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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868 > Août
Août
Le Matérialisme et le Droit
Le matérialisme, en s'affichant comme il ne l'avait fait à aucune autre époque, en se posant en régulateur suprême des destinées morales de l'humanité, a eu pour effet d'effrayer les masses par les conséquences inévitables de ses doctrines pour l'ordre social ; par cela même, il a provoqué, en faveur des idées spiritualistes, une énergique réaction qui doit lui prouver qu'il est loin d'avoir des sympathies aussi générales qu'il le suppose, et qu'il se fait étrangement illusion s'il espère un jour imposer ses lois au monde.
Assurément, les croyances spiritualistes des temps passés sont insuffisantes pour ce siècle-ci ; elles ne sont pas au niveau intellectuel de notre génération ; elles sont, sur bien des points, en contradiction avec les données certaines de la science ; elles laissent dans l'esprit un vague incompatible avec le besoin du positif qui domine dans la société moderne ; elles ont, en outre, le tort immense de s'imposer par la foi aveugle et de proscrire le libre examen ; de là, sans aucun doute, le développement de l'incrédulité chez le plus grand nombre ; il est bien évident que si les hommes n'étaient nourris, dès leur enfance, que d'idées de nature à être plus tard confirmées par la raison, il n'y aurait pas d'incrédules. Que de gens ramenés à la croyance par le Spiritisme nous ont dit : Si l'on nous avait toujours présenté Dieu, l'âme et la vie future d'une manière rationnelle, nous n'aurions jamais douté !
De ce qu'un principe reçoit une mauvaise ou une fausse application, s'ensuit-il qu'il faille le rejeter ? Il en est des choses spirituelles comme de la législation et de toutes les institutions sociales : il faut les approprier aux temps, sous peine de succomber. Mais au lieu de présenter quelque chose de mieux que le vieux spiritualisme classique, le matérialisme a préféré tout supprimer, ce qui le dispensait de chercher, et semblait plus commode à ceux que l'idée de Dieu et de l'avenir importune. Que penserait-on d'un médecin qui, trouvant que le régime d'un convalescent n'est pas assez substantiel pour son tempérament, lui prescrirait de ne rien manger du tout?
Ce que l'on s'étonne de trouver chez la plupart des matérialistes de l'école moderne, c'est l'esprit d'intolérance poussé à ses dernières limites, eux qui revendiquent sans cesse le droit de liberté de conscience. Leurs coreligionnaires politiques mêmes ne trouvent pas grâce devant eux dès qu'ils font profession de spiritualisme, témoins M. Jules Favre à propos de son discours à l'Académie (Figaro du 8 mai 1868) ; M. Camille Flammarion, outrageusement bafoué et dénigré, dans un autre journal dont nous avons oublié le nom, parce qu'il a osé prouver Dieu par la science. Selon l'auteur de cette diatribe, on ne peut être savant qu'à la condition de ne pas croire en Dieu ; Chateaubriand n'est qu'un piètre écrivain et un radoteur. Si des hommes d'un aussi incontestable mérite sont traités avec si peu de ménagement, les Spirites ne doivent pas se plaindre d'être quelque peu raillés au sujet de leurs croyances.
Il y a en ce moment, de la part d'un certain parti, une levée de boucliers contre les idées spiritualistes en général, dans lesquelles le Spiritisme se trouve naturellement englobé. Ce qu'il cherche, ce n'est pas un Dieu meilleur et plus juste, c'est le Dieu-matière moins gênant, parce qu'il n'y a pas de compte à lui rendre. Personne ne conteste à ce parti le droit d'avoir son opinion, de discuter les opinions contraires, mais ce qu'on ne saurait lui concéder, c'est la prétention, au moins singulière pour des hommes qui se posent en apôtres de la liberté, d'empêcher les autres de croire à leur manière et de discuter les doctrines qu'ils ne partagent pas. Intolérance pour intolérance, l'une ne vaut pas mieux que l'autre.
Une des meilleures protestations que nous ayons lues contre les tendances matérialistes a été publiée dans le journal le Droit, sous le titre de : Le matérialisme et le droit. La question y est traitée avec une remarquable profondeur et une parfaite logique au double point de vue de l'ordre social et de la jurisprudence. La cause du spiritualisme étant celle du Spiritisme, nous applaudissons à toute énergique défense de la première, alors même qu'il y est fait abstraction de la seconde ; c'est pourquoi nous pensons que les lecteurs de la Revue y verront avec plaisir la reproduction de cet article.
Assurément, les croyances spiritualistes des temps passés sont insuffisantes pour ce siècle-ci ; elles ne sont pas au niveau intellectuel de notre génération ; elles sont, sur bien des points, en contradiction avec les données certaines de la science ; elles laissent dans l'esprit un vague incompatible avec le besoin du positif qui domine dans la société moderne ; elles ont, en outre, le tort immense de s'imposer par la foi aveugle et de proscrire le libre examen ; de là, sans aucun doute, le développement de l'incrédulité chez le plus grand nombre ; il est bien évident que si les hommes n'étaient nourris, dès leur enfance, que d'idées de nature à être plus tard confirmées par la raison, il n'y aurait pas d'incrédules. Que de gens ramenés à la croyance par le Spiritisme nous ont dit : Si l'on nous avait toujours présenté Dieu, l'âme et la vie future d'une manière rationnelle, nous n'aurions jamais douté !
De ce qu'un principe reçoit une mauvaise ou une fausse application, s'ensuit-il qu'il faille le rejeter ? Il en est des choses spirituelles comme de la législation et de toutes les institutions sociales : il faut les approprier aux temps, sous peine de succomber. Mais au lieu de présenter quelque chose de mieux que le vieux spiritualisme classique, le matérialisme a préféré tout supprimer, ce qui le dispensait de chercher, et semblait plus commode à ceux que l'idée de Dieu et de l'avenir importune. Que penserait-on d'un médecin qui, trouvant que le régime d'un convalescent n'est pas assez substantiel pour son tempérament, lui prescrirait de ne rien manger du tout?
Ce que l'on s'étonne de trouver chez la plupart des matérialistes de l'école moderne, c'est l'esprit d'intolérance poussé à ses dernières limites, eux qui revendiquent sans cesse le droit de liberté de conscience. Leurs coreligionnaires politiques mêmes ne trouvent pas grâce devant eux dès qu'ils font profession de spiritualisme, témoins M. Jules Favre à propos de son discours à l'Académie (Figaro du 8 mai 1868) ; M. Camille Flammarion, outrageusement bafoué et dénigré, dans un autre journal dont nous avons oublié le nom, parce qu'il a osé prouver Dieu par la science. Selon l'auteur de cette diatribe, on ne peut être savant qu'à la condition de ne pas croire en Dieu ; Chateaubriand n'est qu'un piètre écrivain et un radoteur. Si des hommes d'un aussi incontestable mérite sont traités avec si peu de ménagement, les Spirites ne doivent pas se plaindre d'être quelque peu raillés au sujet de leurs croyances.
Il y a en ce moment, de la part d'un certain parti, une levée de boucliers contre les idées spiritualistes en général, dans lesquelles le Spiritisme se trouve naturellement englobé. Ce qu'il cherche, ce n'est pas un Dieu meilleur et plus juste, c'est le Dieu-matière moins gênant, parce qu'il n'y a pas de compte à lui rendre. Personne ne conteste à ce parti le droit d'avoir son opinion, de discuter les opinions contraires, mais ce qu'on ne saurait lui concéder, c'est la prétention, au moins singulière pour des hommes qui se posent en apôtres de la liberté, d'empêcher les autres de croire à leur manière et de discuter les doctrines qu'ils ne partagent pas. Intolérance pour intolérance, l'une ne vaut pas mieux que l'autre.
Une des meilleures protestations que nous ayons lues contre les tendances matérialistes a été publiée dans le journal le Droit, sous le titre de : Le matérialisme et le droit. La question y est traitée avec une remarquable profondeur et une parfaite logique au double point de vue de l'ordre social et de la jurisprudence. La cause du spiritualisme étant celle du Spiritisme, nous applaudissons à toute énergique défense de la première, alors même qu'il y est fait abstraction de la seconde ; c'est pourquoi nous pensons que les lecteurs de la Revue y verront avec plaisir la reproduction de cet article.
La génération présente traverse une crise intellectuelle dont il n'y a pas à s'inquiéter outre mesure, mais dont il y aurait imprudence à laisser le dénouement au hasard. Depuis que l'humanité pense, on croyait à l'âme, principe immatériel, distinct des organes qui le servent ; on la faisait même immortelle. On croyait à une Providence, créatrice et maîtresse des êtres et des choses, au bien, au juste, à la liberté de l'arbitre humain, à une vie future qui, pour valoir mieux que le monde où nous sommes, n'a besoin, comme dit le poète, que d'exister. De modernes docteurs, qui commencent à devenir bruyants, ont changé tout cela. L'homme est ramené par eux à la dignité de la brute, et la brute réduite à un agrégat matériel. La matière et les propriétés de la matière, tels seraient les seuls objets possibles de la science humaine ; la pensée ne serait qu'un produit de l'organe qui en est le siège, et l'homme, quand les molécules organiques qui constituent sa personne se désagrègent et retournent aux éléments, périrait tout entier.
Si les doctrines matérialistes devaient avoir jamais leur heure de triomphe, les jurisconsultes philosophes, il faut le dire à leur honneur, seraient les premiers vaincus. Qu'auraient à faire leurs règles et leurs lois dans un monde où la loi de la matière serait toute la loi ? Les actions humaines ne peuvent être que des faits automatiques, si l'homme est tout matière. Mais alors où sera la liberté ? Et si la liberté n'existe pas, où sera la loi morale ? A quel titre une autorité quelconque pourrait-elle prétendre à maîtriser l'expansion fatale d'une force toute physique, et nécessairement légitime dès qu'elle est fatale ? Le matérialisme ruine la loi morale, et avec la loi morale le droit, l'ordre civil tout entier, c'est-à-dire les conditions d'existence de l'humanité. De telles conséquences immédiates, inévitables, valent assurément la peine qu'on y songe. Voyons donc comment se reproduit cette vieille doctrine matérialiste, qu'on n'a vu poindre jusqu'à présent que dans les plus mauvais jours.
Il y a presque toujours eu des matérialistes, théoriciens ou pratiques, soit par déviation du sens commun, soit pour justifier de basses habitudes de vivre. La première raison d'être du matérialisme est dans l'infirmité de l'intelligence humaine. Cicéron a dit en termes très crus qu'il n'y a pas de sottise qui n'ait trouvé quelque philosophe pour la défendre : Nihil tam absurde dici potest quod non dicatur ab aliquo philosophorum. Sa seconde raison d'être est dans les mauvais penchants du cœur humain. Le matérialisme pratique, qui se réduit à quelques honteuses maximes, est toujours apparu aux époques de décomposition morale ou sociale, comme celles de la Régence et du Directoire. Le plus souvent, quand il a eu des visées plus hautes, le matérialisme philosophique a été une réaction contre les exigences exagérées des doctrines ultra-spiritualistes ou religieuses. Mais, de nos jours, il se produit avec un caractère nouveau ; il s'appelle scientifique. L'histoire naturelle serait toute la science de l'homme ; rien n'existerait de ce qu'elle n'a pas pour objet, et, comme elle n'a pas pour objet l'esprit, l'esprit n'existe pas.
Pour qui veut y songer, le matérialisme est bien, en effet, un péril, non pas de la science vraie, mais de la science incomplète et présomptueuse ; c'est une mauvaise plante qui croît sur son sol. D'où viennent les tendances matérialistes, plus ou moins accusées de tant de savants ? De leur constante occupation à étudier et à manipuler la matière ? Peut-être un peu. Mais elles viennent surtout de leurs habitudes d'esprit, de la pratique exclusive de leur méthode expérimentale. La méthode scientifique peut se réduire en ces termes : Ne recueillir que des faits, induire très prudemment la loi de ces faits, bannir absolument toutes recherches des causes. On ne s'étonnera pas, après cela, que des intelligences à courte vue, débiles par quelque endroit, déformées, comme nous le devenons tous par un même travail intellectuel ou physique trop continu, méconnaissent l'existence des faits moraux auxquels ne convient pas l'application de leur instrument logique, et, par une transmission insensible, passent de l'ignorance méthodique à la négation.
Cependant, si cette méthode exclusivement expérimentale peut se trouver en défaut, c'est bien dans l'étude de l'homme, être double, esprit et matière, dont l'organisme même ne peut être que le produit et l'instrument de la force cachée, mais essentiellement une, qui l'anime. On ne veut voir dans l'organisme humain qu'un agrégat matériel ! Pourquoi scinder l'homme et ne vouloir méthodiquement considérer en lui qu'un principe s'il y en a deux ? Peut-on se flatter au moins d'expliquer ainsi tous les phénomènes de la vie ? Le matérialisme physiologique, qui prépare au matérialisme philosophique, mais qui n'y conduit pas nécessairement, est frappé d'impuissance à chaque pas. La vie, quoi qu'on dise, est un mouvement, le mouvement de l'âme informant le corps ; et l'âme est ainsi le ressort qui meut et transporte, par une action inconnue et inconsciente, les éléments des corps vivants. En ramenant systématiquement l'étude de l'homme physique aux conditions de l'étude des corps inorganisés ; en ne voyant dans les forces vivantes de chaque partie de l'organisme que des propriétés de la matière ; en localisant ces forces dans chacune de ces parties ; en ne considérant la vie que comme une manifestation physique, un résultat, alors qu'elle est peut-être un principe ; en écartant l'unité du principe de vie comme une hypothèse quand ce peut être une réalité, sans doute on tombe dans le matérialisme physiologique, pour après glisser rapidement dans le matérialisme philosophique ; mais on conclut sur un dénombrement et un examen incomplets des faits ; on a cru ne marcher qu'appuyé sur l'observation, et l'on a écarté le fait capital qui domine et détermine tous les faits particuliers.
Le matérialisme de la nouvelle école n'est donc pas un résultat démontré de l'étude ; c'est une opinion préconçue. Le physiologiste n'admet pas l'esprit ; mais quoi d'étonnant ? c'est une cause, et il s'est mis à l'étude avec une méthode qui lui interdit précisément la recherche des causes. Nous ne voulons pas soumettre la cause du spiritualisme à une question de physiologie controversée et sur laquelle on pourrait nous récuser à bon droit. Le sens intime me révèle l'existence de l'âme avec une bien autre autorité. Quand le matérialisme physiologique serait aussi vrai qu'il est discutable, nos convictions spiritualistes ne resteraient pas moins entières. Fort du témoignage du sens intime, confirmé par l'assentiment de mille générations qui se sont succédé sur la terre, nous répéterions le vieil adage : « La vérité ne détruit pas la vérité, » et nous attendrions du temps que la conciliation se fît. Mais de quel poids ne se sent-on pas allégé quand on voit que, pour nier l'âme et donner cette déclaration comme un résultat de la science, le savant, de son propre aveu, est parti méthodiquement de cette idée que l'âme n'existe pas !
Nous avons lu bien des livres de physiologie, en général assez mal écrits ; ce qui nous a frappé, c'est le vice constant des raisonnements du physiologiste organicien quand il sort de son sujet pour se faire philosophe. On le voit constamment prendre un effet pour une cause, une faculté pour une substance, un attribut pour un être, confondre les existences et les forces, etc., et raisonner en conséquence. On croirait à une gageure. Quelquefois, il franchit d'incroyables distances sans se douter du chemin qu'il fait. Quel esprit exact et net, par exemple, a jamais pu comprendre cette pensée si connue de Cabanis et de Broussais que « le cerveau produit, sécrète la pensée ? » D'autres fois, l'homme positif, l'homme de la science, l'homme de l'observation et des faits, nous dira sérieusement que le cerveau « emmagasine des idées. » Encore un peu, il les dessinera. Est-ce métaphore ou galimatias ?
On ne demandera jamais à la science naturelle de prendre parti pour ou contre l'âme humaine ; mais que ne se résout-elle à ignorer ce qui n'est pas l'objet de ses investigations ? De quel droit ose-t-elle jurer qu'il n'y a rien après elle, après s'être fait une loi de ne pas voir ? Que ne garde-t-elle un peu de cette réserve qui nous convient si bien à tous, à ceux surtout qui ont la prétention de n'avancer qu'avec certitude ? A quel titre l'anatomiste prendra-t-il sur lui de déclarer que l'âme n'existe pas, parce qu'il ne l'a pas rencontrée sous son scalpel ? A-t-il au moins commencé par démontrer rigoureusement, scientifiquement, par des expériences et des faits, selon la méthode qu'il préconise, que son scalpel peut atteindre à tout, même à un principe immatériel ?
Quoi qu'il en soit de toutes ces questions, le matérialisme se disant scientifique, sans en valoir mieux pour cela, s'étale au grand jour, et il nous faut voir ce que serait le droit matérialiste. Hélas ! l'état social matérialiste nous offrirait un bien triste et honteux spectacle. Il est une chose d'abord certaine, c'est que, si l'homme n'existe que par son organisme, cette masse matérielle et automatique qui sera désormais tout l'homme, pourvu d'une encéphale pour sécréter des idées, sera irresponsable de tous les mouvements qu'elle produira[1]. Avec elle il ne faudra pas que l'encéphale d'une autre masse matérielle s'avise à sécréter des idées de justice ou d'injustice ; car ces idées de justice ou d'injustice ne sont applicables qu'à une force libre, existant par elle-même, capable de vouloir et de s'abstenir. On ne raisonne pas le torrent ou l'avalanche.
Donc la liberté, c'est-à-dire la volonté d'agir ou de ne point agir, n'existera pas ici-bas, et le droit pas davantage. Dans cet état, toutes les forces auront un plein et absolu pouvoir d'expansion. Tout sera légitime, licite, permis, disons même ordonné ; car il est clair que tout fait qui n'est pas l'acte d'une volonté libre, qui ne se produit pas comme un acte moralement obligatoire ou moralement défendu, est un fait obligé, qui peut bien venir se heurter à un fait contraire du même caractère, mais qui tombe comme tous les faits physiques sous l'empire inéluctable des lois naturelles.
Il suffit d'exposer de telles idées pour en faire justice. C'est le système de Spinoza, qui a très résolument posé le principe du droit de la force. Les forts, dit Spinoza, sont faits pour asservir les faibles au même titre que les poissons pour nager, et les plus grands pour manger les plus petits. Dans le système matérialiste, ce qu'on appellerait le droit ne saurait avoir un principe différent. Mais quel homme doué de sens oserait avouer un tel système, qui suffirait à lui seul à la réfutation du matérialisme, puisqu'il en découle nécessairement ? Veut-on cependant que ce principe de la force se trouve de fait limité par lui-même ? On ne gagnera rien, ou peu de chose, à ce flagrant démenti du principe. Admettons, si l'on veut, que la substance pensante (nous continuons à parler la langue des matérialistes) se concerte chez les individus pour régulariser cette expansion de la force, à quoi arrivera-t-elle ? Tout au plus à un ensemble de règles qui aura pour base l'intérêt, et encore, comme il n'y a d'autres lois que les lois de la matière, cette législation n'aura aucun caractère obligatoire ; chacun pourra l'enfreindre si sa matière pensante le lui conseille et si sa force le lui permet. Ainsi, dans cette singulière doctrine, on n'aurait pas même un état social construit sur le plan de la triste société de Hobbes.
Nous ne parlons encore que des conditions premières de tout état social. Mais, dans toute société civile, on consacre la propriété individuelle ; on contracte, on vend, on loue, on s'associe, etc. Le mariage fonde la famille ; tout un ordre nouveau de relations en naît. Par l'éducation du foyer et l'éducation publique, les traditions se perpétuent. Ainsi se forme un esprit national et se développe la civilisation. Notre société matérialiste aura-t-elle son droit civil ? Impossible de le supposer ; car le droit civil, dans son ensemble, a pour principe la justice, et la justice ne peut être qu'un mot, ou une contradiction dans une doctrine qui ne connaît que la matière et les propriétés de la matière. On arrive ainsi inévitablement à conclure (à moins de déraisonner à propos) que l'état civil de la société matérialiste, c'est l'état de bestialité.
Nous ne disons rien de trop en avançant que le matérialisme est destructif, non pas de telle morale, mais de toute morale ; non pas de tel état civil, mais de tout état civil, de toute société. Il faut reculer avec lui au delà des régions de la barbarie, au delà de la sauvagerie. Faut-il pour cela le proscrire ? A Dieu ne plaise. Son caractère ainsi reconnu, nous ne demanderions cependant pas que l'enseignement en fût interdit ; nous le défendrions au besoin contre toute compression par la force, pourvu que le professeur ne parlât qu'en son nom propre. La liberté nous est si chère (les lecteurs de ce journal le savent) ; elle porte avec elle de tels bienfaits ; nous avons une telle confiance dans le bon sens public, que nous ne concevrions aucune inquiétude de voir toute chaire, toute tribune ouverte à toute idée.
Mais la question ne se présenterait plus dans les mêmes termes s'il arrivait que le professeur parlât dans une chaire de l'État, rétribuée au budget. A tort ou à raison l'État enseigne ; peut-il enseigner des doctrines dont les conséquences les plus prochaines sont destructives de l'État ? Sera-t-il à la discrétion de tout professeur de faire endosser à l'État toutes les doctrines qu'il pourra concevoir ? La question n'en est pas une. Les professeurs de l'État sont des fonctionnaires publics ; leur enseignement ne peut être et il n'est qu'un enseignement officiel. L'état est garant de ce qu'ils disent ; il en répond vis-à-vis de la jeunesse et des familles. Si avec les grands mots d'indépendance du professorat, on récusait son contrôle, on se ferait oppresseur de l'État, par la plus hypocrite des oppressions, car on mettrait à son compte des doctrines qu'il désavoue.
Sans doute l'autorité supérieure doit à ses professeurs, souvent blanchis par l'étude, des égards, des ménagements, une grande confiance, comme à ses généraux, à ses administrateurs et à ses magistrats ; mais elle ne leur doit pas le sacrifice du mandat qu'elle est toujours présumée tenir du pays. Le professeur n'est pas plus indépendant de l'État que le général qui prendrait le commandement d'une insurrection.
H. Thiercelin.
[1] Comme le foie est indispensable de la bile qu'il sécrète.
Si les doctrines matérialistes devaient avoir jamais leur heure de triomphe, les jurisconsultes philosophes, il faut le dire à leur honneur, seraient les premiers vaincus. Qu'auraient à faire leurs règles et leurs lois dans un monde où la loi de la matière serait toute la loi ? Les actions humaines ne peuvent être que des faits automatiques, si l'homme est tout matière. Mais alors où sera la liberté ? Et si la liberté n'existe pas, où sera la loi morale ? A quel titre une autorité quelconque pourrait-elle prétendre à maîtriser l'expansion fatale d'une force toute physique, et nécessairement légitime dès qu'elle est fatale ? Le matérialisme ruine la loi morale, et avec la loi morale le droit, l'ordre civil tout entier, c'est-à-dire les conditions d'existence de l'humanité. De telles conséquences immédiates, inévitables, valent assurément la peine qu'on y songe. Voyons donc comment se reproduit cette vieille doctrine matérialiste, qu'on n'a vu poindre jusqu'à présent que dans les plus mauvais jours.
Il y a presque toujours eu des matérialistes, théoriciens ou pratiques, soit par déviation du sens commun, soit pour justifier de basses habitudes de vivre. La première raison d'être du matérialisme est dans l'infirmité de l'intelligence humaine. Cicéron a dit en termes très crus qu'il n'y a pas de sottise qui n'ait trouvé quelque philosophe pour la défendre : Nihil tam absurde dici potest quod non dicatur ab aliquo philosophorum. Sa seconde raison d'être est dans les mauvais penchants du cœur humain. Le matérialisme pratique, qui se réduit à quelques honteuses maximes, est toujours apparu aux époques de décomposition morale ou sociale, comme celles de la Régence et du Directoire. Le plus souvent, quand il a eu des visées plus hautes, le matérialisme philosophique a été une réaction contre les exigences exagérées des doctrines ultra-spiritualistes ou religieuses. Mais, de nos jours, il se produit avec un caractère nouveau ; il s'appelle scientifique. L'histoire naturelle serait toute la science de l'homme ; rien n'existerait de ce qu'elle n'a pas pour objet, et, comme elle n'a pas pour objet l'esprit, l'esprit n'existe pas.
Pour qui veut y songer, le matérialisme est bien, en effet, un péril, non pas de la science vraie, mais de la science incomplète et présomptueuse ; c'est une mauvaise plante qui croît sur son sol. D'où viennent les tendances matérialistes, plus ou moins accusées de tant de savants ? De leur constante occupation à étudier et à manipuler la matière ? Peut-être un peu. Mais elles viennent surtout de leurs habitudes d'esprit, de la pratique exclusive de leur méthode expérimentale. La méthode scientifique peut se réduire en ces termes : Ne recueillir que des faits, induire très prudemment la loi de ces faits, bannir absolument toutes recherches des causes. On ne s'étonnera pas, après cela, que des intelligences à courte vue, débiles par quelque endroit, déformées, comme nous le devenons tous par un même travail intellectuel ou physique trop continu, méconnaissent l'existence des faits moraux auxquels ne convient pas l'application de leur instrument logique, et, par une transmission insensible, passent de l'ignorance méthodique à la négation.
Cependant, si cette méthode exclusivement expérimentale peut se trouver en défaut, c'est bien dans l'étude de l'homme, être double, esprit et matière, dont l'organisme même ne peut être que le produit et l'instrument de la force cachée, mais essentiellement une, qui l'anime. On ne veut voir dans l'organisme humain qu'un agrégat matériel ! Pourquoi scinder l'homme et ne vouloir méthodiquement considérer en lui qu'un principe s'il y en a deux ? Peut-on se flatter au moins d'expliquer ainsi tous les phénomènes de la vie ? Le matérialisme physiologique, qui prépare au matérialisme philosophique, mais qui n'y conduit pas nécessairement, est frappé d'impuissance à chaque pas. La vie, quoi qu'on dise, est un mouvement, le mouvement de l'âme informant le corps ; et l'âme est ainsi le ressort qui meut et transporte, par une action inconnue et inconsciente, les éléments des corps vivants. En ramenant systématiquement l'étude de l'homme physique aux conditions de l'étude des corps inorganisés ; en ne voyant dans les forces vivantes de chaque partie de l'organisme que des propriétés de la matière ; en localisant ces forces dans chacune de ces parties ; en ne considérant la vie que comme une manifestation physique, un résultat, alors qu'elle est peut-être un principe ; en écartant l'unité du principe de vie comme une hypothèse quand ce peut être une réalité, sans doute on tombe dans le matérialisme physiologique, pour après glisser rapidement dans le matérialisme philosophique ; mais on conclut sur un dénombrement et un examen incomplets des faits ; on a cru ne marcher qu'appuyé sur l'observation, et l'on a écarté le fait capital qui domine et détermine tous les faits particuliers.
Le matérialisme de la nouvelle école n'est donc pas un résultat démontré de l'étude ; c'est une opinion préconçue. Le physiologiste n'admet pas l'esprit ; mais quoi d'étonnant ? c'est une cause, et il s'est mis à l'étude avec une méthode qui lui interdit précisément la recherche des causes. Nous ne voulons pas soumettre la cause du spiritualisme à une question de physiologie controversée et sur laquelle on pourrait nous récuser à bon droit. Le sens intime me révèle l'existence de l'âme avec une bien autre autorité. Quand le matérialisme physiologique serait aussi vrai qu'il est discutable, nos convictions spiritualistes ne resteraient pas moins entières. Fort du témoignage du sens intime, confirmé par l'assentiment de mille générations qui se sont succédé sur la terre, nous répéterions le vieil adage : « La vérité ne détruit pas la vérité, » et nous attendrions du temps que la conciliation se fît. Mais de quel poids ne se sent-on pas allégé quand on voit que, pour nier l'âme et donner cette déclaration comme un résultat de la science, le savant, de son propre aveu, est parti méthodiquement de cette idée que l'âme n'existe pas !
Nous avons lu bien des livres de physiologie, en général assez mal écrits ; ce qui nous a frappé, c'est le vice constant des raisonnements du physiologiste organicien quand il sort de son sujet pour se faire philosophe. On le voit constamment prendre un effet pour une cause, une faculté pour une substance, un attribut pour un être, confondre les existences et les forces, etc., et raisonner en conséquence. On croirait à une gageure. Quelquefois, il franchit d'incroyables distances sans se douter du chemin qu'il fait. Quel esprit exact et net, par exemple, a jamais pu comprendre cette pensée si connue de Cabanis et de Broussais que « le cerveau produit, sécrète la pensée ? » D'autres fois, l'homme positif, l'homme de la science, l'homme de l'observation et des faits, nous dira sérieusement que le cerveau « emmagasine des idées. » Encore un peu, il les dessinera. Est-ce métaphore ou galimatias ?
On ne demandera jamais à la science naturelle de prendre parti pour ou contre l'âme humaine ; mais que ne se résout-elle à ignorer ce qui n'est pas l'objet de ses investigations ? De quel droit ose-t-elle jurer qu'il n'y a rien après elle, après s'être fait une loi de ne pas voir ? Que ne garde-t-elle un peu de cette réserve qui nous convient si bien à tous, à ceux surtout qui ont la prétention de n'avancer qu'avec certitude ? A quel titre l'anatomiste prendra-t-il sur lui de déclarer que l'âme n'existe pas, parce qu'il ne l'a pas rencontrée sous son scalpel ? A-t-il au moins commencé par démontrer rigoureusement, scientifiquement, par des expériences et des faits, selon la méthode qu'il préconise, que son scalpel peut atteindre à tout, même à un principe immatériel ?
Quoi qu'il en soit de toutes ces questions, le matérialisme se disant scientifique, sans en valoir mieux pour cela, s'étale au grand jour, et il nous faut voir ce que serait le droit matérialiste. Hélas ! l'état social matérialiste nous offrirait un bien triste et honteux spectacle. Il est une chose d'abord certaine, c'est que, si l'homme n'existe que par son organisme, cette masse matérielle et automatique qui sera désormais tout l'homme, pourvu d'une encéphale pour sécréter des idées, sera irresponsable de tous les mouvements qu'elle produira[1]. Avec elle il ne faudra pas que l'encéphale d'une autre masse matérielle s'avise à sécréter des idées de justice ou d'injustice ; car ces idées de justice ou d'injustice ne sont applicables qu'à une force libre, existant par elle-même, capable de vouloir et de s'abstenir. On ne raisonne pas le torrent ou l'avalanche.
Donc la liberté, c'est-à-dire la volonté d'agir ou de ne point agir, n'existera pas ici-bas, et le droit pas davantage. Dans cet état, toutes les forces auront un plein et absolu pouvoir d'expansion. Tout sera légitime, licite, permis, disons même ordonné ; car il est clair que tout fait qui n'est pas l'acte d'une volonté libre, qui ne se produit pas comme un acte moralement obligatoire ou moralement défendu, est un fait obligé, qui peut bien venir se heurter à un fait contraire du même caractère, mais qui tombe comme tous les faits physiques sous l'empire inéluctable des lois naturelles.
Il suffit d'exposer de telles idées pour en faire justice. C'est le système de Spinoza, qui a très résolument posé le principe du droit de la force. Les forts, dit Spinoza, sont faits pour asservir les faibles au même titre que les poissons pour nager, et les plus grands pour manger les plus petits. Dans le système matérialiste, ce qu'on appellerait le droit ne saurait avoir un principe différent. Mais quel homme doué de sens oserait avouer un tel système, qui suffirait à lui seul à la réfutation du matérialisme, puisqu'il en découle nécessairement ? Veut-on cependant que ce principe de la force se trouve de fait limité par lui-même ? On ne gagnera rien, ou peu de chose, à ce flagrant démenti du principe. Admettons, si l'on veut, que la substance pensante (nous continuons à parler la langue des matérialistes) se concerte chez les individus pour régulariser cette expansion de la force, à quoi arrivera-t-elle ? Tout au plus à un ensemble de règles qui aura pour base l'intérêt, et encore, comme il n'y a d'autres lois que les lois de la matière, cette législation n'aura aucun caractère obligatoire ; chacun pourra l'enfreindre si sa matière pensante le lui conseille et si sa force le lui permet. Ainsi, dans cette singulière doctrine, on n'aurait pas même un état social construit sur le plan de la triste société de Hobbes.
Nous ne parlons encore que des conditions premières de tout état social. Mais, dans toute société civile, on consacre la propriété individuelle ; on contracte, on vend, on loue, on s'associe, etc. Le mariage fonde la famille ; tout un ordre nouveau de relations en naît. Par l'éducation du foyer et l'éducation publique, les traditions se perpétuent. Ainsi se forme un esprit national et se développe la civilisation. Notre société matérialiste aura-t-elle son droit civil ? Impossible de le supposer ; car le droit civil, dans son ensemble, a pour principe la justice, et la justice ne peut être qu'un mot, ou une contradiction dans une doctrine qui ne connaît que la matière et les propriétés de la matière. On arrive ainsi inévitablement à conclure (à moins de déraisonner à propos) que l'état civil de la société matérialiste, c'est l'état de bestialité.
Nous ne disons rien de trop en avançant que le matérialisme est destructif, non pas de telle morale, mais de toute morale ; non pas de tel état civil, mais de tout état civil, de toute société. Il faut reculer avec lui au delà des régions de la barbarie, au delà de la sauvagerie. Faut-il pour cela le proscrire ? A Dieu ne plaise. Son caractère ainsi reconnu, nous ne demanderions cependant pas que l'enseignement en fût interdit ; nous le défendrions au besoin contre toute compression par la force, pourvu que le professeur ne parlât qu'en son nom propre. La liberté nous est si chère (les lecteurs de ce journal le savent) ; elle porte avec elle de tels bienfaits ; nous avons une telle confiance dans le bon sens public, que nous ne concevrions aucune inquiétude de voir toute chaire, toute tribune ouverte à toute idée.
Mais la question ne se présenterait plus dans les mêmes termes s'il arrivait que le professeur parlât dans une chaire de l'État, rétribuée au budget. A tort ou à raison l'État enseigne ; peut-il enseigner des doctrines dont les conséquences les plus prochaines sont destructives de l'État ? Sera-t-il à la discrétion de tout professeur de faire endosser à l'État toutes les doctrines qu'il pourra concevoir ? La question n'en est pas une. Les professeurs de l'État sont des fonctionnaires publics ; leur enseignement ne peut être et il n'est qu'un enseignement officiel. L'état est garant de ce qu'ils disent ; il en répond vis-à-vis de la jeunesse et des familles. Si avec les grands mots d'indépendance du professorat, on récusait son contrôle, on se ferait oppresseur de l'État, par la plus hypocrite des oppressions, car on mettrait à son compte des doctrines qu'il désavoue.
Sans doute l'autorité supérieure doit à ses professeurs, souvent blanchis par l'étude, des égards, des ménagements, une grande confiance, comme à ses généraux, à ses administrateurs et à ses magistrats ; mais elle ne leur doit pas le sacrifice du mandat qu'elle est toujours présumée tenir du pays. Le professeur n'est pas plus indépendant de l'État que le général qui prendrait le commandement d'une insurrection.
H. Thiercelin.
[1] Comme le foie est indispensable de la bile qu'il sécrète.
Le journal « La Solidarité »
Le journal la Solidarité, dont nous avons parlé dans la Revue de juin 1868, page 176, continue à s'occuper de Spiritisme, avec le ton de discussion sérieuse qui caractérise cette feuille éminemment philosophique.
Sous le titre de : Recherches psychologiques à propos de Spiritisme, le numéro du 1er juillet contient un article dont nous extrayons les passages suivants :
« Il est bien peu de journaux qui puissent se dire indépendants. J'entends parler d'une véritable indépendance, celle qui permet de traiter un sujet sans préoccupation de parti, d'Eglise, d'école, de faculté, d'académie ; mieux que cela : sans préoccupation du public, de son propre public de lecteurs et d'abonnés, et en ne s'inquiétant que de rechercher la vérité et de la dire. La Solidarité a cet avantage bien rare de braver même les désabonnements, - car elle ne vit que de sacrifices, - et d'être trop haut placée dans les régions de la pensée pour avoir à craindre les flèches du ridicule.
En traitant du Spiritisme, nous savions que nous ne satisferions personne, ni les croyants, ni les incrédules ; personne, si ce n'est peut-être les gens qui n'ont aucun parti pris sur la question. Ceux-là savent qu'ils ne savent point. Ce sont les sages ; ils sont peu nombreux. »
L'auteur décrit ensuite le phénomène matériel des tables tournantes, qu'il explique par l'électricité humaine, en déclarant n'y rien voir qui accuse une intervention étrangère. C'est ce que nous avons dit dès le commencement.
Sous le titre de : Recherches psychologiques à propos de Spiritisme, le numéro du 1er juillet contient un article dont nous extrayons les passages suivants :
« Il est bien peu de journaux qui puissent se dire indépendants. J'entends parler d'une véritable indépendance, celle qui permet de traiter un sujet sans préoccupation de parti, d'Eglise, d'école, de faculté, d'académie ; mieux que cela : sans préoccupation du public, de son propre public de lecteurs et d'abonnés, et en ne s'inquiétant que de rechercher la vérité et de la dire. La Solidarité a cet avantage bien rare de braver même les désabonnements, - car elle ne vit que de sacrifices, - et d'être trop haut placée dans les régions de la pensée pour avoir à craindre les flèches du ridicule.
En traitant du Spiritisme, nous savions que nous ne satisferions personne, ni les croyants, ni les incrédules ; personne, si ce n'est peut-être les gens qui n'ont aucun parti pris sur la question. Ceux-là savent qu'ils ne savent point. Ce sont les sages ; ils sont peu nombreux. »
L'auteur décrit ensuite le phénomène matériel des tables tournantes, qu'il explique par l'électricité humaine, en déclarant n'y rien voir qui accuse une intervention étrangère. C'est ce que nous avons dit dès le commencement.
Il continue :
« Tant qu'on n'a qu'à expliquer le mouvement automatique des objets, on n'a pas besoin d'aller au delà de ce qui est acquis dans les sciences physiques. Mais la difficulté augmente lorsqu'on arrive aux phénomènes de nature intellectuelle.
La table, après s'être contentée de danser, se mit bientôt à répondre aux questions. Dès lors, comment douter qu'il y eût là une intelligence ? La croyance vague aux Esprits avait suscité le mouvement des objets matériels, car il est évident que sans cet a priori, jamais on ne se serait avisé de faire tourner les tables. Cette croyance, en se trouvant confirmée par les apparences, devait pousser à faire un pas de plus. Etant donné l'Esprit comme cause du mouvement des tables, la pensée devait venir de l'interroger.
Les premières manifestations intelligentes, dit M. Allan Kardec, eurent lieu au moyen de tables se levant et frappant avec un pied un nombre déterminé de coups, et répondant ainsi par oui ou par non, suivant la convention, à une question posée. On obtint ensuite des réponses plus développées par les lettres de l'alphabet : l'objet mobile frappant un nombre de coups correspondant au numéro d'ordre de chaque lettre, on arrivait ainsi à formuler des mots et des phrases répondant à des questions posées. La justesse des réponses, leur corrélation excitèrent l'étonnement. L'être mystérieux qui répondait ainsi, interrogé sur sa nature, déclara qu'il était Esprit ou Génie, se donna un nom et fournit divers renseignements sur son compte. »
Ce moyen de correspondance était long et incommode, comme le remarque très justement M. Allan Kardec. On ne tarda pas à lui substituer la corbeille, puis la planchette. Aujourd'hui, ces moyens sont généralement abandonnés, et les croyants s'en rapportent à ce qu'écrit machinalement la main du médium sous la dictée de l'Esprit.
Il est difficile de savoir qu'elle est la part du médium dans les produits plus ou moins inspirés de sa plume ; il n'est pas aisé non plus de déterminer le degré d'automatisme d'une corbeille ou d'une planchette lorsque ces objets sont placés sous des mains vivantes. Mais la correspondance par la table, si elle est lente et peu commode, permet de constater la passivité de l'instrument. Pour nous, le rapport intellectuel au moyen de la table est aussi bien établi que celui de la correspondance télégraphique. Le fait est réel. Seulement, il s'agit de savoir si le correspondant d'outre-tombe existe. Y a-t-il un Esprit, un être invisible avec lequel on correspond, ou bien les opérateurs sont-ils dupes d'une illusion et ne sont-ils en rapport qu'avec eux-mêmes ? Telle est la question.
Nous avons attribué à l'électricité émise par la machine humaine les mouvements mécaniques des tables, nous n'avons pas à chercher ailleurs que dans l'âme humaine l'agent qui imprime à ces mouvements un caractère d'intelligence. En se représentant l'électricité comme un fluide élastique d'une extrême subtilité qui s'interpose entre les molécules des corps et les entoure comme d'une atmosphère, on peut très bien comprendre que l'âme, grâce à cette enveloppe, fasse sentir son action sur toutes les parties du corps sans y occuper une place déterminée, et que l'unité du moi soit partout à la fois où peut atteindre son atmosphère. L'action par contact dépasse alors la périphérie du corps, et les vibrations éthéréennes ou fluidiques, en se communiquant d'une atmosphère à l'autre, peuvent produire entre les êtres en rapport, des effets à distance. Il y a là tout un monde à étudier. Les forces s'y influencent et s'y transforment selon les lois dynamiques qui nous sont connues, mais leurs effets varient avec le rythme des mouvements moléculaires et selon que ces mouvements s'exercent par vibration, ondulation ou oscillation. Mais, quoi qu'il en soit de ces théories qui sont loin d'avoir atteint la positivité nécessaire pour prendre rang dans la science, rien ne s'oppose à ce que nous regardions le moi humain comme étendant à la table l'action de sa spontanéité, en s'en servant comme d'un appendice à son système nerveux pour manifester des mouvements volontaires.
Ce qui le plus souvent fait illusion dans ces sortes de correspondances télégraphiques, c'est que le moi de chacun des assistants ne peut plus se reconnaître dans la résultante de la collectivité. La représentation subjective qui se fait dans l'esprit du médium par le concours de cette espèce de photographie peut ne ressembler à aucun des assistants, bien que la plupart sans doute en aient fourni quelque trait ; Cependant il est rare, si l'on observe avec soin, qu'on ne retrouve plus particulièrement l'image de l'un des opérateurs qui a été l'instrument passif de la force collective. Ce n'est pas un Esprit ultra mondain qui parle dans la salle, c'est l'esprit du médium, mais l'esprit du médium doublé peut-être de l'esprit de tel assistant qui le domine souvent à l'insu de l'un et de l'autre, et exalté par des forces qui lui viennent, comme de divers courants électromagnétiques, du concours donné par les assistants[1].
Nous avons vu bien des fois la personnalité du médium se trahir par des fautes d'orthographe, par des erreurs historiques ou géographiques qu'il commettait habituellement et qui ne pouvaient être attribuées à un Esprit véritablement distinct de sa propre personne.
Une chose des plus communes dans les phénomènes de cette nature, c'est la révélation de secrets que l'interrogateur ne croit connus de personne ; mais il oublie que ces secrets sont connus de celui qui interroge, et que le médium peut lire dans sa pensée. Il faut pour cela un certain rapport mental ; mais ce rapport s'établit par une dérivation du courant nerveux qui enveloppe chaque individu, à peu près comme on pourrait faire dévier l'étincelle électrique en interceptant la ligne télégraphique et y substituant un nouveau fil conducteur. Une telle faculté est beaucoup moins rare qu'on ne pense. La communication de pensée est un fait admis par toutes les personnes qui se sont occupées de magnétisme, et il est facile à chacun de se convaincre de la fréquence et de la réalité du phénomène.
Nous sommes obligés de glisser sur ces explications très imparfaites. Elles ne suffisent pas, nous le savons, pour infirmer la croyance aux Esprits chez ceux qui croient avoir des preuves sensibles de leur intervention.
Nous ne pouvons leur opposer des preuves de même nature. La croyance à des individualités spirituelles non seulement n'a rien d'irrationnel, mais nous la tenons pour toute naturelle. Notre conviction profonde, on le sait, est que le moi humain persiste dans son identité après la mort, et qu'il se retrouve après sa séparation de l'organisme terrestre avec toutes ses acquisitions antérieures. Que la personne humaine soit alors revêtue d'un organisme d'une nature éthéréenne, c'est ce qui nous paraît parfaitement probable. Le périsprit de ces messieurs ne nous répugne donc point. Qu'est-ce donc qui nous sépare ? Rien de fondamental. Rien, si ce n'est l'insuffisance de leurs preuves. Nous ne trouvons pas que les rapports spirites entre les morts et les vivants soient constatés par les mouvements des tables, par les correspondances, par les dictées. Nous croyons que les phénomènes physiques s'expliquent physiquement, et que les phénomènes psychiques sont causés par les forces inhérentes à l'âme des opérateurs. Nous parlons de ce que nous avons vu et étudié avec beaucoup de soin. Nous ne connaissons rien jusqu'ici parmi les inspirations des médiums qui n'ait pu être produit par un cerveau vivant sans le secours d'aucune force céleste, et la plupart de leurs productions sont au-dessous du niveau intellectuel du milieu dans lequel nous vivons.
Dans un prochain article, nous examinerons les doctrines philosophiques et religieuses du Spiritisme, et notamment celles dont M. Allan Kardec a présenté la synthèse dans son dernier volume, intitulé la Genèse selon le Spiritisme. »
Il y aurait sans doute beaucoup de choses à répondre sur cet article ; cependant nous ne le réfuterons pas, parce que ce serait répéter ce que nous avons maintes fois écrit sur le même sujet. Nous sommes heureux de reconnaître, avec l'auteur, que la distance qui le sépare encore de nous est peu de chose : ce n'est que le fait matériel des rapports directs entre le monde visible et le monde invisible ; et cependant ce peu de chose est beaucoup par ses conséquences.
Du reste il est à remarquer que, s'il n'admet pas ces rapports, il ne les nie pas non plus d'une manière absolue ; il ne répugne même pas à sa raison d'en concevoir la possibilité ; en effet, cette possibilité découle tout naturellement de ce qu'il admet. Ce qui lui manque, dit-il, ce sont les preuves du fait des communications. Eh bien ! ces preuves lui arriveront tôt ou tard ; il les trouvera soit dans l'observation attentive des circonstances qui accompagnent certaines communications médianimiques, soit dans l'innombrable variété des manifestations spontanées, qui se produisaient avant le Spiritisme, et se produisent encore chez des personnes qui ne le connaissent pas ou n'y croient pas, et chez lesquelles, par conséquent, on ne saurait admettre l'influence d'une idée préconçue. Il faudrait ignorer les premiers éléments du Spiritisme pour croire que le fait des manifestations ne se produit que chez les adeptes.
En attendant, et alors même que là devrait s'arrêter sa conviction, il serait à désirer que tous les matérialistes en fussent à ce point ; nous devons donc nous féliciter de le compter parmi les hommes de valeur tout au moins sympathiques à l'idée générale, et de voir un journal recommandable par son caractère sérieux et son indépendance, combattre avec nous l'incrédulité absolue en matière de spiritualité, aussi bien que les abus que l'on a fait du principe spirituel. Nous marchons au même but par des routes différentes, mais convergeant vers un point commun et se rapprochant de plus en plus par les idées ; quelques dissidences sur des questions de détail ne doivent pas nous empêcher de nous tendre la main.
En ce temps d'effervescence et d'aspiration vers un meilleur état de choses, chacun apporte sa pierre à l'édification du monde nouveau ; chacun travaille de son côté, avec les moyens qui lui sont propres ; le Spiritisme apporte son contingent qui n'est pas encore complet ; mais comme il n'est point exclusif, il ne rejette aucun concours ; il accepte le bien qui peut servir la grande cause de l'humanité, de quelque part qu'il vienne, fut-ce même de celle de ses adversaires.
Ainsi que nous l'avons dit en commençant, nous n'entreprendrons pas de réfuter la théorie exposée dans la Solidarité sur la source des manifestations intelligentes, nous n'en dirons que peu de mots.
Cette théorie n'est autre, comme on le voit, qu'un des premiers systèmes éclos à l'origine du Spiritisme, alors que l'expérience n'avait pas encore élucidé la question ; or, il est notoire que cette opinion est aujourd'hui réduite à quelques rares individualités. Si elle eût été dans le vrai, pourquoi n'aurait-elle pas prévalu ? Comment se ferait-il que des millions de Spirites qui expérimentent depuis quinze ans dans le monde entier et dans toutes les langues, qui se recrutent en majorité dans la classe éclairée, qui comptent dans leurs rangs des hommes de savoir et d'une incontestable valeur intellectuelle, telle que des médecins, des ingénieurs, des magistrats, etc., aient constaté la réalité des manifestations, si elle n'existait pas ? Peut-on raisonnablement admettre que tous se soient fait illusion ? Qu'il ne se soit point trouvé parmi eux des hommes doués d'assez de bon sens et de perspicacité pour reconnaître la véritable cause ? Cette théorie, comme nous l'avons dit, n'est pas nouvelle, et elle n'a pas passé inaperçue parmi les Spirites ; elle a, au contraire, été sérieusement méditée et explorée par eux, et c'est précisément parce qu'on l'a trouvée démentie par les faits, impuissante à les expliquer tous, qu'elle a été abandonnée.
C'est une grave erreur de croire que les Spirites sont venus avec l'idée préconçue de l'intervention des Esprits dans les manifestations ; s'il en a été ainsi de quelques-uns, la vérité est que le plus grand nombre n'est arrivé à la croyance qu'après avoir passé par le doute ou l'incrédulité.
C'est également une erreur de croire que, sans l'à priori de la croyance aux Esprits, jamais on ne se serait avisé de faire tourner les tables. Le phénomène des tables tournantes et parlantes était connu du temps de Tertullien, et en Chine de temps immémorial. En Tartarie et en Sibérie, on connaissait les tables volantes[2]. Dans certaines provinces d'Espagne, on se sert de tamis tenus en suspension par les pointes de ciseaux. Ceux qui interrogent croient-ils que ce sont des Esprits qui répondent ? Nullement ; demandez-leur ce que c'est, ils n'en savent rien : c'est la table, le tamis doués d'une puissance inconnue ; ils interrogent ces mouvements comme ceux de la baguette divinatoire, sans aller au delà du fait matériel.
Les phénomènes spirites modernes n'ont pas commencé par les tables, mais par les coups spontanés, frappés dans les murailles et les meubles ; ces bruits ont étonné, surpris ; leur mode de percussion avait quelque chose d'insolite, un caractère intentionnel, une persistance qui semblait appeler l'attention sur un point déterminé, comme lorsque quelqu'un frappe pour avertir. Les premiers mouvements de tables ou autres objets ont également été spontanés, comme ils le sont encore aujourd'hui chez certains individus qui n'ont aucune connaissance du Spiritisme. Il en est ici comme de la plupart des phénomènes naturels qui se produisent journellement, et passent néanmoins inaperçus, ou dont la cause reste ignorée, jusqu'au moment où des observateurs sérieux et plus éclairés y portent leur attention, les étudient et les explorent.
Ainsi, de deux théories contraires, nées à la même époque, l'une grandit avec le temps par suite de l'expérience, se généralise, tandis que l'autre s'éteint ; en faveur de laquelle y-a-t-il présomption de vérité et de survie ? Nous ne donnons pas cela comme une preuve, mais comme un fait qui mérite d'être pris en considération.
M. Fauvety s'appuie sur ce qu'il n'a rien trouvé dans les communications médianimiques qui dépasse la portée du cerveau humain ; c'est encore là une vieille objection cent fois réfutée par la doctrine spirite elle-même. Est-ce que le Spiritisme a jamais dit que les Esprits fussent des êtres en dehors de l'humanité ? Il vient au contraire détruire le préjugé qui en fait des êtres exceptionnels, anges ou démons, intermédiaires entre l'homme et la divinité, des espèces de demi-dieux.
Il repose sur ce principe que les Esprits ne sont autres que les hommes dépouillés de leur enveloppe matérielle ; que le monde visible se déverse incessamment dans le monde invisible par la mort, et celui-ci dans le monde charnel par les naissances.
Dès lors que les Esprits appartiennent à l'humanité, pourquoi voudrait-on qu'ils eussent un langage surhumain ? Nous savons que certains d'entre eux n'en savent pas plus, et souvent beaucoup moins que certains hommes, puisqu'ils s'instruisent avec ces derniers ; ceux qui étaient incapables de faire des chefs-d'œuvre de leur vivant, n'en feront pas davantage comme Esprits ; l'Esprit d'un Hottentot ne parlera pas comme un académicien, et l'Esprit d'un académicien, qui n'est qu'un être humain, ne parlera pas comme un dieu.
Ce n'est donc pas dans l'excentricité de leurs idées et de leurs pensées, dans la supériorité exceptionnelle de leur style, qu'il faut chercher la preuve de l'origine spirituelle des communications, mais dans les circonstances qui attestent que, dans une multitude de cas, la pensée ne peut venir d'un incarné, fût-elle même de la dernière trivialité.
De ces faits ressort la preuve de l'existence du monde invisible au milieu duquel nous vivons, et pour cela les Esprits du plus bas étage le prouvent tout aussi bien que les plus élevés. Or, l'existence du monde invisible au milieu de nous, partie intégrante de l'humanité terrestre, déversoir des âmes désincarnées, et source des âmes incarnées, est un fait capital, immense ; c'est toute une révolution dans les croyances ; c'est la clef du passé et de l'avenir de l'homme, qu'ont cherchée en vain toutes les philosophies, comme les savants ont en vain cherché la clef des mystères astronomiques, avant de connaître la loi de gravitation. Qu'on suive la filière des conséquences forcées de ce seul fait : l'existence du monde invisible autour de nous, et l'on arrive à une transformation complète, inévitable, dans les idées, à la destruction des préjugés et des abus qui en découlent, et, par suite, à une modification des rapports sociaux.
Voilà où aboutit le Spiritisme. Sa doctrine est le développement, la déduction des conséquences du fait principal dont il vient révéler l'existence ; ces conséquences sont innombrables, parce que, de proche en proche, elles touchent à toutes les branches de l'ordre social, au physique aussi bien qu'au moral. C'est ce que comprennent tous ceux qui se sont donné la peine de l'étudier sérieusement, et ce que l'on comprendra encore mieux plus tard, mais non ceux qui, n'en ayant vu que la superficie, se figurent qu'il est tout entier dans une table qui tourne ou dans de puériles questions d'identité d'Esprits.
Pour plus de développements sur certaines questions traitées dans cet article, nous renvoyons au premier chapitre de la Genèse : Caractère de la révélation spirite.[3]
[1] Voir, pour la réponse à plusieurs propositions contenues dans cet article, le Livre des Médiums, chap. iv, Systèmes. - Introduction du Livre des Esprits. - Qu'est-ce que le Spiritisme ? chap. i, Petite conférence.
[2] Revue spirite d'octobre 1859, page 279.
[3] Publié en brochure séparée ; prix 15 c., par la poste 20 c.
« Tant qu'on n'a qu'à expliquer le mouvement automatique des objets, on n'a pas besoin d'aller au delà de ce qui est acquis dans les sciences physiques. Mais la difficulté augmente lorsqu'on arrive aux phénomènes de nature intellectuelle.
La table, après s'être contentée de danser, se mit bientôt à répondre aux questions. Dès lors, comment douter qu'il y eût là une intelligence ? La croyance vague aux Esprits avait suscité le mouvement des objets matériels, car il est évident que sans cet a priori, jamais on ne se serait avisé de faire tourner les tables. Cette croyance, en se trouvant confirmée par les apparences, devait pousser à faire un pas de plus. Etant donné l'Esprit comme cause du mouvement des tables, la pensée devait venir de l'interroger.
Les premières manifestations intelligentes, dit M. Allan Kardec, eurent lieu au moyen de tables se levant et frappant avec un pied un nombre déterminé de coups, et répondant ainsi par oui ou par non, suivant la convention, à une question posée. On obtint ensuite des réponses plus développées par les lettres de l'alphabet : l'objet mobile frappant un nombre de coups correspondant au numéro d'ordre de chaque lettre, on arrivait ainsi à formuler des mots et des phrases répondant à des questions posées. La justesse des réponses, leur corrélation excitèrent l'étonnement. L'être mystérieux qui répondait ainsi, interrogé sur sa nature, déclara qu'il était Esprit ou Génie, se donna un nom et fournit divers renseignements sur son compte. »
Ce moyen de correspondance était long et incommode, comme le remarque très justement M. Allan Kardec. On ne tarda pas à lui substituer la corbeille, puis la planchette. Aujourd'hui, ces moyens sont généralement abandonnés, et les croyants s'en rapportent à ce qu'écrit machinalement la main du médium sous la dictée de l'Esprit.
Il est difficile de savoir qu'elle est la part du médium dans les produits plus ou moins inspirés de sa plume ; il n'est pas aisé non plus de déterminer le degré d'automatisme d'une corbeille ou d'une planchette lorsque ces objets sont placés sous des mains vivantes. Mais la correspondance par la table, si elle est lente et peu commode, permet de constater la passivité de l'instrument. Pour nous, le rapport intellectuel au moyen de la table est aussi bien établi que celui de la correspondance télégraphique. Le fait est réel. Seulement, il s'agit de savoir si le correspondant d'outre-tombe existe. Y a-t-il un Esprit, un être invisible avec lequel on correspond, ou bien les opérateurs sont-ils dupes d'une illusion et ne sont-ils en rapport qu'avec eux-mêmes ? Telle est la question.
Nous avons attribué à l'électricité émise par la machine humaine les mouvements mécaniques des tables, nous n'avons pas à chercher ailleurs que dans l'âme humaine l'agent qui imprime à ces mouvements un caractère d'intelligence. En se représentant l'électricité comme un fluide élastique d'une extrême subtilité qui s'interpose entre les molécules des corps et les entoure comme d'une atmosphère, on peut très bien comprendre que l'âme, grâce à cette enveloppe, fasse sentir son action sur toutes les parties du corps sans y occuper une place déterminée, et que l'unité du moi soit partout à la fois où peut atteindre son atmosphère. L'action par contact dépasse alors la périphérie du corps, et les vibrations éthéréennes ou fluidiques, en se communiquant d'une atmosphère à l'autre, peuvent produire entre les êtres en rapport, des effets à distance. Il y a là tout un monde à étudier. Les forces s'y influencent et s'y transforment selon les lois dynamiques qui nous sont connues, mais leurs effets varient avec le rythme des mouvements moléculaires et selon que ces mouvements s'exercent par vibration, ondulation ou oscillation. Mais, quoi qu'il en soit de ces théories qui sont loin d'avoir atteint la positivité nécessaire pour prendre rang dans la science, rien ne s'oppose à ce que nous regardions le moi humain comme étendant à la table l'action de sa spontanéité, en s'en servant comme d'un appendice à son système nerveux pour manifester des mouvements volontaires.
Ce qui le plus souvent fait illusion dans ces sortes de correspondances télégraphiques, c'est que le moi de chacun des assistants ne peut plus se reconnaître dans la résultante de la collectivité. La représentation subjective qui se fait dans l'esprit du médium par le concours de cette espèce de photographie peut ne ressembler à aucun des assistants, bien que la plupart sans doute en aient fourni quelque trait ; Cependant il est rare, si l'on observe avec soin, qu'on ne retrouve plus particulièrement l'image de l'un des opérateurs qui a été l'instrument passif de la force collective. Ce n'est pas un Esprit ultra mondain qui parle dans la salle, c'est l'esprit du médium, mais l'esprit du médium doublé peut-être de l'esprit de tel assistant qui le domine souvent à l'insu de l'un et de l'autre, et exalté par des forces qui lui viennent, comme de divers courants électromagnétiques, du concours donné par les assistants[1].
Nous avons vu bien des fois la personnalité du médium se trahir par des fautes d'orthographe, par des erreurs historiques ou géographiques qu'il commettait habituellement et qui ne pouvaient être attribuées à un Esprit véritablement distinct de sa propre personne.
Une chose des plus communes dans les phénomènes de cette nature, c'est la révélation de secrets que l'interrogateur ne croit connus de personne ; mais il oublie que ces secrets sont connus de celui qui interroge, et que le médium peut lire dans sa pensée. Il faut pour cela un certain rapport mental ; mais ce rapport s'établit par une dérivation du courant nerveux qui enveloppe chaque individu, à peu près comme on pourrait faire dévier l'étincelle électrique en interceptant la ligne télégraphique et y substituant un nouveau fil conducteur. Une telle faculté est beaucoup moins rare qu'on ne pense. La communication de pensée est un fait admis par toutes les personnes qui se sont occupées de magnétisme, et il est facile à chacun de se convaincre de la fréquence et de la réalité du phénomène.
Nous sommes obligés de glisser sur ces explications très imparfaites. Elles ne suffisent pas, nous le savons, pour infirmer la croyance aux Esprits chez ceux qui croient avoir des preuves sensibles de leur intervention.
Nous ne pouvons leur opposer des preuves de même nature. La croyance à des individualités spirituelles non seulement n'a rien d'irrationnel, mais nous la tenons pour toute naturelle. Notre conviction profonde, on le sait, est que le moi humain persiste dans son identité après la mort, et qu'il se retrouve après sa séparation de l'organisme terrestre avec toutes ses acquisitions antérieures. Que la personne humaine soit alors revêtue d'un organisme d'une nature éthéréenne, c'est ce qui nous paraît parfaitement probable. Le périsprit de ces messieurs ne nous répugne donc point. Qu'est-ce donc qui nous sépare ? Rien de fondamental. Rien, si ce n'est l'insuffisance de leurs preuves. Nous ne trouvons pas que les rapports spirites entre les morts et les vivants soient constatés par les mouvements des tables, par les correspondances, par les dictées. Nous croyons que les phénomènes physiques s'expliquent physiquement, et que les phénomènes psychiques sont causés par les forces inhérentes à l'âme des opérateurs. Nous parlons de ce que nous avons vu et étudié avec beaucoup de soin. Nous ne connaissons rien jusqu'ici parmi les inspirations des médiums qui n'ait pu être produit par un cerveau vivant sans le secours d'aucune force céleste, et la plupart de leurs productions sont au-dessous du niveau intellectuel du milieu dans lequel nous vivons.
Dans un prochain article, nous examinerons les doctrines philosophiques et religieuses du Spiritisme, et notamment celles dont M. Allan Kardec a présenté la synthèse dans son dernier volume, intitulé la Genèse selon le Spiritisme. »
Il y aurait sans doute beaucoup de choses à répondre sur cet article ; cependant nous ne le réfuterons pas, parce que ce serait répéter ce que nous avons maintes fois écrit sur le même sujet. Nous sommes heureux de reconnaître, avec l'auteur, que la distance qui le sépare encore de nous est peu de chose : ce n'est que le fait matériel des rapports directs entre le monde visible et le monde invisible ; et cependant ce peu de chose est beaucoup par ses conséquences.
Du reste il est à remarquer que, s'il n'admet pas ces rapports, il ne les nie pas non plus d'une manière absolue ; il ne répugne même pas à sa raison d'en concevoir la possibilité ; en effet, cette possibilité découle tout naturellement de ce qu'il admet. Ce qui lui manque, dit-il, ce sont les preuves du fait des communications. Eh bien ! ces preuves lui arriveront tôt ou tard ; il les trouvera soit dans l'observation attentive des circonstances qui accompagnent certaines communications médianimiques, soit dans l'innombrable variété des manifestations spontanées, qui se produisaient avant le Spiritisme, et se produisent encore chez des personnes qui ne le connaissent pas ou n'y croient pas, et chez lesquelles, par conséquent, on ne saurait admettre l'influence d'une idée préconçue. Il faudrait ignorer les premiers éléments du Spiritisme pour croire que le fait des manifestations ne se produit que chez les adeptes.
En attendant, et alors même que là devrait s'arrêter sa conviction, il serait à désirer que tous les matérialistes en fussent à ce point ; nous devons donc nous féliciter de le compter parmi les hommes de valeur tout au moins sympathiques à l'idée générale, et de voir un journal recommandable par son caractère sérieux et son indépendance, combattre avec nous l'incrédulité absolue en matière de spiritualité, aussi bien que les abus que l'on a fait du principe spirituel. Nous marchons au même but par des routes différentes, mais convergeant vers un point commun et se rapprochant de plus en plus par les idées ; quelques dissidences sur des questions de détail ne doivent pas nous empêcher de nous tendre la main.
En ce temps d'effervescence et d'aspiration vers un meilleur état de choses, chacun apporte sa pierre à l'édification du monde nouveau ; chacun travaille de son côté, avec les moyens qui lui sont propres ; le Spiritisme apporte son contingent qui n'est pas encore complet ; mais comme il n'est point exclusif, il ne rejette aucun concours ; il accepte le bien qui peut servir la grande cause de l'humanité, de quelque part qu'il vienne, fut-ce même de celle de ses adversaires.
Ainsi que nous l'avons dit en commençant, nous n'entreprendrons pas de réfuter la théorie exposée dans la Solidarité sur la source des manifestations intelligentes, nous n'en dirons que peu de mots.
Cette théorie n'est autre, comme on le voit, qu'un des premiers systèmes éclos à l'origine du Spiritisme, alors que l'expérience n'avait pas encore élucidé la question ; or, il est notoire que cette opinion est aujourd'hui réduite à quelques rares individualités. Si elle eût été dans le vrai, pourquoi n'aurait-elle pas prévalu ? Comment se ferait-il que des millions de Spirites qui expérimentent depuis quinze ans dans le monde entier et dans toutes les langues, qui se recrutent en majorité dans la classe éclairée, qui comptent dans leurs rangs des hommes de savoir et d'une incontestable valeur intellectuelle, telle que des médecins, des ingénieurs, des magistrats, etc., aient constaté la réalité des manifestations, si elle n'existait pas ? Peut-on raisonnablement admettre que tous se soient fait illusion ? Qu'il ne se soit point trouvé parmi eux des hommes doués d'assez de bon sens et de perspicacité pour reconnaître la véritable cause ? Cette théorie, comme nous l'avons dit, n'est pas nouvelle, et elle n'a pas passé inaperçue parmi les Spirites ; elle a, au contraire, été sérieusement méditée et explorée par eux, et c'est précisément parce qu'on l'a trouvée démentie par les faits, impuissante à les expliquer tous, qu'elle a été abandonnée.
C'est une grave erreur de croire que les Spirites sont venus avec l'idée préconçue de l'intervention des Esprits dans les manifestations ; s'il en a été ainsi de quelques-uns, la vérité est que le plus grand nombre n'est arrivé à la croyance qu'après avoir passé par le doute ou l'incrédulité.
C'est également une erreur de croire que, sans l'à priori de la croyance aux Esprits, jamais on ne se serait avisé de faire tourner les tables. Le phénomène des tables tournantes et parlantes était connu du temps de Tertullien, et en Chine de temps immémorial. En Tartarie et en Sibérie, on connaissait les tables volantes[2]. Dans certaines provinces d'Espagne, on se sert de tamis tenus en suspension par les pointes de ciseaux. Ceux qui interrogent croient-ils que ce sont des Esprits qui répondent ? Nullement ; demandez-leur ce que c'est, ils n'en savent rien : c'est la table, le tamis doués d'une puissance inconnue ; ils interrogent ces mouvements comme ceux de la baguette divinatoire, sans aller au delà du fait matériel.
Les phénomènes spirites modernes n'ont pas commencé par les tables, mais par les coups spontanés, frappés dans les murailles et les meubles ; ces bruits ont étonné, surpris ; leur mode de percussion avait quelque chose d'insolite, un caractère intentionnel, une persistance qui semblait appeler l'attention sur un point déterminé, comme lorsque quelqu'un frappe pour avertir. Les premiers mouvements de tables ou autres objets ont également été spontanés, comme ils le sont encore aujourd'hui chez certains individus qui n'ont aucune connaissance du Spiritisme. Il en est ici comme de la plupart des phénomènes naturels qui se produisent journellement, et passent néanmoins inaperçus, ou dont la cause reste ignorée, jusqu'au moment où des observateurs sérieux et plus éclairés y portent leur attention, les étudient et les explorent.
Ainsi, de deux théories contraires, nées à la même époque, l'une grandit avec le temps par suite de l'expérience, se généralise, tandis que l'autre s'éteint ; en faveur de laquelle y-a-t-il présomption de vérité et de survie ? Nous ne donnons pas cela comme une preuve, mais comme un fait qui mérite d'être pris en considération.
M. Fauvety s'appuie sur ce qu'il n'a rien trouvé dans les communications médianimiques qui dépasse la portée du cerveau humain ; c'est encore là une vieille objection cent fois réfutée par la doctrine spirite elle-même. Est-ce que le Spiritisme a jamais dit que les Esprits fussent des êtres en dehors de l'humanité ? Il vient au contraire détruire le préjugé qui en fait des êtres exceptionnels, anges ou démons, intermédiaires entre l'homme et la divinité, des espèces de demi-dieux.
Il repose sur ce principe que les Esprits ne sont autres que les hommes dépouillés de leur enveloppe matérielle ; que le monde visible se déverse incessamment dans le monde invisible par la mort, et celui-ci dans le monde charnel par les naissances.
Dès lors que les Esprits appartiennent à l'humanité, pourquoi voudrait-on qu'ils eussent un langage surhumain ? Nous savons que certains d'entre eux n'en savent pas plus, et souvent beaucoup moins que certains hommes, puisqu'ils s'instruisent avec ces derniers ; ceux qui étaient incapables de faire des chefs-d'œuvre de leur vivant, n'en feront pas davantage comme Esprits ; l'Esprit d'un Hottentot ne parlera pas comme un académicien, et l'Esprit d'un académicien, qui n'est qu'un être humain, ne parlera pas comme un dieu.
Ce n'est donc pas dans l'excentricité de leurs idées et de leurs pensées, dans la supériorité exceptionnelle de leur style, qu'il faut chercher la preuve de l'origine spirituelle des communications, mais dans les circonstances qui attestent que, dans une multitude de cas, la pensée ne peut venir d'un incarné, fût-elle même de la dernière trivialité.
De ces faits ressort la preuve de l'existence du monde invisible au milieu duquel nous vivons, et pour cela les Esprits du plus bas étage le prouvent tout aussi bien que les plus élevés. Or, l'existence du monde invisible au milieu de nous, partie intégrante de l'humanité terrestre, déversoir des âmes désincarnées, et source des âmes incarnées, est un fait capital, immense ; c'est toute une révolution dans les croyances ; c'est la clef du passé et de l'avenir de l'homme, qu'ont cherchée en vain toutes les philosophies, comme les savants ont en vain cherché la clef des mystères astronomiques, avant de connaître la loi de gravitation. Qu'on suive la filière des conséquences forcées de ce seul fait : l'existence du monde invisible autour de nous, et l'on arrive à une transformation complète, inévitable, dans les idées, à la destruction des préjugés et des abus qui en découlent, et, par suite, à une modification des rapports sociaux.
Voilà où aboutit le Spiritisme. Sa doctrine est le développement, la déduction des conséquences du fait principal dont il vient révéler l'existence ; ces conséquences sont innombrables, parce que, de proche en proche, elles touchent à toutes les branches de l'ordre social, au physique aussi bien qu'au moral. C'est ce que comprennent tous ceux qui se sont donné la peine de l'étudier sérieusement, et ce que l'on comprendra encore mieux plus tard, mais non ceux qui, n'en ayant vu que la superficie, se figurent qu'il est tout entier dans une table qui tourne ou dans de puériles questions d'identité d'Esprits.
Pour plus de développements sur certaines questions traitées dans cet article, nous renvoyons au premier chapitre de la Genèse : Caractère de la révélation spirite.[3]
[1] Voir, pour la réponse à plusieurs propositions contenues dans cet article, le Livre des Médiums, chap. iv, Systèmes. - Introduction du Livre des Esprits. - Qu'est-ce que le Spiritisme ? chap. i, Petite conférence.
[2] Revue spirite d'octobre 1859, page 279.
[3] Publié en brochure séparée ; prix 15 c., par la poste 20 c.
Le parti spirite
Un de nos correspondants de Sens nous a transmis les observations suivantes sur la qualification de parti donné au Spiritisme, à propos de notre article du mois de juillet sur le même sujet.
« Dans un article du dernier numéro de la Revue, intitulé : Le parti spirite, vous dites que puisqu'on donne ce nom au Spiritisme, il l'accepte. Mais doit-il l'accepter ? cela mérite peut-être un examen sérieux.
Toutes les religions, ainsi que le Spiritisme, n'enseignent-elles pas que tous les hommes sont frères, qu'ils sont tous les enfants d'un père commun qui est Dieu ? Or, devrait-il y avoir des partis parmi les enfants de Dieu ? N'est-ce pas une offense au Créateur ? car le propre des partis est d'armer les hommes les uns contre les autres ; et l'imagination peut-elle concevoir un plus grand crime que d'armer les enfants de Dieu les uns contre les autres ?
Telles sont, monsieur, les réflexions que j'ai cru devoir soumettre à notre appréciation ; peut-être serait-il opportun de les soumettre aussi à celle des bienveillants Esprits qui guident les travaux du Spiritisme, afin de connaître leur avis. Cette question est peut-être plus grave qu'elle ne le paraît au premier abord ; pour ma part, il me répugnerait d'appartenir à un parti ; je crois que le Spiritisme doit considérer les partis comme une offense à Dieu. »
Nous sommes parfaitement de l'avis de notre honorable correspondant, dont nous ne pouvons que louer l'intention ; nous croyons, cependant, ses scrupules un peu exagérés dans le cas dont il s'agit, faute sans doute d'avoir suffisamment examiné la question.
Le mot parti implique, par son étymologie, l'idée de division, de scission, et, par suite, celle de lutte, d'agression, de violence, d'intolérance, de haine, d'animosité, de vindication, toutes choses contraires à l'esprit du Spiritisme. Le Spiritisme n'ayant aucun de ces caractères puisqu'il les répudie, par ses tendances mêmes n'est point un parti par l'acception vulgaire du mot, et notre correspondant a grandement raison de repousser cette qualification à ce point de vue.
Mais au nom de parti s'attache aussi l'idée d'une puissance, physique ou morale, assez forte pour peser dans la balance, assez prépondérante pour qu'on ait à compter avec elle ; en l'appliquant au Spiritisme, peu connu ou méconnu, c'était lui donner un acte de notoriété d'existence, un rang parmi les opinions, constater son importance, et, comme conséquence, en provoquer l'examen, ce qu'il ne cesse de demander. Sous ce rapport, il devait d'autant moins répudier cette qualification, tout en faisant ses réserves sur le sens à y attacher, que, partie de haut, elle donnait un démenti officiel à ceux qui prétendent que le Spiritisme est un mythe sans consistance, qu'ils s'étaient flattés d'avoir vingt fois enterré. On a pu juger de la portée de ce mot à l'ardeur maladroite avec laquelle certains organes de la presse s'en sont emparés pour en faire un épouvantail.
C'est par cette considération, et dans ce sens, que nous avons dit que le Spiritisme accepte le titre de parti, puisqu'on le lui donne, car c'était le grandir aux yeux du public ; mais nous n'avons point entendu lui faire perdre sa qualité essentielle, celle de doctrine philosophique moralisatrice, qui fait sa gloire et sa force ; loin de nous donc la pensée de transformer en partisans les adeptes d'une doctrine de paix, de tolérance, de charité et de fraternité. Le mot parti, d'ailleurs, n'implique pas toujours l'idée de lutte, de sentiments hostiles ; ne dit-on pas : le parti de la paix, le parti des honnêtes gens ? Le Spiritisme a déjà prouvé, et prouvera toujours qu'il appartient à cette catégorie.
Du reste, quoi qu'il fasse, le Spiritisme ne peut s'empêcher d'être un parti. Qu'est-ce, en effet, qu'un parti, abstraction faite de l'idée de lutte ? c'est une opinion qui n'est partagée que par une partie de la population ; mais cette qualification n'est donnée qu'aux opinions qui comptent un nombre d'adhérents assez considérable pour appeler l'attention et jouer un rôle. Or, l'opinion spirite n'étant pas encore celle de tout le monde, est nécessairement un parti par rapport aux opinions contraires qui le combattent, jusqu'à ce qu'il les ait ralliées toutes. En vertu de ses principes, il n'est pas agressif ; il ne s'impose pas ; il ne subjugue pas ; il ne demande pour lui que la liberté de penser à sa manière, soit ; mais du moment qu'il est attaqué, traité en paria, il doit se défendre, et revendiquer pour lui ce qui est de droit commun ; il le doit, c'est son devoir, sous peine d'être accusé de renier sa cause qui est celle de tous ses frères en croyance, qu'il ne pourrait abandonner sans lâcheté. Il entre donc forcément en lutte, quelque répugnance qu'il en éprouve ; il n'est l'ennemi de personne, c'est vrai ; mais il a des ennemis qui cherchent à l'écraser : c'est par sa fermeté, sa persévérance et son courage qu'il leur imposera ; ses armes sont tout autres que celles de ses adversaires, c'est encore vrai ; mais il n'en est pas moins pour eux, et malgré lui, un parti, car ils ne lui auraient pas donné ce titre, s'ils ne l'avaient pas jugé assez fort pour les contrebalancer.
Tels sont les motifs pour lesquels nous avons cru que le Spiritisme pouvait accepter la qualification de parti qui lui était donnée par ses antagonistes, sans qu'il l'ait prise de lui-même, parce que c'était relever le gant qui lui était jeté ; nous avons pensé qu'il le pouvait sans répudier ses principes.
« Dans un article du dernier numéro de la Revue, intitulé : Le parti spirite, vous dites que puisqu'on donne ce nom au Spiritisme, il l'accepte. Mais doit-il l'accepter ? cela mérite peut-être un examen sérieux.
Toutes les religions, ainsi que le Spiritisme, n'enseignent-elles pas que tous les hommes sont frères, qu'ils sont tous les enfants d'un père commun qui est Dieu ? Or, devrait-il y avoir des partis parmi les enfants de Dieu ? N'est-ce pas une offense au Créateur ? car le propre des partis est d'armer les hommes les uns contre les autres ; et l'imagination peut-elle concevoir un plus grand crime que d'armer les enfants de Dieu les uns contre les autres ?
Telles sont, monsieur, les réflexions que j'ai cru devoir soumettre à notre appréciation ; peut-être serait-il opportun de les soumettre aussi à celle des bienveillants Esprits qui guident les travaux du Spiritisme, afin de connaître leur avis. Cette question est peut-être plus grave qu'elle ne le paraît au premier abord ; pour ma part, il me répugnerait d'appartenir à un parti ; je crois que le Spiritisme doit considérer les partis comme une offense à Dieu. »
Nous sommes parfaitement de l'avis de notre honorable correspondant, dont nous ne pouvons que louer l'intention ; nous croyons, cependant, ses scrupules un peu exagérés dans le cas dont il s'agit, faute sans doute d'avoir suffisamment examiné la question.
Le mot parti implique, par son étymologie, l'idée de division, de scission, et, par suite, celle de lutte, d'agression, de violence, d'intolérance, de haine, d'animosité, de vindication, toutes choses contraires à l'esprit du Spiritisme. Le Spiritisme n'ayant aucun de ces caractères puisqu'il les répudie, par ses tendances mêmes n'est point un parti par l'acception vulgaire du mot, et notre correspondant a grandement raison de repousser cette qualification à ce point de vue.
Mais au nom de parti s'attache aussi l'idée d'une puissance, physique ou morale, assez forte pour peser dans la balance, assez prépondérante pour qu'on ait à compter avec elle ; en l'appliquant au Spiritisme, peu connu ou méconnu, c'était lui donner un acte de notoriété d'existence, un rang parmi les opinions, constater son importance, et, comme conséquence, en provoquer l'examen, ce qu'il ne cesse de demander. Sous ce rapport, il devait d'autant moins répudier cette qualification, tout en faisant ses réserves sur le sens à y attacher, que, partie de haut, elle donnait un démenti officiel à ceux qui prétendent que le Spiritisme est un mythe sans consistance, qu'ils s'étaient flattés d'avoir vingt fois enterré. On a pu juger de la portée de ce mot à l'ardeur maladroite avec laquelle certains organes de la presse s'en sont emparés pour en faire un épouvantail.
C'est par cette considération, et dans ce sens, que nous avons dit que le Spiritisme accepte le titre de parti, puisqu'on le lui donne, car c'était le grandir aux yeux du public ; mais nous n'avons point entendu lui faire perdre sa qualité essentielle, celle de doctrine philosophique moralisatrice, qui fait sa gloire et sa force ; loin de nous donc la pensée de transformer en partisans les adeptes d'une doctrine de paix, de tolérance, de charité et de fraternité. Le mot parti, d'ailleurs, n'implique pas toujours l'idée de lutte, de sentiments hostiles ; ne dit-on pas : le parti de la paix, le parti des honnêtes gens ? Le Spiritisme a déjà prouvé, et prouvera toujours qu'il appartient à cette catégorie.
Du reste, quoi qu'il fasse, le Spiritisme ne peut s'empêcher d'être un parti. Qu'est-ce, en effet, qu'un parti, abstraction faite de l'idée de lutte ? c'est une opinion qui n'est partagée que par une partie de la population ; mais cette qualification n'est donnée qu'aux opinions qui comptent un nombre d'adhérents assez considérable pour appeler l'attention et jouer un rôle. Or, l'opinion spirite n'étant pas encore celle de tout le monde, est nécessairement un parti par rapport aux opinions contraires qui le combattent, jusqu'à ce qu'il les ait ralliées toutes. En vertu de ses principes, il n'est pas agressif ; il ne s'impose pas ; il ne subjugue pas ; il ne demande pour lui que la liberté de penser à sa manière, soit ; mais du moment qu'il est attaqué, traité en paria, il doit se défendre, et revendiquer pour lui ce qui est de droit commun ; il le doit, c'est son devoir, sous peine d'être accusé de renier sa cause qui est celle de tous ses frères en croyance, qu'il ne pourrait abandonner sans lâcheté. Il entre donc forcément en lutte, quelque répugnance qu'il en éprouve ; il n'est l'ennemi de personne, c'est vrai ; mais il a des ennemis qui cherchent à l'écraser : c'est par sa fermeté, sa persévérance et son courage qu'il leur imposera ; ses armes sont tout autres que celles de ses adversaires, c'est encore vrai ; mais il n'en est pas moins pour eux, et malgré lui, un parti, car ils ne lui auraient pas donné ce titre, s'ils ne l'avaient pas jugé assez fort pour les contrebalancer.
Tels sont les motifs pour lesquels nous avons cru que le Spiritisme pouvait accepter la qualification de parti qui lui était donnée par ses antagonistes, sans qu'il l'ait prise de lui-même, parce que c'était relever le gant qui lui était jeté ; nous avons pensé qu'il le pouvait sans répudier ses principes.
Persécutions
Vers la fin de 1864, une persécution fut prêchée contre le Spiritisme, dans plusieurs villes du Midi, et suivie de quelques effets. Voici un extrait de l'un de ces sermons qui nous fut envoyé dans le temps, avec toutes les indications nécessaires pour en constater l'authenticité ; on appréciera notre réserve à ne citer ni les lieux, ni les personnes :
« Fuyez, chrétiens ; fuyez ces hommes perdus, et ces mauvaises femmes qui s'adonnent à des pratiques que l'Église condamne ! N'ayez aucun commerce avec ces fous et ces femmes folles ; abandonnez-les à un isolement absolu. Fuyez-les comme des gens dangereux. Ne les souffrez pas à vos côtés, et chassez-les du lieu saint, dont leur indignité leur interdit l'accès.
Voyez ces hommes perdus et ces mauvaises femmes qui se cachent dans l'ombre, et qui se réunissent dans le secret pour propager leurs ignobles doctrines ; suivez-les avec moi dans leurs repaires ; ne dirait-on pas des conspirateurs de bas étage se plaisant dans les ténèbres pour y former leurs infâmes complots ? Ils conspirent hautement, en effet, à l'aide de Satan, contre notre sainte mère l'Église que Jésus a établie pour régner sur la terre. Que font-ils encore, ces hommes impies et ces femmes éhontées ? Ils blasphèment Dieu ; ils nient les sublimes vérités qui, pendant des siècles, ont inspiré le plus profond respect à leurs ancêtres ; ils se parent d'une fausse charité dont ils ne connaissent que le nom, et ils s'en servent de manteau pour cacher leur ambition ! Ils s'introduisent, comme des loups ravisseurs, dans vos demeures pour séduire vos filles et vos femmes et ils veulent vous perdre tous sans retour ; mais vous les chasserez de votre présence comme des êtres malfaisants !
Vous avez compris, chrétiens ! quels sont ceux que je signale à votre réprobation ! Ce sont les Spirites ! Et pourquoi ne les nommerais-je pas ? Il est temps de les repousser et de maudire leurs doctrines infernales ! »
Les sermons dans le genre de celui-ci étaient à l'ordre du jour à cette époque. Si nous exhumons ce document de nos archives, après quatre années, c'est pour répondre à la qualification de parti dangereux donnée ces derniers temps aux Spirites par certains organes de la presse. Dans la circonstance précitée, de quel côté a été l'agression, la provocation, en un mot l'esprit de parti ? Pouvait-on pousser plus loin l'excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres, à la division des familles ? De telles prédications ne rappellent-elles pas celles de l'époque désastreuse où ces mêmes contrées étaient ensanglantées par les guerres de religion, où le père était armé contre le fils, et le fils contre le père ? Nous ne les jugeons pas au point de vue de la charité évangélique, mais à celui de la prudence. Est-il bien politique d'exciter ainsi les passions fanatiques dans un pays où le passé est encore si vivace ? où l'autorité a souvent de la peine à prévenir les conflits ? Est-il prudent d'y promener à nouveau les brandons de la discorde ? Voudrait-on donc y renouveler la croisade contre les Albigeois et la guerre des Cévennes ? Que de pareils sermons aient été prêchés contre les protestants, et des représailles sanglantes étaient inévitables. On s'en prend aujourd'hui au Spiritisme, parce que n'ayant pas encore d'existence légale, on se croit tout permis à son égard.
Eh bien ! quelle a été de tout temps l'attitude des Spirites en présence des attaques dont ils ont été l'objet ? Celle du calme et de la modération. Ne devrait-on pas bénir une doctrine dont la puissance est assez grande pour mettre un frein aux passions turbulentes et vindicatives ? Remarquez cependant que les Spirites ne forment nulle part un corps constitué ; qu'ils ne sont point enrégimentés en congrégations obéissant à un mot d'ordre ; qu'il n'y a entre eux aucune affiliation patente ou secrète ; ils subissent tout simplement et individuellement l'influence d'une idée philosophique, et cette idée, librement acceptée par la raison et non imposée, suffit pour modifier leurs tendances, parce qu'ils ont la conscience d'être dans le vrai. Ils voient cette idée grandir sans cesse, s'infiltrer partout, gagner chaque jour du terrain ; ils ont foi en son avenir, parce qu'elle est selon les principes de l'éternelle justice, qu'elle répond aux besoins sociaux, et qu'elle s'identifie avec le progrès dont la marche est irrésistible ; c'est pourquoi ils sont calmes devant les attaques dont elle est l'objet ; ils croiraient donner une preuve de défiance dans sa force, s'ils la soutenaient par la violence et par des moyens matériels. Ils se rient de ces attaques, puisqu'elles n'ont abouti qu'à la propager plus rapidement en attestant son importance.
Mais les attaques ne se bornent pas à l'idée. Bien que la croisade contre les Spirites ne soit plus ouvertement prêchée, comme elle l'était il y a quelques années, leurs adversaires n'en sont devenus ni plus bienveillants, ni plus tolérants ; la persécution n'en est pas moins exercée à l'occasion et en dessous main contre les individus qu'elle atteint, non seulement dans la liberté de leur conscience, qui est un droit sacré, mais même dans leurs intérêts matériels. A défaut de raisonnement, les adversaires du Spiritisme espèrent encore le renverser par la calomnie et la compression ; ils s'abusent sans doute, mais en attendant il y a quelques victimes. Or, il ne faut pas se dissimuler que la lutte n'est pas terminée ; les adeptes doivent donc s'armer de résolution pour marcher avec fermeté dans la voie qui leur est tracée.
C'est non seulement en vue du présent, mais surtout en prévision de l'avenir, que nous avons cru devoir reproduire l'instruction ci-après, sur laquelle nous appelons la sérieuse attention des adeptes. Elle est, en outre, un démenti donné à ceux qui cherchent à représenter le Spiritisme comme un parti dangereux pour l'ordre social. Plût à Dieu que tous les partis n'obéissent qu'à de pareilles inspirations : la paix ne tarderait pas à régner sur la terre.
(Paris, 10 décembre 1864 ; méd. M. Delanne.)
Mes enfants, ces persécutions, comme tant d'autres, tomberont et ne peuvent être nuisibles à la cause du Spiritisme ; les bons Esprits veillent à l'exécution des ordres du Seigneur : vous n'avez rien à redouter ; néanmoins, c'est un avertissement pour vous de vous tenir sur vos gardes et d'agir avec prudence. C'est un orage qui éclate, comme il faut vous attendre à en voir éclater bien d'autres, ainsi que nous vous l'avons annoncé ; car il ne faut pas croire que vos ennemis se tiendront facilement pour battus ; non, ils lutteront pied à pied jusqu'à ce qu'ils soient convaincus d'impuissance. Laissez-les donc jeter leur venin sans vous inquiéter de ce qu'ils peuvent dire, puisque vous savez bien qu'ils ne peuvent rien contre la doctrine qui doit triompher quand même ; ils le sentent bien, et c'est là ce qui les exaspère et redouble leur fureur.
Il faut s'attendre que, dans la lutte, ils feront quelques victimes, mais c'est là l'épreuve à laquelle le Seigneur reconnaîtra le courage et la persévérance de ses véritables serviteurs. Quel mérite auriez-vous à triompher sans peine ? Comme de vaillants soldats, les blessés seront les plus récompensés ; et quelle gloire pour ceux qui sortiront de la mêlée mutilés et couverts d'honorables cicatrices ! Si un peuple ennemi venait envahir votre pays, ne sacrifieriez-vous pas vos biens, votre vie pour son indépendance ? Pourquoi donc vous plaindriez-vous de quelques éclaboussures que vous recevez dans une lutte dont vous connaissez l'issue inévitable, et où vous êtes assurés de la victoire ? Remerciez donc Dieu de vous avoir placés au premier rang, pour que vous soyez les premiers à recueillir les palmes glorieuses qui seront le prix de votre dévouement à la sainte cause. Remerciez vos persécuteurs qui vous donnent l'occasion de montrer votre courage et d'acquérir plus de mérite. N'allez pas au-devant de la persécution, ne la cherchez pas ; mais si elle vient, acceptez-la comme une des épreuves de la vie, car c'en est une, et l'une des plus profitables à votre avancement selon la manière dont vous la subirez. Il en est de cette épreuve comme de toutes les autres : par votre conduite, vous pouvez faire qu'elle soit féconde ou sans fruits pour vous.
Honte à ceux qui auront reculé et qui auront préféré le repos de la terre à celui qui leur était préparé, car le Seigneur fera le compte de leurs sacrifices ! Il leur dira : « Que demandez-vous, vous qui n'avez rien perdu, rien sacrifié ; qui n'avez renoncé ni à une nuit de votre sommeil, ni à un morceau de votre table, ni laissé une partie de vos vêtements sur le champ de bataille ? Qu'avez-vous fait pendant ce temps ? pendant que vos frères couraient au-devant du danger ? Vous vous êtes tenus à l'écart pour laisser passer l'orage et vous montrer après le péril, tandis que vos frères montaient résolument sur la brèche. »
Songez aux martyrs chrétiens ! Ils n'avaient pas comme vous les communications incessantes du monde invisible pour ranimer leur foi, et cependant ils ne reculaient devant le sacrifice ni de leur vie, ni de leurs biens. Du reste, le temps de ces cruelles épreuves est passé ; les sacrifices sanglants, les tortures, les bûchers ne se renouvelleront plus ; vos épreuves sont plus morales que matérielles ; elles seront, par conséquent, moins pénibles, mais n'en seront pas moins méritantes, parce tout est proportionné au temps. Aujourd'hui c'est l'esprit qui domine ; c'est pourquoi l'esprit souffre plus que le corps. La prédominance des épreuves spirituelles sur les épreuves matérielles est un indice de l'avancement de l'esprit. Vous savez, d'ailleurs, que beaucoup de ceux qui ont souffert pour le christianisme viennent concourir au couronnement de l'œuvre, et sont ceux qui soutiennent la lutte avec le plus de courage ; ils ajoutent ainsi une palme à celles qu'ils ont déjà conquises.
Ce que je vous dis, mes amis, n'est pas pour vous engager à vous jeter étourdiment et tête baissée dans la mêlée ; non ; je vous dis au contraire : Agissez avec prudence et circonspection, dans l'intérêt même de la doctrine, qui aurait à souffrir d'un zèle irréfléchi ; mais si un sacrifice est nécessaire, faites-le sans murmurer, et pensez qu'une perte temporelle n'est rien auprès de la compensation que vous en recevrez.
Ne vous inquiétez pas de l'avenir de la doctrine ; parmi ceux qui la combattent aujourd'hui, plus d'un en sera le défenseur demain. Les adversaires s'agitent ; à un moment donné, ils voudront se réunir pour frapper un grand coup et renverser l'édifice commencé, mais leurs efforts seront vains, et la division se mettra dans leurs rangs. Les temps approchent où les événements favoriseront l'éclosion de ce que vous semez. Considérez l'œuvre à laquelle vous travaillez, sans vous préoccuper de ce qu'on peut dire ou faire. Vos ennemis font tout ce qu'ils peuvent pour vous pousser hors des bornes de la modération, afin de pouvoir donner un prétexte à leurs agressions ; leurs insultes n'ont pas d'autre but, mais votre indifférence et votre longanimité les confondent ; A la violence, continuez donc d'opposer la douceur et la charité ; faites du bien à ceux qui vous veulent du mal, afin que, plus tard, on puisse distinguer le vrai du faux. Vous avez une arme puissante : celle du raisonnement ; servez-vous-en, mais ne la souillez jamais par l'injure, le suprême argument de ceux qui n'ont pas de bonne raison à donner ; efforcez-vous enfin, par la dignité de votre conduite, de faire respecter en vous le titre de Spirite.
Saint Louis
« Fuyez, chrétiens ; fuyez ces hommes perdus, et ces mauvaises femmes qui s'adonnent à des pratiques que l'Église condamne ! N'ayez aucun commerce avec ces fous et ces femmes folles ; abandonnez-les à un isolement absolu. Fuyez-les comme des gens dangereux. Ne les souffrez pas à vos côtés, et chassez-les du lieu saint, dont leur indignité leur interdit l'accès.
Voyez ces hommes perdus et ces mauvaises femmes qui se cachent dans l'ombre, et qui se réunissent dans le secret pour propager leurs ignobles doctrines ; suivez-les avec moi dans leurs repaires ; ne dirait-on pas des conspirateurs de bas étage se plaisant dans les ténèbres pour y former leurs infâmes complots ? Ils conspirent hautement, en effet, à l'aide de Satan, contre notre sainte mère l'Église que Jésus a établie pour régner sur la terre. Que font-ils encore, ces hommes impies et ces femmes éhontées ? Ils blasphèment Dieu ; ils nient les sublimes vérités qui, pendant des siècles, ont inspiré le plus profond respect à leurs ancêtres ; ils se parent d'une fausse charité dont ils ne connaissent que le nom, et ils s'en servent de manteau pour cacher leur ambition ! Ils s'introduisent, comme des loups ravisseurs, dans vos demeures pour séduire vos filles et vos femmes et ils veulent vous perdre tous sans retour ; mais vous les chasserez de votre présence comme des êtres malfaisants !
Vous avez compris, chrétiens ! quels sont ceux que je signale à votre réprobation ! Ce sont les Spirites ! Et pourquoi ne les nommerais-je pas ? Il est temps de les repousser et de maudire leurs doctrines infernales ! »
Les sermons dans le genre de celui-ci étaient à l'ordre du jour à cette époque. Si nous exhumons ce document de nos archives, après quatre années, c'est pour répondre à la qualification de parti dangereux donnée ces derniers temps aux Spirites par certains organes de la presse. Dans la circonstance précitée, de quel côté a été l'agression, la provocation, en un mot l'esprit de parti ? Pouvait-on pousser plus loin l'excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres, à la division des familles ? De telles prédications ne rappellent-elles pas celles de l'époque désastreuse où ces mêmes contrées étaient ensanglantées par les guerres de religion, où le père était armé contre le fils, et le fils contre le père ? Nous ne les jugeons pas au point de vue de la charité évangélique, mais à celui de la prudence. Est-il bien politique d'exciter ainsi les passions fanatiques dans un pays où le passé est encore si vivace ? où l'autorité a souvent de la peine à prévenir les conflits ? Est-il prudent d'y promener à nouveau les brandons de la discorde ? Voudrait-on donc y renouveler la croisade contre les Albigeois et la guerre des Cévennes ? Que de pareils sermons aient été prêchés contre les protestants, et des représailles sanglantes étaient inévitables. On s'en prend aujourd'hui au Spiritisme, parce que n'ayant pas encore d'existence légale, on se croit tout permis à son égard.
Eh bien ! quelle a été de tout temps l'attitude des Spirites en présence des attaques dont ils ont été l'objet ? Celle du calme et de la modération. Ne devrait-on pas bénir une doctrine dont la puissance est assez grande pour mettre un frein aux passions turbulentes et vindicatives ? Remarquez cependant que les Spirites ne forment nulle part un corps constitué ; qu'ils ne sont point enrégimentés en congrégations obéissant à un mot d'ordre ; qu'il n'y a entre eux aucune affiliation patente ou secrète ; ils subissent tout simplement et individuellement l'influence d'une idée philosophique, et cette idée, librement acceptée par la raison et non imposée, suffit pour modifier leurs tendances, parce qu'ils ont la conscience d'être dans le vrai. Ils voient cette idée grandir sans cesse, s'infiltrer partout, gagner chaque jour du terrain ; ils ont foi en son avenir, parce qu'elle est selon les principes de l'éternelle justice, qu'elle répond aux besoins sociaux, et qu'elle s'identifie avec le progrès dont la marche est irrésistible ; c'est pourquoi ils sont calmes devant les attaques dont elle est l'objet ; ils croiraient donner une preuve de défiance dans sa force, s'ils la soutenaient par la violence et par des moyens matériels. Ils se rient de ces attaques, puisqu'elles n'ont abouti qu'à la propager plus rapidement en attestant son importance.
Mais les attaques ne se bornent pas à l'idée. Bien que la croisade contre les Spirites ne soit plus ouvertement prêchée, comme elle l'était il y a quelques années, leurs adversaires n'en sont devenus ni plus bienveillants, ni plus tolérants ; la persécution n'en est pas moins exercée à l'occasion et en dessous main contre les individus qu'elle atteint, non seulement dans la liberté de leur conscience, qui est un droit sacré, mais même dans leurs intérêts matériels. A défaut de raisonnement, les adversaires du Spiritisme espèrent encore le renverser par la calomnie et la compression ; ils s'abusent sans doute, mais en attendant il y a quelques victimes. Or, il ne faut pas se dissimuler que la lutte n'est pas terminée ; les adeptes doivent donc s'armer de résolution pour marcher avec fermeté dans la voie qui leur est tracée.
C'est non seulement en vue du présent, mais surtout en prévision de l'avenir, que nous avons cru devoir reproduire l'instruction ci-après, sur laquelle nous appelons la sérieuse attention des adeptes. Elle est, en outre, un démenti donné à ceux qui cherchent à représenter le Spiritisme comme un parti dangereux pour l'ordre social. Plût à Dieu que tous les partis n'obéissent qu'à de pareilles inspirations : la paix ne tarderait pas à régner sur la terre.
(Paris, 10 décembre 1864 ; méd. M. Delanne.)
Mes enfants, ces persécutions, comme tant d'autres, tomberont et ne peuvent être nuisibles à la cause du Spiritisme ; les bons Esprits veillent à l'exécution des ordres du Seigneur : vous n'avez rien à redouter ; néanmoins, c'est un avertissement pour vous de vous tenir sur vos gardes et d'agir avec prudence. C'est un orage qui éclate, comme il faut vous attendre à en voir éclater bien d'autres, ainsi que nous vous l'avons annoncé ; car il ne faut pas croire que vos ennemis se tiendront facilement pour battus ; non, ils lutteront pied à pied jusqu'à ce qu'ils soient convaincus d'impuissance. Laissez-les donc jeter leur venin sans vous inquiéter de ce qu'ils peuvent dire, puisque vous savez bien qu'ils ne peuvent rien contre la doctrine qui doit triompher quand même ; ils le sentent bien, et c'est là ce qui les exaspère et redouble leur fureur.
Il faut s'attendre que, dans la lutte, ils feront quelques victimes, mais c'est là l'épreuve à laquelle le Seigneur reconnaîtra le courage et la persévérance de ses véritables serviteurs. Quel mérite auriez-vous à triompher sans peine ? Comme de vaillants soldats, les blessés seront les plus récompensés ; et quelle gloire pour ceux qui sortiront de la mêlée mutilés et couverts d'honorables cicatrices ! Si un peuple ennemi venait envahir votre pays, ne sacrifieriez-vous pas vos biens, votre vie pour son indépendance ? Pourquoi donc vous plaindriez-vous de quelques éclaboussures que vous recevez dans une lutte dont vous connaissez l'issue inévitable, et où vous êtes assurés de la victoire ? Remerciez donc Dieu de vous avoir placés au premier rang, pour que vous soyez les premiers à recueillir les palmes glorieuses qui seront le prix de votre dévouement à la sainte cause. Remerciez vos persécuteurs qui vous donnent l'occasion de montrer votre courage et d'acquérir plus de mérite. N'allez pas au-devant de la persécution, ne la cherchez pas ; mais si elle vient, acceptez-la comme une des épreuves de la vie, car c'en est une, et l'une des plus profitables à votre avancement selon la manière dont vous la subirez. Il en est de cette épreuve comme de toutes les autres : par votre conduite, vous pouvez faire qu'elle soit féconde ou sans fruits pour vous.
Honte à ceux qui auront reculé et qui auront préféré le repos de la terre à celui qui leur était préparé, car le Seigneur fera le compte de leurs sacrifices ! Il leur dira : « Que demandez-vous, vous qui n'avez rien perdu, rien sacrifié ; qui n'avez renoncé ni à une nuit de votre sommeil, ni à un morceau de votre table, ni laissé une partie de vos vêtements sur le champ de bataille ? Qu'avez-vous fait pendant ce temps ? pendant que vos frères couraient au-devant du danger ? Vous vous êtes tenus à l'écart pour laisser passer l'orage et vous montrer après le péril, tandis que vos frères montaient résolument sur la brèche. »
Songez aux martyrs chrétiens ! Ils n'avaient pas comme vous les communications incessantes du monde invisible pour ranimer leur foi, et cependant ils ne reculaient devant le sacrifice ni de leur vie, ni de leurs biens. Du reste, le temps de ces cruelles épreuves est passé ; les sacrifices sanglants, les tortures, les bûchers ne se renouvelleront plus ; vos épreuves sont plus morales que matérielles ; elles seront, par conséquent, moins pénibles, mais n'en seront pas moins méritantes, parce tout est proportionné au temps. Aujourd'hui c'est l'esprit qui domine ; c'est pourquoi l'esprit souffre plus que le corps. La prédominance des épreuves spirituelles sur les épreuves matérielles est un indice de l'avancement de l'esprit. Vous savez, d'ailleurs, que beaucoup de ceux qui ont souffert pour le christianisme viennent concourir au couronnement de l'œuvre, et sont ceux qui soutiennent la lutte avec le plus de courage ; ils ajoutent ainsi une palme à celles qu'ils ont déjà conquises.
Ce que je vous dis, mes amis, n'est pas pour vous engager à vous jeter étourdiment et tête baissée dans la mêlée ; non ; je vous dis au contraire : Agissez avec prudence et circonspection, dans l'intérêt même de la doctrine, qui aurait à souffrir d'un zèle irréfléchi ; mais si un sacrifice est nécessaire, faites-le sans murmurer, et pensez qu'une perte temporelle n'est rien auprès de la compensation que vous en recevrez.
Ne vous inquiétez pas de l'avenir de la doctrine ; parmi ceux qui la combattent aujourd'hui, plus d'un en sera le défenseur demain. Les adversaires s'agitent ; à un moment donné, ils voudront se réunir pour frapper un grand coup et renverser l'édifice commencé, mais leurs efforts seront vains, et la division se mettra dans leurs rangs. Les temps approchent où les événements favoriseront l'éclosion de ce que vous semez. Considérez l'œuvre à laquelle vous travaillez, sans vous préoccuper de ce qu'on peut dire ou faire. Vos ennemis font tout ce qu'ils peuvent pour vous pousser hors des bornes de la modération, afin de pouvoir donner un prétexte à leurs agressions ; leurs insultes n'ont pas d'autre but, mais votre indifférence et votre longanimité les confondent ; A la violence, continuez donc d'opposer la douceur et la charité ; faites du bien à ceux qui vous veulent du mal, afin que, plus tard, on puisse distinguer le vrai du faux. Vous avez une arme puissante : celle du raisonnement ; servez-vous-en, mais ne la souillez jamais par l'injure, le suprême argument de ceux qui n'ont pas de bonne raison à donner ; efforcez-vous enfin, par la dignité de votre conduite, de faire respecter en vous le titre de Spirite.
Saint Louis
Spiritisme rétrospectif
La médiumnité au verre d'eau en 1706 chez le duc d'Orléans.On peut comprendre, sous le titre général de Spiritisme rétrospectif, les pensées, les doctrines, les croyances et tous les faits spirites antérieurs au Spiritisme moderne, c'est-à-dire à 1850, époque vers laquelle ont commencé les observations et les études sur ces sortes de phénomènes. Ce n'est qu'en 1857 que ces observations ont été coordonnées en corps de doctrine méthodique et philosophique. Cette division nous semble utile à l'histoire du Spiritisme.
Le fait suivant est rapporté dans les Mémoires du duc de Saint-Simon[1]
« Je me souviens aussi d'une chose qu'il (le duc d'Orléans) me conta dans le salon de Marly, sur le point de son départ pour l'Italie, dont la singularité, vérifiée par l'évènement, m'engage à ne la point omettre. Il était curieux de toutes sortes d'arts et de sciences, et, avec infiniment d'esprit, avait eu toute sa vie la faiblesse si commune à la cour des enfants de Henri II, que Catherine de Médicis avait, entre autres maux, apportée d'Italie. Il avait, tant qu'il avait pu, cherché à voir le diable, sans y avoir pu parvenir, à ce qu'il m'a souvent dit, et à voir des choses extraordinaires, et à savoir l'avenir. La Sery avait une petite fille chez elle, de huit ou neuf ans, qui y était née et n'en était jamais sortie, et qui avait l'ignorance et la simplicité de cet âge et de cette éducation. Entre autres fripons de curiosités cachées, dont M. le duc d'Orléans avait beaucoup vu en sa vie, on lui en produisit un qui prétendit faire voir, dans un verre rempli d'eau, tout ce qu'on voudrait savoir. Il demanda quelqu'un de jeune et d'innocent pour y regarder, et cette petite fille s'y trouva propre. Ils s'amusèrent donc à vouloir savoir ce qui se passait alors même dans des lieux éloignés, et la petite fille voyait et rendait ce qu'elle voyait à mesure. Cet homme prononçait tout bas quelque chose sur ce verre rempli d'eau, et aussitôt on y regardait avec succès.
Les duperies que M. le duc d'Orléans avait souvent essuyées l'engagèrent à une épreuve qui pût le rassurer. Il ordonna tout bas à un de ses gens, à l'oreille, d'aller sur-le-champ, chez madame de Nancré, de bien examiner qui y était, ce qui s'y faisait, la position et l'ameublement de la chambre, et la situation de tout ce qui s'y passait, et sans perdre un moment ni parler à personne, de le lui venir dire à l'oreille. En un tour de main la commission fut exécutée, sans que personne s'aperçût de ce que c'était, et la petite fille toujours dans la chambre. Dès que M. le duc d'Orléans fut instruit, il dit à la petite fille de regarder qui était chez madame de Nancré et ce qui s'y passait. Aussitôt elle leur raconta mot pour mot tout ce qu'avait vu celui que M. le duc d'Orléans y avait envoyé. La description du visage, des figures, des vêtements, des gens qui y étaient, leur situation dans la chambre, les gens qui jouaient à deux tables différentes, ceux qui regardaient ou qui causaient assis ou debout, la disposition des meubles, en un mot, tout. Dans l'instant, M. le duc d'Orléans y envoya Nancré, qui rapporta avoir tout trouvé comme la petite fille l'avait dit, et comme le valet qui y avait été d'abord l'avait rapporté à l'oreille de M. le duc d'Orléans.
Il ne me parlait guère de ces choses-là parce que je prenais la liberté de lui en faire honte. Je pris celle de le pouiller à ce récit, et de lui dire ce que je crus le pouvoir détourner d'ajouter foi et de s'amuser à ces prestiges, dans un temps surtout où il devait avoir l'esprit occupé de tant de grandes choses. « Ce n'est pas tout, me dit-il, et je ne vous ai conté cela que pour venir au reste ; » et, tout de suite, il me conte que, encouragé par l'exactitude de ce que la petite fille avait vu dans la chambre de madame de Nancré, il avait voulu voir quelque chose de plus important, et ce qui se passerait à la mort du roi, mais sans en rechercher le temps qui ne se pouvait voir dans ce verre. Il le demanda donc tout de suite à la petite fille, qui n'avait jamais ouï parler de Versailles, ni vu personne que lui de la cour. Elle regarda et leur expliqua longuement tout ce qu'elle voyait. Elle fit avec justesse la description de la chambre du roi à Versailles, et de l'ameublement qui s'y trouva en effet à sa mort. Elle le dépeignit parfaitement dans son lit, et ce qui était debout auprès du lit ou dans la chambre, un petit enfant avec l'ordre, tenu par madame de Ventadour, sur laquelle elle s'écria parce qu'elle l'avait vue chez mademoiselle de Sery. Elle leur fit connaître madame de Maintenon, la figure singulière de Fayon, madame la duchesse d'Orléans, madame la duchesse, madame la princesse de Conti ; elle s'écria sur M. le duc d'Orléans ; en un mot, elle leur fit connaître ce qu'elle voyait-là de princes, de seigneurs, de domestiques ou valets. Quand elle eut tout dit, M. le duc d'Orléans surpris qu'elle ne leur eût point fait connaître Monseigneur, monseigneur le duc de Bourgogne, monseigneur le duc de Berry, lui demanda si elle ne voyait point des figures de telle et telle façon. Elle répondit constamment que non, et répéta celles qu'elle voyait. C'est ce que M. le duc d'Orléans ne pouvait comprendre et dont il s'étonna fort avec moi, et en recherche vainement la raison. L'événement l'expliqua. On était alors en 1706. Tous quatre étaient alors pleins de vie et de santé, et tous quatre étaient morts avant le roi. Ce fut la même chose de M. le Prince, de M. le duc, et de M. le prince de Conti qu'elle ne vit point, tandis qu'elle vit les enfants des deux derniers, M. du Maine, les siens, et M. le comte de Toulouse. Mais jusqu'à l'avènement cela demeura dans l'obscurité. Cette curiosité achevée, M. le duc d'Orléans voulut savoir ce qu'il deviendrait. Alors ce ne fut plus dans le verre. L'homme qui était là, lui offrit de le montrer comme peint sur la muraille de la chambre, pourvu qu'il n'eût point peur de s'y voir ; et au bout d'un quart d'heure de quelques simagrées devant eux tous, la figure de M. le duc d'Orléans, vêtu comme il l'était alors et dans sa grandeur naturelle, parut tout à coup sur la muraille comme en peinture avec une couronne fermée sur la tête. Elle n'était ni de France, ni d'Espagne, ni d'Angleterre, ni impériale ; M. le duc d'Orléans, qui la considéra de tous ses yeux, ne put jamais la deviner, il n'en avait jamais vu de semblable ; elle n'avait que quatre cercles, et rien au sommet. Cette couronne lui couvrait la tête.
De l'obscurité précédente et de celle-ci, je pris occasion de lui remontrer la vanité de ces sortes de curiosités, les justes tromperies du diable, que Dieu permet pour punir des curiosités qu'il défend, le néant et les ténèbres qui en résultent au lieu de la lumière et de la satisfaction qu'on y recherche. Il était assurément alors bien éloigné d'être régent du royaume et de l'imaginer. C'était peut-être ce que cette couronne singulière lui annonçait. Tout cela s'était passé à Paris, chez sa maîtresse, en présence de leur plus étroite intimité la veille du jour qu'il me le raconta, et je l'ai trouvé si extraordinaire, que je lui ai donné place ici, non pour l'approuver, mais pour le rendre. »
La véracité du duc de Saint-Simon est d'autant moins suspecte qu'il était opposé à ces sortes d'idées ; on ne peut donc douter qu'il ait fidèlement rapporté le récit du duc d'Orléans. Quant au fait en lui-même, il n'est pas probable que le duc l'ait inventé à plaisir. Les phénomènes qui se produisent de nos jours en prouvent d'ailleurs la possibilité ; ce qui alors passait pour quelque chose de merveilleux, est maintenant un fait bien naturel. On ne peut certainement le mettre sur le compte de l'imagination de l'enfant, qui, étant d'ailleurs inconnu de l'individu, ne pouvait lui servir de compère. Les paroles prononcées sur le verre d'eau n'avaient sans doute d'autre but que de donner au phénomène une apparence mystérieuse et cabalistique, selon les croyances de l'époque ; mais elles pouvaient très bien exercer une action magnétique inconsciente, et cela avec d'autant plus de raison, que cet homme paraissait doue d'une volonté énergique. Quant au fait du tableau qu'il fit apparaître sur la muraille, on ne peut, jusqu'à présent, en donner aucune explication.
Du reste, la magnétisation préalable de l'eau ne paraît pas être indispensable. Un de nos correspondants d'Espagne nous citait, il y a quelques jours, le fait suivant qui s'était passé sous ses yeux il y a une quinzaine d'années, à une époque et dans une contrée où le Spiritisme était inconnu, et où lui-même poussait l'incrédulité jusque dans ses dernières limites. Dans sa famille on avait entendu parler de la faculté qu'ont certaines personnes de voir dans une carafe pleine d'eau, et l'on n'y attachait pas plus d'importance qu'aux croyances populaires. Néanmoins on voulut essayer par curiosité. Une jeune fille, après un instant de concentration, vit un parent à lui, dont elle fit le portrait exact ; elle le vit sur une montagne, à quelques lieues de là, où l'on ne pouvait supposer qu'il pût être, puis descendre dans un ravin, remonter, et faire différentes allées et venues. Lorsque l'individu fut de retour et qu'on lui eût dit d'où il venait et ce qu'il avait fait, il en fut très surpris, car il n'avait communiqué son intention à personne. Ici l'imagination est encore complètement hors de cause, puisque la pensée d'aucun des assistants ne pouvait agir sur l'esprit de la jeune fille.
L'influence de l'imagination étant la grande objection que l'on oppose à ce genre de phénomène, comme à tous ceux de la médiumnité en général, on ne saurait recueillir avec trop de soin les cas où il est démontré que cette influence ne peut avoir lieu. Le fait suivant en est un exemple non moins concluant.
Un autre de nos abonnés de Palerme, en Sicile, était dernièrement à Paris ; en son absence, sa fille, qui n'est jamais venue à Paris, reçut le numéro de la Revue, où il est question du verre d'eau ; elle voulut essayer, et son désir était de voir son père. Elle ne le vit pas, mais elle vit plusieurs rues qu'à la description qu'elle en fit en lui écrivant, il reconnut facilement pour les rues de la Paix, Castiglione et de Rivoli. Or, ces rues étaient précisément celles par où il avait passé le jour même où l'expérience avait été faite. Ainsi, cette jeune dame ne voit pas son père qu'elle connaît, qu'elle désire voir, sur lequel sa pensée est concentrée, tandis qu'elle voit le chemin qu'il a parcouru, et qu'elle ne connaissait pas. Quelle raison donner de cette bizarrerie ? Les Esprits nous ont dit que les choses s'étaient passées de cette manière pour donner une preuve irrécusable que l'imagination n'y était pour rien.
Nous complèterons, par les réflexions suivantes, ce que nous avons dit sur le même sujet dans le numéro de juin.
Le verre avec ou sans eau, ainsi que la carafe, jouent évidemment dans ce phénomène le rôle d'agents hypnotiques ; la concentration de la vue et de la pensée sur un point provoquent un dégagement plus ou moins grand de l'âme, et, par suite, le développement de la vue psychique. (Voir la Revue de janvier 1860, page 6e, Détails sur l'hypnotisme.)
Ce genre de médiumnité peut donner lieu à des modes spéciaux de manifestations, à des perceptions nouvelles ; c'est un moyen de plus de constater l'existence et l'indépendance de l'âme, et, par cela même, un sujet d'étude très intéressant ; mais, comme nous l'avons dit, ce serait une erreur de croire que ce soit là un moyen meilleur qu'un autre de savoir tout ce qu'on désire, parce qu'il y a des choses qui doivent nous être cachées ou qui ne peuvent être révélées qu'en un temps donné. Lorsque le moment de les connaître est venu, on en est instruit par un des mille moyens dont disposent les Esprits, que l'on soit ou non Spirite ; mais le verre d'eau n'est pas plus efficace qu'un autre. De ce que les Esprits s'en sont servis pour donner des avis salutaires pour la santé, il ne s'ensuit pas que ce soit un procédé infaillible pour triompher de tous les maux, même de ceux qui ne doivent pas être guéris. Si une guérison est possible par les Esprits, ces derniers donnent leurs conseils par un moyen médianimique quelconque, et par tout médium apte à ce genre de communication. L'efficacité est dans la prescription, et non dans le mode selon lequel elle est donnée.
Le verre d'eau n'est pas non plus une garantie contre l'immixtion des mauvais Esprits ; l'expérience a déjà prouvé que les Esprits malintentionnés se servent de ce moyen comme des autres pour induire en erreur et abuser de la crédulité. En quoi pourrait-il leur opposer un obstacle plus puissant ! Nous l'avons dit maintes fois, et nous ne saurions trop le répéter : Il n'y a pas de médiumnité à l'abri des mauvais Esprits, et il n'existe aucun procédé matériel pour les écarter. Le meilleur, le seul préservatif est en soi-même ; c'est par sa propre épuration qu'on les éloigne, comme par la propreté du corps on se préserve des insectes nuisibles.
[1] Voir le numéro de juin 1868, pages 161 et 167.
Le fait suivant est rapporté dans les Mémoires du duc de Saint-Simon[1]
« Je me souviens aussi d'une chose qu'il (le duc d'Orléans) me conta dans le salon de Marly, sur le point de son départ pour l'Italie, dont la singularité, vérifiée par l'évènement, m'engage à ne la point omettre. Il était curieux de toutes sortes d'arts et de sciences, et, avec infiniment d'esprit, avait eu toute sa vie la faiblesse si commune à la cour des enfants de Henri II, que Catherine de Médicis avait, entre autres maux, apportée d'Italie. Il avait, tant qu'il avait pu, cherché à voir le diable, sans y avoir pu parvenir, à ce qu'il m'a souvent dit, et à voir des choses extraordinaires, et à savoir l'avenir. La Sery avait une petite fille chez elle, de huit ou neuf ans, qui y était née et n'en était jamais sortie, et qui avait l'ignorance et la simplicité de cet âge et de cette éducation. Entre autres fripons de curiosités cachées, dont M. le duc d'Orléans avait beaucoup vu en sa vie, on lui en produisit un qui prétendit faire voir, dans un verre rempli d'eau, tout ce qu'on voudrait savoir. Il demanda quelqu'un de jeune et d'innocent pour y regarder, et cette petite fille s'y trouva propre. Ils s'amusèrent donc à vouloir savoir ce qui se passait alors même dans des lieux éloignés, et la petite fille voyait et rendait ce qu'elle voyait à mesure. Cet homme prononçait tout bas quelque chose sur ce verre rempli d'eau, et aussitôt on y regardait avec succès.
Les duperies que M. le duc d'Orléans avait souvent essuyées l'engagèrent à une épreuve qui pût le rassurer. Il ordonna tout bas à un de ses gens, à l'oreille, d'aller sur-le-champ, chez madame de Nancré, de bien examiner qui y était, ce qui s'y faisait, la position et l'ameublement de la chambre, et la situation de tout ce qui s'y passait, et sans perdre un moment ni parler à personne, de le lui venir dire à l'oreille. En un tour de main la commission fut exécutée, sans que personne s'aperçût de ce que c'était, et la petite fille toujours dans la chambre. Dès que M. le duc d'Orléans fut instruit, il dit à la petite fille de regarder qui était chez madame de Nancré et ce qui s'y passait. Aussitôt elle leur raconta mot pour mot tout ce qu'avait vu celui que M. le duc d'Orléans y avait envoyé. La description du visage, des figures, des vêtements, des gens qui y étaient, leur situation dans la chambre, les gens qui jouaient à deux tables différentes, ceux qui regardaient ou qui causaient assis ou debout, la disposition des meubles, en un mot, tout. Dans l'instant, M. le duc d'Orléans y envoya Nancré, qui rapporta avoir tout trouvé comme la petite fille l'avait dit, et comme le valet qui y avait été d'abord l'avait rapporté à l'oreille de M. le duc d'Orléans.
Il ne me parlait guère de ces choses-là parce que je prenais la liberté de lui en faire honte. Je pris celle de le pouiller à ce récit, et de lui dire ce que je crus le pouvoir détourner d'ajouter foi et de s'amuser à ces prestiges, dans un temps surtout où il devait avoir l'esprit occupé de tant de grandes choses. « Ce n'est pas tout, me dit-il, et je ne vous ai conté cela que pour venir au reste ; » et, tout de suite, il me conte que, encouragé par l'exactitude de ce que la petite fille avait vu dans la chambre de madame de Nancré, il avait voulu voir quelque chose de plus important, et ce qui se passerait à la mort du roi, mais sans en rechercher le temps qui ne se pouvait voir dans ce verre. Il le demanda donc tout de suite à la petite fille, qui n'avait jamais ouï parler de Versailles, ni vu personne que lui de la cour. Elle regarda et leur expliqua longuement tout ce qu'elle voyait. Elle fit avec justesse la description de la chambre du roi à Versailles, et de l'ameublement qui s'y trouva en effet à sa mort. Elle le dépeignit parfaitement dans son lit, et ce qui était debout auprès du lit ou dans la chambre, un petit enfant avec l'ordre, tenu par madame de Ventadour, sur laquelle elle s'écria parce qu'elle l'avait vue chez mademoiselle de Sery. Elle leur fit connaître madame de Maintenon, la figure singulière de Fayon, madame la duchesse d'Orléans, madame la duchesse, madame la princesse de Conti ; elle s'écria sur M. le duc d'Orléans ; en un mot, elle leur fit connaître ce qu'elle voyait-là de princes, de seigneurs, de domestiques ou valets. Quand elle eut tout dit, M. le duc d'Orléans surpris qu'elle ne leur eût point fait connaître Monseigneur, monseigneur le duc de Bourgogne, monseigneur le duc de Berry, lui demanda si elle ne voyait point des figures de telle et telle façon. Elle répondit constamment que non, et répéta celles qu'elle voyait. C'est ce que M. le duc d'Orléans ne pouvait comprendre et dont il s'étonna fort avec moi, et en recherche vainement la raison. L'événement l'expliqua. On était alors en 1706. Tous quatre étaient alors pleins de vie et de santé, et tous quatre étaient morts avant le roi. Ce fut la même chose de M. le Prince, de M. le duc, et de M. le prince de Conti qu'elle ne vit point, tandis qu'elle vit les enfants des deux derniers, M. du Maine, les siens, et M. le comte de Toulouse. Mais jusqu'à l'avènement cela demeura dans l'obscurité. Cette curiosité achevée, M. le duc d'Orléans voulut savoir ce qu'il deviendrait. Alors ce ne fut plus dans le verre. L'homme qui était là, lui offrit de le montrer comme peint sur la muraille de la chambre, pourvu qu'il n'eût point peur de s'y voir ; et au bout d'un quart d'heure de quelques simagrées devant eux tous, la figure de M. le duc d'Orléans, vêtu comme il l'était alors et dans sa grandeur naturelle, parut tout à coup sur la muraille comme en peinture avec une couronne fermée sur la tête. Elle n'était ni de France, ni d'Espagne, ni d'Angleterre, ni impériale ; M. le duc d'Orléans, qui la considéra de tous ses yeux, ne put jamais la deviner, il n'en avait jamais vu de semblable ; elle n'avait que quatre cercles, et rien au sommet. Cette couronne lui couvrait la tête.
De l'obscurité précédente et de celle-ci, je pris occasion de lui remontrer la vanité de ces sortes de curiosités, les justes tromperies du diable, que Dieu permet pour punir des curiosités qu'il défend, le néant et les ténèbres qui en résultent au lieu de la lumière et de la satisfaction qu'on y recherche. Il était assurément alors bien éloigné d'être régent du royaume et de l'imaginer. C'était peut-être ce que cette couronne singulière lui annonçait. Tout cela s'était passé à Paris, chez sa maîtresse, en présence de leur plus étroite intimité la veille du jour qu'il me le raconta, et je l'ai trouvé si extraordinaire, que je lui ai donné place ici, non pour l'approuver, mais pour le rendre. »
La véracité du duc de Saint-Simon est d'autant moins suspecte qu'il était opposé à ces sortes d'idées ; on ne peut donc douter qu'il ait fidèlement rapporté le récit du duc d'Orléans. Quant au fait en lui-même, il n'est pas probable que le duc l'ait inventé à plaisir. Les phénomènes qui se produisent de nos jours en prouvent d'ailleurs la possibilité ; ce qui alors passait pour quelque chose de merveilleux, est maintenant un fait bien naturel. On ne peut certainement le mettre sur le compte de l'imagination de l'enfant, qui, étant d'ailleurs inconnu de l'individu, ne pouvait lui servir de compère. Les paroles prononcées sur le verre d'eau n'avaient sans doute d'autre but que de donner au phénomène une apparence mystérieuse et cabalistique, selon les croyances de l'époque ; mais elles pouvaient très bien exercer une action magnétique inconsciente, et cela avec d'autant plus de raison, que cet homme paraissait doue d'une volonté énergique. Quant au fait du tableau qu'il fit apparaître sur la muraille, on ne peut, jusqu'à présent, en donner aucune explication.
Du reste, la magnétisation préalable de l'eau ne paraît pas être indispensable. Un de nos correspondants d'Espagne nous citait, il y a quelques jours, le fait suivant qui s'était passé sous ses yeux il y a une quinzaine d'années, à une époque et dans une contrée où le Spiritisme était inconnu, et où lui-même poussait l'incrédulité jusque dans ses dernières limites. Dans sa famille on avait entendu parler de la faculté qu'ont certaines personnes de voir dans une carafe pleine d'eau, et l'on n'y attachait pas plus d'importance qu'aux croyances populaires. Néanmoins on voulut essayer par curiosité. Une jeune fille, après un instant de concentration, vit un parent à lui, dont elle fit le portrait exact ; elle le vit sur une montagne, à quelques lieues de là, où l'on ne pouvait supposer qu'il pût être, puis descendre dans un ravin, remonter, et faire différentes allées et venues. Lorsque l'individu fut de retour et qu'on lui eût dit d'où il venait et ce qu'il avait fait, il en fut très surpris, car il n'avait communiqué son intention à personne. Ici l'imagination est encore complètement hors de cause, puisque la pensée d'aucun des assistants ne pouvait agir sur l'esprit de la jeune fille.
L'influence de l'imagination étant la grande objection que l'on oppose à ce genre de phénomène, comme à tous ceux de la médiumnité en général, on ne saurait recueillir avec trop de soin les cas où il est démontré que cette influence ne peut avoir lieu. Le fait suivant en est un exemple non moins concluant.
Un autre de nos abonnés de Palerme, en Sicile, était dernièrement à Paris ; en son absence, sa fille, qui n'est jamais venue à Paris, reçut le numéro de la Revue, où il est question du verre d'eau ; elle voulut essayer, et son désir était de voir son père. Elle ne le vit pas, mais elle vit plusieurs rues qu'à la description qu'elle en fit en lui écrivant, il reconnut facilement pour les rues de la Paix, Castiglione et de Rivoli. Or, ces rues étaient précisément celles par où il avait passé le jour même où l'expérience avait été faite. Ainsi, cette jeune dame ne voit pas son père qu'elle connaît, qu'elle désire voir, sur lequel sa pensée est concentrée, tandis qu'elle voit le chemin qu'il a parcouru, et qu'elle ne connaissait pas. Quelle raison donner de cette bizarrerie ? Les Esprits nous ont dit que les choses s'étaient passées de cette manière pour donner une preuve irrécusable que l'imagination n'y était pour rien.
Nous complèterons, par les réflexions suivantes, ce que nous avons dit sur le même sujet dans le numéro de juin.
Le verre avec ou sans eau, ainsi que la carafe, jouent évidemment dans ce phénomène le rôle d'agents hypnotiques ; la concentration de la vue et de la pensée sur un point provoquent un dégagement plus ou moins grand de l'âme, et, par suite, le développement de la vue psychique. (Voir la Revue de janvier 1860, page 6e, Détails sur l'hypnotisme.)
Ce genre de médiumnité peut donner lieu à des modes spéciaux de manifestations, à des perceptions nouvelles ; c'est un moyen de plus de constater l'existence et l'indépendance de l'âme, et, par cela même, un sujet d'étude très intéressant ; mais, comme nous l'avons dit, ce serait une erreur de croire que ce soit là un moyen meilleur qu'un autre de savoir tout ce qu'on désire, parce qu'il y a des choses qui doivent nous être cachées ou qui ne peuvent être révélées qu'en un temps donné. Lorsque le moment de les connaître est venu, on en est instruit par un des mille moyens dont disposent les Esprits, que l'on soit ou non Spirite ; mais le verre d'eau n'est pas plus efficace qu'un autre. De ce que les Esprits s'en sont servis pour donner des avis salutaires pour la santé, il ne s'ensuit pas que ce soit un procédé infaillible pour triompher de tous les maux, même de ceux qui ne doivent pas être guéris. Si une guérison est possible par les Esprits, ces derniers donnent leurs conseils par un moyen médianimique quelconque, et par tout médium apte à ce genre de communication. L'efficacité est dans la prescription, et non dans le mode selon lequel elle est donnée.
Le verre d'eau n'est pas non plus une garantie contre l'immixtion des mauvais Esprits ; l'expérience a déjà prouvé que les Esprits malintentionnés se servent de ce moyen comme des autres pour induire en erreur et abuser de la crédulité. En quoi pourrait-il leur opposer un obstacle plus puissant ! Nous l'avons dit maintes fois, et nous ne saurions trop le répéter : Il n'y a pas de médiumnité à l'abri des mauvais Esprits, et il n'existe aucun procédé matériel pour les écarter. Le meilleur, le seul préservatif est en soi-même ; c'est par sa propre épuration qu'on les éloigne, comme par la propreté du corps on se préserve des insectes nuisibles.
[1] Voir le numéro de juin 1868, pages 161 et 167.
La réincarnation au Japon
Saint François-Xavier et le bonze Japonais.
Le récit suivant est extrait de l'histoire de saint François-Xavier par le P. Bouhours. C'est une discussion théologique entre un bonze japonais nommé Tucarondono, et saint François-Xavier, alors missionnaire au Japon.
« Je ne sais si tu me connais, ou, pour mieux dire, si tu me reconnais, dit Tucarondono à François-Xavier. – Je ne me souviens pas de vous avoir jamais vu, lui répond celui-ci.
Alors le bonze, éclatant de rire et se tournant vers d'autres bonzes ses confrères qu'il avait amenés avec lui : Je vois bien, leur dit-il, que je n'aurai pas de peine à vaincre un homme qui a traité avec moi plus de cent fois, et qui fait semblant de ne m'avoir jamais vu. Ensuite, regardant Xavier avec un sourire de mépris : Ne te reste-t-il rien, poursuivit-il, des marchandises que tu m'as vendues au port de Frénasoma ?
En vérité, répliqua Xavier avec un visage toujours serein et modeste, je n'ai, de ma vie, été marchand, et je n'ai jamais vu Frénasoma. – Ah ! quel oubli et quelle bêtise ! reprit le bonze faisant l'étonné, et continuant ses éclats de rire : – Quoi ! se peut-il faire que tu aies oublié cela ? – Rappelez-m'en le souvenir, repartit doucement le Père, vous qui avez plus d'esprit et de mémoire que moi. – Je le veux bien, dit le bonze, tout fier de la louange que Xavier lui avait donnée. Il y a aujourd'hui quinze cents ans tout juste que toi et moi, qui étions marchands, faisions notre trafic à Frénasoma, et que j'achetai de toi cent pièces de soie à très bon marché. T'en souviens-tu maintenant ?
Le saint qui jugea où allait le discours du bonze, lui demanda honnêtement quel âge il y avait. – J'ai cinquante-deux ans, dit Tucarondono. – Comment se peut-il faire, reprit Xavier, que vous fussiez marchand il a quinze siècles, s'il n'y a qu'un demi-siècle que vous êtes au monde, et comment trafiquions-nous en ce temps-là, vous et moi, dans Frénasoma, si la plupart d'entre vous autres bonzes enseignez que le Japon n'était qu'un désert il y a quinze cents ans ?
– Ecoute-moi, dit le bonze ; tu entendras les oracles, et tu demeureras d'accord que nous avons plus de connaissance des choses passées que vous n'en avez, vous autres, des choses présentes.
Tu dois donc savoir que le monde n'a jamais eu de commencement, et que les âmes, à proprement parler, ne meurent point. L'âme se dégage du corps où elle était renfermée ; elle en cherche un autre frais et vigoureux, où nous renaissons tantôt avec le sexe le plus noble, tantôt avec le sexe imparfait, selon les diverses constellations du ciel et les différents aspects de la lune. Ces changements de naissance font que nos fortunes changent aussi. Or, c'est la récompense de ceux qui ont vécu saintement, que d'avoir la mémoire fraîche de toutes les vies qu'on a menées dans les siècles passés, et de se représenter à soi-même tout entier tel qu'on a été depuis une éternité, sous la forme de prince, de marchand, d'homme de lettres, de guerrier et sous d'autres figures. Au contraire, quiconque, comme toi, sait si peu ses propres affaires, qu'il ignore ce qu'il a été et ce qu'il a fait durant le cours d'une infinité de siècles, montre que ses crimes l'ont rendu digne de la mort autant de fois qu'il a perdu le souvenir des vies qu'il a changées. »
Remarque. On ne peut supposer que François-Xavier ait inventé cette histoire qui n'était pas à son avantage, ni à suspecter la bonne foi de son historien, le P. Bouhours. D'un autre côté, il n'est pas moins certain que c'était un piège tendu au missionnaire par le bonze, puisque nous savons que le souvenir des existences antérieures est un cas exceptionnel, et que, dans tous les cas, il ne comporte jamais des détails aussi précis ; mais ce qui ressort de ce fait, c'est que la doctrine de la réincarnation existait au Japon à cette époque, dans des conditions identiques, sauf l'intervention des constellations et de la lune, à celles qui sont enseignées de nos jours par les Esprits. Une autre similitude non moins remarquable, c'est l'idée que la précision du souvenir est un signe de supériorité ; les Esprits nous disent, en effet, que dans les mondes supérieurs à la terre, où le corps est moins matériel et l'âme dans un état normal de dégagement, le souvenir du passé est une faculté commune à tout le monde ; on s'y souvient de ses existences antérieures, comme nous nous souvenons des premières années de notre enfance. Il est bien évident que les Japonais n'en sont pas à ce degré de dématérialisation qui n'existe pas sur la terre, mais ce fait prouve qu'ils en ont l'intuition.
Le récit suivant est extrait de l'histoire de saint François-Xavier par le P. Bouhours. C'est une discussion théologique entre un bonze japonais nommé Tucarondono, et saint François-Xavier, alors missionnaire au Japon.
« Je ne sais si tu me connais, ou, pour mieux dire, si tu me reconnais, dit Tucarondono à François-Xavier. – Je ne me souviens pas de vous avoir jamais vu, lui répond celui-ci.
Alors le bonze, éclatant de rire et se tournant vers d'autres bonzes ses confrères qu'il avait amenés avec lui : Je vois bien, leur dit-il, que je n'aurai pas de peine à vaincre un homme qui a traité avec moi plus de cent fois, et qui fait semblant de ne m'avoir jamais vu. Ensuite, regardant Xavier avec un sourire de mépris : Ne te reste-t-il rien, poursuivit-il, des marchandises que tu m'as vendues au port de Frénasoma ?
En vérité, répliqua Xavier avec un visage toujours serein et modeste, je n'ai, de ma vie, été marchand, et je n'ai jamais vu Frénasoma. – Ah ! quel oubli et quelle bêtise ! reprit le bonze faisant l'étonné, et continuant ses éclats de rire : – Quoi ! se peut-il faire que tu aies oublié cela ? – Rappelez-m'en le souvenir, repartit doucement le Père, vous qui avez plus d'esprit et de mémoire que moi. – Je le veux bien, dit le bonze, tout fier de la louange que Xavier lui avait donnée. Il y a aujourd'hui quinze cents ans tout juste que toi et moi, qui étions marchands, faisions notre trafic à Frénasoma, et que j'achetai de toi cent pièces de soie à très bon marché. T'en souviens-tu maintenant ?
Le saint qui jugea où allait le discours du bonze, lui demanda honnêtement quel âge il y avait. – J'ai cinquante-deux ans, dit Tucarondono. – Comment se peut-il faire, reprit Xavier, que vous fussiez marchand il a quinze siècles, s'il n'y a qu'un demi-siècle que vous êtes au monde, et comment trafiquions-nous en ce temps-là, vous et moi, dans Frénasoma, si la plupart d'entre vous autres bonzes enseignez que le Japon n'était qu'un désert il y a quinze cents ans ?
– Ecoute-moi, dit le bonze ; tu entendras les oracles, et tu demeureras d'accord que nous avons plus de connaissance des choses passées que vous n'en avez, vous autres, des choses présentes.
Tu dois donc savoir que le monde n'a jamais eu de commencement, et que les âmes, à proprement parler, ne meurent point. L'âme se dégage du corps où elle était renfermée ; elle en cherche un autre frais et vigoureux, où nous renaissons tantôt avec le sexe le plus noble, tantôt avec le sexe imparfait, selon les diverses constellations du ciel et les différents aspects de la lune. Ces changements de naissance font que nos fortunes changent aussi. Or, c'est la récompense de ceux qui ont vécu saintement, que d'avoir la mémoire fraîche de toutes les vies qu'on a menées dans les siècles passés, et de se représenter à soi-même tout entier tel qu'on a été depuis une éternité, sous la forme de prince, de marchand, d'homme de lettres, de guerrier et sous d'autres figures. Au contraire, quiconque, comme toi, sait si peu ses propres affaires, qu'il ignore ce qu'il a été et ce qu'il a fait durant le cours d'une infinité de siècles, montre que ses crimes l'ont rendu digne de la mort autant de fois qu'il a perdu le souvenir des vies qu'il a changées. »
Remarque. On ne peut supposer que François-Xavier ait inventé cette histoire qui n'était pas à son avantage, ni à suspecter la bonne foi de son historien, le P. Bouhours. D'un autre côté, il n'est pas moins certain que c'était un piège tendu au missionnaire par le bonze, puisque nous savons que le souvenir des existences antérieures est un cas exceptionnel, et que, dans tous les cas, il ne comporte jamais des détails aussi précis ; mais ce qui ressort de ce fait, c'est que la doctrine de la réincarnation existait au Japon à cette époque, dans des conditions identiques, sauf l'intervention des constellations et de la lune, à celles qui sont enseignées de nos jours par les Esprits. Une autre similitude non moins remarquable, c'est l'idée que la précision du souvenir est un signe de supériorité ; les Esprits nous disent, en effet, que dans les mondes supérieurs à la terre, où le corps est moins matériel et l'âme dans un état normal de dégagement, le souvenir du passé est une faculté commune à tout le monde ; on s'y souvient de ses existences antérieures, comme nous nous souvenons des premières années de notre enfance. Il est bien évident que les Japonais n'en sont pas à ce degré de dématérialisation qui n'existe pas sur la terre, mais ce fait prouve qu'ils en ont l'intuition.
Lettre de M. Monico
Au journal la Mahouna, de Guelma (Algérie)
Le journal la Mahouna du 26 juin 1868 publiait la lettre suivante, que nous reproduisons avec plaisir, en adressant à l'auteur nos plus sincères félicitations.
« Monsieur le directeur,
Je viens de lire un article dans l'Indépendant, de Constantine, du 20 courant, appréciant le rôle peu délicat qu'aurait joué un certain M. Home, d'après ce journal (en Angleterre), débutant par ces lignes : « Les Spirites, successeurs des sorciers du moyen âge, ne se bornent plus à indiquer aux imbéciles, leurs adeptes, des trésors cachés, ils s'arrangent pour les découvrir à leur profit. » Suit l'appréciation, etc…
Permettez-moi, monsieur le rédacteur, de me servir de votre honorable journal pour protester énergiquement contre l'auteur de ces lignes si peu littéraires et si blessantes pour les adeptes de ces nouvelles idées, idées bien certainement inconnues puisqu'elles sont si faussement appréciées.
Le Spiritisme succède aux sorciers, comme l'astronomie a succédé aux astrologues. Est-ce à dire que cette science si répandue aujourd'hui, qui a éclairé l'homme en lui faisant connaître les immensités sidérales que les religions primitives avaient façonnées à leur idéal et pour servir leurs intérêts, a épousé toutes les élucubrations fantasques et grossières des astrologues d'autrefois ?
Vous ne le pensez pas.
De même, le Spiritisme, tant décrié par ceux qui ne le connaissent pas, vient détruire les erreurs des sorciers et révéler une science nouvelle à l'humanité. Il vient expliquer ces phénomènes incompris jusqu'ici, que l'ignorance populaire attribuait au miracle.
Loin d'épouser les superstitions d'un autre âge, que les sorciers, les magiciens, etc., toute cette foule de parias rebelles à la civilisation, employant ces moyens afin d'exploiter l'ignorance et de spéculer sur les vices, il vient, dis-je, les détruire et en même temps apporter au service de l'homme une force immense bien supérieure à toutes celles apportées par les philosophies anciennes et modernes.
Cette force est celle-ci : connaissance du passé et de l'avenir réservé à l'homme, répondant à ces questions : D'où viens-je ? où vais-je ?
Ce doute terrible qui pesait sur la conscience humaine, le Spiritisme vient l'expliquer ; non seulement théoriquement et par abstraction, mais matériellement, c'est-à-dire par des preuves accessibles à nos sens, et en dehors de tout aphorisme et sentence théologique.
Les anciennes opinions, nées souvent de l'ignorance et de la fantaisie, disparaissent peu à peu pour faire place à des convictions nouvelles, fondées sur l'observation, et dont la réalité est des plus manifestes ; la trace des vieux préjugés s'efface, et l'homme plus réfléchi, étudiant avec plus d'attention ces phénomènes réputés surnaturels, y a trouvé le produit d'une volonté se manifestant en dehors de lui.
Par le fait de cette manifestation, l'univers apparaît, pour le Spirite, comme un mécanisme conduit par un nombre infini d'intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d'action sous l'œil de Dieu, soit à l'état d'homme soit à l'état d'âme ou d'Esprit. La mort pour lui n'est point un épouvantail faisant frémir, ni le néant ; elle n'est que le point extrême d'une phase de l'être et le commencement d'une autre, c'est-à-dire tout simplement une transformation.
Je m'arrête, n'ayant pas la prétention de faire un cours de Spiritisme, encore moins celle de convaincre mon adversaire ; mais je ne puis laisser offenser une doctrine proclamant pour principe la liberté de conscience et les maximes du Christianisme le plus épuré, sans protester de toute mon âme.
Le Spiritisme a pour ennemis ceux qui ne l'ont point étudié, ni dans sa partie philosophique ni dans sa partie expérimentale ; c'est pour cela que le premier venu, sans se donner la peine de s'éclairer, s'arroge le droit, à priori, de le traiter d'absurde.
Mais, malheureusement pour l'homme, il en a été toujours ainsi chaque fois qu'une nouvelle idée a surgi ; l'histoire est là pour le prouver.
Le Spiritisme étant en accord avec les sciences de notre époque (voir la Genèse, les Miracles et les Prédictions selon le Spiritisme), ses représentants les plus autorisés, et tous les écrits sortis de son sein ont déclaré qu'il était prêt à accepter toutes les idées basées sur les vérités scientifiques et rejeter toutes celles qui seraient reconnues être entachées d'erreur ; en un mot, qu'il veut marcher à la tête du progrès humain.
Les adeptes de cette doctrine, au lieu de se cacher dans l'ombre et de se réunir dans les catacombes, procèdent de toute autre manière ; c'est en pleine lumière et publiquement qu'ils émettent leurs idées et s'exercent à la pratique de leurs principes. L'opinion spirite est représentée en France par cinq revues ou journaux ; en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Russie, par quinze feuilles hebdomadaires ; aux Etats-Unis d'Amérique, ce pays de liberté et de progrès en tout genre, par de nombreux journaux ou revues, et les adeptes du Spiritisme se comptent déjà dans ce pays par millions, qu'involontairement et sans réflexion l'auteur de l'article de l'Indépendant traite d'imbéciles.
Notre époque si éloignée des actes de l'intolérance religieuse, qui se rit des disputes théologiques et des foudres du Vatican, devrait mieux inspirer le respect des opinions contraires.
Veuillez agréer, etc.
Jules Monico. »
Le même journal, du 17 juillet, contient un autre article de M. Monico, qui annonce devoir en publier une série en réponse à quelques attaques des antagonistes du Spiritisme. Nous y voyons également l'annonce, comme étant sous presse, d'une brochure du même auteur, intitulée : la Liberté de conscience, et devant paraître dans la première quinzaine du mois d'août. Prix : 1 franc.
Le journal la Mahouna du 26 juin 1868 publiait la lettre suivante, que nous reproduisons avec plaisir, en adressant à l'auteur nos plus sincères félicitations.
« Monsieur le directeur,
Je viens de lire un article dans l'Indépendant, de Constantine, du 20 courant, appréciant le rôle peu délicat qu'aurait joué un certain M. Home, d'après ce journal (en Angleterre), débutant par ces lignes : « Les Spirites, successeurs des sorciers du moyen âge, ne se bornent plus à indiquer aux imbéciles, leurs adeptes, des trésors cachés, ils s'arrangent pour les découvrir à leur profit. » Suit l'appréciation, etc…
Permettez-moi, monsieur le rédacteur, de me servir de votre honorable journal pour protester énergiquement contre l'auteur de ces lignes si peu littéraires et si blessantes pour les adeptes de ces nouvelles idées, idées bien certainement inconnues puisqu'elles sont si faussement appréciées.
Le Spiritisme succède aux sorciers, comme l'astronomie a succédé aux astrologues. Est-ce à dire que cette science si répandue aujourd'hui, qui a éclairé l'homme en lui faisant connaître les immensités sidérales que les religions primitives avaient façonnées à leur idéal et pour servir leurs intérêts, a épousé toutes les élucubrations fantasques et grossières des astrologues d'autrefois ?
Vous ne le pensez pas.
De même, le Spiritisme, tant décrié par ceux qui ne le connaissent pas, vient détruire les erreurs des sorciers et révéler une science nouvelle à l'humanité. Il vient expliquer ces phénomènes incompris jusqu'ici, que l'ignorance populaire attribuait au miracle.
Loin d'épouser les superstitions d'un autre âge, que les sorciers, les magiciens, etc., toute cette foule de parias rebelles à la civilisation, employant ces moyens afin d'exploiter l'ignorance et de spéculer sur les vices, il vient, dis-je, les détruire et en même temps apporter au service de l'homme une force immense bien supérieure à toutes celles apportées par les philosophies anciennes et modernes.
Cette force est celle-ci : connaissance du passé et de l'avenir réservé à l'homme, répondant à ces questions : D'où viens-je ? où vais-je ?
Ce doute terrible qui pesait sur la conscience humaine, le Spiritisme vient l'expliquer ; non seulement théoriquement et par abstraction, mais matériellement, c'est-à-dire par des preuves accessibles à nos sens, et en dehors de tout aphorisme et sentence théologique.
Les anciennes opinions, nées souvent de l'ignorance et de la fantaisie, disparaissent peu à peu pour faire place à des convictions nouvelles, fondées sur l'observation, et dont la réalité est des plus manifestes ; la trace des vieux préjugés s'efface, et l'homme plus réfléchi, étudiant avec plus d'attention ces phénomènes réputés surnaturels, y a trouvé le produit d'une volonté se manifestant en dehors de lui.
Par le fait de cette manifestation, l'univers apparaît, pour le Spirite, comme un mécanisme conduit par un nombre infini d'intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d'action sous l'œil de Dieu, soit à l'état d'homme soit à l'état d'âme ou d'Esprit. La mort pour lui n'est point un épouvantail faisant frémir, ni le néant ; elle n'est que le point extrême d'une phase de l'être et le commencement d'une autre, c'est-à-dire tout simplement une transformation.
Je m'arrête, n'ayant pas la prétention de faire un cours de Spiritisme, encore moins celle de convaincre mon adversaire ; mais je ne puis laisser offenser une doctrine proclamant pour principe la liberté de conscience et les maximes du Christianisme le plus épuré, sans protester de toute mon âme.
Le Spiritisme a pour ennemis ceux qui ne l'ont point étudié, ni dans sa partie philosophique ni dans sa partie expérimentale ; c'est pour cela que le premier venu, sans se donner la peine de s'éclairer, s'arroge le droit, à priori, de le traiter d'absurde.
Mais, malheureusement pour l'homme, il en a été toujours ainsi chaque fois qu'une nouvelle idée a surgi ; l'histoire est là pour le prouver.
Le Spiritisme étant en accord avec les sciences de notre époque (voir la Genèse, les Miracles et les Prédictions selon le Spiritisme), ses représentants les plus autorisés, et tous les écrits sortis de son sein ont déclaré qu'il était prêt à accepter toutes les idées basées sur les vérités scientifiques et rejeter toutes celles qui seraient reconnues être entachées d'erreur ; en un mot, qu'il veut marcher à la tête du progrès humain.
Les adeptes de cette doctrine, au lieu de se cacher dans l'ombre et de se réunir dans les catacombes, procèdent de toute autre manière ; c'est en pleine lumière et publiquement qu'ils émettent leurs idées et s'exercent à la pratique de leurs principes. L'opinion spirite est représentée en France par cinq revues ou journaux ; en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Russie, par quinze feuilles hebdomadaires ; aux Etats-Unis d'Amérique, ce pays de liberté et de progrès en tout genre, par de nombreux journaux ou revues, et les adeptes du Spiritisme se comptent déjà dans ce pays par millions, qu'involontairement et sans réflexion l'auteur de l'article de l'Indépendant traite d'imbéciles.
Notre époque si éloignée des actes de l'intolérance religieuse, qui se rit des disputes théologiques et des foudres du Vatican, devrait mieux inspirer le respect des opinions contraires.
Veuillez agréer, etc.
Jules Monico. »
Le même journal, du 17 juillet, contient un autre article de M. Monico, qui annonce devoir en publier une série en réponse à quelques attaques des antagonistes du Spiritisme. Nous y voyons également l'annonce, comme étant sous presse, d'une brochure du même auteur, intitulée : la Liberté de conscience, et devant paraître dans la première quinzaine du mois d'août. Prix : 1 franc.
Bibliographie
Le Spiritisme à Lyon, journal bi-mensuel qui paraît à Lyon depuis le 15 février, poursuit avec persévérance et succès le cours de sa publication. Comme nous l'avons dit dans le temps, et comme il le dit lui-même, ce n'est pas un journal à prétentions littéraires ; son but, plus modeste, est de populariser, par la modicité de son prix, les saines idées sur la doctrine. Il est fait en dehors de toute pensée de spéculation, car l'excédent des frais matériels est versé à la caisse de secours. C'est donc une œuvre de dévouement de la part de ceux qui ont entrepris cette lourde tâche. Par le bon esprit dans lequel est conçue sa rédaction et le but louable qu'il se propose, il ne peut manquer de se concilier les sympathies et les encouragements de tous les Spirites sincères. Nous avons lu avec un vif plaisir, en tête des derniers numéros, un avis par lequel il annonce que M. le sénateur préfet du Rhône en a autorisé la vente sur la voie publique. Nous faisons des vœux pour sa prospérité, puisqu'elle doit profiter à la doctrine et aux malheureux. Le défaut d'espace nous oblige à remettre au prochain numéro les réflexions que nous ont suggérées quelques-uns de ses articles, parmi lesquels nous en avons remarqué un (No du 15 juillet) très sagement conçu, sur le procès de M. Home.