REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868

Allan Kardec

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Octobre

Méditations - Par C. Tschokke

Article envoyé de Saint-Pétersbourg

Parmi les livres de haute piété dont les auteurs, pénétrés des véritables idées chrétiennes, traitent toutes les questions religieuses et abstraites avec un zèle éclairé, exempt de préjugés et de fanatisme, un de ceux qui jouissent en Allemagne d'une très grande estime, méritée à tous égards, est, sans contredit, celui qui a pour titre Heures de piété (Stunden der Andacht), par G. Tschokke, écrivain suisse distingué, auteur de beaucoup d'ouvrages littéraires, écrits en langue allemande et très appréciés en Allemagne ; ce livre a eu, depuis 1815, plus de quarante éditions. Les soi disant orthodoxes, même protestants, trouvent en général que ce livre est trop libéral dans ses idées, en matière de religion, et que l'auteur ne s'appuie pas assez sur les dogmes et les décisions des Conciles ; mais les croyants éclairés, ceux qui recherchent les consolations de la religion et désirent acquérir les lumières nécessaires pour en comprendre les vérités, après l'avoir lu et médité, rendront pleine justice aux lumières et à la piété touchante de l'auteur.

Nous donnons ici la traduction de deux méditations contenues dans ce livre remarquable, parce qu'elles renferment des idées tout à fait spirites, exposées avec une parfaite justesse, il y a de cela plus de cinquante ans. Dans l'une et l'autre se trouvent une définition très exacte et admirablement élaborée du corps spirituel ou périsprit, des idées très saines et très lucides sur la résurrection, et la pluralité des existences, à travers lesquelles perce déjà le grand jour de la sublime doctrine de la réincarnation, cette pierre angulaire du Spiritisme moderne.

W. Foelkner.



141e MÉDITATION

De la naissance et de la mort.

La naissance et la mort sont toutes les deux entourées de ténèbres impénétrables. Personne ne sait d'où il est venu, quand Dieu l'a appelé ; personne ne sait où il ira, quand Dieu l'appellera. Qui pourrait me dire si je n'ai pas déjà existé, avant de prendre mon corps actuel ? Qu'est-ce que c'est que ce corps qui appartient si peu à mon moi, que, pendant une existence de cinquante ans, je l'aurai changé plusieurs fois comme un habit ? Je n'ai plus la même chair et le même sang que j'avais étant à la mamelle, dans les années de ma jeunesse et à l'âge de la maturité ; les parties de mon corps qui m'ont appartenues durant le premier âge, sont déjà, depuis longtemps, dissoutes et évaporées. L'Esprit seul reste le même pendant toutes les variations que subit son enveloppe terrestre. Qu'avais-je besoin pour mon existence du corps que je possédais étant tout petit enfant ? Si j'ai existé avant lui, où étais-je ? Et quand je me serai débarrassé de mon habit actuel, où serai-je ? Personne ne me répond. je suis venu ici comme par miracle et c'est par miracle que je disparaîtrai. La naissance et la mort rappellent à l'homme cette vérité si souvent oubliée par lui, qu'il se trouve sous la puissance de Dieu.

Mais cette vérité est en même temps une consolation. La puissance de Dieu, c'est la puissance de la sagesse, le charme de l'amour. Si le commencement et la fin de ma vie sont enveloppés de ténèbres, je dois penser que ce doit être un bienfait pour moi, comme tout ce qui vient de Dieu est bienfait et grâce. Quand tout autour de moi proclame sa sagesse suprême et sa bonté infinie, puis-je croire que les ténèbres qui entourent le berceau et le cercueil sont seules des exceptions ? Peut-être ai-je déjà existé une fois, plusieurs fois même ? Qui connaît les mystères de la nature des Esprits ?[1] Ma présence sur la terre ne serait-elle pas peut-être une faible image de l'existence éternelle ? Ne vois-je pas déjà ici mon passage de l'éternité dans l'éternité, comme dans un miroir opaque ?

Oserais-je me bercer d'étranges pressentiments ? Cette vie serait-elle véritablement une image en miniature de l'existence éternelle ? Que serait-ce si, déjà, j'ai eu plusieurs existences, si chacune de mes existences est une heure de veille de l'enfance de mon Esprit, et chaque changement de son enveloppe, de ses relations ou ce qu'on appelle mort, un assoupissement, pour un réveil avec des forces nouvelles ? Il est vrai qu'il m'est impossible de savoir combien de fois et comment j'ai existé, avant que Dieu m'ait appelé à mon existence actuelle ; mais l'enfant à la mamelle en sait-il plus que moi de ses premières heures ? A-t-il donc tant perdu de ne pouvoir se rappeler son premier rire et ses premières larmes ? Quand il sera avancé en âge, il ne s'en souviendra pas davantage, bien certainement, mais il saura ce qu'il a été dans ses premières années ; il saura qu'il a souri, qu'il a pleuré, qu'il a veillé, dormi, rêvé, tout comme les autres. Si c'est possible ici-bas, pourquoi serait-il impossible qu'un jour, après un voyage plus élevé de mon Esprit immortel, celui-ci puisse se rappeler et analyser sa carrière parcourue, les circonstances différentes dans lesquelles il s'est trouvé pendant son voyage et dans les mondes qu'il a habités ? A quel degré d'âge suis-je placé maintenant ? Je ressemble encore à l'enfant qui oublie après une heure les évènements de l'heure précédente et n'est pas en état de garder le souvenir d'un rêve qui, l'ayant enlevé par le sommeil à la vie extérieure, l'a séparé de la veille précédente ; mais je ressemble à l'enfant qui, néanmoins, apprend déjà à reconnaître ses parents. Il oublie les plaisirs et les chagrins du moment écoulé ; mais, à chaque réveil, il reconnaît de nouveau leurs traits chéris. Il en est ainsi pour moi : je reconnais aussi mon Père, mon Dieu dans le Tout Éternel. Je l'aurais cherché de mes regards, je l'aurais appelé, même quand personne ne m'aurait parlé de Lui ; car le souvenir du Père céleste est, dit-on, inné dans chaque homme. Tous les peuples gardent ce souvenir, même les plus sauvages dont les îles solitaires, baignées par l'Océan, ne furent jamais abordées par des voyageurs civilisés. Inné, dit-on ; on devrait peut-être dire hérité, transporté d'une vie antérieure, tout comme le petit enfant reporte d'un réveil antérieur dans un réveil postérieur, le souvenir de sa mère.

Mais je tombe dans les rêves ! Qui est en état de les approuver ou de les rejeter ? Ils ressemblent aux premiers souvenirs bien vagues et bien faibles qu'un enfant a de quelque chose qui lui semble avoir eu lieu dans ses moments de veille passés. Nos suppositions les plus audacieuses, lors même que nous les croyons vraies, ne sont que le reflet fugitif et confus de nos sentiments datant d'un passé oublié. Au reste, je ne me les reproche pas. Même en les supposant chimériques, elles relèvent mon Esprit, car en regardant notre vie terrestre comme une heure d'un enfant à la mamelle, quelle vaste et incommensurable perspective de l'éternité se déroule devant moi ! Quelle sera donc la jeunesse plus avancée, la pleine maturité de mon Esprit immortel, quand j'aurai bien des fois encore veillé, sommeillé et monté un plus grand nombre de degrés de l'échelle spirituelle ?

Le jour de la mort terrestre deviendra alors mon nouveau jour de naissance pour une vie plus élevée et plus parfaite, le commencement d'un sommeil qui sera suivi d'un réveil rafraîchissant. La grâce divine me sourira avec un amour plus grand que l'affection avec laquelle une mère terrestre sourit à son enfant réveillé du sommeil, au moment où il ouvre les yeux.



143e MÉDITATION

De la Transfiguration après la mort.

Si j'ai droit de bourgeoisie dans deux mondes, si j'appartiens non seulement à la vie terrestre, mais aussi à la vie spirituelle, il est bien pardonnable, je pense, de m'occuper parfois de ce qui m'attend dans cette dernière, vers laquelle m'attire sans cesse une vague ardeur… Je m'entretiens tout aussi volontiers, en souvenir, avec ceux qui m'ont été chers et que la mort m'a ravis, qu'avec ceux qui, dans ce monde, me comblent de joie par leur présence, car les premiers n'ont pas cessé d'exister, quoique privés d'un corps matériel. La destruction du corps n'amène pas la destruction de l'Esprit. Je continue à vous chérir, mes amis absents, mes chers défunts ! Puis-je craindre de ne plus être également l'objet de votre affection ? Non certes, aucun mortel n'a la puissance de séparer des Esprits réunis par Dieu, de même aucun tombeau n'a ce pouvoir.

Quoique le sort qui m'attend dans un autre monde me soit caché, il m'est permis, je pense, de méditer quelquefois sur ce sujet et de tâcher de deviner, par ce que je vois ici, ce qui pourrait m'arriver là-bas. S'il nous est refusé sur la terre de voir, nous devons tâcher d'entretenir en nous la foi qui vivifie tout. - Jésus-Christ a parlé souvent, en allégories élevées, de l'état de l'âme après la mort du corps, et ses disciples aimaient aussi à s'entretenir sur ce sujet avec leurs confidents, ainsi qu'avec ceux qui doutaient de la possibilité de la résurrection des morts.

La doctrine de la résurrection des corps a été une des plus anciennes de la religion juive. Les Pharisiens l'enseignaient, mais d'une manière grossière et matérielle, prétendant que tous les corps ensevelis dans les tombeaux, devaient nécessairement devenir un jour l'enveloppe et l'instrument des Esprits qui les avaient animés pendant la vie terrestre, - opinion qui fut pleinement réfutée par un autre parti religieux juif, les Saducéens. Le Christ, engagé un jour à prononcer entre ces deux opinions contraires, démontra que les deux partis religieux juifs étaient arrivés, à force d'aberrations, à des erreurs tout à fait opposées ; que l'immortalité de l'âme, c'est-à-dire la continuation de son existence dans l'autre monde, ou la résurrection des morts, pouvait avoir lieu et se produira infailliblement, sans devoir être une résurrection grossièrement matérielle des corps, pourvus de toutes les exigences et de tous les sens terrestres nécessaires à leur conservation et à leur reproduction. Les Saducéens reconnurent la vérité de ses paroles. « Maître, vous avez fort bien répondu ! » dirent-ils. (Luc ; chap. xx, v. de 27 à 39.)

Ce que Jésus ne discutait publiquement que fort rarement en détail, devenait le sujet de ses intimes entretiens avec ses disciples. Ils avaient les mêmes idées que lui sur l'état de l'âme après la mort et sur la doctrine juive concernant la résurrection. « Insensés que vous êtes, dit l'apôtre Paul, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend pas de vie, s'il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante qui doit naître, mais la graine seulement, comme celle du blé ou de quelque autre chose. Le corps, comme une semence est maintenant mis en terre plein de corruption et il ressuscitera incorruptible. Il est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel. La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu et la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. (1. Cor., chap. xv, v. de 37 à 50.)

Le corps humain, composé d'éléments terrestres, retournera à la terre et entrera dans les éléments qui composent les corps des plantes, des animaux et des hommes. Ce corps est incapable d'une vie éternelle ; étant corruptible, il ne peut hériter l'incorruptibilité. Un corps spirituel naîtra de la mort, c'est-à-dire que le moi spirituel s'élèvera comme transfiguré au-dessus des parties du corps frappées de la mort, dans une plus grande liberté et pourvu d'une enveloppe spirituelle.

Cette doctrine de l'Évangile, telle qu'elle est sortie des révélations de Jésus et de ses disciples, correspond admirablement avec ce que nous savons déjà maintenant de la nature de l'homme. Il est irrécusable que l'Esprit ou l'âme, en outre de son corps terrestre, est, en réalité, revêtue d'un corps spirituel, lequel, tout comme la reproduction de la fleur d'une semence pourrie, se libère par la mort du corps matériel.

On dit souvent, par allégorie, que le sommeil est le frère de la mort ; il l'est en réalité. Le sommeil n'est que la retraite de l'Esprit ou de l'âme, l'abandon provisoire fait par elle des parties extérieures et plus grossières du corps. La même chose a lieu au moment de la mort. Durant le sommeil, dans ces parties de notre corps abandonnées pour quelque temps par notre personnalité plus élevée, il ne réside que la vie végétale. L'homme reste dans un état d'insensibilité, mais son sang circule dans ses veines, sa respiration continue ; toutes les fonctions de sa vie végétale sont en pleine activité, ressemblant à celles de la vie inconsciente des plantes. Cette retraite passagère de l'élément spirituel de l'homme paraît de temps en temps nécessaire pour l'élément matériel, car ce dernier finit par se détruire pour ainsi dire soi-même, par un usage trop prolongé, et s'affaiblit au service de l'Esprit. La vie végétale abandonnée à elle même, et laissée en repos par l'activité de l'Esprit, peut alors continuer à travailler sans entraves à sa restauration, suivant les lois de sa nature. Voilà pourquoi, à la suite d'un sommeil fait en état de santé, nous sentons notre corps comme reposé et notre Esprit s'en réjouit ; mais après la mort, la vie végétale abandonne aussi les éléments matériels du corps qui lui devaient leur liaison, et ils se désagrègent.

Le corps abandonné de l'Esprit ou de l'âme peut, dans certains cas, nous paraître en vie, même quand la mort véritable est déjà consommée, c'est-à-dire quand l'élément spirituel l'a déjà quitté. Le cadavre abandonné de son Esprit continue de respirer, son pouls de battre ; on dit : « Il vit encore. » D'un autre côté, il peut arriver parfois que la force vitale, ayant positivement abandonné quelques parties du corps, celles-ci sont véritablement mortes, tandis que l'Esprit et le corps restent unis dans les autres parties du corps où réside encore la force vitale.

Le sommeil, un des plus grands secrets de l'existence humaine, mérite nos observations les plus constantes et les plus attentives ; mais la difficulté que présentent ces observations devient d'autant plus grande que, pour les faire, l'Esprit observateur est forcé de s'assujettir aux lois de la nature matérielle et de la laisser agir, pour lui donner la faculté de se prêter plus facilement à son usage et à ses expériences. Tout sommeil est l'aliment de la force vitale. L'Esprit n'y entre pour rien, car le sommeil est aussi complètement indépendant de l'Esprit, que la digestion, la transformation des aliments en sang, la croissance des cheveux, ou la séparation du corps des liquides inutiles. L'état de veille est une consommation de la force vitale, son expansion en dehors du corps et son action extérieure ; le sommeil est une assimilation, une attraction de cette même force du dehors. C'est pourquoi nous trouvons le sommeil, non seulement chez les hommes et les animaux, mais aussi chez les plantes, qui, à l'approche de la nuit, ferment les corolles de leurs fleurs ou laissent pendre leurs feuilles après les avoir plissées.

Quel est donc l'état de notre élément spirituel, pendant sa retraite de nos sens extérieurs ? Il n'est plus apte à recevoir les impressions du dehors, par l'usage de ses yeux, de ses oreilles, par le goût, par l'odorat et le toucher ; mais pourrait-on dire que pendant ces moments, notre nous s'anéantisse ? S'il en était ainsi, notre corps recevrait chaque matin un autre Esprit, une autre âme, à la place de celle qui serait détruite. L'Esprit s'étant retiré de ses sens, continue de vivre et d'agir, quoique ne pouvant se manifester qu'imparfaitement, ayant renoncé pour quelque temps aux instruments dont il a l'habitude de se servir ordinairement.

Les rêves sont autant de preuves de la continuation de l'activité de l'Esprit. L'homme réveillé se rappelle avoir rêvé, mais ces souvenirs sont le plus souvent rendus vagues ou obscurs par les vives impressions qui se précipitent subitement vers l'Esprit à son réveil, par l'entremise des sens. Si même dans ce moment il ignore de quelles visions il s'était occupé pendant son sommeil, il conserve néanmoins, au moment d'un réveil subit, la conscience que son attention s'est détachée de quelque chose qui l'avait préoccupé jusque-là en dedans de lui-même.

Le sommeil se compose toujours de visions, de désirs et de sentiments, mais qui se forment d'une manière indépendante des objets extérieurs puisque les sens extérieurs de l'homme restent inactifs ; c'est pourquoi ils laissent rarement une impression vive et durable dans la mémoire. L'Esprit devait donc être occupé, quoique après le sommeil nous ne puissions pas nous ressouvenir des résultats de son activité. Mais quel homme est en état de se rappeler les milliers de ces rapides visions qui se présentent à son Esprit, même à l'état de veille, à telle ou telle heure du jour ? A-t-il pour cela le droit de prétendre que son Esprit n'a pas eu de visions juste au moment où il était avant tout actif et réfléchissant ?

Durant le sommeil, l'Esprit conserve le sentiment de son existence, tout aussi bien que pendant son état de veille. Même pendant son sommeil, il sait se distinguer parfaitement des objets de ses visions. Chaque fois que nous nous souvenons d'un rêve, nous trouvons que c'était notre propre moi qui, avec un sentiment bien imparfait de son individualité, flottait parmi les images de sa propre fantaisie. Nous pouvons oublier les accessoires des songes qui n'ont produit sur nous qu'une faible impression, et pendant lesquels notre Esprit n'a pas réagi fortement par ses désirs et ses sentiments ; par conséquent, nous pourrions aussi oublier que nous avions alors le sentiment de notre existence, mais ce n'est pas une raison de supposer que ce dernier ait été un seul moment suspendu, parce que nous ne nous en souvenons plus !

Il y a des hommes qui, préoccupés par de graves réflexions, ne savent pas, même en état de veille, ce qui se passe autour d'eux. Leur Esprit, s'étant retiré des parties extérieures du corps et des organes de leurs sens, se concentre et ne s'occupe que de lui-même et, extérieurement, ils paraissent rêver ou dormir les yeux ouverts. Mais qui pourrait nier qu'ils aient pleinement gardé le sentiment de leur existence, pendant ces moments de profonde méditation, quoiqu'alors ils ne voient pas avec leurs yeux et n'entendent pas avec leurs oreilles ? Une autre preuve de la continuation incessante du sentiment de notre existence et de notre identité, c'est la puissance que possède l'homme de se réveiller de lui-même à une heure fixée par lui d'avance.

Par conséquent, on ne peut dire d'un homme plongé dans un sommeil plus ou moins profond qu'il a perdu la connaissance de lui-même, quand, au contraire, il porte en lui le sentiment de son existence, mais sans pouvoir nous le manifester. C'est justement le cas dans les évanouissements, quand l'élément spirituel de l'homme se retire en lui-même par l'effet d'une perturbation passagère et partielle de sa vie végétale, car l'Esprit fuit tout ce qui est mort, et ne tient que grâce à la force vitale, à ce qui, par soi-même, n'est que matière inerte. L'homme évanoui ne donne aucun signe extérieur d'existence, mais il n'en reste pas privé, non plus que durant son sommeil. Beaucoup de personnes évanouies, de même que les dormeurs, conservent souvent le souvenir de quelques-unes des visions qu'elles ont eues pendant cet état, qui se rapproche tant de celui de la mort ; d'autres les oublient. Il y a des évanouissements pendant lesquels tout le corps reste blême, froid, privé de respiration et de mouvement et ressemble tout à fait à un cadavre, tandis que l'Esprit, se trouvant encore en communication avec quelques-uns des sens, comprend tout ce qui se passe autour de lui, sans pouvoir, comme dans les cas de catalepsie, donner aucun signe extérieur de vie et de connaissance. Que de personnes ont pu de cette manière être enterrées vivantes, en pleine connaissance de tout ce qui s'ordonnait pour leur enterrement par leurs parents ou leurs amis trompés par une fatale apparence ![2]

Un autre état très remarquable de l'homme nous donne la preuve de l'activité non interrompue de l'Esprit et de sa connaissance de lui-même qui ne se perd jamais, même quand, dans la suite, il ne se le rappelle plus. C'est l'état de somnambulisme. L'homme s'endort de son sommeil ordinaire. Il n'entend, ne voit et ne sent rien ; mais, subitement, il a l'air de se réveiller, non de son sommeil, mais dans lui-même. Il entend, mais non avec ses oreilles ; il voit, mais non avec ses yeux ; il sent, mais non par son épiderme. Il marche, il parle, il fait beaucoup de choses et remplit plusieurs fonctions, à l'étonnement général des assistants, avec la plus grande circonspection et plus de perfection que dans son état de veille. Il se rappelle dans cet état, très distinctement, les évènements arrivés tandis qu'il veillait, même ceux qu'il oublie pendant sa veille, quand il se trouve en possession de tous ses sens. Après être resté dans cet état pendant quelque temps, le somnambule retombe de nouveau dans le sommeil ordinaire, et quand il en est tiré, il ne se rappelle absolument rien de tout ce qui s'est passé, il a oublié tout ce qu'il a dit et fait, et souvent il se refuse à ajouter foi à ce que les spectateurs racontent de lui. Pourrait-on cependant dénier à son Esprit la connaissance de lui-même, ainsi que son admirable activité durant le sommeil somnambulique ? Qui l'oserait ? Le somnambule, retombé de nouveau dans le sommeil qui constitue son réveil intérieur, se souvient parfaitement, dans cet état incompréhensible pour lui-même, de tout ce qu'il a fait et pensé auparavant dans un état pareil, et dont il avait perdu complètement le souvenir pendant l'état de veille de ses sens extérieurs.

Comment expliquer ce phénomène ? Comment se peut-il qu'un homme qui dort puisse non seulement voir et entendre avec ses sens extérieurs inactifs, mais cela plus positivement, plus parfaitement qu'en état de veille ? Parce que nous savons que le corps n'est autre chose que le vase ou l'enveloppe extérieure de l'âme ; que, sans elle, il ne peut rien éprouver, et que l'œil d'un cadavre voit tout aussi peu que l'œil d'une statue. C'est donc l'âme et uniquement l'âme qui sent, voit et entend ce qui se passe en dehors d'elle. L'œil, l'oreille, etc., ne sont que des instruments et des dispositions favorables de l'enveloppe extérieure pour procurer à l'âme les impressions du dehors. Mais il y a des circonstances dans lesquelles cette enveloppe grossière se trouvant brisée ou endommagée, l'âme la transperce pour ainsi dire et continue son action, sans avoir pour cela besoin de ses sens extérieurs. Elle réagit alors avec un surcroît de vigueur, mais tout autrement que dans son état ordinaire ou de veille, contre ce qui n'est pas mort dans l'homme.

C'est donc bien l'âme qui est l'être sentant et non le corps ; par conséquent, c'est elle qui forme le véritable corps de l'Esprit, et le corps matériel n'est que sa charpente extérieure, sa couverture, son enveloppe. L'expérience et des exemples innombrables nous prouvent suffisamment que l'Esprit ne perd jamais son activité et la conscience de son moi, même alors qu'il ne peut se rappeler minutieusement chaque moment particulier de son existence. Sachant que l'Esprit, absorbé dans de profondes réflexions, perd de vue son propre corps et tout ce qui l'environne ; que, dans certaines maladies, il peut se trouver dans l'impossibilité absolue d'agir sur les parties extérieures de son corps, et peut quelquefois s'en passer complètement (comme dans l'état de somnambulisme), pour l'exécution de ses desseins, nous devons comprendre clairement comment l'Esprit immortel, ayant quitté son enveloppe matérielle et périssable, conserve, après sa mort terrestre, la conscience et le sentiment de son existence, quoique se trouvant hors d'état de pouvoir le manifester aux vivants par l'entremise du cadavre, puisque celui-ci ne lui appartient plus. Nous comprenons en même temps ce que c'est que le corps spirituel dont parle l'apôtre Paul ; ce que nous devons entendre par le corps impérissable qui doit renaître du corps périssable (1. Cor., xv, 4) ; comment la faiblesse s'abat et est semée dans le tombeau, et comment la force se relève et s'élance vers le ciel, mûre pour une meilleure vie (1. Cor., xv, 43). C'est là la véritable résurrection de la mort, la résurrection spirituelle. Ce qui est poussière en nous doit redevenir poussière et cendres ; mais l'Esprit, vêtu d'un corps transfiguré, porte dorénavant l'image du ciel, tout comme jusqu'alors il avait porté l'image de la terre (1. Cor., xv, 49). Le corps terrestre pourrissant dans le tombeau ne ressent plus rien, mais aussi n'a-t-il jamais rien ressenti par lui-même. C'était donc le corps spirituel, l'âme, qui percevait et sentait tout. Elle continuera aussi à le faire, délivrée de son vase brisé, mais seulement d'une manière infiniment plus délicate et plus prompte. L'Esprit ayant conscience de lui-même dans son enveloppe spirituelle, pourra alors tout aussi bien et infiniment mieux encore admirer la gloire de Dieu dans ses créations, et posséder en même temps la faculté de voir et d'aimer ceux qui lui sont chers ; mais il n'éprouvera plus de besoins matériels et sensuels, il n'aura plus de larmes. Il deviendra l'image du ciel, qui est sa véritable patrie.

Que sentirai-je au moment où tu m'appelleras à toi, mon Créateur, mon Père ! au moment de ma transfiguration, quand, entouré de mes bien-aimés pleurant autour de moi et voyant mes bien-aimés qui m'ont précédé s'approcher de moi, je les bénirai tous avec un amour égal ! Et quand, sanctifié par Jésus-Christ, participant à son règne, je me présenterai devant toi, ô mon Dieu ! t'adorant de la reconnaissance la plus vive, de la vénération la plus profonde, de l'étonnement sans bornes ! Que mon Esprit immortel soit assez mûr alors pour goûter cette félicité suprême ! Amen.







[1] Il faut se rappeler que ces lignes furent écrites cinquante ans avant les révélations des Esprits recueillies par le Spiritisme.


[2] Le célèbre physiologiste allemand, le docteur Buchner, a publié en 1859, dans le no 349, de Disdascalia, journal scientifique qui paraissait à Darmstadt, un article sur l'usage du chloroforme, à la fin duquel il ajoute ces paroles très remarquables dans la bouche de l'auteur de Force et Matière : « La découverte du chloroforme et de ses effets extraordinaires est non seulement d'une grande signification pour la science médicale, mais aussi pour deux de nos principales sciences : la physiologie et, - qu'on ne s'en étonne pas trop, - la philosophie. » Ce qui porte le docteur matérialiste à dire que, même sous le rapport psychologique, l'usage du chloroforme est de quelque poids, c'est que les patients s'étant trouvés, pendant les opérations qu'ils ont subies, dans un état de demi étourdissement produit par l'effet du chloroforme, ont plusieurs fois déclaré, après leur réveil, que, durant l'opération, ils n'avaient ressenti ni douleur, ni sentiment d'angoisse ou de peur, mais que chaque fois ils avaient parfaitement entendu tout ce qui se passait et se disait autour d'eux, sans pourtant être en état de faire un mouvement quelconque, ni de remuer un seul de leurs membres. Ce fait ne vient-il pas prouver positivement la possibilité de l'existence de l'Esprit en dehors de la matière, qui meurt dès que l'Esprit qui la vivifiait la quitte définitivement ? Le magnétisme, lui aussi, n'offre-t-il pas des preuves, pour ainsi dire palpables, de l'existence de l'âme indépendante de la matière, et comment est-il traité par les savants et les académies ? Au lieu de lui prêter toute leur attention et de s'appliquer à l'étudier sérieusement, ils se bornent à le nier, ce qui certainement est plus commode, mais ne fait pas honneur à nos savantes corporations.

Doctrine de Lao-Tseu - Philosophe chinois

Nous devons la notice suivante à l'obligeance et au zèle éclairé d'un de nos correspondants de Saïgon (Cochinchine).

Au sixième siècle avant notre ère, presque en même temps, par conséquent, que Pythagore, et deux siècles avant Socrate et Platon, vivait dans la province de Lounan, en Chine, Lao-Tseu, l'un des plus grands philosophes qui furent jamais. Issu de la plus infime extraction, Lao-Tseu n'eut d'autres moyens de s'instruire que la réflexion et de nombreux voyages. Arrivé à l'âge de cinquante ans environ, soit que ses dispositions philosophiques développées par l'étude aient enfin porté leur fruit, soit qu'il ait inconsciemment combiné ce fruit avec une révélation particulière, il écrivit son livre de La raison suprême et de la vertu, ouvrage regardé comme authentique, malgré son antiquité, par les historiens chinois de toutes les sectes, et avec d'autant plus d'autorité qu'il n'a certainement pas été compris dans l'incendie des livres commandé par l'empereur Loang-ti, deux cents ans avant l'ère chrétienne.

Pour plus de clarté, disons d'abord ce que Lao-Tseu désignait par le mot tas ; c'était une dénomination donnée par lui au premier être ; impuissant qu'il était de l'appeler par son nom éternel et immuable, il le qualifiait de ses principaux attributs : tas, raison suprême. Il semble, au premier abord, que le mot chinois… (Ici notre correspondant transcrit ce mot en caractères chinois que notre imprimeur ne peut reproduire), dont la prononciation figurée est tas, a quelque analogie au point de vue phonétique avec le Théos des grecs ou le Deus des latins, d'où est venu notre mot Dieu ; et cependant personne ne croit que la langue chinoise et la langue grecque aient jamais eu de points communs. D'ailleurs, l'antériorité reconnue de la nation et de la civilisation chinoises suffit pour prouver que cette expression est un idiotisme chinois[1].

Le tas, ou la raison suprême universelle de Lao-Tseu, a deux natures ou modes d'être : le mode spirituel ou immatériel, et le mode corporel ou matériel. C'est la nature spirituelle qui est la nature parfaite ; c'est d'elle que l'homme est émané ; c'est à elle qu'il doit retourner en se dégageant des liens matériels du corps ; l'anéantissement de toutes les passions matérielles, l'éloignement des plaisirs mondains, sont des moyens efficaces de se rendre digne d'elle et d'y retourner. Mais écoutons Lao-Tseu parler lui-même. Je me servirai de la traduction de Pauthier, sinologue aussi érudit que consciencieux. Ses travaux sur le philosophe chinois et sa doctrine sont d'autant plus remarquables et exempts de suspicion que, mort il y a longtemps, il ignorait jusqu'au nom de la doctrine spirite.

Dans la vingt et unième section de la raison suprême, Lao-Tseu établit une véritable cosmogonie :

« Les formes matérielles de la grande puissance créatrice ne sont que les émanations du tas ; c'est le tas qui a produit les êtres matériels existants. (Avant) ce n'était qu'une confusion complète, un chaos indéfinissable ; c'était un chaos ! une confusion inaccessible à la pensée humaine.

Au milieu de ce chaos, il y avait un principe subtil, vivifiant ; ce principe subtil, vivifiant, c'était la suprême vérité.

Au milieu de ce chaos, il y avait des êtres, mais des êtres en germes ; des êtres imperceptibles, indéfinis.

Au milieu de ce chaos, il y avait un principe de foi. Depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, son nom ne s'est point évanoui. Il examine avec soin le bon de tous les êtres. Mais nous, comment connaissons-nous les vertus de la foule ? Par ce tas, cette raison suprême.

Les êtres aux formes corporelles ont été formés de la matière première, confuse.

Avant l'existence du ciel et de la terre, ce n'était qu'un silence immense, un vide incommensurable et sans formes perceptibles.

Seul, il existait, infini, immuable. Il circulait dans l'espace sans éprouver aucune attération.

On peut le considérer comme la mère de l'univers ; moi, j'ignore son nom, mais je le désigne par ses attributs, et je le dis Grand, Elevé.

Étant (reconnu) grand, élevé, je le nomme : étendu au loin.

Étant (reconnu) étendu au loin, je le nomme : éloigné, infini.

Étant (reconnu) éloigné, infini, je le nomme : ce qui est opposé à moi.

L'homme a sa loi dans la terre ;

La terre a sa loi dans le ciel ;

Le ciel a sa loi dans le Tas ou la raison suprême universelle ;

La raison suprême a sa loi en elle-même. »

Ailleurs, Lao-Tseu dit :

« Il faut s'efforcer de parvenir au dernier degré de l'incorporéité, pour pouvoir conserver la plus grande immutabilité possible.

Tous les êtres apparaissent dans la vie, et accomplissent leurs destinées ; nous contemplons leurs renouvellements successifs. Ces êtres matériels se montrent sans cesse avec de nouvelles formes extérieures. Chacun d'eux retourne à son origine.

Retourner à son origine, signifie devenir en repos :

Devenir en repos, signifie rendre son mandat ;

Rendre son mandat, signifie devenir éternel ;

Savoir que l'on devient éternel (ou immortel) signifie être éclairé ;

Ne pas savoir que l'on devient immortel, c'est être livré à l'erreur et à toutes sortes de calamités.

Si l'on sait que l'on devient immortel, on contient, on embrasse tous les êtres ;

Embrassant tous les êtres dans une commune affection, on est juste, équitable pour tous les êtres ;

Etant juste et équitable pour tous les êtres, on possède les attributs du souverain ;

Possédant les attributs du souverain, on tient de la nature divine ;

Tenant de la nature divine, on parvient à être identifié avec le tas ;

Étant identifié avec la raison suprême universelle, on subsiste éternellement ; le corps même étant mis à mort, on n'a à craindre aucun anéantissement. »

Voyons maintenant quelle est la morale du philosophe chinois.

« Le saint homme n'a pas un cœur inexorable ; il fait son cœur selon le cœur de tous les hommes.

L'homme vertueux, nous devons le traiter comme un homme vertueux ; l'homme vicieux, nous devons également le traiter comme un homme vertueux : Voilà la sagesse et la vertu.

L'homme sincère et fidèle, nous devons le traiter comme un homme sincère et fidèle ; l'homme non sincère et infidèle, nous devons également le traiter comme un homme vertueux : Voilà la sagesse et la sincérité. »

Ces maximes correspondent à ce que nous nommons indulgence et charité ; le Spiritisme, en nous démontrant que le progrès est une loi de nature, précise mieux cette pensée en disant qu'il faut traiter l'homme vicieux comme pouvant et devant un jour, et par la suite de ses existences successives, devenir vertueux, ce dont nous devons lui fournir les moyens, au lieu de le reléguer parmi les parias de la damnation éternelle, et en songeant que nous-mêmes avons peut-être été pires que lui.

Toute la doctrine de Lao-Tseu respire la même mansuétude, le même amour pour les hommes, joints à une élévation extraordinaire de sentiments. Sa sagesse se révèle surtout dans le passage suivant, dans lequel il reproduit le célèbre axiome de la sagesse antique : Connais-toi toi-même, sans qu'il ait eu connaissance de la formule de Thalès :

« Celui qui connaît les hommes est instruit ;

Celui qui se connaît soi-même est vraiment éclairé.

Celui qui subjugue les hommes est puissant ;

Celui qui se dompte soi-même est vraiment fort.

Celui qui accomplit des œuvres difficiles et méritoires, laisse un souvenir durable dans la mémoire des hommes.

Celui qui ne dissipe point sa vie est impérissable ;

Celui qui meurt et n'est point oublié, a une vie éternelle. »

Il est certain, ainsi que le fait remarquer l'éminent traducteur, qu'on ne trouverait pas en Grèce, avant Aristote, une suite de sorites aussi logiquement suivis. Quant aux principes eux-mêmes, ils constituent, assurément, une doctrine, et s'il est vrai qu'elle n'a rien d'incompatible avec ce qu'admet la raison, pourquoi ne serait-elle pas aussi bonne que tant d'autres qui soutiennent à peine la discussion ? « La vraie religion, a-t-on dit, nécessaire au salut, a dû commencer avec le genre humain ; » or, puisqu'elle est essentiellement une, comme la vérité, comme Dieu, la religion primitive était déjà le Christianisme, de même que le Christianisme depuis l'Evangile, est la religion primitive considérablement développée.

Ne voit-on pas retracés, dans cette série d'enseignements, les principes mêmes qui servent de base au Spiritisme, avec, toutefois, en un seul point, la légère tendance panthéistique de la non distinction, ou plutôt de l'identification de la créature sanctifiée avec le Créateur ? Tendance qui, si elle est vicieuse, peut tenir à l'influence du milieu où vivait le philosophe Lao-Tseu, à une trop longue suite, peut-être, donnée à cette remarquable chaîne d'arguments, ou, enfin, à l'imparfaite interprétation faite par nous de sa propre pensée.

Si donc, ainsi qu'il est avéré, Lao-Tseu est mis, par les siècles, au nombre de ces voix puissantes de sagesse et de raison, que les lois providentielles et naturelles des sociétés humaines font surgir à certaines époques, pour protester énergiquement contre un état de dissolution sociale, et ramener les esprits aux destinées éternelles du genre humain ; si sa doctrine peut être la base de la vraie religion, laquelle, ainsi que nous l'avons vu, étant nécessaire au salut, elle a dû exister de tous temps. Puisque les principes philosophiques du Spiritisme ne sont, en substance, que ceux de Lao-Tseu, ne peut-on considérer la vérité de la doctrine Spirite comme étant prouvée, moralement, en dehors des enseignements du Christ ?

Remarque. - Comme on le voit, les Chinois ne sont pas tout à fait aussi barbares qu'on le croit généralement ; ils sont de longue date nos aînés en civilisation, et quelques-uns d'entre eux en remontreraient à plus d'un de nos contemporains en fait de philosophie. Comment se fait-il donc qu'un peuple qui a eu des sages comme Lao-Tseu, Confu-Tsé et autres, ait encore des mœurs si peu en harmonie avec d'aussi belles doctrines ? On pourrait en dire autant de Socrate, Platon, Solon, etc., par rapport aux Grecs ; du Christ, dont les préceptes sont loin d'être pratiqués par tous les chrétiens.

Les travaux de ces hommes qui apparaissent de loin en loin chez les peuples, comme des météores de l'intelligence, ne sont jamais stériles ; ce sont des semences qui restent pendant de longues années à l'état latent, qui ne profitent qu'à quelques individualités, mais que les masses sont incapables de s'assimiler. Les peuples sont lents à se modifier, jusqu'au moment où une secousse violente vient les tirer de leur torpeur.

Il est à remarquer que la plupart des philosophes se sont peu occupés de la mise en pratique de leurs idées ; tout entiers au travail de la conception et de l'élaboration, ils n'ont ni le loisir, ni parfois même l'aptitude nécessaire pour l'exécution de ce qu'ils conçoivent. Ce soin incombe à d'autres qui s'en pénètrent, et ce sont souvent ces mêmes travaux, habilement mis en œuvre, qui servent, au bout de plusieurs siècles, à remuer les peuples et à les éclairer.

Peu de Chinois, à part quelques lettrés, connaissent sans doute Lao-Tseu ; aujourd'hui que la Chine est ouverte aux nations occidentales, il n'y aurait rien d'impossible à ce que celles-ci ne contribuassent à vulgariser les travaux du philosophe dans son propre pays ; et qui sait si les points de contact qui existent entre sa doctrine et le Spiritisme ne sera pas un jour un trait d'union pour l'alliance fraternelle des croyances ? Ce qui est parfaitement certain, c'est que lorsque toutes les religions reconnaîtront qu'elles adorent le même Dieu sous des noms différents, qu'elles lui concéderont les mêmes attributs de souveraines bonté et justice ; qu'elles ne différeront que par la forme de l'adoration, les antagonismes religieux tomberont. C'est à ce résultat que doit aboutir le Spiritisme.

[1] Il est presque superflu de dire que le mot chinois tas n'a aucun rapport de sens avec le mot français tas, qui n'en est que la prononciation figurée.

Obsèques de madame Victor Hugo

Madame Victor Hugo, morte à Bruxelles, a été ramenée en France pour être inhumée, le 30 août dernier, à Villequiers (Seine-Inférieure), auprès de sa fille et de son gendre. M. Victor Hugo l'a accompagnée jusqu'à la frontière. Sur la tombe, M. Paul Meurice a prononcé les paroles suivantes :

« Je voudrais seulement lui dire adieu pour nous tous.

Vous savez bien, vous qui l'entourez - pour la dernière fois ! - ce qu'était, - ce qu'est cette âme si belle et si douce, cet adorable esprit, ce grand cœur.

Ah ! ce grand cœur surtout ! Comme elle aimait à aimer ! comme elle aimait à être aimée ! comme elle savait souffrir avec ceux qu'elle aimait !

Elle était la femme de l'homme le plus grand qui soit, et, par le cœur, elle se haussait à ce génie. Elle l'égalait presque, à force de le comprendre.

Et il faut qu'elle nous quitte ! il faut que nous la quittions !

Elle a déjà, elle, retrouvé à aimer. Elle a retrouvé ses deux enfants, ici - et là (montrant la tombe de sa fille et le ciel.)

Victor Hugo m'a dit à la frontière, hier au soir : « Dites à ma fille qu'en attendant je lui envoie toujours sa mère. » C'est dit, et je crois que c'est entendu. »

Et maintenant, adieu donc ! adieu pour les présents ! adieu pour les absents ! adieu notre amie ! adieu notre sœur !

Adieu, mais au revoir ! »

M. Paul Foucher, frère de madame V. Hugo, dans la lettre qu'il écrivait dans la France pour rendre compte de la cérémonie, termine par ces paroles : « Nous nous sommes séparés navrés, mais calmes et persuadés plus que jamais que la disparition d'un être est un rendez-vous donné par lui à heure indéfinie. »

A cette occasion, nous croyons devoir rappeler la lettre de M. Victor Hugo à M. Lamartine lors de la mort de la femme de ce dernier, en date du 23 mai 1863, et que la plupart des journaux de l'époque ont reproduite.

« Cher Lamartine,

Un grand malheur vous frappe, j'ai besoin de mettre mon cœur près du vôtre. Je vénérais celle que vous aimiez. Votre haut esprit voit au delà de l'horizon ; vous apercevez distinctement la vie future.

Ce n'est pas à vous qu'il est besoin de dire : espérez. Vous êtes de ceux qui savent, et qui attendent.

Elle est toujours votre compagne, invisible, mais présente. Vous avez perdu la femme, mais non l'âme. Cher ami, vivons dans les morts.

Victor Hugo »

Les paroles prononcées par M. Victor Hugo, et ce qu'il a écrit en maintes circonstances prouvent qu'il croit, non seulement à cette vague immortalité à laquelle, à bien peu d'exceptions près, croit tout le genre humain, mais à cette immortalité nettement définie, qui a un but, satisfait la raison et dissipe l'incertitude sur le sort qui nous attend ; qui nous représente les âmes ou Esprits de ceux qui ont quitté la terre comme des êtres concrets, individuels, peuplant l'espace, vivant au milieu de nous avec le souvenir de ce qu'ils ont fait ici-bas, bénéficiant du progrès intellectuel et moral accompli, conservant leurs affections, témoins invisibles de nos actions et de nos sentiments, communiant de pensées avec ceux qui leur sont chers ; en un mot, à cette immortalité consolante qui comble le vide laissé par les absents, et par laquelle se perpétue la solidarité entre le monde spirituel et le monde corporel. Or, c'est là tout le spiritisme. Qu'y ajoute-t-il ? la preuve matérielle de ce qui n'était jusqu'à lui qu'une séduisante théorie. Tandis que certaines personnes sont arrivées à cette croyance par l'intuition et le raisonnement, le Spiritisme est parti du fait et de l'observation.

On sait par suite de quelle douloureuse catastrophe, M. Victor Hugo perdit sa fille et son gendre, M. Charles Vacquerie, le 4 septembre 1843. Ils se rendaient par bateau à voile, de Villequiers à Caudebec, en compagnie de l'oncle de M. Vacquerie, ancien marin, et d'un enfant de dix ans. Un coup de vent fit chavirer l'embarcation, et tous les quatre périrent.

Quoi de plus significatif, d'empreint d'une plus profonde et plus juste idée de l'immortalité que ces paroles : Dites à ma fille qu'en attendant je lui envoie toujours sa mère ! Quel calme, quelle sérénité, quelle confiance en l'avenir ! Ne dirait-on pas sa fille simplement partie pour un voyage, à laquelle il fait dire : « Je t'envoie ta mère en attendant que j'aille vous rejoindre ? » Que de consolation, de force et d'espérance ne puise-t-on pas dans cette manière de comprendre l'immortalité ! Ce n'est plus l'âme perdue dans l'infini, que la certitude même de sa survivance ne laisse aucun espoir de retrouver ; quittant pour jamais la terre et ceux qu'elle a aimés, qu'elle soit dans les délices de la béatitude contemplative ou dans les tourments éternels de l'enfer, la séparation est éternelle. On comprend l'amertume des regrets avec une telle croyance ; mais, pour ce père, sa fille est toujours là ; elle recevra sa mère au sortir de son exil terrestre, et elle entend les paroles qu'il lui fait adresser !

Quiconque en est arrivé là est Spirite, parce que, s'il veut réfléchir sérieusement, il ne peut échapper à toutes les conséquences logiques du Spiritisme. Ceux qui repoussent cette qualification, c'est que ne connaissant du Spiritisme que les ridicules tableaux de la critique railleuse, ils s'en font une idée fausse. S'ils se donnaient la peine de l'étudier, de l'analyser, d'en sonder la portée, ils seraient heureux, au contraire, de trouver aux idées qui font leur bonheur, une sanction capable d'affermir leur foi. Ils ne diraient plus seulement : « Je crois, parce que cela me paraît juste, » mais : « Je crois, parce que je comprends. »

Mettons en parallèle des sentiments qui ont animé M. Victor Hugo dans cette circonstance, et dans toutes celles où son cœur a reçu de semblables blessures, la définition de l'immortalité que donnait le Figaro, du 3 avril 1868, sous la rubrique de : Dictionnaire du Figaro : Immortalité, conte de gardes-malades, pour tranquilliser leurs clients.

Effet moralisateur de la réincarnation

Le Figaro du 5 avril 1868, le même journal qui, deux jours auparavant, publiait cette définition de l'immortalité : « Conte de gardes-malades pour tranquilliser leurs clients, » et la lettre rapportée à l'article précédent contenait l'article suivant :

« Le compositeur E… croit fermement à la migration des âmes. Il raconte volontiers qu'il a été, dans les siècles antérieurs, esclave grec, puis histrion et compositeur italien célèbre, mais jaloux et empêchant ses confrères de se produire…

- J'en suis bien puni aujourd'hui, ajoute-t-il avec philosophie, c'est à mon tour d'être sacrifié aux autres et de me voir barrer les chemins !

Cette façon de se consoler en vaut bien une autre. »

Cette idée est du pur Spiritisme, car, non seulement c'est le principe de la pluralité des existences, mais celui de l'expiation du passé, par la peine du talion, dans les existences successives, selon la maxime : « On est toujours puni par où l'on a péché. » Ce compositeur s'explique ainsi ses tribulations ; il s'en console par la pensée qu'il n'a que ce qu'il mérite ; la conséquence de cette pensée est que, pour ne pas le mériter de nouveau, il est de son intérêt même de chercher à s'améliorer ; cela ne vaut-il pas mieux que de se brûler la cervelle, ce à quoi le conduirait logiquement la pensée du néant ?

Cette croyance est donc une cause puissante et toute naturelle de moralisation ; elle est saisissante par l'actualité et le fait matériel des misères qu'on endure, et que, faute de pouvoir se les expliquer, on met sur le compte de la fatalité ou de l'injustice de Dieu ; elle est compréhensible pour tout le monde, pour l'enfant et pour l'homme le plus illettré, parce qu'elle n'est ni abstraite ni métaphysique ; il n'est personne qui ne comprenne qu'on peut avoir déjà vécu, et que si l'on a déjà vécu, on peut revivre encore. Puisque ce n'est pas le corps qui peut revivre, c'est la sanction la plus patente de l'existence de l'âme, de son individualité et de son immortalité.

C'est donc à la populariser que doivent tendre les efforts de tous ceux qui s'occupent sérieusement de l'amélioration des masses ; c'est pour eux un puissant levier avec lequel ils feront plus que par l'idée des diables et de l'enfer, dont on se rit aujourd'hui.

Comme elle est à l'ordre du jour, qu'elle germe de tous les côtés, que sa logique la fait facilement accepter, elle ouvre tout naturellement aux Spirites une porte pour la propagation de la doctrine. Qu'ils s'attachent donc à cette idée, dont personne ne rit, qui est acceptée par les penseurs les plus sérieux, et amèneront plus de prosélytes par cette voie que par celle des manifestations matérielles. Puisque c'est aujourd'hui la corde sensible, c'est celle qu'il faut attaquer, et quand elle aura vibré, le reste viendra de soi-même. A ceux donc que le seul mot de Spiritisme effarouche, n'en parlez pas ; parlez de la pluralité des existences, des nombreux écrivains qui préconisent cette idée ; parlez aussi, aux affligés surtout, comme le fait Victor Hugo, de la présence autour de nous des êtres chéris que l'on a perdus ; ils vous comprendront, et, plus tard, ils seront tout surpris d'être Spirites sans s'en être doutés.

Une profession de foi matérialiste

Le Figaro du 3 avril 1868, contenait la lettre suivante à propos des débats qui ont eu lieu vers cette époque au Sénat, à propos de certaines leçons professées à l'Ecole de médecine.

« Paris, 2 avril 1868.

Monsieur le rédacteur,

Une erreur qui me concerne s'est glissée dans la dernière causerie du docteur Flavius. Je n'assistais pas à la leçon d'ouverture de M. Sée, l'année dernière, et n'ai par conséquent aucun droit à un rôle dans cette affaire. Au reste, c'est une erreur dans la forme et non dans le fond ; mais à chacun ses actes. Il faut remplacer mon nom par celui de mon ami Jaclard, lequel ne croit pas plus que moi à l'âme immortelle. Et à vrai dire, je ne vois guère dans tout le Sénat que M. Sainte-Beuve qui osât, à l'occasion, nous confier le soin de ses molaires ou la direction de son tube digestif.

Et puisque j'ai la parole, permettez-moi encore un mot. Il faut en finir avec une plaisanterie qui commence à devenir agaçante, outre qu'elle a l'air d'une reculade. L'École de médecine, dit le docteur Flavius, plus fort en accouchement qu'en philosophie, n'est ni athée ni matérialiste ; elle est positiviste.

Mais en vérité, qu'est-ce que le positivisme, sinon un rameau de cette grande école matérialiste qui va d'Aristote et d'Epicure jusqu'à Bacon, jusqu'à Diderot, jusqu'à Virechow, Moleschoff et Büchner, sans compter les contemporains et compatriotes que je ne nomme pas - et pour cause.

La philosophie d'A. Comte a eu son utilité et sa gloire dans un temps où le Cousinisme régnait en maître. Aujourd'hui que le drapeau du matérialisme a été relevé en Allemagne par des noms illustres, en France par des jeunes gens au nombre desquels j'ai l'orgueil et la prétention de me compter, il est bon que le positivisme rentre dans le rôle modeste qui lui convient. Il est bon surtout qu'il n'affecte pas plus longtemps à l'égard du matérialisme, son maître et son ancêtre, un dédain ou des réticences qui sont pour le moins inopportunes.

Recevez, monsieur le rédacteur, l'assurance de ma considération distinguée.

A. Regnard,

Ancien interne des hôpitaux. »



Le matérialisme, comme on le voit, a aussi son fanatisme ; il y a quelques années seulement il n'eût pas osé s'afficher aussi audacieusement ; aujourd'hui, il porte ouvertement le défi au spiritualisme, et le positivisme n'est plus assez radical à ses yeux ; il a ses manifestations publiques, et il est publiquement enseigné à la jeunesse ; il a de plus ce qu'il reproche à d'autres, l'intolérance qui va jusqu'à l'intimidation. Qu'on se figure l'état social d'un peuple imbu de pareilles doctrines !

Ces excès, cependant, ont leur utilité, leur raison d'être ; ils effraient la société, et le bien sort toujours du mal ; il faut l'excès du mal pour faire sentir la nécessité du mieux, sans cela l'homme ne sortirait pas de son inertie ; il resterait impassible devant un mal qui se perpétuerait à la faveur de son peu d'importance, tandis qu'un grand mal éveille son attention et lui fait chercher les moyens d'y remédier. Sans les grands désastres arrivés au commencement des chemins de fer, et qui ont épouvanté, les petits accidents isolés passant presque inaperçus, on aurait négligé les mesures de sûreté. Il en est au moral comme au physique : plus les abus sont excessifs, plus le terme en est proche.

La cause première du développement de l'incrédulité est, comme nous l'avons dit maintes fois, dans l'insuffisance des croyances religieuses, en général, pour satisfaire la raison, et dans leur principe d'immobilité qui leur interdit toute concession sur leurs dogmes, même devant l'évidence ; si, au lieu de rester en arrière, elles eussent suivi le mouvement progressif de l'esprit humain, en se maintenant toujours au niveau de la science, il est vrai qu'elles diffèreraient un peu de ce qu'elles étaient dans le principe, comme un adulte diffère de l'enfant au berceau, mais la foi, au lieu de s'éteindre, aurait grandi avec la raison, parce qu'elle est un besoin pour l'humanité, et elles n'auraient pas ouvert la porte à l'incrédulité qui vient saper ce qui en reste ; elles récoltent ce qu'elles ont semé.

Le matérialisme est une conséquence de l'époque de transition où nous sommes ; ce n'est pas un progrès, tant s'en faut, mais un instrument de progrès. Il disparaîtra en prouvant son insuffisance pour le maintien de l'ordre social, et pour la satisfaction des esprits sérieux qui cherchent le pourquoi de chaque chose ; pour cela il fallait qu'on le vît à l'œuvre. L'humanité, qui a besoin de croire en l'avenir, ne se contentera jamais du vide qu'il laisse après lui, et cherchera quelque chose de mieux pour le combler.

Profession de foi semi spirite

A l'appui des réflexions contenues dans l'article précédent, nous reproduisons avec plaisir la lettre suivante, publiée par la Petite Presse du 20 septembre 1868.

« Les Charmettes, septembre 1868.

Mon cher Barlatier,

Vous savez la romance :

Quand on est Basque et bon chrétien…

Sans être Basque, je suis bon chrétien, et le curé de mon village qui mangeait hier ma soupe aux choux, me permet de vous raconter notre conversation.

- Vous allez donc, me dit-il, reprendre le Roi Henri ? - D'autant plus volontiers, répondis-je, que j'ai vécu de ce temps-là. - Mon digne curé fit un bond.

Alors je lui fis part de ma conviction que nous avions déjà vécu et que nous vivrions encore. Nouvelle exclamation du brave homme. Mais enfin il m'accorda que les croyances chrétiennes n'excluent point cette opinion, et il me laissa aller mon train.

Or, mon cher ami, croyez bien que je n'ai pas voulu m'amuser de la candeur de mon curé, et que cette conviction dont je parle est fortement enracinée chez moi. J'ai vécu sous la Ligue, sous Henri III et Henri IV. Quand j'étais enfant, mes grand'mères me parlaient d'Henri IV, et me racontaient un bonhomme que je ne reconnaissais pas du tout, un monarque grisonnant, enfoui dans une fraise, dévot à l'excès et n'ayant jamais entendu parler de la Belle Gabrielle. C'était celui du père Péréfixe. Le Henri IV que j'ai connu, batailleur, aimable, léger, un peu oublieux, c'est le vrai ; c'est celui que j'ai déjà raconté, celui que je vous raconterai encore.

Ne riez pas. Quand je suis venu à Paris pour la première fois, je me suis reconnu partout dans les vieux quartiers, et j'ai un vague souvenir de m'être trouvé dans la rue de la Ferronnerie, le jour où le peuple perdit son bon roi, celui qui avait voulu que chaque Français mît la poule au pot le dimanche. Qu'étais-je dans ce temps-là ? Peu de chose, sans doute un cadet de Provence ou de Gascogne ; mais j'aurais été dans les gardes de mon héros, que cela ne m'étonnerait pas.

A bientôt donc mon premier feuilleton de la Seconde Jeunesse du roi Henri, et croyez-moi

Tout à vous,

Ponson du Terrail. »



Lorsque M. Ponson du Terrail jetait le ridicule au Spiritisme, il ne se doutait pas, et peut-être ne se doute-t-il pas encore aujourd'hui, qu'une des bases fondamentales de cette doctrine est précisément la croyance dont il fait une profession de foi si explicite. L'idée de la pluralité des existences et de la réincarnation gagne évidemment la littérature, et nous ne serions pas surpris que Méry, qui se souvenait si bien de ce qu'il avait été, n'ait réveillé, chez plus d'un de ses confrères, des souvenirs rétrospectifs, et ne soit, parmi eux, le premier initiateur du Spiritisme, parce qu'ils le lisent, tandis qu'ils ne lisent pas les livres spirites. Ils y trouvent une idée rationnelle, féconde, et ils l'acceptent.

La Petite-Presse publie en ce moment, sous le titre de M. Médard, un roman dont la donnée est toute spirite ; c'est la révélation d'un crime par l'apparition de la victime dans des conditions très naturelles.

Instructions des Esprits

Influence des planètes sur les perturbations du globe terrestre.

Nous extrayons ce qui suit d'une lettre qui nous est adressée de Santa-Fé de Bogota (Nouvelle-Grenade) par un de nos correspondants, M. le docteur Ignacio Pereira, médecin, chirurgien, membre fondateur de l'Institut homœopathique des Etats-Unis de Colombie :

« Il y a trois ans que, par le changement des saisons, dans nos contrées, celle d'été étant devenue fort longue, il est survenu à quelques plantes des maladies tout à fait inconnues à notre pays ; les pommes de terre ont été attaquées de la gangrène sèche, et, par les observations microscopiques que j'ai faites sur les plantes atteintes de cette maladie, j'ai reconnu qu'elle est produite par un parasite végétal appelé perisporium solani. Depuis trois ans notre globe a été en proie à des désastres de toutes sortes ; les inondations, les épidémies, les épizooties, la famine, les ouragans, les commotions de la mer, les tremblements de terre ont, tour à tour, ravagé diverses contrées.

Sachant que lorsqu'une comète s'approche de la terre, les saisons s'irrégularisent, j'ai pensé que ces astres pouvaient également produire une action sur les êtres organiques, occasionner des perturbations climatériques, causes de certaines maladies, et peut-être influer sur l'état physique du globe par la production de phénomènes divers.

L'esprit de mon frère que j'ai interrogé à ce sujet, s'est borné à me répondre que ce n'est pas une comète qui agit, mais la planète Jupiter qui, tous les quarante ans, est dans sa période la plus rapprochée de la terre, en me recommandant de ne pas poursuivre cette étude à moi seul.

Préoccupé de sa réponse, j'étudiai la chronique de quarante ans en arrière, et j'ai trouvé qu'alors les saisons furent irrégulières, comme aujourd'hui, dans nos contrées ; il survint au blé la maladie connue sous le nom d'anublo ; il y eut aussi des pestes sur les hommes et sur les animaux ; des tremblements de terre qui causèrent de grands désastres.

Cette question me paraît importante ; c'est pourquoi, si vous jugiez à propos de la soumettre aux Esprits instructeurs de la société parisienne des études spirites, je vous serais très obligé de me faire connaître leur opinion. »



Réponse.

(Paris, 18 septembre 1868.)

Il n'est pas, dans la nature, un phénomène, de si peu d'importance qu'il soit, qui ne soit réglé par l'exercice des lois universelles qui régissent la création. Il en est de même des grands cataclysmes, et si des maux de toutes sortes sévissent sur la terre à certaines époques, c'est non seulement parce qu'il est nécessaire qu'il en soit ainsi, en raison de leurs conséquences morales, mais c'est aussi parce que l'influence des corps célestes les uns sur les autres, les réactions composées de tous les agents naturels, doivent fatalement amener un tel résultat.

Tout étant soumis à une série de lois, éternelles comme celui qui les créa, puisqu'on ne saurait remonter à leur origine, il n'est pas un phénomène qui ne soit soumis à une loi de périodicité, ou de série, qui en provoque le retour à certaines époques, dans les mêmes conditions, ou en suivant, comme intensité, une loi de progression géométrique croissante ou décroissante, mais continue. Aucun cataclysme ne peut naître spontanément, ou, si ses effets paraissent tels, les causes qui le provoquent sont mises en actions depuis un temps plus ou moins long. Ils ne sont donc spontanés qu'en apparence, puisqu'il n'en est aucun qui ne soit préparé de longue main, et qui n'obéisse à une loi constante.

Je partage donc entièrement l'opinion exprimée par l'Esprit de Jenaro Pereira, quant à la périodicité des irrégularités des saisons ; mais quant à leur cause, elle est plus complexe qu'il ne l'a supposé.

Chaque corps céleste, outre les lois simples qui président à la division des jours et des nuits, des saisons, etc., subit des révolutions qui demandent des milliers de siècles pour leur parfait accomplissement, mais qui, comme les révolutions plus brèves, passent par toutes les périodes, depuis la naissance jusqu'à un summum d'effet, après lequel il y a décroissance jusqu'à la dernière limite, pour recommencer ensuite à parcourir les mêmes phases.

L'homme n'embrasse que les phases d'une durée relativement courte, et dont il peut constater la périodicité ; mais il en est qui comprennent de longues générations d'êtres, et même des successions de races, dont les effets, par conséquent, ont pour lui les apparences de la nouveauté et de la spontanéité, tandis que, si son regard pouvait se porter à quelques milliers de siècles en arrière, il verrait, entre ces mêmes effets et leurs causes, une corrélation qu'il ne soupçonne même pas. Ces périodes, qui confondent l'imagination des humains par leur longueur relative, ne sont cependant que des instants dans la durée éternelle.

Rappelez-vous ce qu'a dit Galilée, dans ses études uranographiques que vous avez eu l'heureuse pensée d'intercaler dans votre Genèse, sur le temps, l'espace et la succession indéfinie des mondes, et vous comprendrez que la vie d'une ou de plusieurs générations, par rapport à l'ensemble, est comme une goutte d'eau dans l'océan. Ne vous étonnez donc pas de ne pouvoir saisir l'harmonie des lois générales qui régissent l'univers ; quoi que vous fassiez, vous ne pouvez voir qu'un petit coin du tableau, c'est pourquoi tant de choses vous paraissent des anomalies.

Dans un même système planétaire, tous les corps qui en dépendent réagissent les uns sur les autres ; toutes les influences physiques y sont solidaires, et il n'est pas un seul des effets que vous désignez sous le nom de grandes perturbations, qui ne soit la conséquence de la composante des influences de tout ce système. Jupiter a ses révolutions périodiques comme toutes les autres planètes, et ces révolutions ne sont pas sans influence sur les modifications des conditions physiques terrestres ; mais ce serait une erreur de les considérer comme la cause unique ou prépondérante de ces modifications. Elles interviennent pour une part, comme celles de toutes les planètes du système, comme les mouvements terrestres interviennent eux-mêmes pour contribuer à modifier les conditions des mondes circonvoisins. Je vais plus loin : je dis que les systèmes réagissent les uns sur les autres, en raison du rapprochement ou de l'éloignement qui résulte de leur mouvement de translation à travers les myriades de systèmes qui composent notre nébuleuse. Je vais plus loin encore : je dis que notre nébuleuse, qui est comme un archipel dans l'immensité, ayant aussi son mouvement de translation à travers les myriades de nébuleuses, subit l'influence de celles dont elle se rapproche. Ainsi les nébuleuses réagissent sur les nébuleuses, les systèmes réagissent sur les systèmes, comme les planètes réagissent sur les planètes, comme les éléments de chaque planète réagissent les uns sur les autres, et ainsi de proche en proche jusqu'à l'atome ; de là, dans chaque monde, des révolutions locales ou générales, qui ne semblent des perturbations que parce que la brièveté de la vie ne permet d'en voir que les effets partiels.

La matière organique ne saurait échapper à ces influences ; les perturbations qu'elle subit peuvent donc altérer l'état physique des êtres vivants, et déterminer quelques-unes de ces maladies qui sévissent d'une manière générale sur les plantes, les animaux et les hommes ; ces maladies, comme tous les fléaux, sont pour l'intelligence humaine un stimulant qui la pousse, par la nécessité, à la recherche des moyens de les combattre, et à la découverte des lois de la nature.

Mais la matière organique réagit à son tour sur l'esprit ; celui-ci, par son contact et sa liaison intime avec les éléments matériels, subit aussi des influences qui modifient ses dispositions, sans cependant lui ôter son libre arbitre, surexcitent ou ralentissent son activité, et, par cela même, contribuent à son développement. L'effervescence, qui se manifeste parfois dans toute une population, parmi les hommes d'une même race, n'est pas une chose fortuite, ni le résultat d'un caprice ; elle a sa cause dans les lois de la nature. Cette effervescence, d'abord inconsciente, qui n'est qu'un vague désir, une aspiration non définie vers quelque chose de mieux, un besoin de changement, se traduit par une sourde agitation, puis par des actes qui amènent les révolutions morales, lesquelles, croyez-le bien, ont aussi leur périodicité, comme les révolutions physiques, car tout s'enchaîne. Si la vue spirituelle n'était pas circonscrite par le voile matériel, vous verriez ces courants fluidiques qui, comme des milliers de fils conducteurs, relient les choses du monde spirituel et du monde matériel.

Quand on vous dit que l'humanité est arrivée à une période de transformation, et que la terre doit s'élever dans la hiérarchie des mondes, ne voyez dans ces paroles rien de mystique, mais, au contraire, l'accomplissement d'une des grandes lois fatales de l'univers contre lesquelles tout mauvais vouloir humain se brise.

Je dirai, en particulier, à M. Ignacio Pereira : Nous sommes loin de vous engager à renoncer à des études qui font partie de votre futur bagage intellectuel ; mais vous comprendrez, sans doute, que ces connaissances doivent être, comme toutes les autres, le fruit de vos travaux et non celui de nos révélations. Nous pouvons vous dire : Vous faites fausse route, et même vous désigner la véritable voie, mais il appartient à votre initiative de lever les voiles dont sont encore enveloppées les manifestations naturelles qui ont jusqu'ici échappé à vos investigations, et de découvrir les lois par l'observation des faits ; observez, analysez, classez, comparez, et de la corrélation des faits déduisez, mais ne vous hâtez pas de conclure d'une manière absolue.

Je terminerai en vous disant : Dans toutes vos recherches prenez exemple sur les lois naturelles, elles sont toutes solidaires entre elles ; et c'est cette solidarité d'actions qui produit l'imposante harmonie de leurs effets. Hommes, soyez solidaires, et vous avancerez harmoniquement vers la connaissance du bonheur et de la vérité.

F. Arago.



Permettez-moi d'ajouter quelques mots, comme complément, à la communication que vient de vous donner l'éminent Esprit d'Arago.

Oui, certes, l'humanité se transforme comme elle s'est déjà transformée à d'autres époques, et chaque transformation est marquée par une crise qui est, pour le genre humain, ce que sont les crises de croissance pour les individus ; crises souvent pénibles, douloureuses, qui emportent avec elles les générations et les institutions, mais toujours suivies d'une phase de progrès matériel et moral.

L'humanité terrestre, arrivée à l'une de ces périodes de croissance, est en plein, depuis bientôt un siècle, dans le travail de la transformation ; c'est pourquoi elle s'agite de toutes parts, en proie à une sorte de fièvre et comme mue par une force invisible, jusqu'à ce qu'elle ait repris son assiette sur de nouvelles bases. Qui la verra alors, la trouvera bien changée dans ses mœurs, son caractère, ses lois, ses croyances, en un mot dans tout son état social.

Une chose qui vous paraîtra étrange, mais qui n'en est pas moins une rigoureuse vérité, c'est que le monde des Esprits qui vous environne subit le contrecoup de toutes les commotions qui agitent le monde des incarnés ; je dis plus : il y prend une part active. Cela n'a rien de surprenant pour quiconque sait que les Esprits ne font qu'un avec l'humanité ; qu'ils en sortent et doivent y rentrer ; il est donc naturel qu'ils s'intéressent aux mouvements qui s'opèrent parmi les hommes. Soyez donc certains que, lorsqu'une révolution sociale s'accomplit sur la terre, elle remue également le monde invisible ; toutes les passions bonnes et mauvaises y sont surexcitées comme chez vous ; une indicible effervescence règne parmi les Esprits qui font encore partie de votre monde et qui attendent le moment d'y rentrer.

A l'agitation des incarnés et des désincarnés se joignent parfois, le plus souvent même, parce que tout se tient dans la nature, les perturbations des éléments physiques ; c'est alors, pour un temps, une véritable confusion générale, mais qui passe comme un ouragan, après lequel le ciel redevient serein, et l'humanité, reconstituée sur de nouvelles bases, imbue de nouvelles idées, parcourt une nouvelle étape de progrès.

C'est dans la période qui s'ouvre qu'on verra fleurir le Spiritisme, et qu'il portera ses fruits. C'est donc pour l'avenir, plus que pour le présent, que vous travaillez ; mais il était nécessaire que ces travaux fussent élaborés d'avance, parce qu'ils préparent les voies de la régénération par l'unification et la rationalité des croyances. Heureux ceux qui en profitent dès aujourd'hui, ce sera pour eux autant de gagné et de peines épargnées.

Docteur Barry.





Variétés

Bel exemple de charité évangélique

Un trait de charité accompli par M. Ginet, cantonnier de Saint-Julien-sous-Montmelas, est raconté par l'Écho de Fourvière :

Le 1er janvier, à la nuit tombante, se trouvait accroupie sur la place de Saint-Julien une mendiante de profession, couverte de plaies infectes, vêtue de mauvais haillons pleins de vermine, et de plus si méchante que tout le monde la redoutait ; elle ne répondait au bien qui lui était fait que par des coups ou des injures. Prise d'un affaiblissement soudain, elle eût succombé sur le pavé sans la charité de notre cantonnier, qui, surmontant sa répugnance, la prit entre ses bras et la porta chez lui.

Ce pauvre homme n'a qu'un logement très restreint pour lui, pour sa femme malade et ses trois petits enfants ; il n'a d'autre ressource que son modique traitement. Il met la vieille mendiante sur un peu de paille que lui donne un voisin, et la soigne toute la nuit, cherchant à la réchauffer.

Au point du jour, cette femme, s'affaiblissant de plus en plus, lui dit : « J'ai de l'argent sur moi, je vous le donne pour vos soins. » Elle ajoute ces mots : « M. le curé… » puis elle expire. Le cantonnier, sans s'occuper de l'argent, court chercher le curé ; mais il était trop tard. Il se hâte ensuite d'avertir les parents, qui habitent une paroisse voisine et qui sont dans une position aisée. Ils arrivent, et leur première parole est celle-ci : « Ma sœur avait de l'argent sur elle, où est-il ? » et le cantonnier de répondre : « Elle me l'a dit, mais je ne m'en suis pas inquiété. » On cherche, et l'on trouve, en effet, plus de 400 fr. dans une de ses poches.

Achevant son œuvre, le charitable ouvrier, avec l'aide d'une voisine, ensevelit la pauvre morte. Quelques personnes étaient d'avis que, la nuit suivante, il plaçât le cercueil dans un hangar fermé et voisin. « Non, dit-il ; cette femme n'est pas un chien, mais une chrétienne. » Et il la garda toute la nuit dans sa maison, avec sa lampe allumée.

Aux personnes qui lui exprimaient leur admiration et l'engageaient à demander une récompense : « Oh ! dit-il, ce n'est pas l'intérêt qui m'a fait agir. On me donnera ce que l'on voudra, mais je ne demanderai rien. Je puis, dans la position où je suis, me trouver dans le même cas, et je serais bien heureux qu'on eût pitié de moi. »

– Quel rapport ce fait a-t-il avec le Spiritisme ? demanderait un incrédule ; – C'est que la charité évangélique, telle que l'a recommandée le Christ, étant une loi du Spiritisme, tout acte vraiment charitable est un acte spirite, et l'action de cet homme est l'application de la loi de charité dans ce qu'elle a de plus pur et de plus sublime, car il a fait le bien, non seulement sans espoir de retour, sans songer à ses charges personnelles, mais presque avec la certitude d'être payé d'ingratitude, se contentant de dire qu'en pareil cas, il aurait voulu qu'on fît la même chose pour lui. – Cet homme est-il spirite ? – Nous l'ignorons, mais ce n'est pas probable ; dans tous les cas, s'il n'en a pas la lettre, il en a l'esprit. – S'il n'est pas spirite, ce n'est donc pas le Spiritisme qui l'a porté à cette action ? – Assurément. – Alors pourquoi le Spiritisme s'en fait-il un mérite ? – Le Spiritisme ne revendique point à son profit l'action de cet homme, mais il se glorifie de professer les principes qui l'ont porté à l'accomplir, sans avoir jamais eu la prétention de posséder le privilège d'inspirer les bons sentiments. Il honore le bien partout où il le trouve ; et lorsque ses adversaires même le pratiquent, il les offre en exemple à ses adeptes.

Il est fâcheux que les journaux mettent moins d'empressement à reproduire les bonnes actions, en général, que les crimes et les scandales ; s'il est un fait qui témoigne de la perversité humaine, on peut être certain qu'il sera répété sur toute la ligne, comme appât à la curiosité des lecteurs. L'exemple est contagieux ; pourquoi ne pas plutôt mettre sous les yeux des masses celui du bien que celui du mal ? Il y a là une grande question de moralité publique que nous traiterons plus tard avec tous les développements qu'elle comporte.


Un château hanté

La relation du fait ci-après nous a été remise par un de nos correspondants de Saint-Pétersbourg.

Un vieux général hongrois, bien connu par sa bravoure, fait un grand héritage, donne sa démission et écrit à son intendant de lui acheter une propriété qui était à vendre et qu'il lui désigne.

L'intendant répond immédiatement en conseillant au général de ne pas acheter ladite propriété, vu qu'elle était hantée par les Esprits.

Le vieux brave insiste, disant que c'est une raison de plus pour lui de faire cet achat, et lui enjoint de terminer à l'instant.

La propriété est donc achetée, et le nouveau maître se met en en route pour aller s'y installer. Il arrive à onze heures du soir dans la maison de son intendant, non loin du château où il veut se rendre immédiatement. – De grâce, lui dit son vieux serviteur, attendez à demain matin et faites-moi l'honneur de passer la nuit chez moi. – Non, lui dit son maître, je veux la passer dans mon château. L'intendant est donc obligé de l'y accompagner avec plusieurs paysans portant des torches ; mais ils ne veulent pas y entrer et se retirent, laissant seul le nouveau seigneur.

Celui-ci avait avec lui un vieux soldat qui ne l'avait jamais quitté, et un énorme chien qui aurait étranglé un homme d'un seul coup.

Le vieux général s'installe dans la bibliothèque du château, fait château allumer des bougies, pose une paire de pistolets sur la table, prend un livre et s'étend sur un canapé en attendant les revenants, car il est sûr que, s'il y en a véritablement dans le château, ce ne sont point des morts, mais bien des vivants ; c'est aussi pour cela qu'il avait armé les pistolets et qu'il avait fait coucher son chien sous le canapé ; quant au vieux soldat, il ronflait déjà dans une chambre attenante à la bibliothèque.

Peu de temps s'écoule ; le général croit entendre du bruit dans le salon, écoute attentivement, et le bruit redouble. Sûr de son fait, il prend d'une main une bougie, de l'autre un pistolet, et entre dans le salon où il ne voit personne ; il cherche partout, soulève même les draperies : il n'y a rien, absolument rien. Il revient donc à la bibliothèque, reprend son livre, et à peine en a-t-il lu quelques lignes que le bruit se fait entendre avec beaucoup plus de force que la première fois. Il reprend une bougie et un pistolet, entre de nouveau dans le salon et voit qu'on a ouvert le tiroir d'une commode. Convaincu cette fois qu'il avait affaire à des voleurs et ne voyant pourtant personne, il appelle son chien et lui dit : Cherche ! Le chien se met à trembler de tous ses membres et retourne se cacher sous le canapé. Le général commence à trembler lui-même, rentre dans la bibliothèque, se couche sur le canapé, mais ne peut fermer l'œil de toute la nuit. En nous racontant ce fait, le général nous dit : « Je n'ai eu peur que deux fois, à dix-huit ans, lorsque, sur le champ de bataille, une bombe éclata à mes pieds ; la seconde fois, lorsque j'ai vu la peur s'emparer de mon chien. »

Nous nous abstiendrons de tout commentaire sur le fait très authentique rapporté ci-dessus, et nous nous contenterons de demander aux adversaires du Spiritisme comment le système nerveux du chien a été ébranlé.

Nous demanderons en outre comment la surexcitation nerveuse d'un médium, aussi forte qu'elle soit, peut produire l'écriture directe, c'est-à-dire peut forcer un crayon à écrire de lui-même.

Autre question : Nous croyons que le fluide nerveux retenu, et concentré dans un récipient, pourrait égaler et surpasser même la force de la vapeur ; mais le dit fluide, étant libre, pourrait-il soulever et déplacer des meubles pesants, comme cela a si souvent lieu ?

Ch. Péreyra.


Bibliographie

Correspondance inédite de Lavater avec l'Impératrice Marie de Russie, sur l'avenir de l'âme. - L'intérêt qui s'est attaché à ces lettres, que nous avons publiées dans la Revue, a suggéré à MM. Lacroix et Ce, de la librairie internationale, 15, boulevard Montmartre, l'heureuse idée d'en faire une publication à part. La propagation de ces lettres ne peut avoir qu'un effet très utile sur les personnes étrangères au Spiritisme. – Broch. grand in-8. Prix : 50 cent.



Allan Kardec

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