qui ne le connaissent pas ? Mais dans le nombre beaucoup veulent savoir ce qu'il en est de cette abominable doctrine ; ils lisent, et voyant qu'elle dit tout le contraire de ce qu'on lui fait dire, ils vous laissent pour le suivre, et cela sans qu'il aille les chercher.
La position, je le sais, est embarrassante ; car vous vous dites : Si nous parlons contre le Spiritisme, nous lui recrutons des partisans ; si nous nous taisons, il marche tout seul. Que faire alors ? Jadis on disait : Laissez passer la justice du roi ; maintenait il faut dire : Laissons passer la justice de Dieu.
(La suite au prochain numéro.)
M. Philibert Viennois
Société spirite de Paris, 20 mars 1863. ‑ Médium, M. Leymarie
1. Évocation.
R. Je suis près de vous.
2. Vous vous étiez promis, avec Madame V…, que celui des deux qui resterait s'adresserait à moi pour faire évoquer le premier parti. Madame V… m'a fait part de ce vœu, et je me fais un plaisir d'y accéder. Je sais que vous étiez un fervent Spirite, et de plus doué des qualités du cœur ; ces circonstances ne peuvent que nous donner le désir de nous entretenir avec vous.
R. Je puis donc t'écrire et me rapprocher de toi pour t'exprimer tout ce que mon Esprit ressent de bienveillant à ton égard. Merci pour tout le bonheur que tu m'as donné, chère épouse, toi qui m'as fait aimer la croyance, sainte règle de mes derniers jours près de toi. Je suis bien heureux de recueillir aujourd'hui tous les biens qui nous étaient promis par la foi vénérée qui nous affirme une autre vie que celle de la terre. Je suis en possession d'une puissance inconnue aux hommes ; l'immensité nous appartient ; je puis mieux comprendre, mieux t'aimer ; mes sensations ne sont plus obscures, et ce qu'il y a de divin en nous est d'une simplicité extrême, car tout ce qui est grand est simple ; la grandeur est le véritable élément de l'Esprit.
Je suis toujours près de toi ; désormais tu seras heureuse, parce que je t'entourerai de mon fluide qui te fortifiera, si cela est nécessaire ; je veux que tu sois toujours courageuse, bonne et surtout Spirite ; avec ces trois éléments, tu béniras Dieu de m'avoir appelé vers lui, car je t'attends, persuadé que, grâce au Spiritisme, Dieu te réserve une bonne place parmi nous.
3. Soyez assez bon, je vous prie, pour nous décrire votre passage dans le monde des Esprits, vos impressions et l'influence de vos connaissances spirites sur votre élévation ?
R. La mort, que j'attendais, n'était pas une peine pour moi, mais plutôt un détachement complet de la matière. Ce que je voyais, c'était une nouvelle vie ; l'avenir divin, cette heure désirée, est venu avec calme. Je regrettais, il est vrai, la présence de ma compagne, que je ne pouvais laisser sans douleur : c'est le dernier anneau de la chaîne qui unit l'Esprit à la matière ; une fois rompu, j'ai peu souffert du passage de la vie à la mort ; mon Esprit a emporté les prières de ma bien-aimée. Toutes les impressions se sont éteintes pour me réveiller dans notre domaine à nous, Spirites. Le voyage est un sommeil pour le juste ; le déchirement est naturel ; mais, au premier réveil, quel étonnement ! comme tout est nouveau, splendide, merveilleux ! Ceux que j'aimais et d'autres Esprits, amis de mes incarnations précédentes, m'ont accueilli et ouvert les portes de l'existence vraie, dans ce parc sans limites appelé le ciel. Mes impressions, vous ne pouvez les comprendre, et je ne saurais les exprimer ; j'essayerai de vous les communiquer une autre fois.
4. Au reçu de la lettre de Madame V…, je lui ai adressé une prière de circonstance. Veuillez me dire ce que vous en pensez ?
R. Merci de votre bienveillance, monsieur Kardec ; vous ne pouviez mieux faire. Ceux qui pleurent les absents ont besoin de l'Esprit de Dieu, mais aussi de l'appui d'autres Esprits bienveillants, et les Esprits doivent l'être. Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules qui sont les témoins invisibles de vos séances (cette prière avait été lue à la Société à la suite de l'évocation) ; vos bonnes paroles serviront à leur avancement. Vous rendez souvent à notre monde le bien que vous en recevez. Ne point dédaigner le conseil d'un plus petit que soi, c'est reconnaître ce lien intime créé par Dieu entre toutes les créatures.
5. Je voulais vous prier de me donner une communication pour Madame V…, mais je vois que vous avez devancé ma pensée.
R. A votre première demande j'ai répondu à ma femme quand j'aurais du répondre à la Société spirite ; veuillez me le pardonner, car je remplissais une promesse. Je sais que, par la persuasion, vous amenez à vous ceux qui demandent à être consolés ; causer avec les absents d'un autre monde sera le plus grand bonheur de ceux qui ne sacrifient pas tout à l'or et à la jouissance. Dites, je vous prie, à ma femme que ma présence ne lui manquera jamais. Nous travaillerons ensemble à son avancement spirite. Envoyez-lui ma communication ; je voudrais lui dire tant de bonnes paroles que les expressions me manquent ; qu'elle aime toujours notre famille, afin que, par son exemple, celle-ci puisse devenir Spirite et croire à la vie éternelle, qui est la vie de Dieu.
Viennois.
Nous croyons devoir publier la prière dont il a été parlé ci-dessus, et qui nous a été donnée par les Esprits pour les circonstances analogues.
Société spirite de Paris, 20 mars 1863. ‑ Médium, M. Leymarie
1. Évocation.
R. Je suis près de vous.
2. Vous vous étiez promis, avec Madame V…, que celui des deux qui resterait s'adresserait à moi pour faire évoquer le premier parti. Madame V… m'a fait part de ce vœu, et je me fais un plaisir d'y accéder. Je sais que vous étiez un fervent Spirite, et de plus doué des qualités du cœur ; ces circonstances ne peuvent que nous donner le désir de nous entretenir avec vous.
R. Je puis donc t'écrire et me rapprocher de toi pour t'exprimer tout ce que mon Esprit ressent de bienveillant à ton égard. Merci pour tout le bonheur que tu m'as donné, chère épouse, toi qui m'as fait aimer la croyance, sainte règle de mes derniers jours près de toi. Je suis bien heureux de recueillir aujourd'hui tous les biens qui nous étaient promis par la foi vénérée qui nous affirme une autre vie que celle de la terre. Je suis en possession d'une puissance inconnue aux hommes ; l'immensité nous appartient ; je puis mieux comprendre, mieux t'aimer ; mes sensations ne sont plus obscures, et ce qu'il y a de divin en nous est d'une simplicité extrême, car tout ce qui est grand est simple ; la grandeur est le véritable élément de l'Esprit.
Je suis toujours près de toi ; désormais tu seras heureuse, parce que je t'entourerai de mon fluide qui te fortifiera, si cela est nécessaire ; je veux que tu sois toujours courageuse, bonne et surtout Spirite ; avec ces trois éléments, tu béniras Dieu de m'avoir appelé vers lui, car je t'attends, persuadé que, grâce au Spiritisme, Dieu te réserve une bonne place parmi nous.
3. Soyez assez bon, je vous prie, pour nous décrire votre passage dans le monde des Esprits, vos impressions et l'influence de vos connaissances spirites sur votre élévation ?
R. La mort, que j'attendais, n'était pas une peine pour moi, mais plutôt un détachement complet de la matière. Ce que je voyais, c'était une nouvelle vie ; l'avenir divin, cette heure désirée, est venu avec calme. Je regrettais, il est vrai, la présence de ma compagne, que je ne pouvais laisser sans douleur : c'est le dernier anneau de la chaîne qui unit l'Esprit à la matière ; une fois rompu, j'ai peu souffert du passage de la vie à la mort ; mon Esprit a emporté les prières de ma bien-aimée. Toutes les impressions se sont éteintes pour me réveiller dans notre domaine à nous, Spirites. Le voyage est un sommeil pour le juste ; le déchirement est naturel ; mais, au premier réveil, quel étonnement ! comme tout est nouveau, splendide, merveilleux ! Ceux que j'aimais et d'autres Esprits, amis de mes incarnations précédentes, m'ont accueilli et ouvert les portes de l'existence vraie, dans ce parc sans limites appelé le ciel. Mes impressions, vous ne pouvez les comprendre, et je ne saurais les exprimer ; j'essayerai de vous les communiquer une autre fois.
4. Au reçu de la lettre de Madame V…, je lui ai adressé une prière de circonstance. Veuillez me dire ce que vous en pensez ?
R. Merci de votre bienveillance, monsieur Kardec ; vous ne pouviez mieux faire. Ceux qui pleurent les absents ont besoin de l'Esprit de Dieu, mais aussi de l'appui d'autres Esprits bienveillants, et les Esprits doivent l'être. Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules qui sont les témoins invisibles de vos séances (cette prière avait été lue à la Société à la suite de l'évocation) ; vos bonnes paroles serviront à leur avancement. Vous rendez souvent à notre monde le bien que vous en recevez. Ne point dédaigner le conseil d'un plus petit que soi, c'est reconnaître ce lien intime créé par Dieu entre toutes les créatures.
5. Je voulais vous prier de me donner une communication pour Madame V…, mais je vois que vous avez devancé ma pensée.
R. A votre première demande j'ai répondu à ma femme quand j'aurais du répondre à la Société spirite ; veuillez me le pardonner, car je remplissais une promesse. Je sais que, par la persuasion, vous amenez à vous ceux qui demandent à être consolés ; causer avec les absents d'un autre monde sera le plus grand bonheur de ceux qui ne sacrifient pas tout à l'or et à la jouissance. Dites, je vous prie, à ma femme que ma présence ne lui manquera jamais. Nous travaillerons ensemble à son avancement spirite. Envoyez-lui ma communication ; je voudrais lui dire tant de bonnes paroles que les expressions me manquent ; qu'elle aime toujours notre famille, afin que, par son exemple, celle-ci puisse devenir Spirite et croire à la vie éternelle, qui est la vie de Dieu.
Viennois.
Nous croyons devoir publier la prière dont il a été parlé ci-dessus, et qui nous a été donnée par les Esprits pour les circonstances analogues.
Préface. ‑ Qu'elle est affreuse l'idée du néant ! qu'ils sont à plaindre
ceux qui croient que la voix de l'ami qui pleure son ami se perd dans le vide
et ne trouve aucun écho pour lui répondre ! Ils n'ont jamais connu les
pures et saintes affections, ceux qui pensent que tout meurt avec le
corps ; que le génie qui a éclairé le monde de sa vaste intelligence est
un jeu de la matière qui s'éteint à tout jamais comme un souffle ; que de
l'être le plus cher, d'un père, d'une mère ou d'un enfant adorés, il ne reste
qu'un peu de poussière que le temps dissipe sans retour !
Comment un homme de cœur peut-il rester froid à cette pensée ? Comment l'idée d'un anéantissement absolu ne le glace-t-elle pas d'effroi, et ne lui fait-elle pas au moins désirer qu'il n'en soit pas ainsi ? Si jusqu'à ce jour sa raison n'a pas suffi pour lever ses doutes, voilà que le Spiritisme vient dissiper toute incertitude sur l'avenir par les preuves matérielles qu'il donne de la survivance de l'âme et de l'existence des êtres d'outre-tombe ; aussi partout ces preuves sont-elles accueillies avec joie ; la confiance renaît, car l'homme sait désormais que la vie terrestre n'est qu'un court passage qui conduit à une vie meilleure ; que ses travaux d'ici-bas ne sont pas perdus pour lui, et que les plus saintes affections ne sont pas brisées sans espoir.
Prière. ‑ Dieu tout-puissant, daignez accueillir favorablement la prière que je vous adresse pour l'Esprit de N…, faites-lui entrevoir vos divines clartés et rendez-lui facile le chemin de la félicité éternelle. Permettez que les bons Esprits lui portent mes paroles et ma pensée.
Toi qui m'étais cher en ce monde, entends ma voix qui t'appelle pour te donner un nouveau gage de mon affection. Dieu a voulu que tu fusses délivré le premier ; je ne saurais m'en plaindre sans égoïsme, car ce serait regretter pour toi les peines et les souffrances de la vie. J'attends donc avec résignation le moment de notre réunion dans le monde plus heureux où tu m'as précédé.
Je sais que notre séparation n'est que momentanée, et que, si longue quelle puisse me paraître, la durée s'efface devant l'éternité de bonheur que Dieu promet à ses élus. Que sa bonté me préserve de rien faire qui puisse retarder cet instant désiré, et qu'il m'épargne ainsi la douleur de ne pas te retrouver au sortir de ma captivité terrestre.
Oh ! qu'elle est douce et consolante la certitude qu'il n'y a entre nous qu'un voile matériel qui te dérobe à ma vue ! que tu peux être là à mes côtés, me voir et m'entendre comme autrefois, et mieux encore qu'autrefois ; que tu ne m'oublies pas plus que je ne t'oublie moi-même ; que nos pensées ne cessent pas de se confondre, et que la tienne me suit et me soutient toujours !
Comment un homme de cœur peut-il rester froid à cette pensée ? Comment l'idée d'un anéantissement absolu ne le glace-t-elle pas d'effroi, et ne lui fait-elle pas au moins désirer qu'il n'en soit pas ainsi ? Si jusqu'à ce jour sa raison n'a pas suffi pour lever ses doutes, voilà que le Spiritisme vient dissiper toute incertitude sur l'avenir par les preuves matérielles qu'il donne de la survivance de l'âme et de l'existence des êtres d'outre-tombe ; aussi partout ces preuves sont-elles accueillies avec joie ; la confiance renaît, car l'homme sait désormais que la vie terrestre n'est qu'un court passage qui conduit à une vie meilleure ; que ses travaux d'ici-bas ne sont pas perdus pour lui, et que les plus saintes affections ne sont pas brisées sans espoir.
Prière. ‑ Dieu tout-puissant, daignez accueillir favorablement la prière que je vous adresse pour l'Esprit de N…, faites-lui entrevoir vos divines clartés et rendez-lui facile le chemin de la félicité éternelle. Permettez que les bons Esprits lui portent mes paroles et ma pensée.
Toi qui m'étais cher en ce monde, entends ma voix qui t'appelle pour te donner un nouveau gage de mon affection. Dieu a voulu que tu fusses délivré le premier ; je ne saurais m'en plaindre sans égoïsme, car ce serait regretter pour toi les peines et les souffrances de la vie. J'attends donc avec résignation le moment de notre réunion dans le monde plus heureux où tu m'as précédé.
Je sais que notre séparation n'est que momentanée, et que, si longue quelle puisse me paraître, la durée s'efface devant l'éternité de bonheur que Dieu promet à ses élus. Que sa bonté me préserve de rien faire qui puisse retarder cet instant désiré, et qu'il m'épargne ainsi la douleur de ne pas te retrouver au sortir de ma captivité terrestre.
Oh ! qu'elle est douce et consolante la certitude qu'il n'y a entre nous qu'un voile matériel qui te dérobe à ma vue ! que tu peux être là à mes côtés, me voir et m'entendre comme autrefois, et mieux encore qu'autrefois ; que tu ne m'oublies pas plus que je ne t'oublie moi-même ; que nos pensées ne cessent pas de se confondre, et que la tienne me suit et me soutient toujours !
Histoire d'un baudet
Dans un sermon prêché dernièrement contre le Spiritisme, car le mot d'ordre est donné sur toute la ligne de lui courir sus, ainsi que sur ses partisans, l'orateur, voulant lui porter un coup de massue, raconta l'anecdote suivante :
« Il y trois semaines, une dame perd son mari. Un médium se présente pour lui proposer une conversation avec le défunt, et peut-être jouira-t-elle de sa vue. La vision n'a pas lieu, mais le défunt explique à sa femme, par la main du médium, qu'il n'a pas été jugé digne d'entrer dans le séjour des bienheureux, et qu'il s'est vu obligé de se réincarner immédiatement, pour expier de gros péchés. Devinez où ? A un kilomètre de là, chez un meunier, et dans la personne d'un baudet roué de coups. Jugez de la douleur de la pauvre dame, qui court chez le meunier, embrasse l'humble animal et propose son achat. Le meunier fut dur en l'affaire, mais enfin il céda contre un gros sac, et maître Aliboron occupe depuis quinze jours un appartement particulier chez la dame, entouré de plus de soins que jamais son pareil en ait éprouvés depuis qu'il plut à Dieu de créer cette race estimable. »
Nous doutons que l'auditoire ait été bien convaincu par cette historiette ; mais, ce que nous tenons de témoins auriculaires, c'est que la majeure partie a trouvé qu'elle serait mieux à sa place dans un feuilleton facétieux que dans la chaire, pour le fond et pour le choix des expressions. L'orateur ignorait sans doute que le Spiritisme enseigne sans équivoque, que l'âme ou Esprit ne peut animer le corps d'un animal. (Livre des Esprits, n°s 118, 612 et 613.)
Ce qui nous étonne plus encore, c'est le ridicule jeté sur la douleur en général, à l'aide d'un conte fait à plaisir et dans des termes qui ne brillent pas par la dignité. C'est, en outre, de voir un prêtre traiter aussi cavalièrement l'œuvre de Dieu par ces mots peu révérencieux : « Depuis qu'il plut à Dieu de créer cette race estimable. » Le sujet est d'autant plus mal choisi pour faire de l'esprit, qu'on pourrait objecter que tout est respectable dans les œuvres de Dieu, et que Jésus ne se crut pas déshonoré d'entrer à Jérusalem monté sur un des individus de cette race.
Qu'on mette en parallèle le burlesque tableau de la douleur de cette prétendue veuve avec celui de la veuve véritable dont nous avons donné ci-dessus le récit, et qu'on dise celui des deux qui est le plus édifiant, le plus empreint d'un véritable sentiment religieux et de respect pour la Divinité ; celui enfin qui serait mieux placé dans la chaire de vérité.
Admettons le fait que vous racontez, monsieur le prédicateur, c'est-à-dire non pas l'incarnation dans un âne, mais la crédulité de la veuve à cette incarnation, comme châtiment, que lui auriez-vous donné en place ? Les flammes éternelles de l'enfer, perspective encore moins consolante, car cette femme veuve eût sans doute répondu : « J'aime encore mieux savoir mon mari dans le corps d'un âne que brûlé pendant l'éternité. » Supposez maintenant qu'elle eût eu à choisir entre votre tableau de tortures sans fin et celui que nous donne plus haut l'Esprit de M. Viennois, croyez-vous qu'elle eût hésité ? Consciencieusement vous ne le pensez pas, car, pour votre propre compte, vous ne balanceriez pas.
Un de nos correspondants nous écrit d'une ville du Midi :
« Je viens aujourd'hui vous fournir une nouvelle preuve que la croisade dont je vous ai parlé se traduit sous mille formes. J'assistais hier à une réunion où l'on discutait chaudement pour et contre le Spiritisme. Un des assistants avança le fait suivant : « Les expériences de M. Allan Kardec ne sont pas meilleures que celles dont nous parlions tout à l'heure. M. Kardec se garde bien de raconter dans sa Revue toutes les mystifications et les tribulations qu'il essuie. Savez-vous, par exemple, que l'année dernière, au mois de septembre, dans une réunion d'environ trente personnes qui eut lieu chez ce même M. Kardec, tous les assistants furent rossés à coups de bâton par les Esprits. J'étais à Paris à cette époque, et je tiens ce détail d'une personne qui venait d'assister à cette réunion et qui me montra sur son épaule la place meurtrie par un coup violent qu'elle avait reçu. Je n'ai pas vu le bâton, me dit-elle, mais j'ai senti le coup. Je n'ai pas besoin de vous dire que je tiens à être éclairé sur ce point, et que je vous serai très reconnaissant des explications que vous aurez la bonté de me donner, etc. »
Nous n'aurions pas entretenu nos lecteurs d'un fait aussi insignifiant, s'il ne nous avait fourni le sujet d'une instruction qui peut avoir son utilité en ce moment, car nous n'en finirions pas, s'il nous fallait relever tous les contes absurdes que l'on débite.
Réponse. ‑ Mon cher monsieur, le fait dont vous me parlez est dans les choses possibles, et il y en a plus d'un exemple ; dire qu'il s'en est passé un chez moi, c'est donc reconnaître explicitement la manifestation des Esprits ; toutefois, la forme du récit dénote une intention dont je ne puis savoir beaucoup de gré à l'auteur ; ce peut être un croyant, mais assurément il n'est pas bienveillant et oublie la base de la morale spirite : la charité. Si le fait rapporté avait eu lieu, ainsi que le prétend la personne si bien informée, je n'aurais eu garde de le passer sous silence, car ce serait un fait capital qu'on ne pourrait révoquer en doute, puisqu'il aurait eu, comme on le dit, trente témoins emportant sur leurs épaules la preuve de l'existence des Esprits. Malheureusement pour votre narrateur, il n'y a pas un mot de vrai dans ce récit ; je lui donne donc un démenti formel, ainsi qu'à celui qui affirme avoir assisté à la séance, et les mets l'un et l'autre au défi de venir soutenir leur assertion devant la Société de Paris, comme ils le font à deux cents lieues.
Les faiseurs de contes ne pensent pas à tout et se prennent à leur propre piège ; c'est ce qui a lieu dans cette circonstance, car il y a, pour le fait si positivement affirmé par un témoin soi-disant oculaire, une impossibilité matérielle, c'est que la société suspend ses séances du 15 août au 1er octobre ; que, parti de Paris à la fin du mois d'août, je ne suis rentré que le 20 octobre ; que, par conséquent, dans le mois de septembre j'étais en plein voyage ; c'est donc, comme vous le voyez, un alibi des plus authentiques.
Si donc la personne en question portait sur ses épaules la marque des coups du bâton, puisqu'il n'y a point eu de réunion chez moi, c'est qu'elle les a reçus autre part, et que, ne voulant pas dire où ni comment, elle a trouvé plaisant d'en accuser les Esprits, ce qui était moins compromettant et coupait court à toute explication.
Vous faites en vérité trop d'honneur, mon cher monsieur, à ce petit conte ridicule, de le ranger parmi les actes de croisade contre le Spiritisme ; il y en a tant de cette nature qu'il faudrait n'avoir rien autre chose à faire pour se donner la peine de les relever. L'hostilité se traduit par des actes plus sérieux, et qui pourtant ne sont pas plus inquiétants. Vous prenez les diatribes de nos adversaires trop à cœur ; songez donc que plus ils se démènent pour combattre le Spiritisme, plus ils prouvent son importance ; si ce n'était qu'un mythe ou un rêve creux, ils ne s'en inquièteraient pas autant ; ce qui les rend si furieux et si acharnés contre lui, c'est de le voir avancer contre vent et marée, et de sentir se rétrécir de plus en plus le cercle dans lequel ils se meuvent.
Laissez donc les mauvais plaisants inventer des contes à dormir debout, et d'autres jeter le venin de la calomnie, car de pareils moyens sont la preuve de leur impuissance à l'attaquer par de bonnes raisons. Le Spiritisme n'a rien à en redouter, au contraire ; ce sont les ombres qui en font ressortir l'éclat ; les menteurs en sont pour leurs frais d'invention, et les calomniateurs pour la honte qui en rejaillit sur eux. Le Spiritisme a le sort de toutes les vérités nouvelles qui soulèvent les passions des gens dont elles peuvent froisser les idées ou les intérêts ; or, voyez si toutes les grandes vérités qui ont été combattues avec le plus d'acharnement n'ont pas surmonté tous les obstacles qu'on leur a opposés, si une seule a succombé sous les attaques de ses ennemis ; les idées nouvelles qui n'ont brillé que d'un éclat passager sont tombées par elles-mêmes, et parce qu'elles n'avaient pas en elles la vitalité que donne seule la vérité ; ce sont celles qui ont été le moins attaquées, tandis que celles qui ont prévalu l'ont été avec plus de violence.
Ne pensez pas que la guerre dirigée contre le Spiritisme soit arrivée à son apogée ; non, et il faut encore que certaines choses s'accomplissent pour dessiller les yeux des plus aveugles. Je ne puis ni ne dois en dire davantage pour le moment, car je ne dois pas entraver la marche nécessaire des événements ; mais je vous dis en attendant : Quand vous entendrez des déclamations furibondes, quand vous verrez des actes d'hostilité matériels, de quelque part qu'ils viennent, loin de vous en émouvoir, applaudissez-y d'autant plus qu'ils pourront avoir plus de retentissement, c'est un des signes annoncés du prochain triomphe. Quant aux vrais Spirites, ils doivent se distinguer par la modération, et laisser à leurs antagonistes le triste privilège des injures et des personnalités qui ne prouvent rien, sinon un manque de savoir-vivre d'abord, et la pénurie de bonnes raisons ensuite.
Quelques mots encore, je vous prie, pour profiter de l'occasion, sur la conduite à tenir à l'égard des adversaires. Autant il est du devoir de tout bon Spirite d'éclairer ceux qui, de bonne foi, cherchent à l'être, autant il est inutile de discuter avec des antagonistes de mauvaise foi ou de parti pris, qui souvent même sont plus convaincus qu'ils ne le paraissent, mais ne veulent pas l'avouer ; avec ceux-ci toute polémique est oiseuse, parce qu'elle est sans but et ne peut avoir pour résultat de leur faire changer d'opinion. Assez de gens de bonne volonté nous réclament, pour ne pas perdre notre temps avec les autres.
Telle est la ligne de conduite que j'ai de tout temps conseillée, et telle est celle que j'ai invariablement suivie moi-même, m'étant toujours abstenu de céder aux provocations qui m'ont été faites de descendre dans l'arène de la controverse. Si parfois je relève certaines attaques et certaines assertions erronées, c'est pour montrer que ce n'est pas la possibilité de répondre qui manque, et donner aux Spirites des moyens de réfutation au besoin. Il en est d'ailleurs que je réserve pour plus tard ; n'ayant aucune impatience, j'observe tout avec calme et sang-froid ; j'attends avec confiance que le moment opportun soit venu, car je sais qu'il viendra, laissant les adversaires s'engager dans une voie sans issue pour eux. La mesure de leurs agressions n'est pas comblée, et il faut qu'elle le soit ; le présent prépare l'avenir. Il n'est jusqu'ici aucune objection sérieuse qui ne se trouve réfutée dans mes écrits ; je ne puis donc qu'y renvoyer pour ne pas me répéter sans cesse avec tous ceux à qui il plaît de parler de ce dont ils ne savent pas le premier mot. Toute discussion devient superflue avec des gens qui n'ont pas lu, ou, s'ils l'ont fait, prennent, de dessein prémédité, le contre-pied de ce qui est dit.
Les questions de personnes s'effacent devant la grandeur du but et l'ensemble du mouvement irrésistible qui s'opère dans les idées ; peu importe donc que tel ou tel soit contre le Spiritisme, quand on sait qu'il n'est au pouvoir de qui que ce soit d'empêcher les faits de s'accomplir ; c'est ce que l'expérience confirme chaque jour.
Je dis donc à tous les Spirites : continuez à semer l'idée ; répandez-la par la douceur et la persuasion, et laissez à nos antagonistes le monopole de la violence et de l'acrimonie auxquelles on n'a recours que lorsqu'on ne se sent pas assez fort par le raisonnement.
Votre tout dévoué,
A. K.
Beaucoup de communications nous ont été adressées de différents groupes, soit pour nous demander notre avis et nous mettre à même de juger de leurs tendances, soit, de la part de quelques-uns, avec l'espoir de les voir paraître dans la Revue ; toutes nous ont été remises avec faculté d'en disposer comme nous l'entendrions pour le bien la chose. Nous en avons fait l'examen et la classification, et l'on s'étonnera pas de l'impossibilité où nous avons été de les insérer toutes, quand on saura qu'outre celles que nous avons publiées il y en a plus de trois mille six cents qui, à elles seules, auraient absorbé cinq années complètes de la Revue, sans compter un certain nombre de manuscrits plus ou moins volumineux dont nous parlerons tout à l'heure. Le compte rendu de cet examen nous fournira le sujet de quelques réflexions dont chacun pourra faire son profit.
Dans le nombre, nous en avons trouvé de notoirement mauvaises pour le fond et pour la forme, produits évidents d'Esprits ignorants, obsesseurs ou mystificateurs, et qui jurent avec les noms plus ou moins pompeux dont elles sont revêtues ; les publier, c'eût été donner des armes fondées à la critique. Une circonstance digne de remarque, c'est que la presque totalité des communications de cette catégorie émane d'individus isolés et non de groupes. La fascination pouvait seule les faire prendre au sérieux et empêcher d'en voir le côté ridicule. L'isolement, comme on le sait, favorise la fascination, tandis que les réunions trouvent un contrôle dans la pluralité des avis.
Toutefois, nous reconnaissons avec plaisir que les communications de cette nature forment, dans la masse, une petite minorité ; la plupart des autres renferment de bonnes pensées et d'excellents conseils, mais, il ne s'ensuit pas qu'elles soient toutes bonnes à être publiées, et cela par les motifs que nous allons exposer.
Les bons Esprits enseignent à peu près la même chose partout, parce que partout il y a les mêmes vices à réformer et les même vertus à prêcher ; c'est là un des caractères distinctifs du Spiritisme ; la différence n'est souvent que dans le plus ou le moins de correction et d'élégance du style. Pour apprécier les communications, eu égard à la publicité, il ne faut pas les voir à son point de vue, mais à celui du public. Nous concevons la satisfaction qu'on éprouve à obtenir quelque chose de bon, surtout en commençant, mais, outre que certaines personnes peuvent se faire illusion sur le mérite intrinsèque, on ne songe pas qu'en cent autres endroits on obtient des choses pareilles, et que ce qui est d'un puissant intérêt individuel peut être de la banalité pour la masse.
Il faut considérer, en outre, que depuis quelque temps les communications ont acquis sous tous les rapports des proportions et des qualités qui laissent bien loin en arrière celles qu'on obtenait il y a quelques années ; ce qu'on admirait alors paraît pâle et mesquin auprès de ce qu'on obtient aujourd'hui. Dans la plupart des centres vraiment sérieux, l'enseignement des Esprits a grandi avec l'intelligence du Spiritisme. Puisque partout on reçoit des instructions à peu près identiques, leur publication ne peut intéresser qu'à la condition de présenter des qualités saillantes comme forme ou comme portée instructive, ce serait donc se faire illusion de croire que tout recueil doit trouver des lecteurs nombreux et enthousiastes. Jadis le plus petit entretien spirite était une nouveauté qui attirait l'attention ; aujourd'hui que les Spirites et les médiums ne se comptent plus, ce qui était une rareté est un fait presque banal passé en habitude, et qui a été distancé par l'ampleur et la portée des communications actuelles, comme les devoirs de l'écolier le sont par le travail de l'adulte.
Nous avons sous les yeux la collection d'un journal publié dans le principe des manifestations sous le titre de la Table parlante, titre caractéristique de l'époque ; ce journal a eu, dit-on, de quinze à dix-huit cents abonnés, chiffre énorme pour le temps ; il contenait une multitude de petites conversations familières et de faits médianimiques qui avaient alors un puissant attrait de curiosité. Nous y avons inutilement cherché quelque chose à reproduire dans notre Revue ; tout ce que nous y aurions puisé serait aujourd'hui puéril et sans intérêt. Si ce journal n'eût pas cessé de paraître, par des circonstances indépendantes du sujet, il n'aurait pu vivre qu'à la condition de se mettre au niveau du progrès de la science, et, s'il reparaissait maintenant dans les mêmes conditions, il n'aurait pas cinquante abonnés. Les Spirites sont immensément plus nombreux qu'alors, c'est vrai ; mais ils sont plus éclairés et veulent un enseignement plus substantiel.
Si les communications n'émanaient que d'un seul centre, nul doute que les lecteurs se multiplieraient en raison du nombre des adeptes ; mais il ne faut pas perdre de vue que les foyers qui les produisent se comptent par milliers, et que partout où l'on obtient des choses supérieures, on ne peut s'intéresser à ce qui est faible ou médiocre.
Ce que nous disons n'est pas pour décourager de faire des publications, loin de là, mais pour montrer la nécessité d'un choix rigoureux, condition sine qua non de succès ; les Esprits en élevant leur enseignement nous ont rendus difficiles et même exigeants. Les publications locales peuvent avoir une immense utilité sous un double rapport, celui de répandre dans les masses l'enseignement donné dans l'intimité, puis celui de montrer la concordance qui existe dans cet enseignement sur différents points ; nous y applaudirons toujours, et nous les encouragerons toutes les fois qu'elles seront faites dans de bonnes conditions.
Il convient d'abord d'en écarter tout ce qui, étant d'un intérêt privé, n'intéresse que celui que cela concerne ; puis, tout ce qui est vulgaire pour le style et les pensées, ou puéril par le sujet ; une chose peut être excellente en elle-même, très bonne pour en faire son instruction personnelle, mais ce qui doit être livré au public exige des conditions spéciales ; malheureusement l'homme est enclin à se figurer que tout ce qui lui plaît doit plaire aux autres ; le plus habile peut se tromper, le tout est de se tromper le moins possible. Il est des Esprits qui se plaisent à entretenir cette illusion chez certains médiums ; c'est pourquoi nous ne saurions trop recommander à ces derniers de ne point s'en rapporter à leur propre jugement, et c'est en cela que les groupes sont utiles, par la multiplicité des avis qu'ils permettent de recueillir ; celui qui, dans ce cas, récuserait l'opinion de la majorité, se croyant plus de lumières que tous, prouverait surabondamment la mauvaise influence sous laquelle il se trouve.
Faisant application de ces principes d'éclectisme aux communications qui nous sont adressées, nous dirons que, sur trois mille six cents, il y en a plus de trois mille d'une moralité irréprochable et excellentes comme fond, mais que sur ce nombre il n'y en a pas trois cents pour la publicité, et à peine cent d'un mérite hors ligne. Ces communications nous étant venues d'un grand nombre de points différents, nous en inférons que cette proportion doit être à peu près générale. On peut juger par là de la nécessité de ne pas publier inconsidérément tout ce qui vient des Esprits, si l'on veut atteindre le but qu'on se propose, aussi bien sous le rapport matériel que sous celui de l'effet moral et de l'opinion que les indifférents peuvent se faire du Spiritisme.
Il nous reste à dire quelques mots des manuscrits ou travaux de longue haleine qui nous sont adressés, parmi lesquels, sur trente nous n'en trouvons guère que cinq ou six ayant une valeur réelle. Dans le monde invisible comme sur terre les écrivains ne manquent pas, mais les bons écrivains sont rares ; tel Esprit est apte à dicter une bonne communication isolée, à donner un excellent conseil privé, qui est incapable de produire un travail d'ensemble complet pouvant supporter l'examen, quelles que soient d'ailleurs ses prétentions, et le nom dont il lui plaît de s'affubler n'est pas une garantie ; plus ce nom est élevé, plus il oblige ; or, il est plus aisé de prendre un nom que de le justifier ; c'est pourquoi, à côté de quelques bonnes pensées, on trouve souvent les idées les plus excentriques et les traces les moins équivoques de la plus profonde ignorance. Ces dans ces sortes de travaux médianimiques que nous avons remarqué le plus de signes d'obsession, dont un des plus fréquents est l'injonction de la part de l'Esprit de les faire imprimer, et plus d'un pense à tort que cette recommandation suffit pour trouver un éditeur empressé de s'en charger.
C'est en pareil cas surtout qu'un examen scrupuleux est nécessaire, si l'on ne veut s'exposer à faire une école à ses dépens ; c'est de plus le meilleur moyen d'écarter les Esprits présomptueux et faux savants qui se retirent forcément quand ils ne trouvent pas des instruments dociles à qui ils puissent faire accepter leurs paroles comme des articles de foi. L'immixtion de ces Esprits dans les communications est, c'est un fait connu, le plus grand écueil du Spiritisme. On ne saurait donc s'entourer de trop de précautions pour éviter les publications regrettables ; mieux vaut, en pareil cas, pécher par excès de prudence, dans l'intérêt de la cause.
En résumé, en publiant des communications dignes d'intérêt on fait une chose utile ; en publiant celles qui sont faibles, insignifiantes ou mauvaises, on fait plus de mal que de bien. Une considération non moins importante est celle de l'opportunité ; il en est dont la publication serait intempestive, et par cela même nuisible : chaque chose doit venir en son temps ; plusieurs de celles qui nous sont adressées sont dans ce cas, et quoique très bonnes doivent être ajournées ; quant aux autres, elles trouveront leur place selon les circonstances et leur objet.
Les Esprits incrédules et matérialistes
Société spirite de Paris, 27 mars 1863.
Demande. – Dans l'évocation de M. Viennois faite dans la dernière séance on trouve cette phrase : « Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules. » Comment des Esprits peuvent-ils être incrédules ? Le milieu où ils se trouvent n'est-il pas pour eux la négation de l'incrédulité ?
Nous prions les Esprits qui voudront bien se communiquer de traiter cette question, s'ils le jugent à propos.
Réponse (médium, M. d'Ambel). – L'explication que vous me demandez n'est-elle pas écrite tout au long dans vos ouvrages ? Vous me demandez pourquoi les Esprits incrédules ont été émus ? Mais n'avez-vous pas dit vous-même que les Esprits qui se trouvaient dans l'erraticité y étaient entrés avec leurs aptitudes, leurs connaissances et leur manière de voir passées ? Mon Dieu ! je suis encore bien novice pour résoudre à votre satisfaction les questions épineuses de doctrine ; je puis néanmoins par expérience, pour ainsi dire fraîchement acquise, répondre aux questions de faits. On croit généralement, dans le monde que vous habitez, que la mort vient tout à coup modifier les opinions de ceux qui s'en vont, et que le bandeau de l'incrédulité est violemment arraché à ceux qui niaient Dieu sur la terre : là est l'erreur, car la punition commence justement, pour ceux-là, en demeurant dans la même incertitude relativement au Maître de toutes choses, et à conserver leur doute de la terre. Non, croyez-moi, la vue obscurcie de l'intelligence humaine n'aperçoit pas instantanément la lumière ; on procède dans l'erraticité avec au moins autant de prudence que sur la terre, et l'on ne projette pas les rayons de la lumière électrique sur les yeux de ceux qui sont malades de la vue afin de les guérir.
Le passage de la vie terrestre à la vie spirituelle offre, cela est certain, une période de confusion et de trouble pour la plupart de ceux qui se désincarnent ; mais il en est quelques-uns, de leur vivant déjà détachés des biens de la terre, qui accomplissent cette transition aussi facilement qu'une colombe qui s'élève dans l'air. Il est facile de vous rendre compte de cette différence en examinant les habitudes des voyageurs qui s'embarquent pour traverser les océans ; pour quelques-uns le voyage est une partie de plaisir, pour le plus grand nombre c'est une souffrance vulgaire, mais accablante, qui durera jusqu'au moment du débarquement. Eh bien ! il en est pour ainsi dire de même pour voyager de la terre au monde des Esprits. Quelques-uns se dégagent rapidement, sans souffrance et sans trouble, tandis que d'autres sont soumis au mal de la traversée éthéréenne ; mais il arrive ceci : c'est que de même que les voyageurs qui touchent terre au sortir du vaisseau retrouvent leur aplomb et leur santé, de même l'Esprit qui a franchi tous les obstacles de la mort finit par se trouver, comme à son point de départ, avec la conscience nette et claire de son individualité.
Il est donc certain, mon cher monsieur Kardec, que les incrédules et les matérialistes absolus conservent leur opinion par delà la tombe jusqu'à l'heure où la raison ou la grâce aura réveillé dans leur cœur la pensée vraie qui s'y trouve enfouie. De là cette diffusion d'idées dans les manifestations et cette divergence dans les communications des Esprits d'outre-tombe ; de là quelques dictées encore entachées d'athéisme ou de panthéisme.
Permettez-moi, en finissant, de revenir à des questions qui me sont personnelles. Je vous remercie de m'avoir fait évoquer ; cela m'a aidé à me reconnaître ; je vous remercie aussi des consolations que vous avez adressées à ma femme, et je vous prie de lui continuer vos bonnes exhortations, afin de la soutenir dans les épreuves qui l'attendent. Quant à moi, je serai toujours près d'elle et l'inspirerai.
Viennois.
Demande. – On comprend l'incrédulité chez certains Esprits, mais on ne comprendrait pas le matérialisme, puisque leur état est une protestation contre le règne absolu de la matière et le néant après la mort.
Réponse (médium, M. d'Ambel). – Un mot seulement : tous les corps solides ou fluidiques appartiennent à la substance matérielle ; ceci est bien démontré. Or, ceux qui de leur vivant n'admettaient qu'un principe dans la nature, la matière, n'aperçoivent souvent encore après leur mort que ce principe unique, absolu. Si vous réfléchissez aux pensées qui les dominèrent toute leur vie, vous les trouverez certes, encore aujourd'hui, sous l'entière subjugation de ces mêmes pensées. Jadis, ils se considéraient comme des corps solides ; aujourd'hui ils se regardent comme des corps fluidiques, voilà tout. Remarquez bien, je vous prie, qu'ils s'aperçoivent sous une forme nettement circonscrite, toute vaporeuse qu'elle est, et identique à celle qu'ils avaient sur terre à l'état solide ou humain. De telle sorte qu'ils ne voient dans leur nouvel état qu'une transformation de leur être à laquelle ils n'avaient pas songé ; mais ils restent convaincus que c'est un acheminement vers la fin à laquelle ils arriveront, quand ils seront suffisamment dégagés, pour s'effacer dans le grand tout universel. Il n'y a rien de si opiniâtre qu'un savant, et ils persistent à penser que cette fin, pour être retardée, n'en est pas moins inévitable.
Une des conditions de leur aveuglement moral est de les enserrer plus violemment dans les liens de la matérialité et conséquemment de les empêcher de s'éloigner des régions terrestres ou similaires à la terre ; et de même que la très grande majorité des incarnés emprisonnés dans la chair ne peuvent apercevoir les formes vaporeuses des Esprits qui les environnent, de même l'opacité de l'enveloppe des matérialistes leur interdit de contempler les entités spirituelles qui se meuvent si belles et si rayonnantes dans les hautes sphères de l'empire céleste.
Eraste.
Autre (médium, M. A. Didier). – Le doute est la cause des peines et bien souvent des fautes de ce monde ; la connaissance, au contraire, du Spiritualisme cause les peines et les fautes des Esprits.
Où serait le châtiment si les Esprits ne connaissaient pas leurs erreurs par la conséquence qui est la réalité pénitencière de l'autre vie ? Où serait leur châtiment si leur cœur et leur âme ne sentaient pas toute l'erreur du scepticisme terrestre et le néant de la matière ? L'Esprit voit l'Esprit comme la chair voit la chair ; l'erreur de l'Esprit n'est pas l'erreur de la chair et l'homme matérialiste qui a douté ici-bas ne doute plus là-haut.
Le supplice des matérialistes est de regretter les joies et les satisfactions terrestres, eux qui ne peuvent encore ni comprendre ni sentir les joies et les perfections de l'âme ; et voyez l'abaissement moral de ces Esprits qui vivent complètement dans la stérilité morale et physique, de regretter ces biens qui ont fait momentanément leur joie et qui font actuellement leur supplice.
Maintenant, il est vrai que sans être matérialiste par l'assouvissement de ses passions terrestres, on peut l'être plus dans les idées et dans l'esprit que dans les actes de la vie. C'est ce qu'on appelle les libres penseurs et ceux qui n'osent approfondir les causes de leur existence. Ceux-là, dans l'autre monde sont punis de même ; ils nagent dans la vérité, mais ils n'en sont pas pénétrés ; leur orgueil abaissé les fait souffrir, et ils regrettent ces jours terrestres où, du moins, ils avaient la liberté de douter.
Lamennais.
Remarque. – Cette appréciation semble au premier abord en contradiction avec celle d'Eraste ; celui-ci admet que certains Esprits peuvent conserver les idées matérialistes, tandis que Lamennais pense que ces idées ne sont que le regret des jouissances matérielles, mais que ces Esprits sont parfaitement éclairés sur leur état spirituel. Les faits semblent venir à l'appui de l'opinion d'Eraste ; puisque nous voyons des Esprits qui, longtemps même après leur mort, se croient encore vivants, vaquent ou croient vaquer à leurs occupations terrestres, c'est donc qu'ils se font complètement illusion sur leur position et ne se rendent aucun compte de leur état spirituel. Dès lors qu'ils ne croient pas être morts, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils eussent conservé l'idée du néant après la mort qui pour eux n'est pas encore venue. C'est sans doute dans ce sens qu'a voulu parler Eraste.
Réponse. – Ils ont évidemment l'idée du néant, mais ce n'est qu'une affaire de temps. Il arrive un moment où là-haut le voile se déchire, et où les idées matérialistes sont inacceptables. La réponse d'Eraste porte sur des faits particuliers et momentanés ; je ne parlais, moi, que des faits généraux et définitifs.
Lamennais.
Remarque. – La divergence n'était qu'apparente et ne provenait que du point de vue sous lequel chacun envisageait la question. Il est bien évident qu'un Esprit ne peut rester perpétuellement matérialiste ; on demandait simplement si cette idée était nécessairement détruite aussitôt après la mort ; or, les deux Esprits sont d'accord sur ce point, et se prononcent pour la négative. Ajoutons que la persistance du doute sur l'avenir est un châtiment pour l'Esprit incrédule ; c'est pour lui une torture d'autant plus poignante qu'il n'a pas les préoccupations terrestres pour y faire diversion.
Société spirite de Paris, 27 mars 1863.
Demande. – Dans l'évocation de M. Viennois faite dans la dernière séance on trouve cette phrase : « Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules. » Comment des Esprits peuvent-ils être incrédules ? Le milieu où ils se trouvent n'est-il pas pour eux la négation de l'incrédulité ?
Nous prions les Esprits qui voudront bien se communiquer de traiter cette question, s'ils le jugent à propos.
Réponse (médium, M. d'Ambel). – L'explication que vous me demandez n'est-elle pas écrite tout au long dans vos ouvrages ? Vous me demandez pourquoi les Esprits incrédules ont été émus ? Mais n'avez-vous pas dit vous-même que les Esprits qui se trouvaient dans l'erraticité y étaient entrés avec leurs aptitudes, leurs connaissances et leur manière de voir passées ? Mon Dieu ! je suis encore bien novice pour résoudre à votre satisfaction les questions épineuses de doctrine ; je puis néanmoins par expérience, pour ainsi dire fraîchement acquise, répondre aux questions de faits. On croit généralement, dans le monde que vous habitez, que la mort vient tout à coup modifier les opinions de ceux qui s'en vont, et que le bandeau de l'incrédulité est violemment arraché à ceux qui niaient Dieu sur la terre : là est l'erreur, car la punition commence justement, pour ceux-là, en demeurant dans la même incertitude relativement au Maître de toutes choses, et à conserver leur doute de la terre. Non, croyez-moi, la vue obscurcie de l'intelligence humaine n'aperçoit pas instantanément la lumière ; on procède dans l'erraticité avec au moins autant de prudence que sur la terre, et l'on ne projette pas les rayons de la lumière électrique sur les yeux de ceux qui sont malades de la vue afin de les guérir.
Le passage de la vie terrestre à la vie spirituelle offre, cela est certain, une période de confusion et de trouble pour la plupart de ceux qui se désincarnent ; mais il en est quelques-uns, de leur vivant déjà détachés des biens de la terre, qui accomplissent cette transition aussi facilement qu'une colombe qui s'élève dans l'air. Il est facile de vous rendre compte de cette différence en examinant les habitudes des voyageurs qui s'embarquent pour traverser les océans ; pour quelques-uns le voyage est une partie de plaisir, pour le plus grand nombre c'est une souffrance vulgaire, mais accablante, qui durera jusqu'au moment du débarquement. Eh bien ! il en est pour ainsi dire de même pour voyager de la terre au monde des Esprits. Quelques-uns se dégagent rapidement, sans souffrance et sans trouble, tandis que d'autres sont soumis au mal de la traversée éthéréenne ; mais il arrive ceci : c'est que de même que les voyageurs qui touchent terre au sortir du vaisseau retrouvent leur aplomb et leur santé, de même l'Esprit qui a franchi tous les obstacles de la mort finit par se trouver, comme à son point de départ, avec la conscience nette et claire de son individualité.
Il est donc certain, mon cher monsieur Kardec, que les incrédules et les matérialistes absolus conservent leur opinion par delà la tombe jusqu'à l'heure où la raison ou la grâce aura réveillé dans leur cœur la pensée vraie qui s'y trouve enfouie. De là cette diffusion d'idées dans les manifestations et cette divergence dans les communications des Esprits d'outre-tombe ; de là quelques dictées encore entachées d'athéisme ou de panthéisme.
Permettez-moi, en finissant, de revenir à des questions qui me sont personnelles. Je vous remercie de m'avoir fait évoquer ; cela m'a aidé à me reconnaître ; je vous remercie aussi des consolations que vous avez adressées à ma femme, et je vous prie de lui continuer vos bonnes exhortations, afin de la soutenir dans les épreuves qui l'attendent. Quant à moi, je serai toujours près d'elle et l'inspirerai.
Viennois.
Demande. – On comprend l'incrédulité chez certains Esprits, mais on ne comprendrait pas le matérialisme, puisque leur état est une protestation contre le règne absolu de la matière et le néant après la mort.
Réponse (médium, M. d'Ambel). – Un mot seulement : tous les corps solides ou fluidiques appartiennent à la substance matérielle ; ceci est bien démontré. Or, ceux qui de leur vivant n'admettaient qu'un principe dans la nature, la matière, n'aperçoivent souvent encore après leur mort que ce principe unique, absolu. Si vous réfléchissez aux pensées qui les dominèrent toute leur vie, vous les trouverez certes, encore aujourd'hui, sous l'entière subjugation de ces mêmes pensées. Jadis, ils se considéraient comme des corps solides ; aujourd'hui ils se regardent comme des corps fluidiques, voilà tout. Remarquez bien, je vous prie, qu'ils s'aperçoivent sous une forme nettement circonscrite, toute vaporeuse qu'elle est, et identique à celle qu'ils avaient sur terre à l'état solide ou humain. De telle sorte qu'ils ne voient dans leur nouvel état qu'une transformation de leur être à laquelle ils n'avaient pas songé ; mais ils restent convaincus que c'est un acheminement vers la fin à laquelle ils arriveront, quand ils seront suffisamment dégagés, pour s'effacer dans le grand tout universel. Il n'y a rien de si opiniâtre qu'un savant, et ils persistent à penser que cette fin, pour être retardée, n'en est pas moins inévitable.
Une des conditions de leur aveuglement moral est de les enserrer plus violemment dans les liens de la matérialité et conséquemment de les empêcher de s'éloigner des régions terrestres ou similaires à la terre ; et de même que la très grande majorité des incarnés emprisonnés dans la chair ne peuvent apercevoir les formes vaporeuses des Esprits qui les environnent, de même l'opacité de l'enveloppe des matérialistes leur interdit de contempler les entités spirituelles qui se meuvent si belles et si rayonnantes dans les hautes sphères de l'empire céleste.
Eraste.
Autre (médium, M. A. Didier). – Le doute est la cause des peines et bien souvent des fautes de ce monde ; la connaissance, au contraire, du Spiritualisme cause les peines et les fautes des Esprits.
Où serait le châtiment si les Esprits ne connaissaient pas leurs erreurs par la conséquence qui est la réalité pénitencière de l'autre vie ? Où serait leur châtiment si leur cœur et leur âme ne sentaient pas toute l'erreur du scepticisme terrestre et le néant de la matière ? L'Esprit voit l'Esprit comme la chair voit la chair ; l'erreur de l'Esprit n'est pas l'erreur de la chair et l'homme matérialiste qui a douté ici-bas ne doute plus là-haut.
Le supplice des matérialistes est de regretter les joies et les satisfactions terrestres, eux qui ne peuvent encore ni comprendre ni sentir les joies et les perfections de l'âme ; et voyez l'abaissement moral de ces Esprits qui vivent complètement dans la stérilité morale et physique, de regretter ces biens qui ont fait momentanément leur joie et qui font actuellement leur supplice.
Maintenant, il est vrai que sans être matérialiste par l'assouvissement de ses passions terrestres, on peut l'être plus dans les idées et dans l'esprit que dans les actes de la vie. C'est ce qu'on appelle les libres penseurs et ceux qui n'osent approfondir les causes de leur existence. Ceux-là, dans l'autre monde sont punis de même ; ils nagent dans la vérité, mais ils n'en sont pas pénétrés ; leur orgueil abaissé les fait souffrir, et ils regrettent ces jours terrestres où, du moins, ils avaient la liberté de douter.
Lamennais.
Remarque. – Cette appréciation semble au premier abord en contradiction avec celle d'Eraste ; celui-ci admet que certains Esprits peuvent conserver les idées matérialistes, tandis que Lamennais pense que ces idées ne sont que le regret des jouissances matérielles, mais que ces Esprits sont parfaitement éclairés sur leur état spirituel. Les faits semblent venir à l'appui de l'opinion d'Eraste ; puisque nous voyons des Esprits qui, longtemps même après leur mort, se croient encore vivants, vaquent ou croient vaquer à leurs occupations terrestres, c'est donc qu'ils se font complètement illusion sur leur position et ne se rendent aucun compte de leur état spirituel. Dès lors qu'ils ne croient pas être morts, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils eussent conservé l'idée du néant après la mort qui pour eux n'est pas encore venue. C'est sans doute dans ce sens qu'a voulu parler Eraste.
Réponse. – Ils ont évidemment l'idée du néant, mais ce n'est qu'une affaire de temps. Il arrive un moment où là-haut le voile se déchire, et où les idées matérialistes sont inacceptables. La réponse d'Eraste porte sur des faits particuliers et momentanés ; je ne parlais, moi, que des faits généraux et définitifs.
Lamennais.
Remarque. – La divergence n'était qu'apparente et ne provenait que du point de vue sous lequel chacun envisageait la question. Il est bien évident qu'un Esprit ne peut rester perpétuellement matérialiste ; on demandait simplement si cette idée était nécessairement détruite aussitôt après la mort ; or, les deux Esprits sont d'accord sur ce point, et se prononcent pour la négative. Ajoutons que la persistance du doute sur l'avenir est un châtiment pour l'Esprit incrédule ; c'est pour lui une torture d'autant plus poignante qu'il n'a pas les préoccupations terrestres pour y faire diversion.
Les publications spirites se multiplient, et, comme
nous l'avons dit, nos encouragements sont acquis à toutes celles qui peuvent
servir utilement la cause que nous défendons. Ce sont autant de voix qui
s'élèvent et servent à répandre l'idée sous différentes formes. Si nous n'avons
pas donné notre opinion sur certains ouvrages plus ou moins importants traitant
de matières analogues, c'est que, par la crainte qu'on n'y vît un sentiment de
partialité, nous avons préféré laisser l'opinion se former d'elle-même ;
or, nous voyons que celle de la majorité a confirmé la nôtre. Par notre
position, nous devons être sobre d'appréciations de ce genre, quand surtout
l'approbation ne peut être absolue ; en restant neutre, on ne nous
accusera pas d'avoir exercé une pression défavorable, et si le succès ne répond
pas à l'attente, on ne pourra s'en prendre à nous.
Parmi les publications récentes que nous sommes heureux de recommander sans restriction, nous rappellerons notamment les deux petites brochures annoncées dans notre dernier numéro sous les titres de : le Spiritisme sans les Esprits, et la Vérité sur le Spiritisme expérimental dans les groupes, par un Spirite théoricien, sur lesquelles nous maintenons l'opinion que nous avons émise en disant que, dans un cadre très restreint, l'auteur avait su résumer les véritables principes du Spiritisme avec une remarquable précision et dans un style attachant. Dans celle qui est relative aux groupes, les curieux et les incrédules trouveront une excellente leçon sur la manière dont il convient d'observer ce qui se passe dans les groupes sérieux. – Prix : 50 centimes chacune ; 60 centimes par la poste. – Chez Dentu, Palais-Royal.
Nous ne pouvons omettre non plus le journal la Vérité, publié à Lyon sous la direction de M. Edoux, et que nous avons également annoncé. Le défaut d'espace nous force à nous borner à dire que c'est un nouveau champion qui paraît être regardé de travers dans le camp adverse. Il a signalé ses débuts par plusieurs articles d'une haute portée, signés Philotéthès, parmi lesquels on remarque ceux qui ont pour titre : le Fondement du Spiritisme ; le Périsprit devant les traditions ; le Périsprit devant la philosophie et l'histoire, etc. Ils dénotent une plume exercée, s'appuyant sur une logique rigoureuse et qui peut, en persévérant dans cette voie, tailler de la besogne à nos antagonistes, tout en restant dans la ligne de modération qui paraît être la devise de ce journal comme la nôtre ; c'est par la logique qu'il faut combattre, et non par les personnalités, l'injure et les représailles.
Allan Kardec
Bordeaux aura bientôt aussi sa Revue spéciale, que nous serons heureux d'aider de nos conseils, puisqu'on veut bien nous les demander. Si, comme nous n'en doutons pas, elle suit la voie de la sagesse et de la prudence, elle ne pourra manquer d'avoir l'appui de tous les vrais Spirites, de ceux qui voient l'intérêt de la chose avant les questions de personnes, d'intérêt ou d'amour-propre ; c'est à ceux-ci, on le sait, que nos sympathies sont acquises. L'abnégation de la personnalité, le désintéressement moral et matériel, la pratique de la loi d'amour et de charité, seront toujours les signes distinctifs de ceux pour qui le Spiritisme n'est pas seulement une croyance stérile en cette vie et en l'autre, mais une foi féconde.
Le Courrier de la Moselle, journal de Metz, du 11 avril 1863, contient un excellent et remarquable article, signé : Un Spirite de Metz, réfutant les cas de folie attribués au Spiritisme. Nous aimons à voir les Spirites qui entrent dans la lice, opposer la froide et sévère logique des faits aux diatribes de leurs adversaires. Nous en citerons plusieurs fragments, que le défaut d'espace nous force de renvoyer au prochain numéro.
Parmi les publications récentes que nous sommes heureux de recommander sans restriction, nous rappellerons notamment les deux petites brochures annoncées dans notre dernier numéro sous les titres de : le Spiritisme sans les Esprits, et la Vérité sur le Spiritisme expérimental dans les groupes, par un Spirite théoricien, sur lesquelles nous maintenons l'opinion que nous avons émise en disant que, dans un cadre très restreint, l'auteur avait su résumer les véritables principes du Spiritisme avec une remarquable précision et dans un style attachant. Dans celle qui est relative aux groupes, les curieux et les incrédules trouveront une excellente leçon sur la manière dont il convient d'observer ce qui se passe dans les groupes sérieux. – Prix : 50 centimes chacune ; 60 centimes par la poste. – Chez Dentu, Palais-Royal.
Nous ne pouvons omettre non plus le journal la Vérité, publié à Lyon sous la direction de M. Edoux, et que nous avons également annoncé. Le défaut d'espace nous force à nous borner à dire que c'est un nouveau champion qui paraît être regardé de travers dans le camp adverse. Il a signalé ses débuts par plusieurs articles d'une haute portée, signés Philotéthès, parmi lesquels on remarque ceux qui ont pour titre : le Fondement du Spiritisme ; le Périsprit devant les traditions ; le Périsprit devant la philosophie et l'histoire, etc. Ils dénotent une plume exercée, s'appuyant sur une logique rigoureuse et qui peut, en persévérant dans cette voie, tailler de la besogne à nos antagonistes, tout en restant dans la ligne de modération qui paraît être la devise de ce journal comme la nôtre ; c'est par la logique qu'il faut combattre, et non par les personnalités, l'injure et les représailles.
Allan Kardec
Bordeaux aura bientôt aussi sa Revue spéciale, que nous serons heureux d'aider de nos conseils, puisqu'on veut bien nous les demander. Si, comme nous n'en doutons pas, elle suit la voie de la sagesse et de la prudence, elle ne pourra manquer d'avoir l'appui de tous les vrais Spirites, de ceux qui voient l'intérêt de la chose avant les questions de personnes, d'intérêt ou d'amour-propre ; c'est à ceux-ci, on le sait, que nos sympathies sont acquises. L'abnégation de la personnalité, le désintéressement moral et matériel, la pratique de la loi d'amour et de charité, seront toujours les signes distinctifs de ceux pour qui le Spiritisme n'est pas seulement une croyance stérile en cette vie et en l'autre, mais une foi féconde.
Le Courrier de la Moselle, journal de Metz, du 11 avril 1863, contient un excellent et remarquable article, signé : Un Spirite de Metz, réfutant les cas de folie attribués au Spiritisme. Nous aimons à voir les Spirites qui entrent dans la lice, opposer la froide et sévère logique des faits aux diatribes de leurs adversaires. Nous en citerons plusieurs fragments, que le défaut d'espace nous force de renvoyer au prochain numéro.