REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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Juillet

Sans rappeler ici les innombrables phénomènes qui ressortent du Spiritisme expérimental, et prouvent, avec la dernière évidence, l'indépendance de l'Esprit et de la matière, nous appellerons l'attention sur un fait vulgaire dont on n'a pas, que nous sachions, tiré toutes les conséquences, et qui, cependant, est de nature à frapper tout observateur sérieux ; nous voulons parler de ce qui se passe dans le somnambulisme naturel ou artificiel, dans les étranges facultés qui se développent chez les cataleptiques, dans le phénomène non moins étrange de la double vue, aujourd'hui parfaitement avéré, même par les incrédules, mais dont ils n'ont point cherché la cause, quoique la chose en valût bien la peine. La lettre suivante, que nous adresse un honorable médecin du Tarn, prouve par quel enchaînement d'idées un homme qui réfléchit peut passer de l'incrédulité à la croyance à l'aide du seul raisonnement et de l'observation faite de bonne foi.

« Monsieur,

Confondu dans la masse des douteurs et des incrédules, la lecture du Livre des Esprits a produit sur moi une bien vive sensation. La douce satisfaction qui m'est restée de cette lecture m'a fait naître le désir bien naturel de croire sans nulle restriction à tous les enseignements donnés, dans ce livre, par les Esprits. Pour parvenir à ce but, j'aurais d'abord voulu constater par moi-même la réalité des communications ; j'ai donc travaillé à devenir médium, mais je n'ai pas réussi, et je me suis ainsi vu arrêté dans mes recherches. Lassé de vivre dans mon incertitude, j'ai dû prendre la résolution de m'en rapporter aux observations d'autrui, mais comme je ne suis pas d'un naturel facile à persuader, je sentais le besoin de les connaître pour pouvoir juger de leur réalité. Après avoir parcouru les quatre premières années de la Revue spirite, et avoir surtout remarqué avec quelles précautions les nombreux faits y sont rapportés, que les manifestations des Esprits et leurs communications se trouvent toujours constatées par des personnes honorables, désintéressées et dignes de foi, on ne peut plus conserver aucun doute sur leur authenticité.

Mais une fois les communications admises, j'avais encore à me faire une idée du degré de confiance qu'on devait accorder aux révélations, et surtout à celles qui constituent la base de la philosophie spirite. Dans cette appréciation, les flammes de l'enfer ne pouvaient guère m'arrêter, à moins de nier la bonté infinie de Dieu ; la différence des religions ne portait guère non plus obstacle à ma logique, attendu qu'en semant du bien, le plus simple bon sens dit assez qu'on ne peut en récolter du mal. Mais il me restait le point capital de la réincarnation. Le somnambulisme m'a été, à ce sujet, d'un puissant secours, et, s'il ne résout pas entièrement la question, il la rend, selon moi, si probable, qu'il faudrait une assez forte dose de mauvais vouloir pour ne pas l'admettre. Et d'abord, si l'existence de l'âme n'était pas déjà assez démontrée par les manifestations et les communications des Esprits, elle serait clairement prouvée par la vision à distance et à travers les corps opaques, qui ne peut être expliquée que par son intermédiaire. Ensuite, après avoir fait la part des facultés de l'âme dégagée de la matière, telles que la vue à distance, la communication des pensées, etc., le somnambulisme nous fait découvrir chez le sujet des connaissances bien plus étendues que celles que possède le même sujet à l'état de veille. Il résulte de ce fait que l'âme doit être plus ancienne que le corps, puisque, créée en même temps que lui, elle ne pourrait avoir des connaissances autres que celles qu'elle aurait acquises durant l'existence de ce dernier.

Mais après avoir constaté que l'âme est plus ancienne que le corps, on n'éprouve plus aucune répugnance à lui accorder d'autres incarnations, car si l'existence actuelle n'est pas le commencement, rien ne prouve qu'elle soit la dernière ; elles deviennent au contraire fort naturelles et même indispensables. Il y a plus : le somnambule, à l'état de veille, n'a généralement aucun souvenir de ce qu'il a dit ou fait pendant son sommeil ; mais pendant son sommeil il retrouve sans difficulté tout ce qu'il a fait, non seulement pendant les sommeils précédents, mais encore pendant l'état de veille. N'est-ce pas là le tableau exact de l'existence de l'âme dans ses nombreux états errants et incarnés avec ses souvenirs et ses oublis ?

Enfant du peuple, mon instruction, extrêmement médiocre et acquise par moi-même, remonte à peine au tiers de mon âge qui est de quarante-deux ans, aussi il me semble qu'une plume tant soit peu expérimentée ferait ressortir bien plus clairement de ce sujet les vérités que j'ai essayé d'y découvrir. Cependant, pour aussi imparfaits que soient ces divers rapprochements, ils ont suffi à déterminer ma conviction, et je m'estimerais heureux si vous les jugiez dignes de pouvoir exercer la même influence sur d'autres.

Quoique ma conviction soit de date fort récente, elle a commencé à porter ses fruits, et, indépendamment des heureuses modifications qu'elle a déjà apportées dans mes manières d'être, elle est pour moi la source de bien douces consolations. Ces heureux changements sont uniquement dus à la connaissance de vos ouvrages ; aussi je vous prie, monsieur, de daigner agréer l'éternelle reconnaissance de celui qui désire à l'avenir être compté au nombre de vos plus fervents adeptes.

G… »



La vue à distance, les impressions que ressent le somnambule selon le milieu qu'il va visiter, prouvent qu'une partie de son être est transportée ; or, puisque ce n'est pas son corps matériel, visible, qui n'a pas changé de place, ce ne peut être que le corps fluidique, invisible et sensitif. N'est-ce pas le fait le plus patent de la double existence corporelle et spirituelle ? Mais sans parler de cette singulière faculté qui n'est pas générale, il suffit d'observer ce qui se passe chez les somnambules les plus vulgaires ; la dualité se manifeste d'une manière non moins évidente, ainsi que le fait remarquer notre correspondant, dans le phénomène de l'oubli au réveil. Il n'est personne qui, ayant observé les effets magnétiques, n'ait été à même de constater l'instantanéité à de cet oubli. Un somnambule parle, sa conversation est parfaitement suivie et rationnelle ; on le réveille subitement, au milieu d'une phrase, d'un mot même qu'il ne peut achever, puis, si on lui demande ce qu'il vient de dire, si on lui rappelle le mot commencé, il répond qu'il n'a rien dit. Si la pensée était le produit de la matière cérébrale, pourquoi cet oubli, puisque cette matière est toujours là, et toujours la même ? pourquoi un instant suffit-il pour changer le cours des idées ? Mais ce qui est plus caractéristique encore, c'est le ressouvenir parfait, dans un nouveau sommeil, de ce qui s'est dit et fait dans un sommeil précédent, quelquefois à un an d'intervalle. Ce fait seul prouverait qu'à côté de la vie du corps il y a la vie de l'âme, et que l'âme peut agir et penser d'une manière indépendante. Si elle peut manifester cette indépendance pendant la vie du corps dont elle subit toujours plus ou moins les entraves, à plus forte raison le peut-elle quand elle jouit de toute sa liberté.

Les conséquences que notre correspondant tire de ces phénomènes pour prouver l'antériorité de l'âme et la pluralité des existences sont parfaitement logiques. Les phénomènes somnambuliques, comme tant d'autres, semblent amenés par la Providence pour nous mettre sur la voie du mystère de la pensée. La science, pourtant, ne daigne pas les regarder ; pour les voir, elle ne détournera pas les yeux d'un polype, d'un champignon ou d'un filet nerveux. Il est vrai que l'âme ne se montre pas à la pointe du scalpel, ni sous la loupe ; mais comme on juge la cause par les effets, les effets de l'âme sont à chaque instant sous vos yeux et vous ne les regardez pas ; vous feriez cent lieues pour observer un phénomène astronomique sans utilité pratique, tandis que vous n'avez que des sarcasmes et du dédain quand il s'agit des phénomènes de l'âme qui sont à votre portée, et qui intéressent toute l'humanité dans son présent et dans son avenir.

Si la science officielle renonce difficilement à ses préjugés, il serait injuste d'en faire tomber la responsabilité sur tous les savants ; il se manifeste parmi eux un mouvement de bon augure à l'égard des idées nouvelles ; les adhésions individuelles et tacites sont nombreuses, mais plus que d'autres, peut-être, ils craignent encore de se mettre en évidence ; il suffira que quelques sommités lèvent le drapeau, pour faire taire les scrupules des autres, imposer silence aux mauvais plaisants et faire réfléchir les agresseurs intéressés ; c'est ce qu'on ne peut tarder à voir.





Comme réponse à certaines calomnies que les adversaires du Spiritisme se plaisent à déverser contre la Société, nous croyons devoir publier les demandes d'admission formulées dans les deux lettres ci-après que nous faisons suivre de quelques remarques.

A monsieur le président de la Société des Etudes spirites de Paris.

« Monsieur,

Me serait-il permis d'aspirer à être admis comme membre de l'honorable Société que vous présidez ?

J'ai eu le bonheur aussi de connaître le Spiritisme, et d'éprouver dans toute sa plénitude son influence bienfaisante. J'étais en proie depuis longtemps à la souffrance physique, et conséquemment à la souffrance morale qui en découle naturellement quand la pensée ne voit pour compensation que le doute et l'incertitude. Le Livre des Esprits est entré chez moi comme le sauveur dont la main bienfaisante nous retire de l'abîme, comme le médecin qui guérit instantanément.

J'ai lu, j'ai compris ; et aussitôt la souffrance morale a fait place à un immense bonheur, devant lequel s'est tue la souffrance physique, car, dès lors, celle-ci ne m'est plus apparue que comme un effet de la volonté et de la sagesse divines, qui ne nous envoient des maux que pour notre plus grand bien.

Déjà, sous l'influence de cette croyance bienfaisante, mon état physique s'est sensiblement amélioré, et j'espère que Dieu complètera son œuvre, car si je désire aujourd'hui le retour à la santé, ce n'est plus, comme autrefois, pour jouir de la vie, mais pour la consacrer uniquement au bien, c'est-à-dire pour l'employer exclusivement à marcher vers l'avenir, en travaillant avec ardeur, et par tous les moyens en mon pouvoir, au bien de mes semblables, et particulièrement en me vouant à la propagation de la sublime doctrine que Dieu, dans sa bonté infinie, envoie à la pauvre humanité pour la régénérer.

Gloire soit donc rendue à Dieu pour la divine lumière que, dans sa miséricorde, il a daigné envoyer à ses aveugles créatures ! Et grâces vous soient rendues, à vous, monsieur, qu'il a choisi pour leur apporter le flambeau sacré !

Si vous daignez, monsieur, accueillir ma demande, je vous serai profondément reconnaissant de la transmettre à vos honorables collègues. Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous personnellement, mon état de santé m'a toujours empêché de vous visiter ; mais mon ami M. Canu est votre collègue, il voudra bien répondre pour moi.

Veuillez agréer, monsieur et cher maître, l'assurance de mes sentiments respectueux et de mon sincère dévouement.

Hermann Hobach. »



« Monsieur et vénéré maître,

Confiant en votre bienveillance, je viens vous adresser une prière qui, si elle était exaucée, me comblerait de joie. J'ai déjà eu l'honneur de vous écrire, il y a quelque temps, dans le double but de vous exprimer les sentiments pour ainsi dire nouveaux qu'avait fait naître en moi la lecture sérieuse du Livre des Esprits, et d'obéir au devoir sacré de remercier l'homme vénéré qui tend une main secourable au courage chancelant des faibles de ce monde, au nombre desquels je me trouvais il y a bien peu de temps encore, par l'ignorance de ces principes sublimes qui désignent enfin à l'homme une tâche à remplir selon ses forces et ses facultés.

Vous fîtes à cette lettre une réponse pleine d'aménité, et par laquelle vous m'invitiez à venir, comme auditeur, assister aux séances générales de la Société. Ces séances et la lecture du Livre des Médiums ne firent que me donner de plus en plus la force et le courage, et m'inspirèrent le désir de faire partie d'une société fondée sur ces mêmes principes qui venaient d'écarter le trouble, la diffusion, le chaos, qui présidaient à toutes mes actions ; j'en étais venu à supposer que le mot de l'énigme de l'existence devait être bien insignifiant, car mon esprit ne m'avait pas encore fait comprendre que, hors du monde matériel qui m'entourait, était un monde spirituel, marchant concurremment avec le nôtre vers l'amélioration.

« J'affirme donc de nouveau, monsieur, heureux si je pouvais l'affirmer devant le monde entier des incrédules et des sceptiques, que la doctrine spirite a fait en moi un changement tellement radical dans ma manière d'être, que ce changement pourrait certes, sans exagération, être qualifié de miracle, en ce que, me dessillant les yeux sur tout le bien que l'on peut faire et que l'on ne fait pas, j'aperçus d'abord un but à notre vie actuelle, et ensuite, qu'accablé de défauts de toute espèce, je vis enfin que la Providence ne nous avait pas laissé manquer de besogne, et que l'Esprit n'avait pas trop d'une existence pour se perfectionner en travaillant à dominer d'abord son corps, pour pouvoir ensuite se dominer lui-même.

Si vous jugez convenable, monsieur, de me recevoir, quoique bien jeune encore, comme un des membres de la Société spirite, je vous prie de vouloir bien présenter ma requête au conseil, et lui affirmer que l'honneur que me ferait la Société en me recevant dans son sein serait apprécié par moi avec le sentiment de la plus entière reconnaissance.

Veuillez recevoir, monsieur, l'assurance de ma profonde vénération.

Paul Albert. »



Si de telles lettres honorent leurs auteurs, elles honorent aussi la Société à laquelle elles sont adressées, et qui voit avec bonheur ceux qui demandent à en faire partie animés par de tels sentiments. C'est une preuve qu'ils comprennent le but exclusivement moral que la Société se propose, puisqu'ils ne sont pas mus par une vaine curiosité, qu'il n'entrerait point, d'ailleurs, dans nos vues de satisfaire. La Société n'accueille que les gens sérieux, et des lettres comme celles qui viennent d'être rapportées en indiquent le véritable caractère. C'est parmi les adeptes de cette catégorie qu'elle est heureuse de se recruter, et c'est la meilleure réponse qu'elle puisse faire aux détracteurs du Spiritisme qui s'efforcent de la présenter, ainsi que ses sœurs des départements et de l'étranger qui marchent sous le même drapeau, comme des foyers dangereux pour la raison et l'ordre public, ou comme une vaste spéculation. Plût à Dieu que le monde n'eût pas d'autres sources de perturbation !

Le Spiritisme moderne, comme nous l'avons dit, aura son histoire, qui sera celle des phases qu'il aura parcourues, de ses luttes et de ses succès, de ses défenseurs, de ses martyrs et de ses adversaires, car il faut que la postérité sache de quelles armes on s'est servi pour l'attaquer ; il faut surtout qu'elle connaisse les hommes de cœur qui se sont dévoués à sa cause avec une entière abnégation, un complet désintéressement matériel et moral, afin qu'elle puisse leur payer un juste tribut de reconnaissance. C'est une grande joie pour nous quand il nous est donné d'inscrire un nouveau nom glorieux par sa modestie, son courage et ses vertus, sur ces annales où sont confondus le prince et l'artisan, le riche et le pauvre, les hommes de tous les pays et de toutes les religions, car pour le bien il n'est qu'une seule caste, une seule secte, une seule nationalité et un seul drapeau : celui de la fraternité universelle.

La Société spirite de Paris, la première qui fut fondée et officiellement reconnue, celle qui, on peut le dire, a donné l'impulsion, et sous l'égide de laquelle se sont formés tant d'autres groupes et sociétés, qui est devenue par la force des choses, et tout restreint que soit le nombre de ses membres, le centre du mouvement spirite, puisque ses principes sont ceux de la presque universalité des adeptes, cette Société, disons-nous, aura aussi ses annales pour l'instruction de ceux auxquels nous préparons la voie, et pour la confusion de ses calomniateurs.

Ce n'est pas seulement au loin que la calomnie jette son venin, c'est à nos portes mêmes. Dernièrement, une personne nous dit que, depuis longtemps, elle avait le plus grand désir d'assister à quelques séances de la Société, mais qu'elle en avait été retenue parce qu'on lui avait affirmé qu'il fallait payer dix francs. Sa surprise fut grande, et nous pouvons dire sa joie, quand nous lui dîmes que ce bruit était le fait de la malveillance ; que depuis que la Société existe, jamais un auditeur n'a payé un centime ; qu'il n'est imposé aucune obligation pécuniaire sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, ni comme abonnement à la Revue spirite, ni comme achat de livres ; qu'aucun de nos médiums n'est rétribué, tous, sans exception, donnant leur concours par pur dévouement pour la cause ; que les membres titulaires et associés participent seuls aux frais matériels, mais que les membres correspondants et honoraires ne supportent même aucune charge, la Société se bornant à subvenir à ses dépenses courantes, restreintes autant que possible, et n'amassant point de capital ; que le Spiritisme est une chose toute morale, qui ne peut, pas plus que les choses saintes, être l'objet d'une exploitation que nous avons toujours répudiée verbalement et par écrit ; qu'ainsi il ne peut y avoir qu'une malveillance insigne capable de prêter à la Société de pareilles idées.

Nous ajouterons que l'auteur de ce renseignement officieux a dit avoir payé ses dix francs, ce qui prouve qu'il ne se rendait point innocemment l'écho d'un faux bruit. La Société spirite de Paris, par sa position même et par le rôle qu'elle remplit, ne peut manquer d'avoir plus tard un certain retentissement ; il est donc nécessaire, pour nos frères des temps à venir, que son but et ses tendances ne soient pas dénaturés par les manœuvres de la malveillance, et, pour cela, il ne suffit pas de quelques réfutations individuelles qui n'ont d'effet que pour le présent et se perdent dans la foule ; les rétractations que l'on obtient ne sont qu'une satisfaction momentanée dont le souvenir est bientôt passé ; il faut un monument spécial, authentique et durable, et ce monument se fera en temps utile ; en attendant, laissons nos adversaires se discréditer eux-mêmes par le mensonge : la postérité les jugera.

« Monsieur,

Les adversaires du Spiritisme viennent d'imaginer, pour le combattre, une nouvelle tactique ; elle consiste à faire paraître sur le théâtre des spectres et fantômes impalpables que l'on représente comme étant ceux du Spiritisme ; ces apparitions ont lieu tous les soirs à la salle Robin, boulevard du Temple. J'ai assisté, hier, à la deuxième représentation, et ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu M. Robin dire à ses spectateurs : qu'il s'était proposé, par ces expériences, de combattre l'étrange croyance de certaines personnes qui s'imaginent que les Esprits font mouvoir des mains ou tourner des tables.

Je n'ai jamais compris, monsieur, pour mon compte, l'analogie qu'il peut y avoir entre ces imitations créées par la physique amusante et les manifestations spirites qui sont dans les lois de la nature ; aussi de telles manœuvres ne sont guère à craindre pour les adeptes du Spiritisme ; cependant, comme il ne faut pas laisser surprendre la bonne foi du public, j'ai dû vous informer de ces faits, afin que vous leur consacriez un article spécial dans la Revue, si vous le jugez convenable ; et comme j'ai l'habitude d'agir, non dans l'ombre, mais au grand jour, je vous autorise à faire de ma lettre tel usage qu'il vous plaira.

Recevez, etc.

Simond, étudiant en droit à Paris. »



Depuis quelque temps on parle d'une pièce fantastique que l'on monte au théâtre du Châtelet, et où l'on doit, par un procédé nouveau et secret, faire apparaître sur la scène des ombres-fantômes impalpables. Il paraît que le secret a été éventé, puisque M. Robin l'exploite en ce moment. Comme nous ne l'avons pas vu, nous ne pouvons rien dire sur le mérite de l'imitation ; nous souhaitons pour lui qu'elle soit moins grossière que celle qu'avaient imaginée M. et Mme Girroodd, Américains du Canada (quelques-uns traduisent : Girod de Saint-Flour), pour simuler la transmission de pensée à travers les murailles, et qui devait tuer sans retour les médiums et les somnambules ; nous souhaitons surtout que son invention ne lui joue pas le même mauvais tour qu'à eux. Quoi qu'il en soit, M. Simond a parfaitement raison de penser que de telles manœuvres ne sont nullement à craindre, car, de ce qu'on peut imiter une chose, il ne s'ensuit pas que la chose n'existe pas ; les faux diamants n'ôtent rien à la valeur des diamants fins ; les fleurs artificielles n'empêchent pas qu'il y ait des fleurs naturelles. Prétendre prouver que certains phénomènes n'existent pas parce qu'on peut les imiter, serait absolument comme si celui qui fabrique du vin de Champagne avec de la poudre d'eau de Seltz prétendait prouver par là que le champagne et l'aï n'existent que dans l'imagination. Jamais imitation ne fut plus ingénieuse, plus adroite et plus spirituelle que celle de la double vue par Robert Houdin, et cependant cela n'a nullement discrédité le somnambulisme, au contraire, parce qu'après avoir vu la peinture, on a voulu voir l'original.

M. et Mme Girroodd avaient la prétention de tuer les médiums en faisant passer tous les phénomènes spirites pour des tours d'escamotage ; or, comme ces phénomènes sont le cauchemar de certaines personnes, ils avaient recueilli les adhésions, étalées dans leurs prospectus, de plusieurs prêtres et évêques spiritophobes, enchantés de ce coup de massue donné au Spiritisme ; mais, dans leur joie, ces messieurs n'avaient pas réfléchi que les phénomènes spirites viennent démontrer la possibilité des faits miraculeux ; que prouver, si c'était possible, que ces phénomènes ne sont que des tours d'adresse, c'est prouver qu'il peut en être de même des miracles ; que, par conséquent, discréditer les uns c'était discréditer les autres. On ne songe jamais à tout. Les tours de M. Girroodd étant quelque peu usés, ces messieurs feront-ils maintenant cause commune avec M. Robin pour ses apparitions ?

L'Indépendance belge, qui n'aime pas le Spiritisme, nous ne savons trop pourquoi, puisqu'il ne lui a point fait de mal, en parlant de ce nouveau truc scénique dans un numéro de juin, s'écriait : « Voilà la religion de M. Allan Kardec coulée à fond ; comment le Spiritisme va-t-il se relever de là ? » Remarquez que cette dernière question a maintes fois été posée par tous ceux qui ont prétendu lui donner des coups d'assommoir, sans en excepter M. l'abbé Marouzeau, et qu'il ne s'en porte pas plus mal. Nous dirons à l'Indépendance que c'est prouver une ignorance complète de la base même du Spiritisme de croire qu'il repose sur des apparitions, et que les lui ôter, c'est lui ôter l'âme. Si le fait des apparitions était officiellement controuvé, la religion en souffrirait plus que le Spiritisme, puisque les trois quarts des miracles les plus importants n'ont pas d'autre fondement. L'art scénique est l'art de l'imitation par excellence depuis le poulet de carton jusqu'aux plus sublimes vertus, et il ne s'ensuit pas qu'on ne doive croire ni aux poulets véritables ni aux vertus. Ce nouveau genre de spectacle, par son étrangeté, va piquer la curiosité publique, et sera répété sur tous les théâtres, parce qu'il fera gagner de l'argent ; il fera parler du Spiritisme plus encore peut-être que les sermons, précisément à cause de l'analogie que les journaux vont s'efforcer d'établir. Il faut bien se persuader que tout ce qui tend à en préoccuper l'opinion, pousse forcément à l'examen, ne serait-ce que par curiosité, et c'est de cet examen que sortent les adeptes. Les sermons le représentent sous un aspect sérieux et terrible, comme un monstre envahissant le monde et menaçant l'Eglise jusque dans ses fondements ; les théâtres vont s'adresser à la foule des curieux, de sorte que ceux qui ne fréquentent pas les sermons en entendront parler au théâtre, et ceux qui ne fréquentent pas les théâtres en entendront parler au sermon ; il y en a, comme on voit, pour tout le monde. C'est vraiment une chose admirable de voir par quels moyens les puissances occultes qui dirigent ce mouvement arrivent à le faire pénétrer partout en se servant de ceux mêmes qui veulent le renverser. Il est bien certain que, sans les sermons d'un côté et les facéties des journaux de l'autre, la population spirite serait aujourd'hui dix fois moins nombreuse qu'elle ne l'est.

Nous disons donc que ces imitations, même en les supposant aussi parfaites que possible, ne peuvent porter aucun préjudice ; nous disons même qu'elles sont utiles. En effet, voilà M. Robin qui, à l'aide d'un procédé quelconque, produit devant les spectateurs des choses étonnantes, qu'il affirme être les mêmes que celles du Spiritisme et que produisent les médiums ; or, parmi les assistants, plus d'un se dira : « Puisque avec le Spiritisme on peut faire la même chose, étudions le Spiritisme, apprenons à être médium, nous pourrons voir chez nous tant que nous voudrons, et sans payer, ce qu'on voit ici. » Dans le nombre beaucoup reconnaîtront le côté sérieux de la question, et c'est ainsi que, sans le vouloir, on sert ceux auxquels on veut nuire.

Ce que craignent les gens sérieux, c'est que ces jongleries ne trompent certaines personnes sur le véritable caractère du Spiritisme. Là, sans doute, est le mauvais côté, mais l'inconvénient est sans importance, parce que le nombre de ceux qui se laisseraient abuser est trop minime ; ceux même qui diraient : « Ce n'est que cela ! » auront tôt ou tard l'occasion de reconnaître que c'est autre chose ; et, en attendant, l'idée se répand, on se familiarise avec le mot qui, sous le manteau burlesque, pénètre partout ; on le prononce sans défiance, et quand le mot est quelque part, la chose est bien près d'y être.

Que ceci soit une manœuvre des adversaires du Spiritisme, ou simplement une combinaison personnelle pour forcer la recette, il faut convenir que c'est maladroit ; il y aurait plus d'adresse de la part de MM. Robin et consorts à dénier toute parité avec le Spiritisme ou le magnétisme ; parce que, en proclamant cette parité, c'est reconnaître une concurrence, – nous parlons à leur point de vue commercial, – c'est donner l'envie de voir cette concurrence, et avouer qu'on peut se passer d'eux.

Puisque nous sommes sur le chapitre des maladresses, en voici une comme il y en a déjà eu tant ; nous regrettons de la faire figurer à côté de celle de MM. Robin et Girroodd, mais c'est l'analogie du résultat qui nous y force. Du reste, puisque des dignitaires de l'Église n'ont pas cru au-dessous d'eux de patronner un prestidigitateur contre le Spiritisme, ils ne pourront se scandaliser de trouver un sermon dans ce chapitre.

Un de nos correspondants nous écrit de Bordeaux :

« Cher maître, je viens de recevoir une lettre de ma sœur, qui habite la petite ville de B… ; elle se désespérait de ne trouver personne avec qui elle pût s'entretenir du Spiritisme, lorsque les adversaires de notre chère doctrine sont venus la tirer d'embarras. Quelques personnes en ayant vaguement entendu parler ont cru devoir s'adresser aux Carmes pour s'enquérir de ce que c'était ; ceux-ci, non contents de les en détourner, prêchèrent quatre sermons sur ce sujet, dont voici les principales conclusions :

Les médiums sont possédés du démon ; ils n'agissent que dans un but d'intérêt, et ne se servent de leur pouvoir que pour faire retrouver les trésors cachés ou les objets précieux qui sont perdus, mais, au contact d'une sainte relique, vous les voyez se roidir et se tordre dans d'affreuses convulsions.

Les temps prédits par les évangiles sont arrivés ; les médiums ne sont autres que les faux prophètes annoncés par le Christ ; bientôt ils auront pour chef l'Antéchrist. Ils feront des miracles et des prodiges étonnants ; par ce moyen ils gagneront à leur cause les trois quarts de la population du globe, ce qui sera le signe de la fin des temps, car Jésus descendra sur une nuée céleste et, d'un seul souffle, les précipitera dans les flammes éternelles. »

Il en est résulté que toute la ville a été mise en émoi ; partout on parle du Spiritisme ; on ne se contente pas de l'explication du prêtre, on veut en savoir davantage, et ma sœur, qui ne voyait personne, a des jours où elle reçoit plus de trente visites ; elle renvoie toujours au Livre des Esprits qui avant peu sera entre toutes les mains, et beaucoup de ceux qui l'ont déjà se disent que cela ne ressemble pas du tout au tableau qu'en a fait le prédicateur, qu'il y est même dit tout le contraire ; aussi comptons-nous maintenant plusieurs adeptes sérieux, grâce à ces sermons sans lesquels le Spiritisme n'eût pas pénétré de longtemps dans ces contrées reculées. »

N'avions-nous pas raison de dire que c'est encore une maladresse, et aurions-nous raison d'en vouloir à des adversaires qui travaillent si bien pour nous ? Mais ce n'est pas la dernière ; nous attendons la plus grande de toutes, qui couronnera l'œuvre. Depuis un an ils en commettent une bien grave que nous nous gardons de relever, parce qu'il faut qu'elle aille jusqu'au bout, mais dont on verra un jour les conséquences. Il y a deux ans environ, nous demandions à un de nos guides spirituels par quel moyen le Spiritisme pourrait pénétrer dans les campagnes. Il nous fut répondu : « Par les curés. – Dem. Sera-ce volontairement ou involontairement de leur part ? – R. Involontairement d'abord ; volontairement plus tard. Avant peu ils feront une propagande dont vous ne pouvez prévoir la portée. Ne vous inquiétez de rien et laissez faire : les Esprits veillent et savent ce qu'il faut. »

La première partie de la prédiction, comme on le voit, s'accomplit on ne peut mieux. Au reste, toutes les phases par où a passé le Spiritisme nous ont été annoncées, et toutes celles qu'il doit parcourir encore jusqu'à son établissement définitif nous le sont également, et chaque jour vérifie l'évènement.

C'est en vain qu'on cherche à dissuader du Spiritisme en le présentant sous des couleurs effrayantes. L'effet, comme on le voit, est tout autre que celui qu'on attend ; pour dix personnes détournées, il y en a cent de ralliées. Cela prouve qu'il a, par lui-même, un irrésistible attrait, sans parler de celui du fruit défendu. Ceci nous remet en mémoire la petite anecdote suivante :

Un propriétaire fit un jour venir chez lui un tonneau d'excellent vin ; mais, comme il craignait l'infidélité de ses serviteurs, il y mit cette étiquette en gros caractères : Affreux vinaigre. Or, le tonneau laissant échapper quelques gouttes, l'un d'eux eut la curiosité d'y goûter du bout du doigt, et trouva que le vinaigre était bon. On se le dit de proche en proche, si bien que, chacun venant y puiser, au bout de quelque temps le tonneau se trouva vide. Comme le propriétaire donnait à ses gens de la piquette pour boisson, ils se disaient entre eux : « Cela ne vaut pas l'affreux vinaigre. »

On aura beau dire que le Spiritisme est du vinaigre, on ne fera pas que ceux qui y goûteront ne le trouvent doux ; or, ceux qui en auront goûté le diront aux autres, et tous voudront en boire.

Le président de la Société spirite de Constantinople, membre honoraire de la Société spirite de Paris, nous écrit ce qui suit, à la date du 22 mai dernier :

« Cher monsieur Allan-Kardec et frère spirite,

Il y a longtemps déjà que je me propose de vous donner de mes nouvelles, mais ne croyez pas, pour cela, qu'il y ait chômage dans la propagande spirite ; au contraire, il y a plutôt plus d'activité que jamais. Partout, croyez-le, dans ce pays tout fanatisé et tout enrégimenté dans les sectes, le Spiritisme rencontre des obstacles qui n'existent peut-être nulle part, mais les racines sont si vivaces et si productives, que malgré tout elles pénètrent peu à peu et finiront par donner naissance à des rejetons vigoureux qu'aucune puissance humaine ne pourra abattre. Déjà Constantinople compte de nombreux adeptes au Spiritisme et, je puis vous l'affirmer, dans les classes les plus élevées de la Société ; seulement j'ai remarqué que chacun se tient encore chez soi de peur de se compromettre.

Permettez-moi de vous citer un fait qui se passe ici, et qui dénote jusqu'à quel point le Spiritisme s'y inculque : c'est que plusieurs libraires qui ont fait venir des ouvrages spirites, notamment le Livre des Esprits et celui des Médiums, les ont vendus immédiatement, et à qui ? nous l'ignorons, nous Spirites connus et avoués aux yeux de tous. Nous avons la certitude de ce fait sur lequel j'appelle votre attention, car lorsque quelques-uns d'entre nous veulent acheter vos ouvrages, le libraire leur répond : « J'en ai reçu, et je les ai vendus immédiatement. » Nous nous demandons qui accapare ces ouvrages presque aussitôt leur déballage, et cela au point que ceux des nôtres qui veulent s'en procurer n'en trouvent plus ?

Voici maintenant une autre nouvelle qui ne vous intéressera sans doute pas moins.

Notre ami et frère spirite Paul Lambardo, médium dessinateur dont je vous ai envoyé quelques fleurs, a exécuté une peinture à l'aquarelle représentant un beau bouquet de fleurs parmi lesquelles les amateurs remarquent surtout un dahlia ponceau velouté d'un effet magnifique ; toutes les autres fleurs, roses, oeillets, tulipes, lis, camélias, pâquerettes, pavots, bluets, pensées, etc., sont d'un fini et d'un naturel parfaits. Je l'ai poussé à présenter ce tableau à l'Exposition nationale ottomane, ouverte en ce moment, et le tableau y a été admis avec cette inscription :


Dessin médianimique exécuté par M. Paul Lambardo, de Constantinople, auquel les arts du dessin et de la peinture sont complètement inconnus.

A l'heure qu'il est, le tableau figure d'une manière remarquable au palais de l'Exposition, à droite de la place réservée aux tableaux et gravures. Le prix en a été fixé à 20 livres turques ou 460 francs. Remarquez qu'il s'agit d'un fait que des milliers de personnes peuvent constater authentiquement.

Je reçois des lettres de différents points d'Europe, d'Asie et d'Afrique, mais je suis sobre de réponses, sinon pour encourager l'étude sérieuse et approfondie de notre grande et belle science ; puis je renvoie toujours à vos excellents ouvrages les Livres des Esprits et des Médiums.

Nous avons toujours des réunions pour les expériences physiques et pour les études psychologiques ; quoique les premières nous fatiguent presque toujours, nous ne pouvons les abandonner complètement, par la raison qu'elles servent à convaincre certains incrédules qui veulent voir et toucher.

Présentez, je vous prie, à la Société spirite de Paris, les respectueux et fraternels compliments de nos frères spirites de Constantinople, et en particulier de celui qui se dit aussi votre tout dévoué frère spirite.

Repos jeune, avocat. »



Le fait significatif de l'exposition du tableau de M. Lambardo à Constantinople, quoique admis ostensiblement présenté comme produit médianimique, est le pendant des fables spirites couronnées aux Jeux Floraux de Toulouse. On a dit quelque part que si l'Académie de Toulouse eût connu l'origine de ces fables, elle les aurait repoussées ; c'est lui faire la plus grossière injure ; c'est oublier, en outre, que les sujets envoyés à ces sortes de concours ne doivent porter aucune signature, ni aucun signe pouvant révéler l'auteur, sous peine d'exclusion ; M. Jaubert ne pouvait donc pas plus mettre celle d'un Esprit que la sienne, ni même dire qu'elles venaient d'un Esprit, car c'eût été violer la loi du concours, qui veut le secret le plus absolu. C'est la réponse à ceux qui accusent M. Jaubert d'avoir usé de supercherie en gardant le silence sur la provenance de ces fables. Quoi qu'il en soit, aux deux extrémités de l'Europe une sanction officielle est donnée à des produits d'outre-tombe.

De pareils faits suffiraient pour démontrer l'irrésistible puissance du Spiritisme, si, d'ailleurs, elle n'était rendue évidente par tout ce qui se passe sous nos yeux depuis quelques années, et par l'inutilité des efforts que l'on fait pour le combattre. Et pourquoi ces efforts sont-ils inutiles ? Parce que, comme nous l'avons dit, il a un caractère qui le distingue de toutes les doctrines philosophiques, c'est de n'avoir pas un foyer unique, de ne dépendre de la vie d'aucun homme ; son foyer est partout, sur la terre et dans l'espace, et si on le gêne d'un côté, il sort de l'autre ; parce que, comme le dit la Société spirite de Palerme, il s'affirme et par des faits que chacun peut expérimenter, et par une théorie qui a ses racines dans le sens intime de chacun. Pour l'étouffer, il ne faudrait pas comprimer un point du globe, un village, une ville, une contrée même, mais le globe entier ; et encore ne serait-ce qu'un arrêt momentané, car la génération qui s'élève porte en elle l'intuition des idées nouvelles qu'elle fera tôt ou tard prévaloir. Voyez ce qui se passe dans une contrée voisine où l'on met sur ces idées un couvercle de plomb, et où cependant elles s'échappent par toutes les fissures

Nous sommes heureux d'avoir à signaler l'apparition d'un nouvel organe du Spiritisme à Palerme en Sicile, publié en langue italienne sous le titre de : Le Spiritisme, journal de psychologie expérimentale. La multiplication des journaux spéciaux sur cette matière est un indice non équivoque du terrain que gagnent les idées nouvelles en dépit, ou plutôt en raison même des attaques dont elles sont l'objet ; ces idées, qui se sont en peu d'années implantées dans toutes les parties du monde, comptent en Italie de nombreux et sérieux représentants ; c'est que, dans cette patrie de l'intelligence comme partout, quiconque en sonde la portée, comprend qu'elles renferment les éléments de tous progrès, qu'elles sont le drapeau sous lequel s'abriteront un jour tous les peuples, et qu'elles seules résolvent les redoutables problèmes de l'avenir, de manière à satisfaire la raison. Notre concours sympathique est naturellement acquis à toutes les publications de cette nature, propres à seconder nos efforts dans la grande et laborieuse tâche que nous avons entreprise.

La lettre suivante, accompagnant l'envoi de ce journal, nous annonce en même temps la constitution d'une Société spirite à Palerme, sous le titre de Societa spiritista di Palermo.

« Monsieur,

Une nouvelle Société spirite vient d'être constituée ici, à Palerme, sous la présidence de M. le chevalier Joseph Vassal lo Paleologo ; elle a déjà son organe de publicité : Le Spiritisme, ou Journal de psychologie expérimentale, dont les deux premières livraisons viennent de paraître. Veuillez bien en agréer un exemplaire que je me permets de vous offrir, comme à celui qui a si bien mérité de l'humanité pour le progrès des idées morales sous l'impulsion providentielle du Spiritisme.

Veuillez agréer, etc.

Signé : Paolo Morello,

Professeur d'histoire et de philosophie à l'Université de Palerme. »



Chaque numéro du journal commence par la citation de quelques aphorismes, en forme d'épigraphe, tirés du Livre des Esprits ou de celui des Médiums, comme, par exemple :

« Si le Spiritisme est une erreur, il tombera de lui-même ; si c'est une vérité, toutes les diatribes du monde ne le feront pas devenir un mensonge. »

C'est une erreur de croire qu'il suffise à certaines catégories d'incrédules de voir des phénomènes extraordinaires pour être convaincus ; ceux qui n'admettent pas l'âme ou l'Esprit dans l'homme ne peuvent l'admettre hors de l'homme ; c'est pourquoi niant la cause, ils nient l'effet. »

Les réunions frivoles ont un grave inconvénient pour les novices qui y assistent, en ce qu'elles leur donnent une fausse idée du Spiritisme. »

Nous ajoutons : et qui, sans être frivoles, ne sont point tenues avec l'ordre et la dignité convenables.

Le premier numéro contient un exposé de principes, en forme de manifeste, dont nous extrayons les passages suivants :

Toute science repose sur deux points : les faits et la théorie ; or, d'après ce que nous avons lu et vu, nous sommes en état d'affirmer que le Spiritisme possède les matériaux et les qualités d'une science ; parce que, d'une part, il s'affirme par des faits qui lui sont propres et qui résultent de l'observation et de l'expérience, absolument comme dans toute autre science expérimentale ; et d'autre part il s'affirme par sa théorie déduite logiquement de l'observation des faits.

Le Spiritisme, considéré au point de vue des faits ou de la théorie, n'est pas sorti du cerveau humain, mais il découle de la nature même des choses. La création des intelligences étant donnée, ainsi que l'existence spirituelle, ce qui a reçu le nom de Spiritisme se présente comme une nécessité dont, dans les conditions actuelles de la science et de l'humanité, on peut être témoin plutôt que juge ; nécessité d'où résulte un fait complexe qui demande à être étudié sérieusement avant de pouvoir être jugé. Libre à chacun de ne pas l'étudier si cela ne lui plaît pas, mais cela ne donne à personne le droit de railler ceux qui l'étudient.

« La société fondatrice de ce journal n'entend émettre ni une croyance, ni une doctrine à elle ; comme dans sa conviction rien n'appartient moins à l'invention humaine que le Spiritisme, elle se propose d'exposer la doctrine spirite, et nullement de l'imposer. D'ailleurs, elle se réserve une entière liberté d'examen et la plus complète indépendance de conscience dans l'appréciation des faits, sans se laisser influencer par l'opinion de quelque individu ou de quelque corps que ce soit ; ce dont elle se rend responsable devant sa propre conscience, devant Dieu et devant les hommes, c'est de la sincérité des faits. »



La communication suivante, signée Le Dante, extraite du deuxième numéro, témoigne de la nature des enseignements qui sont donnés à cette société.



Nul ne peut devenir bon médium s'il ne parvient à se dépouiller des vices qui dégradent l'humanité. Tous ces vices ont leur origine dans l'égoïsme, et comme la négation de l'égoïsme c'est l'amour, toute vertu se résume dans ce mot : Charité.

La charité enseignée par ce précepte : Quod tibi non vis, etc. Dieu ne l'a pas seulement gravée d'une manière indélébile dans le cœur de l'homme, mais il l'a sanctionnée par son propre fait en nous donnant son Fils pour modèle de charité et d'abnégation. Si elle doit être le guide de chacun dans quelque condition sociale que ce soit, elle est surtout la condition sine quâ non de tout bon médium.

Tout homme peut devenir médium, mais la question n'est pas d'être médium, il s'agit d'être bon médium, ce qui dépend des qualités morales. Les Esprits, il est vrai, se communiquent aux hommes dans toutes les conditions, mais avec la mission de les perfectionner si leurs qualités sont bonnes ; et ils opèrent ce perfectionnement en les soumettant aux plus dures épreuves pour les purifier, épreuves que l'homme de bien subit sans démentir le sentiment moral de sa conscience et sans se laisser détourner de la bonne voie par la tentation. A ceux dont les qualités sont mauvaises, les Esprits se communiquent pour les guider par la main et les amener à une conduite plus conforme à la raison et plus en harmonie avec le but vers lequel doit tendre tout homme persuadé que son existence en ce monde n'est autre chose qu'une expiation. Lorsqu'il y a mélange de bien et de mal, les Esprits provoquent l'amélioration par des moyens intermédiaires.

Beaucoup seront abandonnés par leurs Esprits, parce qu'ils ne voudront pas comprendre que la charité est le seul moyen d'avancer. Et alors, malheur à celui qui n'aura pas voulu écouter la voix de la vérité ! Dieu pardonne à l'ignorance, mais non à celui qui fait le mal sciemment. Le but de notre mission est votre amélioration morale, et votre devoir est également de vous améliorer ; mais n'espérez d'amélioration d'aucune sorte sans la charité.

Extrait des travaux de la Société spirite de Paris

Un jeune homme de vingt-trois ans, M. A…, de Paris, qui n'est initié au Spiritisme que depuis deux mois, en a saisi la portée avec une telle rapidité que, sans avoir rien vu, il l'a accepté avec toutes ses conséquences morales. Cela n'est pas étonnant, dira-t-on, de la part d'un jeune homme, et cela ne prouve qu'une chose : de la légèreté et un enthousiasme irréfléchi. Soit ; mais poursuivons. Ce jeune homme irréfléchi avait, comme il en est convenu lui-même, un assez grand nombre de défauts, dont le plus saillant était une irrésistible disposition à la colère depuis son enfance ; pour la moindre contrariété, pour les causes les plus futiles, quand il rentrait chez lui et ne trouvait pas immédiatement ce qu'il voulait, qu'une chose n'était pas à sa place habituelle, que ce qu'il avait demandé n'était pas prêt à la minute, il entrait dans des fureurs à tout briser ; c'était au point qu'un jour, dans le paroxysme de la colère, s'emportant contre sa mère, il lui dit : « Va-t'en, ou je te tue ! » Puis, épuisé par cette surexcitation, il tombait sans connaissance. Ajoutons que ni les conseils de ses parents, ni les exhortations de la religion n'avaient pu vaincre ce caractère indomptable, compensé du reste par une haute intelligence, une instruction soignée et les plus nobles sentiments.

Effet d'un tempérament bilioso-sanguino-nerveux, dira-t-on ; résultat de l'organisme ; par conséquent, entraînement irrésistible. Il résulte de ce système que si, dans ses égarements, il eût commis un meurtre, il eût été parfaitement excusable, parce que c'eût été le fait d'un excédant de bile. Il en résulte encore qu'à moins de modifier le tempérament, de changer l'état normal du foie et des nerfs, ce jeune homme était prédestiné à toutes les funestes conséquences de la colère.

– Connaissez-vous un remède à un tel état pathologique ? – Non, aucun, si ce n'est l'âge peut-être qui, à la longue, peut calmer l'abondance des sécrétions morbides. – Eh bien ! ce que ne peut la science, le Spiritisme l'a fait, non à la longue et par suite d'un effort continu, mais instantanément ; quelques jours ont suffi pour faire de ce jeune homme un être doux et patient. La certitude acquise de la vie future, la connaissance du but de la vie terrestre, le sentiment de la dignité de l'homme révélé par le libre arbitre qui le met au-dessus de la brute, la responsabilité qui en découle, la pensée que la plupart des maux terrestres sont la conséquence de nos actes, toutes ces idées, puisées dans une étude sérieuse du Spiritisme, ont produit dans son cerveau une révolution soudaine ; il lui sembla qu'un voile était levé de dessus ses yeux ; la vie lui apparut sous une toute autre face ; certain alors qu'il y avait en lui un être intelligent indépendant de la matière, il se dit : « Cet être doit avoir une volonté, tandis que la matière n'en a pas ; donc, il doit pouvoir dominer la matière. » De là cet autre raisonnement : « Le résultat de ma colère a été de me rendre malade et malheureux, et elle ne me fait pas avoir ce qui me manque ; donc elle est inutile, puisque je n'en suis pas plus avancé ; elle me produit du mal et ne me donne aucun bien en compensation ; bien plus, elle pourrait me pousser à des actes répréhensibles, criminels peut-être. » – Il a voulu vaincre, et il a vaincu. Depuis lors, mille occasions se sont présentées qui, auparavant, l'eussent mis en fureur, et devant lesquelles il est resté impassible et indifférent, à la grande stupéfaction de sa mère. Il sentait son sang bouillonner et monter au cerveau, et, par sa volonté, il le refoulait et le forçait à descendre.

Un miracle n'eût pas fait mieux ; mais le Spiritisme en a fait bien d'autres, que notre Revue ne suffirait pas pour enregistrer, si nous voulions rapporter tous ceux qui sont à notre connaissance personnelle en fait de réformes morales des habitudes les plus invétérées. Nous citons celui-ci comme un exemple remarquable du pouvoir de la volonté, et, en outre, parce qu'il soulève un problème important que le Spiritisme seul peut résoudre.

M. A… nous demandait, à ce sujet, si son Esprit était responsable de ses emportements, ou s'il ne faisait que subir l'influence de la matière. Voici notre réponse :

Votre Esprit est tellement responsable que, lorsque vous l'avez sérieusement voulu, vous avez arrêté le mouvement sanguin. Donc, si vous l'aviez voulu plus tôt, les accès auraient cessé plus tôt, et vous n'auriez pas menacé votre mère. En outre, qui est-ce qui se met en colère ? Est-ce le corps ou l'Esprit ? Si les accès fussent venus sans motif, on pourrait croire qu'ils étaient provoqués par l'afflux sanguin ; mais, futile ou non, ils avaient pour cause une contrariété ; or, il est évident que ce n'était pas le corps qui était contrarié, mais bien l'Esprit, trop susceptible ; l'Esprit contrarié réagissait sur un système organique irritable, qui fût resté en repos s'il n'eût été provoqué. Prenons une comparaison. Vous avez un cheval fougueux ; si vous savez le gouverner, il se soumet ; si vous le maltraitez, il s'emporte et vous jette par terre ; à qui la faute ? à vous, ou au cheval ?

Pour moi, il demeure évident que votre Esprit est naturellement irascible ; mais comme chacun apporte avec soi son péché originel, c'est-à-dire un reste de ses anciens penchants, il n'est pas moins évident que, dans votre existence précédente, vous avez dû être un homme d'une extrême violence que vous avez probablement payée fort cher, peut-être de votre vie. Dans l'erraticité, vos autres bonnes qualités vous ont aidé à comprendre vos torts ; vous avez pris la résolution de vous vaincre, et pour cela de lutter dans une nouvelle existence ; mais si vous eussiez choisi un corps mou et lymphatique, votre Esprit, ne rencontrant aucune difficulté, n'aurait rien gagné, c'eût été à recommencer pour vous ; c'est pourquoi vous avez choisi un corps bilieux, pour avoir le mérite de la lutte. Maintenant la victoire est remportée ; vous avez terrassé un ennemi de votre repos, et rien ne peut entraver le libre exercice de vos bonnes qualités. Quant à la facilité avec laquelle vous avez accepté et compris le Spiritisme, elle s'explique par la même cause : vous étiez Spirite depuis longtemps ; cette croyance était innée en vous, et le matérialisme n'a été qu'un résultat de la fausse direction donnée à vos idées. L'idée spirite, étouffée d'abord, est demeurée à l'état latent, et il a suffi d'une étincelle pour la réveiller ; bénissez donc la Providence qui a permis que cette étincelle arrivât de bonne heure pour arrêter un penchant qui vous eût peut-être causé d'amers regrets, tandis qu'il vous reste une longue carrière à parcourir dans la voie du bien.

Toutes les philosophies se sont heurtées contre ces mystères de la vie humaine qui paraissaient insondables jusqu'à ce que le Spiritisme y eût apporté son flambeau. En présence de tels faits, peut-on se demander encore à quoi il sert, et n'est-on pas en droit de bien augurer de l'avenir moral de l'humanité quand il sera compris et pratiqué par tout le monde.

« Monsieur le curé,

Vous vous étonnez que depuis deux ans je n'aie pas répondu à votre brochure contre le Spiritisme ; vous êtes dans l'erreur, car depuis son apparition j'ai traité dans maints articles de ma Revue la plupart des questions que vous soulevez. Je sais bien que vous auriez désiré une réponse personnelle, une contre-brochure ; que j'eusse pris vos arguments un à un pour vous donner le plaisir de la réplique ; or, j'ai eu l'irréparable tort de ne pas même vous nommer, mais votre modestie, j'en suis sûr, ne m'en a pas fait un crime. Je répare aujourd'hui cette omission, mais ne croyez pas que ce soit pour entamer avec vous une polémique, non, je me borne à quelques simples réflexions et à vous expliquer mes motifs.

Je vous dirai d'abord que si je n'ai pas répondu directement à votre brochure, c'est que vous m'aviez annoncé qu'elle devait nous enterrer tout vifs ; j'ai donc voulu attendre l'évènement, et je constate avec plaisir que nous ne sommes point morts ; que même le Spiritisme est quelque peu plus vivace qu'auparavant ; que le nombre des sociétés se multiplie dans tous les pays ; que partout où l'on a prêché contre lui le nombre des adeptes s'est accru ; que cet accroissement est en raison de la violence des attaques ; ce ne sont pas des hypothèses, mais des faits authentiques que, dans ma position et par l'étendue de mes relations, je suis mieux que qui que ce soit à même de vérifier. Je constate en outre que les indigents auxquels des prêtres zélés ont défendu de recevoir les bons de pain donnés par des Spirites charitables, parce que c'était le pain du diable, ne sont pas morts pour en avoir mangé ; que les boulangers auxquels on avait dit de ne pas les recevoir, parce que le diable les leur enlèverait, n'en ont pas perdu un seul ; que les industriels auxquels, toujours par zèle évangélique, on a voulu couper les vivres en leur enlevant leurs pratiques, ont trouvé une compensation dans les nouveaux clients que leur a valus l'accroissement du nombre des adeptes. Vous désapprouvez, je n'en doute pas, cette manière d'attaquer le Spiritisme, mais les faits n'en existent pas moins. Ces moyens, vous en conviendrez, ne sont guère propres à ramener à la religion ceux qui sen écartent ; la peur peut retenir momentanément, mais c'est un lien fragile qui se brise à la première occasion ; les seuls liens solides sont ceux du cœur cimentés par la conviction ; or, la conviction ne s'impose point par la force.

Votre brochure, vous le savez, monsieur le curé, a été suivie d'un grand nombre d'autres ; la vôtre a sur beaucoup un mérite, celui de la parfaite urbanité ; vous voulez nous tuer poliment, et je vous en sais gré ; mais partout les arguments sont les mêmes, énoncés plus ou moins poliment et en français plus ou moins correct ; pour les réfuter toutes, article par article, il aurait fallu me répéter sans cesse, et, franchement, j'ai des choses plus importantes à faire ; cela était d'ailleurs sans utilité, et vous allez le comprendre.

Je suis un homme positif, sans enthousiasme, jugeant tout froidement ; je raisonne d'après les faits et je dis : Puisque les Spirites sont plus nombreux que jamais, malgré la brochure de M. Marouzeau et toutes les autres, malgré tous les sermons et mandements, c'est que les arguments que l'on y fait valoir n'ont pas persuadé les masses, qu'ils ont produit un effet contraire ; or, juger la valeur de la cause par ses effets, je crois que c'est de la logique élémentaire ; dès lors à quoi bon les réfuter ? Puisqu'ils nous servent au lieu de nous nuire, nous devons nous garder d'y mettre obstacle. Je vois les choses à un autre point de vue que vous, monsieur l'abbé ; comme un général qui observe le mouvement de la bataille, je juge la force des coups, non au bruit qu'ils font, mais à l'effet qu'ils produisent ; c'est l'ensemble que je vois, or l'ensemble est satisfaisant, c'est tout ce qu'il faut. Des réponses individuelles seraient donc sans utilité. Lorsque je traite d'une manière générale des questions soulevées par quelque adversaire, ce n'est pas pour le convaincre, je n'y tiens nullement, et encore moins pour le faire renoncer à sa croyance, que je respecte quand elle est sincère, c'est uniquement pour l'instruction des Spirites, et parce que j'y trouve un point à développer ou à éclaircir. Je réfute les principes et non les individus ; les principes restent, et les individus disparaissent ; c'est pour cela que je m'inquiète peu des personnalités qui peut-être demain ne seront plus et dont on ne parlera plus, quelle que soit l'importance qu'elles cherchent à se donner. Je vois l'avenir bien plus que le présent, l'ensemble et les choses importantes plus que les faits isolés et secondaires. Ramener au bien est à nos yeux la véritable conversion. Un homme arraché à ses mauvais penchants et ramené à Dieu et à la charité pour tous par le Spiritisme est pour nous la victoire la plus utile ; c'est celle qui nous cause le plus de joie, et nous remercions Dieu de nous la donner si souvent. Pour nous la victoire la plus honorable ne consiste pas à détacher un individu de tel ou tel culte, de telle ou telle croyance, par la violence ou la peur, mais de le détacher du mal par la persuasion. Nous prisons par-dessus tout les convictions sincères, et non celles qui sont obtenues par la force ou n'ont que les apparences.

C'est ainsi, par exemple, que, dans votre brochure, vous demandez quels miracles le Spiritisme peut invoquer en sa faveur, et que j'y ai répondu dans le numéro de février 1862, page 40, par l'article intitulé : le Spiritisme est-il prouvé par des miracles ? et j'ai du même coup répondu à tous ceux qui ont fait la même question. Vous demandez les miracles du Spiritisme ? mais en est-il un plus grand que sa propagation inouïe, envers et contre tout, malgré les attaques dont il est l'objet, malgré surtout les coups si terribles que vous lui avez portés ? N'est-ce pas là un fait de la volonté de Dieu ? « Non, direz-vous, c'est la volonté du diable. » Alors convenez que la volonté du diable l'emporte sur celle de Dieu, et qu'il est plus fort que l'Eglise, puisque l'Eglise ne peut l'arrêter. Mais ce n'est pas le seul miracle que fait le Spiritisme ; il en fait tous les jours en ramenant à Dieu les incrédules, en convertissant au bien ceux qui sont adonnés au mal, en donnant la force de vaincre les passions mauvaises. Vous lui demandez des miracles ! mais le fait rapporté ci-dessus du jeune A… n'en est-il pas un ? Pourquoi la religion ne l'a-t-elle pas fait et l'a-t-elle laissé faire au Spiritisme, c'est-à-dire au diable ? – Ce n'est pas là ce qu'on appelle un miracle. – Mais l'Eglise ne qualifie-t-elle pas certaines conversions de miraculeuses ? – Oui, mais ce sont les conversions d'hérétiques à la foi catholique. – De sorte que la conversion du mal au bien n'est pas selon vous un miracle ; vous préféreriez un signe matériel : la liquéfaction du sang de saint Janvier, la tête d'une statue qui remue dans une église, une apparition dans le ciel, comme la croix de Migné. Le Spiritisme ne fait point de ces sortes de miracles ; les seuls auxquels il attache un prix infini et dont il se fait gloire, ce sont les transformations morales qu'il opère.

Monsieur l'abbé, le temps me presse et l'espace me manque ; une autre fois je vous dirai encore quelques mots qui pourront vous servir pour le nouvel ouvrage que vous préparez et qui doit anéantir le Spiritisme et les Spirites à tout jamais. Je lui souhaite meilleure chance qu'au premier. Quelques passages de ce numéro pourront peut-être vous éclairer sur les difficultés que vous aurez à surmonter pour réussir.

Recevez etc.

Allan Kardec



Dans un village de Bavière mourut, vers l'année 1850, un vieillard presque centenaire connu sous le nom de père Max. Personne ne connaissait au juste son origine, car il n'avait point de famille. Depuis près d'un demi-siècle, accablé d'infirmités qui le mettaient hors d'état de gagner sa vie par le travail, il n'avait d'autres ressources que la charité publique qu'il dissimulait en allant vendre dans les fermes et les châteaux des almanachs et de menus objets. On lui avait donné le sobriquet de comte Max, et les enfants ne l'appelaient jamais que monsieur le comte, ce dont il souriait sans se formaliser. Pourquoi ce titre ? Nul n'aurait pu le dire ; il était passé en habitude. C'était peut-être à cause de sa physionomie et de ses manières dont la distinction contrastait avec ses haillons. Plusieurs années après sa mort il apparut en songe à la fille du propriétaire d'un des châteaux où il recevait l'hospitalité à l'écurie, car il n'avait point de domicile à lui. Il lui dit : « Merci à vous de vous être souvenue du pauvre Max dans vos prières, car elles ont été entendues du Seigneur. Vous désirez savoir qui je suis, âme charitable qui vous êtes intéressée au malheureux mendiant ; je vais vous satisfaire ; ce sera pour tous une grande instruction. »

Il lui fit alors le récit suivant à peu près en ces termes :

« Il y a un siècle et demi environ j'étais un riche et puissant seigneur de cette contrée, mais vain, orgueilleux et infatué de ma noblesse. Mon immense fortune n'a jamais servi qu'à mes plaisirs, et elle y suffisait à peine, car j'étais joueur, débauché et passais ma vie dans les orgies. Mes vassaux, que je croyais créés à mon usage comme les animaux des fermes, étaient pressurés et maltraités pour subvenir à mes prodigalités. Je restais sourd à leurs plaintes comme à celles de tous les malheureux, et, selon moi, ils devaient s'estimer trop honorés de servir mes caprices. Je suis mort dans un âge peu avancé, épuisé par les excès, mais sans avoir éprouvé aucun malheur véritable ; tout semblait au contraire me sourire, de sorte que j'étais aux yeux de tous un des heureux du monde ; mon rang me valut de somptueuses funérailles ; les viveurs regrettèrent en moi le fastueux seigneur, mais pas une larme ne fut versée sur ma tombe, pas une prière du cœur ne fut adressée à Dieu pour moi, et ma mémoire fut maudite de tous ceux dont j'avais accru la misère. Ah ! qu'elle est terrible la malédiction des malheureux qu'on a faits ! elle n'a pas cessé de retentir à mes oreilles pendant de longues années qui m'ont paru une éternité ! Et à la mort de chacune de mes victimes, c'était une nouvelle figure menaçante ou ironique qui se dressait devant moi et me poursuivait sans relâche, sans que je pusse trouver un coin obscur pour me soustraire à sa vue. Pas un regard ami ! mes anciens compagnons de débauche, malheureux comme moi, me fuyaient et semblaient me dire avec dédain : « Tu ne peux plus payer nos plaisirs. » Oh ! qu'alors j'aurais payé chèrement un instant de repos, un verre d'eau pour étancher la soif brûlante qui me dévorait ! mais je ne possédais plus rien, et tout l'or que j'avais semé à pleines mains sur la terre n'avait pas produit une seule bénédiction ! pas une seule, entendez-vous, mon enfant !

« Enfin, accablé de fatigue, épuisé comme un voyageur harassé qui ne voit pas le terme de sa route, je m'écriai : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Quand donc finira cette horrible situation ? » Alors une voix, la première que j'entendais depuis que j'avais quitté la terre, me dit : « Quand tu voudras. – Que faut-il faire, grand Dieu ? répondis-je ; dites : je me soumets à tout. – Il faut te repentir ; t'humilier devant ceux que tu as humiliés ; les prier d'intercéder pour toi, car la prière de l'offensé qui pardonne est toujours agréable au Seigneur. » Je m'humiliai, je priai mes vassaux, mes serviteurs qui étaient là devant moi, et dont les figures de plus en plus bienveillantes finirent par disparaître. Ce fut alors pour moi comme une nouvelle vie ; l'espérance remplaça le désespoir et je remerciai Dieu de toutes les forces de mon âme. La voix me dit ensuite : « Prince ! » et je répondis : « Il n'y a ici d'autre prince que le Dieu tout-puissant qui humilie les superbes. Pardonnez-moi, Seigneur, car j'ai péché ; faites de moi le serviteur de mes serviteurs, si telle est votre volonté. »

« Quelques années plus tard je naquis derechef, mais cette fois d'une famille de pauvres villageois. Mes parents moururent que j'étais encore enfant, et je restai seul au monde et sans appui. Je gagnai ma vie comme je pus, tantôt comme manœuvre, tantôt comme garçon de ferme, mais toujours honnêtement, car je croyais en Dieu cette fois. A l'âge de quarante ans, une maladie me rendit perclus de tous mes membres, et il me fallut mendier pendant plus de cinquante ans sur ces mêmes terres dont j'avais été le maître absolu ; recevoir un morceau de pain dans les fermes que j'avais possédées, et où, par une amère dérision, on m'avait surnommé monsieur le comte ; trop heureux souvent de trouver un abri dans l'écurie du château qui avait été le mien. Dans mon sommeil je me plaisais à parcourir ce même château où j'avais trôné en despote ; que de fois, dans mes rêves, je m'y suis revu au milieu de mon ancienne fortune ! Ces visions me laissaient au réveil un indéfinissable sentiment d'amertume et de regrets ; mais jamais une plainte ne s'est échappée de ma bouche ; et quand il a plu à Dieu de me rappeler à lui, je l'ai béni de m'avoir donné le courage de subir sans murmure cette longue et pénible épreuve dont je reçois aujourd'hui la récompense ; et vous, ma fille, je vous bénis d'avoir prié pour moi. »

Remarque. – Nous recommandons ce fait à ceux qui prétendent que les hommes n'auraient plus de frein s'ils n'avaient pas devant eux l'épouvantail des peines éternelles, et nous demandons si la perspective d'un châtiment comme celui du père Max est moins faite pour arrêter dans la voie du mal que celle de tortures sans fin auxquelles on ne croit plus.



Dissertations spirites

Société spirite de paris, 19 juin 1863. – Médium, M. Vézy

Nota. Cette communication a été donnée à propos d'une dame aveugle qui assistait à la séance.

Mes bons amis, je ne viens pas souvent parmi vous, mais aujourd'hui me voici ; j'en remercie Dieu et les bons Esprits qui viennent vous aider à marcher dans le nouveau chemin. Vous m'avez appelé, pourquoi ? Est-ce pour me faire imposer les mains sur la pauvre souffrante qui est ici et la guérir ? Et quelle souffrance, bon Dieu ! Elle a perdu la vue, et les ténèbres se font pour elle !… Pauvre enfant ! qu'elle prie et qu'elle espère ! je ne sais point faire de miracle, moi, sans la volonté du bon Dieu ; toutes les guérisons que j'ai pu obtenir et qui vous ont été signalées, ne les attribuez qu'à Celui qui est notre père à tous. Dans vos afflictions, regardez donc toujours le ciel, et dites du fond de votre cœur : « Mon père, guérissez-moi, mais faites que mon âme malade soit guérie avant les infirmités de mon corps ; que ma chair soit châtiée, s'il le faut, pour que mon âme s'élève vers vous avec la blancheur qu'elle avait quand vous l'avez créée ! » Après cette prière, mes bien bons amis, que le bon Dieu entendra toujours, la force et le courage vous seront donnés, et peut-être aussi cette guérison, que vous n'aurez demandée que craintivement, en récompense de votre abnégation charnelle.

Mais puisque je suis ici, dans une assemblée où il s'agit avant tout d'étudier, je vous dirai que ceux qui sont privés de la vue devraient se considérer comme les bienheureux de l'expiation. Rappelez-vous que Christ a dit qu'il fallait arracher votre œil s'il était mauvais, et qu'il valait mieux qu'il fût jeté au feu que d'être la cause de votre damnation. Hélas ! combien en est-il sur votre terre qui maudiront un jour, dans les ténèbres, d'avoir vu la lumière ! Oh ! oui, qu'ils sont heureux ceux-là, qui sont frappés dans l'expiation par la vue ! Leur œil ne leur sera point un sujet de scandale et de chute ; ils peuvent vivre tout entiers de la vie des âmes ; ils peuvent voir plus que vous qui voyez clair… Quand Dieu me permet d'aller ouvrir la paupière à quelques-uns de ces pauvres souffrants et de leur rendre votre lumière, je me dis : « Chère âme, pourquoi ne connaît-elle point toutes les délices de l'Esprit qui vit de contemplation et d'amour ? elle ne demanderait point à voir des images moins pures et moins suaves que celles qu'il lui est donné de voir dans la cécité. »

Oh ! oui, bienheureux l'aveugle qui veut vivre avec Dieu ! plus heureux que vous qui êtes ici, il sent le bonheur, il le touche, il voit les âmes et peut s'élancer avec elles dans les sphères spirites que les prédestinés de votre terre même ne voient point.

L'œil ouvert est toujours prêt à faire faillir l'âme ; l'œil fermé, au contraire, est toujours prêt à la faire monter à Dieu. Croyez-moi bien, mes bons et chers amis, l'aveuglement des yeux est souvent la véritable lumière du cœur, tandis que la vue c'est souvent l'ange ténébreux. qui conduit à la mort.

Et maintenant, quelques mots pour toi, ma pauvre souffrante ; espère et courage ! Si je te disais : « Mon enfant, tes yeux vont s'ouvrir, » comme tu serais joyeuse ! Et qui sait si cette joie ne te perdrait pas ? Aie confiance dans le bon Dieu qui a fait le bonheur et permis la tristesse. Je ferai tout ce qu'il me sera permis pour toi ; mais, à ton tour, prie, et surtout songe à tout ce que je viens de dire.

Avant que je m'éloigne, vous qui êtes ici, recevez ma bénédiction, mes bons amis, je la donne à tous, aux fous, aux sages, aux croyants et aux infidèles de cette assemblée, et qu'elle serve à chacun de vous !

Vianney, curé d'Ars.



Remarque. – Nous demandons si c'est là le langage du démon, et si on offense le curé d'Ars en lui attribuant de telles pensées. Une jeune fille de campagne, sans instruction, somnambule naturelle, voyant très bien les Esprits, était venue à la séance en état de somnambulisme. Elle ne connaissait pas le curé d'Ars, même de nom, et cependant elle le vit à côté du médium et en fit un portrait parfaitement exact.

Société spirite de Paris, médium madame Costel

Le repentir monte vers Dieu ; il lui est plus agréable que la fumée des sacrifices et plus précieux que l'encens répandu aux parvis sacrés. Semblable aux orages qui traversent l'air en le purifiant, le repentir est une souffrance féconde, une force réactive et agissante. Jésus a sanctifié sa vertu, et les larmes de la Madeleine se sont répandues comme une rosée sur les cœurs endurcis qui ignoraient la grâce du pardon. La souveraine vertu a proclamé la puissance du repentir, et les siècles ont répercuté, en l'affaiblissant, la parole du Christ.

L'heure est venue où le Spiritisme doit rajeunir et vivifier l'essence même du christianisme. Effacez donc partout et toujours la cruelle sentence qui dépouille de toute espérance l'âme coupable. Le repentir est une vertu militante, une vertu virile que les Esprits avancés ou les cœurs tendres peuvent seuls ressentir. Le regret momentané et cuisant d'une faute n'emporte pas avec lui l'expiation qui donne la connaissance de la justice de Dieu, justice rigoureuse dans ses conclusions, qui applique la loi du talion à la vie morale et physique de l'homme, et le châtie par la logique des faits qui tous découlent du bon ou du mauvais usage de son libre arbitre.

Aimez ceux qui souffrent, et assistez le repentir qui est l'expression et le signe que Dieu a imprimé à sa créature intelligente pour l'élever et la rapprocher de lui.

Jean, disciple.

Société spirite de Paris. 26 décembre 1862. Médium M. D'Ambel

Nota. Cette communication a été donnée à propos d'un compte rendu fait à la Société sur les nouvelles sociétés Spirites qui se forment de toutes parts en France et à l'étranger.

Le progrès se manifeste d'une manière trop éclatante aujourd'hui dans la croyance aux doctrines régénératrices que nous apportons à votre monde, pour qu'il soit nécessaire de le constater désormais. Aveugle qui ne voit pas la marche triomphante de nos idées ! Lorsque des hommes éminents appartenant aux fonctions les plus libérales, des gens de science et d'études, des médecins, des philosophes, des jurisconsultes se lancent résolument à la recherche de la vérité dans les voies nouvelles ouvertes par le Spiritisme ; quand la classe militante vient y chercher des consolations et des forces nouvelles, qui donc, parmi les humains, se croira assez fort pour opposer une barrière au développement de cette nouvelle science philosophique ? Dernièrement Lamennais disait, dans ce style concis et éloquent auquel il vous a habitués : que l'avenir était au Spiritisme ! J'ai le droit de m'écrier aujourd'hui : N'est-ce pas là un fait accompli ?

En effet, la route devient large ; le ruisseau d'hier s'étale comme un fleuve, et, à partir des vallons traversés, son cours majestueux se rira des maigres écluses et des tardives barricades que quelques riverains attardés essayeront d'établir afin d'entraver sa marche vers le grand océan de l'infini. Pauvres gens ! le courant vous emportera bientôt vous-mêmes et nous vous entendrons bientôt vous écrier, vous aussi : « C'est vrai ! la terre tourne ! »

Si les flots de sang versé dans les Amériques n'appelaient pas l'attention de tous les penseurs sérieux et de tous les amis de la paix, dont le cœur saigne au récit de ces luttes sanglantes et fratricides ; si les nations mal assises ne cherchaient pas en toute contrée à retrouver leur base normale ; si les aspirations de tous, enfin, ne tendaient pas vers une amélioration matérielle et morale depuis si longtemps poursuivie, on pourrait nier l'utilité des cataclysmes moraux annoncés par quelques Esprits initiateurs ; mais tous ces signes caractéristiques sont trop apparents pour que l'on ne reconnaisse pas la nécessité, l'urgence d'un phare nouveau qui puisse sauver encore le monde en danger.

Jadis, lorsque le monde païen, miné par la plus complète démoralisation, vacillait sur sa base, de toutes parts des voix prophétiques annonçaient la venue prochaine d'un rédempteur. Depuis quelques années n'avez-vous pas entendu, ô Spirites ! les mêmes voix prophétiques ? Ah ! je le sais : nul d'entre vous ne l'a oublié. Eh bien ! tenez pour certain que le temps est venu, et crions ensemble, comme autrefois en Judée : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! »

Éraste.

Société spirite de Paris, 19 juin 1863. – Médium, M. Alfred Didier

Les siècles de transition dans l'histoire de l'humanité ressemblent à de vastes plaines semées de monuments mêlés confusément sans harmonie, et l'harmonie la plus pure, la plus juste existe dans le détail et non pas dans l'ensemble. Les siècles abandonnés par la foi, par l'espérance, sont de sombres pages où l'humanité, travaillée par le doute, se mine sourdement dans des civilisations raffinées, pour arriver à une réaction qui le plus souvent les emportait, pour les remplacer par d'autres civilisations. Les chercheurs de la pensée, plus que les savants, approfondissent à notre époque, dans un éclectisme rationnel, ces mystérieux enchaînements de l'histoire, ces ténèbres, cette uniformité jetées comme des brouillards et des nuages épais sur des civilisations naguère vivaces et fertiles. Etrange destinée des peuples ! C'est presque à la naissance du christianisme, c'est dans les villes les plus opulentes, sièges des plus grands évêchés de l'Orient et de l'Occident, que les ravages de la décadence commencent ; c'est au milieu même de la civilisation, de la splendeur intelligente des arts, des sciences, de la littérature et des enseignements sublimes du Christ, que commence la confusion des idées, les dissensions religieuses ; c'est dans le berceau même de l'Eglise romaine, enorgueillie et superbe du sang des martyrs, que l'hérésie, enfantée par les dogmes superstitieux et les hiérarchies ecclésiastiques, se glisse comme un serpent imminent pour mordre au cœur l'humanité et lui infiltrer dans les veines, au milieu des désordres politiques et sociaux, le plus terrible et le plus profond de tous les fléaux : le doute. Cette fois la chute est immense, la langueur religieuse des prêtres, unie aux fanatiques hérésiarques, ôte toute force à la politique, tout amour au pays, et l'Eglise du Christ devient humaine, mais non plus humanitaire. Il est inutile ici, je crois, d'appuyer sur les rapports effrayants de cette époque avec la nôtre ; vivant en même temps avec les traditions du christianisme et avec l'espérance de l'avenir, les mêmes ébranlements secouent notre vieille civilisation, les mêmes idées se partagent, et le même doute tourmente l'humanité, signes précurseurs de la rénovation sociale et morale qui se prépare. Ah ! priez, Spirites, votre époque tourmentée et blasphématrice est une rude époque, que les Esprits viennent instruire et encourager.

Lamennais.

Groupe spirite de Sétif, Algérie

Vous vous étonnez souvent de voir des facultés médianimiques, soit physiques soit morales, qui, selon vous, devraient être la preuve d'un mérite personnel, possédées par des gens que leur caractère moral place au-dessous d'une pareille faveur ; cela tient à la fausse idée que vous vous faites des lois qui régissent ces choses, et que vous voulez considérer comme invariables. Ce qui est invariable, c'est le but, mais les moyens varient à l'infini, pour que votre liberté soit respectée. Tel possède une faculté, et tel en possède une autre ; celui-ci est poussé par l'orgueil, celui-là par la cupidité, un troisième par la fraternité. Dieu emploie les facultés et les passions de chacun, et les utilise dans la sphère de chacun, et du mal même sait faire sortir le bien. Les actes de l'homme, qui vous semblent si importants, ne sont rien pour lui, c'est l'intention qui en fait à ses yeux le mérite ou le démérite. Heureux donc celui qui est guidé par l'amour fraternel. La Providence n'a pas créé le mal : tout a été fait en vue du bien. Le mal n'existe que par l'ignorance de l'homme et par le mauvais usage qu'il fait des passions, des tendances, des instincts qu'il a acquis par son contact avec la matière. Grand Dieu ! quand tu lui auras inspiré la sagesse de savoir prendre en main la direction de ce puissant mobile : la passion, que de maux disparaîtront, que de bien résultera de cette force dont il ne connaît aujourd'hui que le mauvais côté qui est son ouvrage ! Oh ! continuez ardemment votre œuvre, mes amis ; que l'humanité entrevoie enfin la route dans laquelle elle doit mettre le pied pour atteindre au bonheur qu'il lui est donné d'acquérir sur ce globe !

Ne vous étonnez pas si les communications que vous donnent les Esprits élevés, tout en s'appuyant sur la morale du Sauveur, en vous la confirmant et la développant, vous offrent tant de points de contact et de similitude avec les mystères des Anciens ; c'est que les Anciens avaient l'intuition des choses du monde invisible et de ce qui devait arriver, et que plusieurs avaient pour mission de préparer les voies. Observez et étudiez avec soin les communications que vous recevez ; acceptez ce que votre raison ne rejette pas ; repoussez ce qui la choque ; demandez des éclaircissements sur celles qui vous laissent dans le doute. Vous avez là la marche à suivre pour transmettre aux générations futures, sans crainte de les voir dénaturées, les vérités que vous démêlerez sans peine de leur cortège inévitable d'erreurs.

Travaillez, rendez-vous utiles à vos frères et à vous-mêmes ; vous ne pouvez guère prévoir le bonheur que l'avenir vous réserve par la contemplation de votre œuvre.

Saint Augustin.



Remarque. – Cette communication a été obtenue par un jeune homme, médium somnambule illettré. Elle nous est envoyée par M. Dumas, négociant de Sétif, membre de la Société spirite de Paris, qui ajoute que le sujet ne connaissait pas le sens de la plupart des mots, et nous transmet le nom de dix personnes notables qui assistaient à la séance. Les médiums illettrés qui ont des communications au-dessus de leur portée intellectuelle sont très nombreux. On vient de nous montrer une page vraiment remarquable, obtenue, à Lyon, par une femme qui ne sait ni lire ni écrire et ne sait pas un mot de ce qu'elle écrit ; son mari, qui n'est guère plus fort, le déchiffre par intuition séance tenante, mais le lendemain cela lui est impossible ; les autres personnes le lisent sans beaucoup de difficulté. N'est-ce pas là l'application de cette parole du Christ : « Vos femmes et vos filles prophétiseront, et feront des prodiges ? » N'est-ce pas un prodige que d'écrire, peindre, dessiner, faire de la musique et de la poésie quand on ne le sait pas ? Vous demandez des signes matériels ? en voilà. Les incrédules diront-ils que c'est un effet de l'imagination ? Si cela était, il faudrait convenir que ces personnes ont l'imagination dans la main et non dans le cerveau. Encore une fois, une théorie n'est bonne qu'à la condition de rendre raison de tous les faits ; si un seul fait vient la contredire, c'est qu'elle est fausse ou incomplète.





Allan Kardec


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