REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1865

Allan Kardec

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Décembre

Ouvrez-moi ! Appel de Carita

On nous écrit de Lyon :

« … Le Spiritisme, ce grand trait d'union entre tous les enfants de Dieu, nous a ouvert un si large horizon, que nous pouvons regarder d'un point à l'autre tous ces cœurs épars que les circonstances ont placés à l'orient et à l'occident, et les voir tressaillir à un seul appel de Carita. Je me souviens encore de la profonde émotion que j'ai ressentie lorsque, l'année dernière, la Revue spirite nous rendait compte de l'impression qu'avait produite dans toutes les parties de l'Europe une communication de cet excellent Esprit. Sans doute on pourra dire tout ce qu'on voudra contre le Spiritisme : c'est une preuve qu'il grandit, car on ne s'attaque généralement pas aux petites causes, mais aux grands effets. Du reste, que sont ces attaques, sinon comme la colère d'un enfant qui jetterait des pierres dans l'océan pour l'empêcher de gronder, et les détracteurs du Spiritisme ne se doutent guère qu'en dénigrant la doctrine, ils font tous les frais d'une réclame qui donne à tous ceux qui les lisent l'envie de connaître ce redoutable ennemi qui a pour mot d'ordre : Hors la charité point de salut… »

Cette lettre était accompagnée de la communication suivante, dictée par l'Esprit de Carita, l'éloquente et gracieuse quêteuse que les bons cœurs connaissent si bien.

(Lyon, 8 novembre 1865.)

« Il fait froid, il pleut, le vent souffle bien fort, ouvrez-moi.

J'ai fait une longue route à travers le pays de la misère, et je reviens, le cœur meurtri, les épaules chargées du fardeau de toutes les douleurs. Ouvrez-moi bien vite, mes aimés, vous qui savez que lorsque la charité frappe à votre porte, c'est qu'elle a rencontré bien des malheureux sur son chemin. Ouvrez votre cœur pour recevoir mes confidences ; ouvrez votre aumônière pour tarir les larmes de mes protégés, et écoutez-moi avec cette émotion que la douleur fait monter de votre âme à vos lèvres. Oh ! vous qui savez ce que Dieu réserve, et qui pleurez souvent de ces larmes d'amour que le Christ appelait la rosée de la vie céleste, ouvrez-moi !… Merci ! je suis entrée.

Ce matin, je suis partie ; on m'appelait de tous côtés, et la souffrance a la voix si vibrante, qu'un seul appel suffit. Ma première visite fut pour deux pauvres vieillards : l'homme et la femme. Ils ont vécu tous deux de ces longs jours où le pain se fait rare, où le soleil se cache, où le travail manque aux bras vaillants qui l'appellent ; ils ont enseveli leur misère sous le foyer de la dignité, et nul n'a pu deviner que souvent le jour s'écoulait sans apporter son pain quotidien. Puis l'âge est venu, les membres se sont roidis, les yeux se sont voilés, et le maître qui fournissait le travail a dit : Je n'ai plus rien à faire. Pourtant la mort n'est pas venue, et la faim et le froid se font chaque jour les visiteurs habituels de la pauvre demeure. Comment répondre à cette misère ? En la proclamant ? Oh ! non. Il y a des blessures que l'on ne guérit pas en arrachant l'appareil qui les couvre. Ce qui calme le cœur, c'est une parole de consolation dite par une voix amie qui a deviné, avec son âme, ce qu'on a caché à ses yeux. Pour ces pauvres-là, ouvrez-moi !

Et puis, j'ai vu une mère partager son unique morceau de pain entre trois petits enfants, et comme le morceau était un peu exigu, elle ne garda rien pour elle. J'ai vu l'âtre éteint, le coucher veuf de son mobilier ; j'ai vu les membres grelottants sous une enveloppe usée ; j'ai vu le mari rentrer à la maison sans avoir trouvé d'ouvrage ; j'ai vu enfin le dernier enfant mourir sans secours, parce que le père et la mère sont Spirites et qu'ils ont eu à subir les humiliations des œuvres de bienfaisance.

J'ai vu la misère dans toute sa hideuse plaie ; j'ai vu les cœurs s'atrophier, et la dignité s'éteindre sous le ver rongeur de la nécessité de vivre. J'ai vu des créatures de Dieu renier leur origine immortelle, parce qu'elles ne comprenaient pas l'épreuve. J'ai vu, enfin, le matérialisme grandir avec la misère, et j'ai vainement crié : Ouvrez-moi, je suis la charité ; je viens à vous le cœur rempli de tendresse ; ne pleurez plus, je viens vous consoler ; mais le cœur des malheureux ne m'a pas entendu, leurs entrailles avaient trop faim !

Alors je me suis rapproché de vous, mes bons amis, de vous qui m'avez écoutée, de vous qui savez que Carita est la mendiante pour les pauvres, et je vous ai dit : Ouvrez-moi !

Je viens de vous raconter ce que j'ai vu dans ma longue journée, et, je vous en prie, ayez pour mes pauvres une pensée, une parole, un doux souvenir, afin que le soir, à l'heure de la prière, ils ne s'endorment pas sans dire merci à Dieu, parce que vous leur aurez souri de loin. Les pauvres, vous le savez, sont la pierre de touche que Dieu envoie sur terre pour éprouver votre cœur ; ne les repoussez pas, afin qu'un jour, lorsque vous aurez passé le seuil qui conduit à l'espace, Dieu vous reconnaisse pour des cœurs sans alliage, et vous admette au séjour des élus ! – Carita. »

Nous nous faisons avec bonheur les interprètes de la bonne Carita, et nous espérons qu'elle n'aura pas dit en vain : Ouvrez-moi ! Si elle frappe à la porte avec tant d'insistance, c'est que l'hiver y frappe aussi de son côté.



Souscription, au profit des pauvres de Lyon et des victimes du choléra, ouverte au bureau de la Revue spirite.

Cette année, une cause de souffrances est venue s'ajouter aux rigueurs de l'hiver qui s'avance à grands pas. Jamais, sans doute, la sollicitude de l'autorité ne s'est montrée plus intelligente et plus prévoyante que dans cette dernière invasion du fléau, à l'égard de ceux qui en sont atteints ; promptitude et sage distribution des secours médicaux et autres, rien n'a fait défaut sous ce rapport ; c'est une justice que chacun se plaît à lui rendre. Aussi, grâce aux mesures prises, ses ravages ont été rapidement circonscrits ; mais il laisse après lui des traces cruelles de son passage dans les familles pauvres, et les plus à plaindre ne sont pas ceux qui succombent. C'est là surtout que la charité privée est nécessaire.

L'état des sommes reçues et leur répartition sont soumis au contrôle de la Société spirite de Paris.



Les romans spirites

Spirite par Théophile Gautier – La double vue, par Élie Berthet.

Qui dit roman, dit œuvre d'imagination ; l'essence même du roman est de représenter un sujet fictif quant aux faits et aux personnages ; mais dans ce genre même de productions, il est des règles dont le bon sens ne permet pas de s'écarter, et qui, jointes aux qualités du style, en font le mérite. Si les détails ne sont pas vrais en eux-mêmes, ils doivent tout au moins être vraisemblables et en parfait accord avec le milieu où l'on place l'action.

Dans les romans historiques, par exemple, le maintien strict de la couleur locale est de rigueur, et il est des anachronismes qui ne seraient pas tolérables ; le lecteur doit pouvoir se transporter par la pensée au temps et dans les lieux dont on parle et s'en faire une idée juste. C'était là le grand talent de Walter Scott ; en le lisant on se trouve en plein moyen âge ; s'il eût attribué les faits et gestes de François Ier à Louis XI, ou même s'il eût fait parler ce dernier et les personnages de sa cour comme au temps de la renaissance, le plus beau style n'eût pu racheter de telles erreurs.

Il en est de même des romans de mœurs ; leur mérite est dans la vérité des peintures, car il serait du dernier ridicule de prêter à un sujet espagnol les habitudes et le caractère des Anglais.

Au premier abord, le roman paraît être le genre le plus facile ; nous le tenons pour plus difficile que l'histoire, quoique moins sérieux ; l'historien a son cadre tracé par les faits dont il ne peut s'écarter d'une ligne ; le romancier doit tout créer ; mais beaucoup s'imaginent qu'il suffit d'un peu d'imagination et de style pour faire un bon roman ; c'est là une grave erreur ; il faut beaucoup d'instruction. Pour faire sa Notre-Dame de Paris, Victor Hugo devait connaître son vieux Paris archéologique aussi bien que son Paris moderne.

On peut faire des romans sur le Spiritisme comme sur toutes choses ; nous disons même que lorsqu'il sera connu et compris dans son essence, il fournira aux lettres et aux arts d'inépuisables sources de poésie ravissante ; mais ce ne sera certainement pas pour ceux qui ne le voient que dans les tables qui tournent, les cordes des frères Davenport, ou les jongleries des charlatans. Comme pour les romans historiques ou de mœurs, il est indispensable de connaître à fond le canevas sur lequel on veut broder, afin de ne pas faire de contre-sens, qui seraient autant de preuves d'ignorance ; tel est le musicien qui fait des variations sur un thème de musique que l'on doit toujours reconnaître à travers les additions de la fantaisie. Celui donc qui n'a pas étudié à fond le Spiritisme, dans son esprit, dans ses tendances, dans ses maximes aussi bien que dans ses formes matérielles, est aussi impropre à faire un roman spirite de quelque valeur que l'eût été Lesage de faire Gil Blas, s'il n'eût connu l'histoire et les mœurs de l'Espagne.

Est-il donc nécessaire, pour cela, d'être Spirite croyant et fervent ? Pas le moins du monde ; il suffit d'être véridique, et l'on ne peut l'être sans savoir. Pour faire un roman arabe, il n'est certes pas besoin d'être musulman, mais il est indispensable de connaître assez la religion musulmane, son caractère, ses dogmes et ses pratiques, ainsi que les mœurs qui en découlent pour ne pas faire agir et parler les Africains comme des cavaliers français ; mais il en est qui croient qu'il suffit, pour donner le cachet de la race, de prodiguer à tort et à travers les Allah ! les noms de Fatime et de Zuléma, parce que c'est à peu près tout ce qu'ils savent de l'islamisme. En un mot, s'il ne faut pas être musulman, il faut s'imprégner de l'esprit musulman, comme pour faire une œuvre spirite, même fantastique, il faut s'imprégner de l'esprit du Spiritisme ; il faut enfin qu'en lisant un roman spirite, les Spirites puissent se reconnaître, comme les Arabes devront se reconnaître dans un roman arabe, et pouvoir dire : c'est cela ; mais ni les uns ni les autres ne se reconnaîtront s'ils sont travestis, et l'auteur n'aura fait qu'une œuvre informe, comme si un peintre peignait des dames françaises en costumes chinois.

Ces réflexions nous sont suggérées à propos du roman-feuilleton que M. Théophile Gautier publie en ce moment dans le grand Moniteur, sous le titre de Spirite. Nous n'avons pas l'honneur de connaître personnellement l'auteur ; nous ne savons quelles sont ses convictions ou ses connaissances touchant le Spiritisme ; son ouvrage, qui en est au début, ne permet pas encore d'en voir la conclusion. Nous dirons seulement que s'il n'envisageait son sujet que sous un seul point de vue, celui des manifestations, en négligeant le côté philosophique et moral de la doctrine, il ne répondrait pas à l'idée générale et complexe qu'embrasse son titre, bien que ce nom de Spirite soit celui d'un de ses personnages. Si les faits qu'il imagine pour le besoin de l'action, ne se renfermaient pas dans les limites tracées par l'expérience ; s'il les présentait comme se passant dans des conditions inadmissibles, son œuvre manquerait de vérité, et ferait supposer que les Spirites croient aux merveilles des contes des Mille et une Nuits. S'il prêtait aux Spirites des pratiques et des croyances que ceux-ci désavouent, elle ne serait pas impartiale, et à ce point de vue, ne serait pas une œuvre littéraire sérieuse.

La doctrine spirite n'est point secrète comme celle de la maçonnerie ; elle n'a de mystères pour personne, et s'étale au grand jour de la publicité ; elle n'est ni mystique, ni abstraite, ni ambiguë ; mais claire et à la portée de tout le monde ; n'ayant rien d'allégorique, elle ne peut donner lieu ni aux équivoques ni aux fausses interprétations ; elle dit carrément ce qu'elle admet et ce qu'elle n'admet pas ; les phénomènes dont elle reconnaît la possibilité ne sont ni surnaturels ni merveilleux, mais fondés sur des lois de la nature ; de sorte qu'elle ne fait ni miracles ni prodiges. Celui donc qui ne la connaît pas ou qui se méprend sur ses tendances, c'est qu'il ne veut pas se donner la peine de la connaître. Cette clarté et cette vulgarisation des principes spirites, qui comptent des adhérents dans tous les pays et dans tous les rangs de la société, sont la réfutation la plus péremptoire des diatribes de leurs adversaires, car il n'est pas une seule de leurs allégations erronées qui n'y trouve une réponse catégorique. Le Spiritisme ne peut donc que gagner à être connu, et c'est à quoi travaillent, sans le vouloir, ceux qui croient le ruiner par des attaques dépourvues de tout argument sérieux. Les écarts de convenance dans le langage produisent un effet tout contraire à celui qu'on se propose ; le public les apprécie, et ce n'est pas en faveur de ceux qui se les permettent ; plus l'agression est violente, plus elle porte de gens à s'enquérir de la vérité, et cela même dans les rangs de la littérature hostile. Le calme des Spirites devant cette levée de boucliers ; le sang-froid et la dignité qu'ils ont conservés dans leurs réponses, font avec l'acrimonie de leurs antagonistes un contraste qui frappe même les indifférents, et ont jeté l'incertitude dans les rangs opposés, qui comptent aujourd'hui plus d'une désertion.

Le roman spirite peut être considéré comme une transaction passagère entre la négation et l'affirmation. Il faut un courage réel pour affronter et braver le ridicule qui s'attache aux idées nouvelles, mais ce courage vient avec la conviction ; plus tard ; nous en sommes convaincu, des rangs de nos adversaires de la presse sortiront des champions sérieux de la doctrine.

Lorsque les tendances de l'ouvrage de M. Théophile Gautier seront mieux dessinées, nous en donnerons notre appréciation au point de vue de la vérité spirite.

Les réflexions ci-dessus s'appliquent naturellement aux œuvres du même genre sur le magnétisme et le somnambulisme. La double vue a fourni dernièrement, à M. Élie Berthet, le sujet d'un roman très intéressant publié par le Siècle, et qui, au talent de l'écrivain, joint le mérite de l'exactitude. L'auteur a dû incontestablement, faire une étude sérieuse de cette faculté ; pour la décrire comme il le fait, il faut avoir vu et bien observé. On pourrait cependant lui reprocher un peu d'exagération dans l'extension qu'il lui donne dans certains cas. Un autre tort, selon nous, est de la présenter comme une maladie ; or une faculté naturelle, quelle qu'elle soit, peut coïncider avec un état pathologique, mais n'est point une maladie par elle-même, et la preuve en est, c'est qu'une foule de personnes douées au plus haut degré de la double vue, se portent parfaitement bien. L'héroïne est ici une jeune fille poitrinaire et cataleptique : c'est là son mal véritable. La faculté dont elle jouit a causé des malheurs par les méprises qui en ont été la suite, c'est pourquoi elle déplore le don funeste qu'elle a reçu ; mais ce don n'a été funeste que par l'ignorance, l'inexpérience et l'imprudence de ceux qui s'en sont maladroitement servis ; à ce point de vue, il n'est pas une seule de nos facultés qui ne puisse devenir un présent funeste par le mauvais usage ou les fausses applications qu'on en peut faire.

Ces réserves faites, nous dirons que le phénomène est parfaitement décrit ; c'est bien là cette vue de l'âme dégagée qui ne connaît pas les distances, qui pénètre la matière comme un rayon de lumière pénètre les corps transparents, et qui est la preuve patente et visible de l'existence et de l'indépendance du principe spirituel ; c'est bien encore là le tableau de l'étrange transfiguration qui s'opère dans l'extase, de cette prodigieuse lucidité qui confond par sa précision dans certains cas, et qui déroute par les illusions qu'elle produit parfois. Chez les acteurs du drame, c'est la peinture la plus vraie des sentiments qui agitent les croyants, les incrédules, les incertains et les étonnés. Il y a là un médecin qui flotte entre le scepticisme et la croyance, mais en homme de bon sens, qui ne croit pas que la science ait dit son dernier mot, il observe, étudie, et constate les faits. Sa conduite pendant les crises de la jeune fille atteste sa prudence. Il y a aussi la flétrissure des exploiteurs, qui y sont justement fustigés.

L'auteur eût fait une œuvre incomplète, s'il eût négligé le côté moral de la question. Son but n'est point de piquer la curiosité par des faits extraordinaires, mais d'en déduire des conséquences utiles et pratiques. Un épisode, entre autres prouve qu'il a parfaitement compris cette partie de son programme.

La jeune voyante découvre dans un souterrain des papiers importants qui doivent mettre un terme à un grave procès de famille ; elle décrit les lieux et les circonstances avec minutie ; les fouilles faites, conformément à ses indications, prouvent qu'elle a très bien vu ; on trouve les papiers et le procès est mis à néant. Notons en passant que c'est spontanément qu'elle fait cette découverte, sollicitée qu'elle est par l'intérêt qu'elle porte à la famille, et non par suite de sollicitations. Le titre principal consistait en une charte en vieux style, dont elle donne une lecture textuelle et complète avec autant de facilité que si elle l'avait sous les yeux. C'est là surtout que sa faculté nous semble poussée un peu à l'exagération.

Plus loin elle voit un autre souterrain où sont d'immenses trésors dont elle explique l'origine. Pour y arriver, il faut traverser un autre caveau, rempli de débris humains, restes de nombreuses victimes des temps de la féodalité. Rien, jusque-là, qui ne soit probable ; ce qui ne l'est pas du tout, c'est que les âmes de ces victimes y soient restées enfermées depuis des siècles et puissent se dresser menaçantes devant ceux qui viendraient troubler leur sombre repos pour aller chercher le trésor ; là est le fantastique. Que ce soient les bourreaux, il n'y aurait rien de surprenant. Nous savons, par de nombreux exemples, que tel est souvent le châtiment temporaire des coupables, condamnés à demeurer sur le lieu même et en présence de leurs crimes, jusqu'à ce que, touchés de repentir, ils élèvent leurs pensées vers Dieu pour implorer sa miséricorde ; mais ici ce sont les victimes innocentes qui seraient punies, ce qui n'est pas rationnel.

Le propriétaire du château, vieil avare, alléché par la découverte des papiers, veut poursuivre les fouilles ; elles sont difficiles, périlleuses pour les ouvriers : rien ne l'arrête. La voyante le supplie en vain d'y renoncer ; elle lui prédit que, s'il persiste, il arrivera malheur. D'ailleurs, ajoute-t-elle, vous ne réussirez pas. – Ces trésors n'existent donc pas ? dit l'avare. – Ils existent tels que je les ai décrits, je le certifie ; mais, encore une fois, vous n'y arriverez pas. – Qui m'en empêchera ? – Les âmes qui sont dans le caveau qu'il faut traverser.

Le vieil avare, sceptique endurci, admettait bien la vue extra-corporelle de la jeune fille, sans trop se l'expliquer, parce qu'il venait d'en avoir la preuve à ses dépens, les papiers trouvés l'ayant débouté de ses prétentions dans le procès, mais il croyait plus à l'argent qu'aux puissances invisibles. Il continue : De quel droit s'y opposerait-on ? Ces trésors m'appartiennent, puisqu'ils sont dans ma propriété. – Non ; ils seront découverts un jour sans difficulté par celui qui doit en jouir ; mais ce n'est pas à vous qu'ils sont destinés ; voilà pourquoi vous ne réussirez pas. Je vous le répète, si vous persistez, il vous arrivera malheur.

Ici est le côté essentiellement moral, instructif et vrai du récit. Ces paroles semblent empruntées au Livre des médiums, à l'article sur le concours des Esprits pour la découverte des trésors : « Si la Providence destine des trésors cachés à quelqu'un, il les trouvera naturellement, autrement non. » (Chap. xxvi, n° 295.) Il n'est pas d'exemple, en effet, que des Esprits ou des somnambules aient facilité de semblables découvertes, pas plus que le recouvrement d'héritages, et tous ceux qui, bercés de cette espérance, ont fait de pareilles tentatives, en ont été pour leurs peines et le bon argent, qu'ils ont dépensé. De tristes et souvent cruelles déceptions attendent ceux qui fondent l'espoir de s'enrichir sur de pareils moyens. Les Esprits n'ont pas pour mission de favoriser la cupidité et de nous procurer la richesse sans le travail, ce qui ne serait ni juste ni moral. Le somnambule lucide voit sans doute, mais ce qu'il lui est permis de voir, et les Esprits peuvent, selon les circonstances et par ordre supérieur, oblitérer leur lucidité, ou mettre des obstacles à l'accomplissement des choses qui ne sont pas dans les desseins de la Providence. Dans le cas dont il s'agit, il a été permis de trouver les papiers qui devaient mettre un terme aux dissensions de famille ; il ne l'a pas été de trouver des trésors qui ne devaient servir qu'à satisfaire la cupidité ; c'est pourquoi le vieil avare a péri victime de son obstination.

Les terribles péripéties du drame imaginé par M. Élie Berthet, ne sont pas aussi fantastiques qu'on pourrait le croire ; elles rappellent celles plus réelles qu'a subies M. Borreau, de Niort, dans des recherches de même nature, et dont l'émouvant récit se trouve dans sa brochure intitulée : Comment et pourquoi je suis devenu Spirite. (Voir notre compte rendu, Revue de décembre 1864.)

Une autre instruction, non moins importante, ressort du livre de M. Élie Berthet. La jeune fille a vu des choses positives, et dans une autre circonstance grave elle se trompe en attribuant un crime à une personne innocente. Quelle conséquence en veut tirer l'auteur ? Est-ce la négation de la faculté ? Non, puisque, à côté de cela, il la prouve ; mais cette conclusion, justifiée par l'expérience, que la lucidité la plus éprouvée n'est pas infaillible, et qu'on ne saurait s'y fier d'une manière absolue, sans contrôle. La vue, par l'âme, de choses que ne peut voir le corps, prouve l'existence de l'âme ; c'est déjà un résultat assez important ; mais elle n'est point donnée pour la satisfaction des passions humaines.

Pourquoi donc l'âme, dans son état d'émancipation, ne voit-elle pas toujours juste ? C'est que l'homme étant encore imparfait, son âme ne peut jouir des prérogatives de la perfection. Quoique isolée, elle participe des influences matérielles, jusqu'à sa complète épuration. Ainsi en est-il des âmes désincarnées ou Esprits, à plus forte raison de celles qui sont encore liées à la vie corporelle. Voilà ce que fait connaître le Spiritisme à ceux qui se donnent la peine de l'étudier.



Mode de protestation d'un Spirite contre les attaques de certains journaux

Un de nos correspondants nous écrit ce qui suit :

« Voici ce que j'écrivais, il y a deux ans, à M. Nefftzer, directeur du journal le Temps :

Je m'étais abonné à votre journal, dont les tendances et les opinions m'étaient sympathiques ; c'est donc avec regret que je ne continue pas mon abonnement ; permettez-moi de vous en donner les motifs. Dans votre numéro du 3 juin, vous vous efforciez de jeter le ridicule sur le Spiritisme et les Spirites, en racontant une histoire plus ou moins authentique, sans citer ni noms, ni date, ni lieu, ce qui est commode. Vous cherchez à établir, thème aujourd'hui obligé des matérialistes, gênés énormément par le Spiritisme, que cette croyance mène à la folie. Sans doute, des esprits faibles, ayant déjà des tendances à un dérangement des facultés cérébrales, ont pu perdre tout à fait la tête en s'occupant du Spiritisme, comme cela leur serait arrivé sans cela, et comme cela arrive à ceux qui s'occupent de chimie, de physique ou d'astronomie, et même à des écrivains qui ne croient pas aux Esprits. Je ne nie pas non plus qu'il y ait des charlatans qui exploitent le Spiritisme, car quelle est la science qui puisse échapper au charlatanisme ? N'avons-nous pas des charlatans littéraires, industriels, agricoles, militaires, politiques, de ces derniers surtout ? Mais conclure de là contre le Spiritisme en général, c'est peu logique et peu sensé. Avant de lancer une accusation de cette nature, il faudrait au moins connaître la chose dont on parle ; mais ce n'est que trop souvent la moindre des préoccupations de celui qui écrit ; on tranche, on décide à tort et à travers, ce qui est plus aisé que d'approfondir et d'apprendre.

Si jamais vous éprouvez de grands malheurs, de vives douleurs, croyez-moi, monsieur, étudiez le Spiritisme ; là seulement vous trouverez la consolation et les vérités qui vous feront supporter vos chagrins, vos mécomptes ou vos désespoirs, ce qui vaudra mieux que le suicide. Que voudriez-vous nous donner de mieux que cette belle et consolante philosophie chrétienne ? Le culte des intérêts matériels, du veau d'or ? C'est peut-être ce qui convient au tempérament de la généralité des heureux du jour, mais il faut autre chose pour ceux qui ne veulent pas plus du fanatisme, de la superstition, des pratiques ridicules et grossières du moyen âge, que de l'athéisme, du panthéisme et de l'incrédulité systématique du dix-huitième et du dix-neuvième siècle.

Permettez-moi ; monsieur, de vous engager à être plus prudent dans vos diatribes contre le Spiritisme, car elles s'adressent aujourd'hui, en France seulement, à quelque chose comme trois ou quatre cent mille personnes.

Blang de Lalésie,

Propriétaire à Genouilly près Joncy (Saône-et-Loire). »



« Les journaux nous ont informés, il y a peu de jours, de la mort du fils unique de M. Nefftzer. Je ne sais si ce malheur l'aura fait souvenir de ma lettre.

Je viens d'adresser à M. Émile Aucante, administrateur du journal l'Univers illustré, la lettre ci-après :

Je suis abonné depuis dix-huit mois à l'Univers illustré, et depuis cette époque, il n'y a guère de numéros où votre chroniqueur pseudonyme Gérôme n'ait jugé utile, pour occuper sa plume, de railler sur tous les tons le Spiritisme et les Spirites. Jusque-là, cet amusement, un peu fastidieux par sa fréquence, est fort innocent : le Spiritisme ne s'en porte pas plus mal. Mais M. Gérôme, s'apercevant sans doute qu'on s'inquiète peu de ses plaisanteries, change de langage, et, dans le numéro du 7 octobre, il traite tous les Spirites en masse d'idiots ; de la plaisanterie, il passe à l'injure, et ne craint pas d'insulter des milliers de gens tout aussi instruits, tout aussi éclairés, tout aussi intelligents que lui, parce qu'ils croient avoir une âme immortelle et pensent que
cette âme, dans une autre vie, sera récompensée ou punie suivant ses mérites ou ses démérites. M. Gérôme n'a pas de pareils préjugés ; fi donc ! Il croit sans doute qu'il mange, qu'il boit, qu'il reproduit son espèce, ni plus ni moins que mon chien ou mon cheval ; je lui en fais bien mon compliment.

Si M. Gérôme daignait recevoir un conseil, je me permettrais de l'engager à ne parler que des choses qu'il connaît, et à se taire sur celles qu'il ne connaît pas, ou du moins, à les étudier, ce qui lui serait facile avec sa haute et incontestable intelligence. Il apprendrait ce dont il ne se doute certainement pas, c'est que le Spiritisme n'est autre chose que le christianisme développé, et que les manifestations des Esprits, qui ont été de tous temps, ne font rien à la doctrine, qui n'en existe pas moins, avec ou sans manifestations.

Mais que parlé-je d'Esprits à un homme qui ne croit qu'au sien, et qui ignore peut-être s'il a une âme ! Bref, que M. Gérôme soit enrôlé sous la bannière du matérialisme, du panthéisme ou du paganisme, – ce dernier vaudrait mieux, car on y croyait, du moins, à l'existence de l'âme et de la vie future, – peu importe ! Mais, qu'il sache, en se respectant lui-même, respecter les croyances de ses lecteurs. Il est évident qu'il ne me serait pas possible de continuer à donner mon argent pour me faire insulter, et si ces injures devaient continuer, j'aurais le regret de cesser d'être votre abonné… »

M. de Lalésie est modeste en évaluant le nombre des Spirites de France à trois ou quatre cent mille ; il aurait pu doubler ce chiffre sans exagération, et il serait encore bien au-dessous des calculs de l'auteur d'une brochure qui prétendait nous pulvériser, et le portait à 20 millions. Au reste, un recensement exact des Spirites, est chose impossible, par la raison qu'ils ne sont point enrégimentés, qu'ils ne forment ni une corporation, ni une affiliation, ni une congrégation dont les membres sont enregistrés et peuvent être comptés.

Le Spiritisme est une croyance ; quiconque croit à l'existence et à la survivance des âmes et à la possibilité des relations entre les hommes et le monde spirituel, est Spirite, et beaucoup le sont intuitivement, sans avoir jamais entendu parler ni du Spiritisme ni des médiums. On est Spirite par conviction, comme d'autres sont incrédules ; pour cela, il n'est nullement besoin de faire partie d'une société, et la preuve, c'est qu'il n'y a pas la millième partie des adeptes qui fréquentent les réunions. Pour en faire le dénombrement, il n'y a aucun registre matricule à consulter ; il faudrait faire, auprès de chaque individu, une enquête, à l'effet de lui demander ce qu'il pense. Tous les jours on découvre, par la conversation, des personnes sympathiques à l'idée, et qui, par cela seul, sont Spirites, sans qu'il soit besoin d'avoir un diplôme ou de faire un acte public quelconque. Le nombre s'en accroît tous les jours ; le fait est constaté par nos adversaires eux-mêmes, qui reconnaissent avec effroi que cette croyance envahit tous les rangs de la société, depuis le haut jusqu'au bas de l'échelle. C'est donc une opinion avec laquelle il faut compter aujourd'hui, et qui a cela de particulier, qu'elle n'est circonscrite ni dans une classe, ni dans une caste, ni dans une secte, ni dans une nation, ni dans un parti politique ; elle a des représentants partout, dans les lettres, les arts, les sciences, la médecine, la magistrature, le barreau, l'armée, le commerce, etc.

Le nombre des Spirites, en France, dépasse assurément de beaucoup celui des abonnés à tous les journaux de Paris ; il est évident qu'ils entrent pour une notable partie parmi ces mêmes abonnés ; c'est donc à ceux qui les payent que messieurs les journalistes disent des injures ; or, comme le dit avec raison M. de Lalésie, il n'est pas agréable de donner son argent pour s'entendre bafouer ou injurier ; c'est pour cela qu'il a cessé ses abonnements aux journaux où il se voyait maltraité dans sa croyance, et il n'est personne qui ne trouve sa manière d'agir très logique.

Est-ce à dire que pour plaire aux Spirites, les journaux doivent adopter leurs idées ? En aucune façon. Tous les jours ils discutent des opinions qu'ils ne partagent pas, mais ils n'injurient pas ceux qui les professent. Ces écrivains ne sont pas juifs, et cependant ils ne se permettraient pas de jeter l'anathème et le mépris sur les juifs en général, ni de tourner leur croyance en ridicule. Pourquoi cela ? Parce que, disent-ils, il faut respecter la liberté de conscience. Pourquoi donc cette liberté n'existerait-elle pas pour les Spirites ? Ne sont-ils pas citoyens comme tout le monde ? Réclament-ils des exemptions et des privilèges ? Ils ne demandent qu'une chose : le droit de penser comme ils l'entendent. Ceux qui inscrivent sur leur drapeau : Liberté, égalité, fraternité, voudraient-ils donc créer en France une classe de parias ?

Comment le Spiritisme vient sans qu'on le cherche

Jeune paysanne médium inconscient

C'est un fait acquis à l'expérience, que les Esprits agissent sur les personnes qui sont le plus étrangères aux idées spirites, et à leur insu ; nous en avons cité maints exemples dans cette revue. Nous ne connaissons pas un seul genre de médiumnité qui ne se soit révélé spontanément, même celui de l'écriture. Comment ceux qui attribuent toutes ces manifestations à l'effet de l'imagination ou à la jonglerie expliqueront-ils le fait suivant.

Le petit village d'E…, dans le département de l'Aube, avait été jusqu'en ces derniers temps assez favorisé, par ce temps d'épidémie morale, pour être préservé du fléau du Spiritisme. Le nom même de cette œuvre satanique n'avait jamais frappé l'oreille de ses paisibles habitants, grâce, sans doute, à ce que le curé de l'endroit n'avait pas jugé à propos de prêcher contre. Mais qui compte sans son hôte compte deux fois ; il ne fallait pas compter sans les Esprits, qui n'ont pas besoin de permission. Or voici ce qui arriva, il y a de cela environ quatre mois.

Dans ce village est une jeune personne de dix-sept ans, presque illettrée, fille d'un pauvre et honnête cultivateur, et qui, elle-même, va tous les jours travailler aux champs. Un jour, en rentrant dans sa chaumière, elle est saisie d'un trouble complet ; puis, elle qui n'avait pas écrit depuis sa sortie de l'école, l'idée lui vient d'écrire ; écrire quoi ? Elle n'en savait rien, mais elle voulait écrire. Une autre idée non moins bizarre lui vient à la pensée, celle de chercher un crayon, quoiqu'elle sût bien qu'il n'en existait pas dans sa cabane, non plus que la moindre feuille de papier.

Pendant qu'elle cherchait à se rendre compte de l'incohérence de ses idées, et qu'elle s'efforçait de les rejeter, elle avise dans l'âtre un tison charbonné ; elle se sent irrésistiblement poussée à le prendre, puis guidée par une force invisible vers le mur blanchi à la chaux ; tout à coup son bras se soulève machinalement, et elle trace sur le mur, en caractères assez lisibles, cette phrase : « Procure-toi du papier et des plumes, et tu serviras à correspondre avec les Esprits. »

Chose singulière, quoique n'ayant jamais entendu parler de la manifestation des Esprits, elle ne fut pas surprise de ce qui venait de se passer ; elle en prévint son père, qui en parla à un de ses amis, humble paysan comme lui, mais doué d'une grande perspicacité. Celui-ci vint avec prudence constater le fait ; puis, comme un Spirite expérimenté, bien qu'aussi ignorant en ces matières que la jeune fille, il fit des questions à l'Esprit qui s'était manifesté, et qui signe le nom d'un général russe. Ce dernier les invita à s'adresser à des Spirites de Troyes pour avoir des instructions plus complètes, ce qu'ils firent. Depuis lors la jeune fille est médium écrivain et obtient, en outre, des effets physiques très remarquables ; un groupe spirite s'est formé dans ce village, et voilà comment le Spiritisme vient, bon gré mal gré, sans qu'on le demande.

La lettre de notre correspondant qui nous rapporte ce fait termine en disant : « Ne dirait-on pas que, plus les railleurs s'évertuent à se tromper eux-mêmes, la Providence fait jaillir chaque jour, comme pour les confondre, des manifestations qui défient toutes les négations et toutes les interprétations de l'incrédulité ? »

La Société de Paris a reçu à ce sujet la communication suivante.


Société de Paris, 27 novembre 1865. – Médium, M. Morin

La puissance de Dieu est infinie, et il se sert de tous les moyens pour faire triompher une doctrine qui est dans tout. Il s'est passé ici un double phénomène dont je vais essayer de vous donner l'explication.

La jeune paysanne a été subitement enveloppée d'un fluide puissant qui l'a contrainte d'abandonner momentanément ses occupations journalières. Avant la manifestation du phénomène, il y a eu préparation du sujet, qui a été magnétisé et amené, par la volonté de l'Esprit, à chercher un instrument qu'elle savait ne pas exister dans la maison. Lorsqu'elle se courbait sur le foyer pour en retirer le charbon qui devait remplacer le crayon absent, elle ne faisait qu'accomplir un mouvement qui lui était imprimé par l'Esprit. Ce n'était ni son instinct, ni son intelligence qui agissait, mais l'Esprit lui-même qui se servait de la jeune fille comme d'un instrument approprié à son fluide. Jusque-là elle n'était pas, à proprement parler, médium ; ce n'est qu'après le premier avertissement écrit par elle, qu'elle l'est réellement devenue et qu'elle n'a plus été possédée par l'Esprit qui la faisait agir de force. A partir de ce moment, la médiumnité est devenue semi-mécanique, c'est-à-dire qu'elle savait et comprenait ce qu'elle écrivait, mais elle n'aurait pu l'expliquer verbalement. Ensuite les effets physiques se sont montrés avec une telle force, que toute idée de supercherie devait être exclue. Rien n'était venu démontrer cette aptitude aux effets physiques, avant les premiers phénomènes ; si ces effets eussent, les premiers, révélé la médiumnité, ils auraient pu être dénaturés par la superstition. L'homme qui, comme un Spirite consommé, posait des questions à l'Esprit, était lui-même conduit par une force de même nature que celle qui poussait le médium à écrire. Cette force, dont il ne pouvait comprendre la source, doublait sa puissance évocatrice, en unissant à son désir de savoir le souvenir de ballades superstitieuses faisant parler et apparaître les âmes des morts. Une étude sérieuse des principes de la doctrine peut seule faire comprendre à ces nouveaux adeptes le côté réel, positif et naturel de la chose, en écartant ce qu'ils pourraient y voir de surnaturel et de merveilleux.

Voilà donc les deux principaux acteurs de ces faits qui ont joué leur rôle à leur insu. Dans ce qui s'est passé, ils ont servi d'instruments d'autant plus puissants qu'ils étaient ignorants et sans idées préconçues.

Vous voyez, mes amis, que tout concourt à faire resplendir la lumière, et que les plus illettrés peuvent donner des leçons aux plus savants.

Le Guide du médium

Un paysan philosophe

Décidément le Spiritisme envahit les campagnes ; les Esprits veulent prouver leur existence en prenant leurs instruments partout, même en dehors du cercle des adeptes, ce qui détruit toute supposition de connivence. Nous venons de voir la doctrine implantée dans un petit village de l'Aube, parmi de simples cultivateurs, par une manifestation spontanée. Voici un fait plus remarquable encore à un autre point de vue. Notre collègue, M. Delanne, nous écrit ce qui suit :

« … Pendant les quelques heures que je passai dans le village où l'on élève mon petit garçon, un vigneron me donna deux brochures qu'il avait publiées sous ce titre : Idées philosophiques naturelles et spontanées sur l'existence en général, à partir du principe absolu jusqu'à la fin des fins, de la cause première jusqu'à l'infini, par Chevelle père, de Joinville (Haute-Marne) : La première a pour objet Dieu, les anges, l'âme de l'homme, l'âme animale ou instinctive ; la deuxième : les forces physiques, les éléments, l'organisation, le mouvement[1].

D'après ce titre pompeux et les graves sujets qu'il embrasse, vous croyez avoir affaire à un homme qui a pâli sur les livres toute sa vie ; détrompez-vous, ce philosophe métaphysicien est un humble artisan, un vrai philosophe en sabots, car il va, par les villages, vendre des légumes et autres produits agricoles. »

Voici quelques passages de sa préface :

« J'ai entrepris cet ouvrage, parce que j'ai pensé qu'il serait de quelque utilité pour le public. L'homme se doit à ses semblables ; sa condition n'est pas de vivre isolé, et la société est en droit de réclamer à chaque individu la communication de ses connaissances ; l'égoïsme est un vice intolérable.

L'ouvrage est entièrement de moi ; je n'ai été aidé ni secondé par personne ; je n'ai rien copié de personne ; c'est le fruit des méditations de toute ma vie… De nombreuses difficultés se sont opposées à l'exécution de mon entreprise ; je ne me les étais pas dissimulées. La misère, pour moi, était la pire de toutes ; elle m'empêchait d'agir en ne m'en laissant pas le temps ; je l'ai toujours supportée sans me plaindre ; j'avais appris le secret de vivre heureux sans fortune, et ce secret est toujours ma meilleure ressource.

… J'ai donné mes idées, car je les ai écrites à mesure qu'elles me sont venues, naturellement et spontanément, à mesure qu'elles me sont venues par la réflexion et la méditation.

… En philosophie, on ne démontre pas toutes les existences par des calculs mathématiques ; on ne mesure pas les esprits avec un mètre, et on ne les regarde pas au microscope.

… On ne doit pas s'attendre à trouver dans mon livre un style relevé, extrêmement brillant. Je n'ai pas fait de classes ; je n'ai été qu'à l'école de mon village. Quand on avait bien appris ses prières en latin et qu'on récitait bien son catéchisme, on était assez savant.

… Dans ces temps-là, c'était être extrêmement savant quand on savait faire les quatre règles ; on venait vous chercher pour arpenter les champs. A dix ans j'étais le premier de l'école, et mon vieux père était glorieux de voir qu'on venait me chercher pour trouver la place où il fallait planter une borne, ou pour écrire un billet ou une quittance.

Je suis donc en droit de demander excuse à mes lecteurs de la trivialité de mon langage : je n'ai pas appris les règles de la rhétorique, et je crois que le titre de mon ouvrage convient : Idées naturelles.

Nous allions à l'école depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, et nous étions en vacances depuis Pâques jusqu'à la Toussaint ; mais comme mon père, tout pauvre qu'il était, n'avait pas peur de dépenser quelques sous pour m'acheter des livres, j'en apprenais beaucoup plus dans les six mois de vacances, que je n'en oubliais dans les six mois de classe. »

Voici maintenant quelques fragments du chapitre sur Dieu :

« Dieu est le seul qui puisse dire : Je suis celui qui est ; il est un et il est tout ; tout existe de lui, en lui et par lui, et rien ne peut exister sans lui et hors de lui. Il est un, et néanmoins il a produit le multiple et le divisible, l'un et l'autre à l'infini… Si je pouvais bien définir Dieu, je serais dieu ; mais il ne peut pas y en avoir deux.

Dieu est un tout infini, indivisible, éternel, immuable ; il n'a de limite ni dans le petit ni dans le grand… Une minute et cent mille ans ou cent mille siècles, c'est la même chose pour Dieu ; l'éternité n'admet point de partage ; pour lui, il n'y a ni passé ni avenir, c'est un présent éternel ; pour Dieu, le passé est encore et l'avenir est déjà ; il voit tous les temps du même coup ; il n'a pas d'hier ni de demain, et il a dit, en parlant de son Fils : Je vous ai engendré aujourd'hui.

L'éternité ne se mesure pas plus que l'infini de l'espace ; ce sont deux abîmes où nous ne pouvons arriver que par l'abstraction, et nous nous y perdrions si nous voulions les pénétrer ; ce sont des forêts vierges sans sentiers. Nous sommes forcés d'arrêter en arrivant là.

Dieu ne peut pas se dispenser de créer ; il ne serait qu'un Dieu sans action s'il ne créait pas, et sa gloire ne serait que pour lui seul. Monotonie impossible. Dieu crée éternellement, et le commencement de la création, pris dans l'infini, doit se continuer à l'infini.

… Il fallait qu'il créât les intelligences libres ; car quelle serait l'existence des êtres qui pensent, s'il ne leur était pas permis de penser librement ? Où serait la gloire de Dieu, si ses créatures n'étaient pas libres de juger de lui ? Autant eût valu qu'il restât seul ; l'adoration qu'elles lui auraient rendue n'eût été qu'une chimère, une comédie dirigée par lui et pour lui ; il eût été seul spectateur et acteur.

Pour la gloire de Dieu, il était donc d'une nécessité absolue que les intelligences fussent créées absolument libres, qu'elles aient le droit de juger leur auteur, de se conduire, en bien ou en mal, comme elles le voudraient. Il fallait que le mal soit permis pour que le bien existe ; il est impossible que l'un soit connu sans que l'on voie l'autre.

Mais, en même temps que Dieu donne le libre arbitre aux intelligences, il leur donne aussi ce for intérieur, ce sentiment intellectuel de leur liberté de penser, cet acte de l'esprit libre que nous appelons conscience, tribunal individuel qui avertit chaque existence libre de la valeur de son action. Nul ne fait le mal sans le savoir, la volonté seule fait le péché.

Nous avons lieu de présumer aussi que les Esprits ou anges ont quelque part dans le gouvernement universel, puisqu'il est reçu en dogme de foi que les hommes sont gardés par les anges et que chacun de nous a son ange gardien.

Les intelligences, ou Esprits dégagés de la matière, peuvent donc bien avoir quelquefois de l'influence sur l'esprit de l'homme. Combien de personnes ont eu des révélations qui se sont réalisées : témoin Jeanne Darc et tant d'autres dont parlent des livres d'histoires que j'ai lus et qu'on peut retrouver. Mais la mémoire ne me suffit pas pour en bien citer les passages, et je n'ai pas besoin de chercher ailleurs que chez moi.

Lorsque ma sœur aînée est morte du choléra à Midrevay (Vosges), je n'avais pas entendu dire que le choléra existât, dans ce moment, nulle part. Je n'avais aucune idée que ma sœur fût malade ; je l'avais vue mieux portante que jamais, je n'avais donc aucun sujet de m'occuper d'elle. Je la vis en songe venir me dire chez moi, à Joinville : « Notre Joseph, je viens te dire que je suis morte ; tu sais que je t'ai toujours bien aimé, et j'ai voulu t'apporter moi-même la nouvelle de mon retour à l'autre monde. » Le lendemain, le facteur m'apporta une lettre m'annonçant la nouvelle de la mort de ma sœur.

En recevant la lettre cachetée en noir, j'ai dit à ma femme : « Tu connais le rêve que je t'ai raconté hier, en voilà peut-être la réalité. » Je ne me trompais pas.

J'ai eu plusieurs fois, non pas en dormant, mais bien en veillant, en travaillant, des visions auxquelles je n'ai fait attention que lorsqu'elles se sont réalisées, même longtemps après. Cela m'est arrivé peut-être trois ou quatre fois dans le cours de ma vie ; je ne me les rappelle que vaguement, mais j'en suis certain ; je ne suis pas le seul qui ait eu des révélations mentales, d'autres prouveront que j'ai raison, et cela a peut-être déjà été prouvé.

L'âme animale ne peut être qu'individuelle et, par conséquent, indécomposable ; donc l'âme animale ne meurt pas. On l'a déjà pensé avant moi, et c'est ce qui a donné lieu à la doctrine de la métempsycose. Si la métempsycose existe, ce ne pourrait être qu'entre individus de la même espèce : l'âme vitale ou animale d'un mammifère ne peut passer dans un arbre.

Pour ce qui est de l'intelligence humaine, il est impossible qu'elle passe dans le corps d'un animal ; elle ne pourrait pas y agir ; la constitution physique de l'animal ne peut pas servir d'habitation à l'intelligence humaine, quoique l'on ait assuré que des démons se sont unis ou ont possédé des animaux. Je ne peux pas croire que dans de semblables organisations, ils puissent faire rien de raisonnable ; il ne leur serait déjà pas possible de parler ; ils ne pourraient pas anéantir l'instinct, qui agirait toujours bon gré mal gré : c'est une des lois établies par le Créateur ; elles seraient indignes de lui si l'on pouvait y déroger, s'il était possible de la changer. Les réseaux de nerfs ou, comme nous l'avons dit plus haut, les bureaux télégraphiques de cette espèce, ne peuvent pas être dirigés par l'intelligence.

Dans ces derniers temps on a beaucoup parlé de Spiritisme ; quelques personnes me disent que ce chapitre y a beaucoup de rapports. Mais si cela est, c'est un pur hasard, car c'est un ouvrage que je n'ai jamais lu, et dont je n'en ai même jamais entendu dire une seule phrase. »

Voilà maintenant les réflexions de l'auteur sur la création :

« Tous les géologues, tous les naturalistes sont d'accord que les jours de Dieu n'étaient pas comme les nôtres, qui sont réglés par le soleil. En effet, les jours de Dieu dans la création ne pouvaient être réglés sur le soleil, puisque, suivant le texte de l'Ecriture sainte, le soleil n'était pas encore créé, ou ne paraissait pas ; de là, le mot qui, dans l'Ecriture sainte, dans la langue qu'elle a été écrite, signifie jours comme il signifie temps. Ainsi la faute peut bien être du fait des traducteurs, qui auraient pu dire en six temps au lieu de dire en six jours ; et puis encore pourquoi voudrions-nous faire les jours de Dieu aussi courts que les nôtres, lui qui est éternel.

Ce n'est pas que je veuille dire que Dieu n'eût pas aussi bien pu créer le monde en six jours de chacun vingt-quatre heures, que chacun de ces jours valût des centaines de mille de nos années ; si je voulais l'entendre ainsi, je serais en contradiction avec moi-même, puisque dans mon premier volume j'ai dit qu'une minute ou cent mille ans ou cent mille siècles, c'est la même chose pour Dieu.

Bien que Dieu n'ait mis qu'un jour pour chaque création indiquée dans la Genèse, entre chacun de ces jours il y avait peut-être des millions d'années et même de siècles.

Quand on examine les couches de la terre et comment elles ont été formées, nous appelons ces différentes révolutions des époques ; les preuves physiques sont là, ces dépôts n'ont pas eu lieu dans vingt-quatre heures.

On veut prendre trop à la lettre le texte de l'Écriture sainte ; elle est vraie, mais il faut savoir la comprendre. Il ne s'agit pas de faire comme ces Israélites qui se laissèrent tous égorger, n'osant se défendre parce que c'était le jour du sabbat ; si l'on voulait me tuer le dimanche, je ne remettrais pas au lundi pour me défendre. Il n'y a sept jours dans la semaine que pour nous ; Dieu n'a qu'un jour en tout, et ce jour n'a ni commencement ni fin : il veut pour notre bien que nous nous reposions un jour par semaine, mais il ne se repose jamais, il ne dort jamais, son action est incessante.

Nos jours ne sont que l'apparition et la disparition de l'autre qui nous éclaire ; quand il se couche pour nous, il se lève pour d'autres peuples ; à toutes les heures du jour ou de la nuit il se lève, il brille à son zénith ou se couche. Et quand les neiges, les glaces et les frimas nous font garder le coin du feu, il y a d'autres peuples qui recueillent les fleurs et les fruits. Et puis, il n'y a pas qu'un monde, qu'un soleil : toutes les étoiles que nous voyons sont des soleils qui éclairent des mondes comme le nôtre, et peut-être plus parfaits que le nôtre. Dieu est l'auteur de tous ces mondes et de bien d'autres que nous ne voyons pas ; donc, les six jours de la création sont six époques qui ont duré plus ou moins longtemps, et que l'on a nommées jours pour se mettre à la portée de notre manière de voir. »

Nous avons lu avec attention les deux brochures du père Chevelle, et nous aurions certainement à le contredire sur plusieurs points ; mais les citations que nous venons de faire n'en prouvent pas moins des idées d'une haute portée philosophique et qui ne sont pas dépourvues d'un certain caractère d'originalité. Son ouvrage est une petite encyclopédie, car il y traite un peu de tout, même de choses usuelles. Il annonce pour plus tard un Manuel de l'herboriste médecin, ou Traitement des maladies par l'emploi des plantes médicinales indigènes.

D'où lui viennent toutes ces idées ? Il a lu sans doute : cela est évident ; mais sa position ne lui permettait pas de lire beaucoup, et il fallait, d'ailleurs, une aptitude spéciale pour profiter de ces lectures et traiter des sujets aussi abstraits. On a vu des poètes naturels sortir de la classe ouvrière, mais il est plus rare d'en voir sortir des métaphysiciens sans études préalables, et encore moins de la classe des cultivateurs. Le père Chevelle présente, en son genre, un phénomène analogue à celui des pâtres calculateurs qui ont dérouté la science. N'est-ce pas là un sérieux sujet d'étude ? Ce sont des faits ; or, comme tout effet a une cause, les savants ont-ils cherché cette cause ? Non, car il aurait fallu sonder les profondeurs de l'âme. Mais les philosophes spiritualistes ? Il leur manquait la clef qui, seule, pouvait leur en donner la solution.

A cette question, le Scepticisme répond : Bizarrerie de la nature ; résultat de l'organisation cérébrale. Le Spiritisme dit : Intelligences largement développées dans des existences antérieures, et qui, n'ayant rien perdu de ce qu'elles avaient acquis, se reflètent dans l'existence actuelle : cet acquis servant de base à de nouvelles acquisitions. Mais pourquoi ces intelligences, qui ont dû briller dans une sphère sociale élevée, sont-elles aujourd'hui reléguées dans les classes les plus inférieures ? Autre problème non moins insoluble sans la clef que fournit le Spiritisme ; il dit : Épreuves ou expiations volontaires choisies par ces mêmes intelligences, qui, en vue de leur avancement moral, ont voulu naître dans un milieu infime, soit par humilité, soit pour y acquérir des connaissances pratiques qui leur profiteront dans une autre existence. La Providence permet qu'il en soit ainsi pour leur propre instruction et pour celle des hommes, en mettant ceux-ci sur la voie de l'origine des facultés par la pluralité des existences.

Ces faits ayant été rapportés à la Société spirite de Paris, ont donné lieu à la communication suivante :



Société de Paris, 10 novembre 1865. – Médium, madame Breul

Mes chers amis, dans la lecture qu'a faite votre président de divers faits rapportés par votre frère Delanne, vous avez vu qu'un remarquable travail philosophique a été mis au jour par un simple paysan des Vosges ; n'est-ce pas le lieu de constater combien de prodiges s'accomplissent en ce moment pour frapper les incrédules et les savants selon le monde ; pour confondre ces hommes qui croient avoir le monopole de la science, et ne veulent rien admettre en dehors de leurs conceptions étroites et bornées par la matière ?

Oui, en ce temps de préparation à la rénovation humanitaire que les Esprits du Seigneur doivent réaliser, on peut de plus en plus reconnaître la vérité de cette parole du Christ, que les hommes ont si peu comprise : « Je vous rends grâce, mon Père, de ce qu'ayant caché ces choses aux sages et aux puissants, vous les avez révélées aux humbles et aux pauvres selon l'Esprit. »

Quand je dis les savants, je ne parle pas de ces hommes modestes qui, infatigables pionniers de la science, font avancer l'humanité en lui découvrant les merveilles qui révèlent la bonté et la puissance du Créateur ; mais je parle de ceux qui, infatués de leur savoir, croient volontiers que ce qu'ils n'ont point découvert, patronné et publié ne peut exister. Ceux-là seront châtiés dans leur orgueil ; et Dieu permet que déjà ils soient confondus par la supériorité des travaux intellectuels qui sortent de la plume d'hommes qui sont loin de porter le bonnet de docteur.

Comme au temps du Christ, qui voulut honorer et relever le travailleur en choisissant de naître au milieu d'artisans, les anges du Seigneur recrutent maintenant leurs auxiliaires parmi les cœurs simples et honnêtes, et les hommes de bonne volonté exerçant les plus humbles professions.

Comprenez donc, amis, que l'orgueil est le plus grand ennemi de votre avancement, et que l'humilité et la charité sont les seules vertus qui plaisent à Dieu et attirent sur l'homme ces divins effluves qui l'aident à progresser et à se rapprocher de lui.

Louis de France.



[1] Deux brochures grand in-12, prix : 1 fr. chacune, chez l'auteur, à Joinville (Haute-Marne) ; à Bar-le-Duc, chez Numa Rolin. – L'auteur annonce qu'il complètera son travail par cinq autres brochures qui feront en tout un volume.



Esprits de deux savants incrédules à leurs anciens amis de la terre

Quand les plus incrédules, les plus obstinés, ont franchi le seuil de la vie corporelle, ils sont bien forcés de reconnaître qu'ils vivent toujours ; qu'ils sont Esprits, puisqu'ils ne sont plus charnels, et que par conséquent il y a des Esprits ; que ces Esprits se communiquent aux hommes, puisqu'ils le font eux-mêmes ; mais leur appréciation du monde spirituel varie en raison de leur développement moral, de leur savoir ou de leur ignorance, de l'élévation ou de l'abjection de leur âme. Les deux Esprits dont nous parlons appartenaient, de leur vivant, à la classe des hommes de science et de haute intelligence. Tous les deux étaient foncièrement incrédules, mais, hommes éclairés, leur incrédulité avait pour contrepoids d'éminentes qualités morales ; aussi, une fois dans le monde des Esprits, ils ont promptement envisagé les choses à leur véritable point de vue, et reconnu leur erreur. Il n'y a sans doute là rien qui ne soit très ordinaire, et ne se voie tous les jours, et si nous publions leurs premières impressions, c'est à cause de leur côté éminemment instructif. L'un et l'autre sont morts depuis peu ; le premier, M. M. L., était chirurgien de l'hôpital B…, et beau-frère de M. A. Véron, membre de la Société spirite de Paris ; le second, M. Gui…, était un savant économiste, intimement connu de M. Colliez, autre membre de la Société.

M. Véron avait inutilement cherché à ramener son beau-frère à des idées spiritualistes ; celui-ci mort, il fut plus accessible à ses instructions, et voici une des premières communications qu'il en a reçues.



Paris, 5 octobre 1865. – Médium, M Desliens

Mon cher beau-frère, puisque nous sommes pour ainsi dire dans l'intimité, et que je ne crains pas de prendre la place de quelqu'un qui pourrait vous être plus utile que moi, puisque vous m'avez sollicité, je me rends à votre appel avec plaisir.

Ne vous attendez pas, dès aujourd'hui, à me voir déployer toutes mes facultés spirituelles ; je pourrais le tenter sans doute, et peut-être avec plus de succès que de mon vivant, mais ma présomption orgueilleuse est bien loin de moi, et si je me croyais une sommité sur cette terre, ici je suis bien petit. Que de gens que je dédaignais et dont je suis heureux de trouver aujourd'hui la protection et les enseignements ! Les ignorants d'ici-bas sont bien souvent les savants de là-haut, et combien notre science, qui croit tout savoir et qui ne veut rien admettre en dehors de ses décisions, est illusoire et bornée !

O orgueil humain ! respect de l'habitude, resteras-tu encore longtemps sur cette terre où, depuis tant de siècles, l'esprit de routine enraye le progrès dans sa marche incessante ? « Je ne connais pas un fait, il est en dehors de mes connaissances, donc il n'existe pas. » Tel est notre raisonnement ici-bas. C'est que, si nous l'admettions, ou du moins si nous étudiions ce fait, résultat de lois inconnues, il nous faudrait renoncer à des systèmes erronés, appuyés sur de grands noms dont nous faisons notre gloire, et pis encore, il nous faudrait convenir que nous nous sommes trompés.

Non, nous autres négateurs, nous rencontrons un Galilée universel qui vient nous dire : Je suis Esprit, je suis vivant, j'ai été homme, et, hommes vous-mêmes, vous avez été Esprits, et vous deviendrez comme moi, jusqu'à ce que, par une succession d'incarnations, vous soyez assez épurés pour gravir d'autres degrés de l'échelle infinie des mondes… Et nous nions !

Mais, comme Galilée disait, après ses rétractations : « Et cependant elle se meut, » le Spiritisme vient nous dire : « Et cependant les Esprits sont là, ils se manifestent, et toute négation ne saurait renverser un fait. » Le fait brutal existe, on ne peut rien contre lui. Le temps, ce grand instituteur, fera justice de tout, balayant les uns, instruisant les autres.

Soyez de ceux qui s'instruisent ; j'ai été fauché dans l'âge mûr de mon orgueil, et j'ai subi la peine de mes dénégations. Évitez ma chute, et que mes fautes soient profitables à ceux qui imitent mon raisonnement passé, pour éviter l'abîme de ténèbres d'où vos soins m'ont retiré.

Voyez, il y a encore du trouble dans mon langage ; plus tard, je pourrai vous parler avec plus de logique ; soyez indulgent pour ma jeunesse spirituelle.

M… L…

Cette communication avant été lue à la Société de Paris, l'Esprit s'y est communiqué spontanément, en dictant ce qui suit :



Société de Paris, 20 octobre 1865. – Médium, M. Desliens

Cher monsieur Allan Kardec, permettez à un Esprit que vos études ont amené à considérer l'existence, l'être et Dieu sous leur véritable point de vue, de vous témoigner sa reconnaissance. Sur cette terre, j'ai ignoré votre nom et vos travaux. Peut-être, si l'on m'eût parlé de l'un et des autres, eussé-je exercé à leur égard ma verve railleuse, comme j'en usais pour toute chose tendant à prouver l'existence d'un esprit distinct du corps. J'étais aveugle alors : pardonnez-moi. Aujourd'hui, grâce à vous, grâce aux enseignements que les Esprits ont répandu et vulgarisé par votre main, je suis un autre être, j'ai conscience de moi-même et je vois mon but. Que de reconnaissance ne vous dois-je pas, à vous et au Spiritisme !!! – Quiconque m'a connu et lira aujourd'hui ce qui est l'expression de ma pensée, s'écriera : « Ce ne peut être là celui que nous avons connu, ce matérialiste radical qui n'admettait rien en dehors des phénomènes bruts de la nature. » Sans doute, et cependant c'est bien moi.

Mon cher beau-frère, à qui je dois de sincères remerciements, dit que je suis revenu à de bons sentiments en peu de temps. Je le remercie de son aménité à mon égard ; mais, il ignore sans doute combien sont longues les heures de souffrance résultant de l'inconscience de son être !!!… Je croyais au néant, et je fus puni par un néant fictif. Se sentir être et ne pouvoir manifester son être ; se croire disséminé dans tous les débris épars de la matière qui forme le corps, telle fut ma position pendant plus de deux mois !… deux siècles !… Ah ! les heures de la souffrance sont longues, et si l'on ne se fût occupé de me tirer de cette mauvaise atmosphère de nihilisme, si l'on ne m'eût contraint à venir dans ces réunions de paix et d'amour, où je ne comprenais, ne voyais ni n'entendais rien, mais où des fluides sympathiques agissaient sur moi et m'éveillaient peu à peu de ma lourde torpeur spirituelle, où serais-je encore ? mon Dieu !… Dieu !… quel doux nom à prononcer pour celui qui fut si longtemps attaché à nier ce père si grand et si bon ! Ah ! mes amis, modérez-moi, car aujourd'hui je ne crains qu'une chose, c'est de devenir fanatique de ces croyances que j'eusse repoussées comme de vils radotages, si autrefois elles fussent venues à ma connaissance !…

Je ne dirai rien aujourd'hui sur les travaux dont vous vous occupez ; je suis encore trop neuf, trop ignorant pour oser m'aventurer dans vos sages dissertations. Je sens déjà, mais je ne sais pas encore ! Je vous dirai seulement ceci, parce que je le sais : Oui, les fluides ont une influence énorme comme action guérissante, sinon corporelle, je n'en sais rien, du moins spirituelle, car j'ai éprouvé leur action. Je vous l'ai dit et vous le répète avec bonheur et reconnaissance : j'allais, contraint par une force invincible, celle de mon guide sans doute, dans les réunions spirites. Je ne voyais, je n'entendais rien, et cependant une action fluidique que je ne pouvais raisonner m'a guéri spirituellement.

Je remercie volontiers tous ceux qui se sont acquis des droits éternels à ma reconnaissance en me sortant du chaos où j'étais tombé, et je vous prie, mes amis, de bien vouloir me permettre de venir assister en silence à vos sages assemblées, mettant pour plus tard mes faibles lumières scientifiques à votre disposition.

M… L…

Demande. – Pourriez-vous nous dire, avec l'assistance de votre guide, comment vous avez pu si promptement reconnaître vos erreurs terrestres, tandis qu'un bon nombre d'Esprits, à qui on ne ménage pas les soins spirituels, sont cependant très longtemps avant de comprendre les conseils qu'on leur fait entendre ?

Réponse. – Je vous remercie, cher monsieur, de la question que vous avez bien voulu m'adresser, et que je crois pouvoir résoudre moi-même avec l'assistance de mon guide.

Sans doute, vous pouvez voir une anomalie dans ma transformation, puisque, comme vous le dites, il est des êtres qui, malgré tous les sentiments qui agissent en leur faveur, sont de longs espaces de temps sans se laisser dessiller les yeux. Ne voulant pas abuser de votre bienveillance, je vous dirai en peu de mots :

L'Esprit qui résiste à l'action de ceux qui agissent sur lui, est neuf sous le rapport des notions morales. Ce peut être un individu instruit, mais complètement ignorant sous le rapport de la charité et de la fraternité, en un mot dénué de spiritualité. Il lui faut apprendre la vie de l'âme, qui, même à l'état d'Esprit, a été pour lui rudimentaire. Pour moi, il en fut tout autrement. Je suis vieux je vous le dis, en présence de votre vie, quoique bien jeune dans l'éternité. J'ai eu des notions de morale ; j'ai cru à la spiritualité, qui est devenue latente en moi, parce qu'un de mes péchés capitaux, l'orgueil, nécessitait cette punition.

Moi, qui avais connaissance de la vie de l'âme dans une existence antérieure, je fus condamné à me laisser dominer par l'orgueil et à oublier Dieu et le principe éternel qui résidait en moi… Ah ! croyez-le, il n'y a pas qu'une seule espèce de crétinisme, et l'idiot qui, conservant son âme, ne peut manifester son intelligence, est peut-être moins à plaindre que celui qui, possédant toute son intelligence, scientifiquement parlant, a perdu son âme pour un temps. C'est un idiotisme tronqué, mais bien pénible.

M… L…

L'autre Esprit, M. Gui…, s'est manifesté spontanément à la Société le jour de la séance spéciale, commémorative des morts. M. Colliez qui, comme nous l'avons dit, l'avait particulièrement connu, s'était borné à le faire inscrire sur la liste des Esprits recommandés aux prières. Bien que ses opinions fussent tout autres que de son vivant, M. Colliez le reconnut à la forme de son langage, et avant que sa signature fût lue, il avait dit que ce devait être M. Gui…



Société de Paris,1er novembre 1865. – Médium, M. Leymarie

Messieurs… Permettez-moi d'employer cette expression usitée, mais peu fraternelle. Je suis un nouveau venu, une recrue inattendue, et sans doute mon nom n'a jamais frappé les oreilles des Spirites fervents. Néanmoins il n'est jamais trop tard, et lorsque chaque famille pleure un absent aimé, je viens à vous pour vous exprimer mon repentir bien sincère.

Entouré de voltairiens, vivant, pensant comme eux, apportant au besoin mon obole et mon travail pour la propagation des idées libérales et progressives, j'ai cru bien faire ; car tout le monde dit, mais tous ne font pas. J'ai donc agi, et je vous en prie, n'oubliez pas les hommes d'action. Dans leur sphère, ils ont secoué cette torpeur de tant de siècles qui avait, pour ainsi dire, voilé l'avenir. Déchirant le voile, nous avons, nous aussi, chassé la nuit, et c'est beaucoup, lorsque l'ennemi intolérant est à la porte et cherche à crayonner en noir chaque rayon de lumière. Combien de fois avons-nous cherché en nous-mêmes la solution de cette question : « Ah ! si les morts pouvaient parler ! » Réflexion profonde, absorbante, qui nous tuait à l'âge des désillusions, alors que tout homme marqué par un hasard apparent devient une lumière dans la foule.

La famille est là !… de jeunes fronts candides demandent à nos baisers l'espérance, et nous ne pouvons rien donner ; car cette espérance nous l'avons scellée sous une grande pierre bien froide que nous appelons l'incrédulité. Mais aujourd'hui je crois, je viens à vous, plein d'espérance et de foi, vous dire : « J'espère en l'avenir, je crois en Dieu, et les Esprits de Béranger, de Royer-Collard, de Casimir Perrier… ne me démentiront pas. »

A vous qui désirez le progrès, qui voulez la lumière, je dirai : Les morts parlent, ils parlent tous les jours ; mais, aveugles que vous êtes, que nous étions ! vous pressentez la vérité sans l'affirmer ouvertement ; comme Galilée, vous vous dites chaque soir : « Cependant elle tourne ! » mais vous baissez les yeux devant le ridicule, le respect de la chose jugée !

Vous tous qui étiez mes fidèles, qui chaque huitaine m'accordiez votre soirée, apprenez ce que je suis devenu.

Savants qui scrutez les secrets de la nature, avez-vous demandé à la feuille morte, au brin d'herbe, à l'insecte, à la matière, ce qu'ils devenaient dans le grand concert des morts terriens ? Leur avez-vous demandé leurs fonctions de morts ? avez-vous pu inscrire sur vos tablettes cette grande loi de la nature qui semble se détruire annuellement pour revivre splendide et superbe, jetant le défi de l'immortalité à vos pensées passagères et mortelles ?

Docteur savant, qui, chaque jour, penchez un front soucieux sur les maladies mystérieuses qui détruisent les corps humains d'une manière multiple, pourquoi tant de sueurs pour l'avenir, tant d'amour pour la famille, tant de prévoyance pour assurer l'honorabilité d'un nom, pour la fortune et la moralité de vos enfants, tant de respect pour la vertu de vos compagnes ?

Hommes de progrès, qui travaillez constamment à transformer les idées et à les rendre plus belles, pourquoi tant de soins, de veilles et de déceptions, si ce n'est que cette loi éternelle du progrès absorbe toutes vos facultés et les décuple afin de rendre hommage au mouvement général d'harmonie et d'amour, devant lequel vous vous inclinez ?

Ah ! mes amis, qui que vous soyez sur la terre : mécaniciens, législateurs profonds, hommes politiques, artistes, ou vous tous qui inscrivez sur votre drapeau : Économie politique, croyez-moi, vos travaux défient la mort ; toutes vos aspirations la rejettent comme une négation, et lorsque, par vos découvertes et votre intelligence, vous avez laissé une trace, un souvenir, une honorabilité sans tache, vous avez défié la mort, comme tout ce qui vous entoure ! vous avez offert un sacrifice à la puissance créatrice, et comme la nature, la matière, comme tout ce qui vit et veut vivre, vous avez vaincu la mort. Comme moi jadis, comme tant d'autres, vous vous retrempez dans cet anéantissement du corps qui est la vie, vous allez vers l'Éternel pour vaincre l'éternité !…

Mais vous ne la vaincrez pas, car elle est votre amie. L'Esprit, c'est l'éternité, c'est l'éternel, et je vous le répète : tout ce qui meurt parle de vie et de lumière. La mort parle au vivant ; les morts viennent parler. Eux seuls ont la clef de tout, et c'est par eux que je vous promets d'autres explications.

Gui…



Société spirite de Paris, 17 novembre 1865. – Médium, M. Leymarie

Ils ont fui l'épidémie, et dans cette panique singulière, combien de défaillances morales, combien de défections honteuses ! c'est que la mort devient la plus terrible expiation pour tous ceux qui violent les lois de la plus stricte équité. La mort, c'est l'inconnu pour la foi chancelante. Les religions diverses, avec le paradis et l'enfer, n'ont pu raffermir chez ceux qui possèdent l'abnégation vainement enseignée pour les biens terrestres ; pas de point de repère, pas de bases certaines ; de la diffusion dans l'enseignement divin : ce n'est pas la certitude. Aussi, sauf quelques exceptions, quelle frayeur, quel manque de charité, quel égoïsme dans ce sauve qui peut général chez les satisfaits ! Croire en Dieu, étudier sa volonté dans les affirmations intelligentes, être sûr que les lois de l'existence sont subordonnées à des lois supérieures divines qui mesurent tout avec justice, qui dispensent à tous, en diverses existences, la peine, la joie, le travail, la misère et la fortune, mais c'est, ce me semble, ce que demandent toutes les savantes recherches, toutes les interrogations de l'humanité. En avoir la certitude, n'est-ce pas la force vraie en tout ? Si le corps épuisé laisse la liberté à l'esprit afin qu'il vive selon les aptitudes fluidiques qui sont son essence, si, dis-je, cette vérité devient palpable, évidente comme un rayon de soleil ; si les lois qui enchaînent mathématiquement les diverses phases de l'existence terrestre et extra-terrestre, ou de l'erraticité, deviennent pour nous aussi clairement démontrées qu'un problème algébrique, n'aurez-vous pas alors en mains le secret tant cherché, le pourquoi de toutes vos objections, l'explication rationnelle de la faiblesse de vos profondes études en économie politique, faiblesse terrifiante pour la théorie, car la pratique démolit en un jour le travail d'une vie d'homme ?

C'est pour cela, amis, que je viens vous supplier de lire le Livre des Esprits ; ne vous arrêtez pas à la lettre, mais possédez-en l'esprit. Chercheurs intelligents, vous trouverez de nouveaux éléments pour modifier votre point de vue et celui des hommes qui vous étudient. Certains de la pluralité des existences, vous envisagerez mieux la vie ; en la définissant mieux, vous serez forts. Hommes de lettres, pléiade pauvre et bénie, vous donnerez à l'humanité une semence d'autant plus sérieuse qu'elle sera vraie. Et quand on verra les forts, les savants, croire et enseigner les maximes fortes et consolantes, on s'aimera mieux, on ne fuira plus le mal soi-disant invisible ; la volonté de tous, homogénéité puissante, détruira toutes ces fermentations gazeuses empoisonnées, seule source des épidémies.

L'étude des fluides, faite à un autre point de vue, transformera la science ; des aperçus nouveaux éclaireront la route féconde de nos jeunes étudiants, qui n'iront plus, comme des orgueilleux, montrer à l'étranger leur intolérance de langage et leur ignorance ; ils ne seront plus la risée de l'Europe, car les morts aimés leur auront donné la foi et cette religion de l'Esprit qui moralise d'abord pour élever ensuite l'incarnation aux régions sereines du savoir et de la charité.

Gui…

Dissertations spirites - Etat social de la femme

Société de Paris, 20 octobre 1865. – Médium, M. Leymarie

A l'époque où je vivais parmi vous, mes amis, il m'était souvent arrivé de faire de sérieuses réflexions sur le sort de la femme. Mes nombreuses et laborieuses études laissaient toujours un moment à ces sujets aimés. Chaque soir, avant le sommeil, je priais pour ces pauvres sœurs si malheureuses et trop méconnues, implorant Dieu pour des jours meilleurs, et demandant aux idées un moyen quelconque de faire progresser les déclassées. Parfois, en rêve, je les voyais libres, aimées, estimées, ayant une existence légale et morale dans la société, dans la famille, entourées de respect et de soins ; je les voyais transfigurées ; et ce spectacle était si consolant, que je me réveillais en pleurant ; mais hélas ! la triste réalité m'apparaissait alors dans sa lugubre vérité et je désespérais parfois qu'il arrivât de meilleurs jours.

Ces jours sont venus, mes amis ; il en est peu parmi vous qui ne sentent intuitivement le droit de la femme ; beaucoup le nient dans le fait, bien qu'ils le reconnaissent mentalement ; mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a pour elle de l'espérance et de la joie au milieu de misères profondes et de désillusions épouvantables.

Il y a quelques jours, j'écoutais un cercle de femmes distinguées par le rang, la beauté et la fortune, et je me disais : Celles-là sont tout parfum ; elles ont été aimées et adulées. Comme elles doivent aimer ! comme elles doivent être bonnes mères, charmantes épouses, filles respectueuses ! elles savent beaucoup, elles aiment et donnent beaucoup. Quelle étrange erreur !… Tous ces frais visages mentaient, sous leurs sourires stéréotypés ; elles babillaient, causaient chiffons, courses, modes ; donnaient, avec une grâce charmante, un coup de griffe à l'absent, mais ne s'occupaient ni de leurs enfants, ni de leurs époux, ni de questions littéraires, de nos génies, de leur pays, de la liberté ! Hélas ! de belles têtes, mais de cervelles… point. Charmants oiseaux, on a tout bonnement redressé votre taille, votre maintien : c'est l'étiquette ; votre prétention : plaire, effleurer tout et ne rien connaître. Le vent emporte votre babil, et vous ne laissez pas de traces ; vous n'êtes ni filles, ni femmes, ni mères. Vous ignorez votre pays, son passé, ses souffrances, sa grandeur. Votre enfant, vous l'avez confié à une mercenaire ! Le bonheur de l'intérieur est une fiction. Vous avez, charmants papillons, de bien belles ailes,… mais après…

J'avais entendu aussi un groupe de jeunes et vives ouvrières. Que savaient-elles, celles-là ! Rien… comme les autres… rien de la vie, rien du devoir, rien de la réalité ! Elles enviaient, voilà tout. Leur a-t-on donné le droit de se comprendre, de s'estimer, de se respecter ? Leur a-t-on fait comprendre Dieu, sa grandeur, sa volonté ? Non, mille fois non !… L'Église leur enseigne le luxe ; elles travaillent pour le luxe, et c'est encore lui qui frappe à leur mansarde, en disant : Ouvre-moi ; je suis le ruban, la dentelle, la soie, les bons mets, les vins délicats. Ouvre, et tu seras belle, tu auras toutes les fantaisies, tous les éblouissements !… et c'est pourquoi tant, parmi elles, sont la honte de leur famille !

Aimables cerveaux, qui vous divertissez au sujet du Spiritisme, voudriez-vous me dire quelle est la panacée que vous avez inventée pour purifier la famille, pour lui donner vie ? Je le sais, en fait de morale, vous êtes coulants ; beaucoup de phrases, de gémissements sur les peuples qui tombent, sur le manque d'éducation des masses ; mais pour relever moralement la femme, qu'avez-vous fait ? Rien… Grands seigneurs de la littérature, combien de fois avez-vous foulé aux pieds les saintes lois du respect de la femme, que vous prônez tant ! Hélas ! vous méconnaissez Dieu et vous méprisez profondément la femme c'est-à-dire la famille et l'avenir de la nation !

Et c'est en elle et pour elle que devront s'élaborer les graves problèmes sociaux de l'avenir ! ce que vous êtes incapables de faire, vous le savez bien, le Spiritisme le fera et donnera à la femme cette foi robuste qui soulève les montagnes, foi qui leur enseigne leur puissance et leur valeur, tout ce que Dieu promet par leur douceur, leur intelligence, leur puissante volonté. En comprenant les lois magnifiques développées par le Livre des Esprits, aucune parmi elles, ne voudra livrer ni son corps ni son âme ; fille de Dieu, elle aimera en ses enfants la visite de l'Esprit créateur ; elle voudra savoir pour apprendre aux siens ; elle aimera son pays et saura son histoire, afin d'initier ses enfants aux grandes idées progressives. Elles seront mères et médecins, conseillères et directrices ; en un mot, elles seront femmes selon le Spiritisme, c'est-à-dire l'avenir, le progrès et la grandeur de la patrie dans une plus large expression.

Baluze.



Suite. – 27 octobre 1865

Dans ma dernière communication, mes amis, je vous avais montré les femmes sous deux aspects, et j'avais ajouté que l'instruction chez les unes et l'ignorance chez les autres avaient produit des résultats négatifs. Néanmoins il y a de sérieuses exceptions qui semblent défier la règle. Il y a des jeunes filles qui savent étudier et mettre à profit ce qu'enseignent les maîtres. Celles-là ne sont pas vaines et légères ; leur constante distraction n'est pas un colifichet ou un ruban ! – Nourries par de fortes et sérieuses leçons, elles aiment ce qui grandit l'esprit, ce qui lui donne le calme intime, ce calme des forts et des natures généreuses.

Dans le mariage, elles prévoient la famille ; elles appellent de tous leurs vœux l'enfant bien-aimé, le bienvenu, non pour le délaisser et le jeter aux soins intéressés, mais bien pour lui sacrifier leur vie entière. Le nouveau-né est le centre de tout ; pour lui, la première pensée ; pour lui, les caresses et les prières ardentes, les nuits sans sommeil, les jours trop courts où se préparent les mille détails qui seront le bien-être du nouvel incarné. L'enfant, c'est l'étude, c'est l'amour sous ses mille formes. L'époux devient aimable ; il oublie le rude labeur de la journée ou les distractions mondaines pour soutenir les premiers pas de l'enfant et donner une forme à ses premières syllabes. Je respecte donc ces exceptions exemplaires qui savent défier la tentation et fuir les plaisirs pour se dévouer et vivre en mères divinement intelligentes.

Humbles et pauvres ouvrières ; cœurs ulcérés qui aimez votre seule espérance : votre enfant, il y aurait beaucoup à dire sur votre abnégation, votre sentiment profond du devoir, votre mansuétude devant les ennuis de chaque jour !

Rien ne vous rebute pour consoler le petit ange ; il est pour vous la force et le travail, et ce sublime égoïsme qui vous fait sacrifier nuit et jour.

Mais si la religion, ou plutôt les divers cultes unis à l'instruction, n'ont pu détruire chez le riche et le pauvre cette tendance générale à mal vivre et ignorer le but de la vie, c'est que ni les cultes ni l'instruction n'ont su jusqu'à ce jour impressionner vivement l'enfance. On lui parle constamment d'intérêts ennemis. Les parents qui luttent contre les nécessités de la vie, s'expliquent devant ces jeunes cœurs avec une crudité cynique. A peine ont-ils la perception des premiers mots, qu'ils savent déjà qu'on peut être colère, emporté, et que l'intérêt personnel est le pivot autour duquel tourne chaque individu. Ces premières impressions les exploitent largement… Religion et instruction seront désormais de vains mots, s'ils ne tendent à augmenter quand même le bien-être et la fortune !

Et quand nous portons à tous les échos la pensée spirite, pensée qui éveille toutes les généreuses passions, pensée qui donne une certitude comme un problème mathématique, on nous rit au nez ! De soi-disant libéraux montent sur leurs échasses pour nous trouver ridicules et ignorants. Nous ne savons pas écrire… pas de style !… nous sommes des modèles d'ineptie, des fous… bons à mettre à Charenton. Et les apôtres de la libre pensée pousseraient volontiers l'autorité à poursuivre, à l'aide du Code pénal, ces illuminés qui font baisser le bon sens public !

Heureusement l'opinion des masses n'appartient ni à une feuille ni à un écrivain ; nul n'a le droit d'avoir plus d'esprit et de bon sens que tout le monde, et en ce temps où de simples feuilletonnistes prétendent pourfendre les théologiens, les philosophes, le génie sous toutes les formes, le bon sens dans sa plus grande expression, il arrive que chacun veut savoir par lui-même. On court toujours aux hommes et aux choses dont on dit le plus de mal ; et, après avoir lu et écouté, on laisse de côté tous les pamphlets insolents, toutes les insinuations malveillantes, pour rendre hommage à la vérité qui frappe tous les esprits.

Et c'est pour cela que le Spiritisme grandit sous vos coups. Les familles nous acceptent et nous bénissent. Un père laborieux, s'il a un fils vraiment spirite, ne le verra pas, comme par le passé, déserter la maison pour vivre en frondeur. Ce n'est pas lui qui ruinera sa famille, vendra sa conscience et reniera les lois sacrées du respect dû à la femme, à l'enfant. Il sait que Dieu existe ; il connaît les lois fluidiques de l'Esprit et l'existence de l'âme avec toutes ses conséquences admirables. C'est un homme sérieux, probe, fraternel, charitable, et non un pantin bien élevé, traître à la vie, à Dieu, à ses amis, à ses parents et à lui-même.

Les mères seront réellement des mères ; pénétrées de l'esprit spirite, elles seront la sauvegarde de leurs filles aimées ; en leur apprenant le rôle magnifique qu'elles sont appelées à remplir, elles leur donneront la conscience de leur valeur. La destinée de l'homme leur appartient de droit, et pour accomplir le devoir, il faudra s'instruire afin de meubler dignement l'enfant que Dieu envoie. Savoir ne sera plus le corollaire des désirs effrénés et des envies honteuses, mais bien, au contraire, le complément de la dignité et du respect de sa personne. Contre de telles femmes, que pourront les tentations et les passions déréglées ? Pour égide, elles auront Dieu et leur droit, et de plus cet acquis supérieur qui nous vient des choses supérieures.

Or, qu'est-ce que la femme, sinon la famille, et qu'est-ce que la famille, sinon la nation ? Telles femmes, tel peuple. – Nous voulons donc créer ce que vous avez détruit par les extrêmes. Le moyen âge avait amoindri la femme par la superstition. Vous, messieurs les libres penseurs, c'est par le scepticisme !… Ni l'un ni l'autre ne sont bons ! Nous moralisons d'abord ; nous relevons l'affranchie, la femme, pour l'instruire ensuite. Vous, vous voulez l'instruire, sans la moraliser !

Et c'est pour cela, que la génération actuelle vous échappe, et les mères de famille ne seront bientôt plus une exception.

Baluze.





Allan Kardec.

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