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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863 > Novembre
Novembre
Par M. Herrenschneider
2e article .
Le principe de la dualité de l'essence de l'âme et le système spirituel de M. Cousin et de son école.
Nous avons cherché à prouver, dans notre dernier article, que si, en général, messieurs les libres penseurs voulaient se donner la peine d'examiner les motifs qui leur permettent de s'affirmer, de dire « je » ou « moi, » ils arriveraient à la connaissance de leur double, essence ; qu'ils se convaincraient que leur âme est constituée de façon à exister séparément du corps, aussi bien que dans son enveloppe, et qu'ils en comprendraient l'erraticité, lorsqu'après le trépas elle a quitté sa matière terrestre. De sorte que leur science, si elle était fondée sur le véritable principe de la constitution de l'âme, confirmerait les faits spirites, au lieu de les contredire avec tant de persistance. En effet, notre notion du moi se compose principalement du sentiment et de la connaissance que nous avons de nous-mêmes, et ces deux phénomènes intimes, évidents pour tout le monde, impliquent péremptoirement deux éléments distincts dans l'âme : l'un passif, sensible, étendu et solide, qui reçoit les impressions ; l'autre actif, inétendu et pensant, qui les perçoit. En conséquence, si nous possédons, à côté d'un élément virtuel, un élément résistant et permanent, différent de notre corps, nous ne pouvons nous dissoudre par la mort ; notre immortalité est prouvée, et notre préexistence en est une conséquence naturelle. Nos destinées sont
donc indépendantes de notre séjour terrestre, et celui-ci n'est plus qu'un épisode plus ou moins intéressant pour nous, selon les évènements qui le remplissent.
La dualité de l'essence de notre âme est, d'après ces observations, un principe important, puisqu'elle nous instruit sur notre existence réelle et immortelle. Mais elle est un principe d'autant plus important, qu'elle est la source unique où nous puisons la conscience certaine de notre individualité, et qu'elle est ainsi l'origine de notre science, de celle dont nous ne pouvons pas douter, et sur laquelle repose tout le reste de nos connaissances. Effectivement, nous commençons tous par nous connaître d'abord, avant de remarquer ce qui nous entoure ; et nous mesurons à notre toise tout ce que nous examinons, et ce que nous jugeons. Il est donc indispensable de remarquer, pour l'étude de la vérité, que notre savoir part de nous, pour revenir à nous ; qu'il est un cercle que nous formons nous-mêmes, qui nous entoure et qui nous enlace fatalement à notre insu. Les philosophes actuels l'ignorent, et le subissent sans s'en apercevoir. C'est lui qui les éblouit, qui les aveugle, et qui les empêche de regarder au delà et au-dessus d'eux. Aussi n'aurons-nous que trop souvent l'occasion de constater leur aveuglement. Les Anciens, au contraire, connaissaient ce cercle et son influence mystérieuse, car ils symbolisaient la science sous la figure d'un serpent qui se mord la queue, après s'être retourné sur lui-même. Ce qui signifiait, à leurs yeux, que notre savoir part d'un point donné, fait le tour de notre horizon intellectuel, et rejoint son point de départ. Or, si ce point de départ est élevé, et que le regard soit perçant, l'horizon est étendu et la science est vaste ; si ce point, par contre, rase le sol, et que la vue soit troublée, l'horizon est restreint et l'intelligence des choses limitée. Ainsi, tels que nous sommes personnellement, tel est l'ensemble et la portée de nos connaissances. Par ce motif il devient évident que la première condition de la science individuelle est de s'examiner soi-même, non seulement pour distinguer ses qualités, ses défauts et ses vices, mais pour connaître d'abord la constitution intime de notre être, et ensuite pour élever notre esprit et pour former notre caractère.
Donc, la vraie science n'est pas faite pour chacun. Celui qui y aspire doit non seulement avoir de l'intelligence et de l'instruction, mais, surtout, être sérieux, sobre, sage, ne pas se laisser guider par le caprice de son imagination, par sa vanité, par ses intérêts et par sa suffisance. Ce qui doit guider le véritable amant de la vérité, c'est un amour désintéressé pour ce but vénéré ; c'est la volonté énergique et constante de ne jamais s'arrêter, et de séparer rigoureusement l'ivraie de la bonne semence. Plus l'homme se possède, et plus il est calme et noble, mieux il saura discerner les sentiers qui le conduiront à la vérité ; plus il est léger, présomptueux ou passionné, plus il corrompra par son haleine impure les fruits qu'il cueillera sur l'arbre de la vie.
La première condition pour arriver à la connaissance des choses, c'est donc le caractère individuel ; et c'est par cette raison que, dans l'antiquité, des épreuves solennelles précédaient toute initiation. Aujourd'hui le savoir est répandu sans discernement, chacun croit pouvoir y prétendre ; mais aussi la vérité est moins que jamais bien accueillie, tandis que les doctrines les plus étranges trouvent de nombreux adhérents. On devrait donc se convaincre que les esprits indifférents, rétrécis par les sciences exactes et naturelles, emportés par l'imagination, ou bouffis d'impertinence, sont impropres à la recherche de la vérité, et qu'il serait plus prudent de réserver ce noble labeur pour quelques élus. Cependant des dispositions plus sensées se manifestent aujourd'hui par l'avènement du Spiritisme ; et, en effet, les Spirites sont des hommes bien disposés pour la recherche de la vérité, parce qu'en se séparant du tourbillon général qui entraîne la société, ils ont renoncé d'eux-mêmes aux vanités mondaines, aux principes superficiels des libres penseurs, et à la superstition officielle des cultes reconnus. Ils font preuve d'une saine indépendance, d'un amour sincère de la vérité, et d'une touchante sollicitude pour leurs intérêts éternels. Ce sont là les meilleures dispositions morales pour aborder les graves problèmes de l'âme, du monde et de la Divinité. Pour notre bien éternel, essayons donc de nous entendre, et de suivre ensemble les traces qui nous conduiront à la voie sacrée. Car nous avons besoin de nous aider réciproquement pour atteindre le but que nous cherchons tous, celui de nous éclairer sur ce qui, seul, est réel et durable.
Après les dispositions morales que nous venons d'indiquer, la chose la plus indispensable pour bien s'engager dans l'œuvre délicate de l'initiation, c'est la connaissance du principe de la dualité de l'essence de l'âme ; car c'est lui qui est une partie du secret mystérieux du Sphinx *. Il est une des clefs de la science, et, sans la posséder, tous les efforts deviennent inutiles pour y atteindre. Ce principe de l'essence de l'âme, seul, renferme, comme conséquences, les notions considérables que nous désirons acquérir, tandis que tous les principes secondaires que l'on a découverts jusqu'à ce jour ne s'élèvent pas assez haut pour dominer le vaste horizon des connaissances humaines, et pour en embrasser tous les détails. Les principes inférieurs égarent ceux qui s'en servent dans le dédale des nombreux faits qu'ils n'éclairent point ; et c'est par l'insuffisance de leurs principes premiers que les philosophes se sont fourvoyés, et qu'ils se sont perdus dans les subtilités arbitraires de leurs doctrines incomplètes. Ils ont fatalement porté la confusion là où ils ont cru toucher à la vérité. Dans ces matières, plus délicates encore que difficiles, le principe vrai, seul, répand la lumière, résout aisément tous les problèmes, et ouvre les portes secrètes qui conduisent au sanctuaire le plus reculé. Or, nous savons déjà que nous portons ce principe en nous-mêmes, et que pour le découvrir il ne s'agit que de s'étudier, mais de s'étudier avec calme et impartialité. Nous savons que ce principe est la dualité de notre essence animique, de sorte que nous n'avons plus qu'à dévider avec précaution le fil dont nous tenons le nœud le plus important. Mais à mesure que nous avancerons dans notre étude psychologique, nous consulterons néanmoins les travaux de nos plus illustres philosophes, afin de reconnaître en quoi ils ont failli, et en quoi leurs doctrines confirment nos propres recherches.
Ainsi, comme nous l'avons fait remarquer ci-dessus, il nous paraît évident que tout ce qui tient en nous à l'ordre sensible dépend de la substance de notre âme ; car elle en est l'élément étendu et solide, qui reçoit toutes les impressions du dehors, et qui se ressent de notre activité intime. Notre âme, en effet, ne saurait être touchée d'une manière quelconque, sans présenter un obstacle, d'abord, aux oscillations du milieu ambiant, et, ensuite, aux vibrations des émotions qui nous affectent intimement. Donc c'est cette manière d'être toute naturelle qui nous explique nos rapports avec tout ce qui existe, avec ce qui n'est pas nous, avec notre non-moi moral, intellectuel et physique, visible ou invisible. La solidité et l'étendue de notre substance n'est évidemment pas à rejeter en principe. Cependant ce n'est pas cette opinion qui règne à l'Université et à l'Institut. Le spiritualisme la nie comme absurde, sous le prétexte spécieux que la divisibilité, qui en serait la conséquence, impliquerait la corruptibilité de la substance. Mais ce n'est là qu'un malentendu ; car ce qui importe à l'incorruptibilité de la nature animique, c'est la simplicité chimique de sa fluidité corporelle, et non son indivisibilité mécanique, au défaut de laquelle il y a mille manières de remédier : tandis que, pour rester dans la vérité scientifique, il faut se garder d'admettre un effet sans cause, une impression possible sans résistance. Aussi la sensibilité de notre âme n'apprend rien à notre école spiritualiste ; elle rattache gratuitement les sentiments à la raison, attribue les sensations à l'organisme matériel, et ne s'explique pas sur la connexion de ces diverses facultés. C'est là une des causes de son impuissance philosophique.
Quant à nous, la sensibilité de notre âme est la preuve irrécusable de la solidité et de l'étendue de sa substance ; et c'est la notion de ces propriétés qui nous ouvre un vaste champ d'observation. Ainsi, d'abord, l'étendue et la solidité substantielle permettent à notre âme de prendre différentes formes, et de renfermer le type de tous les organes qui composent notre organisme corporel. Elle sert ainsi d'origine et de soutien à nos nerfs, à nos sens, à notre cerveau, à nos viscères, à nos muscles et à nos os, et nous permet de nous incarner par le moyen de cette loi de la mutabilité des molécules corporelles, si connue de nos modernes physiologistes. Nos savants supposent seulement, à tort, selon nous, que cette loi est l'effet d'une force mystérieuse de la matière, qui se renouvelle, s'absorbe, s'écoule et se forme d'elle-même ; car la matière est inerte et ne forme rien de sa propre initiative. Cette mutabilité est évidemment l'effet de l'activité instinctive de notre double essence animique, qui se trouve sous notre enveloppe, et l'existence de cette loi prouve que notre incarnation est dans l'ordre de la nature, puisqu'elle est continue, et qu'au bout d'une série d'années notre corps se renouvelle régulièrement. La formation de notre revêtement matériel et notre incarnation successive s'expliquent de cette façon tout naturellement. Mais, de plus, cette substantialité étendue de notre âme nous fait également comprendre le lien qui existe entre elle et notre corps ; car notre organisme visible n'étant que la couverture de notre organisme substantiel, tout ce qui est ressenti par l'un doit nécessairement retentir dans l'autre. Les émotions de la substance de l'âme doivent ébranler le corps, et l'état de celui-ci doit affecter inévitablement ses propres dispositions morales et intellectuelles. Voilà le premier enseignement qui résulte de la nature concrète de notre substance.
Le second enseignement que nous en retirons, c'est que la partie de la substance de notre âme qui ne sert pas de type à notre organisme matériel doit être la base de notre sens intime, de celui qui reçoit toutes nos impressions morales et intellectuelles, et qui nous met en contact avec la substance divine elle-même ; de sorte que notre substance reçoit les impressions du rayonnement de toutes les existences et de toutes les activités possibles, et se trouve être l'origine première de toutes nos notions. C'est de la même manière que nous recevons la connaissance de nous-mêmes. Car si l'on demande à un sceptique comment il peut s'affirmer, sans aucune réserve, il répondra : « C'est que je me sens, » parce que le sceptique lui-même ne peut douter de ses sensations. Cependant se sentir n'est pas toute notre connaissance : le sceptique ne peut non plus nier qu'il sait qu'il se sent. Or, la perception de notre sentiment est la conséquence de notre activité intellectuelle ; ce qui prouve que notre âme n'est pas seulement passive, qu'elle est aussi active, qu'elle veut, qu'elle perçoit, qu'elle pense, qu'elle est causatrice et libre de son propre chef. Nos organes mêmes fonctionnent sans que nous en ayons conscience, de sorte qu'on est forcé d'attribuer à notre âme un second élément, un élément actif, virtuel, c'est-à-dire une force essentielle, qui est attentive lorsque notre sensibilité est éveillée, qui veut par l'effet de son propre mouvement, qui perçoit, pense et réfléchit au moyen de notre organe cérébral, qui agit à l'aide de nos membres, et qui anime notre organisme d'un mouvement involontaire. C'est par la présence dans notre âme de ce double ordre essentiel : de l'ordre substantiel passif et sensible, et de l'ordre virtuel actif et pensant, que nous nous sentons, que nous nous savons, et que nous avons la conscience de notre personnalité propre, sans nul secours du monde extérieur.
Notre force animique, c'est notre élément spirituel par excellence, car elle n'a pas d'étendue ni de solidité par elle-même. Elle ne nous est connue que par son activité. Dès qu'elle ne veut, ni ne pense, ni n'agit, elle est comme si elle n'existait pas ; et si notre âme n'était pas substantiellement concrète, par la vertu d'un autre élément, notre corps n'aurait pas de consistance, et ne serait qu'un amas de poussière. Notre âme ne pourrait pas même exister dans l'erraticité, elle se perdrait dans le néant, à moins de supposer, avec le spiritualisme, un mystère impénétrable, qui lui permette d'exister sans avoir d'étendue ni de solidité, supposition que le Spiritisme et les lois naturelles rendent complètement inadmissible. Cependant c'est notre force essentielle que Leibniz considère comme étant notre substance, sans égard pour sa nature fugitive ; et l'école spiritualiste française le répète à son exemple, sans s'arrêter à cette confusion illogique. Toutefois, il ne suffit pas d'appeler force une substance pour qu'elle le soit réellement, et de considérer cette substance imaginaire comme étant le fond de notre être, pour qu'on sorte du vide des abstractions. Une substance n'est telle que par son état concret, par son étendue et sa solidité, quelque subtile qu'on veuille la concevoir, et c'est ce que notre école spiritualiste se plait à passer sous silence. Aussi c'est là une autre cause de son impuissance morale et philosophique.
Notre force essentielle n'est que le principe de notre activité ; elle nous anime, mais ne nous constitue pas. Elle est le principe de notre vie, mais non celui de notre existence. Elle est partout dans notre substance, se répand avec elle dans tout notre être, et en reçoit directement les impressions sans notre concours volontaire. C'est par cette union étroite de nos deux éléments essentiels que notre organisme fonctionne spontanément, que nos sensations réveillent de suite notre attention, et nous portent, sans autre intermédiaire, à percevoir la cause de nos impressions, que notre conscience est un ensemble de sentiments et de réflexions, et que toute notion, quel qu'en soit l'objet, exige que nous le sentions et que nous le sachions. Dès lors seulement nous sommes certains de son existence. C'est par ce même procédé que nous avons la connaissance de l'Être suprême. Nous avons la sensation de sa présence par notre sens intime, et nous expliquons cette sensation sublime par notre raison ; car l'idéal du vrai, du bien et du beau est d'abord dans notre cœur, avant d'entrer dans notre tête. Les peuples sauvages ne s'y trompent pas ; ils ne doutent pas de Dieu ; ils se le figurent simplement selon le niveau de leur grossière intelligence, tandis que nous voyons nos savants se disputer sur sa personnalité, parce qu'ils prétendent ne rien admettre que par la force de leur raisonnement, et parce qu'ils se débattent dans les abstractions, sans prendre leur point d'appui dans l'ordre sensible.
Telle est la constitution de notre âme. Elle se compose de deux éléments bien distincts entre eux, et qui sont néanmoins indissolublement unis ; car jamais et nulle part ces éléments ne se sont rencontrés séparément : toute substance a sa force et toute force a sa substance. Aussi cette dualité se trouve réunie dans l'essence de tout ce qui existe ; elle est dans la matière, dans l'âme, en Dieu. Nous le répétons, cette distinction dans l'unité est à admettre nécessairement, parce que chacun de ces éléments est bien caractérisé ; parce qu'ils ont leurs propriétés respectives et leur modalité catégorique ; et parce que c'est une loi universelle qu'un même principe ne peut avoir des effets contraires, que des qualités qui s'excluent trahissent autant de principes particuliers. Mais leur unité n'est pas moins péremptoire, parce que nulle fonction, nulle faculté, nul phénomène ne se produit en nous et ailleurs sans le concours simultané de ces deux éléments irréductibles.
C'est cette unité dans cette dualité constante de notre âme qui nous explique encore ce phénomène psychologique important, à savoir : la spontanéité instinctive de toutes nos facultés et de toutes nos fonctions, ainsi que la formation de notre caractère et de notre nature morale intime. Effectivement, nos impressions se conservent en nous et se reproduisent involontairement ; de sorte que, comme la substance est l'élément passif et permanent de notre âme, il faut lui attribuer la propriété de conserver nos sensations, de les concréter en elle, et de les transmettre, à l'occasion, à l'attention de notre force essentielle. Ces impressions étant de toutes espèces, il se forme en nous, par cette propriété conservatrice, un ordre moral, intellectuel et pratique permanent, qui se manifeste par notre activité instinctive et spontanée, qui nous inspire nos sentiments et nos idées, et qui guide nos actes sans notre concours volontaire, et souvent même malgré nous. De plus, ces sentiments et ces idées acquises se groupent dans notre âme, et nous produisent de nouvelles idées et de nouvelles images, auxquelles nous sommes quelquefois loin de nous attendre. Les fonctions psychologiques de notre substance unie à notre force essentielle, sont donc très multipliées, et nous forment une nature morale, intellectuelle et pratique spontanée, qui est le fond de notre caractère, l'origine de nos dispositions naturelles. Notre substance renferme donc à l'état latent, ou en puissance, comme s'exprime l'école, toutes nos qualités, toutes nos connaissances, toutes nos habitudes passées en nous à l'état permanent. En conséquence, c'est à elle et à son activité instinctive qu'il faut attribuer la mémoire, l'imagination, l'esprit et le sens naturels, ainsi que l'origine de nos idées et celle de nos sentiments.
Cet ordre substantiel instinctif existe incontestablement dans notre âme. Chacun se connaît une nature morale permanente, des dispositions intellectuelles et des habitudes propres, qui lui facilitent sa carrière et sa conduite, si elles sont bonnes ; ou qui empêchent ses succès et l'entraînent dans des écarts déplorables, si elles sont mauvaises. Nos philosophes seuls n'en sont pas frappés ; car n'ayant point admis, comme nous l'avons déjà fait remarquer, un ordre psychologique substantiel, ils se sont condamnés à devoir attribuer tout ce qui est résistant dans notre âme à l'influence de la matière, et de confondre tout ce qui est sensible et vivant avec notre intelligence. Aristote, il est vrai, reconnaît dans l'homme un ordre potentiel, où toutes nos qualités sont en puissance ; mais il le définit mal, et le confond aussi avec la matière. Depuis lors, personne ne s'est plus occupé de cet ordre spécial que M. Cousin. Mais ce philosophe contemporain, ne reconnaissant à notre âme que l'intelligence, n'en a considéré que l'activité spontanée, sans en rechercher l'origine dans l'élément permanent de notre nature animique. Il la désigne comme étant la raison spontanée et instinctive, en opposition de la raison réfléchie, sans remarquer quelle contradiction il existe entre l'instinct et la réflexion, qualités qui s'excluent, et qui évidemment ne peuvent appartenir au même principe ! Aussi M. Cousin ne tire que des conséquences limitées de cette découverte, et c'est par cette raison que sa psychologie, ainsi que celle de son école, est restée une science sèche, illogique et sans grande portée.
Arrêtons actuellement nos pensées sur l'ensemble des observations qui précèdent, car elles nous ont fait connaître des phénomènes psychologiques inconnus jusqu'à ce jour. Elles nous ont fait constater dans notre âme l'existence de deux ordres moraux, intellectuels et pratiques bien distincts et fortement caractérisés : l'un se rapportant parfaitement aux propriétés particulières de notre substance, qui sont la permanence, l'étendue et la solidité ; l'autre, à celles de notre force essentielle, qui sont sa causalité, son inétendue et son intermittence. Le premier est passif, sensible, conservateur ; le second est actif, volontaire et réfléchi. L'union intime de nos deux éléments essentiels produit, de plus, en nous, notre triple activité instinctive, qui est le reflet direct de l'état véritable de nos qualités et de nos défauts naturels.
En effet, d'une part, plus notre nature substantielle sera sensible, délicate et conservatrice, et notre activité instinctive vivante et énergique, plus aussi nos idées et nos sentiments seront purs et élevés, notre bon sens juste, notre mémoire et notre imagination faciles et sûres. Moins, au contraire, notre état substantiel sera perfectionné, plus lentes et plus bornées seront notre mémoire et notre imagination, plus grossières nos idées, plus vils nos sentiments et plus obtus notre sens commun. Mais, d'autre part, plus notre force causatrice sera énergique, constante et souple, plus notre attention, notre volonté, notre vertu et notre empire sur nous seront forts, plus notre perception, notre pensée, notre jugement et notre raison auront de portée, et plus enfin notre habileté sera grande et notre conduite honorable, parce que toutes ces qualités et facultés dérivent de notre élément virtuel. Par contre, autant que notre force essentielle sera molle, engourdie ou roide, autant notre brutalité et notre lâcheté morale et intellectuelle se produiront au grand jour. De façon que notre valeur dépend aussi bien de l'état des qualités et des propriétés de l'un que de l'autre élément de notre âme.
Tel est le tableau sommaire que présente la constitution intime de notre essence animique, et que nous révèle notre double faculté de nous sentir et de nous savoir. Ce tableau nous la montre d'abord dans son unité vivante, puisque nous découvrons le double principe de son activité et de sa passivité, de sa permanence et de sa causalité, de son existence dans le temps et dans l'espace, et de son indépendance propre et distincte de Dieu, du monde et de son enveloppe matérielle. Il nous la montre ensuite dans sa diversité merveilleuse, puisque nous reconnaissons l'origine de ses qualités et de ses facultés, de ses fonctions et de son organisme, dans les propriétés respectives de nos éléments essentiels, et dans leur concours réciproque. Ce tableau, pourtant, n'est qu'une première ébauche, et néanmoins il est facile d'y remarquer la méthode d'observation rigoureuse que nous y avons suivie, et qui est celle que Bacon a découverte, que Descartes a introduite dans la psychologie, que l'école écossaise a appliquée, et que l'école spiritualiste et éclectique a observée dans toute sa doctrine. Nous nous rencontrons donc sur le même terrain que toute la philosophie sérieuse, et si nous sommes souvent en désaccord avec nos illustrations académiques, c'est que nous ne pouvons nous défendre de croire que la plupart des faits de conscience ont été, par elles, mal observés et mal expliqués.
En effet, l'éclectisme spiritualiste nous reconnaît trois facultés principales : la volonté, la sensation et la raison. Ces facultés se distinguent de notre corps, qui est solide et étendu ; de sorte que nous possédons nécessairement une âme inétendue et spirituelle. Cette constatation faite, l'éclectisme ne se demande pas, ni comment notre âme doit être constituée pour être sensible, ni si la volonté et la raison, qui sont actives toutes les deux, ne sont pas deux manifestations d'un même principe virtuel. Ce sont là des questions qui ne l'inquiètent pas. Il soutient seulement que, de ces trois facultés, la volonté seule nous appartient en propre, puisque, seule, elle est le résultat d'une force substantielle inétendue, qui est le principe primordial de notre moi. La sensibilité, à ses yeux, n'est que l'effet du choc, qui résulte de l'action que la force du monde extérieur exerce sur la nôtre par l'entremise de notre organisme ; mais l'éclectisme ne recherche pas plus comment notre force inétendue tient à notre organisme, ni comment, dans cet isolement inétendu, elle peut recevoir un choc, qu'il n'a expliqué comment nous pouvons être sensibles. Ce sont là de petits mystères qui ne sauraient l'arrêter. La raison, selon lui, est la faculté souveraine de la connaissance, mais elle est impersonnelle, c'est-à-dire elle ne nous appartient pas, quoique nous nous en servions. Dire ma raison est donc, selon M. Cousin, un non-sens, par le motif qu'on ne dit pas ma vérité. Ce motif ne nous paraît pas bien concluant, mais c'est probablement notre faute. Effectivement, dans son système, la raison est l'ensemble des vérités nécessaires et universelles ; vérités telles que les principes de la causalité, de la substance, de l'unité, du vrai, etc. La collection de ces principes forme donc, selon lui, la raison divine, dont nous participons par la volonté ineffable du Tout-Puissant. Mais c'est là ce qu'il faut croire sur sa parole, car nous ne voyons pas précisément comment une collection de vérités, quelque universelles qu'elles soient, pourrait constituer la raison divine et humaine. Vulgairement, les vérités sont des lois, et la raison est une faculté. Or, je vois le soleil, mais jamais la faculté de le voir n'a été prise pour le soleil ni pour le moindre de ses rayons. C'est donc là un nouveau mystère à ajouter aux précédents. De sorte que, dans cette doctrine, rien ne s'explique de soi, rien ne se tient, et notre âme n'y est représentée que comme un assemblage hétérogène de facultés, de qualités, de fonctions distinctes, reliées ensemble, au hasard, comme des feuilles éparses que l'on aurait réunies en un volume sous ce titre pompeux : Doctrine philosophique du dix-neuvième siècle. La deuxième préface de la troisième édition des Fragments philosophiques en contient un résumé intéressant à plus d'un titre.
D'après ces considérations on peut juger des causes qui font de la philosophie spiritualiste officielle, malgré ses bonnes intentions, une doctrine bizarre et indigeste. On serait même autorisé à la traiter plus durement, si l'on perdait de vue les services éminents qu'elle a rendus à l'esprit français en le détournant d'un sensualisme immoral et d'un scepticisme désespérant. C'étaient là évidemment les principales préoccupations de l'illustre philosophe au début de sa brillante carrière ; et, en étudiant ses œuvres remarquables, on voit que Condillac et Kant ont été ses principaux adversaires. Aussi c'est cette lutte qui est la partie importante de ses travaux. Son propre système, au contraire, nous paraît très défectueux, et sa morale, sa théodicée et son ontologie contiennent nombre de points fort controversables. La vérité est une fleur si délicate ! le moindre souffle de l'erreur la flétrit entre nos mains, et la réduit en une poussière pernicieuse et aveuglante. Dans la chaleur du combat ou dans l'émotion de l'ambition, il est surtout difficile de conserver le calme de l'esprit et la délicatesse du sentiment de l'évidence ; de sorte que l'homme préoccupé est facilement entraîné à dépasser les bornes de la vraie sagesse. Heureusement que le Créateur nous a ménagé des faits, des circonstances, des événements providentiels, qui sont assez frappants pour nous ramener dans la bonne voie ; et certes, les doctrines et les faits sur lesquels se fonde le Spiritisme sont de ce nombre. Que nos grands et savants philosophes ne les repoussent point sous le futile prétexte de superstition. Qu'ils les étudient sans parti pris ! Ils y reconnaîtront la nature étendue et solide de notre âme, sa préexistence et sa perpétuité. Ils y trouveront une morale douce et salutaire, bien faite pour ramener tout le monde au bien. Si alors leur esprit demande à s'en rendre compte, qu'ils se mettent franchement à l'œuvre, qu'ils en examinent scientifiquement les principes et les conséquences ; et alors peut-être le principe de la dualité de l'essence de l'âme leur apparaîtra dans toute sa splendeur et dans toute sa puissance ; car il nous semble jeter une vive lumière sur les secrets intimes de notre être. C'est ce que nous continuerons à examiner prochainement.
F. Herrenschneider.
Nous avons cherché à prouver, dans notre dernier article, que si, en général, messieurs les libres penseurs voulaient se donner la peine d'examiner les motifs qui leur permettent de s'affirmer, de dire « je » ou « moi, » ils arriveraient à la connaissance de leur double, essence ; qu'ils se convaincraient que leur âme est constituée de façon à exister séparément du corps, aussi bien que dans son enveloppe, et qu'ils en comprendraient l'erraticité, lorsqu'après le trépas elle a quitté sa matière terrestre. De sorte que leur science, si elle était fondée sur le véritable principe de la constitution de l'âme, confirmerait les faits spirites, au lieu de les contredire avec tant de persistance. En effet, notre notion du moi se compose principalement du sentiment et de la connaissance que nous avons de nous-mêmes, et ces deux phénomènes intimes, évidents pour tout le monde, impliquent péremptoirement deux éléments distincts dans l'âme : l'un passif, sensible, étendu et solide, qui reçoit les impressions ; l'autre actif, inétendu et pensant, qui les perçoit. En conséquence, si nous possédons, à côté d'un élément virtuel, un élément résistant et permanent, différent de notre corps, nous ne pouvons nous dissoudre par la mort ; notre immortalité est prouvée, et notre préexistence en est une conséquence naturelle. Nos destinées sont
donc indépendantes de notre séjour terrestre, et celui-ci n'est plus qu'un épisode plus ou moins intéressant pour nous, selon les évènements qui le remplissent.
La dualité de l'essence de notre âme est, d'après ces observations, un principe important, puisqu'elle nous instruit sur notre existence réelle et immortelle. Mais elle est un principe d'autant plus important, qu'elle est la source unique où nous puisons la conscience certaine de notre individualité, et qu'elle est ainsi l'origine de notre science, de celle dont nous ne pouvons pas douter, et sur laquelle repose tout le reste de nos connaissances. Effectivement, nous commençons tous par nous connaître d'abord, avant de remarquer ce qui nous entoure ; et nous mesurons à notre toise tout ce que nous examinons, et ce que nous jugeons. Il est donc indispensable de remarquer, pour l'étude de la vérité, que notre savoir part de nous, pour revenir à nous ; qu'il est un cercle que nous formons nous-mêmes, qui nous entoure et qui nous enlace fatalement à notre insu. Les philosophes actuels l'ignorent, et le subissent sans s'en apercevoir. C'est lui qui les éblouit, qui les aveugle, et qui les empêche de regarder au delà et au-dessus d'eux. Aussi n'aurons-nous que trop souvent l'occasion de constater leur aveuglement. Les Anciens, au contraire, connaissaient ce cercle et son influence mystérieuse, car ils symbolisaient la science sous la figure d'un serpent qui se mord la queue, après s'être retourné sur lui-même. Ce qui signifiait, à leurs yeux, que notre savoir part d'un point donné, fait le tour de notre horizon intellectuel, et rejoint son point de départ. Or, si ce point de départ est élevé, et que le regard soit perçant, l'horizon est étendu et la science est vaste ; si ce point, par contre, rase le sol, et que la vue soit troublée, l'horizon est restreint et l'intelligence des choses limitée. Ainsi, tels que nous sommes personnellement, tel est l'ensemble et la portée de nos connaissances. Par ce motif il devient évident que la première condition de la science individuelle est de s'examiner soi-même, non seulement pour distinguer ses qualités, ses défauts et ses vices, mais pour connaître d'abord la constitution intime de notre être, et ensuite pour élever notre esprit et pour former notre caractère.
Donc, la vraie science n'est pas faite pour chacun. Celui qui y aspire doit non seulement avoir de l'intelligence et de l'instruction, mais, surtout, être sérieux, sobre, sage, ne pas se laisser guider par le caprice de son imagination, par sa vanité, par ses intérêts et par sa suffisance. Ce qui doit guider le véritable amant de la vérité, c'est un amour désintéressé pour ce but vénéré ; c'est la volonté énergique et constante de ne jamais s'arrêter, et de séparer rigoureusement l'ivraie de la bonne semence. Plus l'homme se possède, et plus il est calme et noble, mieux il saura discerner les sentiers qui le conduiront à la vérité ; plus il est léger, présomptueux ou passionné, plus il corrompra par son haleine impure les fruits qu'il cueillera sur l'arbre de la vie.
La première condition pour arriver à la connaissance des choses, c'est donc le caractère individuel ; et c'est par cette raison que, dans l'antiquité, des épreuves solennelles précédaient toute initiation. Aujourd'hui le savoir est répandu sans discernement, chacun croit pouvoir y prétendre ; mais aussi la vérité est moins que jamais bien accueillie, tandis que les doctrines les plus étranges trouvent de nombreux adhérents. On devrait donc se convaincre que les esprits indifférents, rétrécis par les sciences exactes et naturelles, emportés par l'imagination, ou bouffis d'impertinence, sont impropres à la recherche de la vérité, et qu'il serait plus prudent de réserver ce noble labeur pour quelques élus. Cependant des dispositions plus sensées se manifestent aujourd'hui par l'avènement du Spiritisme ; et, en effet, les Spirites sont des hommes bien disposés pour la recherche de la vérité, parce qu'en se séparant du tourbillon général qui entraîne la société, ils ont renoncé d'eux-mêmes aux vanités mondaines, aux principes superficiels des libres penseurs, et à la superstition officielle des cultes reconnus. Ils font preuve d'une saine indépendance, d'un amour sincère de la vérité, et d'une touchante sollicitude pour leurs intérêts éternels. Ce sont là les meilleures dispositions morales pour aborder les graves problèmes de l'âme, du monde et de la Divinité. Pour notre bien éternel, essayons donc de nous entendre, et de suivre ensemble les traces qui nous conduiront à la voie sacrée. Car nous avons besoin de nous aider réciproquement pour atteindre le but que nous cherchons tous, celui de nous éclairer sur ce qui, seul, est réel et durable.
Après les dispositions morales que nous venons d'indiquer, la chose la plus indispensable pour bien s'engager dans l'œuvre délicate de l'initiation, c'est la connaissance du principe de la dualité de l'essence de l'âme ; car c'est lui qui est une partie du secret mystérieux du Sphinx *. Il est une des clefs de la science, et, sans la posséder, tous les efforts deviennent inutiles pour y atteindre. Ce principe de l'essence de l'âme, seul, renferme, comme conséquences, les notions considérables que nous désirons acquérir, tandis que tous les principes secondaires que l'on a découverts jusqu'à ce jour ne s'élèvent pas assez haut pour dominer le vaste horizon des connaissances humaines, et pour en embrasser tous les détails. Les principes inférieurs égarent ceux qui s'en servent dans le dédale des nombreux faits qu'ils n'éclairent point ; et c'est par l'insuffisance de leurs principes premiers que les philosophes se sont fourvoyés, et qu'ils se sont perdus dans les subtilités arbitraires de leurs doctrines incomplètes. Ils ont fatalement porté la confusion là où ils ont cru toucher à la vérité. Dans ces matières, plus délicates encore que difficiles, le principe vrai, seul, répand la lumière, résout aisément tous les problèmes, et ouvre les portes secrètes qui conduisent au sanctuaire le plus reculé. Or, nous savons déjà que nous portons ce principe en nous-mêmes, et que pour le découvrir il ne s'agit que de s'étudier, mais de s'étudier avec calme et impartialité. Nous savons que ce principe est la dualité de notre essence animique, de sorte que nous n'avons plus qu'à dévider avec précaution le fil dont nous tenons le nœud le plus important. Mais à mesure que nous avancerons dans notre étude psychologique, nous consulterons néanmoins les travaux de nos plus illustres philosophes, afin de reconnaître en quoi ils ont failli, et en quoi leurs doctrines confirment nos propres recherches.
Ainsi, comme nous l'avons fait remarquer ci-dessus, il nous paraît évident que tout ce qui tient en nous à l'ordre sensible dépend de la substance de notre âme ; car elle en est l'élément étendu et solide, qui reçoit toutes les impressions du dehors, et qui se ressent de notre activité intime. Notre âme, en effet, ne saurait être touchée d'une manière quelconque, sans présenter un obstacle, d'abord, aux oscillations du milieu ambiant, et, ensuite, aux vibrations des émotions qui nous affectent intimement. Donc c'est cette manière d'être toute naturelle qui nous explique nos rapports avec tout ce qui existe, avec ce qui n'est pas nous, avec notre non-moi moral, intellectuel et physique, visible ou invisible. La solidité et l'étendue de notre substance n'est évidemment pas à rejeter en principe. Cependant ce n'est pas cette opinion qui règne à l'Université et à l'Institut. Le spiritualisme la nie comme absurde, sous le prétexte spécieux que la divisibilité, qui en serait la conséquence, impliquerait la corruptibilité de la substance. Mais ce n'est là qu'un malentendu ; car ce qui importe à l'incorruptibilité de la nature animique, c'est la simplicité chimique de sa fluidité corporelle, et non son indivisibilité mécanique, au défaut de laquelle il y a mille manières de remédier : tandis que, pour rester dans la vérité scientifique, il faut se garder d'admettre un effet sans cause, une impression possible sans résistance. Aussi la sensibilité de notre âme n'apprend rien à notre école spiritualiste ; elle rattache gratuitement les sentiments à la raison, attribue les sensations à l'organisme matériel, et ne s'explique pas sur la connexion de ces diverses facultés. C'est là une des causes de son impuissance philosophique.
Quant à nous, la sensibilité de notre âme est la preuve irrécusable de la solidité et de l'étendue de sa substance ; et c'est la notion de ces propriétés qui nous ouvre un vaste champ d'observation. Ainsi, d'abord, l'étendue et la solidité substantielle permettent à notre âme de prendre différentes formes, et de renfermer le type de tous les organes qui composent notre organisme corporel. Elle sert ainsi d'origine et de soutien à nos nerfs, à nos sens, à notre cerveau, à nos viscères, à nos muscles et à nos os, et nous permet de nous incarner par le moyen de cette loi de la mutabilité des molécules corporelles, si connue de nos modernes physiologistes. Nos savants supposent seulement, à tort, selon nous, que cette loi est l'effet d'une force mystérieuse de la matière, qui se renouvelle, s'absorbe, s'écoule et se forme d'elle-même ; car la matière est inerte et ne forme rien de sa propre initiative. Cette mutabilité est évidemment l'effet de l'activité instinctive de notre double essence animique, qui se trouve sous notre enveloppe, et l'existence de cette loi prouve que notre incarnation est dans l'ordre de la nature, puisqu'elle est continue, et qu'au bout d'une série d'années notre corps se renouvelle régulièrement. La formation de notre revêtement matériel et notre incarnation successive s'expliquent de cette façon tout naturellement. Mais, de plus, cette substantialité étendue de notre âme nous fait également comprendre le lien qui existe entre elle et notre corps ; car notre organisme visible n'étant que la couverture de notre organisme substantiel, tout ce qui est ressenti par l'un doit nécessairement retentir dans l'autre. Les émotions de la substance de l'âme doivent ébranler le corps, et l'état de celui-ci doit affecter inévitablement ses propres dispositions morales et intellectuelles. Voilà le premier enseignement qui résulte de la nature concrète de notre substance.
Le second enseignement que nous en retirons, c'est que la partie de la substance de notre âme qui ne sert pas de type à notre organisme matériel doit être la base de notre sens intime, de celui qui reçoit toutes nos impressions morales et intellectuelles, et qui nous met en contact avec la substance divine elle-même ; de sorte que notre substance reçoit les impressions du rayonnement de toutes les existences et de toutes les activités possibles, et se trouve être l'origine première de toutes nos notions. C'est de la même manière que nous recevons la connaissance de nous-mêmes. Car si l'on demande à un sceptique comment il peut s'affirmer, sans aucune réserve, il répondra : « C'est que je me sens, » parce que le sceptique lui-même ne peut douter de ses sensations. Cependant se sentir n'est pas toute notre connaissance : le sceptique ne peut non plus nier qu'il sait qu'il se sent. Or, la perception de notre sentiment est la conséquence de notre activité intellectuelle ; ce qui prouve que notre âme n'est pas seulement passive, qu'elle est aussi active, qu'elle veut, qu'elle perçoit, qu'elle pense, qu'elle est causatrice et libre de son propre chef. Nos organes mêmes fonctionnent sans que nous en ayons conscience, de sorte qu'on est forcé d'attribuer à notre âme un second élément, un élément actif, virtuel, c'est-à-dire une force essentielle, qui est attentive lorsque notre sensibilité est éveillée, qui veut par l'effet de son propre mouvement, qui perçoit, pense et réfléchit au moyen de notre organe cérébral, qui agit à l'aide de nos membres, et qui anime notre organisme d'un mouvement involontaire. C'est par la présence dans notre âme de ce double ordre essentiel : de l'ordre substantiel passif et sensible, et de l'ordre virtuel actif et pensant, que nous nous sentons, que nous nous savons, et que nous avons la conscience de notre personnalité propre, sans nul secours du monde extérieur.
Notre force animique, c'est notre élément spirituel par excellence, car elle n'a pas d'étendue ni de solidité par elle-même. Elle ne nous est connue que par son activité. Dès qu'elle ne veut, ni ne pense, ni n'agit, elle est comme si elle n'existait pas ; et si notre âme n'était pas substantiellement concrète, par la vertu d'un autre élément, notre corps n'aurait pas de consistance, et ne serait qu'un amas de poussière. Notre âme ne pourrait pas même exister dans l'erraticité, elle se perdrait dans le néant, à moins de supposer, avec le spiritualisme, un mystère impénétrable, qui lui permette d'exister sans avoir d'étendue ni de solidité, supposition que le Spiritisme et les lois naturelles rendent complètement inadmissible. Cependant c'est notre force essentielle que Leibniz considère comme étant notre substance, sans égard pour sa nature fugitive ; et l'école spiritualiste française le répète à son exemple, sans s'arrêter à cette confusion illogique. Toutefois, il ne suffit pas d'appeler force une substance pour qu'elle le soit réellement, et de considérer cette substance imaginaire comme étant le fond de notre être, pour qu'on sorte du vide des abstractions. Une substance n'est telle que par son état concret, par son étendue et sa solidité, quelque subtile qu'on veuille la concevoir, et c'est ce que notre école spiritualiste se plait à passer sous silence. Aussi c'est là une autre cause de son impuissance morale et philosophique.
Notre force essentielle n'est que le principe de notre activité ; elle nous anime, mais ne nous constitue pas. Elle est le principe de notre vie, mais non celui de notre existence. Elle est partout dans notre substance, se répand avec elle dans tout notre être, et en reçoit directement les impressions sans notre concours volontaire. C'est par cette union étroite de nos deux éléments essentiels que notre organisme fonctionne spontanément, que nos sensations réveillent de suite notre attention, et nous portent, sans autre intermédiaire, à percevoir la cause de nos impressions, que notre conscience est un ensemble de sentiments et de réflexions, et que toute notion, quel qu'en soit l'objet, exige que nous le sentions et que nous le sachions. Dès lors seulement nous sommes certains de son existence. C'est par ce même procédé que nous avons la connaissance de l'Être suprême. Nous avons la sensation de sa présence par notre sens intime, et nous expliquons cette sensation sublime par notre raison ; car l'idéal du vrai, du bien et du beau est d'abord dans notre cœur, avant d'entrer dans notre tête. Les peuples sauvages ne s'y trompent pas ; ils ne doutent pas de Dieu ; ils se le figurent simplement selon le niveau de leur grossière intelligence, tandis que nous voyons nos savants se disputer sur sa personnalité, parce qu'ils prétendent ne rien admettre que par la force de leur raisonnement, et parce qu'ils se débattent dans les abstractions, sans prendre leur point d'appui dans l'ordre sensible.
Telle est la constitution de notre âme. Elle se compose de deux éléments bien distincts entre eux, et qui sont néanmoins indissolublement unis ; car jamais et nulle part ces éléments ne se sont rencontrés séparément : toute substance a sa force et toute force a sa substance. Aussi cette dualité se trouve réunie dans l'essence de tout ce qui existe ; elle est dans la matière, dans l'âme, en Dieu. Nous le répétons, cette distinction dans l'unité est à admettre nécessairement, parce que chacun de ces éléments est bien caractérisé ; parce qu'ils ont leurs propriétés respectives et leur modalité catégorique ; et parce que c'est une loi universelle qu'un même principe ne peut avoir des effets contraires, que des qualités qui s'excluent trahissent autant de principes particuliers. Mais leur unité n'est pas moins péremptoire, parce que nulle fonction, nulle faculté, nul phénomène ne se produit en nous et ailleurs sans le concours simultané de ces deux éléments irréductibles.
C'est cette unité dans cette dualité constante de notre âme qui nous explique encore ce phénomène psychologique important, à savoir : la spontanéité instinctive de toutes nos facultés et de toutes nos fonctions, ainsi que la formation de notre caractère et de notre nature morale intime. Effectivement, nos impressions se conservent en nous et se reproduisent involontairement ; de sorte que, comme la substance est l'élément passif et permanent de notre âme, il faut lui attribuer la propriété de conserver nos sensations, de les concréter en elle, et de les transmettre, à l'occasion, à l'attention de notre force essentielle. Ces impressions étant de toutes espèces, il se forme en nous, par cette propriété conservatrice, un ordre moral, intellectuel et pratique permanent, qui se manifeste par notre activité instinctive et spontanée, qui nous inspire nos sentiments et nos idées, et qui guide nos actes sans notre concours volontaire, et souvent même malgré nous. De plus, ces sentiments et ces idées acquises se groupent dans notre âme, et nous produisent de nouvelles idées et de nouvelles images, auxquelles nous sommes quelquefois loin de nous attendre. Les fonctions psychologiques de notre substance unie à notre force essentielle, sont donc très multipliées, et nous forment une nature morale, intellectuelle et pratique spontanée, qui est le fond de notre caractère, l'origine de nos dispositions naturelles. Notre substance renferme donc à l'état latent, ou en puissance, comme s'exprime l'école, toutes nos qualités, toutes nos connaissances, toutes nos habitudes passées en nous à l'état permanent. En conséquence, c'est à elle et à son activité instinctive qu'il faut attribuer la mémoire, l'imagination, l'esprit et le sens naturels, ainsi que l'origine de nos idées et celle de nos sentiments.
Cet ordre substantiel instinctif existe incontestablement dans notre âme. Chacun se connaît une nature morale permanente, des dispositions intellectuelles et des habitudes propres, qui lui facilitent sa carrière et sa conduite, si elles sont bonnes ; ou qui empêchent ses succès et l'entraînent dans des écarts déplorables, si elles sont mauvaises. Nos philosophes seuls n'en sont pas frappés ; car n'ayant point admis, comme nous l'avons déjà fait remarquer, un ordre psychologique substantiel, ils se sont condamnés à devoir attribuer tout ce qui est résistant dans notre âme à l'influence de la matière, et de confondre tout ce qui est sensible et vivant avec notre intelligence. Aristote, il est vrai, reconnaît dans l'homme un ordre potentiel, où toutes nos qualités sont en puissance ; mais il le définit mal, et le confond aussi avec la matière. Depuis lors, personne ne s'est plus occupé de cet ordre spécial que M. Cousin. Mais ce philosophe contemporain, ne reconnaissant à notre âme que l'intelligence, n'en a considéré que l'activité spontanée, sans en rechercher l'origine dans l'élément permanent de notre nature animique. Il la désigne comme étant la raison spontanée et instinctive, en opposition de la raison réfléchie, sans remarquer quelle contradiction il existe entre l'instinct et la réflexion, qualités qui s'excluent, et qui évidemment ne peuvent appartenir au même principe ! Aussi M. Cousin ne tire que des conséquences limitées de cette découverte, et c'est par cette raison que sa psychologie, ainsi que celle de son école, est restée une science sèche, illogique et sans grande portée.
Arrêtons actuellement nos pensées sur l'ensemble des observations qui précèdent, car elles nous ont fait connaître des phénomènes psychologiques inconnus jusqu'à ce jour. Elles nous ont fait constater dans notre âme l'existence de deux ordres moraux, intellectuels et pratiques bien distincts et fortement caractérisés : l'un se rapportant parfaitement aux propriétés particulières de notre substance, qui sont la permanence, l'étendue et la solidité ; l'autre, à celles de notre force essentielle, qui sont sa causalité, son inétendue et son intermittence. Le premier est passif, sensible, conservateur ; le second est actif, volontaire et réfléchi. L'union intime de nos deux éléments essentiels produit, de plus, en nous, notre triple activité instinctive, qui est le reflet direct de l'état véritable de nos qualités et de nos défauts naturels.
En effet, d'une part, plus notre nature substantielle sera sensible, délicate et conservatrice, et notre activité instinctive vivante et énergique, plus aussi nos idées et nos sentiments seront purs et élevés, notre bon sens juste, notre mémoire et notre imagination faciles et sûres. Moins, au contraire, notre état substantiel sera perfectionné, plus lentes et plus bornées seront notre mémoire et notre imagination, plus grossières nos idées, plus vils nos sentiments et plus obtus notre sens commun. Mais, d'autre part, plus notre force causatrice sera énergique, constante et souple, plus notre attention, notre volonté, notre vertu et notre empire sur nous seront forts, plus notre perception, notre pensée, notre jugement et notre raison auront de portée, et plus enfin notre habileté sera grande et notre conduite honorable, parce que toutes ces qualités et facultés dérivent de notre élément virtuel. Par contre, autant que notre force essentielle sera molle, engourdie ou roide, autant notre brutalité et notre lâcheté morale et intellectuelle se produiront au grand jour. De façon que notre valeur dépend aussi bien de l'état des qualités et des propriétés de l'un que de l'autre élément de notre âme.
Tel est le tableau sommaire que présente la constitution intime de notre essence animique, et que nous révèle notre double faculté de nous sentir et de nous savoir. Ce tableau nous la montre d'abord dans son unité vivante, puisque nous découvrons le double principe de son activité et de sa passivité, de sa permanence et de sa causalité, de son existence dans le temps et dans l'espace, et de son indépendance propre et distincte de Dieu, du monde et de son enveloppe matérielle. Il nous la montre ensuite dans sa diversité merveilleuse, puisque nous reconnaissons l'origine de ses qualités et de ses facultés, de ses fonctions et de son organisme, dans les propriétés respectives de nos éléments essentiels, et dans leur concours réciproque. Ce tableau, pourtant, n'est qu'une première ébauche, et néanmoins il est facile d'y remarquer la méthode d'observation rigoureuse que nous y avons suivie, et qui est celle que Bacon a découverte, que Descartes a introduite dans la psychologie, que l'école écossaise a appliquée, et que l'école spiritualiste et éclectique a observée dans toute sa doctrine. Nous nous rencontrons donc sur le même terrain que toute la philosophie sérieuse, et si nous sommes souvent en désaccord avec nos illustrations académiques, c'est que nous ne pouvons nous défendre de croire que la plupart des faits de conscience ont été, par elles, mal observés et mal expliqués.
En effet, l'éclectisme spiritualiste nous reconnaît trois facultés principales : la volonté, la sensation et la raison. Ces facultés se distinguent de notre corps, qui est solide et étendu ; de sorte que nous possédons nécessairement une âme inétendue et spirituelle. Cette constatation faite, l'éclectisme ne se demande pas, ni comment notre âme doit être constituée pour être sensible, ni si la volonté et la raison, qui sont actives toutes les deux, ne sont pas deux manifestations d'un même principe virtuel. Ce sont là des questions qui ne l'inquiètent pas. Il soutient seulement que, de ces trois facultés, la volonté seule nous appartient en propre, puisque, seule, elle est le résultat d'une force substantielle inétendue, qui est le principe primordial de notre moi. La sensibilité, à ses yeux, n'est que l'effet du choc, qui résulte de l'action que la force du monde extérieur exerce sur la nôtre par l'entremise de notre organisme ; mais l'éclectisme ne recherche pas plus comment notre force inétendue tient à notre organisme, ni comment, dans cet isolement inétendu, elle peut recevoir un choc, qu'il n'a expliqué comment nous pouvons être sensibles. Ce sont là de petits mystères qui ne sauraient l'arrêter. La raison, selon lui, est la faculté souveraine de la connaissance, mais elle est impersonnelle, c'est-à-dire elle ne nous appartient pas, quoique nous nous en servions. Dire ma raison est donc, selon M. Cousin, un non-sens, par le motif qu'on ne dit pas ma vérité. Ce motif ne nous paraît pas bien concluant, mais c'est probablement notre faute. Effectivement, dans son système, la raison est l'ensemble des vérités nécessaires et universelles ; vérités telles que les principes de la causalité, de la substance, de l'unité, du vrai, etc. La collection de ces principes forme donc, selon lui, la raison divine, dont nous participons par la volonté ineffable du Tout-Puissant. Mais c'est là ce qu'il faut croire sur sa parole, car nous ne voyons pas précisément comment une collection de vérités, quelque universelles qu'elles soient, pourrait constituer la raison divine et humaine. Vulgairement, les vérités sont des lois, et la raison est une faculté. Or, je vois le soleil, mais jamais la faculté de le voir n'a été prise pour le soleil ni pour le moindre de ses rayons. C'est donc là un nouveau mystère à ajouter aux précédents. De sorte que, dans cette doctrine, rien ne s'explique de soi, rien ne se tient, et notre âme n'y est représentée que comme un assemblage hétérogène de facultés, de qualités, de fonctions distinctes, reliées ensemble, au hasard, comme des feuilles éparses que l'on aurait réunies en un volume sous ce titre pompeux : Doctrine philosophique du dix-neuvième siècle. La deuxième préface de la troisième édition des Fragments philosophiques en contient un résumé intéressant à plus d'un titre.
D'après ces considérations on peut juger des causes qui font de la philosophie spiritualiste officielle, malgré ses bonnes intentions, une doctrine bizarre et indigeste. On serait même autorisé à la traiter plus durement, si l'on perdait de vue les services éminents qu'elle a rendus à l'esprit français en le détournant d'un sensualisme immoral et d'un scepticisme désespérant. C'étaient là évidemment les principales préoccupations de l'illustre philosophe au début de sa brillante carrière ; et, en étudiant ses œuvres remarquables, on voit que Condillac et Kant ont été ses principaux adversaires. Aussi c'est cette lutte qui est la partie importante de ses travaux. Son propre système, au contraire, nous paraît très défectueux, et sa morale, sa théodicée et son ontologie contiennent nombre de points fort controversables. La vérité est une fleur si délicate ! le moindre souffle de l'erreur la flétrit entre nos mains, et la réduit en une poussière pernicieuse et aveuglante. Dans la chaleur du combat ou dans l'émotion de l'ambition, il est surtout difficile de conserver le calme de l'esprit et la délicatesse du sentiment de l'évidence ; de sorte que l'homme préoccupé est facilement entraîné à dépasser les bornes de la vraie sagesse. Heureusement que le Créateur nous a ménagé des faits, des circonstances, des événements providentiels, qui sont assez frappants pour nous ramener dans la bonne voie ; et certes, les doctrines et les faits sur lesquels se fonde le Spiritisme sont de ce nombre. Que nos grands et savants philosophes ne les repoussent point sous le futile prétexte de superstition. Qu'ils les étudient sans parti pris ! Ils y reconnaîtront la nature étendue et solide de notre âme, sa préexistence et sa perpétuité. Ils y trouveront une morale douce et salutaire, bien faite pour ramener tout le monde au bien. Si alors leur esprit demande à s'en rendre compte, qu'ils se mettent franchement à l'œuvre, qu'ils en examinent scientifiquement les principes et les conséquences ; et alors peut-être le principe de la dualité de l'essence de l'âme leur apparaîtra dans toute sa splendeur et dans toute sa puissance ; car il nous semble jeter une vive lumière sur les secrets intimes de notre être. C'est ce que nous continuerons à examiner prochainement.
F. Herrenschneider.
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* L'autre premier príncipe est la dualité de l'aspect des choses que nous
retrouverons plus tard.
Mgr l'évêque d'Alger a publié, en date du 18 août
dernier, une brochure adressée à messieurs les curés de son diocèse, sous ce
titre : Lettre circulaire et ordonnance sur la superstition dite
Spiritisme. Nous en citons les passages suivants que nous faisons suivre de
quelques observations.
« … Nous avions la pensée d'ajouter une modeste page à ces lumineuses annales, en flétrissant, des hauteurs du bon sens et de la foi, comme il mérite de l'être, le Spiritisme qui, renouvelé de la plus vieille et de la plus grossière idolâtrie, est venu s'abattre sur l'Algérie. Pauvre colonie ! Après tant de cruelles épreuves, lui fallait-il encore une épreuve de ce genre ! »
Pauvre colonie ! en effet, ne serait-elle pas bien plus prospère si, au lieu de tolérer et de protéger la religion des indigènes, on eût transformé leurs mosquées et leurs synagogues en églises, et si l'on n'eût pas arrêté le zèle du prosélytisme ! Il est vrai que la guerre sainte, guerre d'extermination comme celle des croisades, durerait encore, que des centaines de mille de soldats auraient péri, que nous aurions peut-être été forcés de l'abandonner ; mais qu'est-ce que cela quand il s'agit du triomphe de la foi ! Or, voici bien un autre fléau ; le Spiritisme qui vient, au nom de l'Évangile, proclamer la fraternité entre les différents cultes, et cimenter l'union en inscrivant sur son drapeau : Hors la charité point de salut.
Mais diverses considérations, monsieur le curé, nous ont retenu jusqu'à ce jour. D'abord, nous hésitions à révéler cette honte nouvelle, ajoutée à tant de misères exploitées, avec une amère ironie, par les ennemis de notre chère et noble Algérie. D'autre part, nous savons que le Spiritisme n'a guère pénétré chez nous que dans certaines villes, où les désœuvrés se comptent en plus grand nombre ; où la curiosité, sans cesse excitée, se repaît avidement de tout ce qui se présente avec un caractère de nouveauté ; où le besoin de briller et de se distinguer de la foule ne demeure pas toujours étranger, même à des intelligences de plus ou moins de portée, tandis que le plus grand nombre de nos petites villes et de nos campagnes ignorent, et, certes, elles n'ont rien à y perdre, jusqu'au nom bizarre et prétentieux de Spiritisme. Nous pensions, enfin, que de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie, parce que le désabusement vient vite pour les scandales d'imagination, qui meurent presque toujours de leur propre honte. Ainsi en est-il arrivé des jongleries de Cagliostro et de Mesmer ; ainsi la fureur des tables tournantes s'est calmée, sans laisser après elle que le ridicule de ses entraînements et de ses souvenirs. »
Si le nom même du Spiritisme est inconnu dans le plus grand nombre des petites villes et des campagnes d'Algérie, la lettre circulaire de Mgr l'évêque d'Alger, répandue à profusion, est un excellent moyen de le faire connaître, en piquant la curiosité qui ne sera certes pas arrêtée par la crainte du diable. Tel a été l'effet bien avéré de tous les sermons prêchés contre le Spiritisme, qui, de notoriété publique, ont puissamment contribué à multiplier les adeptes. La circulaire de Mgr d'Alger aura-t-elle un effet contraire ? c'est plus que douteux. Nous nous rappelons toujours cette parole prophétique, et qui s'est si bien réalisée, d'un Esprit à qui nous demandions, il y a deux ans, par quel moyen le Spiritisme pénétrerait dans les campagnes ; il nous répondit : « Par les prêtres. – Volontairement ou involontairement ? – Involontairement d'abord, volontairement plus tard. »
Nous rappellerons encore que lors de notre premier voyage à Lyon, en 1860, les Spirites y étaient au nombre de quelques centaines seulement. Dans cette même année un sermon virulent fut prêché contre eux, et l'on nous écrivit : « Encore deux ou trois sermons comme celui-ci, et nous serons bientôt décuplés. » Or, les sermons n'ont pas fait défaut dans cette ville, comme chacun sait ; et ce que chacun sait aussi, c'est que l'année suivante il y avait cinq ou six mille Spirites, et que dès la troisième année on en comptait plus de trente mille. Pauvre cité lyonnaise ! Ce que l'on sait encore, c'est que le plus grand nombre des adeptes se trouve parmi les ouvriers, qui ont puisé dans cette doctrine la force de supporter patiemment les rudes épreuves qu'ils ont traversées, sans chercher dans la violence et la spoliation le nécessaire qui leur manquait ; c'est qu'ils prient aujourd'hui, et croient à la justice de Dieu, s'ils ne croient pas à celles des hommes ; c'est qu'ils comprennent la parole de Jésus : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Dites pourquoi, avec votre doctrine des peines éternelles que vous préconisez comme un frein indispensable, vous n'avez jamais arrêté aucun excès, tandis que la maxime « Hors la charité point de salut » est toute-puissante ! Fasse le ciel que vous n'ayez jamais besoin de vous mettre sous son égide ! Mais si Dieu vous réservait encore des jours néfastes, souvenez-vous que ceux mêmes à qui vous avez refusé le pain de l'aumône, parce qu'ils étaient Spirites, seront les premiers à partager avec vous leur morceau de pain ; parce qu'ils comprennent cette parole : « Pardonnez à vos ennemis, et faites du bien à ceux qui vous persécutent. »
Mais qu'a donc le Spiritisme de si redoutable, puisqu'il n'occupe que les désœuvrés de quelques villes ? puisque de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie ? puisqu'il doit avoir le sort des jongleries de Cagliostro, de Mesmer et des tables tournantes ? Pour ce qui est de Cagliostro, il faut le mettre hors de cause, attendu que le Spiritisme a toujours décliné toute solidarité avec lui, malgré la persistance de quelques adversaires pour accoler son nom à celui du Spiritisme, comme ils l'ont fait de tous les jongleurs et charlatans. Quant à Mesmer, il faut être bien peu au courant de ce qui se passe, pour ignorer que le magnétisme est plus répandu qu'il ne l'a jamais été, et qu'il est aujourd'hui professé par des notabilités scientifiques. Il est vrai qu'on s'occupe peu maintenant des tables tournantes, mais il faut convenir qu'elles ont cependant fait un assez beau chemin, puisqu'elles ont été le point de départ de cette terrible doctrine qui cause tant d'insomnies à ces messieurs. Elles ont été l'alphabet du Spiritisme ; si donc on ne s'en occupe plus, c'est qu'on ne cherche plus à épeler quand on sait lire. Elles ont tellement grandi que vous ne les reconnaissez plus.
Après avoir parlé de son voyage en France, qui a eu un plein succès, Mgr d'Alger ajoute :
« Notre première et incessante occupation du retour était de publier une instruction pastorale contre la superstition en général, et en particulier contre celle du Spiritisme, l'Evangile selon Renan ne nous ayant détourné que huit jours. »
Voilà, il faut en convenir, un singulier aveu. L'ouvrage de M. Renan, qui sape l'édifice par sa base et qui a eu un si grand retentissement, n'a préoccupé Sa Grandeur que huit jours, tandis que le Spiritisme absorbe toute son attention. « J'arrive en toute hâte, dit-il, et, quoique accablé des fatigues d'un long voyage, sans prendre de repos, je monte sur la brèche. Nous avons un nouvel et rude adversaire en M. Renan, mais celui-là nous inquiète peu ; marchons droit au Spiritisme, car c'est le plus pressé. » C'est un grand honneur pour le Spiritisme, car c'est reconnaître qu'il est bien plus redoutable, et il ne peut être redoutable qu'à la condition d'être logique. S'il n'a aucune base sérieuse, ainsi que le prétend monseigneur, à quoi bon ce déploiement de forces ? Vit-on jamais tirer le canon contre une mouche qui vole ? Plus les moyens d'attaque sont violents, plus on exalte son importance ; voilà pourquoi nous ne nous en plaignons pas.
« Nous avons appris, dites-vous, à n'en pas douter, que de véritables chrétiens, de sincères catholiques, s'imaginaient pouvoir associer Jésus-Christ et Bélial, les commandements de l'Église avec les procédés du Spiritisme. »
C'est un peu tard pour vous en apercevoir, car il y a trois ans que le Spiritisme est implanté et prospère dans l'Algérie, qui ne s'en trouve pas plus mal. D'ailleurs, la brochure de M. Leblanc de Prébois, publiée au nom et pour la défense de l'Église, a dû vous apprendre qu'il y a en France, à l'heure qu'il est, selon ses calculs, vingt millions de Spirites, c'est-à-dire la moitié de la population, et qu'avant peu l'autre moitié serait gagnée ; or, l'Algérie fait partie de la France.
« Si, dit la circulaire s'adressant aux curés du diocèse, il se trouve dans leurs paroisses des Spirites, de quelque condition qu'ils puissent être, en général les mécréants, les femmes vaniteuses, les têtes faibles, formant toujours le gros des cortèges superstitieux, que le prêtre n'hésite pas à leur déclarer qu'il n'y a aucune transaction possible entre le catholicisme et le Spiritisme ; que, dans leurs expériences, il ne peut y avoir que l'une de ces trois choses : jonglerie de la part des uns, hallucination de la part des autres, et, au pis aller, qu'une intervention diabolique. »
S'il n'y a pas de transaction possible, c'est plus fâcheux pour le catholicisme que pour le Spiritisme, car celui-ci gagnant tous les jours du terrain, quoi qu'on fasse pour l'arrêter, que fera le catholicisme quand la prévision de M. Leblanc de Prébois sera réalisée ? S'il met tous les Spirites à la porte de l'Église, qui restera dedans ? Mais là n'est pas la question pour le moment ; elle viendra en temps et lieu. Le dernier membre de phrase a une haute portée de la part d'un homme comme monseigneur d'Alger, qui doit peser la portée de toutes ses paroles. Selon lui, il ne peut y avoir dans le Spiritisme que l'une de ces trois choses : jonglerie, hallucination, et, au pis aller, intervention diabolique. Notez bien que ce ne sont pas les trois choses ensemble, mais seulement l'une des trois qui est possible ; monseigneur ne paraît pas être bien certain de laquelle, puisque l'intervention diabolique n'est qu'un pis aller. Or, si c'est de la jonglerie et de l'hallucination, ce n'est rien de sérieux, et il n'y a point d'intervention diabolique ; si c'est l'œuvre du diable, c'est quelque chose de positif, et alors il n'y a ni jonglerie ni hallucination. Dans la première hypothèse, il faut convenir que, faire tant de bruit pour une simple jonglerie ou une illusion, c'est se battre contre des moulins à vent, rôle peu digne de la gravité de l'Église ; dans la seconde, c'est reconnaître au diable une puissance plus grande que celle de l'Église, ou à l'Église une bien grande faiblesse, puisqu'elle ne peut empêcher le diable d'agir, qu'elle n'a même pu, malgré tous les exorcismes, en délivrer les possédés de Morzine.
« Nous en étions là, monsieur le curé, de notre labeur apostolique, lorsque nous avons reçu de nombreux articles de journaux, des brochures, des livres, et notamment un discours (celui du Père Nampon), où, sauf les idées générales, nous avons trouvé très clairement et très nettement exposé tout ce que nous allions vous dire ensuite à propos du Spiritisme. Comme nous n'aimons point à refaire sans nécessité ce que nous jugeons être bien fait, nous vous engageons à vous procurer quelques-uns de ces ouvrages, et au moins un exemplaire de ce discours, qui vous éclairera suffisamment sur les procédés, la doctrine et les conséquences du Spiritisme. »
Nous sommes charmé d'apprendre que l'ouvrage du P. Nampon est jugé, par les princes des prêtres, un ouvrage bien fait et après lequel il n'y a rien de mieux à faire. C'est une tranquillité pour les Spirites, de savoir que le Révérend Père a épuisé tous les arguments et qu'on n'y peut rien ajouter. Or, comme ces arguments, loin d'arrêter l'élan du Spiritisme, lui ont recruté des partisans, c'est de la part de ses antagonistes se montrer satisfaits à bon marché. Quant à éclairer suffisamment messieurs les curés sur la doctrine, nous ne pensons pas que des textes altérés et tronqués, ce dont le P. Nampon ne s'est pas fait faute, ainsi que nous l'avons démontré (Revue de juin 1863), soient propres à leur en donner une idée bien juste. Il faut être bien à court de bonnes raisons pour user de pareils moyens qui discréditent la cause qui s'en sert.
« Avant toute chose, ne serait-il pas déplorable de rencontrer en Algérie des chrétiens sérieux qui hésitassent à se prononcer énergiquement contre le Spiritisme ; les uns sous le prétexte qu'il y a là-dessous quelque chose de vrai, d'autres par ce motif qu'ils ont vu des matérialistes forcenés revenir, au moyen du Spiritisme, à la croyance à l'autre vie ? Illogique naïveté des deux parts ! »
Ainsi ce n'est rien d'avoir ramené à la croyance en Dieu et en la vie future des matérialistes forcenés ; le Spiritisme n'en est pas moins une mauvaise chose. Jésus cependant a dit qu'un mauvais arbre ne peut donner de bons fruits. Est-ce donc un mauvais fruit que de donner la foi à celui qui ne l'a pas ? Puisque vous n'avez pu ramener ces incrédules forcenés, et que le Spiritisme en a triomphé, quel est donc le meilleur des deux arbres ? Il est évident que sans le Spiritisme, ces matérialistes forcenés fussent restés matérialistes ; puisque monseigneur veut à toute force détruire le Spiritisme qui ramène des âmes à Dieu, c'est qu'à ses yeux ces âmes n'ayant pu être ramenées par l'Eglise, il est préférable qu'elles meurent dans l'incrédulité. Cela nous rappelle cette parole prononcée en chaire dans une petite ville : « J'aime mieux que les incrédules restent hors de l'Eglise que d'y rentrer par le Spiritisme. » Ce ne sont pas tout à fait les paroles du Christ, qui a dit : « J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Et cette autre, prononcée ailleurs : « Je préfère voir les ouvriers sortir saouls (sic) du cabaret que de les savoir Spirites. » Ceci est de la démence ; nous ne serions pas surpris que des accès de rage contre le Spiritisme produisissent une véritable folie.
« Que, malgré la voix de leur conscience, des hommes, élevés dans les principes du christianisme et les ayant malheureusement oubliés, niés dans leur cœur, et combattus dans leurs livres, essayent de pactiser avec ces principes, en admettant une immortalité de l'âme, un purgatoire et un enfer tout différents de l'immortalité de l'âme, du purgatoire et de l'enfer des Evangiles, aient gagné, par le Spiritisme, quelque chose pour la foi et pour leur salut, quel chrétien pourra se l'imaginer, puisqu'ils n'ont mis à la place que les plus sacrilèges blasphèmes de croyance ! »
En quoi le purgatoire des Spirites diffère-t-il de celui des Evangiles, puisque les Evangiles n'en disent rien ? Ils en parlent si peu que les Protestants, qui suivent la lettre de l'Evangile, ne l'admettent pas. Quant à l'enfer, l'Evangile est loin d'y avoir placé les chaudières bouillantes qu'y place le catholicisme, et d'avoir dit, comme on nous l'a enseigné dans notre enfance, et comme on l'a prêché il y a trois ou quatre ans à Montpellier, que « Les anges ôtent les couvercles de ces chaudières pour que les élus se repaissent de la vue des souffrances des damnés. » Voilà un singulier côté de la béatitude des bienheureux ; nous ne sachions pas que Jésus en ait dit un mot. Le Spiritisme, il est vrai, n'admet point de pareilles choses ; si c'est un motif de réprobation, qu'il soit donc réprouvé !
« On leur fera comprendre également que c'est le renouvellement des théories païennes tombées dans le mépris des sages, avant même l'apparition de l'Evangile, qu'en introduisant la métempsycose, ou la transmigration des âmes, le Spiritisme tue l'individualité personnelle, et met à néant la responsabilité morale ; qu'en détruisant l'idée du purgatoire et de l'enfer éternellement personnel, il ouvre la carrière à tous les désordres, à toutes les immoralités. »
Si quelque chose est emprunté aux théories païennes, c'est assurément le tableau des tortures de l'enfer. Puis, nous ne voyons pas clairement comment, après avoir admis un purgatoire quelconque, nous nions l'idée du purgatoire. Quant à la métempsycose des Anciens, loin de l'avoir introduite, le Spiritisme l'a de tout temps combattue, et en a démontré l'impossibilité. Quand donc cessera-t-on de faire dire au Spiritisme le contraire de ce qu'il dit ? La pluralité des existences qu'il admet, non comme un système, mais comme une loi de nature prouvée par des faits, en diffère essentiellement. Or, contre une loi de nature, qui est nécessairement l'œuvre de Dieu, il n'y a ni système qui puisse prévaloir, ni anathèmes qui puissent l'annuler, pas plus qu'ils n'ont annulé le mouvement de la terre et les périodes de la création. La pluralité des existences, la renaissance si l'on veut, est une condition inhérente à la nature humaine, comme celle de dormir, et nécessaire au progrès de l'âme. Il est toujours fâcheux pour une religion, quand elle s'obstine à rester en arrière des connaissances acquises, car il arrive un moment où, étant débordée par le flot irrésistible des idées, elle perd son crédit et son influence sur tous les hommes instruits ; se croire compromise par les idées nouvelles, c'est avouer la fragilité de son point d'appui ; c'est pis encore quand elle sonne l'alarme devant ce qu'elle appelle une utopie. C'est une chose curieuse, en effet, de voir les adversaires du Spiritisme s'escrimer à dire que c'est un rêve creux, sans portée et sans vitalité, et crier sans cesse au feu !
Selon la maxime : « On reconnaît la qualité de l'arbre à son fruit, » la meilleure manière de juger les choses, c'est d'en étudier les effets. Si donc, comme on le prétend, la négation de l'enfer éternellement personnel ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités, il s'ensuit : 1° que la croyance à cet enfer ouvre la carrière à toutes les vertus ; 2° que quiconque se livre à des actes immoraux ne craint pas les peines éternelles, et s'il ne les craint pas, c'est qu'il n'y croit pas. Or, qui doit y croire mieux que ceux qui les enseignent ? qui doit être pénétré de cette crainte, impressionné par le tableau des tortures sans fin, mieux que ceux qui sont nuit et jour bercés dans cette croyance ? Où cette croyance et cette crainte devraient-elles être dans toute leur force ? où devrait-il y avoir plus de retenue et de moralité, si ce n'est au centre même de la catholicité ? Si tous ceux qui professent ce dogme et en font une condition de salut étaient exempts de reproches, leurs paroles auraient assurément plus de poids, mais quand on voit de si scandaleux désordres parmi ceux-là mêmes qui prêchent la crainte de l'enfer, il en faut bien conclure qu'ils ne croient pas à ce qu'ils prêchent. Comment espèrent-ils persuader ceux qui sont enclins au doute ? Ils tuent le dogme par sa propre exagération et par leur exemple. Le dogme des peines éternelles jugé par ses fruits, n'en donnant pas de bons, c'est une preuve que l'arbre est mauvais ; et parmi ces mauvais fruits il faut placer le nombre immense d'incrédules qu'il fait chaque jour. L'Eglise s'y cramponne comme à une corde de salut, mais cette corde est si usée, que bientôt elle laissera aller le vaisseau à la dérive. Si jamais l'Eglise devait péricliter, ce serait par l'absolutisme de ses dogmes de l'enfer, des peines éternelles, et de la suprématie qu'elle accorde au diable dans le monde. Si l'on ne peut être catholique sans croire à cet enfer et à la damnation éternelle, il faut convenir que le nombre des vrais catholiques est dès aujourd'hui singulièrement réduit, et que plus d'un Père de l'Eglise peut être considéré comme entaché d'hérésie.
« Il ne sera pas inutile d'ajouter, monsieur le curé, que la paix des familles est gravement troublée par la pratique du Spiritisme ; qu'un grand nombre de têtes y ont déjà perdu le sens, et que les maisons d'aliénés d'Amérique, d'Angleterre et de France regorgent, dès à présent, de ses trop nombreuses victimes ; en telle sorte que si le Spiritisme propageait ses conquêtes, il faudrait changer le nom Petites-Maisons en celui de Grandes-Maisons. »
Si Mgr d'Alger avait puisé ses renseignements ailleurs qu'à des sources intéressées, il aurait su ce qu'il en est de ces prétendus fous, et ne se serait pas rendu l'écho d'un conte inventé par la mauvaise foi, et dont le ridicule ressort de l'exagération même. Un premier journal a parlé de quatre cas, disait-on, constatés dans un hospice ; un autre journal, citant le premier, en a mis quarante ; un troisième, citant le second, en a mis quatre cents, et ajoute qu'on va agrandir l'hospice, et tous les journaux hostiles de répéter à l'envi cette histoire ; puis Mgr d'Alger, emporté par son zèle, la reprenant en sous-œuvre, l'amplifie encore en disant que les maisons d'aliénés de France, d'Angleterre et d'Amérique regorgent des victimes de la nouvelle doctrine. Chose curieuse ! il cite l'Angleterre qui est un des pays où le Spiritisme est le moins répandu, et où il y a certainement moins d'adeptes qu'en Italie, en Espagne et en Russie.
Qu'une brochure éphémère et sans portée, qu'un journal peu difficile sur la source des nouvelles qu'il rapporte, avancent un fait hasardé pour le besoin de la cause, il n'y a à cela rien d'étonnant, quoique cela n'en soit pas plus moral ; mais un document épiscopal, ayant un caractère officiel, ne devrait contenir que des choses d'une authenticité tellement avérée, qu'il devrait échapper jusqu'au soupçon d'inexactitude, même involontaire.
Quant à la paix des familles troublée par la pratique du Spiritisme, nous ne connaissons dans ce cas que celles où les femmes, circonvenues par leurs confesseurs, ont été sollicitées d'abandonner le toit conjugal pour se soustraire aux influences démoniaques apportées par leurs maris spirites. Par contre, les exemples sont nombreux de familles jadis divisées, dont les membres se sont rapprochés d'après les conseils de leurs Esprits protecteurs et sous l'influence de la doctrine qui, à l'exemple de Jésus, prêche l'union, la concorde, la douceur, la tolérance, l'oubli des injures, l'indulgence pour les imperfections d'autrui, et ramène la paix là où régnait la zizanie. C'est encore là le cas de dire qu'on juge la qualité de l'arbre à son fruit. C'est un fait avéré que, lorsqu'il y a division dans les familles, la scission part toujours du côté de l'intolérance religieuse.
La lettre pastorale est terminée par l'ordonnance suivante :
« A ces causes, et l'Esprit-Saint invoqué, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 1er. La pratique du Spiritisme ou l'invocation des morts est interdite à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger.
Art. 2. Les confesseurs refuseront l'absolution à quiconque ne renoncerait pas à toute participation, soit comme médium, soit comme adepte, soit comme simple témoin à des séances privées ou publiques, ou, enfin, à une opération quelconque de Spiritisme.
Art. 3. Dans toutes les villes de l'Algérie et dans les paroisses rurales où le Spiritisme s'est introduit avec quelque éclat, messieurs les curés liront publiquement cette lettre en chaire, le premier dimanche après sa réception. Partout ailleurs on la communiquera en particulier, suivant les besoins.
Donné à Alger, le 18 août 1863. »
C'est la première ordonnance lancée à l'effet d'interdire officiellement le Spiritisme dans une localité. Elle est du 18 août 1863 ; cette date marquera dans les annales du Spiritisme, comme celle du 9 octobre 1860, jour à jamais mémorable de l'auto-da-fé de Barcelone, ordonné par l'évêque de cette ville. Les attaques, les critiques, les sermons n'ayant rien produit de satisfaisant, on a voulu frapper un coup par l'excommunication officielle. Voyons si le but sera mieux atteint.
Par le premier article, l'ordonnance s'adresse à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger, c'est-à-dire que la défense de s'occuper du Spiritisme est faite à tous les individus sans exception. Mais la population ne se compose pas seulement de catholiques fervents ; elle comprend, sans parler des juifs, des protestants et des musulmans, tous les matérialistes, panthéistes, incrédules, libres penseurs, douteurs et indifférents dont le nombre est incalculable ; ils figurent dans le contingent nominal du catholicisme, parce qu'ils sont nés et baptisés dans cette religion, mais en réalité ils se sont eux-mêmes mis hors de l'Eglise ; à ce compte M. Renan et tant d'autres figurent dans la population catholique. Sur tous les individus qui ne sont pas dans la stricte orthodoxie, l'ordonnance est donc sans portée ; ainsi en sera-t-il partout où pareille défense sera faite. Etant donc matériellement impossible qu'une interdiction de cette nature, de quelque part qu'elle vienne, atteigne tout le monde, pour un qui en sera détourné, il y en aura cent qui continueront à s'en occuper.
Puis on met de côté les Esprits qui viennent sans qu'on les appelle, même auprès de ceux à qui on défend de les recevoir ; qui parlent à ceux qui ne veulent pas les écouter ; qui passent à travers les murs quand on leur ferme la porte. Là est la plus grande difficulté, pour laquelle il manque un article à l'ordonnance ci-dessus. Cette ordonnance ne touche donc que les catholiques fervents ; or, nous l'avons souvent répété, le Spiritisme vient donner la foi à ceux qui ne croient à rien ou qui sont dans le doute ; à ceux qui ont une foi bien arrêtée et à qui cette foi
suffit, il dit : gardez-la, et il ne cherche point à les en détourner ; il ne dit à personne : « Quittez votre croyance pour venir à moi ; » il a assez à moissonner dans le champ des incrédules. Ainsi la défense ne peut atteindre ceux auxquels s'adresse le Spiritisme, et elle n'atteint que ceux auxquels il ne s'adresse pas. Jésus n'a-t-il pas dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins. » Si ces derniers viennent à lui, sans qu'il les cherche, c'est qu'ils y trouvent des consolations et des certitudes qu'ils ne trouvent pas ailleurs, et dans ce cas ils passeront sur la défense.
Voici bientôt trois mois que cette ordonnance est rendue, et l'on peut déjà en apprécier l'effet. Depuis son apparition, plus de vingt lettres nous ont été écrites d'Algérie qui toutes confirment le résultat prévu. Nous verrons ce qu'il en est dans le prochain numéro.
« … Nous avions la pensée d'ajouter une modeste page à ces lumineuses annales, en flétrissant, des hauteurs du bon sens et de la foi, comme il mérite de l'être, le Spiritisme qui, renouvelé de la plus vieille et de la plus grossière idolâtrie, est venu s'abattre sur l'Algérie. Pauvre colonie ! Après tant de cruelles épreuves, lui fallait-il encore une épreuve de ce genre ! »
Pauvre colonie ! en effet, ne serait-elle pas bien plus prospère si, au lieu de tolérer et de protéger la religion des indigènes, on eût transformé leurs mosquées et leurs synagogues en églises, et si l'on n'eût pas arrêté le zèle du prosélytisme ! Il est vrai que la guerre sainte, guerre d'extermination comme celle des croisades, durerait encore, que des centaines de mille de soldats auraient péri, que nous aurions peut-être été forcés de l'abandonner ; mais qu'est-ce que cela quand il s'agit du triomphe de la foi ! Or, voici bien un autre fléau ; le Spiritisme qui vient, au nom de l'Évangile, proclamer la fraternité entre les différents cultes, et cimenter l'union en inscrivant sur son drapeau : Hors la charité point de salut.
Mais diverses considérations, monsieur le curé, nous ont retenu jusqu'à ce jour. D'abord, nous hésitions à révéler cette honte nouvelle, ajoutée à tant de misères exploitées, avec une amère ironie, par les ennemis de notre chère et noble Algérie. D'autre part, nous savons que le Spiritisme n'a guère pénétré chez nous que dans certaines villes, où les désœuvrés se comptent en plus grand nombre ; où la curiosité, sans cesse excitée, se repaît avidement de tout ce qui se présente avec un caractère de nouveauté ; où le besoin de briller et de se distinguer de la foule ne demeure pas toujours étranger, même à des intelligences de plus ou moins de portée, tandis que le plus grand nombre de nos petites villes et de nos campagnes ignorent, et, certes, elles n'ont rien à y perdre, jusqu'au nom bizarre et prétentieux de Spiritisme. Nous pensions, enfin, que de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie, parce que le désabusement vient vite pour les scandales d'imagination, qui meurent presque toujours de leur propre honte. Ainsi en est-il arrivé des jongleries de Cagliostro et de Mesmer ; ainsi la fureur des tables tournantes s'est calmée, sans laisser après elle que le ridicule de ses entraînements et de ses souvenirs. »
Si le nom même du Spiritisme est inconnu dans le plus grand nombre des petites villes et des campagnes d'Algérie, la lettre circulaire de Mgr l'évêque d'Alger, répandue à profusion, est un excellent moyen de le faire connaître, en piquant la curiosité qui ne sera certes pas arrêtée par la crainte du diable. Tel a été l'effet bien avéré de tous les sermons prêchés contre le Spiritisme, qui, de notoriété publique, ont puissamment contribué à multiplier les adeptes. La circulaire de Mgr d'Alger aura-t-elle un effet contraire ? c'est plus que douteux. Nous nous rappelons toujours cette parole prophétique, et qui s'est si bien réalisée, d'un Esprit à qui nous demandions, il y a deux ans, par quel moyen le Spiritisme pénétrerait dans les campagnes ; il nous répondit : « Par les prêtres. – Volontairement ou involontairement ? – Involontairement d'abord, volontairement plus tard. »
Nous rappellerons encore que lors de notre premier voyage à Lyon, en 1860, les Spirites y étaient au nombre de quelques centaines seulement. Dans cette même année un sermon virulent fut prêché contre eux, et l'on nous écrivit : « Encore deux ou trois sermons comme celui-ci, et nous serons bientôt décuplés. » Or, les sermons n'ont pas fait défaut dans cette ville, comme chacun sait ; et ce que chacun sait aussi, c'est que l'année suivante il y avait cinq ou six mille Spirites, et que dès la troisième année on en comptait plus de trente mille. Pauvre cité lyonnaise ! Ce que l'on sait encore, c'est que le plus grand nombre des adeptes se trouve parmi les ouvriers, qui ont puisé dans cette doctrine la force de supporter patiemment les rudes épreuves qu'ils ont traversées, sans chercher dans la violence et la spoliation le nécessaire qui leur manquait ; c'est qu'ils prient aujourd'hui, et croient à la justice de Dieu, s'ils ne croient pas à celles des hommes ; c'est qu'ils comprennent la parole de Jésus : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Dites pourquoi, avec votre doctrine des peines éternelles que vous préconisez comme un frein indispensable, vous n'avez jamais arrêté aucun excès, tandis que la maxime « Hors la charité point de salut » est toute-puissante ! Fasse le ciel que vous n'ayez jamais besoin de vous mettre sous son égide ! Mais si Dieu vous réservait encore des jours néfastes, souvenez-vous que ceux mêmes à qui vous avez refusé le pain de l'aumône, parce qu'ils étaient Spirites, seront les premiers à partager avec vous leur morceau de pain ; parce qu'ils comprennent cette parole : « Pardonnez à vos ennemis, et faites du bien à ceux qui vous persécutent. »
Mais qu'a donc le Spiritisme de si redoutable, puisqu'il n'occupe que les désœuvrés de quelques villes ? puisque de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie ? puisqu'il doit avoir le sort des jongleries de Cagliostro, de Mesmer et des tables tournantes ? Pour ce qui est de Cagliostro, il faut le mettre hors de cause, attendu que le Spiritisme a toujours décliné toute solidarité avec lui, malgré la persistance de quelques adversaires pour accoler son nom à celui du Spiritisme, comme ils l'ont fait de tous les jongleurs et charlatans. Quant à Mesmer, il faut être bien peu au courant de ce qui se passe, pour ignorer que le magnétisme est plus répandu qu'il ne l'a jamais été, et qu'il est aujourd'hui professé par des notabilités scientifiques. Il est vrai qu'on s'occupe peu maintenant des tables tournantes, mais il faut convenir qu'elles ont cependant fait un assez beau chemin, puisqu'elles ont été le point de départ de cette terrible doctrine qui cause tant d'insomnies à ces messieurs. Elles ont été l'alphabet du Spiritisme ; si donc on ne s'en occupe plus, c'est qu'on ne cherche plus à épeler quand on sait lire. Elles ont tellement grandi que vous ne les reconnaissez plus.
Après avoir parlé de son voyage en France, qui a eu un plein succès, Mgr d'Alger ajoute :
« Notre première et incessante occupation du retour était de publier une instruction pastorale contre la superstition en général, et en particulier contre celle du Spiritisme, l'Evangile selon Renan ne nous ayant détourné que huit jours. »
Voilà, il faut en convenir, un singulier aveu. L'ouvrage de M. Renan, qui sape l'édifice par sa base et qui a eu un si grand retentissement, n'a préoccupé Sa Grandeur que huit jours, tandis que le Spiritisme absorbe toute son attention. « J'arrive en toute hâte, dit-il, et, quoique accablé des fatigues d'un long voyage, sans prendre de repos, je monte sur la brèche. Nous avons un nouvel et rude adversaire en M. Renan, mais celui-là nous inquiète peu ; marchons droit au Spiritisme, car c'est le plus pressé. » C'est un grand honneur pour le Spiritisme, car c'est reconnaître qu'il est bien plus redoutable, et il ne peut être redoutable qu'à la condition d'être logique. S'il n'a aucune base sérieuse, ainsi que le prétend monseigneur, à quoi bon ce déploiement de forces ? Vit-on jamais tirer le canon contre une mouche qui vole ? Plus les moyens d'attaque sont violents, plus on exalte son importance ; voilà pourquoi nous ne nous en plaignons pas.
« Nous avons appris, dites-vous, à n'en pas douter, que de véritables chrétiens, de sincères catholiques, s'imaginaient pouvoir associer Jésus-Christ et Bélial, les commandements de l'Église avec les procédés du Spiritisme. »
C'est un peu tard pour vous en apercevoir, car il y a trois ans que le Spiritisme est implanté et prospère dans l'Algérie, qui ne s'en trouve pas plus mal. D'ailleurs, la brochure de M. Leblanc de Prébois, publiée au nom et pour la défense de l'Église, a dû vous apprendre qu'il y a en France, à l'heure qu'il est, selon ses calculs, vingt millions de Spirites, c'est-à-dire la moitié de la population, et qu'avant peu l'autre moitié serait gagnée ; or, l'Algérie fait partie de la France.
« Si, dit la circulaire s'adressant aux curés du diocèse, il se trouve dans leurs paroisses des Spirites, de quelque condition qu'ils puissent être, en général les mécréants, les femmes vaniteuses, les têtes faibles, formant toujours le gros des cortèges superstitieux, que le prêtre n'hésite pas à leur déclarer qu'il n'y a aucune transaction possible entre le catholicisme et le Spiritisme ; que, dans leurs expériences, il ne peut y avoir que l'une de ces trois choses : jonglerie de la part des uns, hallucination de la part des autres, et, au pis aller, qu'une intervention diabolique. »
S'il n'y a pas de transaction possible, c'est plus fâcheux pour le catholicisme que pour le Spiritisme, car celui-ci gagnant tous les jours du terrain, quoi qu'on fasse pour l'arrêter, que fera le catholicisme quand la prévision de M. Leblanc de Prébois sera réalisée ? S'il met tous les Spirites à la porte de l'Église, qui restera dedans ? Mais là n'est pas la question pour le moment ; elle viendra en temps et lieu. Le dernier membre de phrase a une haute portée de la part d'un homme comme monseigneur d'Alger, qui doit peser la portée de toutes ses paroles. Selon lui, il ne peut y avoir dans le Spiritisme que l'une de ces trois choses : jonglerie, hallucination, et, au pis aller, intervention diabolique. Notez bien que ce ne sont pas les trois choses ensemble, mais seulement l'une des trois qui est possible ; monseigneur ne paraît pas être bien certain de laquelle, puisque l'intervention diabolique n'est qu'un pis aller. Or, si c'est de la jonglerie et de l'hallucination, ce n'est rien de sérieux, et il n'y a point d'intervention diabolique ; si c'est l'œuvre du diable, c'est quelque chose de positif, et alors il n'y a ni jonglerie ni hallucination. Dans la première hypothèse, il faut convenir que, faire tant de bruit pour une simple jonglerie ou une illusion, c'est se battre contre des moulins à vent, rôle peu digne de la gravité de l'Église ; dans la seconde, c'est reconnaître au diable une puissance plus grande que celle de l'Église, ou à l'Église une bien grande faiblesse, puisqu'elle ne peut empêcher le diable d'agir, qu'elle n'a même pu, malgré tous les exorcismes, en délivrer les possédés de Morzine.
« Nous en étions là, monsieur le curé, de notre labeur apostolique, lorsque nous avons reçu de nombreux articles de journaux, des brochures, des livres, et notamment un discours (celui du Père Nampon), où, sauf les idées générales, nous avons trouvé très clairement et très nettement exposé tout ce que nous allions vous dire ensuite à propos du Spiritisme. Comme nous n'aimons point à refaire sans nécessité ce que nous jugeons être bien fait, nous vous engageons à vous procurer quelques-uns de ces ouvrages, et au moins un exemplaire de ce discours, qui vous éclairera suffisamment sur les procédés, la doctrine et les conséquences du Spiritisme. »
Nous sommes charmé d'apprendre que l'ouvrage du P. Nampon est jugé, par les princes des prêtres, un ouvrage bien fait et après lequel il n'y a rien de mieux à faire. C'est une tranquillité pour les Spirites, de savoir que le Révérend Père a épuisé tous les arguments et qu'on n'y peut rien ajouter. Or, comme ces arguments, loin d'arrêter l'élan du Spiritisme, lui ont recruté des partisans, c'est de la part de ses antagonistes se montrer satisfaits à bon marché. Quant à éclairer suffisamment messieurs les curés sur la doctrine, nous ne pensons pas que des textes altérés et tronqués, ce dont le P. Nampon ne s'est pas fait faute, ainsi que nous l'avons démontré (Revue de juin 1863), soient propres à leur en donner une idée bien juste. Il faut être bien à court de bonnes raisons pour user de pareils moyens qui discréditent la cause qui s'en sert.
« Avant toute chose, ne serait-il pas déplorable de rencontrer en Algérie des chrétiens sérieux qui hésitassent à se prononcer énergiquement contre le Spiritisme ; les uns sous le prétexte qu'il y a là-dessous quelque chose de vrai, d'autres par ce motif qu'ils ont vu des matérialistes forcenés revenir, au moyen du Spiritisme, à la croyance à l'autre vie ? Illogique naïveté des deux parts ! »
Ainsi ce n'est rien d'avoir ramené à la croyance en Dieu et en la vie future des matérialistes forcenés ; le Spiritisme n'en est pas moins une mauvaise chose. Jésus cependant a dit qu'un mauvais arbre ne peut donner de bons fruits. Est-ce donc un mauvais fruit que de donner la foi à celui qui ne l'a pas ? Puisque vous n'avez pu ramener ces incrédules forcenés, et que le Spiritisme en a triomphé, quel est donc le meilleur des deux arbres ? Il est évident que sans le Spiritisme, ces matérialistes forcenés fussent restés matérialistes ; puisque monseigneur veut à toute force détruire le Spiritisme qui ramène des âmes à Dieu, c'est qu'à ses yeux ces âmes n'ayant pu être ramenées par l'Eglise, il est préférable qu'elles meurent dans l'incrédulité. Cela nous rappelle cette parole prononcée en chaire dans une petite ville : « J'aime mieux que les incrédules restent hors de l'Eglise que d'y rentrer par le Spiritisme. » Ce ne sont pas tout à fait les paroles du Christ, qui a dit : « J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Et cette autre, prononcée ailleurs : « Je préfère voir les ouvriers sortir saouls (sic) du cabaret que de les savoir Spirites. » Ceci est de la démence ; nous ne serions pas surpris que des accès de rage contre le Spiritisme produisissent une véritable folie.
« Que, malgré la voix de leur conscience, des hommes, élevés dans les principes du christianisme et les ayant malheureusement oubliés, niés dans leur cœur, et combattus dans leurs livres, essayent de pactiser avec ces principes, en admettant une immortalité de l'âme, un purgatoire et un enfer tout différents de l'immortalité de l'âme, du purgatoire et de l'enfer des Evangiles, aient gagné, par le Spiritisme, quelque chose pour la foi et pour leur salut, quel chrétien pourra se l'imaginer, puisqu'ils n'ont mis à la place que les plus sacrilèges blasphèmes de croyance ! »
En quoi le purgatoire des Spirites diffère-t-il de celui des Evangiles, puisque les Evangiles n'en disent rien ? Ils en parlent si peu que les Protestants, qui suivent la lettre de l'Evangile, ne l'admettent pas. Quant à l'enfer, l'Evangile est loin d'y avoir placé les chaudières bouillantes qu'y place le catholicisme, et d'avoir dit, comme on nous l'a enseigné dans notre enfance, et comme on l'a prêché il y a trois ou quatre ans à Montpellier, que « Les anges ôtent les couvercles de ces chaudières pour que les élus se repaissent de la vue des souffrances des damnés. » Voilà un singulier côté de la béatitude des bienheureux ; nous ne sachions pas que Jésus en ait dit un mot. Le Spiritisme, il est vrai, n'admet point de pareilles choses ; si c'est un motif de réprobation, qu'il soit donc réprouvé !
« On leur fera comprendre également que c'est le renouvellement des théories païennes tombées dans le mépris des sages, avant même l'apparition de l'Evangile, qu'en introduisant la métempsycose, ou la transmigration des âmes, le Spiritisme tue l'individualité personnelle, et met à néant la responsabilité morale ; qu'en détruisant l'idée du purgatoire et de l'enfer éternellement personnel, il ouvre la carrière à tous les désordres, à toutes les immoralités. »
Si quelque chose est emprunté aux théories païennes, c'est assurément le tableau des tortures de l'enfer. Puis, nous ne voyons pas clairement comment, après avoir admis un purgatoire quelconque, nous nions l'idée du purgatoire. Quant à la métempsycose des Anciens, loin de l'avoir introduite, le Spiritisme l'a de tout temps combattue, et en a démontré l'impossibilité. Quand donc cessera-t-on de faire dire au Spiritisme le contraire de ce qu'il dit ? La pluralité des existences qu'il admet, non comme un système, mais comme une loi de nature prouvée par des faits, en diffère essentiellement. Or, contre une loi de nature, qui est nécessairement l'œuvre de Dieu, il n'y a ni système qui puisse prévaloir, ni anathèmes qui puissent l'annuler, pas plus qu'ils n'ont annulé le mouvement de la terre et les périodes de la création. La pluralité des existences, la renaissance si l'on veut, est une condition inhérente à la nature humaine, comme celle de dormir, et nécessaire au progrès de l'âme. Il est toujours fâcheux pour une religion, quand elle s'obstine à rester en arrière des connaissances acquises, car il arrive un moment où, étant débordée par le flot irrésistible des idées, elle perd son crédit et son influence sur tous les hommes instruits ; se croire compromise par les idées nouvelles, c'est avouer la fragilité de son point d'appui ; c'est pis encore quand elle sonne l'alarme devant ce qu'elle appelle une utopie. C'est une chose curieuse, en effet, de voir les adversaires du Spiritisme s'escrimer à dire que c'est un rêve creux, sans portée et sans vitalité, et crier sans cesse au feu !
Selon la maxime : « On reconnaît la qualité de l'arbre à son fruit, » la meilleure manière de juger les choses, c'est d'en étudier les effets. Si donc, comme on le prétend, la négation de l'enfer éternellement personnel ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités, il s'ensuit : 1° que la croyance à cet enfer ouvre la carrière à toutes les vertus ; 2° que quiconque se livre à des actes immoraux ne craint pas les peines éternelles, et s'il ne les craint pas, c'est qu'il n'y croit pas. Or, qui doit y croire mieux que ceux qui les enseignent ? qui doit être pénétré de cette crainte, impressionné par le tableau des tortures sans fin, mieux que ceux qui sont nuit et jour bercés dans cette croyance ? Où cette croyance et cette crainte devraient-elles être dans toute leur force ? où devrait-il y avoir plus de retenue et de moralité, si ce n'est au centre même de la catholicité ? Si tous ceux qui professent ce dogme et en font une condition de salut étaient exempts de reproches, leurs paroles auraient assurément plus de poids, mais quand on voit de si scandaleux désordres parmi ceux-là mêmes qui prêchent la crainte de l'enfer, il en faut bien conclure qu'ils ne croient pas à ce qu'ils prêchent. Comment espèrent-ils persuader ceux qui sont enclins au doute ? Ils tuent le dogme par sa propre exagération et par leur exemple. Le dogme des peines éternelles jugé par ses fruits, n'en donnant pas de bons, c'est une preuve que l'arbre est mauvais ; et parmi ces mauvais fruits il faut placer le nombre immense d'incrédules qu'il fait chaque jour. L'Eglise s'y cramponne comme à une corde de salut, mais cette corde est si usée, que bientôt elle laissera aller le vaisseau à la dérive. Si jamais l'Eglise devait péricliter, ce serait par l'absolutisme de ses dogmes de l'enfer, des peines éternelles, et de la suprématie qu'elle accorde au diable dans le monde. Si l'on ne peut être catholique sans croire à cet enfer et à la damnation éternelle, il faut convenir que le nombre des vrais catholiques est dès aujourd'hui singulièrement réduit, et que plus d'un Père de l'Eglise peut être considéré comme entaché d'hérésie.
« Il ne sera pas inutile d'ajouter, monsieur le curé, que la paix des familles est gravement troublée par la pratique du Spiritisme ; qu'un grand nombre de têtes y ont déjà perdu le sens, et que les maisons d'aliénés d'Amérique, d'Angleterre et de France regorgent, dès à présent, de ses trop nombreuses victimes ; en telle sorte que si le Spiritisme propageait ses conquêtes, il faudrait changer le nom Petites-Maisons en celui de Grandes-Maisons. »
Si Mgr d'Alger avait puisé ses renseignements ailleurs qu'à des sources intéressées, il aurait su ce qu'il en est de ces prétendus fous, et ne se serait pas rendu l'écho d'un conte inventé par la mauvaise foi, et dont le ridicule ressort de l'exagération même. Un premier journal a parlé de quatre cas, disait-on, constatés dans un hospice ; un autre journal, citant le premier, en a mis quarante ; un troisième, citant le second, en a mis quatre cents, et ajoute qu'on va agrandir l'hospice, et tous les journaux hostiles de répéter à l'envi cette histoire ; puis Mgr d'Alger, emporté par son zèle, la reprenant en sous-œuvre, l'amplifie encore en disant que les maisons d'aliénés de France, d'Angleterre et d'Amérique regorgent des victimes de la nouvelle doctrine. Chose curieuse ! il cite l'Angleterre qui est un des pays où le Spiritisme est le moins répandu, et où il y a certainement moins d'adeptes qu'en Italie, en Espagne et en Russie.
Qu'une brochure éphémère et sans portée, qu'un journal peu difficile sur la source des nouvelles qu'il rapporte, avancent un fait hasardé pour le besoin de la cause, il n'y a à cela rien d'étonnant, quoique cela n'en soit pas plus moral ; mais un document épiscopal, ayant un caractère officiel, ne devrait contenir que des choses d'une authenticité tellement avérée, qu'il devrait échapper jusqu'au soupçon d'inexactitude, même involontaire.
Quant à la paix des familles troublée par la pratique du Spiritisme, nous ne connaissons dans ce cas que celles où les femmes, circonvenues par leurs confesseurs, ont été sollicitées d'abandonner le toit conjugal pour se soustraire aux influences démoniaques apportées par leurs maris spirites. Par contre, les exemples sont nombreux de familles jadis divisées, dont les membres se sont rapprochés d'après les conseils de leurs Esprits protecteurs et sous l'influence de la doctrine qui, à l'exemple de Jésus, prêche l'union, la concorde, la douceur, la tolérance, l'oubli des injures, l'indulgence pour les imperfections d'autrui, et ramène la paix là où régnait la zizanie. C'est encore là le cas de dire qu'on juge la qualité de l'arbre à son fruit. C'est un fait avéré que, lorsqu'il y a division dans les familles, la scission part toujours du côté de l'intolérance religieuse.
La lettre pastorale est terminée par l'ordonnance suivante :
« A ces causes, et l'Esprit-Saint invoqué, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 1er. La pratique du Spiritisme ou l'invocation des morts est interdite à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger.
Art. 2. Les confesseurs refuseront l'absolution à quiconque ne renoncerait pas à toute participation, soit comme médium, soit comme adepte, soit comme simple témoin à des séances privées ou publiques, ou, enfin, à une opération quelconque de Spiritisme.
Art. 3. Dans toutes les villes de l'Algérie et dans les paroisses rurales où le Spiritisme s'est introduit avec quelque éclat, messieurs les curés liront publiquement cette lettre en chaire, le premier dimanche après sa réception. Partout ailleurs on la communiquera en particulier, suivant les besoins.
Donné à Alger, le 18 août 1863. »
C'est la première ordonnance lancée à l'effet d'interdire officiellement le Spiritisme dans une localité. Elle est du 18 août 1863 ; cette date marquera dans les annales du Spiritisme, comme celle du 9 octobre 1860, jour à jamais mémorable de l'auto-da-fé de Barcelone, ordonné par l'évêque de cette ville. Les attaques, les critiques, les sermons n'ayant rien produit de satisfaisant, on a voulu frapper un coup par l'excommunication officielle. Voyons si le but sera mieux atteint.
Par le premier article, l'ordonnance s'adresse à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger, c'est-à-dire que la défense de s'occuper du Spiritisme est faite à tous les individus sans exception. Mais la population ne se compose pas seulement de catholiques fervents ; elle comprend, sans parler des juifs, des protestants et des musulmans, tous les matérialistes, panthéistes, incrédules, libres penseurs, douteurs et indifférents dont le nombre est incalculable ; ils figurent dans le contingent nominal du catholicisme, parce qu'ils sont nés et baptisés dans cette religion, mais en réalité ils se sont eux-mêmes mis hors de l'Eglise ; à ce compte M. Renan et tant d'autres figurent dans la population catholique. Sur tous les individus qui ne sont pas dans la stricte orthodoxie, l'ordonnance est donc sans portée ; ainsi en sera-t-il partout où pareille défense sera faite. Etant donc matériellement impossible qu'une interdiction de cette nature, de quelque part qu'elle vienne, atteigne tout le monde, pour un qui en sera détourné, il y en aura cent qui continueront à s'en occuper.
Puis on met de côté les Esprits qui viennent sans qu'on les appelle, même auprès de ceux à qui on défend de les recevoir ; qui parlent à ceux qui ne veulent pas les écouter ; qui passent à travers les murs quand on leur ferme la porte. Là est la plus grande difficulté, pour laquelle il manque un article à l'ordonnance ci-dessus. Cette ordonnance ne touche donc que les catholiques fervents ; or, nous l'avons souvent répété, le Spiritisme vient donner la foi à ceux qui ne croient à rien ou qui sont dans le doute ; à ceux qui ont une foi bien arrêtée et à qui cette foi
suffit, il dit : gardez-la, et il ne cherche point à les en détourner ; il ne dit à personne : « Quittez votre croyance pour venir à moi ; » il a assez à moissonner dans le champ des incrédules. Ainsi la défense ne peut atteindre ceux auxquels s'adresse le Spiritisme, et elle n'atteint que ceux auxquels il ne s'adresse pas. Jésus n'a-t-il pas dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins. » Si ces derniers viennent à lui, sans qu'il les cherche, c'est qu'ils y trouvent des consolations et des certitudes qu'ils ne trouvent pas ailleurs, et dans ce cas ils passeront sur la défense.
Voici bientôt trois mois que cette ordonnance est rendue, et l'on peut déjà en apprécier l'effet. Depuis son apparition, plus de vingt lettres nous ont été écrites d'Algérie qui toutes confirment le résultat prévu. Nous verrons ce qu'il en est dans le prochain numéro.
Nous appelons sur les lettres suivantes l'attention de
ceux qui prétendent que, sans la crainte des peines éternelles, l'humanité
n'aurait plus de frein, et que la négation de l'enfer, éternellement personnel,
ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités :
« Montreuil, 23 août 1863.
« Au mois de mars dernier, j'étais encore ce qu'on peut appeler, dans toute la force du terme, encroûté d'athéisme et de matérialisme. Je ne ménageais pas au chef du groupe spirite de notre petite ville, mon parent, les plaisanteries et les sarcasmes ; je lui conseillais même Charenton ! mais il opposa à mes railleries une patience stoïque.
Dans le même temps, pendant le carême, un prédicateur parla en chaire contre le Spiritisme. Cette circonstance excita ma curiosité, car je ne voyais pas trop ce que l'Église pouvait avoir à démêler avec le Spiritisme. J'entrepris donc la lecture du petit livre : Qu'est-ce que le spiritisme ? me promettant bien de ne pas céder aussi facilement que l'avaient fait certains matérialistes convertis, et m'armai de toutes pièces, persuadé que rien ne pouvait détruire la force de mes arguments, et ne doutant nullement d'une victoire complète.
Mais, ô prodige ! je n'étais pas arrivé à la cinquantième page, que déjà j'avais reconnu la nihilité de ma pauvre artillerie argumentale. Pendant quelques minutes je fus comme illuminé, une révolution subite s'opéra en moi, et voici ce que j'écrivais à mon frère le 18 juin :
Oui, comme tu le dis, ma conversion est providentielle ; c'est à Dieu que je dois cette marque de grande bienveillance. Oui, je crois à Dieu, à mon âme, à son immortalité après la mort. Avant cela j'avais pour philosophie une certaine fermeté d'esprit par laquelle je me mettais au-dessus des tribulations et des accidents de la vie, mais j'ai fléchi devant les nombreuses tortures morales que m'avaient infligées de prétendus amis. L'amertume de ces souvenirs avait empoisonné mon cœur. Je ruminais mille projets de vengeance, et si je n'avais redouté pour moi et les miens la malédiction publique, peut-être aurais-je donné à mes projets une funeste exécution. Mais Dieu m'a sauvé. Le Spiritisme m'a amené promptement à croire aux vérités fondamentales de la religion, dont l'Église m'avait éloigné par l'horrible tableau de ses flammes éternelles, et en voulant m'imposer pour articles de foi des dogmes qui sont en contradiction manifeste avec les attributs infinis de Dieu. Je me rappelle encore l'effroi éprouvé en 1814, à l'âge de sept ans, lors de la lecture de ce joli passage dans les Pensées chrétiennes : « Et quand un damné aura souffert autant d'années qu'il y a d'atomes dans l'air, de feuilles dans les forêts, et de grains de sable sur les bords de la mer, tout cela sera compté pour rien ! ! ! » Et c'est l'Église qui a osé proférer un pareil blasphème ! Que Dieu le lui pardonne ! »
Je continue ma lettre, cher Eugène, en laissant à l'Eglise la propriété de l'empire infernal sur laquelle je n'ai rien à revendiquer.
L'idée que je m'étais faite de mon âme a fait place à celle donnée par les Esprits. La pluralité des mondes, comme la pluralité des existences, n'étant plus un doute pour moi, j'éprouve à l'heure qu'il est une satisfaction morale indéfinissable. La perspective d'un néant froid et lugubre me glaçait autrefois le sang dans les veines ; aujourd'hui, je me vois, par anticipation, habitant de l'un des mondes plus avancés moralement, intellectuellement et physiquement que notre planète, en attendant que je sois arrivé à l'état de pur Esprit.
Pour jouir des bienfaits de Dieu, et m'en rendre tout à fait digne, j'ai pardonné avec empressement à mes ennemis, à ceux qui m'ont fait endurer de vives tortures morales, à tous ceux enfin qui m'ont offensé, et j'ai abjuré toute pensée de vengeance. Tous les jours je remercie Dieu de la haute bienveillance qu'il m'a témoignée en me faisant rapidement sortir du mauvais sentier où m'avaient jeté l'athéisme et le matérialisme, et le prie d'accorder la même faveur à tous ceux qui, comme moi, ont douté de lui et l'ont nié. Je le prie aussi de faire jouir ma femme, mes enfants, mon prochain, parents, amis et ennemis, des douceurs du Spiritisme. Enfin je prie pour tous, pour toutes les âmes souffrantes, afin que Dieu leur laisse entrevoir que sa bonté infinie ne leur a pas fermé la porte du repentir. Je demande aussi à Dieu le pardon de mes fautes, et la grâce de pratiquer la charité dans toute son étendue.
Je me trouve donc maintenant dans un état parfait de calme et de tranquillité sur mon avenir. L'idée de la mort n'a plus rien qui m'épouvante, parce que j'ai la conviction inébranlable que mon âme survivra à mon corps, et une foi entière dans la vie future. Une seule pensée me fait mal cependant, c'est celle d'abandonner sur la terre des êtres qui me sont si chers, avec la crainte de les voir malheureux. Hélas ! cette crainte qui comporte sa douleur est bien naturelle, en présence de l'égoïsme dont la majeure partie de notre pauvre monde est imprégnée. Mais Dieu me comprend ; il sait que toute ma confiance est en lui seul. Déjà j'ai éprouvé le bonheur de revoir notre chère Laure en décembre dernier, quelques jours après sa mort. C'est assurément un effet anticipé de sa bonté pour moi. »
Depuis la date de cette lettre, mon cher monsieur, mon bien-être a augmenté. Autrefois, la moindre contrariété m'irritait ; aujourd'hui ma patience est vraiment remarquable ; elle a succédé à la violence et à l'emportement. La victoire qu'elle a remportée ces jours-ci, dans une assez rude épreuve, vient à l'appui de mon assertion. Certes, il n'en eût pas été ainsi au mois de mars dernier. C'est bien dans ces sortes de circonstances que la doctrine spirite exerce sa douce influence. Ceux qui la critiquent la disent pleine de séductions, et moi je ne crois pas atténuer ce bel éloge en la trouvant pleine de voluptés.
Mon retour à la religion a causé ici une surprise d'autant plus grande que j'avais jusqu'alors affiché le matérialisme le plus effréné. Par une conséquence bien logique je suis à mon tour en butte aux railleries et aux sarcasmes, mais j'y reste insensible, et comme vous le dites fort judicieusement, tout cela glisse sur le vrai Spirite, comme l'eau sur le marbre.
Je vais, mon cher monsieur, finir ma lettre, dont la prolixité pourrait vous faire perdre un temps précieux. Veuillez agréer l'expression de ma vive gratitude pour la satisfaction morale, l'espérance consolante et le bien-être que vous m'avez procurés. Continuez votre sainte mission, Dieu vous a béni, monsieur !
Roussel (Adolphe),
Clerc de notaire, ancien commissaire-priseur.
P. S. Dans l'intérêt du Spiritisme, vous pouvez faire usage de cette lettre comme bon vous semblera, en tout ou en partie. »
Remarque. Nous avons déjà publié plusieurs lettres de cette nature, mais il faudrait des volumes pour publier toutes celles que nous recevons dans le même sens, et, ce qui n'est pas moins remarquable, c'est que la plupart viennent de personnes qui nous sont tout à fait étrangères, et ne sont sollicitées par aucune autre influence que l'ascendant de la doctrine.
Voilà donc un de ces hommes qui sont frappés par l'anathème de monseigneur d'Alger ; un homme qui, sans la doctrine spirite, serait mort dans l'athéisme et le matérialisme ; qui, s'il se présentait pour recevoir les sacrements de l'Eglise, serait impitoyablement repoussé. Qui donc l'a ramené à Dieu ? Est-ce la crainte des peines éternelles ? Non, puisque c'est la théorie de ces peines qui l'en avait éloigné. Qui donc a eu la puissance de calmer ses emportements et d'en faire un homme doux et inoffensif ; de lui faire abjurer ses idées de vengeance pour pardonner à ses ennemis ? C'est le Spiritisme seul, parce qu'il y a puisé une foi inébranlable dans l'avenir ; c'est cette doctrine que vous voudriez extirper de votre diocèse, où, certes, il se trouve bien des individus dans le même cas, et qui, selon vous, est une plaie honteuse pour la colonie. A qui persuadera-t-on qu'il eût mieux valu pour cet homme rester ce qu'il était ? Si l'on objectait que c'est une exception, nous répondrions par des milliers d'exemples semblables ; et encore, si c'était une exception, nous répondrions par la parabole des cent brebis dont une s'est égarée et à la recherche de laquelle court le pasteur. Lui refusant le Spiritisme, que lui auriez-vous donné à la place pour opérer en lui cette transformation ? Toujours la perspective de la damnation éternelle, la seule, selon vous, qui soit capable d'enrayer le désordre et l'immoralité. Enfin, qui l'a porté à étudier le Spiritisme ? Est-ce une coterie de Spirites ? Non, puisqu'il les fuyait ; c'est un sermon prêché contre le Spiritisme. Pourquoi donc a-t-il été converti par le Spiritisme et non par le sermon ? C'est qu'apparemment les arguments du Spiritisme étaient plus convaincants que ceux du sermon. Ainsi en a-t-il été de toutes les prédications analogues ; ainsi en sera-t-il de l'ordonnance épiscopale d'Alger, qui aura, nous le prédisons, un résultat tout autre que celui qu'on s'en était promis.
A l'auteur de cette lettre nous dirons : « Frère, cette sorte de confession que vous faites à la face des hommes est un grand acte d'humilité ; il n'y a jamais honte, mais il y a grandeur, à reconnaître qu'on s'est trompé et à avouer ses torts ; Dieu aime les humbles, car c'est à eux qu'appartient le royaume des cieux. »
La lettre suivante est un exemple non moins frappant des miracles que le Spiritisme peut opérer sur les consciences ; et, ici, le résultat est d'autant plus remarquable qu'il ne s'agit pas d'un homme du monde, vivant dans un milieu éclairé, dont les mauvais penchants peuvent être contenus, sinon par la crainte de la vie future, du moins par celle de l'opinion, mais d'un homme frappé par la justice, d'un condamné à la réclusion dans une maison centrale.
20 septembre 1863.
« Monsieur,
J'ai été assez heureux pour lire, pour étudier quelques-uns de vos excellents ouvrages traitant du Spiritisme, et l'effet de cette lecture a été tel sur tout mon être, que je crois devoir vous en entretenir ; mais pour que vous puissiez bien me comprendre, je crois nécessaire de vous faire connaître les circonstances dans lesquelles je me trouve placé.
J'ai le malheur d'être frappé d'une condamnation à six ans de réclusion, juste conséquence de ma conduite passée ; je n'ai donc pas lieu de me plaindre, aussi n'est-ce que pour ordre que je le relate.
Il y a un mois encore, je me croyais à tout jamais perdu ; d'où vient qu'aujourd'hui je pense autrement, et que l'espoir s'est fait jour dans mon cœur ? N'est-ce pas parce que le Spiritisme, en me dévoilant la sublimité de ses maximes, m'a fait comprendre que les biens terrestres n'étaient rien ; que le bonheur n'existait réellement que pour ceux qui pratiquent les vertus enseignées par Jésus-Christ, vertus qui nous rapprochent de Dieu, notre père commun ? N'est-ce pas aussi parce que, quoique tombé dans un état d'abjection, quoique flétri par la société, je puis espérer renaître en quelque sorte, et dans cette vue préparer mon âme à une vie meilleure par la pratique des vertus et mon amour de Dieu et du prochain ?
« Je ne sais si ce sont bien là les véritables causes du changement qui s'opère en moi ; mais ce que je sais, c'est qu'il se passe dans tout mon être quelque chose que je ne puis définir. Je suis mieux disposé vis-à-vis des malheureux qui, comme moi, sont placés sous la férule de la société. J'ai une certaine autorité sur une centaine d'entre eux, et je suis bien décidé à n'en user que pour le bien. Ma position morale me paraît moins pénible ; je considère mes souffrances comme une juste expiation, et cette idée m'aide à les supporter. Enfin ce n'est plus avec des sentiments de haine que je considère la société ; je lui rends la justice qui lui est due.
Voilà, j'en suis sûr, les causes qui ont réagi sur mon esprit, et qui feront de moi, à l'avenir, j'en ai le doux espoir, un homme aimant et servant Dieu et son prochain, pratiquant la charité et ses devoirs. Et à qui devrai-je rendre grâce de cette heureuse métamorphose qui d'un homme méchant en aura fait un homme aimant la vertu ? A Dieu d'abord, à qui nous devons tout rapporter, et ensuite à vos excellents écrits. Aussi, monsieur, permettez-moi de vous le dire, cette lettre a pour but de vous marquer toute ma gratitude.
Mais pourquoi faut-il que mon éducation spirite reste inachevée ? Sans doute, Dieu le veut ainsi ; que sa volonté soit faite ! Je ne vous laisserai pas ignorer, monsieur, le nom de l'excellente personne à laquelle je suis redevable de ce que je sais maintenant : c'est M. Benoît qui, ayant remarqué en moi un désir de revenir sur mon passé, a bien voulu m'initier à la doctrine spirite ; malheureusement je vais le perdre, sa nouvelle position ne lui permettant plus de venir me voir. C'est un grand malheur pour moi, je ne vous le cache pas, car aux conseils il joignait l'exemple. Lui aussi doit son amélioration à la doctrine. Il me disait : « Jusqu'à ce que j'aie été éclairé de l'Esprit spirite, aussitôt mon repas terminé, je me rendais au café, et là souvent j'oubliais, non seulement mes devoirs envers ma petite famille, mais encore envers mon patron. Le temps que je passais ainsi, je l'emploie maintenant à la lecture des livres spirites, lecture que je fais à haute voix, pour que ma famille en profite. Et croyez-moi, ajoutait M. Benoît, cela vaut mieux, c'est le commencement du vrai, du seul bonheur. »
Pardonnez-moi, je vous prie, ma témérité, et surtout la longueur de cette lettre, et veuillez croire, etc.
D… »
Ce M. Benoît est un simple ouvrier. Il avait été instruit dans le Spiritisme par une dame de la ville dont il avait parlé au prisonnier. Ce dernier, avant le départ de son instructeur, écrivit à cette dame la lettre suivante :
« Madame,
Je suis sans doute bien téméraire d'oser vous adresser ces quelques lignes, mais j'espère en votre bonté pour me pardonner, surtout en raison des causes qui me font agir. J'ai d'abord à vous remercier, madame, mais à vous remercier du plus profond de mon cœur, de toute mon âme, pour le bien que vous m'avez fait, en permettant à M. Benoît de m'instruire du Spiritisme, de cette sublime doctrine appelée à régénérer le monde, et qui sait si bien démontrer à l'homme ce qu'il doit à Dieu, à sa famille, à la société, à lui-même ; qui, en lui prouvant que tout n'est pas fini avec cette vie, l'engage et lui donne les moyens de se préparer pour une autre vie. Je crois avoir profité des utiles enseignements que j'ai reçus, car j'éprouve un sentiment qui me laisse mieux disposé pour mes semblables, et me fait toujours avoir la pensée vers le ciel. Est-ce là un commencement de foi ? Je l'espère ; malheureusement M. Benoît va partir, et avec lui mon espoir de m'instruire.
Je sais que vous êtes bonne, que vous aurez pensé à continuer de me donner les moyens de m'éclairer ; je vous en conjure à genoux, continuez l'œuvre si bien commencée ; elle vous sera comptée par Dieu, car vous avez l'espoir de faire d'un malheureux perdu dans les vices du monde un homme vertueux, un homme digne de ce nom, et de sa famille, et de la société. En attendant le jour où, libre, je pourrai donner mes preuves, je vous bénirai comme mon Esprit sur cette terre ; je vous associerai à mes prières, et un jour viendra où je pourrai aussi apprendre à ma famille à vous bénir, à vous vénérer, car vous lui aurez rendu un fils, un frère honnête homme ; il est impossible d'en être autrement lorsqu'on sert Dieu sincèrement. Je conclus donc, madame, en vous priant d'être, sur cette terre, mon bon Esprit, de vouloir bien me diriger dans la bonne voie ; ce que vous ferez sera compté comme une bonne œuvre ; quant à moi, je vous promets d'être docile à vos enseignements.
Je termine, etc. »
Remarque. – Ainsi, ce M. Benoît, simple ouvrier, était lui-même un exemple récent de l'effet moralisateur du Spiritisme, et déjà, à son tour, il ramène dans la bonne voie une âme égarée ; il rend à sa famille, à la société, un honnête homme au lieu d'un criminel, bonne œuvre à laquelle a concouru une dame charitable, étrangère à tous les deux, mais animée du seul désir de faire le bien ; et tout cela s'est fait dans l'ombre, sans faste, sans ostentation, et avec le seul témoignage de la conscience.
Spirites, voilà de ces miracles dont vous devez être fiers, que vous pouvez tous opérer, et pour lesquels vous n'avez besoin d'aucune faculté exceptionnelle, car il suffit du désir de faire le bien. Si le Spiritisme a une telle puissance sur les âmes flétries, que n'en doit-on pas attendre pour la régénération de l'humanité, quand il sera devenu la croyance commune, et que chacun l'emploiera dans sa sphère d'action ! Vous tous qui jetez la pierre au Spiritisme et dites qu'il remplit les maisons d'aliénés, donnez donc à la place quelque chose qui produise plus qu'il ne produit. Au fruit on reconnaît la qualité de l'arbre ; jugez donc le Spiritisme à ses fruits, et tâchez d'en donner de meilleurs ; alors on vous suivra. Encore quelques années, et vous verrez bien d'autres prodiges ; non pas des signes dans le ciel pour frapper les yeux, comme en demandaient les Pharisiens, mais des prodiges dans le cœur des hommes, et dont le plus grand sera de fermer la bouche des détracteurs, et d'ouvrir les yeux des aveugles, car il faut que les prédictions du Christ s'accomplissent, et elles s'accompliront toutes.
« Montreuil, 23 août 1863.
« Au mois de mars dernier, j'étais encore ce qu'on peut appeler, dans toute la force du terme, encroûté d'athéisme et de matérialisme. Je ne ménageais pas au chef du groupe spirite de notre petite ville, mon parent, les plaisanteries et les sarcasmes ; je lui conseillais même Charenton ! mais il opposa à mes railleries une patience stoïque.
Dans le même temps, pendant le carême, un prédicateur parla en chaire contre le Spiritisme. Cette circonstance excita ma curiosité, car je ne voyais pas trop ce que l'Église pouvait avoir à démêler avec le Spiritisme. J'entrepris donc la lecture du petit livre : Qu'est-ce que le spiritisme ? me promettant bien de ne pas céder aussi facilement que l'avaient fait certains matérialistes convertis, et m'armai de toutes pièces, persuadé que rien ne pouvait détruire la force de mes arguments, et ne doutant nullement d'une victoire complète.
Mais, ô prodige ! je n'étais pas arrivé à la cinquantième page, que déjà j'avais reconnu la nihilité de ma pauvre artillerie argumentale. Pendant quelques minutes je fus comme illuminé, une révolution subite s'opéra en moi, et voici ce que j'écrivais à mon frère le 18 juin :
Oui, comme tu le dis, ma conversion est providentielle ; c'est à Dieu que je dois cette marque de grande bienveillance. Oui, je crois à Dieu, à mon âme, à son immortalité après la mort. Avant cela j'avais pour philosophie une certaine fermeté d'esprit par laquelle je me mettais au-dessus des tribulations et des accidents de la vie, mais j'ai fléchi devant les nombreuses tortures morales que m'avaient infligées de prétendus amis. L'amertume de ces souvenirs avait empoisonné mon cœur. Je ruminais mille projets de vengeance, et si je n'avais redouté pour moi et les miens la malédiction publique, peut-être aurais-je donné à mes projets une funeste exécution. Mais Dieu m'a sauvé. Le Spiritisme m'a amené promptement à croire aux vérités fondamentales de la religion, dont l'Église m'avait éloigné par l'horrible tableau de ses flammes éternelles, et en voulant m'imposer pour articles de foi des dogmes qui sont en contradiction manifeste avec les attributs infinis de Dieu. Je me rappelle encore l'effroi éprouvé en 1814, à l'âge de sept ans, lors de la lecture de ce joli passage dans les Pensées chrétiennes : « Et quand un damné aura souffert autant d'années qu'il y a d'atomes dans l'air, de feuilles dans les forêts, et de grains de sable sur les bords de la mer, tout cela sera compté pour rien ! ! ! » Et c'est l'Église qui a osé proférer un pareil blasphème ! Que Dieu le lui pardonne ! »
Je continue ma lettre, cher Eugène, en laissant à l'Eglise la propriété de l'empire infernal sur laquelle je n'ai rien à revendiquer.
L'idée que je m'étais faite de mon âme a fait place à celle donnée par les Esprits. La pluralité des mondes, comme la pluralité des existences, n'étant plus un doute pour moi, j'éprouve à l'heure qu'il est une satisfaction morale indéfinissable. La perspective d'un néant froid et lugubre me glaçait autrefois le sang dans les veines ; aujourd'hui, je me vois, par anticipation, habitant de l'un des mondes plus avancés moralement, intellectuellement et physiquement que notre planète, en attendant que je sois arrivé à l'état de pur Esprit.
Pour jouir des bienfaits de Dieu, et m'en rendre tout à fait digne, j'ai pardonné avec empressement à mes ennemis, à ceux qui m'ont fait endurer de vives tortures morales, à tous ceux enfin qui m'ont offensé, et j'ai abjuré toute pensée de vengeance. Tous les jours je remercie Dieu de la haute bienveillance qu'il m'a témoignée en me faisant rapidement sortir du mauvais sentier où m'avaient jeté l'athéisme et le matérialisme, et le prie d'accorder la même faveur à tous ceux qui, comme moi, ont douté de lui et l'ont nié. Je le prie aussi de faire jouir ma femme, mes enfants, mon prochain, parents, amis et ennemis, des douceurs du Spiritisme. Enfin je prie pour tous, pour toutes les âmes souffrantes, afin que Dieu leur laisse entrevoir que sa bonté infinie ne leur a pas fermé la porte du repentir. Je demande aussi à Dieu le pardon de mes fautes, et la grâce de pratiquer la charité dans toute son étendue.
Je me trouve donc maintenant dans un état parfait de calme et de tranquillité sur mon avenir. L'idée de la mort n'a plus rien qui m'épouvante, parce que j'ai la conviction inébranlable que mon âme survivra à mon corps, et une foi entière dans la vie future. Une seule pensée me fait mal cependant, c'est celle d'abandonner sur la terre des êtres qui me sont si chers, avec la crainte de les voir malheureux. Hélas ! cette crainte qui comporte sa douleur est bien naturelle, en présence de l'égoïsme dont la majeure partie de notre pauvre monde est imprégnée. Mais Dieu me comprend ; il sait que toute ma confiance est en lui seul. Déjà j'ai éprouvé le bonheur de revoir notre chère Laure en décembre dernier, quelques jours après sa mort. C'est assurément un effet anticipé de sa bonté pour moi. »
Depuis la date de cette lettre, mon cher monsieur, mon bien-être a augmenté. Autrefois, la moindre contrariété m'irritait ; aujourd'hui ma patience est vraiment remarquable ; elle a succédé à la violence et à l'emportement. La victoire qu'elle a remportée ces jours-ci, dans une assez rude épreuve, vient à l'appui de mon assertion. Certes, il n'en eût pas été ainsi au mois de mars dernier. C'est bien dans ces sortes de circonstances que la doctrine spirite exerce sa douce influence. Ceux qui la critiquent la disent pleine de séductions, et moi je ne crois pas atténuer ce bel éloge en la trouvant pleine de voluptés.
Mon retour à la religion a causé ici une surprise d'autant plus grande que j'avais jusqu'alors affiché le matérialisme le plus effréné. Par une conséquence bien logique je suis à mon tour en butte aux railleries et aux sarcasmes, mais j'y reste insensible, et comme vous le dites fort judicieusement, tout cela glisse sur le vrai Spirite, comme l'eau sur le marbre.
Je vais, mon cher monsieur, finir ma lettre, dont la prolixité pourrait vous faire perdre un temps précieux. Veuillez agréer l'expression de ma vive gratitude pour la satisfaction morale, l'espérance consolante et le bien-être que vous m'avez procurés. Continuez votre sainte mission, Dieu vous a béni, monsieur !
Roussel (Adolphe),
Clerc de notaire, ancien commissaire-priseur.
P. S. Dans l'intérêt du Spiritisme, vous pouvez faire usage de cette lettre comme bon vous semblera, en tout ou en partie. »
Remarque. Nous avons déjà publié plusieurs lettres de cette nature, mais il faudrait des volumes pour publier toutes celles que nous recevons dans le même sens, et, ce qui n'est pas moins remarquable, c'est que la plupart viennent de personnes qui nous sont tout à fait étrangères, et ne sont sollicitées par aucune autre influence que l'ascendant de la doctrine.
Voilà donc un de ces hommes qui sont frappés par l'anathème de monseigneur d'Alger ; un homme qui, sans la doctrine spirite, serait mort dans l'athéisme et le matérialisme ; qui, s'il se présentait pour recevoir les sacrements de l'Eglise, serait impitoyablement repoussé. Qui donc l'a ramené à Dieu ? Est-ce la crainte des peines éternelles ? Non, puisque c'est la théorie de ces peines qui l'en avait éloigné. Qui donc a eu la puissance de calmer ses emportements et d'en faire un homme doux et inoffensif ; de lui faire abjurer ses idées de vengeance pour pardonner à ses ennemis ? C'est le Spiritisme seul, parce qu'il y a puisé une foi inébranlable dans l'avenir ; c'est cette doctrine que vous voudriez extirper de votre diocèse, où, certes, il se trouve bien des individus dans le même cas, et qui, selon vous, est une plaie honteuse pour la colonie. A qui persuadera-t-on qu'il eût mieux valu pour cet homme rester ce qu'il était ? Si l'on objectait que c'est une exception, nous répondrions par des milliers d'exemples semblables ; et encore, si c'était une exception, nous répondrions par la parabole des cent brebis dont une s'est égarée et à la recherche de laquelle court le pasteur. Lui refusant le Spiritisme, que lui auriez-vous donné à la place pour opérer en lui cette transformation ? Toujours la perspective de la damnation éternelle, la seule, selon vous, qui soit capable d'enrayer le désordre et l'immoralité. Enfin, qui l'a porté à étudier le Spiritisme ? Est-ce une coterie de Spirites ? Non, puisqu'il les fuyait ; c'est un sermon prêché contre le Spiritisme. Pourquoi donc a-t-il été converti par le Spiritisme et non par le sermon ? C'est qu'apparemment les arguments du Spiritisme étaient plus convaincants que ceux du sermon. Ainsi en a-t-il été de toutes les prédications analogues ; ainsi en sera-t-il de l'ordonnance épiscopale d'Alger, qui aura, nous le prédisons, un résultat tout autre que celui qu'on s'en était promis.
A l'auteur de cette lettre nous dirons : « Frère, cette sorte de confession que vous faites à la face des hommes est un grand acte d'humilité ; il n'y a jamais honte, mais il y a grandeur, à reconnaître qu'on s'est trompé et à avouer ses torts ; Dieu aime les humbles, car c'est à eux qu'appartient le royaume des cieux. »
La lettre suivante est un exemple non moins frappant des miracles que le Spiritisme peut opérer sur les consciences ; et, ici, le résultat est d'autant plus remarquable qu'il ne s'agit pas d'un homme du monde, vivant dans un milieu éclairé, dont les mauvais penchants peuvent être contenus, sinon par la crainte de la vie future, du moins par celle de l'opinion, mais d'un homme frappé par la justice, d'un condamné à la réclusion dans une maison centrale.
20 septembre 1863.
« Monsieur,
J'ai été assez heureux pour lire, pour étudier quelques-uns de vos excellents ouvrages traitant du Spiritisme, et l'effet de cette lecture a été tel sur tout mon être, que je crois devoir vous en entretenir ; mais pour que vous puissiez bien me comprendre, je crois nécessaire de vous faire connaître les circonstances dans lesquelles je me trouve placé.
J'ai le malheur d'être frappé d'une condamnation à six ans de réclusion, juste conséquence de ma conduite passée ; je n'ai donc pas lieu de me plaindre, aussi n'est-ce que pour ordre que je le relate.
Il y a un mois encore, je me croyais à tout jamais perdu ; d'où vient qu'aujourd'hui je pense autrement, et que l'espoir s'est fait jour dans mon cœur ? N'est-ce pas parce que le Spiritisme, en me dévoilant la sublimité de ses maximes, m'a fait comprendre que les biens terrestres n'étaient rien ; que le bonheur n'existait réellement que pour ceux qui pratiquent les vertus enseignées par Jésus-Christ, vertus qui nous rapprochent de Dieu, notre père commun ? N'est-ce pas aussi parce que, quoique tombé dans un état d'abjection, quoique flétri par la société, je puis espérer renaître en quelque sorte, et dans cette vue préparer mon âme à une vie meilleure par la pratique des vertus et mon amour de Dieu et du prochain ?
« Je ne sais si ce sont bien là les véritables causes du changement qui s'opère en moi ; mais ce que je sais, c'est qu'il se passe dans tout mon être quelque chose que je ne puis définir. Je suis mieux disposé vis-à-vis des malheureux qui, comme moi, sont placés sous la férule de la société. J'ai une certaine autorité sur une centaine d'entre eux, et je suis bien décidé à n'en user que pour le bien. Ma position morale me paraît moins pénible ; je considère mes souffrances comme une juste expiation, et cette idée m'aide à les supporter. Enfin ce n'est plus avec des sentiments de haine que je considère la société ; je lui rends la justice qui lui est due.
Voilà, j'en suis sûr, les causes qui ont réagi sur mon esprit, et qui feront de moi, à l'avenir, j'en ai le doux espoir, un homme aimant et servant Dieu et son prochain, pratiquant la charité et ses devoirs. Et à qui devrai-je rendre grâce de cette heureuse métamorphose qui d'un homme méchant en aura fait un homme aimant la vertu ? A Dieu d'abord, à qui nous devons tout rapporter, et ensuite à vos excellents écrits. Aussi, monsieur, permettez-moi de vous le dire, cette lettre a pour but de vous marquer toute ma gratitude.
Mais pourquoi faut-il que mon éducation spirite reste inachevée ? Sans doute, Dieu le veut ainsi ; que sa volonté soit faite ! Je ne vous laisserai pas ignorer, monsieur, le nom de l'excellente personne à laquelle je suis redevable de ce que je sais maintenant : c'est M. Benoît qui, ayant remarqué en moi un désir de revenir sur mon passé, a bien voulu m'initier à la doctrine spirite ; malheureusement je vais le perdre, sa nouvelle position ne lui permettant plus de venir me voir. C'est un grand malheur pour moi, je ne vous le cache pas, car aux conseils il joignait l'exemple. Lui aussi doit son amélioration à la doctrine. Il me disait : « Jusqu'à ce que j'aie été éclairé de l'Esprit spirite, aussitôt mon repas terminé, je me rendais au café, et là souvent j'oubliais, non seulement mes devoirs envers ma petite famille, mais encore envers mon patron. Le temps que je passais ainsi, je l'emploie maintenant à la lecture des livres spirites, lecture que je fais à haute voix, pour que ma famille en profite. Et croyez-moi, ajoutait M. Benoît, cela vaut mieux, c'est le commencement du vrai, du seul bonheur. »
Pardonnez-moi, je vous prie, ma témérité, et surtout la longueur de cette lettre, et veuillez croire, etc.
D… »
Ce M. Benoît est un simple ouvrier. Il avait été instruit dans le Spiritisme par une dame de la ville dont il avait parlé au prisonnier. Ce dernier, avant le départ de son instructeur, écrivit à cette dame la lettre suivante :
« Madame,
Je suis sans doute bien téméraire d'oser vous adresser ces quelques lignes, mais j'espère en votre bonté pour me pardonner, surtout en raison des causes qui me font agir. J'ai d'abord à vous remercier, madame, mais à vous remercier du plus profond de mon cœur, de toute mon âme, pour le bien que vous m'avez fait, en permettant à M. Benoît de m'instruire du Spiritisme, de cette sublime doctrine appelée à régénérer le monde, et qui sait si bien démontrer à l'homme ce qu'il doit à Dieu, à sa famille, à la société, à lui-même ; qui, en lui prouvant que tout n'est pas fini avec cette vie, l'engage et lui donne les moyens de se préparer pour une autre vie. Je crois avoir profité des utiles enseignements que j'ai reçus, car j'éprouve un sentiment qui me laisse mieux disposé pour mes semblables, et me fait toujours avoir la pensée vers le ciel. Est-ce là un commencement de foi ? Je l'espère ; malheureusement M. Benoît va partir, et avec lui mon espoir de m'instruire.
Je sais que vous êtes bonne, que vous aurez pensé à continuer de me donner les moyens de m'éclairer ; je vous en conjure à genoux, continuez l'œuvre si bien commencée ; elle vous sera comptée par Dieu, car vous avez l'espoir de faire d'un malheureux perdu dans les vices du monde un homme vertueux, un homme digne de ce nom, et de sa famille, et de la société. En attendant le jour où, libre, je pourrai donner mes preuves, je vous bénirai comme mon Esprit sur cette terre ; je vous associerai à mes prières, et un jour viendra où je pourrai aussi apprendre à ma famille à vous bénir, à vous vénérer, car vous lui aurez rendu un fils, un frère honnête homme ; il est impossible d'en être autrement lorsqu'on sert Dieu sincèrement. Je conclus donc, madame, en vous priant d'être, sur cette terre, mon bon Esprit, de vouloir bien me diriger dans la bonne voie ; ce que vous ferez sera compté comme une bonne œuvre ; quant à moi, je vous promets d'être docile à vos enseignements.
Je termine, etc. »
Remarque. – Ainsi, ce M. Benoît, simple ouvrier, était lui-même un exemple récent de l'effet moralisateur du Spiritisme, et déjà, à son tour, il ramène dans la bonne voie une âme égarée ; il rend à sa famille, à la société, un honnête homme au lieu d'un criminel, bonne œuvre à laquelle a concouru une dame charitable, étrangère à tous les deux, mais animée du seul désir de faire le bien ; et tout cela s'est fait dans l'ombre, sans faste, sans ostentation, et avec le seul témoignage de la conscience.
Spirites, voilà de ces miracles dont vous devez être fiers, que vous pouvez tous opérer, et pour lesquels vous n'avez besoin d'aucune faculté exceptionnelle, car il suffit du désir de faire le bien. Si le Spiritisme a une telle puissance sur les âmes flétries, que n'en doit-on pas attendre pour la régénération de l'humanité, quand il sera devenu la croyance commune, et que chacun l'emploiera dans sa sphère d'action ! Vous tous qui jetez la pierre au Spiritisme et dites qu'il remplit les maisons d'aliénés, donnez donc à la place quelque chose qui produise plus qu'il ne produit. Au fruit on reconnaît la qualité de l'arbre ; jugez donc le Spiritisme à ses fruits, et tâchez d'en donner de meilleurs ; alors on vous suivra. Encore quelques années, et vous verrez bien d'autres prodiges ; non pas des signes dans le ciel pour frapper les yeux, comme en demandaient les Pharisiens, mais des prodiges dans le cœur des hommes, et dont le plus grand sera de fermer la bouche des détracteurs, et d'ouvrir les yeux des aveugles, car il faut que les prédictions du Christ s'accomplissent, et elles s'accompliront toutes.
L'Esprit typteur de Carcassonne soutient sa
réputation, et prouve, par les succès qu'il obtient dans les divers concours où
il se présente comme candidat, le mérite incontestable de ses excellentes
fables et poésies. Après avoir remporté le premier prix, l'Églantine d'or, à
l'académie des Jeux floraux de Toulouse, il vient tout récemment d'obtenir une
médaille de bronze au concours de Nîmes. Le Courrier de l'Aude dit à ce
sujet : « Cette distinction est d'autant plus flatteuse, que le
concours n'était pas restreint seulement aux fables et aux poésies, mais qu'il
embrassait toutes les œuvres littéraires. »
Ce nouveau triomphe en présage assurément d'autres pour l'avenir, car il est probable que cet Esprit ne s'en tiendra pas là. Décidément il devient un concurrent redoutable. Que diront les incrédules ? Ce qu'ils ont déjà dit à l'occasion du succès de Toulouse : Que M. Joubert est un poète qui a la fantaisie de se cacher sous le manteau d'un Esprit. Mais ceux qui connaissent M. Joubert savent qu'il n'est pas poète ; et d'ailleurs le fût-il, le mode d'obtention, par la typtologie, en présence de témoins, lève toute espèce de doute, à moins de supposer qu'il se cache, non sous la table, mais dans la table. Quoi qu'il en soit, des faits de cette nature ne peuvent manquer d'appeler l'attention des gens sérieux, et de hâter le moment où les relations du monde visible et du monde invisible seront admises comme une des lois de la nature ; cette loi reconnue, la philosophie et la science entreront nécessairement dans une nouvelle voie. La Providence, qui veut le triomphe du Spiritisme, parce que le Spiritisme est une des grandes étapes du progrès humain, emploie divers moyens pour le faire pénétrer dans l'esprit des masses ; moyens appropriés aux goûts et aux dispositions de chacun, attendu que ce qui convainc les uns ne convainc pas les autres ; ici ce sont les succès académiques d'un Esprit poète ; là ce sont des phénomènes tangibles provoqués ou des manifestations spontanées ; ailleurs ce sont des effets purement moraux ; puis des guérisons qui jadis eussent passé pour miraculeuses, et déroutent la science vulgaire ; des productions artistiques par des personnes étrangères aux arts. Il n'est pas jusqu'aux cas d'obsession et de subjugation qui, en prouvant l'impuissance de la science dans ces sortes d'affections, amèneront les savants à reconnaître une action extra-matérielle. Avons-nous enfin besoin d'ajouter que les adversaires de l'idée spirite sont, entre les mains de la Providence, un des plus puissants moyens de vulgarisation ? car il est bien évident que sans le retentissement de leurs attaques, le Spiritisme serait moins répandu qu'il ne l'est ; Dieu, en les convainquant d'impuissance, a voulu qu'ils servissent eux-mêmes à son triomphe. (Voir la Revue de juin 1863.)
Ce nouveau triomphe en présage assurément d'autres pour l'avenir, car il est probable que cet Esprit ne s'en tiendra pas là. Décidément il devient un concurrent redoutable. Que diront les incrédules ? Ce qu'ils ont déjà dit à l'occasion du succès de Toulouse : Que M. Joubert est un poète qui a la fantaisie de se cacher sous le manteau d'un Esprit. Mais ceux qui connaissent M. Joubert savent qu'il n'est pas poète ; et d'ailleurs le fût-il, le mode d'obtention, par la typtologie, en présence de témoins, lève toute espèce de doute, à moins de supposer qu'il se cache, non sous la table, mais dans la table. Quoi qu'il en soit, des faits de cette nature ne peuvent manquer d'appeler l'attention des gens sérieux, et de hâter le moment où les relations du monde visible et du monde invisible seront admises comme une des lois de la nature ; cette loi reconnue, la philosophie et la science entreront nécessairement dans une nouvelle voie. La Providence, qui veut le triomphe du Spiritisme, parce que le Spiritisme est une des grandes étapes du progrès humain, emploie divers moyens pour le faire pénétrer dans l'esprit des masses ; moyens appropriés aux goûts et aux dispositions de chacun, attendu que ce qui convainc les uns ne convainc pas les autres ; ici ce sont les succès académiques d'un Esprit poète ; là ce sont des phénomènes tangibles provoqués ou des manifestations spontanées ; ailleurs ce sont des effets purement moraux ; puis des guérisons qui jadis eussent passé pour miraculeuses, et déroutent la science vulgaire ; des productions artistiques par des personnes étrangères aux arts. Il n'est pas jusqu'aux cas d'obsession et de subjugation qui, en prouvant l'impuissance de la science dans ces sortes d'affections, amèneront les savants à reconnaître une action extra-matérielle. Avons-nous enfin besoin d'ajouter que les adversaires de l'idée spirite sont, entre les mains de la Providence, un des plus puissants moyens de vulgarisation ? car il est bien évident que sans le retentissement de leurs attaques, le Spiritisme serait moins répandu qu'il ne l'est ; Dieu, en les convainquant d'impuissance, a voulu qu'ils servissent eux-mêmes à son triomphe. (Voir la Revue de juin 1863.)
Nous devons à l'obligeance d'un de nos correspondants
de Bordeaux l'intéressant passage suivant, extrait d'un ouvrage intitulé :
Exposé de la grandeur de la création universelle, par le docteur Gelpke, publié
à Leipzig en 1817.
« … Si donc la construction de tous les mondes qui brillent au-dessus de nous pouvait être soumise à notre examen, de quelle admiration ne serions-nous pas frappés en voyant la diversité de ces globes, dont chacun est autrement organisé que celui qui lui est le plus voisin dans l'ordre de la création ! Et, ainsi que je l'ai déjà dit, le nombre des mondes étant incalculable, leur construction doit être également différente à l'infini.
Comme, en outre, de l'organisation de chaque monde dépend l'organisation des êtres qui l'habitent, ceux-ci doivent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, différer essentiellement sur chaque globe. Si nous considérons maintenant la multiplicité et l'immense variété des créatures sur notre terre, où une feuille même ne ressemble pas à une autre feuille, et que nous admettions une aussi grande variété de créatures sur chaque monde, combien prodigieuse nous en paraîtra la multitude dans l'incommensurable royaume de Dieu !
Quelle sera donc un jour la plénitude de notre félicité, lorsque, sous des enveloppes toujours plus parfaites, nous pénétrerons successivement plus avant dans les mystères de la création, et que nous trouverons des mondes sans fin peuplant un espace sans fin ! Combien alors Dieu ne nous paraîtra-t-il pas plus adorable encore, lui qui tira tout cet ensemble du néant, lui dont la bonté sans bornes n'a tout créé que pour en faire jouir des êtres vivants, et dont la sagesse a ordonné ce tout d'une manière si admirable !
Mais notre résidence et notre conformation actuelles peuvent-elles nous procurer un tel bonheur ? N'avons-nous pas besoin pour cela d'un tout autre séjour qui nous placera plus avant dans le domaine de la création, et d'une enveloppe beaucoup plus subtile et plus parfaite, qui n'entravera pas notre esprit dans ses progrès vers la perfection, et au moyen de laquelle il pourra voir, sans aide, dans le tout universel, bien au delà de ce que nous le pouvons ici avec nos meilleurs instruments ?
Mais pourquoi le Créateur ne nous donnerait-il pas, après plusieurs degrés d'existence, une enveloppe qui, semblable à l'éclair, pourrait s'élever de mondes en mondes, nous permettant ainsi, à la fois, d'envisager tout de plus près, et de mieux embrasser l'ensemble par la pensée ? Qui oserait en douter, lorsque nous voyons le brillant papillon naître de la chenille, et l'arbre éblouissant de fleurs provenir d'un noyau ! Si Dieu développe ainsi peu à peu la chenille, et nous la montre splendidement transformée, s'il développe aussi le germe par degrés, combien ne nous fera-t-il pas progresser nous, hommes, rois de la terre, et avancer dans la création ! »
Pluralité des mondes habités, pluralité des existences, périsprit, progrès successif et indéfini de l'âme, tout y est.
« … Si donc la construction de tous les mondes qui brillent au-dessus de nous pouvait être soumise à notre examen, de quelle admiration ne serions-nous pas frappés en voyant la diversité de ces globes, dont chacun est autrement organisé que celui qui lui est le plus voisin dans l'ordre de la création ! Et, ainsi que je l'ai déjà dit, le nombre des mondes étant incalculable, leur construction doit être également différente à l'infini.
Comme, en outre, de l'organisation de chaque monde dépend l'organisation des êtres qui l'habitent, ceux-ci doivent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, différer essentiellement sur chaque globe. Si nous considérons maintenant la multiplicité et l'immense variété des créatures sur notre terre, où une feuille même ne ressemble pas à une autre feuille, et que nous admettions une aussi grande variété de créatures sur chaque monde, combien prodigieuse nous en paraîtra la multitude dans l'incommensurable royaume de Dieu !
Quelle sera donc un jour la plénitude de notre félicité, lorsque, sous des enveloppes toujours plus parfaites, nous pénétrerons successivement plus avant dans les mystères de la création, et que nous trouverons des mondes sans fin peuplant un espace sans fin ! Combien alors Dieu ne nous paraîtra-t-il pas plus adorable encore, lui qui tira tout cet ensemble du néant, lui dont la bonté sans bornes n'a tout créé que pour en faire jouir des êtres vivants, et dont la sagesse a ordonné ce tout d'une manière si admirable !
Mais notre résidence et notre conformation actuelles peuvent-elles nous procurer un tel bonheur ? N'avons-nous pas besoin pour cela d'un tout autre séjour qui nous placera plus avant dans le domaine de la création, et d'une enveloppe beaucoup plus subtile et plus parfaite, qui n'entravera pas notre esprit dans ses progrès vers la perfection, et au moyen de laquelle il pourra voir, sans aide, dans le tout universel, bien au delà de ce que nous le pouvons ici avec nos meilleurs instruments ?
Mais pourquoi le Créateur ne nous donnerait-il pas, après plusieurs degrés d'existence, une enveloppe qui, semblable à l'éclair, pourrait s'élever de mondes en mondes, nous permettant ainsi, à la fois, d'envisager tout de plus près, et de mieux embrasser l'ensemble par la pensée ? Qui oserait en douter, lorsque nous voyons le brillant papillon naître de la chenille, et l'arbre éblouissant de fleurs provenir d'un noyau ! Si Dieu développe ainsi peu à peu la chenille, et nous la montre splendidement transformée, s'il développe aussi le germe par degrés, combien ne nous fera-t-il pas progresser nous, hommes, rois de la terre, et avancer dans la création ! »
Pluralité des mondes habités, pluralité des existences, périsprit, progrès successif et indéfini de l'âme, tout y est.
Dissertations spirites
Société de Paris. – 6 février 1863. – Médium, madame Costel
Le Spiritisme est le Christianisme de l'âge moderne ; il doit restituer
aux traditions leur sens spiritualiste. Autrefois, l'Esprit s'est fait
chair ; aujourd'hui, la chair se fait Esprit pour développer ridée
gigantesque qui doit renouveler la face du monde. Mais à la fête de la
création spirite succèderont le trouble et l'orgueil des systèmes
divers, qui, au mépris des sages enseignements, échafauderont une
nouvelle tour de Babel, œuvre de confusion, bientôt réduite à néant, car
les œuvres du passé sont le gage de l'avenir, et rien ne se dissipe du
trésor d'expérience amassé par les siècles. Spirites, formez une tribu
intellectuelle ; suivez vos guides plus docilement que ne le firent les
Hébreux ; nous venons aussi vous délivrer du joug des Philistins, et
vous conduire vers la Terre Promise. Aux ténèbres des premiers âges
succèdera l'aurore, et vous serez émerveillés de comprendre la lente
réflexion des âges antérieurs sur le présent. Les légendes revivront
énergiques comme la réalité, et vous acquerrez la preuve de l'admirable
unité, gage d'alliance contractée par Dieu avec ses créatures.
Saint Louis.
Saint Louis.
Sétif, Algérie, 15 octobre 1863
Ouvrez les Ecritures sacrées, vous y trouverez à chaque page des
prédictions ou des allégories incompréhensibles pour quiconque n'est pas
au courant des révélations nouvelles, et qui, pour la plupart, ont été
interprétées par leurs commentateurs d'une manière conforme à leur
opinion et trop souvent à leur intérêt. Mais en prenant pour guide la
science que vous avez commencé à acquérir, vous saurez facilement
découvrir le sens caché qu'elles renferment.
Les anciens prophètes étaient tous inspirés par des Esprits élevés, mais qui ne leur donnaient, dans leurs révélations, que des enseignements de nature à n'être compris que par les intelligences d'élite et dont le sens ne fût pas en opposition trop patente avec l'état des connaissances et les préjugés de ces temps-là. Il fallait qu'il fût possible de les interpréter d'une manière appropriée à l'intelligence des masses, pour que celles-ci ne les rejetassent pas, comme elles n'eussent pas manqué de le faire, si ces prédictions avaient été en opposition trop formelle avec les idées générales.
Aujourd'hui notre soin doit être de vous éclairer complètement, et en même temps de vous faire comprendre les rapprochements qui existent entre nos révélations et celle des anciens. Nous avons une autre tâche à remplir, c'est de combattre le mensonge, l'hypocrisie et l'erreur, tâche très difficile et très ardue, mais dont nous viendrons à bout, parce que telle est la volonté de Dieu. Ayez foi et courage ; Dieu ne rencontre jamais d'obstacle irrésistible contre sa volonté. Des moyens imprévus seront employés par ses ordres pour vaincre le génie du mal personnifié maintenant par ceux qui devraient marcher à la tête du progrès, et propager la vérité au lieu d'y mettre des entraves par orgueil ou par intérêt.
Il faut donc annoncer partout avec confiance et sécurité la fin prochaine de l'esclavage, de l'injustice et du mensonge ; je dis la fin prochaine, parce que les évènements, bien que devant s'accomplir avec la sage lenteur que la Providence apporte dans ses réformes, pour éviter les malheurs inséparables d'une grande précipitation, auront leur cours dans un espace de temps plus rapproché que ne l'espèrent ceux qui s'effraient des obstacles qu'ils prévoient, et que ne l'espèrent aussi ceux qui, par peur ou par égoïsme, sont intéressés au maintien indéfini de l'état des choses.
Soyez donc ardents à la propagande, mais prudents vis-à-vis de vos auditeurs, pour ne pas effrayer les consciences timorées et ignorantes ; les égoïstes seuls n'exigent aucun ménagement, et ne doivent vous inspirer aucune crainte. Vous avez l'aide de Dieu, leur résistance sera impuissante contre vous ; il faut leur montrer sans équivoque l'avenir redoutable qui les attend à cause d'eux-mêmes et à cause de ceux qui se laisseront pervertir par leur exemple, car chacun est responsable du mal qu'il fait, et de celui dont il est cause.
Saint Augustin.
Les anciens prophètes étaient tous inspirés par des Esprits élevés, mais qui ne leur donnaient, dans leurs révélations, que des enseignements de nature à n'être compris que par les intelligences d'élite et dont le sens ne fût pas en opposition trop patente avec l'état des connaissances et les préjugés de ces temps-là. Il fallait qu'il fût possible de les interpréter d'une manière appropriée à l'intelligence des masses, pour que celles-ci ne les rejetassent pas, comme elles n'eussent pas manqué de le faire, si ces prédictions avaient été en opposition trop formelle avec les idées générales.
Aujourd'hui notre soin doit être de vous éclairer complètement, et en même temps de vous faire comprendre les rapprochements qui existent entre nos révélations et celle des anciens. Nous avons une autre tâche à remplir, c'est de combattre le mensonge, l'hypocrisie et l'erreur, tâche très difficile et très ardue, mais dont nous viendrons à bout, parce que telle est la volonté de Dieu. Ayez foi et courage ; Dieu ne rencontre jamais d'obstacle irrésistible contre sa volonté. Des moyens imprévus seront employés par ses ordres pour vaincre le génie du mal personnifié maintenant par ceux qui devraient marcher à la tête du progrès, et propager la vérité au lieu d'y mettre des entraves par orgueil ou par intérêt.
Il faut donc annoncer partout avec confiance et sécurité la fin prochaine de l'esclavage, de l'injustice et du mensonge ; je dis la fin prochaine, parce que les évènements, bien que devant s'accomplir avec la sage lenteur que la Providence apporte dans ses réformes, pour éviter les malheurs inséparables d'une grande précipitation, auront leur cours dans un espace de temps plus rapproché que ne l'espèrent ceux qui s'effraient des obstacles qu'ils prévoient, et que ne l'espèrent aussi ceux qui, par peur ou par égoïsme, sont intéressés au maintien indéfini de l'état des choses.
Soyez donc ardents à la propagande, mais prudents vis-à-vis de vos auditeurs, pour ne pas effrayer les consciences timorées et ignorantes ; les égoïstes seuls n'exigent aucun ménagement, et ne doivent vous inspirer aucune crainte. Vous avez l'aide de Dieu, leur résistance sera impuissante contre vous ; il faut leur montrer sans équivoque l'avenir redoutable qui les attend à cause d'eux-mêmes et à cause de ceux qui se laisseront pervertir par leur exemple, car chacun est responsable du mal qu'il fait, et de celui dont il est cause.
Saint Augustin.