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REVUE SPIRITE - JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1860 > Octobre > Réponse de M. Allan Kardec à Monsieur le rédacteur de la Gazette de Lyon
Réponse de M. Allan Kardec à Monsieur le rédacteur de la Gazette de Lyon
Monsieur,
Allan Kardec.
Monsieur,
On m'a communiqué un article signé C. M., que vous avez publié dans la Gazette de Lyon du 2 août 1860, sous le titre de Une séance chez les Spirites. Dans cet article, si je ne suis attaqué qu'indirectement, je le suis dans la personne de tous ceux qui partagent mes convictions ; mais ceci ne serait rien si vos paroles ne tendaient à fausser l'opinion publique sur le principe et les conséquences des croyances spirites, en déversant le ridicule et le blâme sur ceux qui les professent, et que vous signalez à la vindicte légale. Je vous prie de me permettre quelques rectifications à ce sujet, espérant de votre impartialité que, puisque vous avez cru devoir publier l'attaque, vous voudrez bien publier ma réponse.
Ne croyez pas, Monsieur, que mon but soit de chercher à vous convaincre, ni que je vais vous rendre injure pour injure ; quelles que soient les raisons qui vous empêchent de partager notre manière de voir, je ne songe point à m'en enquérir, et je les respecte si elles sont sincères ; je ne demande que la réciprocité pratiquée entre gens qui savent vivre. Quant aux épithètes inciviles, il n'est pas dans mes habitudes de m'en servir.
Si vous aviez discuté sérieusement les principes du Spiritisme, si vous y aviez opposé des arguments quelconques bons ou mauvais, j'aurais pu vous répondre ; mais toute votre argumentation se bornant à nous qualifier d'ineptes, il ne m'appartient pas de discuter avec vous si vous avez tort ou raison ; je me borne donc à relever ce que vos assertions ont d'inexact, en dehors de toute personnalité.
Il ne suffit pas de dire aux gens qui ne pensent pas comme nous qu'ils sont des imbéciles : ceci est à la portée du premier venu ; il faut leur démontrer qu'ils ont tort ; mais comment le faire, comment entrer dans le vif de la question si l'on n'en sait pas le premier mot ? Or, je crois que c'est le cas où vous vous trouvez, autrement vous auriez employé de meilleures armes que l'accusation banale de stupidité. Quand vous aurez donné à l'étude du Spiritisme le temps moral nécessaire, et je vous préviens qu'il en faut beaucoup ; quand vous aurez lu tout ce qui peut asseoir votre opinion, approfondi toutes les questions, assisté en observateur consciencieux et impartial à quelques milliers d'expériences, votre critique aura quelque poids ; jusque là ce n'est qu'une opinion individuelle qui ne s'appuie sur rien, et au sujet de laquelle vous pouvez à chaque mot être pris en flagrant délit d'ignorance. Le début de votre article en est la preuve.
On appelle Spirites, dites-vous, certains hallucinés qui ont rompu avec toutes les croyances religieuses de leur époque et de leur pays. » Savez-vous, Monsieur, que cette accusation est très grave, et d'autant plus grave qu'elle est à la fois fausse et calomnieuse ? Le Spiritisme est entièrement fondé sur le dogme de l'existence de l'âme, sa survivance au corps, son individualité après la mort, son immortalité, les peines et les récompenses futures. Il ne sanctionne pas seulement ces vérités par la théorie, son essence est d'en donner des preuves patentes ; voilà pourquoi tant de gens qui ne croyaient à rien ont été ramenés aux idées religieuses. Toute sa morale n'est que le développement de ces maximes du Christ : Pratiquer la charité, rendre le bien pour le mal, être indulgent pour son prochain, pardonner à ses ennemis, en un mot agir envers les autres comme nous voudrions qu'on agît envers nous-mêmes. Trouvez-vous donc ces idées bien stupides ? Ont-ils rompu avec toute croyance religieuse ceux qui s'appuient sur les bases mêmes de la religion ? Non, direz-vous, mais il suffit d'être catholique pour avoir ces idées-là ; les avoir, soit ; mais les pratiquer c'est autre chose, à ce qu'il paraît. Est-il bien évangélique à vous, catholique, d'insulter de braves gens qui ne vous ont point fait de mal, que vous ne connaissez pas et qui ont eu assez de confiance en vous pour vous recevoir parmi eux ? Admettons qu'ils soient dans l'erreur ; est-ce en leur prodiguant l'injure, en les irritant que vous le ramènerez ?
Votre article contient une autre erreur de fait qui prouve encore une fois votre ignorance en matière de Spiritisme. Vous dites : Les adeptes sont généralement des ouvriers. Sachez donc, Monsieur, pour votre gouverne, que sur les cinq ou six millions de Spirites qui existent aujourd'hui, la presque totalité appartient aux classes les plus éclairées de la société ; il compte parmi ses adhérents un très grand nombre de médecins dans tous les pays, des avocats, des magistrats, des hommes de lettres, de hauts fonctionnaires, des officiers de tous grades, des artistes, des savants, des négociants, etc., gens que vous rangez bien lestement parmi les ineptes. Mais passons là-dessus. Les mots insulte et injure vous semblent-ils trop forts ? Voyons !
Avez-vous bien pesé la portée de vos paroles quand, après avoir dit que les adeptes sont généralement des ouvriers, vous ajoutez, à propos des réunions lyonnaises : Car on n'y reçoit pas facilement ceux qui, par leur extérieur, annoncent trop d'intelligence ; les Esprits ne daignent se manifester qu'aux simples, c'est probablement ce qui nous a valu d'y être admis. Et plus loin cette autre phrase : Après un Speech sur la nature des Esprits, le tout débité d'un style qui devait charmer les Esprits, à cause de sa simplicité, les questions commencèrent. Je ne rappelle pas vos facéties au sujet de la plume d'oie dont se servait, selon vous, le médium, et autres choses tout aussi spirituelles ; je parle plus sérieusement. Je ne ferai qu'une simple remarque, c'est que vos yeux et vos oreilles vous ont très mal servi, car le médium dont vous parlez ne se sert pas de plume d'oie, et la forme aussi bien que le fond de la plupart des questions et des réponses que vous rapportez dans votre article sont de pure invention ; ce sont donc de petites calomnies à la faveur desquelles vous avez voulu faire briller votre esprit.
Ainsi, selon vous, pour être admis dans ces réunions d'ouvriers, il faut être ouvrier, c'est-à-dire dépourvu de bon sens, et vous n'y avez été introduit que parce qu'on vous a, dites-vous, probablement pris pour un sot. Assurément si l'on avait cru que vous eussiez assez d'esprit pour inventer des choses qui ne sont pas, il est bien certain qu'on vous aurait fermé la porte.
Savez-vous bien, Monsieur, que vous n'attaquez pas seulement les Spirites, mais toute la classe ouvrière, et en particulier celle de Lyon ? Oubliez-vous que ce sont ces mêmes ouvriers, ces canus, comme vous le dites avec affectation, qui font la prospérité de votre ville, par leur industrie ? Sont-ce des gens sans valeur morale que ces ouvriers qui ont produit Jacquard ? d'où sont sortis bon nombre de vos fabricants qui ont acquis leur fortune à la sueur de leur front et à force d'ordre et d'économie ? N'est-ce pas insulter à leur travail que de comparer leurs métiers à d'ignobles potences ? Vous déversez le ridicule sur leur langage ; mais oubliez-vous que leur état n'est pas de faire des discours académiques ? Est-il besoin d'un style tiré au cordeau pour dire ce qu'on pense ? Vos paroles, Monsieur, ne sont pas seulement légères, - j'emploie ce mot par ménagement, - elles sont imprudentes. Si jamais Dieu vous réservait encore des jours néfastes, priez-le qu'ils ne s'en souviennent pas. Ceux qui seront Spirites les oublieront, car la charité le leur commande ; faites donc des vœux pour qu'ils le soient tous, car ils puisent dans le Spiritisme des principes d'ordre social, de respect pour la propriété, et des sentiments religieux.
Savez-vous ce que font ces ouvriers spirites lyonnais que vous traitez avec tant de dédain ? Au lieu d'aller s'étourdir dans un cabaret, ou de se nourrir de doctrines subversives et chimériques ; dans cet atelier que vous comparez dérisoirement à l'antre de Trophonius, au milieu de ces métiers aux quatre potences, ils pensent à Dieu. Je les ai vus pendant mon séjour ici ; j'ai causé avec eux et je me suis convaincu de ce qui suit : Parmi eux, beaucoup maudissaient leur travail pénible : aujourd'hui ils l'acceptent avec la résignation du chrétien, comme une épreuve ; beaucoup voyaient d'un œil envieux et jaloux le sort des riches : aujourd'hui ils savent que la richesse est une épreuve encore plus glissante que celle de la misère, et que le malheureux qui souffre et ne cède pas à la tentation est le véritable élu de Dieu ; ils savent que le vrai bonheur n'est pas dans le superflu, et que ceux qu'on appelle les heureux de ce monde ont aussi de cruelles angoisses que l'or n'apaise pas ; beaucoup se riaient de la prière : aujourd'hui, ils prient, et ont retrouvé le chemin de l'église qu'ils avaient oublié, parce que jadis ils ne croyaient à rien et qu'aujourd'hui ils croient ; plusieurs auraient succombé au désespoir : aujourd'hui qu'ils connaissent le sort de ceux qui abrègent volontairement leur vie, ils se résignent à la volonté de Dieu, parce qu'ils savent qu'ils ont une âme, et qu'avant ils n'en étaient pas certains ; parce qu'ils savent enfin qu'ils ne sont qu'en passant sur la terre, et que la justice de Dieu ne fait défaut à personne.
Voilà, Monsieur, ce que savent et ce que font ces ineptes, comme vous les appelez ; ils s'expriment dans un langage peut-être ridicule, trivial aux yeux d'un homme d'esprit comme vous, mais aux yeux de Dieu le mérite est dans le cœur et non dans l'élégance des phrases.
Ailleurs vous dites : « Autrefois l'Église était assez puissante pour imposer silence à de pareilles divagations ; elle frappait peut être trop fort, c'est vrai, mais elle arrêtait le mal. Aujourd'hui que l'autorité religieuse est impuissante, l'autre autorité ne devrait-elle pas intervenir ? » En effet elle brûlait ; c'est vraiment dommage qu'il n'y ait plus de bûchers. Oh ! déplorables effets du progrès des lumières !
Je n'ai pas pour habitude de répondre aux diatribes ; s'il ne s'était agi que de moi, je n'aurais rien dit ; mais à propos d'une croyance que je me fais gloire de professer, parce que c'est une croyance éminemment chrétienne, vous bafouez des gens honnêtes et laborieux parce qu'ils sont illettrés, oubliant que Jésus lui-même était ouvrier ; vous les excitez par des paroles irritantes ; vous appelez sur eux les rigueurs de l'autorité civile et religieuse, alors qu'ils sont paisibles et comprennent le vide des utopies dont ils se sont bercés, et qui vous ont fait peur : j'ai dû prendre leur défense, tout en leur rappelant les devoirs que la charité commande, et en leur disant que si d'autres manquent à ces devoirs, ce n'est pas une raison pour eux de s'en affranchir. Voilà, Monsieur, les conseils que je leur donne ; ce sont aussi ceux que leur donnent ces Esprits qui ont la sottise de s'adresser à des gens simples et ignorants plutôt qu'à vous ; c'est que probablement ils savent qu'ils en seront mieux écoutés. Voudriez-vous à ce sujet me dire pourquoi Jésus a choisi ses apôtres parmi le peuple, au lieu de les prendre parmi les hommes de lettres ? C'est sans doute parce qu'il n'y avait pas alors des journalistes pour lui dire ce qu'il avait à faire.
Vous direz sans doute que votre critique ne porte que sur la croyance aux Esprits et à leurs manifestations, et non sur les principes sacrés de la religion. J'en suis persuadé ; mais alors pourquoi dire que les Spirites ont rompu avec tous les principes religieux ? C’est que vous ne saviez pas sur quoi ils s'appuient. Cependant vous avez vu là un médium prier avec recueillement, et vous, catholique, vous avez ri d'une personne qui priait !
Vous ne savez probablement pas davantage ce que c'est que les Esprits. Les Esprits ne sont pas autre chose que les âmes de ceux qui ont vécu ; les âmes et les Esprits sont donc une seule et même chose ; de telle sorte que nier l'existence des Esprits, c'est nier l'âme ; admettre l'âme, sa survivance et son individualité, c'est admettre les Esprits. Toute la question se réduit donc à savoir si l'âme, après la mort, peut se manifester aux vivants ; les livres sacrés et les Pères de l'Eglise le reconnaissent. Si les Spirites ont tort, ces autorités se sont également trompées ; pour le prouver il s'agit de démontrer, non par une simple négation, mais par des raisons péremptoires :
1° Que l'être qui pense en nous pendant la vie ne doit plus penser après la mort ;
2° Que s'il pense, il ne doit plus penser à ceux qu'il a aimés ;
3° Que s'il pense à ceux qu'il a aimés, il ne doit plus vouloir se communiquer à eux ;
4° Que s'il peut être partout, il ne peut pas être à nos côtés ;
5° Que s'il est à nos côtés, il ne peut pas se communiquer à nous.
Si vous connaissiez l'état des Esprits, leur nature, et, si je puis m'exprimer ainsi, leur constitution physiologique, telle qu'ils nous la décrivent, et telle que l'observation la confirme, vous sauriez que l'Esprit et l'âme étant une seule et même chose, il n'y a de moins chez l'Esprit que le corps dont il s'est dépouillé en mourant, mais qu'il lui reste une enveloppe éthérée, qui constitue pour lui un corps fluidique à l'aide duquel il peut en certaines circonstances se rendre visible, ainsi que cela a lieu dans les faits d'apparitions que l'Eglise elle-même admet parfaitement, puisque de quelques-uns elle fait des articles de foi. Cette base étant donnée, aux propositions précédentes j'ajouterai les suivantes, en vous demandant de prouver :
6° Que par son enveloppe fluidique l'Esprit ne peut pas agir sur la matière inerte ;
7° Que s'il peut agir sur la matière inerte, il ne peut pas agir sur un être animé ;
8° Que s'il peut agir sur un être animé, il ne peut pas diriger sa main pour le faire écrire ;
9° Que pouvant le faire écrire, il ne peut pas répondre à ses questions et lui transmettre sa pensée.
Quand vous aurez démontré que tout cela ne se peut pas, par des raisons aussi patentes que celles par lesquelles Galilée démontra que ce n'est pas le soleil qui tourne, alors votre opinion pourra être prise en considération.
Vous objecterez sans doute que, dans leurs communications, les Esprits disent quelquefois des choses absurdes. Cela est très vrai ; ils font plus : ils disent parfois des grossièretés et des impertinences. C'est qu'en quittant son corps l'Esprit ne se dépouille pas immédiatement de toutes ses imperfections ; il est donc probable que ceux qui disent des choses ridicules, comme Esprits, en ont dit de plus ridicules encore quand il étaient parmi nous ; c'est pourquoi nous n'acceptons pas plus aveuglément tout ce qui vient de leur part, que ce qui vient de la part des hommes. Mais je m'arrête, n'ayant pas l'intention de faire ici un cours d'enseignement ; il m'a suffit de prouver que vous aviez parlé du Spiritisme sans le connaître.
Agréez, Monsieur, mes salutations empressées.Ne croyez pas, Monsieur, que mon but soit de chercher à vous convaincre, ni que je vais vous rendre injure pour injure ; quelles que soient les raisons qui vous empêchent de partager notre manière de voir, je ne songe point à m'en enquérir, et je les respecte si elles sont sincères ; je ne demande que la réciprocité pratiquée entre gens qui savent vivre. Quant aux épithètes inciviles, il n'est pas dans mes habitudes de m'en servir.
Si vous aviez discuté sérieusement les principes du Spiritisme, si vous y aviez opposé des arguments quelconques bons ou mauvais, j'aurais pu vous répondre ; mais toute votre argumentation se bornant à nous qualifier d'ineptes, il ne m'appartient pas de discuter avec vous si vous avez tort ou raison ; je me borne donc à relever ce que vos assertions ont d'inexact, en dehors de toute personnalité.
Il ne suffit pas de dire aux gens qui ne pensent pas comme nous qu'ils sont des imbéciles : ceci est à la portée du premier venu ; il faut leur démontrer qu'ils ont tort ; mais comment le faire, comment entrer dans le vif de la question si l'on n'en sait pas le premier mot ? Or, je crois que c'est le cas où vous vous trouvez, autrement vous auriez employé de meilleures armes que l'accusation banale de stupidité. Quand vous aurez donné à l'étude du Spiritisme le temps moral nécessaire, et je vous préviens qu'il en faut beaucoup ; quand vous aurez lu tout ce qui peut asseoir votre opinion, approfondi toutes les questions, assisté en observateur consciencieux et impartial à quelques milliers d'expériences, votre critique aura quelque poids ; jusque là ce n'est qu'une opinion individuelle qui ne s'appuie sur rien, et au sujet de laquelle vous pouvez à chaque mot être pris en flagrant délit d'ignorance. Le début de votre article en est la preuve.
On appelle Spirites, dites-vous, certains hallucinés qui ont rompu avec toutes les croyances religieuses de leur époque et de leur pays. » Savez-vous, Monsieur, que cette accusation est très grave, et d'autant plus grave qu'elle est à la fois fausse et calomnieuse ? Le Spiritisme est entièrement fondé sur le dogme de l'existence de l'âme, sa survivance au corps, son individualité après la mort, son immortalité, les peines et les récompenses futures. Il ne sanctionne pas seulement ces vérités par la théorie, son essence est d'en donner des preuves patentes ; voilà pourquoi tant de gens qui ne croyaient à rien ont été ramenés aux idées religieuses. Toute sa morale n'est que le développement de ces maximes du Christ : Pratiquer la charité, rendre le bien pour le mal, être indulgent pour son prochain, pardonner à ses ennemis, en un mot agir envers les autres comme nous voudrions qu'on agît envers nous-mêmes. Trouvez-vous donc ces idées bien stupides ? Ont-ils rompu avec toute croyance religieuse ceux qui s'appuient sur les bases mêmes de la religion ? Non, direz-vous, mais il suffit d'être catholique pour avoir ces idées-là ; les avoir, soit ; mais les pratiquer c'est autre chose, à ce qu'il paraît. Est-il bien évangélique à vous, catholique, d'insulter de braves gens qui ne vous ont point fait de mal, que vous ne connaissez pas et qui ont eu assez de confiance en vous pour vous recevoir parmi eux ? Admettons qu'ils soient dans l'erreur ; est-ce en leur prodiguant l'injure, en les irritant que vous le ramènerez ?
Votre article contient une autre erreur de fait qui prouve encore une fois votre ignorance en matière de Spiritisme. Vous dites : Les adeptes sont généralement des ouvriers. Sachez donc, Monsieur, pour votre gouverne, que sur les cinq ou six millions de Spirites qui existent aujourd'hui, la presque totalité appartient aux classes les plus éclairées de la société ; il compte parmi ses adhérents un très grand nombre de médecins dans tous les pays, des avocats, des magistrats, des hommes de lettres, de hauts fonctionnaires, des officiers de tous grades, des artistes, des savants, des négociants, etc., gens que vous rangez bien lestement parmi les ineptes. Mais passons là-dessus. Les mots insulte et injure vous semblent-ils trop forts ? Voyons !
Avez-vous bien pesé la portée de vos paroles quand, après avoir dit que les adeptes sont généralement des ouvriers, vous ajoutez, à propos des réunions lyonnaises : Car on n'y reçoit pas facilement ceux qui, par leur extérieur, annoncent trop d'intelligence ; les Esprits ne daignent se manifester qu'aux simples, c'est probablement ce qui nous a valu d'y être admis. Et plus loin cette autre phrase : Après un Speech sur la nature des Esprits, le tout débité d'un style qui devait charmer les Esprits, à cause de sa simplicité, les questions commencèrent. Je ne rappelle pas vos facéties au sujet de la plume d'oie dont se servait, selon vous, le médium, et autres choses tout aussi spirituelles ; je parle plus sérieusement. Je ne ferai qu'une simple remarque, c'est que vos yeux et vos oreilles vous ont très mal servi, car le médium dont vous parlez ne se sert pas de plume d'oie, et la forme aussi bien que le fond de la plupart des questions et des réponses que vous rapportez dans votre article sont de pure invention ; ce sont donc de petites calomnies à la faveur desquelles vous avez voulu faire briller votre esprit.
Ainsi, selon vous, pour être admis dans ces réunions d'ouvriers, il faut être ouvrier, c'est-à-dire dépourvu de bon sens, et vous n'y avez été introduit que parce qu'on vous a, dites-vous, probablement pris pour un sot. Assurément si l'on avait cru que vous eussiez assez d'esprit pour inventer des choses qui ne sont pas, il est bien certain qu'on vous aurait fermé la porte.
Savez-vous bien, Monsieur, que vous n'attaquez pas seulement les Spirites, mais toute la classe ouvrière, et en particulier celle de Lyon ? Oubliez-vous que ce sont ces mêmes ouvriers, ces canus, comme vous le dites avec affectation, qui font la prospérité de votre ville, par leur industrie ? Sont-ce des gens sans valeur morale que ces ouvriers qui ont produit Jacquard ? d'où sont sortis bon nombre de vos fabricants qui ont acquis leur fortune à la sueur de leur front et à force d'ordre et d'économie ? N'est-ce pas insulter à leur travail que de comparer leurs métiers à d'ignobles potences ? Vous déversez le ridicule sur leur langage ; mais oubliez-vous que leur état n'est pas de faire des discours académiques ? Est-il besoin d'un style tiré au cordeau pour dire ce qu'on pense ? Vos paroles, Monsieur, ne sont pas seulement légères, - j'emploie ce mot par ménagement, - elles sont imprudentes. Si jamais Dieu vous réservait encore des jours néfastes, priez-le qu'ils ne s'en souviennent pas. Ceux qui seront Spirites les oublieront, car la charité le leur commande ; faites donc des vœux pour qu'ils le soient tous, car ils puisent dans le Spiritisme des principes d'ordre social, de respect pour la propriété, et des sentiments religieux.
Savez-vous ce que font ces ouvriers spirites lyonnais que vous traitez avec tant de dédain ? Au lieu d'aller s'étourdir dans un cabaret, ou de se nourrir de doctrines subversives et chimériques ; dans cet atelier que vous comparez dérisoirement à l'antre de Trophonius, au milieu de ces métiers aux quatre potences, ils pensent à Dieu. Je les ai vus pendant mon séjour ici ; j'ai causé avec eux et je me suis convaincu de ce qui suit : Parmi eux, beaucoup maudissaient leur travail pénible : aujourd'hui ils l'acceptent avec la résignation du chrétien, comme une épreuve ; beaucoup voyaient d'un œil envieux et jaloux le sort des riches : aujourd'hui ils savent que la richesse est une épreuve encore plus glissante que celle de la misère, et que le malheureux qui souffre et ne cède pas à la tentation est le véritable élu de Dieu ; ils savent que le vrai bonheur n'est pas dans le superflu, et que ceux qu'on appelle les heureux de ce monde ont aussi de cruelles angoisses que l'or n'apaise pas ; beaucoup se riaient de la prière : aujourd'hui, ils prient, et ont retrouvé le chemin de l'église qu'ils avaient oublié, parce que jadis ils ne croyaient à rien et qu'aujourd'hui ils croient ; plusieurs auraient succombé au désespoir : aujourd'hui qu'ils connaissent le sort de ceux qui abrègent volontairement leur vie, ils se résignent à la volonté de Dieu, parce qu'ils savent qu'ils ont une âme, et qu'avant ils n'en étaient pas certains ; parce qu'ils savent enfin qu'ils ne sont qu'en passant sur la terre, et que la justice de Dieu ne fait défaut à personne.
Voilà, Monsieur, ce que savent et ce que font ces ineptes, comme vous les appelez ; ils s'expriment dans un langage peut-être ridicule, trivial aux yeux d'un homme d'esprit comme vous, mais aux yeux de Dieu le mérite est dans le cœur et non dans l'élégance des phrases.
Ailleurs vous dites : « Autrefois l'Église était assez puissante pour imposer silence à de pareilles divagations ; elle frappait peut être trop fort, c'est vrai, mais elle arrêtait le mal. Aujourd'hui que l'autorité religieuse est impuissante, l'autre autorité ne devrait-elle pas intervenir ? » En effet elle brûlait ; c'est vraiment dommage qu'il n'y ait plus de bûchers. Oh ! déplorables effets du progrès des lumières !
Je n'ai pas pour habitude de répondre aux diatribes ; s'il ne s'était agi que de moi, je n'aurais rien dit ; mais à propos d'une croyance que je me fais gloire de professer, parce que c'est une croyance éminemment chrétienne, vous bafouez des gens honnêtes et laborieux parce qu'ils sont illettrés, oubliant que Jésus lui-même était ouvrier ; vous les excitez par des paroles irritantes ; vous appelez sur eux les rigueurs de l'autorité civile et religieuse, alors qu'ils sont paisibles et comprennent le vide des utopies dont ils se sont bercés, et qui vous ont fait peur : j'ai dû prendre leur défense, tout en leur rappelant les devoirs que la charité commande, et en leur disant que si d'autres manquent à ces devoirs, ce n'est pas une raison pour eux de s'en affranchir. Voilà, Monsieur, les conseils que je leur donne ; ce sont aussi ceux que leur donnent ces Esprits qui ont la sottise de s'adresser à des gens simples et ignorants plutôt qu'à vous ; c'est que probablement ils savent qu'ils en seront mieux écoutés. Voudriez-vous à ce sujet me dire pourquoi Jésus a choisi ses apôtres parmi le peuple, au lieu de les prendre parmi les hommes de lettres ? C'est sans doute parce qu'il n'y avait pas alors des journalistes pour lui dire ce qu'il avait à faire.
Vous direz sans doute que votre critique ne porte que sur la croyance aux Esprits et à leurs manifestations, et non sur les principes sacrés de la religion. J'en suis persuadé ; mais alors pourquoi dire que les Spirites ont rompu avec tous les principes religieux ? C’est que vous ne saviez pas sur quoi ils s'appuient. Cependant vous avez vu là un médium prier avec recueillement, et vous, catholique, vous avez ri d'une personne qui priait !
Vous ne savez probablement pas davantage ce que c'est que les Esprits. Les Esprits ne sont pas autre chose que les âmes de ceux qui ont vécu ; les âmes et les Esprits sont donc une seule et même chose ; de telle sorte que nier l'existence des Esprits, c'est nier l'âme ; admettre l'âme, sa survivance et son individualité, c'est admettre les Esprits. Toute la question se réduit donc à savoir si l'âme, après la mort, peut se manifester aux vivants ; les livres sacrés et les Pères de l'Eglise le reconnaissent. Si les Spirites ont tort, ces autorités se sont également trompées ; pour le prouver il s'agit de démontrer, non par une simple négation, mais par des raisons péremptoires :
1° Que l'être qui pense en nous pendant la vie ne doit plus penser après la mort ;
2° Que s'il pense, il ne doit plus penser à ceux qu'il a aimés ;
3° Que s'il pense à ceux qu'il a aimés, il ne doit plus vouloir se communiquer à eux ;
4° Que s'il peut être partout, il ne peut pas être à nos côtés ;
5° Que s'il est à nos côtés, il ne peut pas se communiquer à nous.
Si vous connaissiez l'état des Esprits, leur nature, et, si je puis m'exprimer ainsi, leur constitution physiologique, telle qu'ils nous la décrivent, et telle que l'observation la confirme, vous sauriez que l'Esprit et l'âme étant une seule et même chose, il n'y a de moins chez l'Esprit que le corps dont il s'est dépouillé en mourant, mais qu'il lui reste une enveloppe éthérée, qui constitue pour lui un corps fluidique à l'aide duquel il peut en certaines circonstances se rendre visible, ainsi que cela a lieu dans les faits d'apparitions que l'Eglise elle-même admet parfaitement, puisque de quelques-uns elle fait des articles de foi. Cette base étant donnée, aux propositions précédentes j'ajouterai les suivantes, en vous demandant de prouver :
6° Que par son enveloppe fluidique l'Esprit ne peut pas agir sur la matière inerte ;
7° Que s'il peut agir sur la matière inerte, il ne peut pas agir sur un être animé ;
8° Que s'il peut agir sur un être animé, il ne peut pas diriger sa main pour le faire écrire ;
9° Que pouvant le faire écrire, il ne peut pas répondre à ses questions et lui transmettre sa pensée.
Quand vous aurez démontré que tout cela ne se peut pas, par des raisons aussi patentes que celles par lesquelles Galilée démontra que ce n'est pas le soleil qui tourne, alors votre opinion pourra être prise en considération.
Vous objecterez sans doute que, dans leurs communications, les Esprits disent quelquefois des choses absurdes. Cela est très vrai ; ils font plus : ils disent parfois des grossièretés et des impertinences. C'est qu'en quittant son corps l'Esprit ne se dépouille pas immédiatement de toutes ses imperfections ; il est donc probable que ceux qui disent des choses ridicules, comme Esprits, en ont dit de plus ridicules encore quand il étaient parmi nous ; c'est pourquoi nous n'acceptons pas plus aveuglément tout ce qui vient de leur part, que ce qui vient de la part des hommes. Mais je m'arrête, n'ayant pas l'intention de faire ici un cours d'enseignement ; il m'a suffit de prouver que vous aviez parlé du Spiritisme sans le connaître.
Allan Kardec.