REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

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Octobre

Essai théorique sur les miroirs magiques

On donne le nom de miroirs magiques à des objets, généralement à reflet brillant, tels que glaces, plaques métalliques, carafes, verres, etc., dans lesquels certaines personnes voient des images qui leur retracent des événements éloignés, passés, présents et quelquefois futurs, et les mettent sur la voie des réponses aux questions qui leur sont adressées. Ce phénomène n'est pas extrêmement rare ; les esprits forts le taxent de croyance superstitieuse, d'effet de l'imagination, de jonglerie, comme tout ce qu'ils ne peuvent expliquer par les lois naturelles connues ; ainsi en est-il pour eux de tous les effets somnambuliques et médianimiques. Mais si le fait existe, leur opinion ne saurait prévaloir contre la réalité, et l'on est bien forcé d'admettre l'existence d'une nouvelle loi encore inobservée.

Jusqu'à présent nous ne nous sommes point étendu sur ce sujet, malgré les faits nombreux qui nous étaient rapportés, parce que nous avons pour principe de n'affirmer que ce dont nous pouvons nous rendre compte, tenant toujours, autant que possible, à dire le pourquoi et le comment des choses, c'est-à-dire de joindre au récit une explication rationnelle. Nous avons mentionné le fait sur le témoignage de personnes sérieuses et honorables ; mais, tout en admettant la possibilité du phénomène et même sa réalité, nous n'avions point encore vu assez clairement à quelle loi il pouvait se rattacher pour être en mesure d'en donner la solution, c'est pourquoi nous nous sommes abstenu. Les récits que nous avions sous les yeux pouvaient d'ailleurs être empreints d'exagération ; ils manquaient surtout de certains détails d'observation qui, seuls, peuvent aider à fixer les idées. Aujourd'hui que nous avons vu, observé et étudié, nous pouvons parler en connaissance de cause.

Relatons d'abord sommairement les faits dont nous avons été témoin. Nous ne prétendons pas convaincre les incrédules ; nous voulons seulement essayer d'éclaircir un point encore obscur de la science spirite.

Dans le cours de l'excursion spirite que nous avons faite cette année, étant allé passer quelques jours chez M. de W…, membre de la Société spirite de Paris, dans le canton de Berne en Suisse, ce dernier nous parla d'un paysan des environs, tourneur de son état, qui jouit de la faculté de découvrir les sources, et de voir dans un verre les réponses aux questions qu'on lui adresse. Pour la découverte des sources, il se transporte parfois sur les lieux, et se sert de la baguette usitée en pareil cas ; d'autres fois, sans se déplacer, il se sert de son verre et donne les indications nécessaires. Voici un remarquable exemple de sa lucidité.

Dans la propriété de M. de W… existait une très longue conduite pour les eaux ; mais, par suite de certaines causes locales, il eût été préférable que la prise d'eau fût plus rapprochée. Afin de s'épargner, s'il était possible, des fouilles inutiles, M. de W… eut recours au découvreur de sources. Celui-ci, sans quitter sa chambre, lui dit, en regardant dans son verre : « Sur le parcours des tuyaux, il existe une autre source ; elle est à tant de pieds de profondeur au-dessous du quatorzième tuyau, à partir de tel point. » La chose fut trouvée telle qu'il l'avait indiquée. L'occasion était trop favorable pour n'en pas profiter dans l'intérêt de notre instruction. Nous nous rendîmes donc chez cet homme avec M. et Mme de W… et deux autres personnes. Quelques renseignements sur son compte ne sont pas sans utilité.

C'est un homme de soixante-quatre ans, assez grand, mince, d'une bonne santé, quoique impotent, et pouvant à grand-peine se transporter. Il est protestant, très religieux, et fait sa lecture habituelle de la Bible et de livres de prières. Son infirmité, suite d'une maladie, date de l'âge de trente ans. C'est à cette époque que sa faculté s'est révélée en lui ; il dit que c'est Dieu qui a voulu lui donner une compensation. Sa figure est expressive et gaie, son œil vif, intelligent et pénétrant. Il ne parle que le patois allemand du pays, et n'entend pas un mot de français. Il est marié et père de famille ; il vit du produit de quelques pièces de terre, et de son travail personnel ; de sorte que, sans être dans une position aisée, il n'est pas dans le besoin.

Lorsque des personnes inconnues se présentent chez lui pour le consulter, son premier mouvement est celui de la défiance ; il flaire en quelque sorte leurs intentions, et, pour peu que son impression soit défavorable, il répond qu'il ne s'occupe que des sources, et refuse toute expérience avec son verre. Il refuse surtout de répondre aux questions qui auraient pour but la cupidité, comme la recherche des trésors, les spéculations hasardeuses, ou l'accomplissement de quelque mauvais dessein, à toutes celles, en un mot, qui blesseraient la loyauté et la délicatesse ; il dit que s'il s'occupait de ces choses-là, Dieu lui retirerait sa faculté. Lorsqu'on lui est présenté par des personnes de connaissance, et si on lui est sympathique, sa physionomie devient ouverte et bienveillante. Si le motif pour lequel on l'interroge est sérieux et utile, il s'y intéresse et se complaît dans les recherches ; si les questions sont futiles et de pure curiosité, si l'on s'adresse à lui comme à un diseur de bonne aventure, il ne répond pas.

Grâce à la présence et à la recommandation de M. de W…, nous avons été assez heureux pour être dans de bonnes conditions vis-à-vis de lui, et nous n'avons eu qu'à nous louer de son accueil cordial et de sa bonne volonté.

Cet homme est de la plus complète ignorance en ce qui concerne le Spiritisme ; il n'a pas la moindre idée des médiums, ni des évocations, ni de l'intervention des Esprits, ni de l'action fluidique ; pour lui, sa faculté est dans ses nerfs, dans une force qu'il ne s'explique pas, et qu'il n'a jamais cherché à s'expliquer, car, lorsque nous avons voulu lui faire dire de quelle manière il voyait dans son verre, il nous a paru que c'était la première fois que son attention était portée sur ce point ; or, c'était pour nous une chose essentielle ; ce n'est qu'après des questions successives que nous sommes parvenu à comprendre, ou mieux à débrouiller sa pensée.

Son verre est un verre à boire ordinaire, vide ; mais c'est toujours le même, et qui ne sert qu'à cet usage ; il ne pourrait pas en employer d'autre. En prévision d'un accident, il lui fut indiqué où il pouvait en trouver un pour le remplacer ; se l'étant procuré, il le tient en réserve. Quand il l'interroge, il le tient dans le creux de la main, et regarde dans l'intérieur ; si le verre est placé sur la table, il ne voit rien. Quand il fixe son regard sur le fond, ses yeux semblent se voiler un instant, puis reprennent bientôt leur éclat habituel ; alors, regardant alternativement son verre et ses interlocuteurs, il parle comme d'habitude, disant ce qu'il voit, répondant aux questions, d'une manière simple, naturelle et sans emphase. Dans ses expériences il ne fait aucune invocation, n'emploie aucun signe cabalistique, ne prononce ni formules, ni paroles sacramentelles. Lorsqu'une question lui est faite, il concentre, dit-il, son attention et sa volonté sur le sujet proposé en regardant au fond du verre, où se forment à l'instant les images des personnes et des choses relatives à l'objet qui l'occupe. Quant aux personnes, il les dépeint au physique et au moral, comme le ferait un somnambule lucide, de manière à ne laisser aucun doute sur leur identité. Il décrit aussi, avec plus ou moins de précision, les lieux qu'il ne connaît pas ; ceci détruit l'idée que ce qu'il voit est un jeu de son imagination. Lorsqu'il a dit à M. de W… que la source était à tant de pieds au-dessous du quatorzième tuyau, il ne pouvait certainement pas le prendre dans son propre cerveau. Pour se rendre plus intelligible, il se sert au besoin d'un morceau de craie, avec lequel il trace sur la table des points, des ronds, des lignes de diverses grandeurs, indiquant les personnes et les lieux dont il parle, leur position relative, etc., de manière à n'avoir qu'à les montrer quand il y revient, en disant : C'est celui-ci qui fait telle chose, ou c'est dans tel endroit que telle chose se passe.

Un jour, une dame l'interrogeait sur le sort d'une jeune fille enlevée par des Bohémiens depuis plus de quinze ans, sans qu'on ait pu en avoir des nouvelles depuis lors. Partant, à la manière des somnambules, de l'endroit où la chose avait eu lieu, il suivait les traces de l'enfant qu'il disait voir dans son verre, et qui avait, selon lui, suivi les bords d'une grande eau, c'est-à-dire, la mer. Il affirma qu'elle vivait, décrivit sa situation, sans toutefois pouvoir préciser le lieu de sa résidence, parce que, dit-il, l'époque voulue pour qu'elle fût rendue à sa mère n'était pas encore arrivée ; qu'il fallait au préalable que certaines choses qu'il spécifia fussent accomplies, et qu'alors une circonstance fortuite ferait que la mère reconnaîtrait son enfant. Afin de pouvoir mieux préciser la direction à suivre pour la retrouver, il demanda qu'une autre fois on lui apportât une carte géographique. Cette carte lui fut montrée en notre présence le jour de notre visite ; mais, comme il n'a aucune notion de géographie, on fut obligé de lui expliquer ce qui représentait la mer, les fleuves, les villes, les routes et les montagnes ; alors, mettant le doigt sur le point de départ, il indiqua la route qui conduisait au lieu en question. Quoiqu'il se fût écoulé un certain temps depuis la première consultation, il se ressouvint parfaitement de tout ce qu'il avait dit, et fut le premier à parler de l'enfant avant qu'on le questionnât.

Cette affaire n'ayant pas encore reçu son dénouement, nous ne pouvons rien préjuger sur le résultat de ses prévisions ; nous dirons seulement qu'à l'égard des circonstances passées et connues, il avait vu très juste. Nous ne rapportons ce fait que comme spécimen de sa manière de voir.

Pour ce qui nous concerne personnellement, nous avons également pu constater sa lucidité. Sans question préalable, et même sans que nous y songeassions, il nous parla spontanément d'une affection dont nous souffrons depuis un certain temps, et dont il assigna le terme ; et, chose remarquable, c'est que ce terme est précisément celui qu'avait indiqué la somnambule, madame Roger, que nous avions consulté à cet effet, six mois auparavant.

Il ne nous connaissait ni de vue ni de nom, et quoique, dans son ignorance, il lui fût difficile de comprendre la nature de nos travaux, par des circonlocutions, des images et des expressions à sa manière, il en indiqua, à ne pas s'y méprendre, le but, les tendances et le résultat inévitable ; ce dernier point surtout paraissait l'intéresser vivement, car il répétait sans cesse que la chose devait s'accomplir, que nous y étions destiné depuis notre naissance, et que rien ne pouvait s'y opposer. De lui-même il parla de la personne appelée à continuer l'œuvre après notre mort, des obstacles que certains individus cherchaient à jeter sur notre route, des rivalités jalouses et des ambitions personnelles ; il désigna d'une manière non équivoque ceux qui pouvaient utilement nous seconder et ceux dont nous devions nous défier, revenant sans cesse sur les uns et sur les autres avec une sorte d'acharnement ; il entra enfin dans des détails circonstanciés d'une parfaite justesse, d'autant plus remarquables que la plupart n'étaient provoqués par aucune question, et qu'ils coïncidaient de tous points avec les révélations que nous ont faites mantes fois nos guides spirituels pour notre gouverne.

Ce genre de recherches sortait totalement des habitudes et des connaissances de cet homme, ainsi qu'il le disait lui-même ; à plusieurs reprises il répéta : « Je dis ici beaucoup de choses que je ne dirais pas à d'autres, parce qu'ils ne me comprendraient pas ; mais lui (en nous désignant) me comprend parfaitement. » En effet, il y avait des choses dites à dessein à demi-mot, qui n'étaient intelligibles que pour nous. Nous vîmes dans ce fait une marque spéciale de la bienveillance des bons Esprits qui ont voulu nous confirmer, par ce moyen nouveau et inattendu, les instructions qu'ils nous avaient données en d'autres circonstances, en même temps que c'était pour nous un sujet d'observation et d'étude.

Il est donc avéré pour nous que cet homme est doué d'une faculté spéciale, et qu'il voit réellement. Voit-il toujours juste ? Là n'est pas la question ; il suffit qu'il ait vu assez souvent pour constater l'existence du phénomène ; l'infaillibilité n'est donnée à personne sur la terre, par la raison que personne n'y jouit de la perfection absolue. Comment voit-il ? Là est le point essentiel et qui ne peut se déduire que de l'observation.

Par suite de son manque d'instruction et des préjugés du milieu dans lequel il a toujours vécu, il est imbu de certaines idées superstitieuses qu'il mêle à ses récits ; c'est ainsi, par exemple, qu'il croit de bonne foi à l'influence des planètes sur la destinée des individus, et à celle des jours heureux et malheureux. D'après ce qu'il avait vu de nous, nous devions être né sous, nous ne savons plus quel signe ; nous devions nous abstenir d'entreprendre des choses importantes à tel jour de la lune. Nous n'avons pas essayé de le dissuader, ce à quoi nous n'aurions probablement pas réussi, et n'aurait servi qu'à le troubler ; mais, parce qu'il a quelques idées fausses, ce n'est pas un motif pour dénier la faculté qu'il possède ; car, de ce qu'il y a de mauvais grains dans un tas de blé, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bon blé ; et de ce qu'un homme ne voit pas toujours juste, il ne s'ensuit pas qu'il ne voit pas du tout.

Lorsqu'il se fut rendu compte à peu près du but et des résultats de nos travaux, il demanda très sérieusement et avec une sorte d'anxiété à l'oreille de M. de W…, si nous aurions par hasard trouvé le sixième livre de Moïse. Or, selon une tradition populaire dans certaines localités, Moïse aurait écrit un sixième livre contenant de nouvelles révélations et l'explication de tout ce qu'il y a d'obscur dans les cinq premiers. Selon la même tradition, ce livre doit être un jour découvert. Si quelque chose peut donner la clef de toutes les allégories des Ecritures, c'est assurément le Spiritisme, qui réaliserait ainsi l'idée attachée au prétendu sixième livre de Moïse. Il est assez singulier que cet homme ait conçu cette pensée.

Un examen attentif des faits ci-dessus démontre une complète analogie entre cette faculté et le phénomène désigné sous les noms de seconde vue, double vue, ou somnambulisme éveillé, et qui est décrit dans le Livre des Esprits, chap. VIII : Emancipation de l'âme, et dans le Livre des Médiums, chap. XIV… Elle a donc son principe dans la propriété rayonnante du fluide périsprital, qui permet à l'âme, dans certains cas, de percevoir les choses à distance, autrement dit, dans l'émancipation de l'âme, qui est une loi de nature. Ce ne sont pas les yeux qui voient, c'est l'âme qui, par ses rayons, atteignant un point donné, exerce son action au dehors et sans le concours des organes corporels. Cette faculté, beaucoup plus commune qu'on ne le croit, se présente avec des degrés d'intensité et des aspects très divers selon les individus : chez les uns, elle se manifeste par la perception permanente ou accidentelle, plus ou moins nette, des choses éloignées ; chez d'autres, par la simple intuition de ces mêmes choses ; chez d'autres, enfin, par la transmission de la pensée. Il est à remarquer que beaucoup la possèdent sans s'en douter, et surtout sans s'en rendre compte ; elle est inhérente à leur être, et leur semble tout aussi naturelle que celle de voir par les yeux ; souvent même ils confondent ces deux perceptions. Si on leur demande comment ils voient, la plupart du temps ils ne savent pas plus l'expliquer qu'ils n'expliqueraient le mécanisme de la vision ordinaire.

Le nombre des personnes qui jouissent spontanément de cette faculté, étant de beaucoup le plus considérable, il en résulte qu'elle est indépendante de tout appareil quelconque. Le verre dont cet homme se sert est un accessoire qui ne lui est utile que par habitude, car nous avons constaté qu'en plusieurs circonstances il décrivait les choses sans le regarder. Pour ce qui nous concernait, notamment en parlant des individus, il les indiquait avec sa craie, par les signes caractéristiques de leurs qualités et de leur position ; c'est sur ces signes qu'il parlait en regardant sa table, sur laquelle il semblait voir aussi bien que dans son verre qu'il regardait à peine ; mais, pour lui, il le croit nécessaire, et voici comment on peut l'expliquer.

L'image qu'il observe se forme dans les rayons du fluide périsprital qui lui en transmettent la sensation ; son attention se concentrant dans le fond de son verre, il y dirige les rayons fluidiques, et tout naturellement l'image s'y concentre comme elle se concentrerait sur un objet quelconque : un verre d'eau, une carafe, une feuille de papier, une carte, ou sur un point vague de l'espace. C'est un moyen de fixer la pensée et de la circonscrire, et nous sommes convaincu que quiconque exerce cette faculté à l'aide d'un objet matériel, avec un peu d'exercice, et s'il avait la ferme volonté de s'en passer, verrait tout aussi bien.

En admettant toutefois, ce qui n'est pas encore prouvé ; que l'objet agisse sur certaines organisations, à la façon des excitants, de manière à provoquer le dégagement fluidique, et par suite l'isolement de l'Esprit, il est un fait capital acquis à l'expérience, c'est qu'il n'existe aucune substance spéciale jouissant à cet égard d'une propriété exclusive. L'homme en question ne voit que dans un verre vide, tenu dans le creux de sa main, et ne peut voir dans le premier verre venu ni dans son verre autrement placé. Si la propriété était inhérente à la substance et à la forme de l'objet, pourquoi deux objets de même nature et de même forme ne la posséderaient-ils pas pour le même individu ? Pourquoi ce qui produit de l'effet sur l'un ne le produirait-il pas sur un autre ? Pourquoi, enfin, tant de personnes possèdent-elles cette faculté sans le secours d'aucun appareil ? C'est, ainsi que nous l'avons dit, que la faculté est inhérente à l'individu et non au verre. L'image se forme en lui-même, ou mieux dans les rayons fluidiques qui émanent de lui ; le verre n'offre, pour ainsi dire, que le reflet de cette image : c'est un effet et non la cause. Telle est la raison pour laquelle tout le monde ne voit pas dans ce qu'on est convenu d'appeler les miroirs magiques ; il ne suffit pas pour cela de la vue corporelle, il faut être doué de la faculté appelée double vue, qui serait plus exactement nommée vue spirituelle ; et cela est si vrai, que certaines personnes voient parfaitement les yeux fermés.

La vue spirituelle est en réalité le sixième sens ou sens spirituel dont on a tant parlé, et qui, de même que les autres sens, peut être plus ou moins obtus ou subtil ; il a pour agent le fluide périsprital, comme la vue corporelle a pour agent le fluide lumineux ; de même que le rayonnement du fluide lumineux apporte l'image des objets sur la rétine, le rayonnement du fluide périsprital apporte à l'âme certaines images et certaines impressions ; ce fluide, comme tous les autres fluides, a ses effets propres, ses propriétés sui generis.

L'homme étant composé de l'Esprit, du périsprit et du corps, pendant la vie les perceptions et les sensations se produisent à la fois par les sens organiques et par le sens spirituel ; après la mort, les sens organiques sont détruits, mais, le périsprit restant, l'Esprit continue à percevoir par le sens spirituel, dont la subtilité s'accroît en raison du dégagement de la matière. L'homme en qui ce sens est développé jouit ainsi, par anticipation, d'une partie des sensations de l'Esprit libre. Quoique amorti par la prédominance de la matière, le sens spirituel n'en produit pas moins chez tous les hommes une multitude d'effets réputés merveilleux, faute d'en connaître le principe.

Cette faculté étant dans la nature, puisqu'elle tient à la constitution de l'Esprit, a donc existé de tout temps ; mais, comme tous les effets dont la cause est inconnue, l'ignorance l'attribuait à des causes surnaturelles. Ceux qui la possédaient à un degré éminent, pouvant dire, savoir et faire des choses au-dessus de la portée du vulgaire, les uns ont été accusés de pactiser avec le diable, qualifiés de sorciers et brûlés vifs ; d'autres ont été béatifiés comme ayant le don des miracles, tandis qu'en réalité tout se réduisait à l'application d'une loi naturelle.

Revenons aux miroirs magiques. Le mot magie, qui signifiait jadis science des sages, par l'abus qu'en ont fait la superstition et le charlatanisme, a perdu sa signification primitive ; il est aujourd'hui discrédité avec raison, et nous croyons difficile de le réhabiliter, parce qu'il est désormais lié à l'idée des opérations cabalistiques, des grimoires, des talismans et d'une foule de pratiques superstitieuses condamnées par la saine raison. Le Spiritisme, déclinant toute solidarité avec ces prétendues sciences, doit éviter de s'approprier des termes qui pourraient fausser l'opinion en ce qui le concerne. Dans le cas dont il s'agit, la qualification de magique est aussi impropre que le serait celle de sorciers attribuée aux médiums ; la désignation de ces objets sous le nom de miroirs spirituels nous paraît plus exacte, parce qu'elle rappelle le principe en vertu duquel les effets se produisent. A la nomenclature spirite on peut donc ajouter les noms de : vue spirituelle, sens spirituel et miroirs spirituels.

Puisque la nature, la forme et la substance de ces objets sont choses indifférentes, on comprend que des individus doués de la vue spirituelle voient dans du marc de café, dans des blancs d'œufs, dans le creux de la main ou sur des cartes, ce que d'autres voient dans un verre d'eau, et disent parfois des choses vraies. Ces objets et leurs combinaisons n'ont aucune signification par eux-mêmes ; ce n'est qu'un moyen de fixer l'attention, un prétexte de parler, un maintien, pour ainsi dire, car il est à remarquer que, dans ce cas, l'individu les regarde à peine, et cependant s'il ne les avait pas devant lui, il croirait qu'il lui manque quelque chose ; il serait désorienté comme le serait notre homme s'il n'avait pas son verre dans la main ; il serait gêné pour parler, comme certains orateurs qui ne savent rien dire s'ils ne sont pas à leur place habituelle, ou s'ils n'ont pas à la main un cahier qu'ils ne lisent pas.

Mais s'il est quelques personnes sur lesquelles ces objets produisent l'effet de miroirs spirituels, il y a aussi la foule bien autrement grande des gens qui, n'ayant d'autre faculté que celle de voir par les yeux, et de posséder le langage de convention affecté à ces signes, abusent les autres ou s'abusent eux-mêmes ; puis celle également nombreuse des charlatans qui exploitent la crédulité. La superstition seule a pu consacrer l'usage de ces procédés, comme moyen de divination, et d'une foule d'autres qui n'ont pas plus de valeur, en attribuant une vertu à des mots, une signification à des signes matériels, à des combinaisons fortuites, qui n'ont aucune liaison nécessaire avec l'objet de la demande ou de la pensée.

En disant qu'à l'aide de ces procédés, certaines personnes peuvent parfois dire des vérités, ce n'est donc point pour les réhabiliter dans l'opinion, mais pour montrer que les idées superstitieuses ont parfois leur origine dans un principe vrai, dénaturé par l'abus et l'ignorance. Le Spiritisme, en faisant connaître la loi qui régit les rapports du monde visible et du monde invisible, détruit, par cela même, les idées fausses que l'on s'était faites sur ces rapports, comme la loi de l'électricité a détruit, non pas la foudre, mais les superstitions engendrées par l'ignorance des véritables causes de la foudre.

En résumé : la vue spirituelle est un des attributs de l'Esprit, et constitue une des perceptions du sens spirituel ; c'est par conséquent une loi de nature.

L'homme, étant un Esprit incarné, possède les attributs de l'Esprit et, par suite, les perceptions du sens spirituel.

A l'état de veille, ces perceptions sont généralement vagues, diffuses, parfois même insensibles et inappréciables, parce qu'elles sont amorties par l'activité prépondérante des sens matériels. Néanmoins on peut dire que toute perception extra-corporelle est due à l'action du sens spirituel qui, dans ce cas, surmonte la résistance de la matière.

Dans l'état de somnambulisme naturel ou magnétique, d'hypnotisme, de catalepsie, de léthargie, d'extase, et même dans le sommeil ordinaire, les sens corporels étant momentanément assoupis, le sens spirituel se développe avec plus de liberté.

Toute cause extérieure tendant à engourdir les sens corporels, provoque, par cela même, l'expansion et l'activité du sens spirituel.

Les perceptions par le sens spirituel ne sont pas exemptes d'erreurs, par la raison que l'Esprit incarné peut être plus ou moins avancé, et, par conséquent, plus ou moins apte à juger sainement les choses et à les comprendre, et qu'il est encore sous l'influence de la matière.

Une comparaison fera mieux comprendre ce qui se passe en cette circonstance. Sur la terre, celui qui a la meilleure vue peut être trompé par les apparences ; longtemps l'homme a cru au mouvement du soleil ; il lui a fallu l'expérience et les lumières de la science pour lui montrer qu'il était le jouet d'une illusion. Ainsi en est-il des Esprits peu avancés, incarnés ou désincarnés ; ils ignorent beaucoup de choses du monde invisible, comme certains hommes intelligents, du reste, ignorent beaucoup de choses de la terre ; la vue spirituelle ne leur montre que ce qu'ils savent, et ne suffit pas pour leur donner les connaissances qui leur manquent ; de là les aberrations et les excentricités que l'on remarque si souvent chez les voyants et les extatiques ; sans compter que leur ignorance les met, plus que d'autres, à la merci des Esprits trompeurs qui exploitent leur crédulité et plus encore leur orgueil. Voilà pourquoi il y aurait imprudence à accepter sans contrôle leurs révélations. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes sur la terre, dans un monde d'expiation, où abondent les Esprits inférieurs, et où les Esprits réellement supérieurs sont des exceptions ; dans les mondes avancés, c'est le contraire qui a lieu.

Les personnes douées de la vue spirituelle peuvent-elles être considérées comme des médiums ? Oui et non, selon les circonstances. La médiumnité consiste dans l'intervention des Esprits ; ce que l'on fait par soi-même n'est pas un acte médianimique. Celui qui possède la vue spirituelle voit par son propre Esprit, et rien n'implique la nécessité du concours d'un Esprit étranger ; il n'est pas médium parce qu'il voit, mais par le fait de ses rapports avec d'autres Esprits. Selon leur nature bonne ou mauvaise, les Esprits qui l'assistent peuvent faciliter ou entraver sa lucidité, lui faire voir des choses justes ou fausses, ce qui dépend aussi du but qu'on se propose, et de l'utilité que peuvent présenter certaines révélations. Ici, comme dans tous les autres genres de médiumnité, les questions futiles et de curiosité, les intentions non sérieuses, les vues cupides et intéressées, attirent les Esprits légers qui s'amusent aux dépens des gens trop crédules et se plaisent à les mystifier. Les Esprits sérieux n'interviennent que dans les choses sérieuses, et le voyant le mieux doué peut ne rien voir s'il ne lui est pas permis de répondre à ce qu'on lui demande, ou être troublé par des visions illusoires pour punir les curieux indiscrets. Bien qu'il possède en propre sa faculté, et quelque transcendante qu'elle soit, il ne lui est pas toujours libre d'en user à son gré. Souvent les Esprits en dirigent l'emploi, et s'il en abuse, il en est le premier puni par l'immixtion des mauvais Esprits.

Un point important reste à éclaircir : celui de la prévision des événements futurs. On comprend la vue des choses présentes, la vue rétrospective du passé, mais comment la vue spirituelle peut-elle donner à certains individus la connaissance de ce qui n'existe pas encore ? Pour ne pas nous répéter, nous renvoyons à notre article du mois de mai 1864 page 129, sur la théorie de la prescience, où la question est traitée d'une manière complète. Nous n'y ajouterons que quelques mots. En principe, l'avenir est caché à l'homme par les motifs qui ont été maintes fois développés ; ce n'est qu'exceptionnellement qu'il lui est révélé, et encore lui est-il plutôt pressenti que prédit. Pour le connaître, Dieu n'a donné à l'homme aucun moyen certain ; c'est donc en vain que ce dernier emploie à cet effet la multitude des procédés inventés par la superstition, et que le charlatanisme exploite à son profit. Si parmi les diseurs de bonne aventure, de profession ou non, il s'en trouve parfois qui soient doués de la vue spirituelle, il est à remarquer qu'ils voient bien plus souvent dans le passé et le présent que dans l'avenir ; c'est pourquoi il y aurait imprudence à se fier d'une manière absolue sur leurs prédictions, et à régler sa conduite en conséquence.

Sous ce dernier titre, on lit dans la Presse littéraire du 15 mars 1854 l'article suivant, signé Émile Deschanps :

« Si l'homme ne croyait qu'à ce qu'il comprend, il ne croirait ni à Dieu, ni à lui-même, ni aux astres qui roulent sur sa tête, ni à l'herbe qui pousse sous ses pieds.

Miracles, prophéties, visions, fantômes, pronostics, pressentiments, coïncidences surnaturelles, etc., que faut-il penser de tout cela ? Les esprits forts s'en tirent avec deux mots : mensonge ou hasard ; c'est on ne peut plus commode. Les âmes superstitieuses s'en tirent, ou plutôt ne s'en tirent pas. Je préfère de beaucoup ces âmes-ci à ces esprits-là. En effet, il faut avoir de l'imagination pour qu'on puisse l'avoir malade ; tandis qu'il suffit d'être électeur et abonné à deux ou trois journaux industriels pour en savoir aussi long et en croire aussi peu que Voltaire. Et puis, j'aime mieux la folie que la sottise, la superstition que l'incrédulité ; mais ce que je préfère à tout, c'est la vérité, la lumière, la raison ; je les cherche avec une foi vive et un cœur sincère ; j'examine toute chose, et j'ai pris le parti de n'avoir de parti pris pour rien.

Voyons : Quoi ! le monde matériel et visible est encombré d'impénétrables mystères, de phénomènes inexplicables, et on ne voudrait pas que le monde intellectuel, que la vie de l'âme, qui tient déjà du miracle, eussent aussi leurs phénomènes et leurs mystères ! Pourquoi telle bonne pensée, telle fervente prière, tel autre désir, n'auraient-ils pas la puissance de produire ou d'appeler certains évènements, des bénédictions ou des catastrophes ? Pourquoi n'existerait-il pas des causes morales, comme il existe des causes physiques, dont on ne se rend pas compte ? Et pourquoi les germes de toutes choses ne seraient-ils pas déposés et fécondés dans la terre du cœur et de l'âme pour éclore plus tard sous la forme palpable de faits ? Or, quand Dieu, en de rares circonstances, et pour quelques-uns de ses enfants, a daigné soulever un coin du voile éternel, et répandre sur leur front un rayon fugitif du flambeau de la prescience, gardons-nous de crier à l'absurde et de blasphémer ainsi la lumière et la vérité même.

Voici une réflexion que j'ai faite souvent : Il a été donné aux oiseaux et à certains animaux de prévoir et d'annoncer l'orage, les inondations, les tremblements de terre. Tous les jours les baromètres nous disent le temps qu'il fera demain ; et l'homme ne pourrait point, par un songe, une vision, un signe quelconque de la Providence, être averti quelquefois de quelque évènement futur qui intéresse son âme, sa vie, son éternité ? L'esprit n'a-t-il donc pas aussi son atmosphère dont il puisse ressentir les variations ? Enfin, quelle que soit la misère du merveilleux dans ce siècle trop positif, il y aurait encore du charme et de l'utilité à en retirer, si tous ceux qui en réfléchissent de faibles éclairs rapportaient à un foyer commun tous ces rayons divergents ; si chacun, après avoir consciencieusement interrogé ses souvenirs, rédigeait avec bonne foi, et déposait dans quelques archives, le procès-verbal circonstancié de ce qu'il a éprouvé, de ce qu'il lui est advenu de surnaturel et de miraculeux. Peut-être quelqu'un se trouverait un jour qui, analysant les symptômes et les évènements, parviendrait à recomposer en partie une science perdue. En tout cas il composerait un livre qui en vaudrait bien d'autres.

Quant à moi, je suis apparemment ce qu'on appelle un sujet, car j'ai eu de tout cela dans ma vie, si obscure d'ailleurs ; et je viens le premier déposer ici mon tribut, persuadé que cette vue intérieure a toujours une sorte d'intérêt. Tout le petit merveilleux que je vous donne, lecteurs, s'est vérifié dans ma vie réelle ; depuis que je sais lire, tout ce qui m'arrive de surnaturel, je le consigne sur le papier. Ce sont des mémoires d'un singulier genre.

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Dans le mois de février 1846, je voyageais en France ; arrivé dans une riche et grande ville, j'allai me promener devant les beaux magasins dont elle abonde. La pluie vint à tomber ; je m'abritai dans une élégante galerie ; tout à coup me voilà immobile ; mes yeux ne pouvaient se détacher de la figure d'une jeune fille, toute seule derrière un étalage de petits bijoux. Cette jeune fille était fort belle, mais ce n'était point sa beauté qui m'enchaînait là. Je ne sais quel intérêt mystérieux, quel lien inexplicable dominait et prenait tout mon être. C'était une sympathie subite et profonde, dégagée de tout alliage sensuel, mais d'une force irrésistible, comme l'inconnu en toutes choses. Je fus poussé comme une machine dans la boutique par une puissance surnaturelle. Je marchandai quelques petits objets que je payai, en disant : Merci, mademoiselle Sara. La jeune fille me regarda d'un air un peu surpris. – Cela vous étonne, repris-je qu'un étranger sache votre nom, un de vos petits noms ; mais si vous voulez bien penser attentivement à tous vos noms, je vais vous les dire sans hésiter. Y pensez-vous ? ‑ Oui, monsieur, répondit-elle, à demi riante et à demi tremblante. ‑ Eh bien ! continuai-je, en la regardant fixement au front, vous vous nommez Sara, Adèle, Benjamine N… ‑ C'est vrai, répliqua-t-elle ; et après quelques secondes de stupeur, elle se prit à rire tout à fait, et je vis qu'elle pensait que j'avais eu ces informations dans le voisinage, ce dont je m'amusai. Mais moi, qui savais bien que je n'en savais pas un mot, je fus effrayé de cette divination instantanée.

Le lendemain, et bien des lendemains, je courus à la jolie boutique ; ma divination se renouvelait à tout moment. Je la priais de penser à quelque chose, sans me le dire, et presque aussitôt je lisais sur son front cette pensée non expliquée. Je la priais d'écrire quelques mots avec un crayon en me les cachant, et, après l'avoir regardée une minute, j'écrivais de mon côté les mêmes mots dans le même ordre. Je lisais dans sa pensée comme dans un livre ouvert, et elle ne lisait pas dans la mienne : voilà ma supériorité ; mais elle m'imposait ses idées et ses émotions. Qu'elle pensât sérieusement à cet objet ; qu'elle répétât en elle-même les mots de cet écrit, et soudain je devinais tout. Le mystère était entre son cerveau et le mien, non entre mes facultés d'intuition et les choses matérielles. Quoi qu'il en soit, il s'était établi entre nous deux un rapport d'autant plus intime qu'il était plus pur.

Une nuit, j'entendais dans mon oreille une voix forte qui me criait : Sara est malade, très malade ! Je cours chez elle ; un médecin la veillait et attendait une crise. La veille au soir Sara était rentrée avec une fièvre ardente ; le délire avait continué toute la nuit. Le médecin me prit à part, et me fit entendre qu'il craignait beaucoup. De cette pièce je voyais en plein le front de Sara, et mon intuition l'emportant sur mon inquiétude même : Docteur, lui dis-je tout bas, voulez-vous savoir de quelles images son fiévreux sommeil est occupé ? Elle se croit en ce moment au grand Opéra de Paris, où elle n'est jamais allée, et une danseuse coupe, parmi d'autres herbes, une plante de ciguë, et la lui jette en criant : C'est pour toi. Le médecin me crut en délire. Quelques minutes après la malade s'éveilla lourdement, et ses premières paroles furent : « Oh ! que c'est beau, l'Opéra ! mais pourquoi donc cette ciguë, que me jette cette belle nymphe ? » Le médecin resta stupéfait. Une potion où il entrait de la ciguë fut administrée à Sara, qui se trouva guérie en quelques jours. »

Les exemples de transmission de pensée sont très fréquents, non peut-être d'une manière aussi caractérisée que dans le fait ci-dessus, mais sous des formes diverses. Combien de phénomènes se passent ainsi journellement sous nos yeux, qui sont comme les fils conducteurs de la vie spirituelle, et auxquels cependant la science ne daigne pas accorder la moindre attention ! Ceux qui les repoussent ne sont certainement pas tous matérialistes ; beaucoup admettent une vie spirituelle, mais sans rapports directs avec la vie organique. Le jour où ces rapports seront reconnus comme loi physiologique verra s'accomplir un immense progrès, car alors seulement la science aura la clef d'une foule d'effets mystérieux en apparence, qu'elle préfère nier faute de pouvoir les expliquer à sa manière et avec ses moyens bornés aux lois de la matière brute.

Liaison intime de la vie spirituelle et de la vie organique pendant l'existence terrestre ; destruction de la vie organique et persistance de la vie spirituelle après la mort ; action du fluide périsprital sur l'organisme ; réaction incessante du monde invisible sur le monde visible et réciproquement : telle est la loi que vient démontrer le Spiritisme et qui ouvre à la science et à l'homme moral des horizons tout nouveaux.

Par quelle loi de la physiologie purement matérielle pourrait-on expliquer les phénomènes du genre de celui qui est relaté ci-dessus ? Pour que M. Deschamps pût lire aussi nettement dans la pensée de la jeune fille, il fallait entre elle et lui un intermédiaire, un lien quelconque. Qu'on veuille bien méditer l'article précédent, et l'on reconnaîtra que ce lien n'est autre que le rayonnement fluidique qui donne la vue spirituelle, vue qui n'est pas arrêtée par les corps matériels.

On sait que les Esprits n'ont pas besoin du langage articulé ; ils se comprennent sans le secours de la parole, par la seule transmission de la pensée qui est la langue universelle. Ainsi en est-il quelquefois entre les hommes, parce que les hommes sont des Esprits incarnés, et qu'ils jouissent par cette raison, à un degré plus ou moins grand, des attributs et des facultés de l'Esprit.

Mais alors pourquoi la jeune fille ne lisait-elle pas de son côté dans la pensée de M. Deschamps ? Parce que chez l'un la vue spirituelle était développée, et non chez l'autre ; s'ensuit-il qu'il pût tout voir, lire dans les miroirs spirituels, par exemple, ou voir à distance à la manière des somnambules ? Non, parce que sa faculté pouvait n'être développée que dans un sens spécial, et partiellement. Pouvait-il lire avec la même facilité dans la pensée de tout le monde ? Il ne le dit pas, mais il est probable que non ; car il peut exister d'individu à individu des rapports fluidiques qui facilitent cette transmission, alors qu'ils n'existent pas du même individu à une autre personne. Nous ne connaissons encore qu'imparfaitement les propriétés de ce fluide universel, agent si puissant et qui joue un si grand rôle dans les phénomènes de la nature ; nous connaissons le principe, et c'est déjà beaucoup pour nous rendre compte de bien des choses ; les détails viendront en leur temps.

Le fait ci-dessus ayant été communiqué à la Société de Paris, un Esprit a donné à ce sujet l'instruction suivante :

(Société spirite de Paris, 8 juillet 1864. – Médium, M. A. Didier)

Les ignorants, et il y en a beaucoup, sont remplis de doute et d'inquiétude lorsqu'ils entendent parler des phénomènes spirites. A les en croire, la face du monde est bouleversée, l'intimité du cœur, des sentiments, la virginité de la pensée sont lancées à travers le monde et livrées à la merci du premier venu. Le monde, en effet, serait singulièrement changé, et la vie privée n'aurait plus d'abri derrière la personnalité de chacun, si tous les hommes pouvaient lire dans l'esprit les uns des autres.

Un ignorant nous dit avec beaucoup d'ingénuité : Mais la justice, les poursuites de police, les opérations commerciales, gouvernementales, pourraient être considérablement revues, corrigées, éclaircies, etc., à l'aide de ces procédés. Les erreurs sont très répandues. L'ignorance a cela de particulier qu'e1le fait oublier complètement le but des choses pour lancer l'esprit inculte dans une série d'incohérences.

Jésus avait raison de dire : « Mon royaume n'est pas de ce monde » ce qui signifiait aussi que dans ce monde les choses ne se passent pas comme dans son royaume. Le Spiritisme qui, en tout et pour tout, est le spiritualisme du christianisme, peut également dire aux ambitieuses et aux terroristes ignorances, que son grand but n'est pas de donner des monceaux d'or à l'un, de livrer la conscience d'un être faible à la volonté d'un être plus fort, et de lier ensemble la force et la faiblesse dans un duel éternellement inévitable et rapproché ; non. Si le Spiritisme procure des jouissances, ce sont celles du calme, de l'espérance et de la foi ; s'il avertit quelquefois par des pressentiments, ou par la vision endormie ou éveillée, c'est que les Esprits savent parfaitement qu'un fait secourable et particulier ne bouleversera pas la surface du globe. Du reste, si l'on observe la marche des phénomènes, le mal y a une part très minime. La science funeste semble reléguée dans les bouquins des vieux alchimistes, et si Cagliostro revenait, ce ne serait certes pas armé de la baguette magique ou du flacon enchanté qu'il apparaîtrait, mais avec sa puissance électrique, communicative, spiritualiste et somnambulique, puissance que tout être supérieur possède en lui-même, et qui touche à la fois le cœur et le cerveau.

La divination était le plus grand don de Jésus, comme je le disais dernièrement (l'Esprit fait allusion à une autre communication). Etant destinés à devenir supérieurs, comme Esprits, demandons à Dieu une part des rayons qu'il a accordés à certains êtres privilégiés, qu'il m'a accordés à moi-même, et que j'aurais pu répandre plus saintement.

Mesmer.



Remarque. Il n'est pas une seule des facultés accordées à l'homme dont celui-ci ne puise abuser en vertu de son libre arbitre ; ce n'est pas la faculté qui est mauvaise en soi, c'est l'usage qu'on en fait. Si les hommes étaient bons, il n'en est aucune qui serait à redouter, parce que nul ne s'en servirait pour le mal. Dans l'état d'infériorité où sont encore les hommes sur la terre, la pénétration de la pensée, si elle était générale, serait sans doute une des plus dangereuses, parce qu'on a beaucoup à cacher, et que beaucoup peuvent abuser. Mais quels qu'en soient les inconvénients, si elle existe, c'est un fait qu'il faut accepter bon gré mal gré, puisqu'on ne peut supprimer un effet naturel. Mais Dieu, qui est souverainement bon, mesure l'étendue de cette faculté à notre faiblesse ; il nous la montre de temps en temps pour mieux nous faire comprendre notre essence spirituelle, et nous avertir de travailler à notre épuration pour n'avoir pas à la redouter.

Cédant aux pressantes sollicitations de nos frères spirites de Bruxelles et d'Anvers, nous sommes allé leur faire une petite visite cette année, et nous sommes heureux de dire que nous en avons rapporté l'impression la plus favorable pour le développement de la doctrine dans ce pays. Nous y avons trouvé un plus grand nombre que nous ne l'espérions d'adeptes sincères, dévoués et éclairés. L'accueil sympathique qui nous a été fait dans ces deux villes a laissé en nous un souvenir qui ne s'effacera jamais, et nous comptons les moments que nous y avons passés au nombre des plus satisfaisants pour nous. Ne pouvant adresser nos remerciements à chacun en particulier, nous les prions de vouloir bien les recevoir ici collectivement.

A notre retour à Paris, nous avons trouvé une adresse des membres de la Société spirite de Bruxelles, dont nous avons été profondément touché ; nous la conserverons précieusement comme un témoignage de leur sympathie, mais ils comprendront aisément les motifs qui nous empêchent de la publier dans notre Revue. Il est cependant un passage de cette adresse que nous nous faisons un devoir de porter à la connaissance de nos lecteurs, parce que le fait qu'il révèle en dit plus que de longues phrases sur la manière dont certaines personnes comprennent le but du Spiritisme ; il est ainsi conçu :

« En commémoration de votre voyage en Belgique, notre groupe a décidé la fondation d'un lit d'enfant à la crèche de saint Josse Tennoode. »

Rien ne pouvait être plus flatteur pour nous qu'un pareil témoignage. C'est nous donner la plus grande preuve d'estime que de nous croire plus honoré par la fondation d'une œuvre de bienfaisance en mémoire de notre visite, que par les plus brillantes réceptions qui peuvent flatter l'amour-propre de celui qui en est l'objet, mais ne profitent à personne, et ne laissent aucune trace utile.

Anvers se distingue par un plus grand nombre d'adeptes et de groupes ; mais là, comme à Bruxelles et partout ailleurs, ceux qui font partie des réunions en quelque sorte officielles et régulièrement constituées, sont en minorité. Les relations sociales et les opinions émises dans la conversation prouvent que les sympathies pour la doctrine s'étendent bien au delà des groupes proprement dits. Si tous les habitants ne sont pas spirites, l'idée n'y rencontre pas d'opposition systématique ; on en parle comme d'une chose toute naturelle et l'on n'en rit pas. Les adeptes appartenant en général à la classe du haut commerce, notre arrivée a été la nouvelle de la bourse et y a défrayé la conversation, sans plus d'importance que s'il se fût agi de l'arrivée d'une cargaison.

Plusieurs groupes se composent d'un nombre limité de membres, et se désignent par un titre spécial et caractéristique ; c'est ainsi que l'un s'intitule : La Fraternité, un autre Amour et charité, etc. Ajoutons que ces titres ne sont pas pour eux des enseignes banales, mais des devises qu'ils s'efforcent de justifier.

Le groupe Amour et charité, par exemple, a pour but spécial la charité matérielle, sans préjudice des instructions des Esprits, qui sont en quelque sorte la partie accessoire. Son organisation est très simple et donne d'excellents résultats. L'un des membres a le titre d'aumônier, nom qui répond parfaitement à ses fonctions de distributeur des secours à domicile, et souvent les Esprits ont indiqué avec noms et adresses les personnes auxquelles ils étaient nécessaires. Le nom d'aumônier est ainsi ramené à sa signification primitive, dont il a été singulièrement détourné.

Ce groupe possède un médium typtologue exceptionnel dont nous croyons devoir faire ci-après l'objet d'un article spécial.

Nous ne faisons que constater ici de très bons éléments qui font bien augurer du Spiritisme dans ce pays où il n'a pris racine que depuis peu, ce qui ne veut pas dire que certains groupes n'aient eu, là comme ailleurs, des tiraillements et des mécomptes inévitables quand il s'agit de l'établissement d'une idée nouvelle. Il est impossible qu'au début d'une doctrine, aussi importante surtout que celle du Spiritisme, tous ceux mêmes qui s'en déclarent les partisans en comprennent la portée, la gravité et les conséquences ; il faut donc s'attendre à trouver en travers de la route des gens qui n'en voient que la surface, des ambitions personnelles, ceux pour qui c'est un moyen plutôt qu'une conviction de cœur, sans parler des gens qui prennent tous les masques pour s'insinuer en vue de servir les intérêts des adversaires ; car, de même que l'habit ne fait pas le moine, le nom de Spirite ne fait pas le vrai Spirite. Tôt ou tard ces Spirites manqués, dont l'orgueil est resté vivace, causent dans les groupes des froissements pénibles, et y suscitent des entraves, mais dont on triomphe toujours avec de la persévérance et de la fermeté. Ce sont des épreuves pour la foi des Spirites sincères.

L'homogénéité, la communion de pensées et de sentiments sont pour les groupes Spirites, comme pour toutes les réunions quelconques, la condition sine quâ non de stabilité et de vitalité. C'est vers ce but que doivent tendre tous les efforts, et l'on comprend qu'il est d'autant plus facile à atteindre que les réunions sont moins nombreuses. Dans les grandes réunions il est presque impossible d'éviter l'immixtion d'éléments hétérogènes qui, tôt ou tard, y sèment la zizanie ; dans les petites réunions où tout le monde se connaît et s'apprécie, on est comme en famille, le recueillement plus grand, et l'intrusion des malintentionnés plus difficile. La diversité des éléments dont se composent les grandes réunions les rend, par cela même, plus vulnérables aux sourdes menées des adversaires.

Mieux vaut donc dans une ville cent groupes de dix à vingt adeptes, dont aucun ne s'arroge la suprématie sur les autres, qu'une seule société qui les réunirait tous. Ce fractionnement ne peut en rien nuire à l'unité de principes, dès lors que le drapeau est unique et que tous marchent vers un même but. C'est ce que paraissent avoir parfaitement compris nos frères d'Anvers et de Bruxelles.

En résumé, notre voyage de Belgique a été fertile en enseignements dans l'intérêt du Spiritisme, par les documents que nous avons recueillis, et qui seront mis à profit en temps opportun.

N'oublions pas une mention des plus honorables au groupe spirite de Douai que nous avons visité en passant, et un témoignage particulier de gratitude pour l'accueil que nous y avons reçu. C'est un groupe de famille où la doctrine spirite évangélique est pratiquée dans toute sa pureté. Là règnent l'harmonie la plus parfaite, la bienveillance réciproque, la charité en pensées, en paroles et en actions ; on y respire une atmosphère de fraternité patriarcale, exempte d'effluves malfaisants, où les bons Esprits doivent se complaire aussi bien que les hommes ; aussi les communications s'y ressentent-elles de l'influence de ce milieu sympathique. Il doit à son homogénéité, et aux soins scrupuleux que l'on apporte dans les admissions, de n'avoir jamais été troublé dans les dissensions et les tiraillements dont d'autres ont eu à souffrir ; c'est que tous ceux qui en font partie sont des Spirites de cœur, et que nul ne cherche à y faire prévaloir sa personnalité. Les médiums y sont relativement très nombreux ; tous se considèrent comme de simples instruments de la Providence, y sont sans orgueil, sans prétentions personnelles, et se soumettent humblement, et sans en être froissés, au jugement porté sur les communications qu'ils obtiennent, prêts à les anéantir, si elles sont reconnues mauvaises.

Une charmante pièce de vers y a été obtenue à notre intention et après notre départ ; nous en remercions l'Esprit qui l'a dictée et son interprète ; nous la conserverons comme un précieux souvenir, mais ce sont de ces documents que nous ne pouvons publier et que nous n'acceptons qu'à titre d'encouragement.

Nous sommes heureux de dire que ce groupe n'est pas le seul dans ces conditions favorables, et d'avoir pu constater que les réunions vraiment sérieuses, celles où chacun cherche à s'améliorer, d'où la curiosité est bannie, les seules qui méritent la qualification de spirites, se multiplient chaque jour. Elles offrent en petit l'image de ce que pourra être la société, quand le Spiritisme, bien compris et universalisé, y formera la base des rapports mutuels. Les hommes alors n'auront plus rien à redouter les uns des autres ; la charité fera régner entre eux la paix et la justice. Tel sera le résultat de la transformation qui s'opère et dont la génération future commencera à sentir les effets.



Nous avons dit qu'un des groupes spirites d'Anvers possède un médium typtologue doué d'une faculté spéciale. Voici en quoi elle consiste.

L'indication des lettres se fait au moyen des coups frappés par le pied d'un guéridon, mais avec une rapidité qui atteint presque celle de l'écriture, et telle que ceux qui les inscrivent ont parfois de la peine à suivre ; les coups se succèdent comme ceux du télégraphe électrique en action. Vous avons vu faire une dictée de vingt lignes en moins de quinze minutes. Mais ce qui est surtout particulier, c'est que l'Esprit dicte presque toujours à rebours en commençant par la dernière lettre. Le médium obtient par le même moyen des réponses à des questions mentales, et dans des langues qui lui sont étrangères. Ce médium est aussi psychographe, et, dans ce cas, il écrit également à rebours avec la même facilité. La première fois que le phénomène s'est produit, les assistants, ne trouvant aucun sens aux lettres recueillies, crurent à une mystification ; ce n'est qu'après une observation attentive qu'ils découvrirent le système employé par l'Esprit. Ce n'est sans doute qu'une fantaisie de la part de ce dernier, mais comme toutes ses communications sont très sérieuses, il en faut conclure qu'il y a dans le fait une intention sérieuse.

Indépendamment de la rapidité avec laquelle les coups se succèdent, la manière de procéder abrège encore de beaucoup l'opération. On se sert d'un guéridon à trois pieds ; l'alphabet est divisé en trois séries : la 1re de a à h, la 2e de i à p, la 3e de q à z. Chaque pied du guéridon correspond à une série de lettres, et frappe le nombre de coups nécessaires pour désigner la lettre voulue en commençant par la première de la série ; de sorte que pour indiquer le t, par exemple, au lieu de 20 coups, le pied chargé de la 3e série n'en frappe que 4. Trois personnes se placent au guéridon, une pour chaque pied énonçant la lettre indiquée dans sa série qui est pour elle un petit alphabet, sans qu'elle ait à se préoccuper des autres. Plusieurs personnes inscrivent les lettres à mesure qu'elles sont appelées, afin de pouvoir contrôler en cas d'erreur. L'habitude de lire à rebours leur permet souvent de deviner la fin d'un mot ou d'une phrase commencée, comme on le fait par le procédé ordinaire ; l'Esprit confirme s'il y a lieu la supposition, et passe outre.

Cette division des lettres, jointe à la coopération de trois personnes qui ne peuvent s'entendre, à la rapidité du mouvement, et à l'indication des lettres en sens inverse, rend la fraude matériellement impossible, ainsi que la reproduction de la pensée individuelle. Le mot reproduction, par exemple, sera donc écrit de cette manière : noitcudorper, et aura été épelé par trois personnes différentes en quelques secondes, savoir : noi par la 2e, t par la 3e ; c par la 1re ; u par la 3e ; d par la 1re ; o par la 2e ; r par la 3e ; p par la 2e ; e par la 1re ; r par la 3e.

De tous les appareils imaginés pour constater l'indépendance de la pensée du médium, il n'en est aucun qui vaille ce procédé. Il est vrai qu'il faut pour cela l'influence d'un médium spécial, car les deux personnes qui l'assistent ne sont pour rien dans la rapidité du mouvement.

Ce procédé n'a en définitive d'utilité réelle que pour la conviction de certaines personnes, et comme constatation d'un phénomène médianimique remarquable, car rien ne peut suppléer à la facilité des communications écrites.

Pendant la visite que nous venons de faire aux Spirites de Bruxelles, le fait suivant s'est produit en notre présence dans une réunion intime de sept ou huit personnes, le 13 septembre.

Une dame médium étant priée d'écrire, et aucune évocation spéciale n'étant faite, elle trace avec une agitation extraordinaire, en très gros caractères, et après avoir violemment raturé le papier, ces mots :

« Je me repens, je me repens ; Latour. »

Surpris de cette communication inattendue, que rien n'avait provoquée, car nul ne songeait à ce malheureux dont la plupart des assistants ignoraient même la mort, on adresse à l'Esprit quelques paroles de commisération et d'encouragement ; puis on lui fait cette question :

Quel motif a pu vous engager à venir parmi nous plutôt qu'ailleurs, puisque nous ne vous avons pas appelé ?

Le médium, qui est aussi médium parlant, répond de vive voix :

« J'ai vu que vous étiez des âmes compatissantes et que vous prendriez pitié de moi, tandis que d'autres m'évoquent plus par curiosité que par véritable charité, ou bien s'éloignent de moi avec horreur. »

Alors a commencé une scène indescriptible qui n'a pas duré moins d'une demi-heure. Le médium joignant à la parole les gestes et l'expression de la physionomie, il est évident que l'Esprit s'est identifié avec sa personne ; parfois ses accents de désespoir sont si déchirants, il peint ses angoisses et ses souffrances avec un ton si navrant, ses supplications sont si véhémentes, que tous les assistants en sont profondément émus.

Quelques-uns même étaient effrayés de la surexcitation du médium, mais nous pensions qu'un Esprit qui se repent et qui implore la pitié n'offrait aucun danger. S'il a emprunté ses organes, c'est pour mieux dépeindre sa situation et intéresser davantage à son sort, mais non, comme les Esprits obsesseurs et possesseurs, en vue de s'emparer de lui pour le dominer. Cela lui a sans doute été permis dans son propre intérêt, et peut-être aussi pour l'instruction des personnes présentes.

Il s'écrie :

« Oh ! oui, de la pitié ! j'en ai bien besoin, car vous ne savez pas ce que je souffre !… non, vous ne le savez pas ; vous ne pouvez pas le comprendre… c'est horrible !… La guillotine ! qu'est-ce que cela, à côté de ce que j'endure maintenant ? Ce n'est rien ; c'est un instant. Mais ce feu qui me dévore, c'est pire, c'est une mort continuelle ; c'est une souffrance qui ne laisse ni trêve ni repos… qui n'a point de fin !

Et mes victimes qui sont là, autour de moi,… qui me montrent leurs plaies,… qui me poursuivent de leurs regards !… Elles sont là, devant moi… je les vois toutes… oui toutes,… je les vois toutes ; je ne puis les éviter !… Et cette mare de sang !… et cet or souillé de sang !… tout est là ! toujours devant moi !… Sentez-vous l'odeur du sang ?… Du sang, toujours du sang !… Les voilà, ces pauvres victimes ; elles m'implorent… et moi, sans pitié, je frappe,… je frappe,… je frappe toujours !… Le sang m'enivre !

Je croyais qu'après ma mort tout serait fini ; c'est pourquoi j'ai bravé le supplice ; j'ai bravé Dieu, je l'ai renié !… Et voilà que quand je me croyais anéanti pour toujours, un réveil terrible se fait ;… oh ! oui, terrible !… je suis entouré de cadavres, de figures menaçantes… je marche dans le sang… Je croyais être mort, et je vis !… Je vis pour revoir tout cela ! pour le voir sans cesse !… C'est affreux !… c'est horrible ! plus horrible que tous les supplices de la terre !

Oh ! si tous les hommes pouvaient savoir ce qu'il y a au delà de la vie ! ils sauraient ce qu'il en coûte de faire le mal ; il n'y aurait plus d'assassins, plus de criminels, plus de malfaiteurs !… Je voudrais que tous les assassins puissent voir ce que je vois et ce que j'endure… Oh ! non, il n'y en aurait plus… c'est trop affreux de souffrir ce que je souffre !

Je sais bien que je l'ai mérité, ô mon Dieu ! car je n'ai point eu pitié de mes victimes ; j'ai repoussé leurs mains suppliantes quand elles me demandaient de les épargner. Oui, j'ai moi-même été cruel ; je les ai lâchement tuées pour avoir leur or !… J'ai été impie ; je vous ai renié ; j'ai blasphémé votre saint nom… J'ai voulu m'étourdir ; c'est pourquoi je voulais me persuader que vous n'existiez pas... Oh ! mon Dieu ! je suis un grand criminel ! Je le comprends maintenant. Mais n'aurez-vous pas pitié de moi ?… Vous êtes Dieu, c'est-à-dire la bonté, la miséricorde ! Vous êtes tout-puissant !

Pitié, Seigneur ! oh ! pitié ! pitié ! Je vous en prie, ne soyez pas inflexible ; délivrez-moi de cette vue odieuse, de ces images horribles,… de ce sang,… de mes victimes dont les regards me percent jusqu'au cœur comme des coups de poignard.

Vous qui êtes ici, qui m'écoutez, vous êtes de bonnes âmes, des âmes charitables ; oui, je le vois, vous aurez pitié de moi, n'est-ce pas ? Vous prierez pour moi… Oh ! je vous en supplie ! ne me repoussez pas. Vous demanderez à Dieu de m'ôter cet horrible spectacle de devant les yeux ; il vous écoutera, parce que vous êtes bons… Je vous en prie, ne me repoussez pas comme j'ai repoussé les autres… Priez pour moi ! »

Les assistants, touchés de ses regrets, lui adressèrent des paroles d'encouragement et de consolation. Dieu, lui dit-on, n'est point inflexible ; ce qu'il demande au coupable, c'est un repentir sincère et le désir de réparer le mal qu'il a fait. Puisque votre cœur n'est point endurci, et que vous lui demandez pardon de vos crimes, il étendra sur vous sa miséricorde, si vous persévérez dans vos bonnes résolutions pour réparer le mal que vous avez fait. Vous ne pouvez sans doute pas rendre à vos victimes la vie que vous leur avez ôtée, mais, si vous le demandez avec ferveur, Dieu vous accordera de vous retrouver avec elles dans une nouvelle existence, où vous pourrez leur montrer autant de dévouement que vous avez été cruel ; et quand il jugera la réparation suffisante, vous rentrerez en grâce auprès de lui. La durée de votre châtiment est ainsi entre vos mains ; il dépend de vous de l'abréger ; nous vous promettons de vous aider de nos prières, et d'appeler sur vous l'assistance des bons Esprits. Nous allons dire à votre intention la prière contenue dans l'Imitation de l'Evangile pour les Esprits souffrants et repentants. Nous ne dirons pas celle pour les mauvais Esprits, parce que dès lors que vous vous repentez, que vous implorez Dieu, et renoncez à faire le mal, vous n'êtes plus à nos yeux qu'un Esprit malheureux, et non mauvais.

Cette prière dite, et après quelques instants de calme, l'Esprit reprend :

« Merci, mon Dieu !… oh merci ! vous avez eu pitié de moi ; ces horribles images s'éloignent… Ne m'abandonnez pas… envoyez-moi vos bons Esprits pour me soutenir… Merci ! »

Après cette scène, le médium est, pendant quelque temps, brisé et anéanti ; ses membres sont courbaturés. Il a le souvenir, d'abord confus, de ce qui vient de se passer ; puis, peu à peu il se rappelle quelques-unes des paroles qu'il a prononcées, et qu'il disait malgré lui ; il sentait que ce n'était pas lui qui parlait.

Le lendemain, dans une nouvelle réunion, l'Esprit se manifeste encore, et recommence, pendant quelques minutes seulement, la scène de la veille, avec la même pantomime expressive, mais moins violente ; puis il écrit, par le même médium, avec une agitation fébrile, les paroles suivantes :

« Merci de vos prières ; déjà une amélioration sensible se produit en moi. J'ai prié Dieu avec tant de ferveur, qu'il a permis que, pour un moment, mes souffrances soient soulagées ; mais je les verrai encore, mes victimes… Les voilà ! les voilà !… Voyez-vous ce sang ?… »

(La prière de la veille est répétée. L'Esprit continue, en s'adressant au médium) :

Pardon de m'emparer de vous. Merci du soulagement que vous apportez à mes souffrances ; pardon à vous de tout le mal que je vous ai occasionné ; mais j'ai besoin de me manifester ; vous seule pouvez…

Merci ! merci ! un peu de soulagement se produit ; mais je ne suis pas au bout de mes épreuves. Bientôt encore mes victimes reviendront. Voilà la punition ; je l'ai méritée, mon Dieu ! mais soyez indulgent.

Vous tous, priez pour moi ; avez pitié de moi.

Latour. »



Remarque. Quoique nous n'ayons pas de preuve matérielle de l'identité de l'Esprit qui s'est manifesté, nous n'avons pas non plus de motifs pour en douter. Dans tous les cas, c'est évidemment un Esprit très coupable, mais repentant, affreusement malheureux et torturé par le remords. A ce titre, cette communication est très instructive, car on ne peut méconnaître la profondeur et la haute portée de quelques-unes des paroles qu'elle renferme ; elle offre en outre un des aspects du monde des Esprits châtiés, au-dessus duquel cependant on entrevoit la miséricorde de Dieu. L'allégorie mythologique des Euménides n'est pas aussi ridicule qu'on le croit, et les démons, bourreaux officiels du monde invisible, qui les remplacent dans la croyance moderne, sont moins rationnels, avec leurs cornes et leurs fourches, que ces victimes servant elles-mêmes au châtiment du coupable.

En admettant l'identité de cet Esprit, on s'étonnera peut-être d'un changement aussi prompt dans son état moral ; c'est, ainsi que nous l'avons fait remarquer dans une autre occasion, qu'il y a souvent plus de ressources chez un Esprit brutalement mauvais, que chez celui qui est dominé par l'orgueil, ou qui cache ses vices sous le manteau de l'hypocrisie. Ce prompt retour à de meilleurs sentiments indique une nature plus sauvage que perverse, à laquelle il n'a manqué qu'une bonne direction. En comparant son langage à celui d'un autre criminel cité dans la Revue de juillet 1864, sous le titre de : Châtiment par la lumière, il est aisé de voir celui des deux qui est le plus avancé moralement, malgré la différence de leur instruction et de leur position sociale ; l'un obéissait à un instinct naturel de férocité, à une sorte de surexcitation, tandis que l'autre apportait dans la perpétration de ses crimes le calme et le sang-froid d'une lente et persévérante combinaison, et après sa mort bravait encore le châtiment par orgueil ; il souffre, mais ne veut pas en convenir ; l'autre est dompté immédiatement. On peut ainsi prévoir lequel des deux qui souffrira le plus longtemps.





Études morales

On lit dans le Siècle du 5 juin 1864 :

« Un Berlinois, M. X…, possédait une assez grande fortune. Son père, au contraire, à la suite de plusieurs revers, était tombé dans un dénuement absolu et s'était vu contraint de recourir à la générosité de son fils. Celui-ci repoussa durement la requête du vieillard qui, pour ne pas mourir de faim, dut solliciter l'intervention de la justice. M. X… fut condamné à fournir à son père une pension alimentaire. Mais M. X… avait pris ses précautions. Pressentant que, s'il se refusait à s'exécuter, une opposition serait mise sur ses revenus, il prit le parti de céder sa fortune à son oncle paternel.

Le malheureux père se voyait de la sorte enlever sa dernière espérance. Il protesta que la cession était fictive et que son fils n'y avait recouru que pour échapper à l'exécution du jugement. Mais il eût fallu pouvoir le prouver, et, loin d'être à même d'intenter un procès coûteux, le vieillard manquait des choses les plus nécessaires à la vie.

Un événement imprévu vint tout changer. L'oncle mourut subitement et sans tester. N'ayant pas de famille, la fortune revint de droit à son plus proche parent, c'est-à-dire à son frère.

« On comprend le reste. Aujourd'hui, les rôles sont intervertis. Le père est riche et son fils pauvre. Ce qui doit surtout ajouter à l'exaspération de ce dernier, c'est qu'il ne peut invoquer le fait d'une cession fictive, la loi interdisant formellement ce genre de transaction. »

S'il en était toujours ainsi du mal, dira-t-on, on comprendrait mieux la justice du châtiment ; le coupable sachant pourquoi il est puni, saurait de quoi il doit se corriger.

Les exemples de châtiments immédiats sont moins rares qu'on ne croit. Si l'on remontait à la source de toutes les vicissitudes de la vie, on y verrait presque toujours la conséquence naturelle de quelque faute commise. L'homme reçoit à chaque instant de terribles leçons dont malheureusement bien peu profitent. Aveuglé par la passion, il ne voit pas la main de Dieu qui le frappe ; loin de s'accuser de ses propres infortunes, il s'en prend à la fatalité, à sa mauvaise chance ; il s'irrite bien plus souvent qu'il ne se repent, et nous ne serions pas surpris que le fils dont il est parlé ci-dessus, au lieu d'avoir reconnu ses torts envers son père, d'être revenu à son égard à de meilleurs sentiments, n'eût conçu contre lui une plus grande animosité. Or, qu'est-ce que Dieu demande au coupable ? Le repentir et la réparation volontaire.

Pour l'y exciter, il multiplie autour de lui les avertissements sous toutes les formes pendant sa vie : malheurs, déceptions, dangers imminents, en un mot, tout ce qui est propre à le faire réfléchir ; si malgré cela son orgueil résiste, n'est-il pas juste qu'il soit puni plus tard ? C'est une grave erreur de croire que le mal soit parfois complètement impuni dans la vie actuelle ; si l'on savait tout ce qui arrive au méchant en apparence le plus prospère, on se convaincrait de cette vérité qu'il n'est pas une seule faute dans cette vie, pas un seul mauvais penchant, disons plus, pas une seule mauvaise pensée qui n'ait sa contrepartie ; d'où cette conséquence que, si l'homme mettait à profit les avertissements qu'il reçoit, s'il se repentait et réparait dès cette vie, il aurait satisfait à la justice de Dieu, et n'aurait plus à expier ni à réparer, soit dans le monde des Esprits, soit dans une nouvelle existence. Si donc il en est qui, dans cette vie, souffrent du passé de leur existence précédente, c'est qu'ils ont à payer une dette qu'ils n'ont pas acquittée. Si le fils dont il est question meurt dans l'impénitence, il subira d'abord, dans le monde des Esprits, le châtiment du remords ; il souffrira moralement ce qu'il a fait endurer matériellement ; ce sera un Esprit malheureux, parce qu'il aura violé la loi qui lui disait : honore ton père et ta mère. Mais Dieu, qui est souverainement bon en même temps que souverainement juste, lui permettra de se réincarner pour réparer ; il lui donnera peut-être le même père, et, dans sa bonté, il lui épargnera l'humiliant souvenir du passé ; mais le coupable apportera avec lui l'intuition des résolutions qu'il aura prises, la volonté de faire le bien au lieu de faire le mal ; ce sera la voix de la conscience qui lui dictera sa conduite. Puis, quand il rentrera dans le monde des Esprits, Dieu lui dira : Viens à moi, mon fils, tes fautes sont effacées. Mais s'il échoue dans cette nouvelle épreuve, ce sera pour lui à recommencer, jusqu'à ce qu'il ait entièrement dépouillé le vieil homme.

Cessons donc de voir dans les misères que nous endurons pour les fautes d'une existence antérieure un mystère inexplicable, et disons-nous qu'il dépend de nous de les éviter en méritant notre pardon dès cette vie ; nos dettes acquittées, Dieu ne nous les fera pas payer une seconde fois ; mais si nous restons sourds à ses avertissements, alors il exigera jusqu'à la dernière obole, fût-ce après plusieurs siècles ou plusieurs milliers d'années. Pour cela, ce ne sont pas de vains simulacres qu'il exige, c'est la réforme radicale du cœur. Le séjour des élus n'est ouvert qu'aux Esprits purifiés ; toute souillure en interdit l'accès. Chacun Peut y prétendre : à chacun de faire ce qu'il faut pour cela, et d'y arriver tôt ou tard selon ses efforts et sa volonté ; mais Dieu ne dit à aucun : Tu ne te purifieras pas !

« On écrit de Marseille :

Un des plus honorables négociants de notre ville, entouré de l'estime générale, M. X…, vient de tirer un coup de pistolet sur le vicaire de Saint-Barnabé. Lundi dernier, M. X… apprend, par une lettre anonyme, que sa femme entretenait des relations intimes avec ce prêtre. On lui donne les détails les plus circonstanciés, qui ne lui laissent aucun doute sur l'étendue de son malheur. Il rentre chez lui, fait une enquête auprès de ses domestiques : femme de chambre, valets, jardinier, cocher, etc., tous avouent ce qu'ils savent. Cette intrigue durait depuis quinze mois. M. X… était la fable de tout le quartier, et lui seul ne s'en doutait pas. C'est après cette enquête qu'il a tiré le coup de pistolet contre le vicaire. » (Siècle du 7 juin 1864.)

Qui est le plus coupable dans cette triste affaire ? La femme, le mari ou le prêtre ? La femme qui, circonvenue par de pieux sophismes, s'est probablement crue disculpée par la qualité du complice, et s'est tranquillisée par l'espoir d'une absolution facile ? Le mari qui, cédant à un mouvement d'indignation, n'a pu maîtriser sa colère ? Ou le prêtre qui, de sang-froid, avec préméditation, viole ses vœux, abuse de son caractère, trompe la confiance pour jeter le désordre, le désespoir et la désunion dans une famille honorable ? La conscience publique a prononcé son verdict ; mais, en dehors du fait matériel, il est des considérations d'une plus haute gravité.

Une philosophie à conscience élastique pourra peut-être trouver une excuse dans l'entraînement des passions, et se bornera à blâmer des vœux imprudents. Admettons, si l'on veut, non une excuse, mais une circonstance atténuante aux yeux des hommes charnels, il n'en reste pas moins un abus de confiance et de l'ascendant que le coupable puisait dans sa qualité ; la fascination qu'il exerçait sur sa victime à l'abri de son habit sacré : là est là faute, là est le crime qui, s'il n'était puni par la justice des hommes, le sera certainement par la justice de Dieu.

Or, quinze mois étaient plus que suffisants pour lui donner le temps de la réflexion et de revenir au sentiment de ses devoirs. Que faisait-il dans l'intervalle ? Il enseignait à la jeunesse les vérités de la religion ; il prêchait les vertus du Christ, la chasteté de Marie, l'éternité des peines contre les pécheurs ; il remettait ou retenait les fautes d'autrui selon son propre jugement ; et lui, le réfractaire aux commandements de Dieu qui condamnent ce qu'il faisait, était le dispensateur infaillible de l'inflexible sévérité ou de la miséricorde de Dieu ! Est-ce un cas isolé ? Hélas! l'histoire de tous les temps est malheureusement là pour prouver le contraire. Nous faisons ici abstraction de l'individu, pour ne voir qu'un principe qui donne prise à l'incrédulité et mine sourdement l'élément religieux. La puissance absolutrice du prêtre est, dit-on, indépendante de sa conduite personnelle ; soit, nous ne discuterons pas ce point, quoiqu'il paraisse étrange qu'un homme qui, par ses infamies, mérite l'enfer, puisse ouvrir ou fermer les portes du paradis à qui bon lui semble, alors que souvent des excès lui ôtent l'entière lucidité de ses idées. Si la crainte des peines éternelles n'arrête pas dans la voie du mal et dans la violation des commandements de Dieu ceux qui les préconisent, c'est qu'ils n'y croient pas eux-mêmes ; la première condition pour inspirer confiance serait de prêcher d'exemple.


On lit l'article suivant dans divers journaux français et étrangers :

« Les Spirites viennent de recruter de nouveaux adeptes en Allemagne. Un certain médecin de Zittau, du nom de Berthelen, auteur d'un opuscule sur les tables tournantes, a organisé une société qui s'intitule : Association des chercheurs de trésors, et qui a pour objet de fouiller le sol des localités qui passent pour renfermer des trésors enfouis. Les opérations de l'entreprise sont conduites par une somnambule des plus lucides, madame Louise Ebermann, et ont commencé par des fouilles quotidiennes qu'on exécute à heure fixe au milieu d'un champ planté de tabac, où se trouverait cachée une somme de 400 000 thalers (1 500 000 francs). La société ne compte encore que sept ou huit membres prenant part aux travaux, et jusqu'à présent leurs opérations se bornent à dire des prières en commun et à enlever, avec un certain cérémonial, les terres retirées du sol où l'on espère découvrir le bienheureux trésor. »

Il est vraiment curieux de voir l'empressement de certains journaux à reproduire tout ce qui, selon eux, peut jeter du discrédit sur le Spiritisme. Le moindre événement malheureux ou ridicule, et auquel, à tort ou à raison, se trouve mêlé le mot spirite, est à l'instant répété sur toute la ligne, avec des variantes plus ou moins ingénieuses, sans souci de la vérité ; les canards même les plus invraisemblables sont acceptés avec un sérieux vraiment comique. A l'apparition des spectres sur les théâtres, tous de répéter à l'envi que le Spiritisme était coulé à fond, et que ses plus importantes ficelles étaient enfin découvertes ; un charlatan, un saltimbanque, un diseur de bonne aventure croit-il devoir s'affubler du nom de Spirite, aussitôt les adversaires de le signaler comme un des représentants de la doctrine. De tout cela qu'est-il résulté ? Retentissement du nom ; de là désir de connaître la chose ; ridicule pour les railleurs qui parlent étourdiment de ce qu'ils ne savent pas ; odieux tombé sur les calomniateurs ; et, par suite, accroissement du nombre des adeptes sérieux, les seuls qui comptent parmi les spirites.

L'article ci-dessus appartient à la catégorie dont nous venons de parler. L'auteur se donne à lui-même un démenti en disant que les recherches se font à l'aide d'une somnambule des plus lucides ; ce n'est donc pas avec le secours des Esprits. Sur quoi se fonde-t-il pour dire que c'est une association de Spirites ? Sur ce que le fondateur de la société a écrit un opuscule sur les tables tournantes. S'ensuit-il qu'il soit Spirite ? En aucune façon, car à l'époque des tables tournantes on en était encore à l'a b c de la science ; et d'ailleurs, s'il connaissait le Spiritisme, il saurait que les Esprits ne peuvent favoriser aucune recherche de cette nature.

Depuis que l'on connaît le somnambulisme, on l'a employé à la découverte des trésors, et jusqu'à présent personne n'a réussi qu'à dépenser de l'argent en fouilles inutiles, comme jadis les chercheurs de la pierre philosophale. Nous prédisons le même sort à la nouvelle entreprise. Quand on sut que les Esprits pouvaient se communiquer, une première pensée, fort naturelle du reste, fut aussi qu'ils pourraient servir utilement les spéculations de toute nature ; mais on ne tarda pas à reconnaître que, sous ce rapport, on n'en retirait que des mystifications. A cela il y avait une cause : ce sont les Esprits eux-mêmes qui l'ont indiquée ; aussi n'est-il aujourd'hui pas un seul Spirite éclairé qui perde son temps à poursuivre de telles chimères, parce que tous savent que Dieu ne donne point aux hommes de pareils moyens de s'enrichir, et que c'est la raison pour laquelle il ne permet pas aux Esprits les révélations de ce genre.

C'est donc abusivement que l'auteur de l'article a placé l'association allemande des chercheurs d'or sous le patronage du Spiritisme ; ce n'est pas parmi ceux qui ne voient dans les Esprits que les serviteurs de l'ambition, de la cupidité et des intérêts matériels que la doctrine recrute ses adeptes, mais parmi ceux qui la considèrent comme une cause d'amélioration morale.

Pour plus ample instruction à ce sujet, nous renvoyons au Livre des Médiums, chap. xxvi, Questions que l'on peut adresser aux Esprits ; n° 291, Questions sur les intérêts moraux et matériels ; n° 294, Questions sur les inventions et découvertes ; n° 295, Questions sur les trésors cachés.

Pendant notre séjour à Anvers, nous avons été visiter l'exposition de peinture, où nous avons admiré des œuvres vraiment remarquables de peintres nationaux ; nous y avons vu avec un extrême plaisir figurer très honorablement deux tableaux de notre collègue de la Société spirite de Paris, M. Wintz, 63, rue de Clichy : Retour des vaches et un clair de Lune. Mais ce qui a particulièrement appelé notre attention, c'est un tableau de genre porté au livret sous le titre de : Scène d'intérieur de paysans spirites. Dans un intérieur de ferme, trois individus en costume flamand sont assis autour d'un énorme billot sur lequel ils posent les mains dans l'attitude de ceux qui font mouvoir les tables. A leur physionomie attentive et recueillie, on reconnaît qu'ils prennent la chose au sérieux. D'autres personnages, hommes, femmes et enfants, sont diversement groupés, les uns épiant avec anxiété le premier mouvement de l'énorme masse, les autres souriant avec un air de scepticisme. Cette peinture, qui n'est pas sans mérite comme exécution, est originale et vraie. Si nous en exceptons le tableau médianimique qui figurait comme tel à l'exposition des arts de Constantinople (Voir la Revue de juillet 1863, p. 209), c'est la première fois que le Spiritisme figure aussi nettement avoué dans les œuvres d'art ; c'est un commencement.


Allan Kardec

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