REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1865

Allan Kardec

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Juin

Compte rendu de la caisse du Spiritisme

Fait à la Société spirite de Paris, le 5 mai 1865, par M. Allan Kardec.

Messieurs et chers collègues,

Il y a quelque temps que je vous ai annoncé de nouvelles explications au sujet de la caisse du Spiritisme. L'inauguration d'une nouvelle année sociale m'en offre naturellement l'occasion. Dans cet exposé, je regrette d'avoir à vous parler de moi, ce que je fais toujours le moins possible, mais dans cette circonstance je ne saurais faire autrement ; c'est pourquoi je vous prie d'avance de vouloir bien m'excuser.

Je rappellerai sommairement le compte rendu que je vous ai soumis sur le même sujet il y a deux ans.

Au mois de février 1860, un don de 10 000 francs fut mis à ma disposition pour en diriger l'emploi à mon gré dans l'intérêt du Spiritisme. A cette époque, la Société n'avait point de local à elle, ce qui présentait de graves inconvénients. L'extension que commençait à prendre la doctrine faisait sentir l'utilité d'un local spécial affecté, non seulement aux séances, mais à la réception des visiteurs qui devenaient chaque jour plus nombreux et rendaient indispensable la présence permanente de quelqu'un au siège même de la Société. Je fis choix de ce local, qui réunissait les avantages de convenance et de position centrale ; le choix, du reste, n'était pas facile, vu la nécessité de dépendances appropriées à sa destination, jointe à l'excessive cherté des loyers. Le prix de la location de celui-ci, y compris les contributions, est de 2 930 francs. La Société ne pouvant supporter cette charge et ne payant que 1 200 francs, il restait 1 730 francs auxquels il fallait pourvoir. En affectant le don qui avait été fait, soit à l'achat du matériel, soit au paiement de l'excédant du loyer, ce n'était point s'écarter des intentions du donateur, puisque c'était dans l'intérêt de la doctrine, et, en effet, on comprend, aujourd'hui surtout, combien il a été utile d'avoir ce centre où viennent aboutir tant de relations, et combien il était nécessaire en outre que j'y eusse un pied-à-terre. Toutefois, je dois rappeler que si j'habite ce local, ce n'est point un avantage pour moi, puisque j'ai un autre appartement qui ne me coûte rien et qu'il me serait plus agréable d'habiter, et cela avec d'autant plus de raison que cette double habitation, loin d'être un allègement, est une aggravation de charges, ainsi que je le démontrerai tout à l'heure.

Cette somme de 10 000 francs fut donc le premier fonds de la cause du Spiritisme, caisse qui, ainsi que vous le savez, est l'objet d'une comptabilité spéciale, et ne se confond point avec mes affaires personnelles. Ce fonds devait suffire à parfaire, à quelque chose près, le loyer pendant les six ans de bail, selon le compte détaillé que je vous ai présenté la dernière fois ; or, le bail expire dans un an, et la somme touche à sa fin.

Il est vrai que le capital de la caisse a été augmenté de plusieurs sommes ; il se compose ainsi qu'il suit :

1°Donation de février 186010 000fr.

2°Abandon d'un prêt fait à une époque antérieure

dans l'intérêt du Spiritisme 600"

3°Don fait en 1862500"

4°Autre don fait en septembre 18641 000"

5°Autre don fait en octobre 18642 000"

___________________________________________

Total14 100 "

Ces deux dernières sommes ayant une destination spéciale, ce n'est en réalité que 11 100 francs qui ont pu être affectés au loyer, et qui ne suffiront pas entièrement.

Mais le loyer n'est pas la seule charge qui incombe au Spiritisme ; je ne parle pas des œuvres de bienfaisance, qui sont une chose à part dont nous parlerons tout à l'heure. J'aborde un autre côté de la question, et c'est ici que je réclame votre indulgence par la nécessité où je suis de parler de moi.

On a beaucoup parlé des produits que je retirais de mes ouvrages ; personne de sérieux assurément ne croit à mes millions, malgré l'affirmation de ceux qui disaient tenir de bonne source que j'avais un train princier, des équipages à quatre chevaux et que chez moi on ne marchait que sur des tapis d'Aubusson. Quoi qu'en ait dit, en outre, l'auteur d'une brochure que vous connaissez, et qui prouve par des calculs hyperboliques que mon budget des recettes dépasse la liste civile du plus puissant souverain de l'Europe (38 millions. Revue, juin 1862, p. 179 ; juin 1863, p. 175), ce qui, soit dit en passant, témoignerait d'une extension vraiment miraculeuse de la doctrine, il est un fait plus authentique que ses calculs, c'est que je n'ai jamais rien demandé à personne, que personne ne m'a jamais rien donné pour moi personnellement ; qu'aucune collecte de denier quelconque n'est venue pourvoir à mes besoins ; en un mot, que je ne vis aux dépens de personne, puisque, sur les sommes qui m'ont été volontairement confiées dans l'intérêt du Spiritisme, aucune parcelle n'en a été distraite à mon profit, et l'on voit d'ailleurs à quel chiffre elles s'élèvent.

Mes immenses richesses proviendraient donc de mes ouvrages spirites. Bien que ces ouvrages aient eu un succès inespéré, il suffit d'être tant soit peu initié aux affaires de librairie, pour savoir que ce n'est pas avec des livres philosophiques qu'on amasse des millions en cinq ou six ans quand on n'a sur la vente qu'un droit d'auteur de quelques centimes par exemplaire. Mais qu'il soit fort ou faible, ce produit étant le fruit de mon travail, personne n'a le droit de s'immiscer dans l'emploi que j'en fais ; quand même il s'élèverait à des millions, du moment que l'achat des livres, aussi bien que l'abonnement à la Revue, est facultatif et n'est imposé en aucune circonstance, pas même pour assister aux séances de la Société, cela ne regarde personne. Commercialement parlant, je suis dans la position de tout homme qui recueille le fruit de son travail ; je cours la chance de tout écrivain qui peut réussir, comme il peut échouer.

Bien que sous ce rapport je n'aie aucun compte à rendre, je crois utile, à la cause même à laquelle je me suis voué, de donner quelques explications.

Je dirai d'abord que mes ouvrages n'étant pas ma propriété exclusive, je suis obligé de les acheter à mon éditeur et de les payer comme un libraire, à l'exception de la Revue dont j'ai gardé la disposition ; que le bénéfice se trouve singulièrement diminué par les non-valeurs et les distributions gratuites faites dans l'intérêt de la doctrine, à des gens qui, sans cela, seraient obligés de s'en passer. Un calcul bien facile prouve que le prix de dix volumes perdus ou donnés, que je n'en dois pas moins payer, suffit pour absorber le bénéfice de cent volumes. Ceci soit dit à titre de renseignement et comme parenthèse. Somme toute, et balance faite, il reste cependant quelque chose. Supposez le chiffre que vous voudrez ; qu'est-ce que j'en fais ? C'est là ce qui préoccupe le plus certaines gens.

Quiconque a vu notre intérieur jadis et le voit aujourd'hui, peut attester que rien n'est changé à notre manière de vivre depuis que je m'occupe de Spiritisme ; elle est tout aussi simple maintenant qu'elle était autrefois, parce qu'une vie somptueuse n'est pas dans nos goûts. Il est donc certain que mes bénéfices, si énormes soient-ils, ne servent pas à nous donner les jouissances du luxe. Nous n'avons pas d'enfants, ce n'est donc pas pour eux que nous amassons ; nos héritiers indirects sont la plupart beaucoup plus riches que nous : il y aurait simplicité à m'épuiser à travailler à leur profit. Est-ce donc que j'aurais la manie de thésauriser pour avoir le plaisir de contempler mon argent ? Je ne pense pas que mon caractère et mes habitudes aient jamais pu le faire supposer. Ceux qui m'attribuent de telles idées connaissent bien peu mes principes en matière de Spiritisme, puisqu'ils me jugent si attaché aux biens de la terre. A quoi donc cela passe-t-il ? Du moment que cela ne me profite pas, plus la somme est fabuleuse, plus la réponse est embarrassante. Un jour on en saura le chiffre exact, ainsi que l'emploi détaillé, et les faiseurs d'histoires en seront pour leurs frais d'imagination ; aujourd'hui je me borne à quelques données générales pour mettre un frein à des suppositions ridicules. Je dois à cet effet entrer dans quelques détails intimes dont je vous demande pardon, mais qui sont nécessaires.

De tout temps nous avons eu de quoi vivre, très modestement il est vrai, mais ce qui eût été peu pour certaines gens nous suffisait, grâce à nos goûts et à nos habitudes d'ordre et d'économie. A notre petit revenu venait s'ajouter en supplément le produit des ouvrages que j'ai publiés avant le Spiritisme, et celui d'un modeste emploi que j'ai dû quitter quand les travaux de la doctrine ont absorbé tout mon temps.

Dans la propriété que je possède, et qui me reste comme débris de ce que la mauvaise foi n'a pu m'enlever, nous pouvions vivre tranquillement et loin du tracas des affaires. Le Spiritisme, en me tirant de l'obscurité, est venu me lancer dans une nouvelle voie ; en peu de temps je me suis trouvé entraîné dans un mouvement que j'étais loin de prévoir. Lorsque je conçus l'idée du Livre des Esprits, mon intention était de ne point me mettre en évidence et de rester inconnu ; mais, promptement débordé, cela ne m'a pas été possible : j'ai dû renoncer à mes goûts de retraite, sous peine d'abdiquer l'œuvre entreprise et qui grandissait prodigieusement ; il m'a fallu en suivre l'impulsion et en prendre les rênes. Si mon nom a maintenant quelque popularité, ce n'est assurément pas moi qui l'ai recherchée, car il est notoire que je ne la dois ni à la réclame, ni à la camaraderie de la presse, et que je n'ai jamais profité de ma position et de mes relations pour me lancer dans le monde, alors que cela m'eût été si facile. Mais à mesure que l'œuvre grandissait, un horizon plus vaste se déroulait devant moi, et en reculait les bornes ; je compris alors l'immensité de ma tâche, et l'importance du travail qui me restait à faire pour la compléter ; les difficultés et les obstacles, loin de m'effrayer, redoublèrent mon énergie ; je vis le but, et résolus de l'atteindre avec l'assistance des bons Esprits. Je sentais que je n'avais pas de temps à perdre, et je ne le perdis ni en visites inutiles, ni en cérémonies oiseuses ; ce fut l'œuvre de ma vie ; j'y donnai tout mon temps, j'y sacrifiai mon repos, ma santé, parce que l'avenir était écrit devant moi en caractères irrécusables. Je le fis de mon propre mouvement, et ma femme, qui n'est ni plus ambitieuse, ni plus intéressée que moi, entra pleinement dans mes vues et me seconda dans ma tâche laborieuse, comme elle le fait encore, par un travail souvent au-dessus de ses forces, sacrifiant sans regret les plaisirs et les distractions du monde auxquels sa position de famille l'avait habituée.

Sans nous écarter de notre genre de vie, cette position exceptionnelle ne nous en a pas moins créé des nécessités auxquelles mes seules ressources ne me permettaient pas de pourvoir. Il serait difficile de se figurer la multiplicité des dépenses qu'elle entraîne, et que j'aurais évitées sans cela. La nécessité d'habiter en deux endroits différents est, comme je l'ai dit, un surcroît de charges par l'obligation d'avoir tout en double en objets mobiliers, sans compter une foule de menus frais qu'exige cette double habitation, et les pertes qui résultent de mes intérêts matériels négligés par suite des travaux qui absorbent tout mon temps. Ce n'est point une plainte que j'articule, puisque mes occupations actuelles sont volontaires ; c'est un fait que je constate en réponse à ceux qui prétendent que tout est profit pour moi dans le Spiritisme. Quant aux frais spéciaux occasionnés par la position, il serait impossible de les énumérer ; mais si l'on considère que j'ai chaque année pour plus de huit cent francs rien qu'en affranchissement de ports de lettres, indépendamment des voyages, de la nécessité de m'adjoindre quelqu'un pour me seconder, et autres menus frais obligés, on comprendra que je n'exagère pas en disant que mes dépenses annuelles, qui ont été sans cesse en croissant, sont aujourd'hui plus que triplées. On peut se figurer approximativement à combien, depuis huit ans, a pu s'élever cet excédant en mettant une moyenne de 6 000 francs par an. Or, personne ne contestera l'utilité de ces dépenses pour le succès de la doctrine qui eût évidemment langui si je fusse resté dans ma retraite sans voir personne et sans les nombreuses relations que j'entretiens chaque jour. C'est pourtant ce que j'aurais été obligé de faire si rien ne me fût venu en aide.

Eh bien ! messieurs, ce qui m'a procuré ce supplément de ressources, c'est le produit de mes ouvrages. Je le dis avec bonheur, c'est avec mon propre travail, avec le fruit de mes veilles que j'ai pourvu, en majeure partie du moins, aux nécessités matérielles de l'installation de la doctrine. J'ai ainsi apporté une large quote-part à la caisse du Spiritisme. Dieu a voulu qu'il trouvât en lui-même ses premiers moyens d'action. Dans le principe, je regrettais que mon peu de fortune ne me permît pas de faire ce que j'aurais voulu pour le bien de la chose ; aujourd'hui j'y vois le doigt de la Providence, et l'accomplissement de cette prédiction maintes fois répétée des bons Esprits : Ne t'inquiète de rien ; Dieu sait ce qu'il te faut, et il saura y pourvoir.

Si j'eusse employé le produit de mes ouvrages à l'augmentation de mes jouissances matérielles, c'eût donc été au préjudice du Spiritisme, et cependant personne n'aurait eu le droit d'y trouver à redire, car j'étais bien le maître de disposer à mon gré de ce que je ne devais qu'à moi-même ; mais puisque je m'en passais avant, je pouvais également m'en passer après ; en l'appliquant à l'œuvre, on ne trouvera pas, je pense, que ce soit de l'argent mal employé, et ceux qui aident à la propagation des ouvrages ne pourront pas dire qu'ils travaillent à m'enrichir.

Ce n'était pas tout de pourvoir au présent, il fallait aussi penser à l'avenir, et préparer une fondation qui, après moi, pût aider celui qui me remplacera dans la grande tâche qu'il aura à remplir ; cette fondation, sur laquelle je dois me taire encore, se rattache à la propriété que je possède, et c'est en vue de cela que j'applique une partie de mes produits à l'améliorer. Comme je suis loin des millions dont on m'a gratifié, je doute fort que, malgré mes économies, mes ressources personnelles me permettent jamais de donner à cette fondation le complément que je voudrais lui voir de mon vivant ; mais puisque sa réalisation est dans les vues de mes guides spirituels, si je ne le fais pas moi-même, il est probable qu'un jour ou l'autre, cela se fera. En attendant, j'en élabore les plans sur le papier.

Loin de moi, messieurs, la pensée de tirer la moindre vanité de ce que je viens de vous exposer ; il a fallu la persévérance de certaines diatribes pour m'engager, quoique à regret, à rompre le silence sur quelques-uns des faits qui me concernent. Plus tard, tous ceux que la malveillance s'est plu à dénaturer seront mis en lumière par des documents authentiques, mais le temps de ces explications n'est pas encore venu ; la seule chose qui m'importait pour le moment, c'était que vous fussiez édifiés sur la destination des fonds que la Providence fait passer par mes mains, quelle qu'en soit l'origine. Je ne me considère que comme dépositaire même de ceux que je gagne, à plus forte raison de ceux qui me sont confiés et dont je rendrai un compte rigoureux. Je me résume en disant : pour moi, je n'en ai pas besoin ; c'est dire que je n'en fais pas mon profit.

Il me reste à vous parler, messieurs, de la caisse de bienfaisance. Vous savez qu'elle s'est formée sans dessein prémédité par quelques sommes versées entre mes mains pour des œuvres de charité, mais sans affectation spéciale, auxquelles j'ajoute celles qui de temps à autre se trouvent n'avoir pas d'emploi déterminé. Le premier don fait dans ce but est celui d'une somme de 200 fr., remise le 20 août 1863. L'année suivante, le 17 août 1864, la même personne me remit une pareille somme de 200 fr. Le 1er septembre, pendant mon voyage, une autre me remit 100 fr. Lors des souscriptions qui ont été publiées dans la Revue, plusieurs personnes ont joint à leur envoi des sommes de moindre importance, avec emploi facultatif. Tout récemment, le 28 avril dernier, quelqu'un m'a remis 500 fr. Le total des recettes s'est élevé jusqu'à ce jour à 1317 fr. Le total des dépenses en secours divers, dons ou prêts non encore remboursés, se monte à 1060 fr. Il me reste actuellement en caisse 257 fr.

Quelqu'un me demandait un jour, sans curiosité bien entendu, et par pur intérêt pour la chose, ce que je ferais d'un million si je l'avais. Je lui ai répondu qu'aujourd'hui l'emploi en serait tout différent de ce qu'il eût été dans le principe. Jadis j'eusse fait de la propagande par une large publicité ; maintenant je reconnais que cela eût été inutile, puisque nos adversaires s'en sont chargés à leurs frais. En ne mettant pas alors de grandes ressources à ma disposition, les Esprits ont voulu prouver que le Spiritisme ne devait son succès qu'à lui-même, à sa propre force, et non à l'emploi de moyens vulgaires.

Aujourd'hui que l'horizon s'est élargi, que l'avenir surtout s'est déroulé, des besoins d'un tout autre ordre se font sentir. Un capital, comme celui que vous supposez, recevrait un emploi plus utile. Sans entrer dans des détails qui seraient prématurés, je dirai simplement qu'une partie servirait à convertir ma propriété en une maison spéciale de retraite spirite, dont les habitants recueilleraient les bienfaits de notre doctrine morale ; l'autre à constituer un revenu inaliénable destiné 1° à l'entretien de l'établissement ; 2° à assurer une existence indépendante à celui qui me succédera et à ceux qui l'aideront dans sa mission ; 3° à subvenir aux besoins courants du Spiritisme sans courir la chance de produits éventuels comme je suis obligé de le faire, puisque la majeure partie des ressources repose sur mon travail qui aura un terme.

Voilà ce que je ferais ; mais si cette satisfaction ne m'est pas donnée, il m'importe peu qu'elle soit accordée à d'autres. Du reste je sais que, d'une manière ou d'une autre, les Esprits qui dirigent le mouvement pourvoiront à toutes les nécessités en temps utile ; c'est pourquoi je ne m'en inquiète nullement, et m'occupe de ce qui est pour moi la chose essentielle : l'achèvement des travaux qui me restent à terminer. Cela fait, je partirai quand il plaira à Dieu de me rappeler.

On s'étonne que certains personnages haut placés, et notoirement sympathiques à l'idée spirite, n'en prennent pas ouvertement et officiellement la cause en main ; ce serait, dit-on, leur devoir, puisque le Spiritisme est une œuvre essentiellement moralisatrice et humanitaire. On oublie que ces personnes, par leur position même, ont, plus que d'autres, à lutter contre des préjugés que le temps seul peut faire disparaître, et qui tomberont devant l'ascendant de l'opinion. Disons, en outre, que le Spiritisme est encore à l'état d'ébauche, et qu'il n'a pas dit son dernier mot ; les principes généraux en sont posés, mais on ne fait qu'en entrevoir les conséquences, qui ne sont et ne peuvent pas être encore nettement définies. Jusqu'à présent, ce n'est qu'une doctrine philosophique dont il faut attendre l'application aux grandes questions d'intérêt général ; c'est alors seulement que beaucoup de personnes en comprendront la véritable portée et l'utilité, et pourront se prononcer en connaissance de cause. Jusqu'à ce que le Spiritisme ait complété son œuvre, le bien qu'il fait est limité ; il ne peut être le fait que d'une croyance individuelle, et une adhésion officielle serait prématurée et impossible. Alors aussi, beaucoup de ceux qui le considèrent, à l'heure qu'il est, comme une chose futile, changeront forcément de manière de voir et seront portés, par la force même des choses, à en faire une étude sérieuse. Laissons-le donc grandir et ne demandons pas qu'il soit homme avant d'avoir été enfant ; ne demandons pas à l'enfance ce que l'âge viril peut seul donner.

A. K.

Nota. - Cet exposé n'avait été fait que pour la Société, mais l'insertion dans la Revue en ayant été demandée à l'unanimité et avec insistance, nous avons cru devoir obtempérer à ce désir.

Le Spiritisme en haut et en bas de l'échelle

Nous n'apprenons rien de nouveau, ni à nos frères en croyance, ni à nos adversaires, en disant que le Spiritisme envahit tous les rangs de la société. Les deux lettres que nous citons ici ont principalement pour but de mettre en relief la similitude des sentiments que la doctrine suscite aux deux pôles extrêmes de l'échelle sociale, chez des individus qui n'ont aucun point de contact, que nous n'avons jamais vus, et qui néanmoins se rencontrent sur le même terrain, sans autre guide que la lecture des ouvrages. L'un est un dignitaire de l'empire russe, l'autre un simple berger de la Touraine.

Voici la première de ces lettres :

« Monsieur,

Depuis le 23 octobre dernier, il s'est formé dans notre ville un groupe spirite sous la protection de l'apôtre saint Pierre. Vous regardant, monsieur, comme notre maître en Spiritisme, je me fais un devoir, comme président de ce groupe, de vous en informer.

Le but principal que nous nous proposons est le soulagement des Esprits souffrants, tant incarnés que désincarnés. Nos réunions ont lieu deux fois par semaine. Nous tâchons d'atteindre l'unité de la pensée, et pour y parvenir, chacun des assistants, pendant toute la durée de la séance, garde le silence le plus recueilli, et lorsque la question posée aux Esprits est lue à haute voix, chacun de nous demande mentalement l'aide de son ange protecteur afin d'obtenir une réponse vraie. Ayant le plus souvent affaire, dans nos évocations, à des Esprits d'un ordre inférieur, à des Esprits obsesseurs, et connaissant, par expérience, l'efficacité de la prière en commun, nous y avons presque toujours recours pour éclairer et soulager ces malheureux. Notre groupe possède beaucoup de médiums, mais ordinairement il n'y en a que deux ou trois qui écrivent à chaque séance. Nous avons en outre un médium auditif et voyant, et un magnétiseur. On nous promet un médium dessinateur, mais, ne l'ayant jamais vu, je ne puis apprécier sa faculté. Notre groupe se compose déjà de quarante membres.

Il y a plusieurs autres réunions Spirites à Saint-Pétersbourg, mais elles n'ont pas de règlement ; notre groupe est le premier qui soit régulièrement organisé, et nous espérons qu'avec l'aide de Dieu, notre exemple sera suivi.

Je suis heureux de pouvoir vous dire que la première brochure spirite a enfin paru en Russie, imprimée à Saint-Pétersbourg avec l'autorisation de la censure ; c'est ma réponse à un article que l'archiprêtre M. Debolsky a inséré dans le journal Radougaf (l'Arc-en-ciel). Jusqu'à présent notre censure ne permettait de publier que des articles contre, mais jamais pour le Spiritisme. J'ai pensé que la meilleure réfutation était la traduction de votre brochure Le Spiritisme à sa plus simple expression, que j'ai fait insérer dans ce journal.

Me permettrez-vous, monsieur, de vous adresser les communications les plus importantes que nous pourrons obtenir, celles surtout qui pourront venir à l'appui de la vérité et de la sublimité de notre doctrine ?

Veuillez agréer, etc.

Le général A. de B… »



La tenue de ce groupe, le but tout de charité qu'on s'y propose, sont les meilleures preuves que le Spiritisme y est compris dans sa véritable essence, et envisagé sous son côté le plus sérieux et le plus éminemment pratique ; là point de curiosité, point de demandes futiles, mais l'application de la doctrine dans ce qu'elle a de plus élevé. Une personne qui a souvent assisté à cette réunion nous a dit qu'on est édifié de la gravité, du recueillement et du sentiment de véritable piété qui y président.

La lettre suivante n'a pas été écrite à nous, mais au président d'un des groupes spirites de Tours. Nous la transcrivons littéralement, sauf l'orthographe qui a été rectifiée.

« Cher monsieur Rebondin et frère en Dieu,

Pardonnez, cher monsieur, si je prends la liberté de vous écrire. Depuis longtemps déjà j'avais l'intention de le faire pour vous remercier du bon accueil que vous m'avez fait l'an passé, en me procurant le plaisir d'assister deux fois à vos séances. Vous ne vous rappelez sans doute plus de moi ; mais je vais vous dire qui je suis. Je suis venu vous voir avec mon ancien patron, M. T… ; j'étais son berger depuis onze ans ; aujourd'hui, il vient de se marier, et les parents de sa femme s'étant aperçus que je m'occupais de Spiritisme, qui, selon eux, est une étude diabolique, firent tant qu'il fallut nous quitter. J'ai bien souffert de cette séparation, cher monsieur, mais je veux suivre les maximes de notre sainte doctrine ; mon devoir est de prier pour tous les malheureux qui offensent notre divin Maître à tous.

J'ai fait tous mes efforts, depuis que je connais la doctrine, pour faire des adeptes ; si j'ai rencontré des obstacles, j'ai eu la satisfaction d'avoir amené bien des personnes à la connaissance du Spiritisme, qui explique toutes nos épreuves que nous subissons sur cette terre d'amertume et de misères. Oh ! qu'il est doux d'être Spirite et d'en pratiquer les vertus ! Pour moi, c'est mon seul bonheur. Vous, cher monsieur, le plus dévoué à la sainte cause, j'espère que vous ne me refuserez pas une place dans votre cœur. Je suis si heureux de vous connaître, vous m'avez si bien accueilli ! Voilà deux fois que je suis allé à Tours avec mes deux amis qui étudient le Spiritisme, avec l'intention d'assister à vos séances, mais j'ai appris que vos réunions n'avaient plus lieu le dimanche. Soyez assez bon de me dire si vous vous réunissez toujours ce jour-là, et de me permettre que je me réunisse à vous, avec mes amis, pour participer à notre bien spirituel ; vous nous causerez un bien grand bonheur. Je compte sur votre amitié, et je suis, en attendant le jour où je serais si heureux d'être réunis pour pratiquer l'amour et la charité.

Votre ami qui vous aime, salut fraternel.

Pierre Houdée, berger. »

On voit qu'il n'est pas besoin d'un diplôme pour comprendre la doctrine ; c'est que, malgré sa haute portée, elle est si claire et si logique, qu'elle arrive sans peine à toutes les intelligences, condition sans laquelle aucune idée ne peut se populariser. Elle touche le cœur : c'est là son plus grand secret, et il y a un cœur dans la poitrine du prolétaire comme dans celle du grand seigneur ; le grand, comme le petit, a ses douleurs, ses amertumes, ses blessures morales pour lesquelles il demande un baume et des consolations que l'un et l'autre trouvent dans la certitude de l'avenir, parce que l'un et l'autre sont égaux devant la douleur et devant la mort, qui frappent le riche comme le pauvre. Nous doutons fort qu'on parvienne à donner à la doctrine du démon et des flammes éternelles assez d'attrait pour la supplanter. Ce même berger faisait souvent, après sa journée de travail, deux lieues pour se rendre à Tours assister à une réunion spirite, et autant pour s'en retourner. Quand nous parlons de la haute portée de la doctrine et des consolations qu'elle procure, nous parlons un langage incompris de ceux qui croient que le Spiritisme est tout entier dans une table qui tourne, ou dans un phénomène plus ou moins authentique qui amasse les curieux, mais qui est parfaitement entendu de quiconque ne s'est pas arrêté à la surface et ne s'en est rapporté pas à des ouï-dire, et le nombre en est grand.

Les Esprits en Espagne

Guérison d'une obsédée à Barcelone

Sous ce premier titre nous avons publié en septembre 1864 un article où il était prouvé, par des faits authentiques, que, pour les Esprits, il n'y avait pas de Pyrénées, et qu'ils se riaient même des autodafé. La lettre de M. Delanne rapportée dans notre dernier numéro en est une nouvelle preuve. Il y est sommairement fait mention d'une cure d'obsession due au zèle et à la persévérance de quelques Spirites sincères et dévoués de Barcelone. On nous adresse le récit détaillé de cette guérison que nous nous faisons un devoir de publier, ainsi que la lettre qui l'accompagnait :

Monsieur et cher maître,

Nous avons eu l'avantage de voir parmi nous notre cher frère en croyance M. Delanne, et lui avons fait part de nos faibles travaux ainsi que de nos efforts pour procurer du soulagement à quelques pauvres patients que Dieu a bien voulu nous mettre sous la main. Parmi ceux-ci était une femme qui fut pendant quinze ans la proie d'une obsession des plus cruelles, et que Dieu nous a permis de guérir. Notre intention n'était certes pas d'en faire mention, car nous travaillons dans le silence, sans vouloir nous en attribuer aucun mérite ; mais M. Delanne nous ayant dit que le récit de cette guérison servirait sans doute d'encouragement à d'autres croyants qui, comme nous, se vouent à cette œuvre de charité, nous n'hésitons pas à vous l'adresser. Nous bénissons la main du Seigneur qui nous permet de goûter le fruit de nos travaux et nous en donne déjà la récompense ici-bas.

Pendant la semaine sainte, il a été prêché plusieurs sermons contre le Spiritisme dont un se surpassait par ses absurdités. Le prédicateur demandait aux fidèles s'ils seraient satisfaits de savoir les âmes de leurs proches renaître dans le corps d'un bœuf, d'un âne, d'un porc ou autre animal quelconque. Voilà, dit-il, le Spiritisme, mes chers frères ; il est parfait pour l'esprit léger des Français, mais non pas pour vous, Espagnols, trop sérieux pour l'admettre et y croire.

Agréez,

J. M. F.



Rose N…, mariée en 1850, fut atteinte peu de jours après son mariage d'attaques spasmodiques qui se répétaient assez souvent et avec violence jusqu'à ce qu'elle fût enceinte. Pendant sa grossesse elle n'éprouva rien, mais après sa délivrance les mêmes accidents se renouvelèrent ; les crises duraient souvent trois ou quatre heures, pendant lesquelles elle faisait toutes sortes d'extravagances, et trois ou quatre personnes suffisaient à peine pour la contenir. Parmi les médecins qui furent appelés, les uns disaient que c'était une maladie nerveuse, les autres de la folie. Le même phénomène se renouvela à chaque grossesse ; c'est-à-dire que les accidents cessaient pendant la gestation et recommençaient après l'accouchement.

Ceci durait depuis bien des années ; le pauvre ménage était las de consulter les uns et les autres et de faire des remèdes qui n'amenaient aucun résultat ; ces braves gens étaient à bout de patience et de ressources, la femme restant quelquefois des mois entiers sans pouvoir vaquer aux soins de son ménage. Elle éprouvait parfois un mieux qui faisait espérer une guérison, mais après quelques semaines de répit, le mal reprenait avec une recrudescence terrible.

Quelques personnes les ayant persuadés qu'un mal aussi rebelle devait être l'œuvre du démon, ils eurent recours aux exorcismes, et la patiente se rendit à un sanctuaire distant de vingt lieues, d'où elle revint tranquillisée en apparence ; mais au bout de quelques jours le mal revint avec une nouvelle intensité. Elle repartit pour un autre ermitage où elle resta quatre mois pendant lesquels elle fut assez tranquille pour qu'on la crût guérie ; elle revint donc dans sa famille, joyeuse de la voir enfin délivrée de sa cruelle maladie ; mais après quelques semaines leurs espérances furent de nouveau déçues ; les accès reparurent avec plus de force que jamais. Le mari et la femme étaient désespérés.

Ce fut en juillet dernier, 1864, qu'un de nos amis et frère en croyance nous donna connaissance de ce fait, nous proposant d'essayer de soulager, sinon de guérir cette pauvre persécutée, car il croyait y voir une obsession des plus cruelles. La malade était alors soumise à un traitement magnétique qui lui avait procuré un peu de soulagement, mais le magnétiseur, quoique Spirite, n'avait pas les moyens d'évoquer l'Esprit obsesseur, faute de médium, et ne pouvait, malgré son bon vouloir, produire l'effet désiré. Nous acceptâmes avec empressement cette occasion de faire une bonne œuvre ; nous réunîmes plusieurs adeptes sincères, et fîmes venir la malade.

Quelques minutes suffirent pour reconnaître la cause de la maladie de Rose ; c'était, en effet, une obsession des plus terribles. Nous eûmes beaucoup de peine à faire venir l'obsesseur à notre appel. Il fut très violent, nous répondit quelques mots décousus, et s'en fût aussitôt se jeter comme une furie sur sa victime, à laquelle il donna une crise violente qui fût cependant bientôt calmée par le magnétiseur.

A la seconde séance, qui eut lieu quelques jours après, nous pûmes retenir plus longtemps l'Esprit obsesseur, qui se montra cependant toujours rebelle et très cruel pour sa victime. La troisième évocation fut plus heureuse ; l'obsesseur conversa familièrement avec nous ; nous lui fîmes comprendre tout le mal qu'il faisait en persécutant cette malheureuse femme, mais il ne voulait point avouer ses torts et disait qu'il faisait payer une vieille dette. A la quatrième évocation, il pria avec nous et se plaignit d'être amené près de nous contre son gré ; il voulait bien venir, mais de sa propre volonté. C'est ce qu'il fit à la séance suivante ; peu à peu, à chaque nouvelle évocation, nous prenions plus d'ascendant sur lui, et nous avons fini par le faire renoncer au mal qui, depuis la quatrième séance, avait toujours été en diminuant, et nous eûmes la satisfaction de voir les crises cesser à la neuvième. Chaque fois une magnétisation de 12 à 15 minutes calmait totalement Rose et la laissait dans un état parfait de tranquillité.

Depuis le mois d'août, voilà de cela neuf mois, la malade n'a pas eu de crises, et ses occupations n'ont pas été interrompues. De loin en loin seulement, elle a éprouvé de légères secousses à la suite de quelques contrariétés qu'elle ne pouvait maîtriser ; mais ce n'étaient que comme des éclairs sans orage, et pour lui démontrer pratiquement qu'elle ne devait pas oublier les bonnes habitudes qu'elle avait contractées envers Dieu et ses semblables. Il faut dire aussi qu'elle a puissamment contribué à sa guérison, par sa foi, sa ferveur, sa confiance dans le Créateur, et en réprimant son caractère naturellement emporté. Tout ceci a contribué à ce que l'obsesseur prît de la force sur lui-même, car il n'en avait pas assez pour s'engager résolument dans la bonne route ; il craignait les épreuves qu'il aurait à subir pour mériter son pardon. Mais, grâce à Dieu, et avec l'aide puissante de nos bons guides, il est aujourd'hui en bonne voie et fait tout ce qu'il peut pour être pardonné. C'est lui qui, aujourd'hui, donne de forts bons conseils à celle qu'il a si longtemps persécutée, et qui est maintenant robuste et gaie comme si elle n'avait jamais rien eu. Cependant, tous les huit jours, elle vient se soumettre à une magnétisation, et de temps en temps nous évoquons son ancien persécuteur pour le fortifier dans ses bonnes résolutions. Voici sa dernière communication ; elle est du 19 avril 1865 :

Me voici. Je viens vous remercier de votre bonne persévérance à mon égard ; sans vous, sans ces bons et bienveillants Esprits qui sont présents, je n'aurais jamais connu le bonheur que je ressens maintenant ; je croupirais encore dans mal, dans la misère. Oh ! oui, misère, car on ne peut être plus malheureux que je n'étais ; toujours faire le mal, et toujours désirer le faire ! Combien de fois, hélas ! vous ai-je dit que je ne souffrais pas ! C'est maintenant que je vois combien je souffrais. Dans ce même instant je les ressens encore ces souffrances, mais non comme alors ; aujourd'hui c'est du repentir et non le besoin incessant de faire le mal. Oh non ! que le Dieu de bonté m'en préserve, et que je sois fortifié pour ne plus retomber jamais dans la peine. Oh ! plus de ces tortures, plus de ces maux cuisants qui ne laissent à l'âme aucun moment de repos. C'est bien là l'enfer ; il est avec celui qui fait le mal comme je le faisais.

J'ai fait le mal par ressentiment, par vengeance, par ambition ! Que m'en est-il revenu ? Haï, repoussé des bons Esprits, ne pouvant les comprendre lorsqu'ils s'approchaient de moi et que j'entendais leurs voix, car il ne m'était pas permis de les voir ; non ! aujourd'hui Dieu me l'a permis ; c'est pour cela que je ressens un bien-être que je n'ai jamais éprouvé ; car, quoique je souffre beaucoup, j'entrevois l'avenir, et j'endure mes souffrances avec patience et résignation, demandant pardon à Dieu, et assistance aux bons Esprits pour celle que j'ai si longtemps persécutée. Qu'elle me pardonne ; un jour viendra, bientôt peut-être, où je pourrai lui être utile.

Je termine en vous remerciant, et vous priant de vouloir bien me continuer vos prières et la bonne amitié que vous m'avez témoignée, et de me pardonner la peine que je vous ai occasionnée. Oh ! merci, merci ! Vous ne pouvez savoir combien mon Esprit est reconnaissant du bien que vous m'avez fait. Priez Dieu pour qu'il me pardonne, et les bons Esprits pour qu'ils soient avec moi afin de m'aider et de me fortifier. Adieu.

Pedro.



Après cette communication, nous reçûmes de nos guides spirituels celle qui suit :

La guérison touche à sa fin ; remerciez Dieu qui a bien voulu exaucer vos prières et se servir de vous pour qu'un ennemi acharné soit devenu aujourd'hui un ami ; car soyez sûrs que cet Esprit fera un jour tout ce qu'il pourra pour cette pauvre famille qu'il a si longtemps tourmentée. Mais vous, chers enfants, n'abandonnez ni le persécuteur ni la persécutée ; tous les deux ont encore besoin de votre assistance : l'un pour le soutenir dans la bonne route qu'il a prise ; en l'évoquant quelquefois, vous augmenterez son courage ; l'autre, pour dissiper totalement le fluide malsain qui l'a si longtemps enveloppée ; faites-lui de temps en temps une abondante magnétisation, sans cela elle se trouverait encore exposée à l'influence d'autres Esprits malveillants, car vous savez qu'il n'en manque pas, et vous en auriez du regret. Courage donc ; achevez, complétez votre œuvre, et préparez-vous à celles qui vous sont encore réservées. Soyez fermes ; votre tâche est épineuse, il est vrai, mais aussi, si vous ne fléchissez pas, combien grande en sera pour vous la récompense !

Vos Guides.

Il ne suffit pas de rapporter des faits plus ou moins intéressants ; l'essentiel est d'en tirer une instruction, sans cela ils sont sans profit. C'est par les faits que le Spiritisme s'est constitué en science et en doctrine ; mais si l'on se fût borné à les constater et à les enregistrer, nous n'en serions pas plus avancés que le premier jour. En Spiritisme, comme en toute science, il y a toujours à apprendre ; or, c'est par l'étude, l'observation et la déduction des faits qu'on apprend. C'est pour cela que nous faisons, lorsqu'il y a lieu, suivre ceux que nous citons des réflexions qu'ils nous suggèrent, soit qu'ils viennent confirmer un principe connu, soit qu'ils servent d'élément à un principe nouveau. C'est, selon nous, le moyen de captiver l'attention des gens sérieux.

Une première remarque à faire sur la lettre rapportée ci-dessus, c'est qu'à l'exemple de ceux qui comprennent la doctrine dans sa pureté, ces adeptes font abnégation de tout amour-propre ; ils ne font point d'étalage et ne cherchent point l'éclat ; ils font le bien sans ostentation, et sans se vanter des guérisons qu'ils obtiennent, parce qu'ils savent qu'ils ne les doivent ni à leur talent, ni à leur mérite personnel, et que Dieu peut leur retirer cette faveur quand il lui plaira ; ce n'est ni une réputation ni une clientèle qu'ils cherchent ; ils trouvent leur récompense dans la satisfaction d'avoir soulagé un affligé, et non dans le vain suffrage des hommes. C'est le moyen de se concilier l'appui des bons Esprits qui abandonnent l'orgueil aux Esprits orgueilleux.

Les faits de guérisons comme celui-ci, comme ceux de Marmande et d'autres non moins méritants, sont sans doute un encouragement ; ce sont aussi d'excellentes leçons pratiques qui montrent à quels résultats on peut arriver par la foi, la persévérance, et une sage et intelligente direction ; mais ce qui n'est pas un moins bon enseignement, c'est l'exemple de la modestie, de l'humilité et du complet désintéressement moral et matériel. C'est dans les centres animés de tels sentiments qu'on obtient ces merveilleux résultats, parce que là on est vraiment fort contre les mauvais Esprits. Il n'est pas moins à remarquer que dès que l'orgueil y pénètre, dès que le bien n'y est plus fait exclusivement pour le bien, et qu'on y cherche la satisfaction de l'amour-propre, la puissance décline.

Notons également que c'est dans les centres vraiment sérieux qu'on fait le plus d'adeptes sincères, parce que les assistants sont touchés de la bonne impression qu'ils reçoivent, tandis que dans les centres légers et frivoles, on n'est attiré que par la curiosité, qui n'est même pas toujours satisfaite. C'est comprendre le véritable but de la doctrine que de l'employer à faire le bien aux désincarnés, comme aux incarnés ; c'est peu récréatif pour certaines gens, il faut en convenir, mais c'est plus méritoire pour ceux qui s'y dévouent. Aussi sommes-nous heureux de voir se multiplier les centres qui se livrent à ces utiles travaux ; on s'y instruit tout en rendant service, et les sujets d'études n'y manquent pas. Ce sont les plus solides soutiens de la doctrine.

N'est-ce pas un fait bien caractéristique de voir, aux deux extrémités de l'Europe, au nord de la Russie et au midi de l'Espagne, des réunions spirites animées par la même pensée de faire le bien, qui agissent sous l'impulsion des mêmes sentiments de charité envers leurs frères ? N'est-ce pas l'indice de l'irrésistible puissance morale de la doctrine qui vainc tous les obstacles et ne connaît point de barrières ?

Il faut en vérité être bien dépourvu de bonnes raisons pour la combattre, quand on en est réduit aux tristes expédients employés par le prédicateur de Barcelone cité plus haut ; ce serait perdre son temps de les réfuter ; il n'y a qu'à plaindre ceux qui se laissent aller à de pareilles aberrations qui prouvent ou l'ignorance la plus aveugle, ou la plus insigne mauvaise foi. Mais il n'en ressort pas moins une importante instruction. Supposons que la femme Rose ait ajouté foi aux assertions du prédicateur et qu'elle eût repoussé le Spiritisme, qu'en serait-il advenu ? Elle n'aurait pas été guérie ; elle serait tombée dans la misère faute de pouvoir travailler ; elle et son mari eussent peut-être maudit Dieu, tandis qu'ils le bénissent maintenant, et l'Esprit mauvais ne se serait pas converti au bien ; au point de vue théologique, ce sont trois âmes sauvées par le Spiritisme, et que le prédicateur eût laissée se perdre.

A voir les premiers symptômes du mal, on comprend que la science ait pu se méprendre, car ils avaient tous les caractères d'un cas pathologique. Il n'en était rien cependant ; le Spiritisme seul pouvait en découvrir la véritable cause, et la preuve en est que la science, avec ses remèdes, a été impuissante pendant de longues années, tandis qu'en quelques jours il en a triomphé sans médicaments, par la seule moralisation de l'être pervers qui en était l'auteur. Le fait est là, et des milliers de faits semblables. Qu'en disent les incrédules ? C'est le hasard, la force de la nature ; la malade devait guérir. Et certains prêtres ? nous disons certains prêtres avec intention, parce que tous ne pensent pas de même : Cette femme a été guérie par le démon, et mieux eût valu pour le salut de son âme qu'elle restât malade. La femme Rose n'est pas de cet avis ; comme elle en remercie Dieu et non pas le démon, qu'elle prie et fait de bonnes œuvres, elle ne croit nullement son salut compromis ; en second lieu, elle aime mieux être guérie et travailler pour nourrir ses enfants que de les voir mourir de faim. Selon nous, Dieu est la source de tout bien.

Mais si le diable est le véritable acteur dans tous les cas d'obsessions, d'où vient l'impuissance des exorcismes ? C'est un fait positif que, non seulement, en pareil cas, l'exorcisme a toujours échoué, mais que les cérémonies de ce genre ont toujours été suivies de recrudescence dans le mal ; Morzines en a offert de mémorables exemples. Le diable est donc plus puissant que Dieu, puisqu'il résiste à ses ministres, à ceux qui lui opposent des choses saintes ? Et cependant, les Spirites, qui invoquent-ils ? de qui sollicitent-ils l'appui ? De Dieu. Pourquoi avec la même assistance réussissent-ils, alors que les autres échouent ? En voici la raison :

D'abord, le retour de l'obsesseur au bien, et par suite la guérison du malade, ce qui est un fait matériel, prouvent que ce n'est pas le démon, mais un mauvais Esprit susceptible de s'améliorer. En second lieu, dans l'exorcisme, on ne lui oppose que des paroles et des signes matériels en la vertu desquelles on a foi, mais dont l'Esprit ne tient aucun compte ; on l'irrite, on le menace, on le maudit, en le vouant aux flammes éternelles ; on veut le dompter par la force, et, comme il est insaisissable, il s'en rit et vous échappe, et veut vous prouver qu'il est plus fort que vous. Par le Spiritisme, on lui parle avec douceur, on cherche à faire vibrer en lui la corde du sentiment ; on lui montre la miséricorde de Dieu ; on lui fait entrevoir l'espérance, et on le ramène tout doucement au bien ; voilà tout le secret.

Le fait ci-dessus présente un cas particulier, c'est celui de la suspension des crises pendant la grossesse. D'où cela vient-il ? Que la science l'explique, si elle le peut ; voici la raison qu'en donne le spiritisme. La maladie n'était ni une folie, ni une affection nerveuse ; la guérison en est la preuve : c'était bien une obsession. L'Esprit obsesseur exerçait une vengeance ; Dieu le permit pour servir d'épreuve et d'expiation à la mère et, en outre, parce que, plus tard, la guérison de celle-ci devait amener l'amélioration de l'Esprit. Mais les crises, pendant la grossesse, pouvaient nuire à l'enfant ; Dieu voulait bien que la mère fût punie du mal qu'elle avait pu faire, mais il ne voulait pas que l'être innocent qu'elle portait en souffrît ; c'est pour cela que toute liberté d'action fut ôtée, pendant ce temps, à ses persécuteurs.

Que le Spiritisme explique de choses pour celui qui veut étudier et observer ! Quels horizons il ouvrira à la science, quand celle-ci tiendra compte de l'élément spirituel ! Que ceux qui ne le voient que dans des manifestations curieuses sont loin de le comprendre !

Les deux espions

Un de nos correspondants de Saint-Pétersbourg nous adresse la traduction d'un article publié contre le Spiritisme, dans un journal religieux de cette ville : Doukhownaïa Beceda (Entretiens religieux). C'est un récit fourni par deux jeunes gens de Moscou, MM***, qui se présentèrent chez nous en novembre dernier, sous les apparences d'hommes de la meilleure compagnie, se disant très sympathiques au Spiritisme, et qui furent reçus avec les égards que commandait leur qualité d'étrangers. Rien absolument, dans leurs paroles ni dans leurs manières, ne trahissait l'intention qui les amenait ; il fallait qu'il en fût ainsi pour jouer leur rôle et accomplir la mission dont ils s'étaient chargés. Certes nos adversaires de France nous ont habitués à des comptes rendus qui ne brillent pas par l'exactitude, en matière de Spiritisme ; mais nous leur devons cette justice qu'aucun, à notre connaissance du moins, n'a poussé la calomnie aussi loin. Cela eût été difficile dans un journal français, parce que la loi protège contre de tels abus, mais aussi parce que trop de témoins oculaires viendraient constater la vérité ; mais à six cents lieues, dans un pays étranger et dans une langue inconnue ici, cela était plus facile. Nous devons aux nombreux adeptes de la Russie une réfutation de cet ignoble pamphlet, dont les auteurs sont d'autant plus répréhensibles qu'ils ont abusé de la confiance qu'ils avaient cherché à inspirer. En s'introduisant sous de fausses apparences, comme émissaires d'un parti, dans une maison particulière et dans une réunion toute privée, qui n'est jamais ouverte au public, et où l'on n'est admis que sur recommandation, pour livrer à la publicité un compte rendu défiguré et outrageant, on se place au-dessous des espions, car les espions, au moins, rendent un compte exact de ce qu'ils ont vu. Il est regrettable que ce soit encore au nom de la religion qu'on fasse de pareilles choses et qu'on les croie nécessaires à son soutien. Ce n'est pas par de tels moyens qu'on ruinera jamais le Spiritisme ; on le grandit par la haine qu'on lui porte. Ainsi en a-t-il été du christianisme à son début ; en le persécutant, ses adversaires ont travaillé à sa consolidation. Mais à cette époque on n'avait pas la publicité, et la calomnie pouvait couver longtemps ; aujourd'hui la vérité se fait jour promptement, et quand on dit méchamment qu'une chose est noire, chacun peut trouver à côté de soi la preuve qu'elle est blanche, et l'odieux de la calomnie retombe sur ses auteurs.

Les réflexions du journal sont celles de tous les détracteurs qui appartiennent à la même opinion ; elles ont été réfutées tant de fois qu'il serait inutile d'y revenir. Nous citerons toutefois le passage suivant :

« Les Spirites sont-ils en effet en communication directe avec le monde des Esprits, à tel point que les personnages les plus hauts et les plus sacrés arrivent à leur appel ad libitum au gré des médiums, comme au son d'une clochette ? N'y a-t-il pas ici du charlatanisme et une fourberie grossière, non de la part des Esprits qu'Allan Kardec enseigne si bien à distinguer, mais de la part du chef même de cette nouvelle secte, si séduisante pour l'imagination de ses adeptes inexpérimentés ? Deux lettres ci-jointes, de Paris, provenant de personnes dignes de foi, mais qui n'ont pas voulu se nommer, peuvent donner une réponse suffisante à cette question délicate. »

Le Spiritisme n'a jamais dit que les Esprits, quels qu'ils soient, vinssent au gré d'un médium quelconque ; il dit au contraire qu'ils ne sont aux ordres de personne ; qu'ils viennent quand ils le veulent et quand ils le peuvent ; il fait plus, puisqu'il démontre les causes matérielles qui s'opposent à ce qu'un Esprit se manifeste par le premier venu.

Si la communication des Esprits n'est qu'une idée sans fondement et un jeu joué, une seule personne devrait en avoir le monopole ; comment se fait-il que la réalité en soit constatée depuis des années par des millions d'individus, de tous rangs et de tout âge, dans tous les pays ? Tout le monde joue donc la comédie, depuis les princes jusqu'aux roturiers, et cela au profit de qui ? Ce qui est plus bizarre encore, c'est que cette comédie ramène à Dieu les incrédules, et fait prier ceux qui se riaient de la prière. On n'a jamais vu les tours d'escamotage produire des résultats aussi sérieux.

Quant aux lettres des deux émissaires, il serait superflu de relever les sottes et grossières injures qu'elles renferment ; il nous suffira de citer quelques erreurs matérielles pour montrer la foi que mérite leur compte rendu sur le reste.

A l'heure convenue, nous allâmes nous recommander à Allan Kardec. Il demeure dans un des passages remplis constamment par la foule. Une inscription en grandes lettres annonce que c'est là que s'accomplissent les mystères du Spiritisme.

Au bas de l'escalier est un petit écusson portant ces mots : Revue Spirite, au deuxième, parce que là est le bureau du journal, et que tout journal étant sujet au public doit indiquer son domicile. Au-dessous est écrit : Salle de cours, parce que la salle des séances était primitivement destinée à des cours divers qui n'ont jamais eu lieu depuis que nous habitons ce local. Il n'y a rien là qui annonce l'accomplissement de mystères quelconques. C'est là une première invention de ces messieurs si dignes de foi.

Il était cinq heures du soir ; il faisait sombre et le Spirite n'avait pas de feu. Par des allées tortueuses nous fûmes introduits dans son cabinet.

Les visiteurs ne sont jamais introduits dans notre cabinet, mais dans un salon de réception, qui n'est pas celui d'un palais sans doute, mais où ceux qui ne le trouvent pas digne d'eux sont parfaitement libres de ne pas revenir.

Après nous avoir invités à nous asseoir, il se mit à continuer la conversation avec un jeune homme inconnu de nous. Les paroles de ce dernier nous firent comprendre qu'il était un médium récent, qu'il se trouvait obsédé par la force impure qui lui donne des réponses sous le masque de purs Esprits ; que d'abord les réponses sont voilées par une innocence parfaite, mais qu'ensuite le diable se trahit peu à peu. La voix, l'air ébouriffé du jeune homme, tout dénotait une violente agitation. Le Spirite répondit qu'une pureté morale de la vie, la modération, étaient nécessaires pour communiquer avec les Esprits, et ainsi de suite ; qu'au commencement le médium est ordinairement poursuivi par les mauvais Esprits, mais qu'après il en arrive de bons. Le ton de ce discours était celui d'un maître ou d'un précepteur. Il n'y a pas de doute que tout cela n'était qu'une comédie jouée en notre présence.

Ce jeune homme, nous nous le rappelons, était un simple ouvrier qui venait nous demander des conseils, comme cela arrive souvent. Nous avons continué notre conversation avec lui, parce qu'à nos yeux un ouvrier honnête homme a droit à d'autant plus d'égards que sa position est plus humble. Il est possible que ce ne soient pas les idées de ces messieurs, mais ils y viendront quand, dans une autre existence, ils se trouveront dans la condition de ceux qu'ils traitent aujourd'hui avec hauteur. Quant à la comédie qui, il n'y a pas de doute, était jouée pour eux, il est assez singulier qu'elle fût préparée pour eux alors que nous ne les attendions pas. A leur arrivée, le jeune homme était seul ; puisque nous avons continué la conversation, c'est qu'elle était commencée ; alors nous jouions la comédie à nous deux. Dans tous les cas, elle n'avait rien de bien intéressant, et quand on fait tant, on fait quelque chose de mieux.

Grâce à une obscurité intéressante, le maître n'était pas visible. Il s'adressa à nous par une question qui sondait notre croyance en Spiritisme, son développement à Moscou et ainsi de suite. Il procédait avec beaucoup de réserve jusqu'à ce qu'il eût appris notre désir. On apporta une lampe ; nous vîmes alors devant nous un monsieur assez corpulent, âgé, à la physionomie assez débonnaire, aux yeux singuliers ; ils perçaient pour ainsi dire l'individu : c'est le premier regard, et en second lieu ils étaient empreints d'une certaine rêverie. Je regardai longtemps ses yeux remarquables au plus haut degré sur sa physionomie ordinaire.

Je ne sais pourquoi j'attirai son attention, de sorte qu'il me demanda plusieurs fois si je n'étais pas médium. Notre conversation lui prouvant notre connaissance en matière de Spiritisme, il commença à devenir plus communicatif.

On voit quel était leur savoir en Spiritisme et surtout leur sincérité. Si, par un langage astucieux, ils ont cru nous donner le change, ce sont eux qui jouaient la comédie.

Il se mit à parler en termes obscurs de l'âme et des Esprits ; sa voix fut d'abord calme, mais il termina son discours avec une emphase singulière. Lui ayant demandé comment il distingue les bons Esprits des mauvais, il répondit que l'on mettait préalablement chaque Esprit à l'épreuve ; si l'Esprit ne contredisait pas les opinions morales et religieuses des Spirites, on l'annotait comme pur Esprit. A ma question : pourquoi il ne s'occupait que de la solution des questions morales et ne touchait ni les questions scientifiques, ni les questions politiques (cette demande lui déplut visiblement), il répondit quelque chose dans ce genre : que les Esprits ne s'en mêlent pas.

La politique est généralement le terrain dangereux sur lequel les faux frères cherchent à amener les Spirites. La morale, selon eux, est chose trop banale et trop vulgaire ; on en est rebattu ; il faut du positif. Un individu décoré qui s'était, sous une apparence trompeuse, introduit dans un groupe d'ouvriers, à Lyon, où se trouvaient aussi quelques militaires, posa cette question : « Qu'est-ce que les Esprits pensent de Henri V ? » La réponse des Esprits et des assistants ne lui donna pas envie de recommencer ni de revenir.

Après une certaine hésitation, il nous permit, vendredi soir, d'assister à la réunion des Spirites. On se proposait de questionner un colonel de la garde décédé depuis peu, ci-devant médium. Nous lui dîmes adieu. La soirée de vendredi m'intéresse et je vous rendrai compte de tout ce que j'entendrai et verrai. On dit pourtant qu'il prend cent francs par chaque séance. Si c'est vrai, il me sera, bien entendu, impossible d'entendre et de voir. Je sacrifierai dix francs, mais pas plus. Paris 2/14 novembre 1864.

Indépendamment de nos principes bien connus, et nettement formulés dans nos ouvrages en fait d'exploitation du Spiritisme sous une forme quelconque, plus de six mille auditeurs qui ont été admis aux séances de la Société Spirite de Paris depuis sa fondation, le 1er avril 1858, peuvent dire si jamais un seul a payé la moindre des choses comme rétribution obligatoire ou facultative ; si même il a été imposé à qui que ce soit, comme condition d'admission, l'achat d'un seul livre ou l'abonnement à la Revue. Quand on exploite le public, on n'est pas difficile sur le choix ; on vise au nombre. On ne concevrait donc pas l'hésitation à admettre ces messieurs ; au lieu de leur permettre de venir, on les y eût sollicités. Par ces seuls mots ils se trahissent ; mais on ne pense pas à tout.

Dès l'instant qu'ils avaient, soi-disant, ouï-dire qu'on payait cent francs par personne, et qu'ils ne consentaient à en donner que dix, comment se fait-il qu'ils ne s'en soient pas assurés séance tenante ? Il était tout naturel, nécessaire même de nous le demander pour n'être pas pris au dépourvu en arrivant. Il y a ici une insinuation perfide, mais maladroite. Dans le compte rendu qu'ils font ensuite de la séance à laquelle ils ont assisté, ils ne parlent pas de paiement ; or, ayant
dit qu'ils sacrifieraient dix francs, ils donnent à entendre qu'il ne leur en a pas coûté davantage. Ils ont reculé devant une affirmation ; mais ils se sont dit : « Lançons l'idée, il en restera toujours quelque chose ; » mais quand il n'y a rien, il ne peut rien rester. Si, il en reste quelque chose : la honte pour le menteur.

Au reste, ce n'est pas la première fois que la malveillance et la jalousie ont employé ce moyen pour chercher à discréditer la Société dans l'opinion. Dernièrement, à Nantes, un individu affirmait que les entrées y étaient à cinq francs par place. Il serait singulier que depuis huit ans qu'elle existe on ne sût pas encore si elle fait payer 100 francs ou 5 francs. Il faut en vérité être bien aveuglé par l'envie de nuire pour croire abuser le public sur un fait aussi matériel qui reçoit chaque jour un démenti, soit par les personnes qui y assistent, soit par les principes qu'elle professe et qui sont formulés sans équivoque dans nos écrits.

De cette calomnie, il ressort toutefois une instruction. Du moment que nos adversaires croient discréditer la Société en disant qu'elle met les visiteurs à contribution, c'est qu'ils regarderaient comme plus honorable de ne rien faire payer ; or, puisqu'elle n'exige rien ; qu'au lieu de viser au nombre des auditeurs, elle le restreint autant que possible, c'est qu'elle ne spécule pas sur eux ; elle coupe ainsi court à toute suspicion de charlatanisme.

La circonstance du colonel qui devait être évoqué nous a mis sur la voie de la séance à laquelle ces messieurs ont assisté ; leur véritable nom ne se trouvant pas sur la liste de ce jour, nous avons par cela même eu la preuve qu'ils se sont présentés sous un faux nom. Cela était d'autant plus facile à vérifier, que ce jour-là était une séance particulière réservée aux membres de la société, et à laquelle n'avaient été admis, par exception, que quatre ou cinq étrangers de passage à Paris. En nous envoyant leur nom véritable, notre correspondant nous apprend que ce sont les fils d'un haut fonctionnaire ecclésiastique russe.

Vendredi passé, à huit heures du soir, nous nous rendîmes à la séance de la Société spirite. Nous arrivâmes de bonne heure ; les membres n'étaient pas encore nombreux, de sorte que nous pûmes examiner assez minutieusement l'entourage. Une chambre assez grande contenait plusieurs rangées de chaises. Du côté d'un des murs se trouvait une table couverte d'un drap vert, autour de laquelle des chaises étaient placées pour les principaux membres de la Société. Sur la table se trouvait déposée une masse de papier blanc et un tas de crayons taillés ; rien de plus. Au-dessus de la table pendait l'image du Sauveur bénissant.

Une investigation si minutieuse et poussée jusqu'à l'examen des papiers, est passablement indiscrète de la part de gens qui se disent gentilshommes et admis par faveur dans une maison particulière, et à une réunion qui n'a rien de public.

Il n'y absolument rien de suspendu au-dessus de la table. Contre le mur est une petite statuette de saint Louis en costume de roi, président spirituel de la Société, et que ces messieurs ont, paraît-il, pris pour le Christ.

Les murs étaient occupés par des tableaux singuliers. Je les examinai en détail ; le plus grand, peint à l'huile, représente un cercueil avec des chaînes tombées autour de lui ; un site singulier avec des plantes fantastiques entourait le cercueil. Une inscription explique que ce tableau est peint par Allan Kardec.

Ce tableau allégorique est celui dont nous avons parlé dans la Revue de novembre 1862, page 347. Il n'y a ni chaînes ni plantes d'aucune sorte. Au bas est une légende qui en donne l'explication, avec cette inscription apposée sur le tableau même, et en évidence : « Peinture médianimique. Tableau allégorique de l'avènement et du triomphe du Spiritisme ; peint par M. V…, jeune élève en pharmacie, sans aucune connaissance de la peinture ni du dessin. Lyon. » Nous ne savons comment ces messieurs ont pu voir dans ces mots que ce tableau a été peint par Allan Kardec. Ceci donne la mesure de l'exactitude de leur compte rendu, et de la confiance que mérite le reste.

Plus loin, toute une série de tableaux ou dessins, je ne sais trop comment les nommer, faits par diverses personnes sous l'influence des Esprits. Je ne puis vous dire l'impression que produisirent sur moi tous ces tableaux. Je m'examinai, je m'examinai sévèrement, et trouvai que la disposition de mon esprit était en ce moment parfaitement tranquille, pleine de sang-froid, de sorte que l'impression que j'éprouvai à la vue de ces tableaux était indépendante de mon imagination. Les tableaux ou dessins représentent une réunion insolite de lignes, points, cercles, une réunion originale qui n'a aucune ressemblance avec quoi que ce soit. Ils ont tous un certain genre particulier, leur appartenant en commun, mais tout à fait indéfinissable. On dirait qu'il n'y a rien de particulier dans ces points et lignes, et cependant l'impression qu'ils laissent est une des plus désagréables, pareille à un cauchemar fatigant. En un mot, ces dessins ne ressemblent à rien de ce que vous avez jamais pu voir, et pour moi ils sont dégoûtants.

Dans cette collection de dessins médianimiques se trouvent : la maison de Mozart publiée dans la Revue d'août 1858 et que tout le monde connaît ; une tête de Christ faite à Mexico, d'un type admiré de tous les connaisseurs ; un autre Christ couronné d'épines, modelé en terre à la Société Spirite de Madrid, et d'une exécution remarquable ; deux superbes têtes de femme au profil grec, dessinées à la Société Spirite de Constantinople ; un paysage dessiné à la plume par M. Jaubert, vice-président du tribunal de Carcassonne et que signerait un artiste consommé, etc. Voilà les lignes et les points qui ont tourbillonné aux yeux de ces messieurs d'une manière si désagréable et si dégoûtante. Nous serions vraiment tenté de croire qu'un Esprit malin les a fascinés de manière à leur faire voir tout à rebours afin de rendre leur récit plus pittoresque.

Enfin les membres de la Société se rassemblèrent environ au nombre de soixante-dix. Comme dans les sociétés véritables, il y avait là aussi des secrétaires. On lut d'abord un chapitre de l'Evangile ; ensuite le protocole de la séance précédente. J'avoue qu'il n'y avait pas moyen d'écouter sans rire les différentes informations. Par exemple, à Lyon, un Esprit disait des bêtises, c'est pourquoi on détermina de l'exclure du nombre des Esprits de bonne conduite.

Ensuite on lut la nécrologie du colonel spirite qui devait être évoqué pendant cette séance. Il a été auparavant saint-simonien. Allan Kardec dit à la société qu'il lui proposerait des questions sur le rapport du Spiritisme et du saint-simonisme. Un des assistants voulut faire quelques questions, mais le maître déclara que les autres ne doivent pas se fourrer là où on ne les demande pas.

J'attendais toujours qu'on apportât l'appareil qui devait écrire, mais je me trompais ; Allan Kardec sonna, et il nous arriva de l'antichambre un jeune homme à la physionomie de fripon, en un mot prêt, pour un quart de rouble, à apprendre par cœur fût-ce même un demi-livre de toutes sortes d'absurdités. On nous dit que c'était un médium.

Ici ce ne sont plus de simples inexactitudes, c'est le cynisme de l'injure et de l'outrage. Il suffit de citer de telles paroles pour les flétrir. En France leurs auteurs eussent été justiciables des tribunaux. En fait d'inexactitude, nous dirons seulement que, depuis que la Société existe, il n'y a jamais eu de sonnette sur le bureau, et que par conséquent nous n'avons pu sonner. Les oreilles de ces messieurs ont tinté, comme leurs yeux ont miroité en regardant les dessins et la statuette de saint Louis.

Le public, pour la plupart des vieillards, était caractéristique ; presque la moitié consistait en demi-fous. Les jeunes gens, extasiés et ébouriffés, suivaient très attentivement les mouvements du médium. Il se trouvait là des personnes si aveuglément croyantes, que c'était même un péché d'en rire ; on ne pouvait que les plaindre.

Il paraît que c'est un moins grand péché de mentir. Il est vrai que certaines gens pensent que tout mensonge fait pour un bon motif est excusable ; or, dénigrer le Spiritisme est pour quelques-uns un excellent motif.

Que répondit l'Esprit ? Il répondit par le bavardage d'Allan Kardec qu'on peut admirer dans ses ouvrages.

L'Esprit dont il s'agit est celui de M. Bruneau, membre de la Société Spirite, ancien élève de l'École polytechnique et colonel d'artillerie, mort tout récemment. On peut voir le compte rendu de son évocation dans la Revue de décembre 1864.

Allan Kardec proposa d'évoquer un enfant saint-simonien.

Il y avait ce jour-là à la table, non pas un, mais huit médiums. Comme on venait d'évoquer M.Bruneau qui avait été saint-simonien, et qu'on avait à ce sujet parlé de cette doctrine, son ancien chef, le Père Enfantin, se communiqua spontanément, et sans évocation, par l'un des médiums, et prit part à la discussion. C'est donc le Père Enfantin que le fidèle narrateur a pris pour un enfant saint-simonien.

Quant à nous, nous fûmes ennuyés autant que dégoûtés par l'aspect de tous ces gens ; nous nous levâmes et nous en allâmes. Ainsi finit notre visite spirite. Je ne pus pas pourtant me rendre bien compte si c'est friponnerie ou folie. Mais, assez ! Paris, le 9/21 novembre 1864.

Le rédacteur du journal ajoute :

La personne qui nous a procuré ces deux lettres intéressantes les termine par la remarque suivante : « Le récit consciencieux du témoin oculaire est très important, quand même il n'explique pas tout. C'est pour cette raison que nous pensons que l'extrait actuel ne sera pas dépourvu d'utilité pour les personnes trop crédules en fait de communication avec les Esprits. »

Les réflexions auxquelles les faits de la nature de celui-ci donnent lieu sont résumées dans l'article suivant.



Nouvelle tactique des adversaires du Spiritisme.

Jamais aucune doctrine philosophique des temps modernes n'a causé tant d'émoi que le Spiritisme, jamais aucune n'a été attaquée avec tant d'acharnement ; c'est la preuve évidente qu'on lui reconnaît plus de vitalité et des racines plus profondes qu'aux autres, car on ne prend pas la pioche pour arracher un brin d'herbe. Les Spirites, loin de s'en effrayer, doivent s'en réjouir, puisque cela prouve l'importance et la vérité de la doctrine. Si celle-ci n'était qu'une idée éphémère et sans consistance, une mouche qui vole, on ne tirerait pas dessus à boulet rouge ; si elle était fausse, on la battrait en brèche avec des arguments solides qui en auraient déjà triomphé ; mais puisque aucun de ceux qu'on lui a opposés n'a pu l'arrêter, c'est que personne n'a trouvé le défaut de la cuirasse ; ce n'est cependant ni le talent ni la bonne volonté qui ont manqué à ses antagonistes.

Dans ce vaste tournoi d'idées, où le passé entre en lice avec l'avenir, et qui a pour champ clos le monde entier, le grand jury est l'opinion publique ; elle écoute le pour et le contre ; elle juge la valeur des moyens d'attaque et de défense, et se prononce pour celui qui donne les meilleures raisons. Si l'un des deux champions emploie des armes déloyales, il est condamné d'avance ; or, en est-il de plus déloyales que le mensonge, la calomnie et la trahison ? Recourir à de pareils moyens, c'est s'avouer vaincu par la logique ; la cause qui en est réduite à de tels expédients est une cause perdue ; ce n'est pas un homme, ni quelques hommes qui prononcent son arrêt, c'est l'humanité que la force des choses et la conscience du bien entraînent vers ce qui est le plus juste et le plus rationnel.

Voyez, dans l'histoire du monde, si une seule idée grande et vraie n'a pas toujours triomphé quelque chose qu'on ait faite pour l'entraver. Le Spiritisme nous présente sous ce rapport un fait inouï, c'est celui d'une rapidité de propagation sans exemple. Cette rapidité est telle que ses adversaires eux-mêmes en sont abasourdis ; aussi l'attaquent-ils avec la fureur aveugle de combattants qui perdent leur sang-froid, et s'enferrent dans leurs propres armes.

La lutte cependant est loin d'être terminée : il faut, au contraire, s'attendre à lui voir prendre de plus grandes proportions et un autre caractère. Il serait par trop prodigieux et contraire à l'état actuel de l'humanité, qu'une doctrine qui porte en elle le germe de toute une rénovation s'établît paisiblement en quelques années. Encore une fois, ne nous en plaignons pas ; plus la lutte sera rude, plus le triomphe sera éclatant. Il n'est douteux pour personne que le Spiritisme a grandi par l'opposition qu'on lui a faite ; laissons donc cette opposition épuiser ses ressources : il n'en grandira que davantage quand elle aura révélé sa propre faiblesse à tous les yeux. Le champ de combat du christianisme naissant était circonscrit ; celui du Spiritisme s'étend sur toute la surface de la terre. Le christianisme n'a pu être étouffé sous des flots de sang ; il a grandi par ses martyrs, comme la liberté des peuples, parce que c'était une vérité. Le Spiritisme, qui est le christianisme approprié au développement de l'intelligence et dégagé des abus, grandira de même sous la persécution, parce que lui aussi est une vérité.

La force ouverte est reconnue impuissante contre l'idée spirite, même dans les pays où elle s'exerce en toute liberté ; l'expérience est là pour l'attester. En comprimant l'idée sur un point, on la fait jaillir de tous côtés ; une compression générale lui ferait faire explosion. Cependant nos adversaires n'y ont point renoncé ; en attendant, ils ont recours à une autre tactique : celle des sourdes manœuvres.

Maintes fois déjà ils ont tenté, et le feront encore, de compromettre la doctrine en la poussant dans une voie dangereuse ou ridicule pour la discréditer. Aujourd'hui c'est en semant par-dessous main la division, en lançant des brandons de discorde qu'ils espèrent jeter le doute et l'incertitude dans les esprits, provoquer des défaillances vraies ou simulées et mettre le désarroi parmi les adeptes. Mais ce ne sont pas des adversaires avoués qui pourraient agir ainsi ; le Spiritisme, dont les débuts ont tant de points de ressemblance avec ceux du christianisme, doit aussi avoir ses Judas, pour qu'il ait la gloire de sortir triomphant de cette nouvelle épreuve. L'argent est parfois un argument qui supplée à la logique. N'a-t-on pas vu une femme qui a avoué avoir reçu 50 fr. pour simuler la folie après avoir assisté à une seule réunion spirite ?

Ce n'est donc pas sans raison que, dans la Revue de mars 1863, nous avons publié l'article sur les faux-frères ; cet article n'a pas été du goût de tout le monde, et plus d'un nous en a voulu de voir trop clair et de vouloir ouvrir les yeux aux autres, tout en nous serrant la main en signe d'approbation, ce dont nous n'étions pas la dupe. Mais qu'importe ! Notre devoir est de prémunir les Spirites sincères contre les pièges qui leur sont tendus. Quant à ceux que des principes trop rigoureux pour eux, sur ce point comme sur plusieurs autres, nous ont aliénés, c'est que leur sympathie était à la surface et non au fond des cœurs, et nous n'avons aucune raison d'y tenir. Nous avons à nous occuper de choses plus importantes que de leur bon ou mauvais vouloir à notre égard. Le présent est fugitif ; demain il ne sera plus ; pour nous, il n'est rien ; l'avenir est tout, et c'est pour l'avenir que nous travaillons. Nous savons que les sympathies véritables nous y suivront ; celles qui sont à la merci d'un intérêt matériel déçu, ou d'un amour-propre non satisfait, ne méritent pas ce nom.

Quiconque prend son point de vue en dehors de la sphère étroite du présent n'est plus troublé par les mesquines intrigues qui s'agitent autour de lui ; c'est ce que nous nous efforçons de faire, et c'est ce que nous conseillons à ceux qui veulent avoir la paix de l'âme en ce monde. ( L'Évangile selon le Spiritisme, chap. II, n° 5.)

L'idée spirite, comme toutes les idées nouvelles, ne pouvait manquer d'être exploitée par des gens qui, n'ayant réussi à rien par inconduite ou incapacité, sont à l'affût de ce qui est nouveau, dans l'espoir d'y trouver une mine plus productive et plus facile ; si le succès ne répond pas à leur attente, ils ne s'en prennent pas à eux, mais à la chose qu'ils déclarent être mauvaise. Ces personnes n'ont de spirite que le nom. Mieux que qui que ce soit, nous avons pu voir ce manège, ayant été maintes fois le point de mire de ces exploitations auxquelles nous n'avons pas voulu prêter la main, ce qui ne nous a pas fait des amis.

Revenons à notre sujet. Le Spiritisme, nous le répétons, a encore à passer par de rudes épreuves, et c'est là que Dieu reconnaîtra ses véritables serviteurs à leur courage, à leur fermeté et à leur persévérance. Ceux qu'ébranlerait une crainte ou une déception sont comme ces soldats qui n'ont de courage qu'en temps de paix, et lâchent pied au premier coup de feu. La plus grande épreuve cependant ne sera pas la persécution, mais le conflit des idées qui sera suscité et à l'aide duquel on espère rompre la phalange des adeptes et l'imposante unité qui se fait dans la doctrine.

Ce conflit, quoique provoqué dans une mauvaise intention, qu'il vienne des hommes ou des mauvais Esprits, est cependant nécessaire et, dût-il apporter un trouble momentané dans quelques consciences faibles, il aura pour résultat définitif la consolidation de l'unité. En toutes choses, il ne faut pas juger les points isolés, mais voir l'ensemble. Il est utile que toutes les idées, même les plus contradictoires et les plus excentriques, se fassent jour ; elles provoquent l'examen et le jugement, et si elles sont fausses, le bon sens en fera justice ; elles tomberont forcément devant l'épreuve décisive du contrôle universel, comme tant d'autres sont déjà tombées. C'est ce grand critérium qui a fait l'unité actuelle ; c'est lui qui l'achèvera, car c'est le crible que doit séparer le bon et le mauvais grain, et la vérité n'en sera que plus brillante quand elle sortira du creuset dégagée de toutes ses scories. Le Spiritisme est encore en ébullition ; laissons donc l'écume monter à la surface et se déverser, il n'en sera que plus tôt épuré ; laissons aux adversaires la joie maligne et puérile de souffler le feu pour provoquer cette ébullition, car, sans le vouloir, ils hâtent son épuration et son triomphe, et se brûleront eux-mêmes au feu qu'ils allument. Dieu veut que tout soit utile à la cause, même ce qu'on fait avec l'intention de lui nuire.

N'oublions pas que le Spiritisme n'est pas achevé ; il n'a fait encore que poser des jalons ; mais pour avancer avec sûreté, il doit le faire graduellement, à mesure que le terrain est préparé pour le recevoir, et assez consolidé pour y poser le pied avec sécurité. Les impatients qui ne savent pas attendre le moment propice compromettent les récoltes comme ils compromettent le sort des batailles.

Parmi les impatients, il y en a sans doute de très bonne foi ; ils voudraient voir les choses aller encore plus vite, mais ils ressemblent à ces gens qui croient faire avancer le temps en avançant la pendule. D'autres, non moins sincères, sont poussés par l'amour-propre d'arriver les premiers ; ils sèment avant la saison et ne récoltent que des fruits avortés. A côté de ceux-là il en est malheureusement d'autres qui poussent le char à fond de train dans l'espoir de le faire verser.

On comprend que certains individus qui eussent voulu être les premiers nous reprochent d'avoir été trop vite ; que d'autres, par des raisons contraires, nous reprochent d'aller trop lentement ; mais ce qui est moins explicable, c'est de voir parfois ce double reproche fait par le même individu, ce qui n'est pas faire preuve de beaucoup de logique. Que nous soyons aiguillonnés pour aller à droite ou à gauche, nous n'en suivrons pas moins, comme nous l'avons fait jusqu'à présent, la ligne qui nous est tracée, et au bout de laquelle est le but que nous voulons atteindre. Nous irons de l'avant, ou nous attendrons, nous hâterons ou nous ralentirons le pas selon les circonstances, et non selon l'opinion de tel ou tel.

Le Spiritisme marche à travers des adversaires nombreux qui, n'ayant pu le prendre par la force, essayent de le prendre par la ruse ; ils s'insinuent partout, sous tous les masques, et jusque dans les réunions intimes, dans l'espoir d'y surprendre un fait ou une parole que souvent ils auront provoqués, et qu'ils espèrent exploiter à leur profit. Compromettre le Spiritisme et le rendre ridicule, telle est la tactique à l'aide de laquelle ils espèrent le discréditer d'abord, pour avoir plus tard un prétexte d'en faire interdire, si cela se peut, l'exercice public. C'est le piège contre lequel il faut se tenir en garde, car il est tendu de tous côtés, et auquel, sans le vouloir, donnent la main ceux qui se laissent aller aux suggestions des Esprits trompeurs et mystificateurs.

Le moyen de déjouer ces machinations est de suivre le plus exactement possible la ligne de conduite tracée par la doctrine ; sa morale, qui en est la partie essentielle, est inattaquable ; en la pratiquant on ne donne prise à aucune critique fondée, et l'agression n'en est que plus odieuse. Trouver les Spirites en faute et en contradiction avec leurs principes serait une bonne fortune pour leurs adversaires ; aussi voyez comme ils s'empressent de charger le Spiritisme de toutes les aberrations et de toutes les excentricités dont il ne saurait être responsable. La doctrine n'est ambiguë dans aucune de ses parties ; elle est claire, précise, catégorique dans ses moindres détails ; l'ignorance et la mauvaise foi peuvent seules se méprendre sur ce qu'elle approuve ou condamne. C'est donc un devoir pour tous les Spirites sincères et dévoués de répudier et de désavouer ouvertement, en son nom, les abus de tous genres qui pourraient la compromettre, afin de n'en point assumer la responsabilité ; pactiser avec les abus serait s'en rendre complice, et fournir des armes à nos adversaires.

Les périodes de transition sont toujours pénibles à passer ; le Spiritisme est dans cette période ; il la traversera avec d'autant moins de difficulté que ses adeptes useront de plus de prudence. Nous sommes en guerre ; l'ennemi est là qui épie, prêt à exploiter le moindre faux pas à son profit, et prêt à faire mettre le pied dans le bourbier s'il le peut.

Ne nous hâtons pas cependant de jeter la pierre ou le soupçon trop légèrement, et sur des apparences qui pourraient être trompeuses ; la charité, d'ailleurs, nous fait un devoir de la modération même envers ceux qui sont contre nous. La sincérité, toutefois, même dans ses erreurs, a des allures de franchise auxquelles on ne saurait se méprendre, et que la fausseté ne simulera jamais complètement, car tôt ou tard perce le bout de l'oreille ; Dieu et les bons Esprits permettent qu'elle se trahisse par ses propres actes. Si un doute traverse l'esprit, ce doit simplement être un motif de se tenir sur la réserve, ce que l'on peut faire sans manquer aux convenances.

Variétés — Lettre de Dante à M. Thiers.

Sous ce titre, on lit dans le Charivari du 20 mai 1865 :

« Florence, 20 mai 1865 :

Monsieur et cher confrère,

Je ne pouvais rester indifférent aux fêtes qu'on allait célébrer en mon honneur, et mon ombre ayant demandé et obtenu un congé de huit jours, est venue assister à l'inauguration du monument qui m'est consacré. C'est donc de Florence que je vous adresse cette lettre, sous l'émotion que m'a causée la cérémonie dont je viens d'être le témoin. Si je prends cette liberté, monsieur et cher confrère, c'est que je crois être en mesure de vous fournir des renseignements qui vous seront de quelque utilité.

Bien que décédé depuis cinq siècles, je n'en ai pas moins toujours continué à suivre avec la même attention et le même patriotisme la marche des événements qui intéressaient l'avenir de l'Italie. De combien de vicissitudes j'ai été témoin ainsi, vous le savez aussi bien que moi. De combien de douleurs mon cœur a été abreuvé, vous pouvez également vous en faire une idée. . . . . . . . . . »

(Suivent d'assez longues réflexions sur les affaires d'Italie et les opinions de M. Thiers. Nous ne les reproduisons pas, par le double motif qu'elles sont étrangères à notre sujet, et que la politique est en dehors du cadre de ce journal. La lettre se termine ainsi :)

Si donc, ainsi qu'on me l'a affirmé, vous devez prochainement entreprendre un voyage en Italie, veuillez prendre la peine de passer par Florence, et de venir causer quelques instants avec ma statue ; elle aura des choses très intéressantes à vous dire.

Dans cet espoir, monsieur et cher confrère, je vous prie d'agréer l'assurance…, etc.

Dante Alighieri. »

Pour copie conforme : Pierre Véron.

Nous doutons fort que M. Pierre Véron soit sympathique à l'idée spirite, à en juger par les articles que le Charivari a plus d'une fois publiés sur ce sujet. Il ne faut donc voir dans cette lettre qu'un simple produit de l'imagination approprié à la circonstance, à moins que l'Esprit de Dante ne soit venu la dicter à l'insu de l'auteur ; elle est assez spirituelle pour qu'il ne la désavoue pas, mais on ne peut l'apprécier que dans son ensemble, car elle perd beaucoup à être scindée.

C'était une pensée ingénieuse de faire intervenir, même fictivement, l'Esprit de Dante à cette occasion. A quelques petits détails près, un Spirite n'eût pas parlé autrement. Pour nous, il n'est pas douteux que Dante, à moins qu'il ne soit réincarné, a dû assister à cette imposante manifestation, attiré par la puissante évocation de tout un peuple confondu dans une même pensée. Si, à ce moment, le voile qui cache aux yeux des incarnés le monde spirituel avait pu se lever, quel immense cortège de grands hommes on aurait vus planer dans l'espace et se mêler à la foule pour applaudir à la régénération de l'Italie ! Quel beau sujet pour un peintre ou un poète inspirés par la foi spirite !

Allan Kardec.

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