REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Septembre

Nota. - L'article suivant est l'introduction à un travail complet que l'auteur, M. Herrenschneider, se propose de faire sur la nécessité de l'alliance entre la philosophie et le Spiritisme.

Depuis dix ou douze ans que le Spiritisme s'est révélé en France, les communications incessantes des Esprits ont provoqué dans tous les rangs de la société un mouvement religieux bienfaisant qu'il importe d'encourager et de développer. Dans ce siècle, en effet, l'esprit religieux s'était surtout perdu parmi les classes lettrées et intelligentes. Le sarcasme voltairien y avait enlevé le prestige du christianisme ; le progrès des sciences leur avait fait reconnaître les contradictions qui existent entre les dogmes et les lois naturelles ; et les découvertes astronomiques avaient démontré la puérilité de l'idée que se formaient sur Dieu les enfants d'Abraham, de Moïse et du Christ. Le développement des richesses, les inventions merveilleuses des arts et de l'industrie, toute la civilisation protestait, aux yeux de la société moderne, contre le renoncement au monde. C'est à cause de ces nombreux motifs que l'incrédulité et l'indifférence s'étaient glissées dans les âmes, que l'insouciance des destinées éternelles avait engourdi notre amour du bien, arrêté notre perfectionnement moral, et que la passion du bien-être, du plaisir, du luxe et des vanités terrestres avait fini par captiver presque toute notre ambition ; lorsque, tout d'un coup, les morts vinrent nous rappeler que notre vie présente a son lendemain, que nos actes ont leurs conséquences fatales, inévitables, sinon toujours dans cette vie, mais infailliblement dans celle à venir.

Cette apparition des Esprits était un coup de foudre, qui fit trembler plus d'un à l'aspect de ces meubles mis en mouvement sous l'impulsion d'une force invisible ; à l'audition de ces pensées intelligentes, dictées au moyen d'une télégraphie grossière ; à la lecture de ces pages sublimes, écrites de nos mains distraites sous l'impulsion d'une direction mystérieuse. Que de cœurs battaient, saisis d'une crainte subite, que de consciences oppressées se réveillèrent dans des angoisses méritées ; que d'intelligences même furent frappées de stupeur ! Le renouvellement de ces rapports avec les âmes trépassées est et restera un événement prodigieux, qui aura pour conséquence la régénération, si nécessaire, de la société moderne.

C'est que, lorsque la société humaine n'a d'autre but d'activité que la prospérité matérielle et le plaisir des sens, elle se plonge dans le matérialisme égoïste, apprécie toutes les actions selon les biens qu'elle en retire, renonce à tous les efforts qui n'aboutissent pas à un avantage palpable, n'estime que ceux qui possèdent, et ne respecte que la puissance qui s'impose. Lorsque les hommes ne se préoccupent que des succès immédiats et lucratifs, ils perdent le sens de l'honnête, renoncent au choix des moyens, foulent aux pieds le bonheur intime, les vertus privées, et cessent de se guider selon les principes de justice et d'équité. Dans une société lancée dans cette direction immorale, le riche mène une vie de mollesse ignoble, abrutissante, et le déshérité y traîne une existence douloureuse et monotone, dont le suicide semble être la dernière consolation !

Contre une pareille disposition morale, publique et privée, la philosophie est impuissante. Non pas que les arguments lui fassent défaut pour prouver la nécessité sociale de principes purs et généreux, non pas qu'elle ne puisse démontrer l'imminence de la responsabilité finale, et établir la perpétuité de notre existence, mais les hommes n'ont généralement ni le temps, ni le goût, ni l'esprit assez réfléchi, pour prêter leur attention à la voix de leur conscience et aux observations de la raison. Les vicissitudes de la vie, d'ailleurs, sont souvent trop impérieuses pour que l'on se décide à l'exercice de la vertu par le simple amour du bien. Lors même que la philosophie eût été véritablement ce qu'elle devrait être : une doctrine complète et certaine, elle n'aurait jamais pu provoquer, par son enseignement seul, la régénération sociale d'une manière efficace, puisque jusqu'à ce jour elle n'a pu donner à l'autorité de sa doctrine d'autre sanction que l'amour abstrait de l'idéal et de la perfection.

C'est qu'aux hommes il faut, pour les convaincre de la nécessité de se consacrer au bien, des faits qui parlent aux sens. Il leur faut le tableau saisissant de leurs douleurs futures, pour qu'ils consentent à remonter la pente funeste où leurs vices les entraînent ; il leur faut toucher du doigt les malheurs éternels qu'ils se préparent par leur nonchalance morale, pour qu'ils comprennent que la vie actuelle n'est pas le but de leur existence, mais le moyen que le Créateur leur a donné de travailler personnellement à l'accomplissement de leurs destinées finales. Aussi est-ce par ce motif que toutes les religions ont étayé leurs commandements sur la terreur de l'enfer et sur les séductions des joies célestes. Mais depuis que, sous l'empire de l'incrédulité et de l'indifférence religieuse, les populations se sont rassurées sur les suites dernières de leurs péchés, une philosophie facile et inconséquente aidant, le culte des sens, des intérêts temporels et des doctrines égoïstes, a fini par prévaloir. Aujourd'hui les hommes éclairés, intelligents et forts s'éloignent de l'Église et suivent leurs propres inspirations ; l'autorité nécessaire lui fait défaut pour ressaisir son influence vingt fois séculaire. On peut donc dire que l'Église est aussi impuissante que la philosophie, et que ni l'une ni l'autre n'exerceront d'influence salutaire qu'en subissant, chacune dans son genre, une réforme radicale.

En attendant l'humanité s'agite, les événements se succèdent, et l'apparition des manifestations spirites dans ce siècle savant, pratique, suffisant et sceptique, en est sans contredit le plus considérable. Voilà donc que la tombe est ouverte devant nous, non comme la fin de nos peines et de nos misères terrestres, non comme l'abîme béant où viennent s'engloutir nos passions, nos jouissances et nos illusions, mais bien comme le portique majestueux d'un nouveau monde, où les uns récolteront, bien malgré eux, les fruits amers que leurs faiblesses leur auront fait semer ; et où d'autres, au contraire, s'assureront par leur mérite le passage dans des sphères plus pures et plus élevées. C'est donc le Spiritisme qui nous révèle nos destinées futures, et plus il sera connu, plus la régénération morale et religieuse gagnera en élan et en étendue.

L'union du Spiritisme avec les sciences philosophiques nous semble, en effet, d'une haute nécessité pour le bonheur de l'humanité et pour le progrès moral, intellectuel et religieux de la société moderne ; car nous ne sommes plus au temps où l'on pouvait écarter la science humaine et lui préférer la foi aveugle. La science moderne est trop sage, trop sûre d'elle-même, et trop avancée dans la connaissance des lois que Dieu a imposées à l'intelligence et à la nature, pour que la transformation religieuse puisse avoir lieu sans son concours. On connaît trop exactement l'exiguïté relative de notre globe pour accorder à l'humanité une place privilégiée dans les desseins providentiels. Aux yeux de tous, nous ne sommes plus qu'un grain de poussière dans l'immensité des mondes, et l'on sait que les lois qui règlent cette multitude indéfinie d'existences sont simples, immuables et universelles. Enfin les exigences de la certitude de nos connaissances ont été trop fortement approfondies, pour qu'une doctrine nouvelle puisse s'élever et se maintenir sans autre base qu'un mysticisme touchant et inoffensif. Lors donc que le Spiritisme veut étendre son empire sur toutes les classes de la société, sur les hommes supérieurs et intelligents, comme sur les âmes délicates et croyantes, il faut qu'il se jette, sans réserve, dans le courant de la pensée humaine, et que par sa supériorité philosophique il sache imposer à la superbe raison le respect de son autorité.

C'est cette action indépendante des adeptes du Spiritisme que comprennent parfaitement les Esprits élevés qui se manifestent. Celui qui se désigne sous le nom de saint Augustin disait dernièrement : « Observez et étudiez avec soin les communications qui vous sont faites ; acceptez ce que votre raison ne rejette pas, repoussez ce qui la choque ; demandez des éclaircissements sur celles qui vous laissent dans le doute. Vous avez là la marche à suivre pour transmettre aux générations futures, sans crainte de les voir dénaturées, les vérités que vous démêlerez sans peine dans leur cortège inévitable d'erreurs. »

Voilà, en peu de mots, le véritable esprit du Spiritisme, celui que la science peut admettre sans déroger, et celui qui nous servira à conquérir l'humanité. Le Spiritisme, du reste, n'a rien à redouter de son alliance avec la philosophie, car il repose sur des faits incontestables, qui ont leur raison d'être dans les lois de la création. C'est à la science à en étudier la portée, et à coordonner les principes généraux, d'après ce nouvel ordre de phénomènes. Car il est évident que, puisqu'elle n'avait pas pressenti l'existence nécessaire, dans l'espace qui nous entoure, des âmes trépassées ou de celles destinées à renaître, la science doit comprendre que sa philosophie première était incomplète, et que des principes primordiaux lui avaient échappé.

La philosophie, au contraire, a tout à gagner à considérer sérieusement les faits du Spiritisme ; d'abord, parce que ceux-ci sont la sanction solennelle de son enseignement moral, et que, par eux, elle prouvera aux plus endurcis la portée fatale de leur inconduite. Mais, quelque importante que soit cette justification positive de ses maximes, l'étude approfondie des conséquences, qui se déduisent de la constatation de l'existence sensible de l'âme à l'état non incarné, lui servira ensuite pour déterminer les éléments constitutifs de l'âme, son origine, ses destinées, et pour établir la loi morale et celle du progrès animique sur des bases certaines et inébranlables. De plus, la connaissance de l'essence de l'âme conduira la philosophie à la connaissance de l'essence des choses et de celle même de Dieu, et lui permettra d'unir toutes les doctrines qui la divisent dans un seul et même système général véritablement complet. Enfin, ces divers développements de la philosophie, provoqués par cette précieuse détermination de l'essence animique, la conduiront infailliblement sur les traces des principes fondamentaux de l'ancienne cabale, et de l'antique science occulte des hiérophantes, dont la Trinité chrétienne est le dernier rayon lumineux parvenu jusqu'à nous. C'est ainsi que par la simple apparition des âmes errantes, on parviendra, comme nous avons tout lieu de l'espérer, à constituer la chaîne non interrompue des traditions morales, religieuses et métaphysiques de l'humanité ancienne et moderne.

Cet avenir considérable, que nous concevons à la philosophie alliée au Spiritisme, ne paraîtra pas impossible à ceux qui ont quelque notion de cette science, s'ils considèrent le vide des principes sur lesquels se fondent les diverses écoles, et l'impuissance qui en résulte pour elles, d'expliquer la réalité concrète et vivante de l'âme et de Dieu. C'est ainsi que le matérialisme se figure que les êtres ne sont que des phénomènes matériels, semblables à ceux que produisent les combinaisons des substances chimiques, et que le principe qui les anime fait partie d'un prétendu principe vital universel. D'après ce système l'âme individuelle n'existerait pas, et Dieu serait un être complètement inutile.

Les disciples de Hégel, de leur côté, s'imaginent que l'idée, ce phénomène indiscipliné de notre âme, est un élément en soi, indépendant de nous ; qu'elle est un principe universel qui se manifeste par l'humanité et son activité intellectuelle, comme aussi par la nature et ses merveilleuses transformations. Cette école nie, par conséquent, l'individualité éternelle de notre âme, et la confond, dans un seul tout, avec la nature. Elle suppose qu'il existe une identité parfaite entre l'univers visible et le monde moral et intellectuel ; que l'un et l'autre sont le résultat de l'évolution progressive et fatale de l'idée primitive, universelle, de l'absolu en un mot. Dieu, dans ce système, n'a également nulle individualité, nulle liberté, et ne se connaît pas personnellement. Il ne s'est aperçu lui-même, pour la première fois, qu'en 1810, par l'entremise de Hégel, lorsque celui-ci l'a reconnu dans l'idée absolue et universelle. (Historique.)

Enfin, notre école spiritualiste, vulgairement appelée l'éclectisme, considère l'âme comme n'étant qu'une force sans étendue et sans solidité, une intelligence insaisissable dans le corps humain, et qui, une fois débarrassée de son enveloppe, tout en conservant son individualité et son immortalité, n'existerait plus ni dans le temps ni dans l'espace. Notre âme serait donc un je ne sais quoi sans lien avec ce qui existe, et ne remplirait aucun lieu déterminé. Dieu, selon ce même système, n'est pas plus saisissable. Il est la pensée parfaite, et n'a également ni solidité, ni stabilité, ni forme, ni réalité sensible ; c'est un être vide ; sans notre raison nous ne pourrions en avoir aucune intuition. Cependant, quels sont ceux qui ont inventé l'athéisme, le scepticisme, le panthéisme, l'idéalisme, etc. ? Ce sont les hommes de raison, les intelligents, les savants ! Les peuples ignorants, dont les sensations sont les principaux guides, n'ont jamais douté ni de Dieu, ni de l'âme, ni de son immortalité. La raison, seule, semble donc être une mauvaise conseillère !

Ces doctrines, comme on peut s'en convaincre, manquent, en con-séquence, d'un principe réel, stable, vivant, de la notion de l'Etre réel. Elles se meuvent dans un monde intelligible qui ne touche point à la réalité concrète. Le vide de leurs principes se reporte sur l'ensemble de leurs systèmes, et les rend aussi subtils que vagues et étrangers à la réalité des choses. Le sens commun lui-même s'en offense, malgré le talent et la prodigieuse érudition de leurs adhérents. Mais le Spiritisme est encore plus brutal à leur égard, il renverse tous ces systèmes abstraits, en leur opposant un fait unique : la réalité substantielle, vivante et actuelle de l'âme non incarnée. Il la leur montre, comme un être personnel, existant dans le temps et dans l'espace, bien qu'invisible pour nous ; comme un être ayant son élément solide, substantiel et sa force active et pensante. Il nous montre même les âmes errantes se communiquant à nous par leur propre initiative ! Il est évident qu'un pareil événement doit faire crouler tous ces châteaux de cartes, et évanouir, d'un trait, ces superbes échafaudages de fantaisie.

Mais pour surcroît de confusion, on peut prouver aux partisans de ces doctrines alambiquées, que tout homme porte dans sa propre conscience les éléments suffisants pour démontrer l'existence de l'âme, telle que le Spiritisme l'établit par les faits ; de façon que leurs systèmes, non seulement sont erronés à leur point d'arrivée, mais ils le sont encore à leur point de départ. Aussi, le plus sage parti qui reste à prendre à ces honorables savants, c'est de refondre complètement leur philosophie, et de consacrer leur profond savoir à la fondation d'une science première, plus précise et plus conforme à la réalité.

C'est qu'effectivement nous portons en nous-mêmes quatre notions irréductibles, qui nous autorisent à affirmer l'existence de notre âme, telle que le Spiritisme nous la présente. Premièrement, nous avons en nous le sentiment de notre existence. Ce sentiment ne peut se révéler que par une impression que nous recevons de nous-mêmes. Or, nulle impression ne se fait sur un objet privé de solidité et d'étendue ; de sorte que par le seul fait de nos sensations, nous devons induire que nous avons en nous un élément sensible, subtil, étendu et résistant : c'est-à-dire, une substance. Secondement, nous avons en nous la conscience d'un élément actif, causateur, qui se manifeste dans notre volonté, notre pensée et nos actes. En conséquence, il est encore évident que nous possédons en nous un second élément : une force. Donc, par le seul fait que nous nous sentons et que nous nous savons, nous devons conclure que nous renfermons deux éléments constitutifs, force et substance ; c'est-à-dire une dualité essentielle, animique.

Mais ces deux notions primitives ne sont pas les seules que nous portons en nous. Nous nous concevons encore, en troisième lieu, une unité personnelle, originale, qui reste toujours identique à elle-même ; et quatrièmement, une destinée également personnelle ; car tous, nous cherchons notre bonheur et nos propres convenances dans toutes les circonstances de notre vie. De manière qu'en joignant ces deux nouvelles notions, qui constituent notre double aspect, aux deux précédentes, nous reconnaissons que notre être renferme quatre principes bien distincts : sa dualité d'essence et sa dualité d'aspect.

Or, comme ces quatre éléments de la connaissance de notre moi, qui nous portent à nous affirmer personnellement, sont des notions indépendantes du corps, qu'elles n'ont aucun rapport avec notre enveloppe matérielle, il est péremptoire et évident, pour tout esprit juste et non prévenu, que notre être dépend d'un principe invisible, nommé Ame ; et que cette âme existe comme telle, parce qu'elle a une substance et une force, une unité et une destinée propres et personnelles.

Tels sont les quatre éléments primordiaux de notre individualité animique, dont chacun de nous porte la notion dans son sein, et qu'aucun homme ne saurait récuser. En conséquence, comme nous l'avons dit, la philosophie a possédé, de tous les temps, les éléments suffisants pour la connaissance de l'âme, telle que le Spiritisme nous la fait connaître. Si donc jusqu'à présent la raison humaine n'a pas réussi à construire une métaphysique vraie et utile qui lui ait fait comprendre que l'âme doit être considérée comme un être réel, indépendant du corps, et capable d'exister par elle-même, substantiellement et virtuellement, dans le temps et dans l'espace, c'est qu'elle a dédaigné l'observation directe des faits de conscience, et que, dans son orgueil et sa suffisance, la raison s'est mise au lieu et place de la réalité.

D'après ces observations on peut comprendre combien il importe à la philosophie de s'unir au Spiritisme, puisqu'elle en retirera l'avantage de se créer une science première sérieuse et complète, fondée sur la connaissance de l'essence de l'âme et des quatre conditions de sa réalité. Mais il n'est pas moins nécessaire au Spiritisme de s'allier avec la philosophie, parce que ce n'est que par elle qu'il pourra établir la certitude scientifique des faits spirites qui font la base fondamentale de sa croyance, et d'en tirer les conséquences importantes qu'ils contiennent. Sans doute il suffit au bon sens de voir un phénomène pour croire à sa réalité ; et beaucoup s'en contentent ; mais la science a eu trop souvent des motifs de douter des protestations du sens commun, pour ne pas se méfier des impressions de nos sens et des illusions de notre imagination. Le bon sens ne suffit donc pas pour établir scientifiquement la réalité de la présence des Esprits autour de nous. Pour en être certain d'une façon irréfutable, il faut établir rationnellement, d'après les lois générales de la création, que leur existence est nécessaire par elle-même, et que leur présence invisible n'est que la confirmation des données rationnelles et scientifiques, telles que nous venons d'en indiquer quelques-unes d'une manière sommaire. Ce n'est donc que par la méthode philosophique que l'on peut obtenir ce résultat. C'est là un travail nécessaire à l'autorité du Spiritisme, et c'est la philosophie seule qui peut lui rendre ce service.

En général, pour réussir dans quelque entreprise que ce soit, il est nécessaire de joindre la connaissance des principes à l'observation des faits. Dans les circonstances particulières au Spiritisme, il est bien plus nécessaire encore de procéder de cette manière rigoureuse pour arriver à la vérité, parce que notre nouvelle doctrine touche à nos intérêts les plus chers et les plus élevés, à ceux qui constituent notre bonheur présent et éternel. En conséquence, l'union du Spiritisme et de la philosophie est de la plus haute importance pour le succès de nos efforts et pour l'avenir de l'humanité.

F. Herrenschneider.



Moulins, 8 juillet 1863.

Monsieur et vénéré maître,

Je viens soumettre à votre appréciation une question qui a été discutée dans notre petit groupe et que nous n'avons pu résoudre par nos propres lumières ; les Esprits eux-mêmes, que nous avons consultés, n'ont pas répondu assez catégoriquement pour nous tirer du doute. J'ai rédigé une petite note que je prends la liberté de vous adresser, dans laquelle j'ai réuni les motifs de mon opinion personnelle qui diffère de celle de plusieurs de mes collègues. L'opinion de ces derniers est que l'expiation a lieu même pendant l'incarnation, s'appuyant sur ce que cette expression a été employée dans maintes communications, et notamment dans le Livre des Esprits.

Je viens donc vous prier d'être assez bon pour nous donner votre avis sur cette question. Votre décision fera loi pour nous, et chacun de nous fera volontiers le sacrifice de sa manière de voir pour se ranger sous le drapeau que vous avez planté et que vous soutenez d'une manière si fermé et si sage.

Recevez, monsieur et cher maître, etc.

T. T. »

« Plusieurs communications, émanant d'Esprits différents, qualifient indistinctement d'expiations ou d'épreuves, les maux et les tribulations formant le lot de chacun de nous, pendant notre incarnation sur cette terre. Il résulte de cette application de deux mots, bien différents dans leur signification, à une même idée, une certaine confusion, peu importante, sans doute, pour les Esprits dématérialisés, mais qui donne lieu entre incarnés à des discussions qu'il serait bon de faire cesser par une définition claire et précise et des explications fournies par des Esprits supérieurs, lesquelles fixeraient d'une manière irrévocable ce point de doctrine.

Prenant d'abord ces deux mots dans leur sens absolu, il apparaît que l'expiation serait le châtiment, la peine imposée pour le rachat d'une faute, avec parfaite connaissance, de la part du coupable puni, de la cause de ce châtiment, c'est-à-dire de la faute à expier. On comprend que l'expiation dans ce sens est toujours imposée par Dieu.

L'épreuve n'implique aucune idée de réparation, elle peut être volontaire ou imposée, mais elle n'est pas la conséquence rigoureuse et immédiate des fautes commises.

L'épreuve est un moyen de constater l'état d'une chose pour reconnaître si elle est de bonne qualité. Ainsi on fait subir une épreuve à un cordage, à un pont, à une pièce d'artillerie, non pas à cause de leur état antérieur, mais pour s'assurer qu'ils sont propres au service pour lequel ils sont destinés.

De même, par extension, on a appelé épreuves de la vie, l'ensemble des moyens physiques ou moraux qui révèlent l'existence ou l'absence des qualités de l'âme, qui établissent sa perfection ou les progrès qu'elle a faits vers cette perfection finale.

Il paraîtrait donc logique d'admettre que l'expiation proprement dite, et dans le sens absolu de ce mot, a lieu dans la vie spirituelle après la désincarnation ou mort corporelle ; qu'elle peut être plus ou moins longue, plus ou moins pénible, suivant la gravité des fautes ; mais qu'elle est complète dans l'autre monde et se termine toujours par un ardent désir de recevoir une nouvelle incarnation, pendant laquelle des épreuves choisies ou imposées devront faire faire à l'âme le progrès vers la perfection que ses fautes antérieures l'ont empêchée d'accomplir.

Ainsi donc, il ne conviendrait pas d'admettre qu'il y a expiation sur la terre, pas même qu'elle puisse exister exceptionnellement, car il faudrait admettre aussi la connaissance des fautes punies ; or cette connaissance n'existe que dans la vie d'outre-tombe. L'expiation sans cette connaissance serait une barbarie sans utilité et ne s'accorderait ni avec la justice ni avec la bonté de Dieu.

On ne peut concevoir, pendant l'incarnation, que des épreuves, car, quels que soient les maux et les tribulations de cette terre, il est impossible de les considérer comme pouvant constituer une expiation suffisante pour des fautes de quelque gravité. Pense-t-on qu'un coupable déféré à la justice des hommes se trouverait bien puni si on le condamnait à vivre comme le moins heureux de nous ? N'exagérons donc pas l'importance des maux de cette terre pour nous faire un mérite de les avoir supportés. L'épreuve consiste plus dans la manière dont les maux ont été supportés que dans leur intensité qui, comme le bonheur terrestre, est toujours relatif pour chaque individu.

Les caractères distinctifs de l'expiation et de l'épreuve sont que la première est toujours imposée et que sa cause doit être connue de celui qui la subit, tandis que la seconde peut être volontaire, c'est-à-dire choisie par l'Esprit, ou imposée par Dieu même, à défaut de choix ; de plus elle se conçoit très bien sans cause connue, puisqu'elle n'est pas nécessairement la conséquence des fautes passées.

En un mot : l'expiation couvre le passé ; l'épreuve ouvre l'avenir.

Le numéro de juillet de la Revue spirite contient un article intitulé : Expiation terrestre, qui semblerait contraire à l'opinion émise ci-dessus ; cependant, en lisant attentivement, on verra que l'expiation véritable a eu lieu pendant la vie spirite, et que la position que Max a occupée pendant sa dernière incarnation n'est réellement que le genre d'épreuves qu'il a choisies ou qui lui ont été imposées, et dont il est sorti victorieux ; mais que, pendant toute cette incarnation, ignorant de sa position antérieure, il ne pouvait profiter en rien d'une expiation sans objet.

Cette question est peut-être plutôt une question de mots que de principe. En effet, il a été dit bien souvent : « Ne vous attachez pas aux mots, voyez le fond de la pensée. » Dans tous les cas, il convient, pour nous qui nous entendons au moyen des mots, d'être bien fixés sur le sens qu'on y attache. »

Réponse. - La distinction établie par l'auteur de la notice ci-dessus entre le caractère de l'expiation et celui des épreuves est parfaitement juste, et cependant nous ne saurions partager son opinion en ce qui concerne l'application de cette théorie à la situation de l'homme sur la terre.

L'expiation implique nécessairement l'idée d'un châtiment plus ou moins pénible, résultat d'une faute commise ; l'épreuve implique toujours celle d'une infériorité réelle ou présumée, car celui qui est arrivé au point culminant où il aspire n'a plus besoin d'épreuves. Dans certains cas, l'épreuve se confond avec l'expiation, c'est-à-dire que l'expiation peut servir d'épreuve, et réciproquement. Le candidat qui se présente pour obtenir un grade, subit une épreuve ; s'il échoue, il lui faut recommencer un travail pénible ; ce nouveau travail est la punition de la négligence apportée dans le premier ; la seconde épreuve devient ainsi une expiation. Pour le condamné à qui l'on fait espérer un adoucissement ou une commutation s'il se conduit bien, la peine est à la fois une expiation pour sa faute, et une épreuve pour son sort futur ; si, à sa sortie de prison, il n'est pas meilleur, l'épreuve est nulle, et un nouveau châtiment amènera une nouvelle épreuve.

Si nous considérons maintenant l'homme sur la terre, nous voyons qu'il y endure des maux de toutes sortes et souvent cruels ; ces maux ont une cause ; or, à moins de les attribuer au caprice du Créateur, on est forcé d'admettre que cette cause est en nous-mêmes, et que les misères que nous éprouvons ne peuvent être le résultat de nos vertus ; donc, elles ont leur source dans nos imperfections. Qu'un Esprit s'incarne sur la terre au sein de la fortune, des honneurs et de toutes les jouissances matérielles, on pourra dire qu'il subit l'épreuve de l'entraînement ; pour celui qui tombe dans le malheur par son inconduite ou son imprévoyance, c'est l'expiation de ses fautes actuelles, et l'on peut dire qu'il est puni par où il a péché. Mais que dira-t-on de celui qui, depuis sa naissance, est aux prises avec les besoins et les privations, qui trame une existence misérable et sans espoir d'amélioration, qui succombe sous le poids d'infirmités congéniales, sans avoir ostensiblement rien fait pour mériter un pareil sort ? Que ce soit une épreuve ou une expiation, la position n'en est pas moins pénible, et n'en serait pas plus équitable au point de vue de notre correspondant, puisque si l'homme ne se souvient pas de la faute, il ne se souvient pas davantage d'avoir choisi l'épreuve. Il faut donc chercher ailleurs la solution de la question.

Tout effet ayant une cause, les misères humaines sont des effets qui doivent avoir une cause ; si cette cause n'est pas dans la vie actuelle, elle doit être dans la vie antérieure. De plus, en admettant la justice de Dieu, ces effets doivent avoir une relation plus ou moins intime avec les actes précédents, dont ils sont à la fois le châtiment pour le passé, et l'épreuve pour l'avenir. Ce sont des expiations en ce sens qu'ils sont la conséquence d'une faute, et des épreuves par rapport au profit qu'on en retire. La raison nous dit que Dieu ne peut frapper un innocent ; donc, si nous sommes frappés, c'est que nous ne sommes pas innocents : le mal que nous ressentons est le châtiment, la manière dont nous le supportons est l'épreuve.

Mais il arrive souvent que, la faute ne se trouvant pas dans cette vie, on accuse la justice de Dieu, on nie sa bonté, on doute même de son existence ; là, précisément, est l'épreuve la plus scabreuse : le doute sur la divinité. Quiconque admet un Dieu souverainement juste et bon doit se dire qu'il ne peut agir qu'avec sagesse, même dans ce que nous ne comprenons pas, et que si nous subissons une peine, c'est que nous l'avons méritée ; donc c'est une expiation. Le Spiritisme, par la révélation de la grande loi de la pluralité des existences, lève complètement le voile sur ce que cette question laissait d'obscur ; il nous apprend que, si la faute n'a pas été commise en cette vie, elle l'a été dans une autre, et qu'ainsi la justice de Dieu suit son cours en nous punissant par où nous avons péché.

Vient ensuite la grave question de l'oubli qui, selon notre correspondant, enlève aux maux de la vie le caractère de l'expiation. C'est une erreur ; donnez-leur le nom que vous voudrez, vous ne ferez pas qu'ils ne soient pas la conséquence d'une faute ; si vous l'ignorez, le Spiritisme vous l'apprend. Quant à l'oubli des fautes elles-mêmes, il n'a point les conséquences que vous lui attribuez. Nous avons démontré ailleurs que le souvenir précis de ces fautes aurait des inconvénients extrêmement graves, en ce qu'il nous troublerait, nous humilierait à nos propres yeux et à ceux de nos proches ; qu'il apporterait une perturbation dans les rapports sociaux, et que, par cela même, il entraverait notre libre arbitre. D'un autre côté, l'oubli n'est point aussi absolu qu'on le suppose ; il n'a lieu que pendant la vie extérieure de relation, dans l'intérêt même de l'humanité ; mais la vie spirituelle n'a pas de solution de continuité ; l'Esprit, soit dans l'erraticité, soit dans ses moments d'émancipation, se souvient parfaitement, et ce souvenir lui laisse une intuition qui se traduit par la voix de la conscience qui l'avertit de ce qu'il doit faire ou ne pas faire ; s'il ne l'écoute pas, il est donc coupable. Le Spiritisme donne en outre à l'homme un moyen de remonter à son passé, sinon aux actes précis, du moins aux caractères généraux de ces actes qui ont déteint plus ou moins sur la vie actuelle. Des tribulations qu'il endure, expiations ou épreuves, il doit conclure qu'il a été coupable ; de la nature de ces tribulations, aidé par l'étude de ses tendances instinctives, et en s'appuyant sur le principe que la punition la plus juste est celle qui est la conséquence de la faute, il peut en déduire son passé moral ; ses tendances mauvaises lui apprennent ce qui reste d'imparfait à corriger en lui. La vie actuelle est pour lui un nouveau point de départ ; il y arrive riche ou pauvre de bonnes qualités ; il lui suffit donc de s'étudier lui-même pour voir ce qui lui manque, et de se dire : « Si je suis puni, c'est que j'ai péché, » et la punition même lui apprendra ce qu'il a fait. Citons une comparaison :

Supposons un homme condamné aux travaux forcés pour tant d'années et y subissant un châtiment spécial plus ou moins rigoureux selon sa faute ; supposons de plus qu'en entrant au bagne il perde le souvenir des actes qui l'y ont conduit ; ne pourra-t-il pas se dire : « Si je suis au bagne, c'est que j'ai été coupable, car on n'y met pas les gens vertueux ; donc tâchons de devenir bon pour n'y pas rentrer quand nous en serons sorti. » Veut-il savoir ce qu'il a fait? En étudiant la loi pénale, il saura quels sont les crimes qui y conduisent, car on n'est pas mis aux fers pour une étourderie ; de la durée et de la sévérité de la peine il en conclura le genre de ceux qu'il a dû commettre ; pour en avoir une idée plus exacte, il n'aura qu'à étudier ceux vers lesquels il se sent instinctivement entraîné ; il saura donc ce qu'il doit éviter désormais pour conserver sa liberté, et il y sera de plus excité par les exhortations des hommes de bien chargés de l'instruire et de le diriger dans la bonne voie. S'il n'en profite pas, il en subit les conséquences. Telle est la situation de l'homme sur la terre, où, pas plus que le condamné au bagne, il ne peut être placé pour ses perfections, puisqu'il y est malheureux et forcé au travail. Dieu lui multiplie les enseignements proportionnés à son avancement ; il l'avertit sans cesse, il le frappe même pour le réveiller de sa torpeur, et celui qui persiste dans son endurcissement ne peut s'excuser sur son ignorance.

En résumé, si certaines situations de la vie humaine ont plus particulièrement le caractère des épreuves, d'autres ont incontestablement celui du châtiment, et tout châtiment peut servir d'épreuve.

C'est une erreur de croire que le caractère essentiel de l'expiation soit d'être imposée ; nous voyons tous les jours dans la vie des expiations volontaires, sans parler des moines qui se macèrent et se fustigent avec la discipline et la haire. Il n'y a donc rien d'irrationnel à admettre qu'un Esprit, dans l'erraticité, choisisse ou sollicite une existence terrestre qui le mette à même de réparer ses erreurs passées. Cette existence lui fût-elle imposée, n'en serait pas moins juste, malgré l'absence momentanée de souvenir, par les motifs développés ci-dessus. Les misères d'ici-bas sont donc des expiations par leur côté effectif et matériel, et des épreuves par leurs conséquences morales. Quel que soit le nom qu'on leur donne, le résultat doit être le même : l'amélioration. En présence d'un but aussi important, il serait puéril de faire une question de principe d'une question de mot ; cela prouverait qu'on attache plus d'importance aux mots qu'à la chose.

Nous nous faisons un plaisir de répondre aux questions sérieuses et de les élucider quand cela se peut. Autant la discussion est utile avec les gens de bonne foi qui ont étudié et veulent approfondir les choses, parce que c'est travailler au progrès de la science, autant elle est oiseuse avec ceux qui jugent sans connaître et veulent savoir sans se donner la peine d'apprendre.



Monsieur le curé,

Je vous ai dit dans ma précédente lettre les motifs qui me font ne pas répondre article par article à votre brochure ; je ne les rappellerai pas, et me borne à relever quelques passages.

Vous dites : « Concluons de tout cela que le Spiritisme doit se borner à combattre le matérialisme, à donner à l'homme des preuves palpables de son immortalité au moyen des manifestations d'outre-tombe bien constatées ; que, hors ce cas, tout en lui n'est qu'incertitude, ténèbres épaisses, illusions, un véritable chaos ; que, comme doctrine philosophico-religieuse, il n'est qu'une véritable utopie, ainsi que tant d'autres, consignées dans l'histoire, et dont le temps fera bonne justice, en dépit de l'armée spirituelle dont vous vous êtes constitué le général en chef. »

Convenez d'abord, monsieur l'abbé, que vos prévisions ne se sont guère réalisées, et que le temps ne se presse pas beaucoup de faire justice du Spiritisme. S'il n'a pas succombé, il ne faut pas en accuser l'indifférence et la négligence du clergé et de ses partisans ; les attaques n'ont pas fait défaut : brochures, journaux, sermons, excommunications, ont fait feu sur toute la ligne ; rien n'a manqué, pas même le talent et le mérite incontestables de quelques-uns des champions. Si donc sous une si formidable artillerie les rangs des Spirites ont augmenté au lieu de diminuer, c'est que le feu s'en est allé en fumée. Encore une fois, une règle de logique élémentaire nous dit qu'on juge d'une puissance par ses effets ; vous n'avez pu arrêter le Spiritisme, donc il va plus vite que vous ; la raison en est qu'il va en avant, tandis que vous poussez en arrière, et le siècle marche.

En examinant les diverses attaques dirigées contre le Spiritisme, il en ressort un enseignement grave et triste à la fois ; celles qui viennent du parti sceptique et matérialiste sont caractérisées par la négation, la raillerie plus ou moins spirituelle, par des plaisanteries le plus souvent sottes et plates, tandis que, il est regrettable de le dire, c'est dans celles du parti religieux que se trouvent les plus grossières injures, les outrages personnels, les calomnies ; c'est de la chaire que sont tombées les paroles les plus offensantes ; c'est au nom de l'Eglise qu'a été publié l'ignoble et mensonger pamphlet sur le prétendu budget du Spiritisme. J'en ai donné quelques échantillons dans la Revue, et je n'ai pas tout dit, par déférence, et parce que je sais que tous les membres du clergé sont loin d'approuver de pareilles choses. Il est utile, cependant, que plus tard on sache de quelles armes on s'est servi pour combattre le Spiritisme. Malheureusement les articles de journaux sont fugitifs comme les feuilles qui les contiennent ; les brochures même n'ont qu'une existence éphémère, et dans quelques années le nom des plus fougueux et des plus bilieux antagonistes sera probablement oublié ! Il n'est qu'un moyen de prévenir cet effet du temps, c'est de collectionner toutes ces diatribes, de quelque côté qu'elles viennent, et d'en faire un recueil qui ne sera pas une des pages les moins instructives de l'histoire du Spiritisme. Les documents ne me manquent pas pour ce travail, et j'ai le regret de dire que ce sont les publications faites au nom de la religion qui, jusqu'à ce jour, en ont fourni le plus fort contingent. Je constate avec plaisir que votre brochure au moins fait exception sous le rapport de l'urbanité, si ce n'est pour la force des arguments.

Selon vous, monsieur l'abbé, tout dans le Spiritisme n'est qu'incertitude, ténèbres épaisses, illusions, chaos, utopies ; alors convenez qu'il n'est pas fort dangereux, car personne n'y doit rien comprendre. Qu'est-ce que l'Église peut avoir à craindre d'une chose aussi saugrenue ? S'il en est ainsi, pourquoi ce déploiement de forces ? A voir ce déchaînement on dirait qu'elle a peur. D'ordinaire on ne tire pas le canon d'alarme contre une mouche qui vole. N'y a-t-il pas contradiction à dire d'un côté que le Spiritisme est redoutable, qu'il menace la religion, et de l'autre que ce n'est rien ?

Dans le passage précité, je relève en passant une erreur, involontaire sans doute, car je ne suppose pas qu'à l'exemple de quelques-uns de vos collègues, vous altériez sciemment la vérité pour les besoins de la cause. Vous dites : « En dépit de l'armée spirituelle dont vous vous êtes constitué le général en chef. » Je vous demanderai d'abord ce que vous entendez par armée spirituelle ; est-ce l'armée des Esprits ou celle des Spirites ? La première interprétation vous ferait dire une absurdité, la seconde une fausseté, en ce qu'il est notoire que je ne me suis jamais constitué le chef de qui que ce soit. Si les Spirites me donnent ce titre, c'est par un sentiment spontané de leur part, en raison de la confiance qu'ils veulent bien m'accorder, tandis que vous donnez à entendre que je me suis imposé et que j'en ai pris l'initiative, chose que je nie formellement. Du reste, si le succès de la doctrine que je professe me donne une certaine autorité sur les adeptes, c'est une autorité purement morale dont je n'use que pour leur recommander le calme, la modération et l'abstention de toutes représailles envers ceux qui les traitent le plus indignement, pour les rappeler, en un mot, à la pratique de charité même envers leurs ennemis.

La partie la plus importante de ce paragraphe est celle où vous dites que « le Spiritisme doit se borner à combattre le matérialisme, et à prouver l'immortalité de l'âme par les manifestations d'outre-tombe. » Le Spiritisme est donc bon à quelque chose. Si les manifestations d'outre-tombe sont utiles pour détruire le matérialisme et prouver l'immortalité de l'âme, ce n'est donc pas le diable qui se manifeste ; pour arriver à cette preuve qui ressort, selon vous, de ces manifestations, il faut que l'on y reconnaisse ses parents et ses amis ; les Esprits qui se communiquent sont donc les âmes de ceux qui ont vécu. Ainsi, monsieur l'abbé, vous êtes en contradiction avec la doctrine professée par plusieurs de vos illustres confrères, à savoir que le diable seul peut se communiquer. Est-ce là un point de doctrine ou une opinion personnelle ? Dans le second cas, l'une n'a pas plus d'autorité que l'autre, dans le premier, vous frisez l'hérésie.

Il y a plus : puisque les communications d'outre-tombe sont utiles pour combattre l'incrédulité sur la base fondamentale de la religion : l'existence et l'immortalité de l'âme ; puisque le Spiritisme doit s'en servir à cette fin, il est donc permis à chacun de chercher dans l'évocation le remède au doute que la religion seule n'a pu vaincre ; il est, par conséquent, permis à tout croyant, à tout bon catholique, à tout prêtre même d'en user pour ramener au bercail des brebis égarées. Si le Spiritisme a des moyens de dissiper des doutes que la religion n'a pu détruire, il offre donc des ressources que la religion ne possède pas, autrement, il n'y aurait pas un incrédule dans la religion catholique ; pourquoi donc repousse-t-elle un moyen efficace de sauver des âmes ? D'un autre côté, comment concilier l'utilité que vous reconnaissez aux communications d'outre-tombe avec la défense formelle que fait l'Église d'évoquer les morts ? Puisqu'il est de principe rigoureux qu'on ne peut être catholique sans se conformer scrupuleusement aux préceptes de l'Église, que la moindre déviation à ses commandements est une hérésie, vous voilà, monsieur l'abbé, bien et dûment hérétique, car vous déclarez bon ce qu'elle condamne. Vous dites que le Spiritisme n'est que chaos et incertitude ; êtes-vous donc beaucoup plus clair ? De quel côté est l'orthodoxie sur ce point, puisque les uns pensent d'une façon et d'autres le contraire ? Comment voulez-vous que l'on soit d'accord quand vous êtes vous-même en contradiction avec vos paroles ? Votre brochure est intitulée : Réfutation complÈte de la doctrine spirite au point de vue religieux. Qui dit complet, dit absolu ; si la réfutation est complète, elle ne doit rien laisser subsister ; et voilà qu'au point de vue religieux même, vous reconnaissez une utilité immense à ce que l'Église défend ! Est-il une utilité plus grande que de ramener à Dieu des incrédules ? Votre brochure eût été mieux intitulée : Réfutation de la doctrine démoniaque de l'Eglise. Ce n'est pas, du reste, la seule contradiction que je pourrais relever. Mais, tranquillisez-vous, car vous n'êtes pas le seul dissident ; je connais pour ma part bon nombre d'ecclésiastiques qui ne croient pas plus que vous à la communication exclusive du diable ; qui s'occupent d'évocations en toute sûreté de conscience ; qui même ne croient pas plus que moi aux peines irrémissibles et à la damnation éternelle absolue, d'accord en cela avec plus d'un Père de l'Église, ainsi qu'il vous le sera démontré plus tard. Oui, beaucoup plus d'ecclésiastiques qu'on ne pense envisagent le Spiritisme d'un point plus élevé ; frappés de l'universalité des manifestations et du spectacle imposant de cette marche irrésistible, ils y voient l'aurore d'une ère nouvelle, et un signe de la volonté de Dieu devant laquelle ils s'inclinent dans le silence.

Vous dites, monsieur l'abbé, que le Spiritisme devait s'arrêter à tel point, et ne pas aller au delà. Il faut en tout être conséquent avec soi-même. Pour que ces âmes puissent convaincre les incrédules de leur existence, il faut qu'elles parlent ; or, peut-on les empêcher de dire ce qu'elles veulent ? Est-ce ma faute si elles viennent décrire leur situation, heureuse ou malheureuse, autrement que l'enseigne l'Église ? si elles viennent dire qu'elles ont déjà vécu et qu'elles revivront encore corporellement ? que Dieu n'est ni cruel, ni vindicatif, ni inflexible, comme on le représente, mais bon et miséricordieux ? si, sur tous les points du globe où on les appelle pour se convaincre de la vie future, elles disent la même chose ? Est-ce ma faute enfin si le tableau qu'elles font de l'avenir réservé aux hommes est plus séduisant que celui que vous offrez ? si les hommes préfèrent la miséricorde à la damnation ? Qui a fait la doctrine spirite ? Ce sont leurs paroles, et non mon imagination ; ce sont les acteurs mêmes du monde invisible, les témoins oculaires des choses d'outre-tombe qui l'ont dictée, et elle n'a été établie que sur la concordance de l'immense majorité des révélations faites de tous les côtés et à des milliers de personnes que je n'ai jamais vues. Je n'ai donc fait dans tout ceci que recueillir et coordonner méthodiquement l'enseignement donné par les Esprits ; sans tenir aucun compte des opinions isolées, j'ai adopté celles du plus grand nombre, écartant toutes les idées systématiques, individuelles, excentriques ou en contradiction avec les données positives de la science.

De ces enseignements et de leur concordance, ainsi que de l'observation attentive des faits, il ressort que les manifestations spirites n'ont rien de surnaturel, mais sont au contraire le résultat d'une loi de la nature, inconnue jusqu'à ce jour, comme l'ont été longtemps celles de la gravitation, du mouvement des astres, de la formation de la terre, de l'électricité, etc. Dès lors que cette loi est dans la nature, elle est l'œuvre de Dieu, à moins de dire que la nature est l'œuvre du diable ; cette loi, expliquant une foule de choses inexplicables sans cela, a converti autant d'incrédules à l'existence de l'âme que le fait proprement dit des manifestations, et la preuve en est dans le grand nombre de matérialistes ramenés à Dieu par la seule lecture des ouvrages, sans avoir rien vu. Eût-il mieux valu qu'ils restassent dans l'incrédulité, au risque même de n'être pas tout à fait dans l'orthodoxie catholique ?

La doctrine spirite n'est donc point mon œuvre, mais celle des Esprits ; or, si ces Esprits sont les âmes des hommes, elle ne peut être l'œuvre du démon. Si c'était ma conception personnelle, en voyant son prodigieux succès, je ne pourrais que m'en féliciter ; mais je ne saurais m'attribuer ce qui n'est pas de moi. Non, elle n'est point l'œuvre d'un seul, ni homme ni Esprit, qui, quel qu'il fût, n'aurait pu lui donner une sanction suffisante, mais d'une multitude d'Esprits, et c'est là ce qui fait sa force, car chacun est à même d'en recevoir la confirmation. Le temps, comme vous le dites, en fera-t-il bonne justice ? Il faudrait pour cela qu'elle cessât d'être enseignée, c'est-à-dire que les Esprits cessassent d'exister et de se communiquer par toute la terre ; il faudrait en outre qu'elle cessât d'être logique et de satisfaire aux aspirations des hommes. Vous ajoutez que vous espérez que je reviendrai de mon erreur ; je ne le pense pas, et, franchement, ce ne sont pas les arguments de votre brochure qui me feront changer d'avis, ni déserter le poste où la Providence m'a placé, poste où j'ai toutes les joies morales auxquelles un homme peut aspirer sur la terre, en voyant fructifier ce qu'il a semé. C'est un bonheur bien grand et bien doux, je vous assure, que la vue des heureux que l'on fait, de tant d'hommes arrachés au désespoir, au suicide, à la brutalité des passions et ramenés au bien ; une seule de leurs bénédictions me paye largement de toutes mes fatigues et de toutes les insultes ; ce bonheur, il n'est au pouvoir de personne de me l'enlever ; vous ne le connaissez pas, puisque vous voudriez me l'ôter ; je vous le souhaite de toute mon âme ; essayez-en, et vous verrez.

Monsieur l'abbé, je vous ajourne à dix ans pour voir ce que vous penserez alors de la doctrine.

Agréez, etc.

Allan Kardec.

Nous extrayons le passage suivant d'un article publié dans l'Echo de Sétif, du 23 juillet 1863, en réponse à la brochure intitulée : le Budget du Spiritisme, dont nous avons parlé dans le numéro de la Revue spirite du mois de juin dernier :

« Ne donnons pas autant d'extension à la question, et, pour mieux nous comprendre, procédons par ordre :

1° Vous croyez à l'immortalité de l'âme et moi aussi. Nous voilà d'accord sur ce point.

2° Après ma mort, vous envoyez mon âme vers Dieu et moi aussi. Deuxième point sur lequel nous sommes d'accord.

3° Une fois mon âme arrivée vers Dieu, vous voulez, soit qu'elle reste en présence de Dieu, soit qu'elle aille en enfer, soit enfin qu'elle aille en purgatoire ; voilà les trois seuls endroits où vous lui permettez de se mouvoir.

Ici, nous ne sommes plus d'accord. Moi, je crois que Dieu peut permettre à une âme de voyager partout ; vous, vous lui circonscrivez l'espace, et moi je l'élargis.

Dites-moi, loyalement et franchement, si vous pensez que votre opinion soit mieux fondée que la mienne ; dites-moi pourquoi Dieu empêcherait mon âme de voyager après la mort de mon corps ? Avez-vous à ce sujet quelque révélation ? avez-vous une preuve tirée seulement d'un raisonnement ? Je ne le crois pas.

Moi, j'en ai une : c'est le raisonnement que je tire du connu à l'inconnu. Dieu a créé des lois immuables qui ne se contredisent jamais ; or, je vois dans la nature qui m'est connue que tout se meut, que tout s'agite, que rien ne reste en repos ; Dieu le veut ainsi.

Cette seule vérité que je touche, que je sens, me suffit pour me prouver qu'il en est de même pour les mondes qui me sont inconnus. De votre côté, dites-moi pourquoi vous voulez qu'il en soit autrement.

Si vous ne contestez pas que mon âme puisse se mouvoir après la mort de mon corps, si elle vit, si elle sent, si elle peut se communiquer avec quelque chose, avec quelqu'un, dites-moi pourquoi elle ne pourra jamais communiquer avec votre âme, encore attachée à votre corps ; donnez-moi une raison, une raison qui ait de la raison, autrement je la repousse.

Si vous me dites que votre intelligence se refuse à croire cela, c'est une raison que je n'admets pas, parce qu'il y a des millions de choses que votre intelligence refusera de croire, et que, cependant, vous croirez après les avoir vues ; tel a fait saint Thomas.

Je n'ai qu'une prière à vous adresser, moi ; je ne tiens pas à ce que vous croyiez, je n'y ai aucun intérêt, - mais je vous supplie de n'insulter personne sans nécessité.

Quel que soit votre mérite, il y a des hommes qui vous valent dans le Spiritisme. Il y en a qui veulent voir, étudier, s'instruire ; il y en a qui ont vu des choses surprenantes, ils veulent en connaître les causes avant de se prononcer. Eh bien ! faites comme eux : étudiez, tâchez de trouver. Puis, quand vous aurez trouvé, donnez-nous l'explication claire et précise du phénomène ; voilà qui vaudra mieux que des expressions mal sonnantes. Vous aurez fait faire un pas à la science, et calmé les consciences alarmées comme la vôtre. Voilà enfin un beau rôle à remplir !

Avant de terminer, posons une dernière question à M. Leblanc de Prébois.

A-t-il vendu sa brochure, ou l'a-t-il publiée seulement par amour pour l'humanité ?

C***. »





Cet ouvrage est un récit pur et simple, sans commentaires ni explications, des phénomènes médianimiques produits par M. Home. Ces phénomènes sont très intéressants pour quiconque connaît le Spiritisme et peut se les expliquer, mais seuls ils sont peu convaincants pour les incrédules qui, ne croyant pas même à ce qu'ils voient, croient encore moins à ce qu'on raconte ; c'est un recueil de faits plus approprié à ceux qui savent qu'à ceux qui ne savent pas, instructif pour les premiers, simplement curieux pour les seconds. Notre intention n'est ni d'examiner ni de discuter ici ces faits qui feraient double emploi avec les articles que nous avons publiés sur M. Home dans la Revue spirite (février, mars, avril et mai 1858, pages 58, 88, 117, 120, 145). Nous dirons seulement que la simplicité du récit a un cachet de vérité qu'on ne saurait méconnaître, et que, pour nous, nous n'avons aucun motif d'en suspecter l'authenticité ; ce qu'on peut lui reprocher, c'est trop de monotonie, et l'absence de toute conclusion, de toute déduction philosophique ou morale ; ce sont aussi de trop fréquentes incorrections de style ; la traduction, dans certaines parties surtout, s'écarte beaucoup trop du génie de la langue française. Si le doute est la première impression chez celui qui ne peut se rendre compte de ces faits, quiconque aura lu attentivement et compris nos ouvrages, principalement le Livre des médiums, en reconnaîtra tout au moins la possibilité, parce qu'il en aura l'explication.

M. Home, comme on le sait, est un médium à effets physiques d'une très grande puissance ; une particularité remarquable, c'est qu'il réunit en sa personne l'aptitude nécessaire à l'obtention de la plupart des phénomènes de ce genre, et cela à un degré en quelque sorte exceptionnel. Quoique la malveillance se soit plu à lui attribuer une multitude de faits apocryphes, ridicules par leur exagération, il en reste assez pour justifier sa réputation ; son ouvrage aura surtout le grand avantage de faire la part du vrai et du faux.

Les phénomènes qu'il produit nous reportent à la première période du Spiritisme, à celle des tables tournantes, autrement dite de curiosité ; c'est-à-dire à celle des effets préliminaires qui avaient pour objet d'appeler l'attention sur le nouvel ordre de choses et d'ouvrir la voie de la période philosophique. Cette marche était rationnelle, car toute philosophie doit être la déduction de faits consciencieusement étudiés et observés, et celle qui ne reposerait que sur des idées purement spéculatives manquerait de base. La théorie devait donc découler des faits, et les conséquences philosophiques devaient découler de la théorie. Si le Spiritisme se fût borné aux phénomènes matériels, la curiosité une fois satisfaite, il n'aurait eu qu'une vogue éphémère ; on en a la preuve par les tables tournantes qui ont eu le privilège d'amuser les salons pendant quelques hivers seulement. Sa vitalité n'était que dans son utilité ; aussi l'extension prodigieuse qu'il a acquise date de l'époque où il est entré dans la voie philosophique ; de cette époque seulement il a pris rang parmi les doctrines.

L'observation et la concordance des faits ont conduit à la recherche des causes ; la recherche des causes a conduit à reconnaître que les rapports entre le monde visible et le monde invisible existent en vertu d'une loi ; cette loi une fois connue a donné l'explication d'une foule de phénomènes spontanés jusqu'alors incompris, et réputés surnaturels avant qu'on en connût la cause ; la cause établie, ces mêmes phénomènes sont rentrés dans l'ordre des faits naturels, et le merveilleux a disparu. Sous ce rapport on peut, avec raison, critiquer la qualification de surnaturelle que M. Home donne à sa vie dans son ouvrage ; jadis il eût sans doute passé pour un thaumaturge ; au moyen âge, s'il eût été moine, on en eût fait un saint ayant le don des miracles ; simple particulier, il eût passé pour sorcier et on l'aurait brûlé ; chez les Païens, on en eût fait un dieu et on lui eût élevé des autels ; mais autre temps, autres mœurs : aujourd'hui, c'est un simple médium, prédestiné par la puissance de sa faculté à restreindre le cercle des prodiges, en prouvant, par l'expérience, que certains effets dits merveilleux ne sortent pas des lois de la nature.

Quelques personnes en ont conçu des craintes pour l'authenticité de certains miracles en voyant ceux-ci tomber dans le domaine public. M. Home partageant ce don avec une foule d'autres médiums qui reproduisent ces phénomènes à la vue de tout le monde, il devenait impossible, en effet, de les considérer comme des dérogations aux lois de la nature, caractère essentiel des faits miraculeux, à moins d'admettre qu'il était donné au premier venu de pouvoir bouleverser ces lois. Mais qu'y faire ? On ne peut empêcher d'être ce qui est ; on ne peut mettre sous le boisseau ce qui n'est le privilège d'aucun individu ; il faut donc se résigner à accepter les faits accomplis, de même qu'on a accepté le mouvement de la terre et la loi de sa formation. Si M. Home eût été seul en son genre, lui mort, on pourrait nier ce qu'il a fait, mais comment nier des phénomènes rendus vulgaires par la multiplicité et la perpétuité des médiums qui se forment chaque jour dans des milliers de familles, sur tous les points du globe ? Encore une fois, de gré ou de force, il faut accepter ce qui est, et ce qu'on ne peut empêcher.

Mais ce que certains phénomènes perdent en prestige au point de vue miraculeux, ils le gagnent en authenticité ; l'incrédulité à l'endroit des miracles est à l'ordre du jour, il faut bien en convenir, et la foi en était réellement ébranlée ; maintenant, en présence des effets médianimiques, et grâce à la théorie spirite qui prouve que ces effets sont dans la nature, la possibilité de ces phénomènes est démontrée, et l'incrédulité devra se taire. La négation d'un fait entraîne la négation de ses conséquences ; vaut-il mieux nier le fait en tant que miraculeux, que de l'admettre comme simple loi de la nature ? Est-ce que les lois de la nature ne sont pas l'œuvre de Dieu ? est-ce que la révélation d'une nouvelle loi n'est pas une preuve de sa puissance ? Dieu est-il moins grand d'agir en vertu de ses lois qu'en y dérogeant ? D'ailleurs, est-ce que les miracles sont l'attribut exclusif de la puissance divine ? L'Église elle-même ne nous enseigne-t-elle pas que « de faux prophètes, suscités par le démon, peuvent faire des miracles et des prodiges à séduire même les élus ? » Si le démon peut faire des miracles, il peut déroger aux lois de Dieu, c'est-à-dire défaire ce que Dieu a fait ; mais l'Eglise ne dit nulle part que le démon peut faire des lois pour régir l'univers ; or, puisque les miracles peuvent être faits par Dieu et par le démon, que les lois sont l'œuvre de Dieu seul, le Spiritisme, en prouvant que certains faits regardés comme des exceptions, sont des applications des lois de la nature, atteste, par cela même, bien plus la puissance de Dieu que les miracles, puisqu'il n'attribue qu'à Dieu ce qui, dans l'autre hypothèse, pourrait être l'œuvre du démon.

Des phénomènes produits par M. Home, il ressort un autre enseignement, et son livre vient à l'appui de ce que nous avons dit bien des fois sur l'insuffisance des manifestations physiques seules pour amener la conviction chez certaines personnes. C'est un fait bien connu que beaucoup de gens ont été témoins des manifestations les plus extraordinaires sans être convaincus, et cela, parce que ne les comprenant pas, et n'ayant aucune base pour asseoir un raisonnement, ils n'y ont vu que de la jonglerie. Assurément, si quelqu'un était capable de vaincre l'incrédulité par des effets matériels, c'était M. Home ; aucun médium n'a produit un ensemble de phénomènes plus saisissants, ni dans de meilleures conditions d'honorabilité, et cependant bon nombre de ceux qui l'ont vu à l'œuvre le traitent encore, à l'heure qu'il est, d'adroit prestidigitateur ; pour beaucoup, il fait des choses très curieuses, plus curieuses que chez Robert Houdin, et voilà tout. Il semblait cependant qu'en présence de faits aussi éclatants, rendus notoires par le nombre et la qualité des témoins, toute négation devenait impossible, et que la France allait être convertie en masse. Quand ces phénomènes ne se produisaient qu'en Amérique, on se rejetait sur l'impossibilité de les voir ; M. Home est venu les montrer à l'élite de la société, et dans cette société même il a trouvé plus de curieux que de croyants, bien qu'ils défiassent toute suspicion fondée de charlatanisme. Que manquait-il donc à ces manifestations pour convaincre ? Il leur manquait la clef pour être comprises. Aujourd'hui, il n'est pas un Spirite ayant étudié un peu sérieusement la science, qui n'admette tous les faits relatés dans le livre de M. Home sans les avoir vus, tandis que, parmi ceux mêmes qui les ont vus, il est plus d'un incrédule, tant il est vrai que ce qui parle à l'esprit et s'appuie sur le raisonnement a une puissance de conviction que ne possède pas ce qui ne parle qu'aux yeux.

S'ensuit-il que la venue de M. Home ait été inutile ? Certainement non ; nous l'avons dit et nous le répétons : il a hâté l'éclosion du Spiritisme en France, par l'éclat qu'il a jeté sur les phénomènes, même parmi les incrédules, en prouvant qu'ils ne sont entourés d'aucun mystère, ni d'aucune des formules ridicules de la magie, et qu'on peut être médium sans avoir l'air d'un sorcier ; enfin, par le retentissement que son nom et le monde qu'il a fréquenté ont donné à la chose ; sa venue a donc été très utile, quand ce ne serait que pour avoir fourni à M. Oscar Comettant l'occasion d'en parler, et de faire le spirituel article que l'on connaît, pour lequel il n'a manqué à l'auteur que de connaître ce qu'il a voulu critiquer ; absolument comme si un homme ne sachant pas un mot de musique voulait critiquer Mozart ou Beethoven. (Voir le compte rendu de l'ouvrage de M. Home par M. Comettant, dans le Siècle du 15 juillet 1863, et quelques mots de notre part sur cet article dans la Revue spirite du mois d'août suivant.)

Prêchés à la cathédrale de Metz les 27, 28 et 29 mai 1863, par le R. P. Letierce, de la Compagnie de Jésus ; - réfutés par un Spirite de Metz, et précédés de considérations sur la folie spirite[1].

Quoique nous ne connaissions pas personnellement l'auteur de cet opuscule, nous pouvons dire que c'est l'œuvre d'un Spirite éclairé et sincère ; nous sommes heureux de voir la défense du Spiritisme prise par des mains habiles qui savent allier la puissance du raisonnement à la modération qui est l'apanage de la véritable force. Les arguments des adversaires y sont combattus avec une logique à laquelle nous ne savons quelle logique on pourrait opposer, car il n'y en a qu'une sérieuse, celle dont les déductions ne laissent aucune place à la réplique, et nous trouvons que celle de l'auteur est dans ce cas. Sans doute, à tort ou à raison, on peut toujours répliquer, parce qu'il y a des gens avec lesquels on n'a jamais le dernier mot, s'agirait-il de leur prouver qu'il fait jour à midi ; mais ce n'est pas d'eux qu'il s'agit d'avoir raison ; peu importe qu'ils soient ou non convaincus de leur erreur ; aussi n'est-ce pas à eux qu'on s'adresse, mais au public, juge en dernier ressort des bonnes et des mauvaises causes. Il y a dans l'esprit des masses un bon sens qui peut faillir dans les individus isolés, mais dont l'ensemble est comme la résultante des forces intellectuelles et du sens commun.

La brochure dont il s'agit réunit, selon nous, les avantages du fond et de la forme ; c'est-à-dire qu'à la justesse du raisonnement, elle joint la correction et l'élégance du style, qui ne gâtent jamais rien et rendent la lecture de tout écrit plus attachante et plus facile. Nous ne doutons pas que cet écrit ne soit accueilli avec la sympathie qu'il mérite par tous les Spirites ; nous le leur recommandons en toute confiance et sans restriction ; en contribuant à le répandre ils rendront service à la cause.





[1] Brochure in-12. Prix : 1 fr. ; par la poste, 1 fr. 10 c. - Paris, chez MM. Didier, 35, quai des Augustins ; Ledoyen, palais-Royal ; Metz, chez Linden, 1, rue Pierre-Hardie.





Dissertations spirites

Société spirite de Paris, 31 juillet 1863. - Médium madame Costel

Me voici donc encore sur le théâtre du monde, moi qui me croyais ensevelie pour jamais dans mon voile d'innocence et de jeunesse. Le feu de la terre me sauvait du feu de l'enfer : ainsi je pensais dans ma foi catholique, et, si je n'osais entrevoir les splendeurs du paradis, mon âme tremblante se réfugiait dans l'expiation du purgatoire, et je priais, je souffrais, je pleurais. Mais qui donnait à ma faiblesse la force de supporter mes angoisses ? qui, dans les longues nuits d'insomnie et de fièvre douloureuse, se penchait sur ma couche de martyre ? qui rafraîchissait mes lèvres arides ? C'était vous, mon ange gardien, dont la blanche auréole m'entourait ; c'était vous aussi, chers Esprits amis, qui veniez murmurer à mon oreille des paroles d'espoir et d'amour.

La flamme qui consuma mon faible corps me dépouilla de l'attachement à ce qui passe ; aussi je mourus déjà vivante de la vraie vie. Je ne connus pas le trouble, et j'entrai sereine et recueillie dans le jour radieux qui enveloppe ceux qui, après avoir beaucoup souffert, ont un peu espéré. Ma mère, ma chère mère, fut la dernière vibration terrestre qui résonna à mon âme. Que je voudrais qu'elle devînt Spirite !

Je me suis détachée de l'arbre terrestre comme un fruit mûr avant le temps. Je n'étais encore qu'effleurée par le démon de l'orgueil qui pique les âmes des malheureuses entraînées par le succès brillant et l'ivresse de la jeunesse. Je bénis la flamme ; je bénis les souffrances ; je bénis l'épreuve qui était une expiation. Semblable à ces légers fils blancs de l'automne, je flotte entraînée dans le courant lumineux ; ce ne sont plus les étoiles de diamant qui brillent sur mon front, mais les étoiles d'or du bon Dieu.



Nota. - Notre intention avait été d'évoquer dans cette séance cet Esprit, auquel nous savions que beaucoup d'entre nous étaient sympathiques. Des raisons particulières nous avaient fait ajourner cette évocation, dont nous n'avions entretenu personne ; mais cet Esprit, attiré sans doute par notre pensée et celle de plusieurs membres, vint spontanément, et sans être appelé, dicter la charmante communication ci-dessus.

Société spirite de Paris, 31 juillet 1863. - Médium, M. Alfred Didier

La religion catholique nous montre le purgatoire comme un lieu où l'âme, en subissant de terribles expiations, allège ses fautes et revendique peu à peu, par la douleur, ses droits au soleil de la vie éternelle. Image splendide ! la plus vraie, la plus parfaite de la grande trinité dogmatique de l'enfer, du purgatoire et du paradis. Malgré ses sévérités désespérantes, l'Eglise a compris qu'il fallait un milieu entre la damnation éternelle et le bonheur éternel. Elle a confondu, cependant, dans cet étrange assemblage, le temps infini et progressif, qui n'est qu'un, avec trois situations limitées et incompréhensibles. A la religion ou plutôt à l'enseignement tout humanitaire et tout progressif du Christ, le Spiritisme ajoute les moyens de réaliser cette idéale humanité. Dans les écarts philosophiques de notre époque, il y a plus d'un germe spirite ; et tel philosophe sceptique qui ne conseille pour le bonheur définitif de l'humanité que l'éloignement et la destruction de toute croyance humaine et divine, travaille plus qu'on ne croit à la tendance universelle du Spiritisme. Seulement, c'est une route où le ciel paraît peu, où l'existence future n'apparaît presque pas, mais où du moins la tranquillité matérielle et pour ainsi dire égoïste de cette vie est comprise avec la netteté du législateur, et, sinon du saint, du moins d'un philanthrope humanitaire.

Or, il s'agirait de savoir si, à l'état latent, pour ainsi dire, de la vie extra-corporelle, et que l'on pourrait appeler intra-vitale, il s'agirait de savoir si, avec la mesure de connaissances et de sagacité clairvoyante que possèdent les Esprits supérieurs, le progrès universel est aussi efficace que le progrès terrestre. Cette question fondamentale pour le Spiritisme s'est jusqu'à présent résolue un peu trop par des réponses de détail ; ce n'est plus seulement, comme le dit l'Eglise, un lieu d'expiations, c'est un foyer universel où justement les âmes qui y circulent redoutent avec angoisses ou acceptent avec espérance les existences qui se dévoilent à elles. Là est, selon nous, seulement le commencement de ce qu'on appelle le purgatoire ; et l'erraticité, cette phase importante de la vie de l'âme, ne nous semble aucunement expliquée, ni même mentionnée par les dogmes catholiques.

Lamennais.

Groupe d'Orléans. - Médium, M. de Monvel

De toutes les vertus dont le Christ nous a laissé l'adorable exemple, il n'en est pas une qui ait été plus indignement oubliée par la triste humanité que la chasteté. Et je ne parle pas seulement de la chasteté du corps, dont on trouverait encore sans doute sur la terre de nombreux exemples, mais de cette chasteté de l'âme qui n'a jamais conçu une pensée, laissé échapper une parole de nature à flétrir la pureté de la vierge ou de l'enfant qui l'écoute.

Le mal est si universel, les occasions de danger si multipliées, que les parents, même les plus véritablement chastes dans leurs actes comme dans leurs discours, ne peuvent échapper à la douloureuse certitude que leurs enfants ne pourront, quoi qu'ils fassent, se soustraire à la funeste contagion. Il leur faut, quelque répugnance qu'ils en éprouvent, se résigner à ouvrir eux-mêmes les yeux à ces innocentes créatures, pour les préserver tout au moins du danger physique, puisqu'il est absolument impossible de les préserver du danger moral ; et, bien souvent encore, lorsqu'ils croient avoir paré au danger, il se trouve quelque écueil dont ils n'avaient pas soupçonné l'existence, et sur lequel vient échouer le pauvre et innocent enfant que leur amour n'a pu préserver de la souillure du vice.

Combien de mots imprudents, même dans la société la plus choisie ; combien d'images et de descriptions, même dans les livres les plus sérieux, ne viennent-ils pas, à l'insu des parents, éveiller, exciter, ou même satisfaire complètement cette curiosité avide, si redoutable, de l'enfant qui n'a aucune conscience du danger ! Si le mal est difficile à éviter, même dans les classes les plus éclairées de la société, qu'est-ce donc dans les classes inférieures ? Et en supposant qu'un enfant ait eu le bonheur d'y échapper sous le toit paternel, comment le garantir de cet inévitable contact avec les vices qu'il coudoie chaque jour ?

Il y a là une plaie bien profonde, bien dangereuse, et dont tout homme qui a conservé au fond du cœur le sens moral doit éprouver le plus impérieux besoin de purger la société. Le mal est enraciné dans nos cœurs, et il s'écoulera bien du temps encore avant que chacun de nous soit devenu assez pur pour en soupçonner seulement la gravité. Tel croirait commettre une faute sérieuse s'il se permettait devant un enfant le moindre mot à double entente, qui, s'il se croit entouré de personnes d'un âge mûr, trouvera un plaisir avoué dans des plaisanteries obscènes ou triviales, qui, dit-il, ne font de mal à personne. Il ne voit pas que l'obscénité est un mal tellement immoral qu'il flétrit tout ce qu'il touche, même l'air, dont les vibrations vont porter au loin la contagion. On a dit que les murs ont des oreilles, et si cette figure a jamais été vraie, c'est surtout en pareille matière. La pure et sainte chasteté n'établira définitivement son règne sur la terre que lorsque toute créature qui pense et qui parle aura compris qu'elle ne doit jamais, en quelque circonstance que ce soit, ni écrire un mot ni prononcer une parole que la vierge la plus pure ne puisse entendre sans rougir.

Vous n'avez pas d'enfants, direz-vous, et il n'y en a pas un seul dans votre maison, et, dès lors, vous n'avez aucune raison, à ce qu'il vous semble, pour vous contraindre. Mais si vous étiez purs vous-mêmes, vous ne seriez pas obligés de vous contraindre ; et n'avez-vous pas des amis qui vous écoutent, que votre exemple excite, et qui peut-être ailleurs perdront devant des enfants, que vous ne connaissez pas, la réserve qu'un reste de pudeur leur avait fait observer jusque-là. Puis aussi, c'est presque toujours aux heures des repas que votre esprit se laisse aller à des saillies qui excitent le rire des convives ; mais ne voyez-vous pas ces serviteurs qui vous entourent, et votre voisin a des enfants ! Vous ne connaissez ni ce voisin ni ces enfants, et vous ne saurez jamais le mal dont vous avez été la cause ; mais le mal, de quelque part qu'il vienne, sera toujours puni, soyez-en convaincus. Il n'y a pas que les murs qui ont des oreilles, et il y a dans l'air que vous respirez des choses que vous ne connaissez pas encore, ou que vous ne voulez pas connaître.

Nul n'a le droit d'exiger de ses subalternes une vertu qu'il ne pratique ni ne possède lui-même.

Un seul mot impur suffit pour altérer la pureté d'un enfant ; un seul enfant impur introduit dans une maison d'éducation publique suffit pour gangrener toute une génération d'enfants, qui, plus tard, deviendront des hommes. Y a-t-il un seul homme sensé qui révoque en doute la vérité patente et douloureuse de ce fait ? Nul n'en doute, nul n'ignore toute l'étendue du mal qu'un seul mot peut faire, et cependant nul ne se croit obligé à cette chasteté de l'âme que révolte toute pensée obscène, quelque déguisée qu'elle soit, et même, dans de certaines circonstances, nul ne regarde comme une stricte obligation morale de s'abstenir de plaisanteries qui devraient le faire rougir lui-même, s'il ne se faisait gloire de ne plus rougir. Triste et honteuse gloire que celle-là !

Ce n'est pas seulement la chasteté que nous devrions respecter chez les enfants, c'est aussi cette délicate candeur à qui toute idée de fausseté fait monter le rouge au front ; et cette vertu est bien rare aussi ; mais quand on observe comment est élevée l'immense majorité de nos enfants, on ne doit pas s'en étonner beaucoup. Pour la plupart des parents les enfants, surtout en bas âge, ne sont guère que de petites poupées dont on s'amuse comme d'un charmant jouet. Et ce qui les rend si divertissants, c'est que leur naïve crédulité permet de les taquiner du matin au soir par ces petits mensonges qu'on croit innocents parce qu'ils sont faits sans méchanceté aucune, et uniquement, comme on dit, pour rire. Or, dans sa véritable acception, le mot innocent signifie : qui ne nuit pas ; mais qu'y a-t-il de plus nuisible, au contraire, à la candeur d'un enfant, que ces petits abus de confiance incessants dont il est dupe un instant, mais un instant seulement, dont il rit et s'amuse ensuite, et qu'il trouve le plus grand plaisir à imiter lui-même autant qu'il le peut.

Il résulte de cela que l'enfant souvent le plus candide apprend à tromper aussi vite qu'il apprend à parler, et qu'au bout de très peu de temps il est capable de donner des leçons à ses maîtres.

On ne se doute guère combien, surtout à cet âge, souvent une faible cause peut produire plus tard les plus déplorables résultats. Les organes de l'intelligence, chez les très jeunes enfants, sont comme une cire molle apte à recevoir l'empreinte du plus faible objet qui la touche ; et, ne fût-ce qu'un instant, il y a déformation ; et lorsque cette cire, si fluide d'abord, viendra à se figer, l'empreinte restera désormais ineffaçable. On peut croire qu'elle sera couverte par d'autres, c'est une erreur : l'empreinte primitive restera seule indélébile, et ce seront les impressions ultérieures, au contraire, qui ne laisseront qu'une trace fugitive et sous laquelle la première reparaîtra toujours.

Voilà ce que bien peu de jeunes pères sont capables de sentir avec assez de force pour s'en faire une règle de conduite avec leurs enfants, et ce qu'il faut leur répéter à satiété.

Cécile Monvel.

Thionville, 25 décembre 1862. - M. le docteur R…

Nous vous avons fait entrevoir l'aurore de la régénération humaine ; vous devez voir là, comme dans toute la marche de l'humanité à travers les âges, le doigt de Dieu.

Nous vous l'avons dit bien souvent : Tout ce qui arrive ici-bas, comme tout ce qui se passe dans l'univers entier, est soumis à une loi générale : celle du progrès.

Inclinez-vous devant elle, orgueilleux et superbes qui prétendez vous mettre au-dessus des décrets du Très-Haut ! Cherchez partout la cause de vos malheurs comme de vos jouissances, vous y reconnaîtrez toujours le doigt de Dieu.

Mais, direz-vous, le doigt de Dieu, c'est donc le fatalisme ! Ah ! gardez-vous de confondre ce mot impie avec les lois que la Providence vous a imposées, la Providence, qui a dû vous laisser votre libre arbitre pour vous laisser en même temps le mérite de vos actes, mais qui en tempère la rigueur par cette voix, si souvent méconnue, qui vous avertit du danger auquel vous vous exposez.

Le fatalisme, c'est la négation du devoir, parce que notre sort étant fixé d'avance, il ne nous appartient pas de le changer.

Que deviendrait le monde avec cette effroyable théorie qui abandonnerait les hommes aux perfides suggestions des plus mauvaises passions ? Où serait le but de la création ? où serait la raison d'être de l'ordre admirable qui règne dans l'univers ?

Le doigt de Dieu, au contraire, c'est la punition toujours suspendue sur la tête du coupable ; c'est le remords qui le ronge au cœur, en lui reprochant ses crimes à chaque instant du jour ; c'est l'affreux cauchemar qui le torture pendant de longues nuits sans sommeil ; c'est cette trace sanglante qui le suit en tous lieux, comble pour reproduire sans cesse à ses yeux l'image de ses forfaits ; c'est la fièvre qui tourmente l'égoïste ; ce sont les angoisses perpétuelles du mauvais riche, qui voit dans tous ceux qui l'approchent des spoliateurs disposés à lui ravir un bien mal acquis ; c'est la douleur qu'il éprouve à son heure dernière de ne pouvoir emporter ses inutiles trésors !

Le doigt de Dieu, c'est la paix du cœur réservée à l'homme juste ; c'est ce doux parfum qui vous remplit l'âme après une bonne action ; c'est cette suave jouissance qu'on éprouve toujours à faire le bien ; c'est la bénédiction du pauvre qu'on assiste, c'est le doux regard d'un enfant dont on a séché les larmes ; c'est la prière fervente d'une pauvre mère à laquelle on a procuré le travail qui doit l'arracher à la misère ; c'est en un mot le contentement de soi-même.

Le doigt de Dieu, enfin, c'est la justice grave et austère, tempérée par la miséricorde ! le doigt de Dieu, c'est l'espérance, qui n'abandonne pas l'homme dans ses plus cruelles souffrances, qui le console toujours et qui laisse entrevoir au plus criminel, que le repentir a touché, un coin de la céleste demeure dont il se croyait repoussé à tout jamais !

Esprit familier.

Thionville. - Médium, M. le docteur R…

Un poète a dit :

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Reconnaissez dans ce vers une des plus belles inspirations qui aient jamais été données à l'homme. Le vrai, c'est la ligne droite ; le vrai, c'est la lumière, dont la splendeur n'a pas besoin d'être voilée pour les hommes justes dont l'esprit est merveilleusement disposé à comprendre ses immenses bienfaits. Pourquoi, dans notre société actuelle, la lumière a-t-elle tant de peine à être perçue par la majorité des hommes ? Pourquoi l'enseignement de la vérité est-il entouré de tant d'obstacles ? C'est que jusqu'à présent l'humanité n'a pas fait de progrès assez marqués depuis l'origine du christianisme. Depuis le Christ, qui a dû voiler ses admirables enseignements sous les formes de l'allégorie et de la parabole, tous ceux qui ont essayé de propager la vérité n'ont pas été plus écoutés que leur divin Maître ; c'est que l'humanité devait progresser avec une sage lenteur pour que sa marche fût plus sûre ; c'est qu'elle avait besoin d'un long noviciat pour être apte à se conduire elle-même.

Mais rassurez-vous ! Le soleil de la régénération, depuis longtemps à son aurore, ne tardera pas à répandre sur vous son éblouissante clarté ; la vraie lumière vous apparaîtra, et son influence bienfaisante s'étendra à toutes les classes de la société. Combien alors s'étonneront de n'avoir pas accueilli plus tôt cette vérité qui date de la plus haute antiquité, et qu'un sentiment d'orgueil leur a toujours fait côtoyer sans la voir !

Cette fois, du moins, vous n'aurez à subir aucun de ces effroyables cataclysmes qui semblent comme autant de jalons destinés à marquer, à travers les siècles, la marche de la vraie lumière ; les hommes, mieux instruits, comprendront que les bouleversements qui laissent après eux une traînée de feu et de sang ne sauraient cadrer aujourd'hui avec nos mœurs adoucies par la pratique de la charité. Ils comprendront enfin la portée de ce mot sublime que le Christ leur fit entendre autrefois : « Paix aux hommes de bonne volonté ! »

Il n'y aura plus d'autre guerre que celle qui sera faite aux mauvaises passions ; tous réuniront leurs forces pour chasser l'esprit du mal, dont le règne désastreux n'a que trop longtemps arrêté l'essor de la civilisation. Tous s'arrêteront à cette pensée que la vraie lumière est la seule conquête légitime, la seule qu'ils doivent désormais ambitionner, la seule qui pourra les conduire au bonheur.

A l'œuvre donc, vous tous qui tenez la bannière du progrès ! ne craignez pas de l'arborer haut et ferme, pour que de tous les coins du globe les hommes puissent accourir se ranger sous son égide. Demandez à notre Père céleste la force et l'énergie qui vous sont indispensables pour cette grande œuvre, et, si vous ne devez pas jouir ici-bas du bonheur de la voir s'accomplir, que du moins, en mourant, vous emportiez la conviction que votre existence a été utile à tous, et que la plus douce récompense vous attend parmi nous : la joie d'avoir accompli votre mission pour la plus grande gloire de Dieu.

Esprit familier.




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