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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1865 > Mars
Mars
Où est le Ciel ?
Le mot ciel se dit en général de l'espace indéfini qui environne la terre, et plus particulièrement de la partie qui est au-dessus de notre horizon ; il vient du latin cœlum, formé du grec coïlos, creux, concave, parce que le ciel paraît aux yeux comme une immense concavité. Les Anciens croyaient à l'existence de plusieurs cieux superposés, composés de matière solide et transparente, formant des sphères concentriques dont la terre était le centre. Ces sphères tournant autour de la terre entraînaient avec elles les astres qui se trouvaient dans leur circuit.
Cette idée, qui tenait à l'insuffisance des connaissances astronomiques, fut celle de toutes les théogonies qui firent des cieux, ainsi échelonnés, les divers degrés de la béatification ; le dernier était le séjour de la suprême félicité. Selon l'opinion la plus commune, il y en avait sept ; de là l'expression : Être au septième ciel, pour exprimer un parfait bonheur. Les Musulmans en admettent neuf, dans chacun desquels s'augmente la félicité des croyants. L'astronome Ptolémée[1] en comptait onze, dont le dernier était appelé Empyrée[2], à cause de l'éclatante lumière qui y règne. C'est encore aujourd'hui le nom poétique donné au lieu de l'éternelle béatitude. La théologie chrétienne reconnaît trois cieux ; le premier est celui de la région de l'air et des nuages ; le second est l'espace où se meuvent les astres ; le troisième au-delà de la région des astres, est la demeure du Très-Haut, le séjour des élus qui contemplent Dieu face à face. C'est en suite de cette croyance qu'on dit que saint Paul fut enlevé au troisième ciel.
Les différentes doctrines concernant le séjour des bienheureux reposent toutes sur la double erreur que la terre est le centre de l'univers, et que la région des astres est limitée. C'est par delà cette limite imaginaire que toutes ont placé ce séjour fortuné et la demeure du Tout-Puissant. Singulière anomalie qui place l'auteur de toutes choses, celui qui les gouverne toutes, aux confins de la création, au lieu du centre d'où le rayonnement de sa pensée pouvait s'étendre à tout !
La science, avec l'inexorable logique des faits et de l'observation, a porté son flambeau jusque dans les profondeurs de l'espace, et montré le néant de toutes ces théories. La terre n'est plus le pivot de l'univers, mais un des plus petits astres roulant dans l'immensité ; le soleil lui-même n'est que le centre d'un tourbillon planétaire ; les étoiles sont d'innombrables soleils autour desquels circulent des mondes innombrables, séparés par des distances à peine accessibles à la pensée, quoiqu'ils nous semblent se toucher. Dans cet ensemble, régi par des lois éternelles où se révèlent la sagesse et la toute-puissance du Créateur, la terre n'apparaît que comme un point imperceptible, et l'un des moins favorisés pour l'habitabilité. Dès lors on se demande pourquoi Dieu en aurait fait l'unique siège de la vie, et y aurait relégué ses créatures de prédilection. Tout, au contraire, annonce que la vie est partout, que l'humanité est infinie comme l'univers. La science nous révélant des mondes semblables à la terre, Dieu ne pouvait les avoir créés sans but ; il a dû les peupler d'êtres capables de les gouverner.
Les idées de l'homme sont en raison de ce qu'il sait ; comme toutes les découvertes importantes, celle de la constitution des mondes a dû leur donner un autre cours. Sous l'empire de ces nouvelles connaissances, les croyances ont dû se modifier ; le ciel a été déplacé ; la région des étoiles étant sans limites ne peut plus lui en servir. Où est-il ? Devant cette question, toutes les religions restent muettes.
Le Spiritisme vient la résoudre en démontrant la véritable destinée de l'homme. La nature de ce dernier, et les attributs de Dieu étant pris pour point de départ, on arrive à la conclusion.
L'homme est composé du corps et de l'Esprit ; l'Esprit est l'être principal, l'être de raison, l'être intelligent ; le corps est l'enveloppe matérielle que revêt temporairement l'Esprit pour l'accomplissement de sa mission sur la terre et l'exécution du travail nécessaire à son avancement. Le corps, usé, se détruit, et l'Esprit survit à sa destruction. Sans l'Esprit, le corps n'est qu'une matière inerte, comme un instrument privé du bras qui le fait agir ; sans le corps, l'Esprit est tout : la vie et l'intelligence. En quittant le corps, il rentre dans le monde spirituel d'où il était sorti pour s'incarner.
Il y a donc le monde corporel composé des Esprits incarnés, et le monde spirituel formé des Esprits désincarnés. Les êtres du monde corporel, par le fait même de leur enveloppe matérielle, sont attachés à la terre, ou à un globe quelconque ; le monde spirituel est partout, autour de nous et dans l'espace ; aucune limite ne lui est assignée. En raison de la nature fluidique de leur enveloppe, les êtres qui le composent, au lieu de se traîner péniblement sur le sol, franchissent les distances avec la rapidité de la pensée. La mort du corps est la rupture des liens qui les retenaient captifs.
Les Esprits sont créés simples et ignorants, mais avec l'aptitude à tout acquérir et à progresser, en vertu de leur libre arbitre. Par le progrès, ils acquièrent de nouvelles connaissances, de nouvelles facultés, de nouvelles perceptions, et, par suite, de nouvelles jouissances inconnues aux Esprits inférieurs ; ils voient, entendent, sentent et comprennent ce que les Esprits arriérés ne peuvent ni voir, ni entendre, ni sentir, ni comprendre. Le bonheur est en raison du progrès accompli ; de sorte que, de deux Esprits, l'un peut n'être pas aussi heureux que l'autre, uniquement parce qu'il n'est pas aussi avancé intellectuellement et moralement, sans qu'ils aient besoin d'être chacun dans un lieu distinct. Quoique étant à côté l'un de l'autre, l'un peut être dans les ténèbres, tandis que tout est resplendissant autour de l'autre, absolument comme pour un aveugle et un voyant qui se donnent la main : l'un perçoit la lumière, qui ne fait aucune impression sur son voisin. Le bonheur des Esprits étant inhérent aux qualités qu'ils possèdent, ils le puisent partout où ils se trouvent, à la surface de la terre, au milieu des incarnés ou dans l'espace.
Une comparaison vulgaire fera mieux encore comprendre cette situation. Si dans un concert se trouvent deux hommes, l'un bon musicien à l'oreille exercée, l'autre sans connaissance de la musique et au sens de l'ouïe peu délicat, le premier éprouve une sensation de bonheur, tandis que le second reste insensible, parce que l'un comprend et perçoit ce qui ne fait aucune impression sur l'autre. Ainsi en est-il de toutes les jouissances des Esprits qui sont en raison de l'aptitude à les ressentir. Le monde spirituel a partout des splendeurs, des harmonies et des sensations que les Esprits inférieurs, encore soumis à l'influence de la matière, n'entrevoient même pas, et qui ne sont accessibles qu'aux Esprits épurés.
Le progrès, chez les Esprits, est le fruit de leur propre travail ; mais, comme ils sont libres, ils travaillent à leur avancement avec plus ou moins d'activité ou de négligence, selon leur volonté ; ils hâtent ainsi ou retardent leur progrès, et par suite leur bonheur. Tandis que les uns avancent rapidement, d'autres croupissent de longs siècles dans les rangs inférieurs. Ils sont donc les propres artisans de leur situation, heureuse ou malheureuse, selon cette parole du Christ : A chacun selon ses œuvres. Tout Esprit qui reste en arrière ne peut s'en prendre qu'à lui-même, de même que celui qui avance en a tout le mérite ; le bonheur qu'il a conquis n'en a que plus de prix à ses yeux.
Le bonheur suprême n'est le partage que des Esprits parfaits, autrement dit des purs Esprits. Ils ne l'atteignent qu'après avoir progressé en intelligence et en moralité. Le progrès intellectuel et le progrès moral marchent rarement de front ; mais ce que l'Esprit ne fait pas dans un temps, il le fait dans un autre, de sorte que les deux progrès finissent par atteindre le même niveau. C'est la raison pour laquelle on voit souvent des hommes intelligents et instruits très peu avancés moralement, et réciproquement.
L'incarnation est nécessaire au double progrès moral et intellectuel de l'Esprit : au progrès intellectuel, par l'activité qu'il est obligé de déployer dans le travail ; au progrès moral, par le besoin que les hommes ont les uns des autres. La vie sociale est la pierre de touche des bonnes et des mauvaises qualités. La bonté, la méchanceté, la douceur, la violence, la bienveillance, la charité, l'égoïsme, l'avarice, l'orgueil, l'humilité, la sincérité, la franchise, la loyauté, la mauvaise foi, l'hypocrisie, en un mot tout ce qui constitue l'homme de bien ou l'homme pervers, a pour mobile, pour but et pour stimulant les rapports de l'homme avec ses semblables ; pour celui qui vivrait seul, il n'y aurait ni vices, ni vertus ; si, par l'isolement, il se préserve du mal, il annule le bien.
Une seule existence corporelle est manifestement insuffisante pour que l'Esprit puisse acquérir tout ce qui lui manque en bien, et se défaire de tout ce qui est mauvais en lui. Le sauvage, par exemple, pourrait-il jamais, dans une seule incarnation, atteindre le niveau moral et intellectuel de l'Européen le plus avancé ? Cela est matériellement impossible. Doit-il donc rester éternellement dans l'ignorance et la barbarie, privé des jouissances que peut seul procurer le développement des facultés ? Le simple bon sens repousse une telle supposition qui serait à la fois la négation de la justice et de la bonté de Dieu, et celle de la loi progressive de la nature. C'est pourquoi Dieu, qui est souverainement juste et bon, accorde à l'Esprit de l'homme autant d'existences que cela est nécessaire pour arriver au but, qui est la perfection. Dans chaque existence nouvelle, il apporte ce qu'il a acquis dans les précédentes en aptitudes, en connaissances intuitives, en intelligence et en moralité. Chaque existence est ainsi un pas en avant dans la voie du progrès, à moins que, par sa paresse, son insouciance ou son obstination dans le mal, il ne la mette pas à profit, auquel cas c'est pour lui à recommencer. De lui dépend donc d'augmenter ou de diminuer le nombre de ses incarnations, toujours plus ou moins pénibles et laborieuses.
Dans l'intervalle des existences corporelles, l'Esprit rentre, pour un temps plus ou moins long, dans le monde spirituel, où il est heureux ou malheureux, selon le bien ou le mal qu'il a fait. L'état spirituel est l'état normal de l'Esprit, puisque ce doit être son état définitif, et que le corps spirituel ne meurt pas ; l'état corporel n'est que transitoire et passager. C'est à l'état spirituel surtout qu'il recueille les fruits du progrès accompli par son travail dans l'incarnation ; c'est alors aussi qu'il se prépare à de nouvelles luttes, et prend les résolutions qu'il s'efforcera de mettre en pratique à son retour dans l'humanité.
La réincarnation peut avoir lieu sur la terre ou dans d'autres mondes. Parmi les mondes, il en est de plus avancés les uns que les autres, où l'existence s'accomplit dans des conditions moins pénibles que sur la terre, physiquement et moralement, mais où ne sont admis que des Esprits arrivés à un degré de perfection en rapport avec l'état de ces mondes.
La vie dans les mondes supérieurs est déjà une récompense, car on y est exempt des maux et des vicissitudes auxquels on est en butte ici-bas. Les corps, moins matériels, presque fluidiques, n'y sont sujets ni aux maladies, ni aux infirmités, ni aux mêmes besoins. Les mauvais Esprits en étant exclus, les hommes y vivent en paix, sans autre soin que celui de leur avancement par le travail de l'intelligence. Là règne la véritable fraternité, parce qu'il n'y a pas d'égoïsme, la véritable égalité, parce qu'il n'y a pas d'orgueil, la véritable liberté, parce qu'il n'y a pas de désordres à réprimer, ni d'ambitieux cherchant à opprimer le faible. Comparés à la terre, ces mondes sont de véritables paradis ; ce sont les étapes de la route du progrès qui conduit au séjour définitif. La terre étant un monde inférieur destiné à l'épuration des Esprits imparfaits, c'est la raison pour laquelle le mal y domine jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'en faire le séjour d'Esprits plus avancés.
C'est ainsi que l'Esprit progressant graduellement, à mesure qu'il se développe, arrive à l'apogée de la félicité ; mais, avant d'avoir atteint le point culminant de la perfection, il jouit d'un bonheur relatif à son avancement. Tel l'enfant goûte les plaisirs du premier âge ; plus tard, ceux de la jeunesse, et finalement ceux plus solides de l'âge mûr.
La félicité des Esprits bienheureux n'est pas dans l'oisiveté contemplative, qui serait, comme il a souvent été dit, une éternelle et fastidieuse inutilité. La vie spirituelle, à tous les degrés, est au contraire une constante activité, mais une activité exempte de fatigues. Le suprême bonheur consiste dans la jouissance de toutes les splendeurs de la création qu'aucun langage humain ne saurait rendre, que l'imagination la plus féconde ne saurait concevoir ; dans la connaissance et la pénétration de toutes choses ; dans l'absence de toute peine physique et morale ; dans une satisfaction intime, une sérénité d'âme que rien n'altère ; dans l'amour pur qui unit tous les êtres, par suite de l'absence de tout froissement par le contact des méchants, et par-dessus tout dans la vue de Dieu, et dans la compréhension de ses mystères révélés aux plus dignes. Elle est aussi dans les fonctions dont on est heureux d'être chargé. Les purs Esprits sont les Messies ou messagers de Dieu pour la transmission et l'exécution de ses volontés ; ils accomplissent les grandes missions, président à la formation des mondes et à l'harmonie générale de l'univers, charge glorieuse à laquelle on n'arrive que par la perfection. Ceux de l'ordre le plus élevé sont seuls dans les secrets de Dieu, s'inspirant de sa pensée dont ils sont les représentants directs.
Les attributions des Esprits sont proportionnées à leur avancement, aux lumières qu'ils possèdent, à leurs capacités, à leur expérience et au degré de confiance qu'ils inspirent au souverain Maître. Là point de privilège, point de faveurs qui ne soient le prix du mérite : tout est mesuré au poids de la stricte justice. Les missions les plus importantes ne sont confiées qu'à ceux que l'on sait propres à les remplir et incapables d'y faillir ou de les compromettre. Tandis que sous l'œil même de Dieu, les plus dignes composent le conseil suprême, à des chefs supérieurs est dévolue la direction d'un tourbillon planétaire ; à d'autres est conférée celle d'un monde spécial. Viennent ensuite, dans l'ordre de l'avancement et de la subordination hiérarchique, les attributions plus restreintes de ceux qui sont préposés à la marche des peuples, à la protection des familles et des individus, à l'impulsion de chaque branche du progrès, aux diverses opérations de la nature jusqu'aux plus infimes détails de la création. Dans ce vaste et harmonieux ensemble, il y a de l'occupation pour toutes les capacités, toutes les aptitudes, toutes les bonnes volontés, occupations acceptées avec joie, sollicitées avec ardeur, parce que c'est un moyen d'avancement pour les Esprits qui aspirent à s'élever.
L'incarnation est inhérente à l'infériorité des Esprits ; elle n'est plus nécessaire à ceux qui en ont franchi la limite et qui progressent à l'état spirituel, ou dans les existences corporelles des mondes supérieurs qui n'ont plus rien de la matérialité terrestre. De la part de ceux-ci elle est volontaire, en vue d'exercer sur les incarnés une action plus directe pour l'accomplissement de la mission dont ils sont chargés auprès d'eux. Ils en acceptent les vicissitudes et les souffrances par dévouement.
A côté des grandes missions confiées aux Esprits supérieurs, il y en a de tous les degrés d'importance dévolues aux Esprits de tous ordres ; d'où l'on peut dire que chaque incarné a la sienne, c'est-à-dire des devoirs à remplir pour le bien de ses semblables, depuis le père de famille à qui incombe le soin de faire progresser ses enfants, jusqu'à l'homme de génie qui jette dans la société de nouveaux éléments de progrès. C'est dans ces missions secondaires que l'on rencontre souvent des défaillances, des prévarications, des renoncements, mais qui ne nuisent qu'à l'individu et non à l'ensemble.
Toutes les intelligences concourent donc à l'œuvre générale, à quelque degré qu'elles soient arrivées, et chacune dans la mesure de ses forces ; les unes à l'état d'incarnation, les autres à l'état d'Esprit. Partout l'activité depuis le bas jusqu'au plus haut de l'échelle, toutes s'instruisant, s'entraidant, se prêtant un mutuel appui, se tendant la main pour atteindre le sommet.
Ainsi s'établit la solidarité entre le monde spirituel et le monde corporel, autrement dit entre les hommes et les Esprits, entre les Esprits libres et les Esprits captifs. Ainsi se perpétuent et se consolident, par l'épuration et la continuité des rapports, les sympathies véritables, les affections saintes.
Partout donc la vie et le mouvement ; pas un coin de l'espace infini qui ne soit peuplé ; pas une région qui ne soit incessamment parcourue par d'innombrables légions d'êtres radieux, invisibles pour les sens grossiers des incarnés, mais dont la vue ravit d'admiration et de joie les âmes dégagées de la matière. Partout enfin, il y a un bonheur relatif pour tous les progrès, pour tous les devoirs accomplis ; chacun porte en soi les éléments de son bonheur, en raison de la catégorie où le place son degré d'avancement.
Le bonheur tient aux qualités propres des individus, et non à l'état matériel du milieu où ils se trouvent ; il est donc partout où il y a des Esprits capables d'être heureux ; nulle place circonscrite ne lui est assignée dans l'univers. En quelque lieu qu'ils se trouvent, les purs Esprits peuvent contempler la majesté divine, parce que Dieu est partout.
Cependant le bonheur n'est point personnel ; si on ne le puisait qu'en soi-même, si on ne pouvait le faire partager à d'autres, il serait égoïste et triste ; il est aussi dans la communion de pensées qui unit les êtres sympathiques. Les Esprits heureux, attirés les uns vers les autres par la similitude des idées, des goûts, des sentiments, forment de vastes groupes ou familles homogènes, au sein desquelles chaque individualité rayonne de ses propres qualités, et se pénètre des effluves sereins et bienfaisants qui émanent de l'ensemble, dont les membres, tantôt se dispersent pour vaquer à leur mission, tantôt s'assemblent sur un point quelconque de l'espace pour se faire part du résultat de leurs travaux, tantôt se réunissent autour d'un Esprit d'un ordre plus élevé pour recevoir ses avis et ses instructions.
Bien que les Esprits soient partout, les mondes sont les foyers où ils s'assemblent de préférence, en raison de l'analogie qui existe entre eux et ceux qui les habitent. Autour des mondes avancés abondent les Esprits supérieurs ; autour des mondes arriérés pullulent les Esprits inférieurs. La terre est encore un de ces derniers. Chaque globe a donc, en quelque sorte, sa population propre en Esprits incarnés et désincarnés, qui s'alimente en majeure partie par l'incarnation et la désincarnation des mêmes Esprits. Cette population est plus stable dans les mondes inférieurs où les Esprits sont plus attachés à la matière, et plus flottante dans les mondes supérieurs. Mais des mondes, foyers de lumière et de bonheur, des Esprits se détachent vers les mondes inférieurs pour y semer les germes du progrès, y porter la consolation et l'espérance, relever les courages abattus par les épreuves de la vie, et parfois s'y incarnent pour accomplir leur mission avec plus d'efficacité.
Dans cette immensité sans bornes, où donc est le ciel ! Il est partout ; nulle enceinte ne lui sert de limites ; les mondes heureux sont les dernières stations qui y conduisent ; les vertus en frayent le chemin, les vices en interdisent l'accès.
A côté de ce tableau grandiose qui peuple tous les coins de l'univers, qui donne à tous les objets de la création un but et une raison d'être, qu'elle est petite et mesquine la doctrine qui circonscrit l'humanité sur un imperceptible point de l'espace, qui nous la montre commençant à un instant donné pour finir également un jour avec le monde qui la porte, n'embrassant ainsi qu'une minute dans l'éternité ! Qu'elle est triste, froide et glaciale, quand elle nous montre le reste de l'univers avant, pendant et après l'humanité terrestre, sans vie, sans mouvement, comme un immense désert plongé dans le silence ! Qu'elle est désespérante par la peinture qu'elle fait du petit nombre des élus voués à la contemplation perpétuelle, tandis que la majorité des créatures est condamnée à des souffrances sans fin ! Qu'elle est navrante, pour les cœurs aimants, par la barrière qu'elle pose entre les morts et les vivants ! Les âmes heureuses, dit-on, ne pensent qu'à leur bonheur ; celles qui sont malheureuses, à leurs douleurs. Est-il étonnant que l'égoïsme règne sur la terre quand on le montre dans le ciel ? Combien alors est étroite l'idée qu'elle donne de la grandeur, de la puissance et de la bonté de Dieu !
Combien est sublime, au contraire, celle qu'en donne le Spiritisme ! Combien sa doctrine grandit les idées, élargit la pensée ! - Mais qui dit qu'elle est vraie ? La raison d'abord, la révélation ensuite, puis sa concordance avec le progrès de la science. Entre deux doctrines dont l'une amoindrit et l'autre étend les attributs de Dieu ; dont l'une est en désaccord et l'autre en harmonie avec le progrès ; dont l'une reste en arrière et l'autre marche en avant, le bon sens dit de quel côté est la vérité. Qu'en présence des deux, chacun, dans son for intérieur, interroge ses aspirations, et une voix intime lui répondra. Les aspirations sont la voix de Dieu, qui ne peut tromper les hommes.
Mais alors pourquoi Dieu ne leur a-t-il pas, dès le principe, révélé toute la vérité ? Par la même raison qu'on n'enseigne pas à l'enfance ce qu'on enseigne à l'âge mûr. La révélation restreinte était suffisante pendant une certaine période de l'humanité ; Dieu la proportionne aux forces de l'Esprit. Ceux qui reçoivent aujourd'hui une révélation plus complète sont les mêmes Esprits qui en ont déjà reçu une partielle en d'autres temps, mais qui depuis lors ont grandi en intelligence. Avant que la science leur eût révélé les forces vives de la nature, la constitution des astres, le véritable rôle et la formation de la terre, auraient-ils compris l'immensité de l'espace, la pluralité des mondes ? Auraient-ils pu s'identifier avec la vie spirituelle ? concevoir, après la mort, une vie heureuse ou malheureuse, autrement que dans un lieu circonscrit et sous une forme matérielle ? Non ; comprenant plus par les sens que par la pensée, l'univers était trop vaste pour leur cerveau ; il fallait le réduire à des proportions moins étendues pour le mettre à leur point de vue, sauf à l'étendre plus tard. Une révélation partielle avait son utilité ; elle était sage alors, elle est insuffisante aujourd'hui. Le tort est à ceux qui, ne tenant point compte du progrès des idées, croient pouvoir gouverner des hommes mûrs avec les lisières de l'enfance.
Les différentes doctrines concernant le séjour des bienheureux reposent toutes sur la double erreur que la terre est le centre de l'univers, et que la région des astres est limitée. C'est par delà cette limite imaginaire que toutes ont placé ce séjour fortuné et la demeure du Tout-Puissant. Singulière anomalie qui place l'auteur de toutes choses, celui qui les gouverne toutes, aux confins de la création, au lieu du centre d'où le rayonnement de sa pensée pouvait s'étendre à tout !
La science, avec l'inexorable logique des faits et de l'observation, a porté son flambeau jusque dans les profondeurs de l'espace, et montré le néant de toutes ces théories. La terre n'est plus le pivot de l'univers, mais un des plus petits astres roulant dans l'immensité ; le soleil lui-même n'est que le centre d'un tourbillon planétaire ; les étoiles sont d'innombrables soleils autour desquels circulent des mondes innombrables, séparés par des distances à peine accessibles à la pensée, quoiqu'ils nous semblent se toucher. Dans cet ensemble, régi par des lois éternelles où se révèlent la sagesse et la toute-puissance du Créateur, la terre n'apparaît que comme un point imperceptible, et l'un des moins favorisés pour l'habitabilité. Dès lors on se demande pourquoi Dieu en aurait fait l'unique siège de la vie, et y aurait relégué ses créatures de prédilection. Tout, au contraire, annonce que la vie est partout, que l'humanité est infinie comme l'univers. La science nous révélant des mondes semblables à la terre, Dieu ne pouvait les avoir créés sans but ; il a dû les peupler d'êtres capables de les gouverner.
Les idées de l'homme sont en raison de ce qu'il sait ; comme toutes les découvertes importantes, celle de la constitution des mondes a dû leur donner un autre cours. Sous l'empire de ces nouvelles connaissances, les croyances ont dû se modifier ; le ciel a été déplacé ; la région des étoiles étant sans limites ne peut plus lui en servir. Où est-il ? Devant cette question, toutes les religions restent muettes.
Le Spiritisme vient la résoudre en démontrant la véritable destinée de l'homme. La nature de ce dernier, et les attributs de Dieu étant pris pour point de départ, on arrive à la conclusion.
L'homme est composé du corps et de l'Esprit ; l'Esprit est l'être principal, l'être de raison, l'être intelligent ; le corps est l'enveloppe matérielle que revêt temporairement l'Esprit pour l'accomplissement de sa mission sur la terre et l'exécution du travail nécessaire à son avancement. Le corps, usé, se détruit, et l'Esprit survit à sa destruction. Sans l'Esprit, le corps n'est qu'une matière inerte, comme un instrument privé du bras qui le fait agir ; sans le corps, l'Esprit est tout : la vie et l'intelligence. En quittant le corps, il rentre dans le monde spirituel d'où il était sorti pour s'incarner.
Il y a donc le monde corporel composé des Esprits incarnés, et le monde spirituel formé des Esprits désincarnés. Les êtres du monde corporel, par le fait même de leur enveloppe matérielle, sont attachés à la terre, ou à un globe quelconque ; le monde spirituel est partout, autour de nous et dans l'espace ; aucune limite ne lui est assignée. En raison de la nature fluidique de leur enveloppe, les êtres qui le composent, au lieu de se traîner péniblement sur le sol, franchissent les distances avec la rapidité de la pensée. La mort du corps est la rupture des liens qui les retenaient captifs.
Les Esprits sont créés simples et ignorants, mais avec l'aptitude à tout acquérir et à progresser, en vertu de leur libre arbitre. Par le progrès, ils acquièrent de nouvelles connaissances, de nouvelles facultés, de nouvelles perceptions, et, par suite, de nouvelles jouissances inconnues aux Esprits inférieurs ; ils voient, entendent, sentent et comprennent ce que les Esprits arriérés ne peuvent ni voir, ni entendre, ni sentir, ni comprendre. Le bonheur est en raison du progrès accompli ; de sorte que, de deux Esprits, l'un peut n'être pas aussi heureux que l'autre, uniquement parce qu'il n'est pas aussi avancé intellectuellement et moralement, sans qu'ils aient besoin d'être chacun dans un lieu distinct. Quoique étant à côté l'un de l'autre, l'un peut être dans les ténèbres, tandis que tout est resplendissant autour de l'autre, absolument comme pour un aveugle et un voyant qui se donnent la main : l'un perçoit la lumière, qui ne fait aucune impression sur son voisin. Le bonheur des Esprits étant inhérent aux qualités qu'ils possèdent, ils le puisent partout où ils se trouvent, à la surface de la terre, au milieu des incarnés ou dans l'espace.
Une comparaison vulgaire fera mieux encore comprendre cette situation. Si dans un concert se trouvent deux hommes, l'un bon musicien à l'oreille exercée, l'autre sans connaissance de la musique et au sens de l'ouïe peu délicat, le premier éprouve une sensation de bonheur, tandis que le second reste insensible, parce que l'un comprend et perçoit ce qui ne fait aucune impression sur l'autre. Ainsi en est-il de toutes les jouissances des Esprits qui sont en raison de l'aptitude à les ressentir. Le monde spirituel a partout des splendeurs, des harmonies et des sensations que les Esprits inférieurs, encore soumis à l'influence de la matière, n'entrevoient même pas, et qui ne sont accessibles qu'aux Esprits épurés.
Le progrès, chez les Esprits, est le fruit de leur propre travail ; mais, comme ils sont libres, ils travaillent à leur avancement avec plus ou moins d'activité ou de négligence, selon leur volonté ; ils hâtent ainsi ou retardent leur progrès, et par suite leur bonheur. Tandis que les uns avancent rapidement, d'autres croupissent de longs siècles dans les rangs inférieurs. Ils sont donc les propres artisans de leur situation, heureuse ou malheureuse, selon cette parole du Christ : A chacun selon ses œuvres. Tout Esprit qui reste en arrière ne peut s'en prendre qu'à lui-même, de même que celui qui avance en a tout le mérite ; le bonheur qu'il a conquis n'en a que plus de prix à ses yeux.
Le bonheur suprême n'est le partage que des Esprits parfaits, autrement dit des purs Esprits. Ils ne l'atteignent qu'après avoir progressé en intelligence et en moralité. Le progrès intellectuel et le progrès moral marchent rarement de front ; mais ce que l'Esprit ne fait pas dans un temps, il le fait dans un autre, de sorte que les deux progrès finissent par atteindre le même niveau. C'est la raison pour laquelle on voit souvent des hommes intelligents et instruits très peu avancés moralement, et réciproquement.
L'incarnation est nécessaire au double progrès moral et intellectuel de l'Esprit : au progrès intellectuel, par l'activité qu'il est obligé de déployer dans le travail ; au progrès moral, par le besoin que les hommes ont les uns des autres. La vie sociale est la pierre de touche des bonnes et des mauvaises qualités. La bonté, la méchanceté, la douceur, la violence, la bienveillance, la charité, l'égoïsme, l'avarice, l'orgueil, l'humilité, la sincérité, la franchise, la loyauté, la mauvaise foi, l'hypocrisie, en un mot tout ce qui constitue l'homme de bien ou l'homme pervers, a pour mobile, pour but et pour stimulant les rapports de l'homme avec ses semblables ; pour celui qui vivrait seul, il n'y aurait ni vices, ni vertus ; si, par l'isolement, il se préserve du mal, il annule le bien.
Une seule existence corporelle est manifestement insuffisante pour que l'Esprit puisse acquérir tout ce qui lui manque en bien, et se défaire de tout ce qui est mauvais en lui. Le sauvage, par exemple, pourrait-il jamais, dans une seule incarnation, atteindre le niveau moral et intellectuel de l'Européen le plus avancé ? Cela est matériellement impossible. Doit-il donc rester éternellement dans l'ignorance et la barbarie, privé des jouissances que peut seul procurer le développement des facultés ? Le simple bon sens repousse une telle supposition qui serait à la fois la négation de la justice et de la bonté de Dieu, et celle de la loi progressive de la nature. C'est pourquoi Dieu, qui est souverainement juste et bon, accorde à l'Esprit de l'homme autant d'existences que cela est nécessaire pour arriver au but, qui est la perfection. Dans chaque existence nouvelle, il apporte ce qu'il a acquis dans les précédentes en aptitudes, en connaissances intuitives, en intelligence et en moralité. Chaque existence est ainsi un pas en avant dans la voie du progrès, à moins que, par sa paresse, son insouciance ou son obstination dans le mal, il ne la mette pas à profit, auquel cas c'est pour lui à recommencer. De lui dépend donc d'augmenter ou de diminuer le nombre de ses incarnations, toujours plus ou moins pénibles et laborieuses.
Dans l'intervalle des existences corporelles, l'Esprit rentre, pour un temps plus ou moins long, dans le monde spirituel, où il est heureux ou malheureux, selon le bien ou le mal qu'il a fait. L'état spirituel est l'état normal de l'Esprit, puisque ce doit être son état définitif, et que le corps spirituel ne meurt pas ; l'état corporel n'est que transitoire et passager. C'est à l'état spirituel surtout qu'il recueille les fruits du progrès accompli par son travail dans l'incarnation ; c'est alors aussi qu'il se prépare à de nouvelles luttes, et prend les résolutions qu'il s'efforcera de mettre en pratique à son retour dans l'humanité.
La réincarnation peut avoir lieu sur la terre ou dans d'autres mondes. Parmi les mondes, il en est de plus avancés les uns que les autres, où l'existence s'accomplit dans des conditions moins pénibles que sur la terre, physiquement et moralement, mais où ne sont admis que des Esprits arrivés à un degré de perfection en rapport avec l'état de ces mondes.
La vie dans les mondes supérieurs est déjà une récompense, car on y est exempt des maux et des vicissitudes auxquels on est en butte ici-bas. Les corps, moins matériels, presque fluidiques, n'y sont sujets ni aux maladies, ni aux infirmités, ni aux mêmes besoins. Les mauvais Esprits en étant exclus, les hommes y vivent en paix, sans autre soin que celui de leur avancement par le travail de l'intelligence. Là règne la véritable fraternité, parce qu'il n'y a pas d'égoïsme, la véritable égalité, parce qu'il n'y a pas d'orgueil, la véritable liberté, parce qu'il n'y a pas de désordres à réprimer, ni d'ambitieux cherchant à opprimer le faible. Comparés à la terre, ces mondes sont de véritables paradis ; ce sont les étapes de la route du progrès qui conduit au séjour définitif. La terre étant un monde inférieur destiné à l'épuration des Esprits imparfaits, c'est la raison pour laquelle le mal y domine jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'en faire le séjour d'Esprits plus avancés.
C'est ainsi que l'Esprit progressant graduellement, à mesure qu'il se développe, arrive à l'apogée de la félicité ; mais, avant d'avoir atteint le point culminant de la perfection, il jouit d'un bonheur relatif à son avancement. Tel l'enfant goûte les plaisirs du premier âge ; plus tard, ceux de la jeunesse, et finalement ceux plus solides de l'âge mûr.
La félicité des Esprits bienheureux n'est pas dans l'oisiveté contemplative, qui serait, comme il a souvent été dit, une éternelle et fastidieuse inutilité. La vie spirituelle, à tous les degrés, est au contraire une constante activité, mais une activité exempte de fatigues. Le suprême bonheur consiste dans la jouissance de toutes les splendeurs de la création qu'aucun langage humain ne saurait rendre, que l'imagination la plus féconde ne saurait concevoir ; dans la connaissance et la pénétration de toutes choses ; dans l'absence de toute peine physique et morale ; dans une satisfaction intime, une sérénité d'âme que rien n'altère ; dans l'amour pur qui unit tous les êtres, par suite de l'absence de tout froissement par le contact des méchants, et par-dessus tout dans la vue de Dieu, et dans la compréhension de ses mystères révélés aux plus dignes. Elle est aussi dans les fonctions dont on est heureux d'être chargé. Les purs Esprits sont les Messies ou messagers de Dieu pour la transmission et l'exécution de ses volontés ; ils accomplissent les grandes missions, président à la formation des mondes et à l'harmonie générale de l'univers, charge glorieuse à laquelle on n'arrive que par la perfection. Ceux de l'ordre le plus élevé sont seuls dans les secrets de Dieu, s'inspirant de sa pensée dont ils sont les représentants directs.
Les attributions des Esprits sont proportionnées à leur avancement, aux lumières qu'ils possèdent, à leurs capacités, à leur expérience et au degré de confiance qu'ils inspirent au souverain Maître. Là point de privilège, point de faveurs qui ne soient le prix du mérite : tout est mesuré au poids de la stricte justice. Les missions les plus importantes ne sont confiées qu'à ceux que l'on sait propres à les remplir et incapables d'y faillir ou de les compromettre. Tandis que sous l'œil même de Dieu, les plus dignes composent le conseil suprême, à des chefs supérieurs est dévolue la direction d'un tourbillon planétaire ; à d'autres est conférée celle d'un monde spécial. Viennent ensuite, dans l'ordre de l'avancement et de la subordination hiérarchique, les attributions plus restreintes de ceux qui sont préposés à la marche des peuples, à la protection des familles et des individus, à l'impulsion de chaque branche du progrès, aux diverses opérations de la nature jusqu'aux plus infimes détails de la création. Dans ce vaste et harmonieux ensemble, il y a de l'occupation pour toutes les capacités, toutes les aptitudes, toutes les bonnes volontés, occupations acceptées avec joie, sollicitées avec ardeur, parce que c'est un moyen d'avancement pour les Esprits qui aspirent à s'élever.
L'incarnation est inhérente à l'infériorité des Esprits ; elle n'est plus nécessaire à ceux qui en ont franchi la limite et qui progressent à l'état spirituel, ou dans les existences corporelles des mondes supérieurs qui n'ont plus rien de la matérialité terrestre. De la part de ceux-ci elle est volontaire, en vue d'exercer sur les incarnés une action plus directe pour l'accomplissement de la mission dont ils sont chargés auprès d'eux. Ils en acceptent les vicissitudes et les souffrances par dévouement.
A côté des grandes missions confiées aux Esprits supérieurs, il y en a de tous les degrés d'importance dévolues aux Esprits de tous ordres ; d'où l'on peut dire que chaque incarné a la sienne, c'est-à-dire des devoirs à remplir pour le bien de ses semblables, depuis le père de famille à qui incombe le soin de faire progresser ses enfants, jusqu'à l'homme de génie qui jette dans la société de nouveaux éléments de progrès. C'est dans ces missions secondaires que l'on rencontre souvent des défaillances, des prévarications, des renoncements, mais qui ne nuisent qu'à l'individu et non à l'ensemble.
Toutes les intelligences concourent donc à l'œuvre générale, à quelque degré qu'elles soient arrivées, et chacune dans la mesure de ses forces ; les unes à l'état d'incarnation, les autres à l'état d'Esprit. Partout l'activité depuis le bas jusqu'au plus haut de l'échelle, toutes s'instruisant, s'entraidant, se prêtant un mutuel appui, se tendant la main pour atteindre le sommet.
Ainsi s'établit la solidarité entre le monde spirituel et le monde corporel, autrement dit entre les hommes et les Esprits, entre les Esprits libres et les Esprits captifs. Ainsi se perpétuent et se consolident, par l'épuration et la continuité des rapports, les sympathies véritables, les affections saintes.
Partout donc la vie et le mouvement ; pas un coin de l'espace infini qui ne soit peuplé ; pas une région qui ne soit incessamment parcourue par d'innombrables légions d'êtres radieux, invisibles pour les sens grossiers des incarnés, mais dont la vue ravit d'admiration et de joie les âmes dégagées de la matière. Partout enfin, il y a un bonheur relatif pour tous les progrès, pour tous les devoirs accomplis ; chacun porte en soi les éléments de son bonheur, en raison de la catégorie où le place son degré d'avancement.
Le bonheur tient aux qualités propres des individus, et non à l'état matériel du milieu où ils se trouvent ; il est donc partout où il y a des Esprits capables d'être heureux ; nulle place circonscrite ne lui est assignée dans l'univers. En quelque lieu qu'ils se trouvent, les purs Esprits peuvent contempler la majesté divine, parce que Dieu est partout.
Cependant le bonheur n'est point personnel ; si on ne le puisait qu'en soi-même, si on ne pouvait le faire partager à d'autres, il serait égoïste et triste ; il est aussi dans la communion de pensées qui unit les êtres sympathiques. Les Esprits heureux, attirés les uns vers les autres par la similitude des idées, des goûts, des sentiments, forment de vastes groupes ou familles homogènes, au sein desquelles chaque individualité rayonne de ses propres qualités, et se pénètre des effluves sereins et bienfaisants qui émanent de l'ensemble, dont les membres, tantôt se dispersent pour vaquer à leur mission, tantôt s'assemblent sur un point quelconque de l'espace pour se faire part du résultat de leurs travaux, tantôt se réunissent autour d'un Esprit d'un ordre plus élevé pour recevoir ses avis et ses instructions.
Bien que les Esprits soient partout, les mondes sont les foyers où ils s'assemblent de préférence, en raison de l'analogie qui existe entre eux et ceux qui les habitent. Autour des mondes avancés abondent les Esprits supérieurs ; autour des mondes arriérés pullulent les Esprits inférieurs. La terre est encore un de ces derniers. Chaque globe a donc, en quelque sorte, sa population propre en Esprits incarnés et désincarnés, qui s'alimente en majeure partie par l'incarnation et la désincarnation des mêmes Esprits. Cette population est plus stable dans les mondes inférieurs où les Esprits sont plus attachés à la matière, et plus flottante dans les mondes supérieurs. Mais des mondes, foyers de lumière et de bonheur, des Esprits se détachent vers les mondes inférieurs pour y semer les germes du progrès, y porter la consolation et l'espérance, relever les courages abattus par les épreuves de la vie, et parfois s'y incarnent pour accomplir leur mission avec plus d'efficacité.
Dans cette immensité sans bornes, où donc est le ciel ! Il est partout ; nulle enceinte ne lui sert de limites ; les mondes heureux sont les dernières stations qui y conduisent ; les vertus en frayent le chemin, les vices en interdisent l'accès.
A côté de ce tableau grandiose qui peuple tous les coins de l'univers, qui donne à tous les objets de la création un but et une raison d'être, qu'elle est petite et mesquine la doctrine qui circonscrit l'humanité sur un imperceptible point de l'espace, qui nous la montre commençant à un instant donné pour finir également un jour avec le monde qui la porte, n'embrassant ainsi qu'une minute dans l'éternité ! Qu'elle est triste, froide et glaciale, quand elle nous montre le reste de l'univers avant, pendant et après l'humanité terrestre, sans vie, sans mouvement, comme un immense désert plongé dans le silence ! Qu'elle est désespérante par la peinture qu'elle fait du petit nombre des élus voués à la contemplation perpétuelle, tandis que la majorité des créatures est condamnée à des souffrances sans fin ! Qu'elle est navrante, pour les cœurs aimants, par la barrière qu'elle pose entre les morts et les vivants ! Les âmes heureuses, dit-on, ne pensent qu'à leur bonheur ; celles qui sont malheureuses, à leurs douleurs. Est-il étonnant que l'égoïsme règne sur la terre quand on le montre dans le ciel ? Combien alors est étroite l'idée qu'elle donne de la grandeur, de la puissance et de la bonté de Dieu !
Combien est sublime, au contraire, celle qu'en donne le Spiritisme ! Combien sa doctrine grandit les idées, élargit la pensée ! - Mais qui dit qu'elle est vraie ? La raison d'abord, la révélation ensuite, puis sa concordance avec le progrès de la science. Entre deux doctrines dont l'une amoindrit et l'autre étend les attributs de Dieu ; dont l'une est en désaccord et l'autre en harmonie avec le progrès ; dont l'une reste en arrière et l'autre marche en avant, le bon sens dit de quel côté est la vérité. Qu'en présence des deux, chacun, dans son for intérieur, interroge ses aspirations, et une voix intime lui répondra. Les aspirations sont la voix de Dieu, qui ne peut tromper les hommes.
Mais alors pourquoi Dieu ne leur a-t-il pas, dès le principe, révélé toute la vérité ? Par la même raison qu'on n'enseigne pas à l'enfance ce qu'on enseigne à l'âge mûr. La révélation restreinte était suffisante pendant une certaine période de l'humanité ; Dieu la proportionne aux forces de l'Esprit. Ceux qui reçoivent aujourd'hui une révélation plus complète sont les mêmes Esprits qui en ont déjà reçu une partielle en d'autres temps, mais qui depuis lors ont grandi en intelligence. Avant que la science leur eût révélé les forces vives de la nature, la constitution des astres, le véritable rôle et la formation de la terre, auraient-ils compris l'immensité de l'espace, la pluralité des mondes ? Auraient-ils pu s'identifier avec la vie spirituelle ? concevoir, après la mort, une vie heureuse ou malheureuse, autrement que dans un lieu circonscrit et sous une forme matérielle ? Non ; comprenant plus par les sens que par la pensée, l'univers était trop vaste pour leur cerveau ; il fallait le réduire à des proportions moins étendues pour le mettre à leur point de vue, sauf à l'étendre plus tard. Une révélation partielle avait son utilité ; elle était sage alors, elle est insuffisante aujourd'hui. Le tort est à ceux qui, ne tenant point compte du progrès des idées, croient pouvoir gouverner des hommes mûrs avec les lisières de l'enfance.
A. K.
Nota. - Cet article, ainsi que celui du numéro précédent sur l'appréhension de la mort, sont extraits du nouvel ouvrage que M. Allan Kardec mettra prochainement sous presse. Les deux faits suivants viennent confirmer ce tableau du ciel.
[1] Ptolémée vivait à Alexandrie en Egypte, au deuxième siècle de l'ère chrétienne.
[2] Du grec pur ou pyr, feu.
Nécrologie
Madame veuve Foulon
Le journal le Siècle, dans ses articles
nécrologiques du 13 février 1865, a publié la note suivante, également
reproduite par le journal du Havre et celui d'Antibes :
« Une artiste aimée et estimée au Havre, madame veuve Foulon, miniaturiste habile, est décédée le 3 février à Antibes, où elle était allée chercher, dans un climat plus doux, le rétablissement d'une santé altérée par le travail autant que par l'âge. »
Ayant personnellement et très intimement connu madame Foulon, nous sommes heureux de pouvoir compléter la juste mais trop courte notice ci-dessus. En cela, nous remplissons un devoir d'amitié, en même temps que c'est un hommage mérité rendu à des vertus ignorées, et un salutaire exemple pour tout le monde et pour les Spirites en particulier, qui y puiseront de précieux enseignements.
Comme artiste, madame Foulon avait un talent remarquable ; ses ouvrages, justement appréciés dans maintes expositions, lui ont valu de nombreuses récompenses honorifiques. C'est là un mérite, sans doute, mais qui n'a rien d'exceptionnel. Ce qui la faisait surtout aimer et estimer, ce qui rend sa mémoire chère à tous ceux qui l'ont connue, c'est l'aménité de son caractère ; ce sont ses qualités privées dont ceux qui connaissent sa vie intime peuvent seuls apprécier toute l'étendue ; car, comme tous ceux en qui le sentiment du bien est inné, elle n'en faisait point étalage, elle ne s'en doutait même pas. S'il est quelqu'un sur qui l'égoïsme n'avait aucune prise, c'était elle, sans doute ; jamais peut-être le sentiment de l'abnégation personnelle ne fut porté plus loin ; toujours prête à sacrifier son repos, sa santé, ses intérêts pour ceux à qui elle pouvait être utile, sa vie n'a été qu'une longue suite de dévouements, comme elle n'a été, depuis sa jeunesse, qu'une longue suite de rudes et cruelles épreuves devant lesquelles son courage, sa résignation et sa persévérance n'ont jamais failli. Des revers de fortune ne lui ayant laissé que son talent pour unique ressource, c'est avec ses pinceaux seuls, soit en donnant des leçons, soit en faisant des portraits, qu'elle a élevé une très nombreuse famille et assuré une honorable position à tous ses enfants. Il faut avoir connu sa vie intime pour savoir tout ce qu'elle a enduré de fatigues et de privations, toutes les difficultés contre lesquelles elle a eu à lutter pour atteindre son but. Mais, hélas ! sa vue, fatiguée par le travail attachant de la miniature, s'éteignait de jour en jour ; encore quelque temps, et la cécité, déjà très avancée, eût été complète.
Lorsqu'il y a quelques années, madame Foulon eut connaissance de la doctrine spirite, ce fut pour elle comme un trait de lumière ; il lui sembla qu'un voile se levait sur quelque chose qui ne lui était point inconnu, mais dont elle n'avait qu'une vague intuition ; aussi l'étudia-t-elle avec ardeur, mais en même temps avec cette lucidité d'esprit, cette justesse d'appréciation qui était le propre de sa haute intelligence. Il faut connaître toutes les perplexités de sa vie, perplexités qui avaient toujours pour mobile, non elle-même, mais les êtres qui lui étaient chers, pour comprendre toutes les consolations qu'elle puisa dans cette sublime révélation qui lui donnait une foi inébranlable dans l'avenir, et lui montrait le néant des choses terrestres. Sans le respect dû aux choses intimes, que de grands enseignements sortiraient de la dernière période de cette vie si féconde en émotions ! Aussi l'assistance des bons Esprits ne lui fit pas défaut ; les instructions et les enseignements qu'ils se sont plu à prodiguer à cette âme d'élite forment un recueil des plus édifiants, mais tout intime, dont nous sommes heureux d'avoir été plus d'une fois l'agent provocateur. Aussi sa mort a été digne de sa vie. Elle en a vu les approches sans aucune appréhension pénible : c'était pour elle la délivrance des liens terrestres qui devait lui ouvrir cette vie spirituelle bienheureuse avec laquelle elle s'était identifiée par l'étude du Spiritisme.
Elle est morte avec calme, parce qu'elle avait la conscience d'avoir accompli la mission qu'elle avait acceptée en venant sur la terre, d'avoir scrupuleusement rempli ses devoirs d'épouse et de mère de famille ; parce qu'aussi elle avait, pendant sa vie, abjuré tout ressentiment contre ceux dont elle avait à se plaindre, et qui l'avaient payé d'ingratitude ; qu'elle leur a toujours rendu le bien pour le mal, et qu'elle a quitté la vie en leur pardonnant, s'en remettant pour elle-même à la bonté et à la justice de Dieu. Elle est morte enfin avec la sérénité que donne une conscience pure, et la certitude d'être moins séparée de ses enfants que pendant la vie corporelle, puisqu'elle pourra désormais être avec eux en Esprit, sur quelque point du globe qu'ils se trouvent, les aider de ses conseils, et les couvrir de sa protection. Maintenant, quel est son sort dans le monde où elle se trouve ? Les Spirites le pressentent déjà ; mais laissons-la elle-même rendre compte de ses impressions.
Elle est morte, comme ou l'a vu, le 3 février ; nous en reçûmes la nouvelle le 6 et notre premier désir fût de nous entretenir avec elle, si cela était possible. Nous étions nous-même à ce moment atteint d'une grave maladie, ce qui explique quelques-unes de ses paroles. Il est à remarquer que le médium ne la connaissait point, et ignorait les particularités de sa vie dont elle parle spontanément. Voici sa première communication, qui fut donnée le 6 février :
5 février 1865. - Médium, madame Cazemajour J'étais sûre que vous auriez la pensée de m'évoquer aussitôt après ma délivrance, et je me tenais prête à vous répondre, car je n'ai pas connu de trouble ; il n'y a que ceux qui ont peur qui sont enveloppés de ses épaisses ténèbres.
Eh bien, mon ami, je suis heureuse maintenant ; ces pauvres yeux qui s'étaient affaiblis et qui ne me laissaient que le souvenir des prismes qui avaient coloré ma jeunesse de leur chatoyant éclat, se sont ouverts ici, et ont retrouvé les splendides horizons qu'idéalisent, dans leurs vagues reproductions, quelques-uns de vos grands artistes, mais dont la réalité majestueuse, sévère et pourtant pleine de charmes, est empreinte de la plus complète réalité.
Il n'y a que trois jours que je suis morte, et je sens que je suis artiste ; mes aspirations vers l'idéal de la beauté dans l'art n'étaient que l'intuition d'une faculté que j'avais étudiée et acquise dans d'autres existences et qui se sont développées dans ma dernière. Mais que j'ai à faire pour reproduire un chef-d'œuvre digne de la grande scène qui frappe l'esprit en arrivant dans la région de la lumière ! Des pinceaux ! des pinceaux ! et je prouverai au monde que l'art spirite est le couronnement de l'art païen, de l'art chrétien qui périclite, et qu'au Spiritisme seul est réservée la gloire de le faire revivre dans tout son éclat sur votre monde déshérité.
Assez pour l'artiste ; au tour de l'amie.
Pourquoi, bonne amie (madame Allan Kardec), vous affecter ainsi de ma mort ? Vous surtout qui connaissez les déceptions et les amertumes de ma vie, vous devriez vous réjouir, au contraire, de voir que maintenant je n'ai plus à boire dans la coupe amère des douleurs terrestres que j'ai vidée jusqu'à la lie. Croyez-moi, les morts sont plus heureux que les vivants, et c'est douter de la vérité du Spiritisme de les pleurer. Vous me reverrez, soyez-en sûre ; je suis partie la première, parce que ma tâche était finie ici-bas ; chacun a la sienne à remplir sur la terre, et quand la vôtre sera finie, vous viendrez vous reposer un peu près de moi, pour recommencer ensuite, s'il le faut, attendu qu'il n'est pas dans la nature de rester inactif. Chacun a ses tendances et y obéit ; c'est une loi suprême qui prouve la puissance du libre arbitre ; aussi, bonne amie, indulgence et charité, nous en avons tous besoin réciproquement, soit dans le monde visible, soit dans le monde invisible ; avec cette devise, tout va bien.
Vous ne me diriez pas de m'arrêter. Savez-vous que je cause longuement pour la première fois ! aussi je vous laisse ; au tour de mon excellent ami, M. Kardec. Je veux le remercier des affectueuses paroles qu'il a bien voulu adresser à l'amie qui l'a devancé dans la tombe ; car nous avons failli partir ensemble pour le monde où je me trouve, mon bon ami ! (Nous étions tombé malade le 31 janvier). Qu'aurait-elle dit la compagne bien-aimée de vos jours, si les bons Esprits n'y avaient mis bon ordre ? c'est alors qu'elle aurait pleuré et gémi ! et je le comprends ; mais aussi il faut qu'elle veille à ce que vous ne vous exposiez pas de nouveau au danger avant d'avoir fini votre travail d'initiation spirite, sans cela vous courrez risque d'arriver trop tôt parmi nous, et de ne voir, comme Moïse, la Terre Promise que de loin. Tenez-vous donc sur vos gardes, c'est une amie qui vous en prévient.
Maintenant, je m'en vais ; je retourne près de mes chers enfants ; puis, je vais voir, par delà les mers, si ma brebis voyageuse est enfin arrivée au port, ou si elle est le jouet de la tempête. Que les bons Esprits la protègent ; je vais me joindre à eux pour cela. Je reviendrai causer avec vous, car je suis une causeuse infatigable ; vous vous en souvenez. Au revoir donc, bons et chers amis ; à bientôt.
Veuve Foulon.
Remarque. - Sa brebis voyageuse est une de ses filles, qui habite l'Amérique, et qui venait de faire un long et pénible voyage.
On ne redoute la mort que par l'incertitude de ce qui se passe à ce moment suprême, et de ce qu'il en est de nous au delà. La croyance vague en la vie future ne suffit pas toujours pour calmer l'appréhension de l'inconnu. Toutes les communications qui ont pour but de nous initier aux détails et aux impressions du passage, tendent à dissiper cette crainte, en ce qu'elles nous familiarisent et nous identifient avec la transition qui s'opère en nous. A ce point de vue, celles de madame Foulon, et celles du docteur Demeure qui font suite, sont éminemment instructives. La situation des Esprits après la mort étant essentiellement variable, selon la diversité des aptitudes, des qualités et du caractère de chacun, ce n'est que par la multiplicité des exemples qu'on peut arriver à connaître l'état réel du monde invisible.
8 février 1865 Spontané. Me voilà chez vous bien plus tôt que je ne croyais, et très heureuse de vous revoir, surtout maintenant que vous allez mieux, et que bientôt, je l'espère, vous serez complètement rétabli. Mais je veux que vous m'adressiez les questions qui vous intéressent ; j'y répondrai mieux ; sans cela je cours risque de causer avec vous à bâtons rompus, et il faut que nous causions de choses purement sérieuses ; n'est-ce pas, mon bon maître spirite ?
D. Chère madame Foulon, je suis bien heureux de la communication que vous m'avez fait donner l'autre jour, et de votre promesse de continuer nos entretiens.
Je vous ai parfaitement reconnue dans la communication ; vous y parlez de choses ignorées du médium, et qui ne peuvent venir que de vous ; puis votre langage affectueux à notre égard est bien celui de votre âme aimante ; mais il y a dans votre langage une assurance, un aplomb, une fermeté que je ne vous connaissais pas de votre vivant. Vous savez qu'à ce sujet, je me suis permis plus d'une admonition en certaines circonstances.
R. C'est vrai ; mais dès que je me suis vue gravement malade, j'ai recouvré ma fermeté d'esprit, perdue par les chagrins et les vicissitudes qui m'avaient parfois rendue craintive pendant la vie. Je me suis dit : Tu es Spirite ; oublie la terre ; prépare-toi à la transformation de ton être, et vois, par la pensée, le sentier lumineux que doit suivre ton âme en quittant ton corps, et qui la conduira, heureuse et délivrée, dans les sphères célestes où tu dois vivre désormais.
Vous me direz que c'était un peu présomptueux de ma part de compter sur le bonheur parfait en quittant la terre, mais j'avais tant souffert, que j'avais dû expier mes fautes de cette existence et des existences précédentes. Cette intuition ne m'avait pas trompée, et c'est elle qui m'a rendu le courage, le calme et la fermeté des derniers instants ; cette fermeté s'est naturellement accrue quand, après ma délivrance, j'ai vu mes espérances réalisées.
D. Veuillez maintenant nous décrire votre passage, votre réveil et vos premières impressions.
R. J'ai souffert, mais mon Esprit a été plus fort que la souffrance matérielle que le dégagement lui faisait éprouver. Je me suis trouvée, après le suprême soupir, comme en syncope, n'ayant aucune conscience de mon état, ne songeant à rien, et dans une vague somnolence qui n'était ni le sommeil du corps, ni le réveil de l'âme. Je suis restée assez longtemps ainsi ; puis, comme si je sortais d'un long évanouissement, je me suis réveillée peu à peu au milieu de frères que je ne connaissais pas ; ils me prodiguaient leurs soins et leurs caresses ; me montraient un point dans l'espace qui ressemblait à une étoile brillante, et m'ont dit : « C'est là que tu vas venir avec nous ; tu n'appartiens plus à la terre. » Alors je me suis souvenue ; je me suis appuyée sur eux, et, comme un groupe gracieux qui s'élance vers les sphères inconnues, mais avec la certitude d'y trouver le bonheur… Nous sommes montés, montés, et l'étoile grossissait ; c'était un monde heureux, un monde supérieur, où votre bonne amie va enfin trouver le repos ; je veux dire le repos eu égard aux fatigues corporelles que j'ai endurées et aux vicissitudes de la vie terrestre, mais non l'indolence de l'Esprit, car l'activité de l'Esprit est une jouissance.
D. Est-ce que vous avez définitivement quitté la terre ?
R. J'y laisse trop d'êtres qui me sont chers pour la quitter encore définitivement. J'y reviendrai donc en Esprit, car j'ai une mission à remplir auprès de mes petits-enfants. Vous savez bien d'ailleurs qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce que les Esprits qui stationnent dans les mondes supérieurs à la terre viennent la visiter.
D. La position où vous êtes semble devoir affaiblir vos rapports avec ceux que vous avez laissés ici-bas.
R. Non, mon ami ; l'amour rapproche les âmes. Croyez-moi, on peut être, sur la terre, plus près de ceux qui ont atteint la perfection que de ceux que l'infériorité et l'égoïsme font tourbillonner autour de la sphère terrestre. La charité et l'amour sont deux moteurs d'une attraction puissante. C'est le lien qui cimente l'union des âmes attachées l'une à l'autre, et la continue malgré la distance et les lieux. Il n'y a de distance que pour les corps matériels ; il n'y en a pas pour les Esprits.
D. D'après ce que vous avez dit dans votre précédente communication, sur vos instincts d'artiste, et le développement de l'art spirite, je croyais que, dans une nouvelle existence, vous en seriez un des premiers interprètes ?
R. Non ; c'est comme guide et Esprit protecteur que je dois donner des preuves au monde de la possibilité de faire des chefs-d'œuvre dans l'art spirite. Les enfants seront médiums peintres, et à l'âge où l'on ne fait que d'informes ébauches, ils peindront, non des choses de la terre, mais des choses des mondes où l'art a atteint toute sa perfection.
D. Quelle idée vous faites-vous maintenant de mes travaux concernant le Spiritisme ?
R. Je trouve que vous avez charge d'âmes, et que le fardeau est pénible à porter ; mais je vois le but, et sais que vous l'atteindrez ; je vous aiderai, s'il se peut, de mes conseils d'Esprit, pour que vous puissiez surmonter les difficultés qui vous seront suscitées, en vous engageant à propos à prendre certaines mesures propres à activer, de votre vivant, le mouvement rénovateur auquel pousse le Spiritisme. Votre ami Demeure, uni à l'Esprit de vérité, vous sera d'un concours plus utile encore ; il est plus savant et plus sérieux que moi ; mais, comme je sais que l'assistance des bons Esprits vous fortifie et vous soutient dans votre labeur, croyez que le mien vous sera assuré partout et toujours.
D. On pourrait induire de quelques-unes de vos paroles que vous ne donnerez pas une coopération personnelle très active à l'œuvre du Spiritisme.
R. Vous vous trompez ; mais je vois tant d'autres Esprits plus capables que moi de traiter cette question importante, qu'un sentiment invincible de timidité m'empêche, pour le moment, de vous répondre selon vos désirs. Cela viendra peut-être ; j'aurai plus de courage et de hardiesse, mais il faut auparavant que je les connaisse mieux. Il n'y a que quatre jours que je suis morte ; je suis encore sous le charme de l'éblouissement qui m'environne ; mon ami, ne le comprenez-vous pas ? Je ne puis suffire à exprimer les nouvelles sensations que j'éprouve. J'ai dû me faire violence pour m'arracher à la fascination qu'exercent sur mon être les merveilles qu'il admire. Je ne puis que bénir et adorer Dieu dans ses œuvres. Mais cela passera ; les Esprits m'assurent que
bientôt je serai accoutumée à toutes ces magnificences, et que je pourrai alors, avec ma lucidité d'Esprit, traiter toutes les questions relatives à la rénovation terrestre. Puis, avec tout cela, songez qu'en ce moment surtout, j'ai une famille à consoler. L'enthousiasme a envahi mon âme, et j'attends qu'il soit un peu passé pour vous entretenir du Spiritisme sérieux, et non du Spiritisme poétique qui n'est pas bon pour les hommes : ils ne le comprendraient pas.
Adieu, et à bientôt ; votre bonne amie qui vous aime et vous aimera toujours, mon maître, car c'est à vous qu'elle a dû la seule consolation durable et vraie qu'elle a éprouvée sur la terre.
Veuve Foulon.
Remarque. - Tout Spirite sérieux et éclairé tirera facilement de ces communications les enseignements qui en ressortent ; nous n'appellerons donc l'attention que sur deux points. Le premier, c'est que cet exemple nous montre la possibilité de ne plus s'incarner sur la terre et de passer d'ici dans un monde supérieur, sans être pour cela séparé des êtres affectionnés qu'on y laisse. Ceux donc qui redoutent la réincarnation à cause des misères de la vie peuvent s'en affranchir en faisant ce qu'il faut, c'est-à-dire en travaillant à leur amélioration. Tel celui qui ne veut pas végéter dans les rangs inférieurs doit s'instruire et travailler pour monter en grade.
Le second point, c'est la confirmation de cette vérité qu'après la mort nous sommes moins séparés des êtres qui nous sont chers que pendant la vie. Il y a quelques jours à peine, madame Foulon, retenue par l'âge et l'infirmité dans une petite ville du Midi, n'avait auprès d'elle qu'une partie de sa famille ; la plupart de ses enfants et de ses amis étant dispersés au loin, des obstacles matériels s'opposaient à ce qu'elle pût les voir aussi souvent que les uns et autres l'eussent désiré. Le grand éloignement rendait même la correspondance rare et difficile pour quelques-uns. A peine est-elle débarrassée de sa lourde enveloppe, que, légère, elle accourt auprès de chacun, franchit les distances sans fatigue avec la rapidité de l'électricité, les voit, assiste à leurs réunions intimes, les entoure de sa protection et peut, par la voie de la médiumnité, s'entretenir avec eux à tout instant, comme de son vivant. Et dire qu'à cette consolante pensée il y a des gens qui préfèrent celle d'une séparation indéfinie !
Nota. - Nous avons reçu trop tard pour pouvoir le reproduire l'intéressant article nécrologique détaillé publié dans le Journal du Havre du 10 février, notre numéro étant composé et complet, et au moment d'être mis sous presse.
« Une artiste aimée et estimée au Havre, madame veuve Foulon, miniaturiste habile, est décédée le 3 février à Antibes, où elle était allée chercher, dans un climat plus doux, le rétablissement d'une santé altérée par le travail autant que par l'âge. »
Ayant personnellement et très intimement connu madame Foulon, nous sommes heureux de pouvoir compléter la juste mais trop courte notice ci-dessus. En cela, nous remplissons un devoir d'amitié, en même temps que c'est un hommage mérité rendu à des vertus ignorées, et un salutaire exemple pour tout le monde et pour les Spirites en particulier, qui y puiseront de précieux enseignements.
Comme artiste, madame Foulon avait un talent remarquable ; ses ouvrages, justement appréciés dans maintes expositions, lui ont valu de nombreuses récompenses honorifiques. C'est là un mérite, sans doute, mais qui n'a rien d'exceptionnel. Ce qui la faisait surtout aimer et estimer, ce qui rend sa mémoire chère à tous ceux qui l'ont connue, c'est l'aménité de son caractère ; ce sont ses qualités privées dont ceux qui connaissent sa vie intime peuvent seuls apprécier toute l'étendue ; car, comme tous ceux en qui le sentiment du bien est inné, elle n'en faisait point étalage, elle ne s'en doutait même pas. S'il est quelqu'un sur qui l'égoïsme n'avait aucune prise, c'était elle, sans doute ; jamais peut-être le sentiment de l'abnégation personnelle ne fut porté plus loin ; toujours prête à sacrifier son repos, sa santé, ses intérêts pour ceux à qui elle pouvait être utile, sa vie n'a été qu'une longue suite de dévouements, comme elle n'a été, depuis sa jeunesse, qu'une longue suite de rudes et cruelles épreuves devant lesquelles son courage, sa résignation et sa persévérance n'ont jamais failli. Des revers de fortune ne lui ayant laissé que son talent pour unique ressource, c'est avec ses pinceaux seuls, soit en donnant des leçons, soit en faisant des portraits, qu'elle a élevé une très nombreuse famille et assuré une honorable position à tous ses enfants. Il faut avoir connu sa vie intime pour savoir tout ce qu'elle a enduré de fatigues et de privations, toutes les difficultés contre lesquelles elle a eu à lutter pour atteindre son but. Mais, hélas ! sa vue, fatiguée par le travail attachant de la miniature, s'éteignait de jour en jour ; encore quelque temps, et la cécité, déjà très avancée, eût été complète.
Lorsqu'il y a quelques années, madame Foulon eut connaissance de la doctrine spirite, ce fut pour elle comme un trait de lumière ; il lui sembla qu'un voile se levait sur quelque chose qui ne lui était point inconnu, mais dont elle n'avait qu'une vague intuition ; aussi l'étudia-t-elle avec ardeur, mais en même temps avec cette lucidité d'esprit, cette justesse d'appréciation qui était le propre de sa haute intelligence. Il faut connaître toutes les perplexités de sa vie, perplexités qui avaient toujours pour mobile, non elle-même, mais les êtres qui lui étaient chers, pour comprendre toutes les consolations qu'elle puisa dans cette sublime révélation qui lui donnait une foi inébranlable dans l'avenir, et lui montrait le néant des choses terrestres. Sans le respect dû aux choses intimes, que de grands enseignements sortiraient de la dernière période de cette vie si féconde en émotions ! Aussi l'assistance des bons Esprits ne lui fit pas défaut ; les instructions et les enseignements qu'ils se sont plu à prodiguer à cette âme d'élite forment un recueil des plus édifiants, mais tout intime, dont nous sommes heureux d'avoir été plus d'une fois l'agent provocateur. Aussi sa mort a été digne de sa vie. Elle en a vu les approches sans aucune appréhension pénible : c'était pour elle la délivrance des liens terrestres qui devait lui ouvrir cette vie spirituelle bienheureuse avec laquelle elle s'était identifiée par l'étude du Spiritisme.
Elle est morte avec calme, parce qu'elle avait la conscience d'avoir accompli la mission qu'elle avait acceptée en venant sur la terre, d'avoir scrupuleusement rempli ses devoirs d'épouse et de mère de famille ; parce qu'aussi elle avait, pendant sa vie, abjuré tout ressentiment contre ceux dont elle avait à se plaindre, et qui l'avaient payé d'ingratitude ; qu'elle leur a toujours rendu le bien pour le mal, et qu'elle a quitté la vie en leur pardonnant, s'en remettant pour elle-même à la bonté et à la justice de Dieu. Elle est morte enfin avec la sérénité que donne une conscience pure, et la certitude d'être moins séparée de ses enfants que pendant la vie corporelle, puisqu'elle pourra désormais être avec eux en Esprit, sur quelque point du globe qu'ils se trouvent, les aider de ses conseils, et les couvrir de sa protection. Maintenant, quel est son sort dans le monde où elle se trouve ? Les Spirites le pressentent déjà ; mais laissons-la elle-même rendre compte de ses impressions.
Elle est morte, comme ou l'a vu, le 3 février ; nous en reçûmes la nouvelle le 6 et notre premier désir fût de nous entretenir avec elle, si cela était possible. Nous étions nous-même à ce moment atteint d'une grave maladie, ce qui explique quelques-unes de ses paroles. Il est à remarquer que le médium ne la connaissait point, et ignorait les particularités de sa vie dont elle parle spontanément. Voici sa première communication, qui fut donnée le 6 février :
5 février 1865. - Médium, madame Cazemajour J'étais sûre que vous auriez la pensée de m'évoquer aussitôt après ma délivrance, et je me tenais prête à vous répondre, car je n'ai pas connu de trouble ; il n'y a que ceux qui ont peur qui sont enveloppés de ses épaisses ténèbres.
Eh bien, mon ami, je suis heureuse maintenant ; ces pauvres yeux qui s'étaient affaiblis et qui ne me laissaient que le souvenir des prismes qui avaient coloré ma jeunesse de leur chatoyant éclat, se sont ouverts ici, et ont retrouvé les splendides horizons qu'idéalisent, dans leurs vagues reproductions, quelques-uns de vos grands artistes, mais dont la réalité majestueuse, sévère et pourtant pleine de charmes, est empreinte de la plus complète réalité.
Il n'y a que trois jours que je suis morte, et je sens que je suis artiste ; mes aspirations vers l'idéal de la beauté dans l'art n'étaient que l'intuition d'une faculté que j'avais étudiée et acquise dans d'autres existences et qui se sont développées dans ma dernière. Mais que j'ai à faire pour reproduire un chef-d'œuvre digne de la grande scène qui frappe l'esprit en arrivant dans la région de la lumière ! Des pinceaux ! des pinceaux ! et je prouverai au monde que l'art spirite est le couronnement de l'art païen, de l'art chrétien qui périclite, et qu'au Spiritisme seul est réservée la gloire de le faire revivre dans tout son éclat sur votre monde déshérité.
Assez pour l'artiste ; au tour de l'amie.
Pourquoi, bonne amie (madame Allan Kardec), vous affecter ainsi de ma mort ? Vous surtout qui connaissez les déceptions et les amertumes de ma vie, vous devriez vous réjouir, au contraire, de voir que maintenant je n'ai plus à boire dans la coupe amère des douleurs terrestres que j'ai vidée jusqu'à la lie. Croyez-moi, les morts sont plus heureux que les vivants, et c'est douter de la vérité du Spiritisme de les pleurer. Vous me reverrez, soyez-en sûre ; je suis partie la première, parce que ma tâche était finie ici-bas ; chacun a la sienne à remplir sur la terre, et quand la vôtre sera finie, vous viendrez vous reposer un peu près de moi, pour recommencer ensuite, s'il le faut, attendu qu'il n'est pas dans la nature de rester inactif. Chacun a ses tendances et y obéit ; c'est une loi suprême qui prouve la puissance du libre arbitre ; aussi, bonne amie, indulgence et charité, nous en avons tous besoin réciproquement, soit dans le monde visible, soit dans le monde invisible ; avec cette devise, tout va bien.
Vous ne me diriez pas de m'arrêter. Savez-vous que je cause longuement pour la première fois ! aussi je vous laisse ; au tour de mon excellent ami, M. Kardec. Je veux le remercier des affectueuses paroles qu'il a bien voulu adresser à l'amie qui l'a devancé dans la tombe ; car nous avons failli partir ensemble pour le monde où je me trouve, mon bon ami ! (Nous étions tombé malade le 31 janvier). Qu'aurait-elle dit la compagne bien-aimée de vos jours, si les bons Esprits n'y avaient mis bon ordre ? c'est alors qu'elle aurait pleuré et gémi ! et je le comprends ; mais aussi il faut qu'elle veille à ce que vous ne vous exposiez pas de nouveau au danger avant d'avoir fini votre travail d'initiation spirite, sans cela vous courrez risque d'arriver trop tôt parmi nous, et de ne voir, comme Moïse, la Terre Promise que de loin. Tenez-vous donc sur vos gardes, c'est une amie qui vous en prévient.
Maintenant, je m'en vais ; je retourne près de mes chers enfants ; puis, je vais voir, par delà les mers, si ma brebis voyageuse est enfin arrivée au port, ou si elle est le jouet de la tempête. Que les bons Esprits la protègent ; je vais me joindre à eux pour cela. Je reviendrai causer avec vous, car je suis une causeuse infatigable ; vous vous en souvenez. Au revoir donc, bons et chers amis ; à bientôt.
Veuve Foulon.
Remarque. - Sa brebis voyageuse est une de ses filles, qui habite l'Amérique, et qui venait de faire un long et pénible voyage.
On ne redoute la mort que par l'incertitude de ce qui se passe à ce moment suprême, et de ce qu'il en est de nous au delà. La croyance vague en la vie future ne suffit pas toujours pour calmer l'appréhension de l'inconnu. Toutes les communications qui ont pour but de nous initier aux détails et aux impressions du passage, tendent à dissiper cette crainte, en ce qu'elles nous familiarisent et nous identifient avec la transition qui s'opère en nous. A ce point de vue, celles de madame Foulon, et celles du docteur Demeure qui font suite, sont éminemment instructives. La situation des Esprits après la mort étant essentiellement variable, selon la diversité des aptitudes, des qualités et du caractère de chacun, ce n'est que par la multiplicité des exemples qu'on peut arriver à connaître l'état réel du monde invisible.
8 février 1865 Spontané. Me voilà chez vous bien plus tôt que je ne croyais, et très heureuse de vous revoir, surtout maintenant que vous allez mieux, et que bientôt, je l'espère, vous serez complètement rétabli. Mais je veux que vous m'adressiez les questions qui vous intéressent ; j'y répondrai mieux ; sans cela je cours risque de causer avec vous à bâtons rompus, et il faut que nous causions de choses purement sérieuses ; n'est-ce pas, mon bon maître spirite ?
D. Chère madame Foulon, je suis bien heureux de la communication que vous m'avez fait donner l'autre jour, et de votre promesse de continuer nos entretiens.
Je vous ai parfaitement reconnue dans la communication ; vous y parlez de choses ignorées du médium, et qui ne peuvent venir que de vous ; puis votre langage affectueux à notre égard est bien celui de votre âme aimante ; mais il y a dans votre langage une assurance, un aplomb, une fermeté que je ne vous connaissais pas de votre vivant. Vous savez qu'à ce sujet, je me suis permis plus d'une admonition en certaines circonstances.
R. C'est vrai ; mais dès que je me suis vue gravement malade, j'ai recouvré ma fermeté d'esprit, perdue par les chagrins et les vicissitudes qui m'avaient parfois rendue craintive pendant la vie. Je me suis dit : Tu es Spirite ; oublie la terre ; prépare-toi à la transformation de ton être, et vois, par la pensée, le sentier lumineux que doit suivre ton âme en quittant ton corps, et qui la conduira, heureuse et délivrée, dans les sphères célestes où tu dois vivre désormais.
Vous me direz que c'était un peu présomptueux de ma part de compter sur le bonheur parfait en quittant la terre, mais j'avais tant souffert, que j'avais dû expier mes fautes de cette existence et des existences précédentes. Cette intuition ne m'avait pas trompée, et c'est elle qui m'a rendu le courage, le calme et la fermeté des derniers instants ; cette fermeté s'est naturellement accrue quand, après ma délivrance, j'ai vu mes espérances réalisées.
D. Veuillez maintenant nous décrire votre passage, votre réveil et vos premières impressions.
R. J'ai souffert, mais mon Esprit a été plus fort que la souffrance matérielle que le dégagement lui faisait éprouver. Je me suis trouvée, après le suprême soupir, comme en syncope, n'ayant aucune conscience de mon état, ne songeant à rien, et dans une vague somnolence qui n'était ni le sommeil du corps, ni le réveil de l'âme. Je suis restée assez longtemps ainsi ; puis, comme si je sortais d'un long évanouissement, je me suis réveillée peu à peu au milieu de frères que je ne connaissais pas ; ils me prodiguaient leurs soins et leurs caresses ; me montraient un point dans l'espace qui ressemblait à une étoile brillante, et m'ont dit : « C'est là que tu vas venir avec nous ; tu n'appartiens plus à la terre. » Alors je me suis souvenue ; je me suis appuyée sur eux, et, comme un groupe gracieux qui s'élance vers les sphères inconnues, mais avec la certitude d'y trouver le bonheur… Nous sommes montés, montés, et l'étoile grossissait ; c'était un monde heureux, un monde supérieur, où votre bonne amie va enfin trouver le repos ; je veux dire le repos eu égard aux fatigues corporelles que j'ai endurées et aux vicissitudes de la vie terrestre, mais non l'indolence de l'Esprit, car l'activité de l'Esprit est une jouissance.
D. Est-ce que vous avez définitivement quitté la terre ?
R. J'y laisse trop d'êtres qui me sont chers pour la quitter encore définitivement. J'y reviendrai donc en Esprit, car j'ai une mission à remplir auprès de mes petits-enfants. Vous savez bien d'ailleurs qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce que les Esprits qui stationnent dans les mondes supérieurs à la terre viennent la visiter.
D. La position où vous êtes semble devoir affaiblir vos rapports avec ceux que vous avez laissés ici-bas.
R. Non, mon ami ; l'amour rapproche les âmes. Croyez-moi, on peut être, sur la terre, plus près de ceux qui ont atteint la perfection que de ceux que l'infériorité et l'égoïsme font tourbillonner autour de la sphère terrestre. La charité et l'amour sont deux moteurs d'une attraction puissante. C'est le lien qui cimente l'union des âmes attachées l'une à l'autre, et la continue malgré la distance et les lieux. Il n'y a de distance que pour les corps matériels ; il n'y en a pas pour les Esprits.
D. D'après ce que vous avez dit dans votre précédente communication, sur vos instincts d'artiste, et le développement de l'art spirite, je croyais que, dans une nouvelle existence, vous en seriez un des premiers interprètes ?
R. Non ; c'est comme guide et Esprit protecteur que je dois donner des preuves au monde de la possibilité de faire des chefs-d'œuvre dans l'art spirite. Les enfants seront médiums peintres, et à l'âge où l'on ne fait que d'informes ébauches, ils peindront, non des choses de la terre, mais des choses des mondes où l'art a atteint toute sa perfection.
D. Quelle idée vous faites-vous maintenant de mes travaux concernant le Spiritisme ?
R. Je trouve que vous avez charge d'âmes, et que le fardeau est pénible à porter ; mais je vois le but, et sais que vous l'atteindrez ; je vous aiderai, s'il se peut, de mes conseils d'Esprit, pour que vous puissiez surmonter les difficultés qui vous seront suscitées, en vous engageant à propos à prendre certaines mesures propres à activer, de votre vivant, le mouvement rénovateur auquel pousse le Spiritisme. Votre ami Demeure, uni à l'Esprit de vérité, vous sera d'un concours plus utile encore ; il est plus savant et plus sérieux que moi ; mais, comme je sais que l'assistance des bons Esprits vous fortifie et vous soutient dans votre labeur, croyez que le mien vous sera assuré partout et toujours.
D. On pourrait induire de quelques-unes de vos paroles que vous ne donnerez pas une coopération personnelle très active à l'œuvre du Spiritisme.
R. Vous vous trompez ; mais je vois tant d'autres Esprits plus capables que moi de traiter cette question importante, qu'un sentiment invincible de timidité m'empêche, pour le moment, de vous répondre selon vos désirs. Cela viendra peut-être ; j'aurai plus de courage et de hardiesse, mais il faut auparavant que je les connaisse mieux. Il n'y a que quatre jours que je suis morte ; je suis encore sous le charme de l'éblouissement qui m'environne ; mon ami, ne le comprenez-vous pas ? Je ne puis suffire à exprimer les nouvelles sensations que j'éprouve. J'ai dû me faire violence pour m'arracher à la fascination qu'exercent sur mon être les merveilles qu'il admire. Je ne puis que bénir et adorer Dieu dans ses œuvres. Mais cela passera ; les Esprits m'assurent que
bientôt je serai accoutumée à toutes ces magnificences, et que je pourrai alors, avec ma lucidité d'Esprit, traiter toutes les questions relatives à la rénovation terrestre. Puis, avec tout cela, songez qu'en ce moment surtout, j'ai une famille à consoler. L'enthousiasme a envahi mon âme, et j'attends qu'il soit un peu passé pour vous entretenir du Spiritisme sérieux, et non du Spiritisme poétique qui n'est pas bon pour les hommes : ils ne le comprendraient pas.
Adieu, et à bientôt ; votre bonne amie qui vous aime et vous aimera toujours, mon maître, car c'est à vous qu'elle a dû la seule consolation durable et vraie qu'elle a éprouvée sur la terre.
Veuve Foulon.
Remarque. - Tout Spirite sérieux et éclairé tirera facilement de ces communications les enseignements qui en ressortent ; nous n'appellerons donc l'attention que sur deux points. Le premier, c'est que cet exemple nous montre la possibilité de ne plus s'incarner sur la terre et de passer d'ici dans un monde supérieur, sans être pour cela séparé des êtres affectionnés qu'on y laisse. Ceux donc qui redoutent la réincarnation à cause des misères de la vie peuvent s'en affranchir en faisant ce qu'il faut, c'est-à-dire en travaillant à leur amélioration. Tel celui qui ne veut pas végéter dans les rangs inférieurs doit s'instruire et travailler pour monter en grade.
Le second point, c'est la confirmation de cette vérité qu'après la mort nous sommes moins séparés des êtres qui nous sont chers que pendant la vie. Il y a quelques jours à peine, madame Foulon, retenue par l'âge et l'infirmité dans une petite ville du Midi, n'avait auprès d'elle qu'une partie de sa famille ; la plupart de ses enfants et de ses amis étant dispersés au loin, des obstacles matériels s'opposaient à ce qu'elle pût les voir aussi souvent que les uns et autres l'eussent désiré. Le grand éloignement rendait même la correspondance rare et difficile pour quelques-uns. A peine est-elle débarrassée de sa lourde enveloppe, que, légère, elle accourt auprès de chacun, franchit les distances sans fatigue avec la rapidité de l'électricité, les voit, assiste à leurs réunions intimes, les entoure de sa protection et peut, par la voie de la médiumnité, s'entretenir avec eux à tout instant, comme de son vivant. Et dire qu'à cette consolante pensée il y a des gens qui préfèrent celle d'une séparation indéfinie !
Nota. - Nous avons reçu trop tard pour pouvoir le reproduire l'intéressant article nécrologique détaillé publié dans le Journal du Havre du 10 février, notre numéro étant composé et complet, et au moment d'être mis sous presse.
Le docteur Demeure
Mort à Albi (Tarn), le 26 janvier
1865.
Encore une âme d'élite qui vient de quitter la terre ! M. Demeure
était un médecin homéopathe très distingué d'Albi. Son caractère,
autant que son savoir, lui avait concilié l'estime et la vénération de
ses concitoyens. Nous ne l'avons connu que par sa correspondance et
celle de ses amis, mais elle a suffi pour nous révéler toute la grandeur
et toute la noblesse de ses sentiments. Sa bonté et sa charité étaient
inépuisables, et, malgré son grand âge, aucune fatigue ne lui coûtait
quand il s'agissait d'aller donner des soins à de pauvres malades. Le
prix de ses visites était le moindre de ses soucis ; il regardait moins à
se déranger pour le malheureux que pour celui qu'il savait pouvoir
payer, parce que, disait-il, ce dernier, à défaut de lui, pouvait
toujours se procurer un médecin. Au premier, non seulement il donnait
les remèdes gratuitement, mais souvent il laissait de quoi subvenir aux
besoins matériels, ce qui, parfois, est le plus utile des médicaments.
On peut dire de lui qu'il était le Curé d'Ars de la médecine.
M. Demeure avait embrassé avec ardeur la doctrine spirite, dans laquelle il avait trouvé la clef des plus graves problèmes dont il avait vainement demandé la solution à la science et à toutes les philosophies. Son esprit profond et investigateur lui en fit immédiatement comprendre toute la portée, aussi fut-il un de ses plus zélés propagateurs. Quoique nous ne nous fussions jamais vus, il nous disait, dans une de ses lettres, qu'il avait la conviction que nous n'étions point étrangers l'un à l'autre, et que des rapports antérieurs existaient entre nous. Son empressement à se rendre auprès de nous dès qu'il fut mort, sa sollicitude pour nous et les soins qu'il nous a rendus dans la circonstance où nous nous trouvions à ce moment, le rôle qu'il paraît appelé à remplir, semblent confirmer cette prévision que nous n'avons pas encore pu vérifier.
Nous apprîmes sa mort le 30 janvier, et notre première pensée fut de nous entretenir avec lui. Voici la communication qu'il nous donna le soir même par l'intermédiaire de madame Cazemajour, médium.
« Me voilà. Je m'étais promis, vivant, que, dès que je serais mort, je viendrais, si cela m'était possible, serrer la main à mon cher maître et ami, M. Allan Kardec.
La mort avait donné à mon âme ce lourd sommeil qu'on nomme léthargie ; mais ma pensée veillait. J'ai secoué cette torpeur funeste qui prolonge le trouble qui suit la mort, je me suis réveillé, et d'un bond j'ai fait le voyage.
Que je suis heureux ! Je ne suis plus vieux ni infirme ; mon corps n'était qu'un déguisement imposé ; je suis jeune et beau, beau de cette éternelle jeunesse des Esprits dont les rides ne plissent jamais le visage, dont les cheveux ne blanchissent pas sous la durée du temps. Je suis léger comme l'oiseau qui traverse d'un vol rapide l'horizon de votre ciel nébuleux, et j'admire, je contemple, je bénis, j'aime et je m'incline, atome, devant la grandeur, la sagesse, la science de notre Créateur, devant les merveilles qui m'entourent.
J'étais près de vous, cher et vénéré ami, quand M. Sabó a parlé de faire mon évocation, et je l'ai suivi.
Je suis heureux ; je suis dans la gloire ! Oh! qui pourra jamais redire les splendides beautés de la terre des élus : les cieux, les mondes, les soleils, leur rôle dans le grand concours de l'harmonie universelle ? Eh bien ! j'essayerai, ô mon maître ; je vais en faire l'étude, je viendrai déposer près de vous l'hommage de mes travaux d'Esprit que je vous dédie à l'avance. A bientôt.
Demeure. »
Remarque. - Les deux communications suivantes, données le 1er et le 2 février, sont relatives à la maladie dont nous fûmes atteint subitement le 31 janvier. Quoiqu'elles soient personnelles, nous les reproduisons, parce qu'elles prouvent que M. Demeure est aussi bon comme Esprit qu'il l'était comme homme, et qu'elles offrent en outre un enseignement. C'est un témoignage de gratitude que nous devons à la sollicitude dont nous avons été l'objet de sa part en cette circonstance :
« Mon bon ami, ayez confiance en nous, et bon courage ; cette crise, quoique fatigante et douloureuse, ne sera pas longue, et, avec les ménagements prescrits, vous pourrez, selon vos désirs, compléter l'œuvre dont votre existence a été le but principal. C'est pourtant moi qui suis toujours là, près de vous, avec l'Esprit de vérité, qui me permets de prendre en son nom la parole comme le dernier de vos amis venus parmi les Esprits ! Ils me font les honneurs de la bienvenue. Cher maître, que je suis heureux d'être mort à temps pour être avec eux en ce moment ! Si j'étais mort plus tôt, j'aurais peut-être pu vous éviter cette crise que je ne prévoyais pas ; il y avait trop peu de temps que j'étais désincarné pour m'occuper d'autre chose que du spirituel ; mais maintenant je veillerai sur vous, cher maître, c'est votre frère et ami qui est heureux d'être Esprit pour être auprès de vous et vous donner des soins dans votre maladie ; mais vous connaissez le proverbe : « Aide-toi, le ciel t'aidera. » Aidez donc les bons Esprits dans les soins qu'ils vous donnent, en vous conformant strictement à leurs prescriptions.
Il fait trop chaud ici ; ce charbon est fatigant. Tant que vous êtes malade, n'en brûlez pas ; il continue à augmenter votre oppression ; les gaz qui s'en dégagent sont délétères.
Votre ami, Demeure. »
« C'est moi, Demeure, l'ami de M. Kardec. Je viens lui dire que j'étais près de lui lors de l'accident qui lui est arrivé, et qui aurait pu être funeste sans une intervention efficace à laquelle j'ai été heureux de concourir. D'après mes observations et les renseignements que j'ai puisés à bonne source, il est évident pour moi que, plus tôt sa désincarnation s'opérera, plus tôt pourra se faire la réincarnation par laquelle il viendra achever son œuvre. Cependant il lui faut donner, avant de partir, la dernière main aux ouvrages qui doivent compléter la théorie doctrinale dont il est l'initiateur, et il se rend coupable d'homicide volontaire en contribuant, par excès de travail, à la défectuosité de son organisation qui le menace d'un subit départ pour nos mondes. Il ne faut pas craindre de lui dire toute la vérité, pour qu'il se tienne sur ses gardes et suive à la lettre nos prescriptions.
Demeure. »
La communication suivante a été obtenue à Montauban, le 1er février, dans le cercle des amis spirites qu'il avait dans cette ville.
« Antoine Demeure. Je ne suis pas mort pour vous, mes bons amis, mais pour ceux qui ne connaissent pas, comme vous, cette sainte doctrine qui réunit ceux qui se sont aimés sur cette terre, et qui ont eu les mêmes pensées et les mêmes sentiments d'amour et de charité.
Je suis heureux ; plus heureux que je ne pouvais l'espérer, car je jouis d'une lucidité rare chez les Esprits dégagés de la matière depuis si peu de temps. Prenez courage, mes bons amis ; je serai souvent près de vous, et ne manquerai pas de vous instruire sur bien des choses que nous ignorons lorsque nous sommes attachés à notre pauvre matière qui nous cache tant de magnificences et tant de jouissances. Priez pour ceux qui sont privés de ce bonheur, car ils ne savent pas le mal qu'ils se font à eux-mêmes.
Je ne continuerai pas plus longtemps aujourd'hui, mais je vous dirai que je ne me trouve pas du tout étranger dans ce monde des invisibles ; il me semble que j'ai toujours habité. J'y suis heureux, car je vois mes amis, et je peux me communiquer à eux toutes les fois que je le désire.
Ne pleurez pas, mes amis ; vous me feriez regretter de vous avoir connus. Laissez faire le temps, et Dieu vous conduira à ce séjour où nous devons tous nous trouver réunis. Bonsoir, mes amis : que Dieu vous console ; je suis là près de vous.
Demeure. »
Remarque. - La situation de M. Demeure, comme Esprit, est bien celle que pouvait faire pressentir sa vie si dignement et si utilement remplie ; mais un autre fait non moins instructif ressort de ses communications, c'est l'activité qu'il déploie presque immédiatement après sa mort pour être utile. Par sa haute intelligence et ses qualités morales, il appartient à l'ordre des Esprits très avancés ; il est très heureux, mais son bonheur n'est pas dans l'inaction. A quelques jours de distance, il soignait des malades comme médecin, et, à peine dégagé, il s'empresse d'aller en soigner comme Esprit. Que gagne-t-on donc à être dans l'autre monde, diront certaines personnes, si l'on n'y jouit pas du repos ? A cela nous leur demanderons d'abord si ce n'est rien de n'avoir plus ni les soucis, ni les besoins, ni les infirmités de la vie, d'être libre, et de pouvoir, sans fatigue, parcourir l'espace avec la rapidité de la pensée, aller voir ses amis à toute heure, à quelque distance qu'ils se trouvent ? Puis nous ajouterons : Lorsque vous serez dans l'autre monde, rien ne vous forcera de faire quoi que ce soit ; vous serez parfaitement libres de rester dans une béate oisiveté aussi longtemps que cela vous plaira ; mais vous vous lasserez bientôt de cette oisiveté égoïste ; vous serez les premiers à demander une occupation. Alors il vous sera répondu : Si vous vous ennuyez de ne rien faire, cherchez vous-mêmes à faire quelque chose ; les occasions d'être utile ne manquent pas plus dans le monde des Esprits que parmi les hommes. C'est ainsi que l'activité spirituelle n'est point une contrainte ; elle est un besoin, une satisfaction pour les Esprits qui recherchent les occupations en rapport avec leurs goûts et leurs aptitudes, et choisissent de préférence celles qui peuvent aider à leur avancement.
M. Demeure avait embrassé avec ardeur la doctrine spirite, dans laquelle il avait trouvé la clef des plus graves problèmes dont il avait vainement demandé la solution à la science et à toutes les philosophies. Son esprit profond et investigateur lui en fit immédiatement comprendre toute la portée, aussi fut-il un de ses plus zélés propagateurs. Quoique nous ne nous fussions jamais vus, il nous disait, dans une de ses lettres, qu'il avait la conviction que nous n'étions point étrangers l'un à l'autre, et que des rapports antérieurs existaient entre nous. Son empressement à se rendre auprès de nous dès qu'il fut mort, sa sollicitude pour nous et les soins qu'il nous a rendus dans la circonstance où nous nous trouvions à ce moment, le rôle qu'il paraît appelé à remplir, semblent confirmer cette prévision que nous n'avons pas encore pu vérifier.
Nous apprîmes sa mort le 30 janvier, et notre première pensée fut de nous entretenir avec lui. Voici la communication qu'il nous donna le soir même par l'intermédiaire de madame Cazemajour, médium.
« Me voilà. Je m'étais promis, vivant, que, dès que je serais mort, je viendrais, si cela m'était possible, serrer la main à mon cher maître et ami, M. Allan Kardec.
La mort avait donné à mon âme ce lourd sommeil qu'on nomme léthargie ; mais ma pensée veillait. J'ai secoué cette torpeur funeste qui prolonge le trouble qui suit la mort, je me suis réveillé, et d'un bond j'ai fait le voyage.
Que je suis heureux ! Je ne suis plus vieux ni infirme ; mon corps n'était qu'un déguisement imposé ; je suis jeune et beau, beau de cette éternelle jeunesse des Esprits dont les rides ne plissent jamais le visage, dont les cheveux ne blanchissent pas sous la durée du temps. Je suis léger comme l'oiseau qui traverse d'un vol rapide l'horizon de votre ciel nébuleux, et j'admire, je contemple, je bénis, j'aime et je m'incline, atome, devant la grandeur, la sagesse, la science de notre Créateur, devant les merveilles qui m'entourent.
J'étais près de vous, cher et vénéré ami, quand M. Sabó a parlé de faire mon évocation, et je l'ai suivi.
Je suis heureux ; je suis dans la gloire ! Oh! qui pourra jamais redire les splendides beautés de la terre des élus : les cieux, les mondes, les soleils, leur rôle dans le grand concours de l'harmonie universelle ? Eh bien ! j'essayerai, ô mon maître ; je vais en faire l'étude, je viendrai déposer près de vous l'hommage de mes travaux d'Esprit que je vous dédie à l'avance. A bientôt.
Demeure. »
Remarque. - Les deux communications suivantes, données le 1er et le 2 février, sont relatives à la maladie dont nous fûmes atteint subitement le 31 janvier. Quoiqu'elles soient personnelles, nous les reproduisons, parce qu'elles prouvent que M. Demeure est aussi bon comme Esprit qu'il l'était comme homme, et qu'elles offrent en outre un enseignement. C'est un témoignage de gratitude que nous devons à la sollicitude dont nous avons été l'objet de sa part en cette circonstance :
« Mon bon ami, ayez confiance en nous, et bon courage ; cette crise, quoique fatigante et douloureuse, ne sera pas longue, et, avec les ménagements prescrits, vous pourrez, selon vos désirs, compléter l'œuvre dont votre existence a été le but principal. C'est pourtant moi qui suis toujours là, près de vous, avec l'Esprit de vérité, qui me permets de prendre en son nom la parole comme le dernier de vos amis venus parmi les Esprits ! Ils me font les honneurs de la bienvenue. Cher maître, que je suis heureux d'être mort à temps pour être avec eux en ce moment ! Si j'étais mort plus tôt, j'aurais peut-être pu vous éviter cette crise que je ne prévoyais pas ; il y avait trop peu de temps que j'étais désincarné pour m'occuper d'autre chose que du spirituel ; mais maintenant je veillerai sur vous, cher maître, c'est votre frère et ami qui est heureux d'être Esprit pour être auprès de vous et vous donner des soins dans votre maladie ; mais vous connaissez le proverbe : « Aide-toi, le ciel t'aidera. » Aidez donc les bons Esprits dans les soins qu'ils vous donnent, en vous conformant strictement à leurs prescriptions.
Il fait trop chaud ici ; ce charbon est fatigant. Tant que vous êtes malade, n'en brûlez pas ; il continue à augmenter votre oppression ; les gaz qui s'en dégagent sont délétères.
Votre ami, Demeure. »
« C'est moi, Demeure, l'ami de M. Kardec. Je viens lui dire que j'étais près de lui lors de l'accident qui lui est arrivé, et qui aurait pu être funeste sans une intervention efficace à laquelle j'ai été heureux de concourir. D'après mes observations et les renseignements que j'ai puisés à bonne source, il est évident pour moi que, plus tôt sa désincarnation s'opérera, plus tôt pourra se faire la réincarnation par laquelle il viendra achever son œuvre. Cependant il lui faut donner, avant de partir, la dernière main aux ouvrages qui doivent compléter la théorie doctrinale dont il est l'initiateur, et il se rend coupable d'homicide volontaire en contribuant, par excès de travail, à la défectuosité de son organisation qui le menace d'un subit départ pour nos mondes. Il ne faut pas craindre de lui dire toute la vérité, pour qu'il se tienne sur ses gardes et suive à la lettre nos prescriptions.
Demeure. »
La communication suivante a été obtenue à Montauban, le 1er février, dans le cercle des amis spirites qu'il avait dans cette ville.
« Antoine Demeure. Je ne suis pas mort pour vous, mes bons amis, mais pour ceux qui ne connaissent pas, comme vous, cette sainte doctrine qui réunit ceux qui se sont aimés sur cette terre, et qui ont eu les mêmes pensées et les mêmes sentiments d'amour et de charité.
Je suis heureux ; plus heureux que je ne pouvais l'espérer, car je jouis d'une lucidité rare chez les Esprits dégagés de la matière depuis si peu de temps. Prenez courage, mes bons amis ; je serai souvent près de vous, et ne manquerai pas de vous instruire sur bien des choses que nous ignorons lorsque nous sommes attachés à notre pauvre matière qui nous cache tant de magnificences et tant de jouissances. Priez pour ceux qui sont privés de ce bonheur, car ils ne savent pas le mal qu'ils se font à eux-mêmes.
Je ne continuerai pas plus longtemps aujourd'hui, mais je vous dirai que je ne me trouve pas du tout étranger dans ce monde des invisibles ; il me semble que j'ai toujours habité. J'y suis heureux, car je vois mes amis, et je peux me communiquer à eux toutes les fois que je le désire.
Ne pleurez pas, mes amis ; vous me feriez regretter de vous avoir connus. Laissez faire le temps, et Dieu vous conduira à ce séjour où nous devons tous nous trouver réunis. Bonsoir, mes amis : que Dieu vous console ; je suis là près de vous.
Demeure. »
Remarque. - La situation de M. Demeure, comme Esprit, est bien celle que pouvait faire pressentir sa vie si dignement et si utilement remplie ; mais un autre fait non moins instructif ressort de ses communications, c'est l'activité qu'il déploie presque immédiatement après sa mort pour être utile. Par sa haute intelligence et ses qualités morales, il appartient à l'ordre des Esprits très avancés ; il est très heureux, mais son bonheur n'est pas dans l'inaction. A quelques jours de distance, il soignait des malades comme médecin, et, à peine dégagé, il s'empresse d'aller en soigner comme Esprit. Que gagne-t-on donc à être dans l'autre monde, diront certaines personnes, si l'on n'y jouit pas du repos ? A cela nous leur demanderons d'abord si ce n'est rien de n'avoir plus ni les soucis, ni les besoins, ni les infirmités de la vie, d'être libre, et de pouvoir, sans fatigue, parcourir l'espace avec la rapidité de la pensée, aller voir ses amis à toute heure, à quelque distance qu'ils se trouvent ? Puis nous ajouterons : Lorsque vous serez dans l'autre monde, rien ne vous forcera de faire quoi que ce soit ; vous serez parfaitement libres de rester dans une béate oisiveté aussi longtemps que cela vous plaira ; mais vous vous lasserez bientôt de cette oisiveté égoïste ; vous serez les premiers à demander une occupation. Alors il vous sera répondu : Si vous vous ennuyez de ne rien faire, cherchez vous-mêmes à faire quelque chose ; les occasions d'être utile ne manquent pas plus dans le monde des Esprits que parmi les hommes. C'est ainsi que l'activité spirituelle n'est point une contrainte ; elle est un besoin, une satisfaction pour les Esprits qui recherchent les occupations en rapport avec leurs goûts et leurs aptitudes, et choisissent de préférence celles qui peuvent aider à leur avancement.
Procès Hillaire
Une affaire sur laquelle nous avions gardé un silence que l'on comprendra facilement, vient de recevoir un dénouement qui la met dans le domaine public ; plusieurs journaux des localités voisines en ayant rendu compte, nous croyons dès lors opportun d'en parler, afin de prévenir les fausses interprétations de la malveillance à l'égard de la doctrine spirite, et prouver que cette doctrine ne couvre de son manteau rien de ce qui est répréhensible. Notre nom s'y étant d'ailleurs trouvé mêlé, il n'est pas inutile que l'on connaisse notre manière de voir. Cette affaire concerne le médium Hillaire, de Sonnac (Charente-Inférieure), dont nous avons déjà eu l'occasion d'entretenir nos lecteurs.
Hillaire est un jeune homme, marié et père de famille, simple laboureur, à peu près illettré. La Providence l'a doué d'une remarquable faculté médianimique très multiple, dont on a pu lire les détails dans l'ouvrage de M. Bez, intitulé : les Miracles de nos jours, et qui a plus d'un rapport avec celle de M. Home. Cette faculté a naturellement appelé l'attention sur lui ; elle lui avait acquis une célébrité locale, en même temps qu'elle lui avait valu la sympathie des uns et l'animadversion des autres. Les éloges un peu exagérés dont il était l'objet ont produit sur lui leur mauvaise influence habituelle. Les succès de M. Home lui avaient quelque peu monté l'imagination, ainsi que l'attestent les lettres qu'il nous a écrites. Il rêvait un théâtre plus grand que son village ; cependant, malgré ses instances pour le faire venir à Paris, nous n'avons jamais voulu y prêter la main. Assurément, si nous y avions vu une utilité quelconque, nous l'eussions favorisé en cela, mais nous étions convaincu, d'après les idées et le caractère que nous lui connaissions, qu'il n'était pas de taille à y jouer un rôle assez prépondérant dans son propre intérêt. Nous avions d'ailleurs, tout récemment, un triste exemple de ces ambitions qui poussent vers la capitale, et qui finissent par de cruelles déceptions. En l'élevant sur un piédestal, on lui a rendu un mauvais service. Sa mission était locale ; dans un rayon limité, sur une certaine population, il pouvait rendre de grands services à la cause du Spiritisme, à l'aide des remarquables phénomènes qui se produisaient sous son influence ; il en a rendu en propageant les idées spirites dans le pays, mais il pouvait en rendre de bien plus grands encore, s'il fût resté dans sa modeste sphère, sans abandonner le travail qui le faisait vivre, et qu'avec plus de prudence il aurait pu concilier avec l'exercice de la médiumnité. Malheureusement pour lui, l'importance qu'il s'attribuait le rendait peu accessible aux conseils de l'expérience ; comme beaucoup de gens, il les eût volontiers acceptés s'ils eussent été conformes à ses idées, ce dont ses lettres nous donnaient la preuve ! Plusieurs indices nous firent prévoir sa chute, mais nous étions loin de nous douter par quelle cause elle arriverait. Seulement nos guides spirituels nous avertirent plus d'une fois d'agir envers lui avec une grande circonspection, et de ne point nous mettre en avant, nous détournant surtout de le faire venir à Paris.
Par trop de présomption d'un côté, et trop de faiblesse de l'autre, il a brisé sa mission au moment où elle pouvait acquérir le plus d'éclat. Cédant à de fâcheux entraînements, et peut-être, nous sommes porté à le croire, à de perfides insinuations conduites avec adresse, il a commis une faute, à la suite de laquelle il a quitté le pays, et dont, plus tard, il a eu à rendre compte devant la justice. Le Spiritisme, loin d'en souffrir, ainsi que s'en flattaient nos adversaires, est sorti sain et sauf de cette épreuve, comme on le verra tout à l'heure. Il va sans dire qu'on voulait s'efforcer de faire passer toutes les manifestations du malheureux Hillaire comme d'insignes jongleries.
Le lésé, dans cette triste affaire, un de ceux qui l'avaient le plus acclamé au temps de sa gloire passagère, et l'avait couvert de son patronage, nous écrivit après la fuite des coupables, pour nous rendre compte des faits en détail, et nous demander notre concours et celui de nos correspondants, afin de les faire arrêter. Il termine en disant : « Il faut leur ôter toutes ressources pour les forcer de rentrer en France, et là nous pourrons les faire châtier par la justice des hommes en attendant que celle de ce Dieu de miséricorde les châtisse lui-même, car ils font un bien grand tort dans le Spiritisme. En attendant une réponse de votre main, je vais prier Dieu de les faire découvrir. Je suis tout à vous, votre frère en Dieu, etc. »
Voici la réponse que nous lui fîmes, sans nous douter qu'elle deviendrait une des pièces du procès :
Par trop de présomption d'un côté, et trop de faiblesse de l'autre, il a brisé sa mission au moment où elle pouvait acquérir le plus d'éclat. Cédant à de fâcheux entraînements, et peut-être, nous sommes porté à le croire, à de perfides insinuations conduites avec adresse, il a commis une faute, à la suite de laquelle il a quitté le pays, et dont, plus tard, il a eu à rendre compte devant la justice. Le Spiritisme, loin d'en souffrir, ainsi que s'en flattaient nos adversaires, est sorti sain et sauf de cette épreuve, comme on le verra tout à l'heure. Il va sans dire qu'on voulait s'efforcer de faire passer toutes les manifestations du malheureux Hillaire comme d'insignes jongleries.
Le lésé, dans cette triste affaire, un de ceux qui l'avaient le plus acclamé au temps de sa gloire passagère, et l'avait couvert de son patronage, nous écrivit après la fuite des coupables, pour nous rendre compte des faits en détail, et nous demander notre concours et celui de nos correspondants, afin de les faire arrêter. Il termine en disant : « Il faut leur ôter toutes ressources pour les forcer de rentrer en France, et là nous pourrons les faire châtier par la justice des hommes en attendant que celle de ce Dieu de miséricorde les châtisse lui-même, car ils font un bien grand tort dans le Spiritisme. En attendant une réponse de votre main, je vais prier Dieu de les faire découvrir. Je suis tout à vous, votre frère en Dieu, etc. »
Voici la réponse que nous lui fîmes, sans nous douter qu'elle deviendrait une des pièces du procès :
Monsieur,
Au retour d'un long voyage que je viens de faire, j'ai trouvé la lettre que vous m'avez écrite concernant Hillaire. Je déplore autant que qui que ce soit cette triste affaire, dont le Spiritisme, cependant, ne peut recevoir aucune atteinte, parce qu'il ne saurait être responsable des actes de ceux qui le comprennent mal. Quant à vous, le plus lésé en cette circonstance, je comprends votre indignation, et le premier moment d'emportement qui a dû vous agiter, mais j'espère que la réflexion aura amené plus de calme dans votre esprit. Si vous êtes réellement Spirite, vous devez savoir que nous devons accepter avec résignation toutes les épreuves qu'il plaît à Dieu de nous envoyer, et qui sont elles-mêmes des expiations que nous avons méritées pour nos fautes passées. Ce n'est pas en priant Dieu, comme vous le faites, de nous venger de ceux dont nous avons à nous plaindre, qu'on acquiert le mérite des épreuves qu'il nous envoie ; bien au contraire, on en perd le fruit, et l'on s'en attire de plus grandes. N'est-ce pas une contradiction de votre part de dire que vous priez le Dieu de miséricorde de faire que les coupables soient arrêtés, afin d'être livrés à la justice des hommes ? C'est l'offenser que de lui adresser de pareilles prières, alors que nous avons plus ou moins besoin de sa miséricorde pour nous-mêmes, et oublier qu'il a dit : Vous serez pardonné comme vous aurez pardonné aux autres. Un tel langage n'est ni chrétien ni spirite, car le Spiritisme, à l'exemple du Christ, nous enseigne l'indulgence et le pardon des offenses. C'est une belle occasion pour nous de montrer de la grandeur et de la magnanimité, et de prouver que vous êtes au-dessus des misères humaines. Je souhaite pour vous que vous ne la laissiez pas s'échapper.
Vous pensez que cette affaire fera du tort au Spiritisme ; je répète qu'il n'en souffrira point, malgré l'ardeur de ses adversaires à exploiter cette circonstance à leur profit. Si elle devait lui en faire, ce ne serait qu'un effet local et momentané, et vous en auriez votre part de responsabilité, par l'empressement que vous avez mis à la divulguer. Autant par charité que par l'intérêt que vous dites prendre à la doctrine, vous auriez dû faire tout ce qui était en votre pouvoir pour éviter le scandale ; tandis que, par le retentissement que vous y avez donné, vous avez fourni des armes à nos ennemis. Les Spirites sincères vous auraient su gré de votre modération, et Dieu vous aurait tenu compte de ce bon sentiment.
Je regrette que vous ayez pu penser que je servirais en quoi que ce soit vos désirs vindicatifs, en faisant des démarches pour livrer les coupables à la justice. C'était vous méprendre singulièrement sur mon rôle, mon caractère et mon intelligence des véritables intérêts du Spiritisme. Si vous êtes réellement, comme vous le dites, mon frère en Dieu, croyez-moi, implorez sa clémence et non sa colère ; car celui qui appelle cette colère sur autrui court risque de la faire tomber sur lui-même.
J'ai l'honneur de vous saluer cordialement, avec l'espoir de vous voir revenir à des idées plus dignes d'un Spirite sincère.
Vous pensez que cette affaire fera du tort au Spiritisme ; je répète qu'il n'en souffrira point, malgré l'ardeur de ses adversaires à exploiter cette circonstance à leur profit. Si elle devait lui en faire, ce ne serait qu'un effet local et momentané, et vous en auriez votre part de responsabilité, par l'empressement que vous avez mis à la divulguer. Autant par charité que par l'intérêt que vous dites prendre à la doctrine, vous auriez dû faire tout ce qui était en votre pouvoir pour éviter le scandale ; tandis que, par le retentissement que vous y avez donné, vous avez fourni des armes à nos ennemis. Les Spirites sincères vous auraient su gré de votre modération, et Dieu vous aurait tenu compte de ce bon sentiment.
Je regrette que vous ayez pu penser que je servirais en quoi que ce soit vos désirs vindicatifs, en faisant des démarches pour livrer les coupables à la justice. C'était vous méprendre singulièrement sur mon rôle, mon caractère et mon intelligence des véritables intérêts du Spiritisme. Si vous êtes réellement, comme vous le dites, mon frère en Dieu, croyez-moi, implorez sa clémence et non sa colère ; car celui qui appelle cette colère sur autrui court risque de la faire tomber sur lui-même.
J'ai l'honneur de vous saluer cordialement, avec l'espoir de vous voir revenir à des idées plus dignes d'un Spirite sincère.
A. K.
Voici maintenant le compte rendu qui nous est adressé :
« Commencée vendredi, l'affaire Hillaire s'est terminée samedi à minuit. Vitet retirant sa plainte au moment où le jugement allait être prononcé, sa femme était innocentée. Hillaire seul restait sous le coup de la justice. Le ministère public a conclu à la culpabilité et réclamé l'application des articles 336, 337, 338, etc., du Code pénal. Le Tribunal, déclinant sa compétence en ce qui touche l'appréciation de tous les apports et autres faits médianimiques, faisant application de l'article 463, a condamné Hillaire à un an de prison et aux frais. Ce jugement est, à nos yeux, une juste application de la loi écrite, bien qu'il ait été trouvé un peu sévère par des personnes qui ne sont nullement spirites.
Si nous avons été témoins du déroulement des tristes turpitudes auxquelles peuvent conduire les faiblesses humaines, nous avons, d'un autre côté, assisté à un beau spectacle, quand nous avons entendu solennellement proclamer l'orthodoxie de la morale spirite ; quand, pendant les suspensions et à la sortie des audiences, nous avons entendu ces paroles répétées dans le public : « Nous devons envier le bonheur de ceux que leur foi met constamment en présence de ceux qu'ils ont aimés, et dont la tombe elle-même ne peut plus les séparer. »
Voyez, en effet, cette foule que dans un instant ce prétoire ne pourra pas contenir. Là se pressent des membres de toutes les positions sociales, depuis la plus infime jusqu'à la plus élevée. Pensez-vous que ces hommes viennent simplement assister aux vulgaires débats d'une sale affaire en police correctionnelle ? à la honte de deux malheureux qui ont avoué et raconté toutes les circonstances de leur faute ? Oh ! non. L'affaire en question a une bien plus haute portée. Le Spiritisme est en jeu ; on vient entendre les révélations qu'aura amenée contre la nouvelle doctrine une enquête de trois mois ; on vient jouir du ridicule qui ne peut pas manquer de retomber sur ces pauvres hallucinés ; mais ces espérances peu charitables ont été déçues par la sagesse du tribunal.
Le président commence par proclamer la liberté de conscience la plus absolue ; il recommande à tous le respect pour la croyance religieuse de chacun : il marche lui-même jusqu'au bout dans cette voie. Une occasion se présente de lire la lettre de notre maître à Vitet (lettre citée plus haut) ; il la saisit et fait observer, après lecture, que, pour lui, il reconnaît là une voix digne des premiers Pères de l'Église ; que jamais plus belle morale n'a été prêchée dans un plus beau langage.
Vingt témoins ont été unanimes sur la véracité, pour eux, des apports ; pas un n'a manifesté le plus petit soupçon. De là la déclaration d'incompétence du tribunal. Vitet seul et son domestique Muson ont contesté la marche miraculeuse ; mais à l'instant on leur a opposé un procès-verbal rédigé le jour même par Vitet, écrit de sa main, portant sa signature et celle de Muson. Deux membres de notre société ont été entendus. Le président n'a pas craint de faire naître de leur déposition la discussion sur certains points de doctrine ; l'un et l'autre ont parfaitement répondu et triomphé à la satisfaction de tous les Spirites.
L'avocat d'Hillaire a été et ne pouvait être que fort court en ce qui concernait spécialement le chef d'accusation. Mais sur la doctrine, sur ses enseignements, sur ses conséquences, ses progrès dans le monde ; sur la persévérance de ces hommes de la localité, tout au moins, disait-il, nos égaux en science, en intelligence, en moralité, en position sociale ; sur les faits publiés chaque jour par la presse ; sur la multiplicité des ouvrages, des journaux spéciaux, il a toujours parlé avec éloquence et conviction. Son dernier coup fut la lecture d'une lettre de M. Jaubert. Dans cette lettre, M. Jaubert rend compte que lui-même et ses amis, s'occupant de manifestations physiques, ont vu et bien vu, à la lumière des lampes aussi bien qu'à la lumière du jour, des faits analogues à ceux obtenus par Hillaire, dont il rend compte dans les plus petits détails. Cette lecture, suivie de celle, sur un ton solennel, de la profession de foi du même M. Jaubert, d'un magistrat, vice-président en fonctions d'un tribunal civil, chef-lieu de département, cette lecture a ému tout l'auditoire. (Le Journal de Saint-Jean-d'Angély, du 12 février, donne l'analyse de cette remarquable plaidoirie. Voir aussi la Revue de l'Ouest, de Niort, du 18 février.)
Dans son réquisitoire, le ministère public flétrit naturellement le coupable. Quant aux faits de manifestations, il les explique par des moyens vulgaires ; chacun, dit-il, peut, dans son salon, les produire à volonté, avec la plus grande facilité : la moindre adresse suffit. Il cite des faits médianimiques historiques pour lesquels il conclut à l'hallucination. Pour ce qui concerne la doctrine, il a toujours été digne et respectueux envers ses sectateurs dévoués. Il a surtout chaleureusement applaudi au courage, à la sincérité et à la bonne foi des témoins qui sont venus affirmer leur croyance, sans être arrêtés ni par la crainte des sarcasmes et de la raillerie, ni par leurs intérêts matériels, qui peuvent en souffrir. »
Le Spiritisme n'est pas seulement sorti sain et sauf de cette épreuve, il en est sorti avec les honneurs de la guerre. Le jugement, il est vrai, n'a point proclamé la réalité des manifestations d'Hillaire, mais il les a mises hors de cause par sa déclaration d'incompétence ; par cela même il ne les a point déclarées frauduleuses. Quant à la doctrine, elle y a obtenu un éclatant suffrage. Pour nous, c'est le point essentiel, car le Spiritisme est moins dans les phénomènes matériels que dans ses conséquences morales. Peu nous importe qu'on nie des faits qui sont chaque jour constatés sur tous les points de la terre ; le temps n'est pas loin où tout le monde sera forcé de se rendre à l'évidence ; le principal, c'est que la doctrine qui en découle soit reconnue digne de l'Evangile sur lequel elle s'appuie. Certainement M. le substitut n'est pas spirite ; le président ne l'est pas non plus, que nous sachions ; mais ce que nous sommes heureux de constater, c'est que leur opinion personnelle n'ôte rien à leur impartialité.
Les éloges donnés aux témoins sont un éclatant hommage rendu au courage de l'opinion et à la sincérité des croyances. Nous devions à ces fermes soutiens de notre foi un témoignage spécial ; nous nous sommes empressé de le leur donner par l'adresse suivante, que nous leur avons fait parvenir.
« Commencée vendredi, l'affaire Hillaire s'est terminée samedi à minuit. Vitet retirant sa plainte au moment où le jugement allait être prononcé, sa femme était innocentée. Hillaire seul restait sous le coup de la justice. Le ministère public a conclu à la culpabilité et réclamé l'application des articles 336, 337, 338, etc., du Code pénal. Le Tribunal, déclinant sa compétence en ce qui touche l'appréciation de tous les apports et autres faits médianimiques, faisant application de l'article 463, a condamné Hillaire à un an de prison et aux frais. Ce jugement est, à nos yeux, une juste application de la loi écrite, bien qu'il ait été trouvé un peu sévère par des personnes qui ne sont nullement spirites.
Si nous avons été témoins du déroulement des tristes turpitudes auxquelles peuvent conduire les faiblesses humaines, nous avons, d'un autre côté, assisté à un beau spectacle, quand nous avons entendu solennellement proclamer l'orthodoxie de la morale spirite ; quand, pendant les suspensions et à la sortie des audiences, nous avons entendu ces paroles répétées dans le public : « Nous devons envier le bonheur de ceux que leur foi met constamment en présence de ceux qu'ils ont aimés, et dont la tombe elle-même ne peut plus les séparer. »
Voyez, en effet, cette foule que dans un instant ce prétoire ne pourra pas contenir. Là se pressent des membres de toutes les positions sociales, depuis la plus infime jusqu'à la plus élevée. Pensez-vous que ces hommes viennent simplement assister aux vulgaires débats d'une sale affaire en police correctionnelle ? à la honte de deux malheureux qui ont avoué et raconté toutes les circonstances de leur faute ? Oh ! non. L'affaire en question a une bien plus haute portée. Le Spiritisme est en jeu ; on vient entendre les révélations qu'aura amenée contre la nouvelle doctrine une enquête de trois mois ; on vient jouir du ridicule qui ne peut pas manquer de retomber sur ces pauvres hallucinés ; mais ces espérances peu charitables ont été déçues par la sagesse du tribunal.
Le président commence par proclamer la liberté de conscience la plus absolue ; il recommande à tous le respect pour la croyance religieuse de chacun : il marche lui-même jusqu'au bout dans cette voie. Une occasion se présente de lire la lettre de notre maître à Vitet (lettre citée plus haut) ; il la saisit et fait observer, après lecture, que, pour lui, il reconnaît là une voix digne des premiers Pères de l'Église ; que jamais plus belle morale n'a été prêchée dans un plus beau langage.
Vingt témoins ont été unanimes sur la véracité, pour eux, des apports ; pas un n'a manifesté le plus petit soupçon. De là la déclaration d'incompétence du tribunal. Vitet seul et son domestique Muson ont contesté la marche miraculeuse ; mais à l'instant on leur a opposé un procès-verbal rédigé le jour même par Vitet, écrit de sa main, portant sa signature et celle de Muson. Deux membres de notre société ont été entendus. Le président n'a pas craint de faire naître de leur déposition la discussion sur certains points de doctrine ; l'un et l'autre ont parfaitement répondu et triomphé à la satisfaction de tous les Spirites.
L'avocat d'Hillaire a été et ne pouvait être que fort court en ce qui concernait spécialement le chef d'accusation. Mais sur la doctrine, sur ses enseignements, sur ses conséquences, ses progrès dans le monde ; sur la persévérance de ces hommes de la localité, tout au moins, disait-il, nos égaux en science, en intelligence, en moralité, en position sociale ; sur les faits publiés chaque jour par la presse ; sur la multiplicité des ouvrages, des journaux spéciaux, il a toujours parlé avec éloquence et conviction. Son dernier coup fut la lecture d'une lettre de M. Jaubert. Dans cette lettre, M. Jaubert rend compte que lui-même et ses amis, s'occupant de manifestations physiques, ont vu et bien vu, à la lumière des lampes aussi bien qu'à la lumière du jour, des faits analogues à ceux obtenus par Hillaire, dont il rend compte dans les plus petits détails. Cette lecture, suivie de celle, sur un ton solennel, de la profession de foi du même M. Jaubert, d'un magistrat, vice-président en fonctions d'un tribunal civil, chef-lieu de département, cette lecture a ému tout l'auditoire. (Le Journal de Saint-Jean-d'Angély, du 12 février, donne l'analyse de cette remarquable plaidoirie. Voir aussi la Revue de l'Ouest, de Niort, du 18 février.)
Dans son réquisitoire, le ministère public flétrit naturellement le coupable. Quant aux faits de manifestations, il les explique par des moyens vulgaires ; chacun, dit-il, peut, dans son salon, les produire à volonté, avec la plus grande facilité : la moindre adresse suffit. Il cite des faits médianimiques historiques pour lesquels il conclut à l'hallucination. Pour ce qui concerne la doctrine, il a toujours été digne et respectueux envers ses sectateurs dévoués. Il a surtout chaleureusement applaudi au courage, à la sincérité et à la bonne foi des témoins qui sont venus affirmer leur croyance, sans être arrêtés ni par la crainte des sarcasmes et de la raillerie, ni par leurs intérêts matériels, qui peuvent en souffrir. »
Le Spiritisme n'est pas seulement sorti sain et sauf de cette épreuve, il en est sorti avec les honneurs de la guerre. Le jugement, il est vrai, n'a point proclamé la réalité des manifestations d'Hillaire, mais il les a mises hors de cause par sa déclaration d'incompétence ; par cela même il ne les a point déclarées frauduleuses. Quant à la doctrine, elle y a obtenu un éclatant suffrage. Pour nous, c'est le point essentiel, car le Spiritisme est moins dans les phénomènes matériels que dans ses conséquences morales. Peu nous importe qu'on nie des faits qui sont chaque jour constatés sur tous les points de la terre ; le temps n'est pas loin où tout le monde sera forcé de se rendre à l'évidence ; le principal, c'est que la doctrine qui en découle soit reconnue digne de l'Evangile sur lequel elle s'appuie. Certainement M. le substitut n'est pas spirite ; le président ne l'est pas non plus, que nous sachions ; mais ce que nous sommes heureux de constater, c'est que leur opinion personnelle n'ôte rien à leur impartialité.
Les éloges donnés aux témoins sont un éclatant hommage rendu au courage de l'opinion et à la sincérité des croyances. Nous devions à ces fermes soutiens de notre foi un témoignage spécial ; nous nous sommes empressé de le leur donner par l'adresse suivante, que nous leur avons fait parvenir.
Paris, le 21 janvier 1865.
M. Allan Kardec aux Spirites dévoués dans l'affaire Hillaire.
Chers frères en Spiritisme,
Je viens, tant en mon nom personnel qu'au nom de la Société spirite de Paris, payer un juste tribut d'éloges à tous ceux qui, dans la triste circonstance dont nous avons tous été affligés, ont soutenu leur foi, et défendu la vérité avec courage, dignité et fermeté. Un éclatant et solennel témoignage leur a été rendu par les organes de la justice ; celui de leurs frères en croyance ne pouvait leur manquer. J'en ai demandé la liste aussi exacte et aussi complète que possible, afin d'inscrire leurs noms à côté de ceux qui ont bien mérité du Spiritisme. Ce n'est point pour les livrer à une publicité qui blesserait leur modestie, et serait d'ailleurs, à l'heure qu'il est, plus nuisible qu'utile, mais notre siècle est si préoccupé qu'il est oublieux ; il faut que la mémoire des dévouements vrais, purs de toute arrière-pensée d'intérêt, ne soit pas perdue pour ceux qui viendront après nous. Les archives du Spiritisme leur diront ceux qui ont un droit légitime à leur reconnaissance.
Je saisis cette occasion, chers frères, pour m'entretenir un instant avec vous du sujet qui nous préoccupe.
Au premier abord, on pouvait craindre les suites de cette affaire pour le Spiritisme. Je ne m'en suis jamais inquiété, comme vous le savez, parce qu'elle ne pouvait, dans tous les cas, produire qu'une émotion locale et momentanée ; car notre doctrine, pas plus que la religion, ne peut être responsable des fautes de ceux qui ne la comprennent pas. C'est en vain que nos adversaires s'efforcent de la présenter comme malsaine et immorale ; il faudrait prouver qu'elle provoque, excuse ou justifie un seul acte répréhensible quelconque, ou qu'à côté de ses enseignements ostensibles, elle en a de secrets sous lesquels la conscience peut se mettre à l'abri. Mais comme, dans le Spiritisme, tout se passe au grand jour, qu'il ne prêche que la morale de l'Evangile, à la pratique de laquelle il tend à ramener les hommes qui s'en écartent, une intention malveillante pouvait seule lui imputer des tendances pernicieuses. Chacun pouvant juger par soi-même ses principes hautement proclamés et clairement formulés dans des ouvrages à la portée de tous, l'ignorance ou la mauvaise foi pouvaient seules les dénaturer, ainsi qu'on l'a fait pour les premiers chrétiens accusés de tous les malheurs et de tous les accidents qui arrivaient à Rome, et de corrompre les mœurs. Le christianisme, l'Evangile à la main, ne pouvait que sortir victorieux de toutes ces accusations et de la lutte terrible engagée contre lui ; ainsi en est-il du Spiritisme qui, lui aussi, a pour drapeau l'Evangile. Pour sa justification, il lui suffit de dire : Voyez ce que j'enseigne, ce que je recommande et ce que je condamne ; or, qu'est-ce que je condamne ? Tout acte contraire à la charité qui est la loi enseignée par le Christ.
Le Spiritisme n'est pas seulement dans la croyance à la manifestation des Esprits. Le tort de ceux qui le condamnent est de croire qu'il ne consiste qu'en la production de phénomènes étranges, et cela parce que, ne s'étant pas donné la peine de l'étudier, ils n'en voient que la surface. Ces phénomènes ne sont étranges que pour ceux qui n'en connaissent pas la cause ; mais quiconque les approfondit n'y voit que les effets d'une loi, d'une force de la nature que l'on ne connaissait pas, et qui, par cela même, ne sont ni merveilleux, ni surnaturels. Ces phénomènes prouvant l'existence des Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu, prouvent, par conséquent, l'existence de l'âme, sa survivance au corps, la vie future avec toutes ses conséquences morales. La foi en l'avenir, se trouvant ainsi appuyée sur des preuves matérielles, devient inébranlable, et triomphe de l'incrédulité. Voilà pourquoi, lorsque le Spiritisme sera devenu la croyance de tous, il n'y aura plus ni incrédules, ni matérialistes, ni athées. Sa mission est de combattre l'incrédulité, le doute, l'indifférence ; il ne s'adresse donc pas à ceux qui ont une foi, et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui ne croient à rien, ou qui doutent. Il ne dit à personne de quitter sa religion ; il respecte toutes les croyances quand elles sont sincères. La liberté de conscience est à ses yeux un droit sacré ; s'il ne la respectait pas, il manquerait à son premier principe qui est la charité. Neutre entre tous les cultes, il sera le lien qui les réunira sous un même drapeau, celui de la fraternité universelle ; un jour ils se tendront la main, au lieu de se jeter l'anathème.
Les phénomènes, loin d'être la partie essentielle du Spiritisme, n'en sont que l'accessoire, un moyen suscité par Dieu pour vaincre l'incrédulité qui envahit la société ; il est surtout dans l'application de ses principes moraux. C'est à cela qu'on reconnaît les Spirites sincères. Les exemples de réforme morale provoquée par le Spiritisme sont déjà assez nombreux pour qu'on puisse juger des résultats qu'il produira avec le temps. Il faut que sa puissance moralisatrice soit bien grande pour triompher des habitudes invétérées par l'âge, et de la légèreté de la jeunesse.
L'effet moralisateur du Spiritisme a donc pour cause première le phénomène des manifestations qui a donné la foi ; si ces phénomènes étaient une illusion, ainsi que le prétendent les incrédules, il faudrait bénir une illusion qui donne à l'homme la force de vaincre ses mauvais penchants.
Mais si après dix-huit siècles on voit encore tant de gens qui professent le christianisme et le pratiquent si peu, est-il étonnant qu'en moins de dix ans tous ceux qui croient au Spiritisme n'en aient pas tiré tout le profit désirable ? Dans le nombre, il en est qui n'ont vu que le fait matériel des manifestations, chez qui la curiosité a été plus excitée que le cœur n'a été touché. Voilà pourquoi tous les Spirites ne sont pas parfaits. Cela n'a rien de surprenant à un début, et si une chose doit étonner, c'est le nombre des réformes qui se sont opérées dans ce court intervalle. Si le Spiritisme ne triomphe pas toujours des mauvais entraînements d'une manière complète, un résultat partiel n'en est pas moins un progrès dont il faut tenir compte, et comme chacun de nous a son côté faible, cela doit nous rendre indulgents. Le temps et de nouvelles existences achèveront ce qui est commencé ; heureux ceux qui s'épargneront de nouvelles épreuves !
Hillaire appartient à cette classe que le Spiritisme n'a fait en quelque sorte qu'effleurer ; c'est pourquoi il a failli. - La Providence l'avait doué d'une remarquable faculté, à l'aide de laquelle il a fait beaucoup de bien ; il pouvait en faire encore beaucoup plus, s'il n'eût pas brisé sa mission par sa faiblesse. Nous ne pouvons ni le condamner ni l'absoudre ; à Dieu seul appartient de le juger pour n'avoir pas accompli sa tâche jusqu'au bout. Puisse l'expiation qu'il subit et un sérieux retour sur lui-même lui mériter sa clémence !
Je saisis cette occasion, chers frères, pour m'entretenir un instant avec vous du sujet qui nous préoccupe.
Au premier abord, on pouvait craindre les suites de cette affaire pour le Spiritisme. Je ne m'en suis jamais inquiété, comme vous le savez, parce qu'elle ne pouvait, dans tous les cas, produire qu'une émotion locale et momentanée ; car notre doctrine, pas plus que la religion, ne peut être responsable des fautes de ceux qui ne la comprennent pas. C'est en vain que nos adversaires s'efforcent de la présenter comme malsaine et immorale ; il faudrait prouver qu'elle provoque, excuse ou justifie un seul acte répréhensible quelconque, ou qu'à côté de ses enseignements ostensibles, elle en a de secrets sous lesquels la conscience peut se mettre à l'abri. Mais comme, dans le Spiritisme, tout se passe au grand jour, qu'il ne prêche que la morale de l'Evangile, à la pratique de laquelle il tend à ramener les hommes qui s'en écartent, une intention malveillante pouvait seule lui imputer des tendances pernicieuses. Chacun pouvant juger par soi-même ses principes hautement proclamés et clairement formulés dans des ouvrages à la portée de tous, l'ignorance ou la mauvaise foi pouvaient seules les dénaturer, ainsi qu'on l'a fait pour les premiers chrétiens accusés de tous les malheurs et de tous les accidents qui arrivaient à Rome, et de corrompre les mœurs. Le christianisme, l'Evangile à la main, ne pouvait que sortir victorieux de toutes ces accusations et de la lutte terrible engagée contre lui ; ainsi en est-il du Spiritisme qui, lui aussi, a pour drapeau l'Evangile. Pour sa justification, il lui suffit de dire : Voyez ce que j'enseigne, ce que je recommande et ce que je condamne ; or, qu'est-ce que je condamne ? Tout acte contraire à la charité qui est la loi enseignée par le Christ.
Le Spiritisme n'est pas seulement dans la croyance à la manifestation des Esprits. Le tort de ceux qui le condamnent est de croire qu'il ne consiste qu'en la production de phénomènes étranges, et cela parce que, ne s'étant pas donné la peine de l'étudier, ils n'en voient que la surface. Ces phénomènes ne sont étranges que pour ceux qui n'en connaissent pas la cause ; mais quiconque les approfondit n'y voit que les effets d'une loi, d'une force de la nature que l'on ne connaissait pas, et qui, par cela même, ne sont ni merveilleux, ni surnaturels. Ces phénomènes prouvant l'existence des Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu, prouvent, par conséquent, l'existence de l'âme, sa survivance au corps, la vie future avec toutes ses conséquences morales. La foi en l'avenir, se trouvant ainsi appuyée sur des preuves matérielles, devient inébranlable, et triomphe de l'incrédulité. Voilà pourquoi, lorsque le Spiritisme sera devenu la croyance de tous, il n'y aura plus ni incrédules, ni matérialistes, ni athées. Sa mission est de combattre l'incrédulité, le doute, l'indifférence ; il ne s'adresse donc pas à ceux qui ont une foi, et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui ne croient à rien, ou qui doutent. Il ne dit à personne de quitter sa religion ; il respecte toutes les croyances quand elles sont sincères. La liberté de conscience est à ses yeux un droit sacré ; s'il ne la respectait pas, il manquerait à son premier principe qui est la charité. Neutre entre tous les cultes, il sera le lien qui les réunira sous un même drapeau, celui de la fraternité universelle ; un jour ils se tendront la main, au lieu de se jeter l'anathème.
Les phénomènes, loin d'être la partie essentielle du Spiritisme, n'en sont que l'accessoire, un moyen suscité par Dieu pour vaincre l'incrédulité qui envahit la société ; il est surtout dans l'application de ses principes moraux. C'est à cela qu'on reconnaît les Spirites sincères. Les exemples de réforme morale provoquée par le Spiritisme sont déjà assez nombreux pour qu'on puisse juger des résultats qu'il produira avec le temps. Il faut que sa puissance moralisatrice soit bien grande pour triompher des habitudes invétérées par l'âge, et de la légèreté de la jeunesse.
L'effet moralisateur du Spiritisme a donc pour cause première le phénomène des manifestations qui a donné la foi ; si ces phénomènes étaient une illusion, ainsi que le prétendent les incrédules, il faudrait bénir une illusion qui donne à l'homme la force de vaincre ses mauvais penchants.
Mais si après dix-huit siècles on voit encore tant de gens qui professent le christianisme et le pratiquent si peu, est-il étonnant qu'en moins de dix ans tous ceux qui croient au Spiritisme n'en aient pas tiré tout le profit désirable ? Dans le nombre, il en est qui n'ont vu que le fait matériel des manifestations, chez qui la curiosité a été plus excitée que le cœur n'a été touché. Voilà pourquoi tous les Spirites ne sont pas parfaits. Cela n'a rien de surprenant à un début, et si une chose doit étonner, c'est le nombre des réformes qui se sont opérées dans ce court intervalle. Si le Spiritisme ne triomphe pas toujours des mauvais entraînements d'une manière complète, un résultat partiel n'en est pas moins un progrès dont il faut tenir compte, et comme chacun de nous a son côté faible, cela doit nous rendre indulgents. Le temps et de nouvelles existences achèveront ce qui est commencé ; heureux ceux qui s'épargneront de nouvelles épreuves !
Hillaire appartient à cette classe que le Spiritisme n'a fait en quelque sorte qu'effleurer ; c'est pourquoi il a failli. - La Providence l'avait doué d'une remarquable faculté, à l'aide de laquelle il a fait beaucoup de bien ; il pouvait en faire encore beaucoup plus, s'il n'eût pas brisé sa mission par sa faiblesse. Nous ne pouvons ni le condamner ni l'absoudre ; à Dieu seul appartient de le juger pour n'avoir pas accompli sa tâche jusqu'au bout. Puisse l'expiation qu'il subit et un sérieux retour sur lui-même lui mériter sa clémence !
Frères, tendons-lui une main secourable et prions pour lui.
Notices bibliographiques
Un ange du ciel sur la terre[1].
Voici le rapport fait sur cet ouvrage à la Société spirite de Paris, par notre collègue M. Feyteau, avocat :
Sous ce titre, M. Benjamin Mossé a écrit un livre plein de poésie dans lequel, à un double point de vue, la charité est progressivement enseignée par les faits les plus touchants. Le sujet de ce petit poème en prose débute au ciel, se développe sur la terre, et se termine au ciel où il a commencé.
Les anges, les archanges, les séraphins, les ophanims, tous les êtres sacrés (ce sont les expressions de M. Mossé) sont réunis et chantent les louanges du Très-Haut, qui les a réunis pour leur donner la mission d'aller parmi les âmes de la terre, afin de les ramener dans la voie du bien, dont les font dévier sans cesse les appétits et les passions terrestres.
Un de ces anges, le plus pur, est seul resté après le départ de tous les autres ; cet ange, c'est Zadécia. Prosternée aux pieds du trône de l'Éternel, elle implore pour elle la faveur d'une exception à la règle générale imposée à ses frères ; elle disait, suppliante : « Seigneur, écoute ma prière, avant que j'obéisse à ta voix ! Je vais descendre sur la terre, selon ta volonté. Je m'arrache, puisque tu l'ordonnes, à la félicité dont tu nous inondes ; je vais en parler aux habitants du bas séjour ; je vais leur en inspirer l'espérance pour les soutenir dans leur marche pénible. Mais daigne accorder à mes supplications la grâce que j'implore ! Permets, ô mon Dieu, qu'éloignée de ton palais, je n'en oublie jamais les délices ! Permets que l'enveloppe dont je vais me revêtir ne fasse jamais obstacle à mes élans vers toi ! Que je reste toujours maîtresse de moi-même ; que jamais rien d'impur ne vienne altérer ma noblesse ! Permets, Seigneur, que mon absence du séjour bienheureux ne soit pas de longue durée ! Veuille que ma mission soit promptement remplie ; que j'échauffe à ma flamme un cœur généreux ; que je le captive par mes charmes, ce cœur déjà béni par ta main ; que mon amour l'élève, le perfectionne, achève sa vertu, afin qu'il reçoive mes inspirations, qu'il accepte mon message, qu'il devienne pour l'humanité une consolation, une lumière, et qu'alors je puisse, ô mon Dieu, retourner à ma céleste demeure, fière de laisser sur la terre un noble continuateur de ma mission, animé par mon regard, adorant mon image, et toujours s'élevant vers moi pour puiser dans mon sein la force de poursuivre son œuvre pour l'accomplissement de laquelle je lui prodiguerai les encouragements de mon amour, jusqu'à l'heure où, par ta volonté, il viendra me rejoindre et recevoir dans mes bras, aux pieds de ton trône, tes éternelles bénédictions. »
- « J'exauce ta prière, ô ma fille ! lui répondit la voix divine ; va, va sans crainte, porter aux humains les trésors de ta flamme. Le feu qui t'anime ne perdra rien de sa sainteté sur la terre où ton passage sera rapide, où déjà une âme digne de toi a pris une enveloppe terrestre pour remplir la grande mission que tu veux lui confier. Aussi ardente que pure, elle s'ennoblira sous ton amour ; elle sera sanctifiée par ta présence, par les liens qui l'uniront à ton immortelle destinée. Dans cette union que je bénis d'avance, cette âme recevra ta mission dont elle s'acquittera comme toi-même. Alors tu remonteras dans ces régions suprêmes, d'où tu veilleras sur ton époux bien-aimé de la terre, qui deviendra, quand il aura fini sa tâche, ton époux bien-aimé dans le ciel ! »
A ces paroles, Zadécia descendit radieuse des demeures infinies parmi les humains ; elle déposa un baiser sur le front de l'enfant qu'elle devait s'attacher plus tard par l'hyménée ; puis, se soumettant aux conditions nécessaires de l'existence terrestre, elle s'enveloppa d'une forme matérielle où devait éclater sa beauté, où devaient resplendir ses vertus et ses charmes !
C'est dans ces conditions particulièrement bénies que l'âme de Zadécia entreprend sa mission, dont la première phase est son incarnation à la créature douloureusement enfantée par une jeune et pieuse mère. Dans la deuxième phase de sa mission, Zadécia est un ange d'innocence, et sa beauté, qui rayonne comme une émanation divine, purifie tout ce qui l'approche. Dans la troisième phase, Zadécia est ange de résignation par la patience avec laquelle elle supporte les souffrances physiques. Dans la quatrième, elle est ange de piété par les exemples de charité et d'abnégation qu'elle donne. Dans la cinquième, elle est ange d'amour par l'affection sympathique qui se développe entre elle et le jeune Azariel. Dans la sixième, elle est l'ange de l'amour conjugal par son union avec Azariel. Dans la septième, elle est l'ange de l'amour maternel. La huitième phase, enfin, est son retour au ciel, laissant sur la terre son époux et sa fille pour continuer son œuvre de sanctification.
Ces différents tableaux contiennent sans contredit des exemples édifiants, et sont d'une lecture attachante ; mais le triomphe trop prévu de Zadécia sur toutes les épreuves auxquelles son incarnation est soumise, leur enlève ce caractère d'enseignement utile qui ne peut ressortir réellement que des efforts de la lutte. Cette situation qui est faite à Zadécia, de conserver en quittant le ciel la pureté et l'incorruptibilité des anges, ne permet guère de s'intéresser à elle au-delà de l'attrait que l'auteur a donné par la forme et l'expression des pensées aux étapes de son voyage sur terre. Aussi, après avoir lu ce livre, et tout en lui accordant le juste tribut d'éloges que méritent le style et l'ensemble véritablement harmonieux du sujet, il est permis de regretter que l'auteur paraisse étranger aux principes réels de la nature des Esprits, et n'avoir jamais pensé à se rendre compte de l'influence qu'ils exercent sur les diverses conditions sociales de l'humanité, par l'amélioration progressive que développent leurs diverses incarnations.
Il est une préoccupation naturelle à l'homme sérieux, soit qu'aux multiples lueurs de la philosophie il scrute les péripéties de la vie humaine, soit qu'avec le flambeau des religions il sonde les mystérieuses profondeurs de la mort : c'est d'arriver à une conclusion qui l'éclaire sur sa véritable destinée en lui montrant la voie qu'il doit suivre. Cette voie, sans doute, n'est pas toujours la vraie, mais chacun suit le sillon que trace la charrue de la volonté dans le champ de la pensée, suivant qu'il a attelé de bons ou de mauvais principes. Pour les uns, des systèmes de parti pris leur tiennent lieu de vérités ; ils s'en font une loi, s'épuisant en discussions pour la faire prévaloir et l'imposer. Pour les autres, c'est Dieu lui-même qu'ils ont la prétention de traduire, d'interpréter et de commenter de tant de façons et par tant de débats orageux, quand ils ne sont pas sanglants, que les textes sacrés de la parole divine restent ensevelis sous les décombres de leurs disputes.
Le livre de M. Mossé, s'il ne révèle pas la préoccupation que nous voudrions y voir sur la nature des Esprits, n'en révèle du moins aucune de celles qui l'excluent ou qui la combattent ; nous dirons même qu'il s'en rapproche plus qu'il ne s'en éloigne, et qu'avec un pas de plus, ils marcheraient à l'unisson, car ils tendent à un but commun : la pratique de la charité comme condition de la vie bienheureuse. C'est donc un bon livre que le Spiritisme doit accueillir comme un allié qui peut devenir son frère.
Feyteau, avocat.
[1] Par Benjamin Mossé, rabbin d'Avignon. - 1 vol. in-12 ; prix, 3 fr. 50. - Avignon, chez Bonnet fils.
Voici le rapport fait sur cet ouvrage à la Société spirite de Paris, par notre collègue M. Feyteau, avocat :
Sous ce titre, M. Benjamin Mossé a écrit un livre plein de poésie dans lequel, à un double point de vue, la charité est progressivement enseignée par les faits les plus touchants. Le sujet de ce petit poème en prose débute au ciel, se développe sur la terre, et se termine au ciel où il a commencé.
Les anges, les archanges, les séraphins, les ophanims, tous les êtres sacrés (ce sont les expressions de M. Mossé) sont réunis et chantent les louanges du Très-Haut, qui les a réunis pour leur donner la mission d'aller parmi les âmes de la terre, afin de les ramener dans la voie du bien, dont les font dévier sans cesse les appétits et les passions terrestres.
Un de ces anges, le plus pur, est seul resté après le départ de tous les autres ; cet ange, c'est Zadécia. Prosternée aux pieds du trône de l'Éternel, elle implore pour elle la faveur d'une exception à la règle générale imposée à ses frères ; elle disait, suppliante : « Seigneur, écoute ma prière, avant que j'obéisse à ta voix ! Je vais descendre sur la terre, selon ta volonté. Je m'arrache, puisque tu l'ordonnes, à la félicité dont tu nous inondes ; je vais en parler aux habitants du bas séjour ; je vais leur en inspirer l'espérance pour les soutenir dans leur marche pénible. Mais daigne accorder à mes supplications la grâce que j'implore ! Permets, ô mon Dieu, qu'éloignée de ton palais, je n'en oublie jamais les délices ! Permets que l'enveloppe dont je vais me revêtir ne fasse jamais obstacle à mes élans vers toi ! Que je reste toujours maîtresse de moi-même ; que jamais rien d'impur ne vienne altérer ma noblesse ! Permets, Seigneur, que mon absence du séjour bienheureux ne soit pas de longue durée ! Veuille que ma mission soit promptement remplie ; que j'échauffe à ma flamme un cœur généreux ; que je le captive par mes charmes, ce cœur déjà béni par ta main ; que mon amour l'élève, le perfectionne, achève sa vertu, afin qu'il reçoive mes inspirations, qu'il accepte mon message, qu'il devienne pour l'humanité une consolation, une lumière, et qu'alors je puisse, ô mon Dieu, retourner à ma céleste demeure, fière de laisser sur la terre un noble continuateur de ma mission, animé par mon regard, adorant mon image, et toujours s'élevant vers moi pour puiser dans mon sein la force de poursuivre son œuvre pour l'accomplissement de laquelle je lui prodiguerai les encouragements de mon amour, jusqu'à l'heure où, par ta volonté, il viendra me rejoindre et recevoir dans mes bras, aux pieds de ton trône, tes éternelles bénédictions. »
- « J'exauce ta prière, ô ma fille ! lui répondit la voix divine ; va, va sans crainte, porter aux humains les trésors de ta flamme. Le feu qui t'anime ne perdra rien de sa sainteté sur la terre où ton passage sera rapide, où déjà une âme digne de toi a pris une enveloppe terrestre pour remplir la grande mission que tu veux lui confier. Aussi ardente que pure, elle s'ennoblira sous ton amour ; elle sera sanctifiée par ta présence, par les liens qui l'uniront à ton immortelle destinée. Dans cette union que je bénis d'avance, cette âme recevra ta mission dont elle s'acquittera comme toi-même. Alors tu remonteras dans ces régions suprêmes, d'où tu veilleras sur ton époux bien-aimé de la terre, qui deviendra, quand il aura fini sa tâche, ton époux bien-aimé dans le ciel ! »
A ces paroles, Zadécia descendit radieuse des demeures infinies parmi les humains ; elle déposa un baiser sur le front de l'enfant qu'elle devait s'attacher plus tard par l'hyménée ; puis, se soumettant aux conditions nécessaires de l'existence terrestre, elle s'enveloppa d'une forme matérielle où devait éclater sa beauté, où devaient resplendir ses vertus et ses charmes !
C'est dans ces conditions particulièrement bénies que l'âme de Zadécia entreprend sa mission, dont la première phase est son incarnation à la créature douloureusement enfantée par une jeune et pieuse mère. Dans la deuxième phase de sa mission, Zadécia est un ange d'innocence, et sa beauté, qui rayonne comme une émanation divine, purifie tout ce qui l'approche. Dans la troisième phase, Zadécia est ange de résignation par la patience avec laquelle elle supporte les souffrances physiques. Dans la quatrième, elle est ange de piété par les exemples de charité et d'abnégation qu'elle donne. Dans la cinquième, elle est ange d'amour par l'affection sympathique qui se développe entre elle et le jeune Azariel. Dans la sixième, elle est l'ange de l'amour conjugal par son union avec Azariel. Dans la septième, elle est l'ange de l'amour maternel. La huitième phase, enfin, est son retour au ciel, laissant sur la terre son époux et sa fille pour continuer son œuvre de sanctification.
Ces différents tableaux contiennent sans contredit des exemples édifiants, et sont d'une lecture attachante ; mais le triomphe trop prévu de Zadécia sur toutes les épreuves auxquelles son incarnation est soumise, leur enlève ce caractère d'enseignement utile qui ne peut ressortir réellement que des efforts de la lutte. Cette situation qui est faite à Zadécia, de conserver en quittant le ciel la pureté et l'incorruptibilité des anges, ne permet guère de s'intéresser à elle au-delà de l'attrait que l'auteur a donné par la forme et l'expression des pensées aux étapes de son voyage sur terre. Aussi, après avoir lu ce livre, et tout en lui accordant le juste tribut d'éloges que méritent le style et l'ensemble véritablement harmonieux du sujet, il est permis de regretter que l'auteur paraisse étranger aux principes réels de la nature des Esprits, et n'avoir jamais pensé à se rendre compte de l'influence qu'ils exercent sur les diverses conditions sociales de l'humanité, par l'amélioration progressive que développent leurs diverses incarnations.
Il est une préoccupation naturelle à l'homme sérieux, soit qu'aux multiples lueurs de la philosophie il scrute les péripéties de la vie humaine, soit qu'avec le flambeau des religions il sonde les mystérieuses profondeurs de la mort : c'est d'arriver à une conclusion qui l'éclaire sur sa véritable destinée en lui montrant la voie qu'il doit suivre. Cette voie, sans doute, n'est pas toujours la vraie, mais chacun suit le sillon que trace la charrue de la volonté dans le champ de la pensée, suivant qu'il a attelé de bons ou de mauvais principes. Pour les uns, des systèmes de parti pris leur tiennent lieu de vérités ; ils s'en font une loi, s'épuisant en discussions pour la faire prévaloir et l'imposer. Pour les autres, c'est Dieu lui-même qu'ils ont la prétention de traduire, d'interpréter et de commenter de tant de façons et par tant de débats orageux, quand ils ne sont pas sanglants, que les textes sacrés de la parole divine restent ensevelis sous les décombres de leurs disputes.
Le livre de M. Mossé, s'il ne révèle pas la préoccupation que nous voudrions y voir sur la nature des Esprits, n'en révèle du moins aucune de celles qui l'excluent ou qui la combattent ; nous dirons même qu'il s'en rapproche plus qu'il ne s'en éloigne, et qu'avec un pas de plus, ils marcheraient à l'unisson, car ils tendent à un but commun : la pratique de la charité comme condition de la vie bienheureuse. C'est donc un bon livre que le Spiritisme doit accueillir comme un allié qui peut devenir son frère.
Feyteau, avocat.
[1] Par Benjamin Mossé, rabbin d'Avignon. - 1 vol. in-12 ; prix, 3 fr. 50. - Avignon, chez Bonnet fils.