REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

Vous êtes ici: REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864 > Juillet


Juillet



Le numéro de la Revue du mois de juin était composé et en partie tiré, lorsque nous est parvenue la lettre ci-après de M. l'abbé Barricand, auquel nous avons fait répondre ce qui suit :

« Monsieur.

M. Allan Kardec me charge de vous accuser réception de la lettre que vous lui avez adressée, et de vous dire qu'il était superflu de le requérir de l'insérer dans la Revue ; il suffisait que vous lui eussiez adressé une rectification motivée pour qu'il eût considéré comme un devoir d'impartialité d'y faire droit. Le numéro de la Revue du 1er juin étant tiré au moment de la réception de votre lettre, elle ne pourra paraître que dans le numéro suivant.

Recevez, etc.

Lyon, 19 mai 1864.



« Monsieur,

Je viens de lire dans le numéro de la Revue spirite du mois de mai 1864 un article où mon cours est tellement travesti et défiguré que je me vois dans la nécessité d'y faire une réponse, pour détruire l'impression défavorable que cet article a dû laisser à vos lecteurs, touchant ma personne et mon enseignement.

Cet article est intitulé : Cours publics de Spiritisme à Lyon. Jamais on n'a vu figurer cette désignation sur aucun de mes programmes, et si quelqu'un s'est rendu à mon cours dans la croyance qu'il assisterait à des leçons de Spiritisme, ce n'est pas, comme vous l'insinuez, parce qu'il a été séduit par un titre attrayant et quelque peu trompeur, mais uniquement parce qu'il ne s'est pas donné la peine de lire celui que portent nos affiches.

Vous apprenez à vos lecteurs que le journal la Vérité relève plusieurs de nos assertions, et de plus qu'il se charge de nous réfuter, ce dont, nous n'en doutons pas, ajoutez-vous, il s'acquittera à merveille, à en juger par son début. Mais vous ne faites pas connaître ces assertions. Notre contradicteur affirme, il est vrai, que pas n'est besoin d'avoir fait sa théologie pour tenir une plume, et qu'il ne craindra pas de nous poursuivre avec les seules armes de la raison et de la foi en Dieu que donne le Spiritisme ;… que la thèse paradoxale que nous soutenons ne se discute pas ;… que nous ne nous ferions pas tirer l'oreille pour accompagner le Spiritisme au cimetière, mais qu'il ne faut pas trop se hâter de sonner le glas funèbre ;… que, pour son propre compte, il est en mesure d'allaiter par lui-même, et sans trop de peine, ce petit enfant qu'on nomme la Vérité ;… que le sang de l'avenir coule plus chaud que jamais dans les veines du Spirite, et qu'il a la confiance intime qu'un jour nous sera donné le ton définitif du plus magnifique Te Deum.

M. Allan Kardec est bien le maître assurément de s'imaginer que ces assertions relèvent les nôtres et de promettre à ses lecteurs que, à en juger par son début, le directeur de la Vérité s'acquittera à merveille de la tâche qu'il s'est imposée de nous réfuter ; mais nous avons de la peine à croire qu'en dehors de l'école spirite, on ait la même opinion, et nous irions même jusqu'à soupçonner que, s'il eût plu à M. le directeur de la Revue spirite de mettre en entier sous les yeux de ses abonnés l'article où notre antagoniste engage la lutte, plusieurs d'entre eux auraient hésité à le regarder comme un début qui promet une réfutation merveilleuse de nos leçons contre le Spiritisme.

Mais, direz-vous peut-être : le résumé que donne la Vérité d'une partie de votre argumentation ne la reproduit-il pas avec fidélité ? Non, monsieur, ce résumé n'en est qu'une burlesque parodie. Tout y est falsifié, et notre langage, et nos idées, et notre raisonnement. Ces expressions hautaines : Je me fais fort de vous prouver, prétentieux piédestal… compte rendu emphatique, chiffres ambitieux, comédie que tout cela. La caisse de M. Allan Kardec est bien fournie, n'est-il pas juste qu'elle vienne en aide à ses disciples, etc., ne sont jamais entrés dans nos leçons, et M. le directeur de la Vérité se serait épargné la peine de les mettre sur notre compte, s'il eût compris ou voulu comprendre le véritable état de la question que nous avons traitée devant lui.

De quoi s'agissait-il, en effet ? De faire connaître à notre auditoire quelle était, à la fin de 1862 et à la fin de 1863, la situation du Spiritisme à Lyon. Or, pour ne nous appuyer que sur des données qu'aucun Spirite ne peut récuser, au lieu de parler de vos voyages et de supputer ce que pouvait contenir votre caisse, nous nous sommes contenté de mettre en opposition votre brochure intitulée : Voyage spirite en 1862, et votre article de la Revue Spirite (janvier 1864), dans lequel vous rendez compte à vos abonnés de la situation du Spiritisme en 1863. De la différence si tranchée de ton et de langage qu'on remarque dans ces deux documents, nous avons cru devoir conclure, non comme nous fait dire la Vérité, que le Spiritisme est mort ou mourant, mais qu'il subit, du moins à Lyon, un temps d'arrêt, si déjà il n'y est entré dans une période de décadence. A l'appui de cette conclusion, nous avons rappelé les aveux du directeur de la Vérité ; car, tandis que M. Allan Kardec affirme qu'en 1862 on pouvait, sans exagération, compter de 25 à 30 mille Spirites lyonnais, M. Edoux ne fait pas difficulté de reconnaître que leur nombre aujourd'hui ne dépasse pas dix mille ; or, quel autre nom que celui de décadence peut-on donner à une si sensible diminution ?

Rien n'était plus facile, ce nous semble, que de saisir le véritable sens d'une si simple argumentation, et d'en faire une exacte analyse ; mais M. le directeur de la Vérité, au lieu de s'astreindre à reproduire fidèlement notre exposé, a pensé qu'il serait plus piquant de donner à ses lecteurs le joli échantillon de notre cours qu'il a inséré dans son journal.

C'est pourtant ce compte rendu, où perce à chaque ligne le défaut de logique et de sincérité, que vous avez cru pouvoir donner pour fondement à ces insinuations malveillantes qui tendent à nous présenter à vos lecteurs comme un homme qui s'immisce dans vos actes privés, qui d'une simple supposition tire une conséquence absolue ; qui suppute ce qu'il y a au fond de votre caisse pour en faire le texte d'un enseignement public. De telles accusations, lancées au hasard et sans ombre de preuves, tombent d'elles-mêmes : il suffit, selon la parole d'un ancien auteur, de les mettre au jour pour les réfuter : Vestra exposuisse refellisse est.

Vous avez cru devoir, en terminant votre article, nous enseigner comment doit se faire un cours de théologie ; nous nous garderons bien de vouloir à notre tour vous faire la leçon ; mais qu'il nous soit permis, du moins, de vous donner le conseil charitable, si vous voulez vous épargner bien des démentis, de n'accepter désormais qu'avec une certaine défiance les comptes rendus de vos correspondants ; car, pour emprunter le langage de notre bon La Fontaine :

Rien n'est plus dangereux qu'un ignorant ami,

Mieux vaudrait un sage ennemi.

Je vous prie, et au besoin je vous requiers, d'insérer intégralement cette réponse dans votre prochain numéro.

Veuillez agréer l'assurance de mes sentiments distingués.

A. Barricand,

Doyen de la Faculté de théologie. »



Les paroles contre lesquelles réclame M. l'abbé Barricand sont celles-ci : « Il est facile à M. Allan Kardec de poser cette assertion : Le Spiritisme est plus puissant que jamais, et de citer comme principale preuve la création de la Ruche et de la Vérité ! Messieurs, comédie que tout cela !… Ces deux journaux peuvent bien exister, sans être précisément obligé de conclure que le Spiritisme a fait un pas en avant… Si vous m'objectiez que ces journaux ont des frais, et que pour les payer il faut des abonnés, ou s'imposer des sacrifices par trop écrasants, je répondrais encore : Comédie !… La caisse de M. Allan Kardec est bien fournie, dit-on ; n'est-il pas juste, rationnel, qu'il vienne en aide à ses disciples ? »

Elles sont extraites textuellement du journal la Vérité du 10 avril 1864 ; nous n'avons fait qu'y ajouter les réflexions très naturelles qu'elles nous ont suggérées, en disant que nous ne reconnaissions à personne le droit de supputer le fond de notre bourse, et de préjuger l'usage que nous faisons de ce que l'on suppose que nous possédons, et moins encore d'en faire le texte d'un enseignement public. (Voir la Revue du mois de mai, page 154.)

Sans rechercher si M. Barricand a prononcé les paroles qu'il conteste, ou l'équivalent, on peut s'étonner qu'il n'en ait pas demandé tout d'abord la rectification au journal auquel nous n'avons fait que les emprunter. Ce journal est du 10 avril ; il paraît à Lyon toutes les semaines et lui est adressé ; or, sa lettre est du 19 mai, et cinq numéros avaient paru dans l'intervalle. De deux choses l'une : ces paroles sont justes ou elles sont fausses ; si elles sont fausses, c'est que le rédacteur, qui déclare, dans l'article, avoir assisté à la leçon du professeur, les a inventées ; comment se fait-il alors que, dans ce même article, il proteste contre l'allégation d'être subventionné par nous, en disant qu'il n'a besoin du secours de personne, et peut marcher tout seul ? Il se serait donc étrangement mépris. Comment se fait-il qu'en présence de cette double assertion, M. Barricand ait laissé passer plus d'un mois sans protester ? Son silence, alors qu'il ne pouvait en ignorer, a dû être considéré par nous comme un assentiment, car il est bien évident que, si elles eussent été rectifiées dans la Vérité, nous ne les aurions pas reproduites.

M. l'abbé Barricand revient, dans sa lettre, sur la thèse qu'il a soutenue concernant la prétendue décadence du Spiritisme, en restreignant toutefois la portée de ses expressions. Puisque cette pensée le tranquillise, nous la lui laissons volontiers, parce que nous n'avons aucun intérêt à le dissuader. Qu'il tire donc de l'absence de stipulations précises sur le nombre des Spirites toutes les inductions qu'il voudra, cela n'empêchera pas les choses de suivre leur cours. Peu nous importe que nos adversaires croient ou ne croient pas aux progrès du Spiritisme ; au contraire, moins ils y croiront, moins ils s'en occuperont, et plus ils nous laisseront tranquilles ; nous ferons même volontiers les morts si cela peut leur être agréable. Ce serait à eux de ne pas nous réveiller ; mais tant qu'ils crieront, fulmineront, anathématiseront, qu'ils useront de violences et de persécutions, ils ne feront croire à personne que nous sommes morts tout de bon.

Jusqu'à présent le clergé avait cru qu'un moyen d'effrayer à l'endroit du spiritisme, et de le faire repousser, était d'exagérer outre mesure le nombre de ses adeptes. Dans combien de sermons, mandements et publications de tous genres ceux-ci n'ont-ils pas été présentés comme envahissant la société et mettant, par leur accroissement, l'Église en péril ? Nous avons affirmé le progrès des idées spirites que, mieux que qui que ce soit, nous sommes à même de constater ; mais jamais nous ne sommes tombé dans des calculs hyperboliques ; jamais nous n'avons dit, comme un certain prédicateur, qu'à Bordeaux seul il s'était vendu en peu de temps pour plus de 170 000 fr. de nos livres. Ce n'est pas nous qui avons dit qu'il y avait 20 millions de Spirites en France, ni, comme dans un récent ouvrage, 600 millions dans le monde entier, ce qui équivaudrait à plus de la moitié de la population totale du globe. Le résultat de ces tableaux a été tout autre que celui qu'on en attendait ; or, si nous voulions procéder par induction, nous soupçonnerions M. l'abbé Barricand de vouloir suivre une tactique contraire, en atténuant les progrès du Spiritisme au lieu de les exalter.

Quoi qu'il en soit, la statistique exacte des Spirites est une chose impossible, vu le nombre immense de personnes sympathiques à l'idée, et qui n'ont aucun motif de se mettre en évidence, les Spirites n'étant point enrégimentés comme dans une confrérie. On se tromperait fort si l'on prenait pour base le nombre des groupes officiellement connus, attendu qu'il n'y a pas la millième partie des adeptes qui les fréquentent ; nous connaissons telles villes où il n'existe aucune société régulière, et où il y a plus de Spirites que dans telle autre qui en compte plusieurs. Nous l'avons dit, d'ailleurs, les sociétés ne sont nullement une condition nécessaire à l'existence du Spiritisme ; il s'en forme aujourd'hui qui cessent demain, sans que sa marche en soit entravée en quoi que ce soit ; le Spiritisme est une question de foi et de croyance et non d'association.

Quiconque partage nos convictions au sujet de l'existence et de la manifestation des Esprits, et des conséquences morales qui en découlent, est Spirite de fait, sans qu'il ait besoin d'être inscrit sur un registre matricule ou de recevoir un diplôme. Une simple conversation suffit pour faire connaître ceux qui sont sympathiques à l'idée ou qui la repoussent, et par là on juge si elle gagne ou perd du terrain.

L'évaluation approximative du nombre des adeptes repose sur les rapports intimes, car il n'existe aucune base pour l'établissement d'un chiffre rigoureux, chiffre, du reste, incessamment variable ; telle lettre, par exemple, va nous révéler toute une famille spirite, et souvent plusieurs familles, dont nous n'avions aucune connaissance. Si M. Barricand voyait notre correspondance, peut-être changerait-il d'opinion, mais nous n'y tenons pas.

L'opposition que l'on fait à une idée est toujours en raison de son importance ; si le Spiritisme eût été une utopie, on ne s'en serait pas plus occupé que de tant d'autres théories ; l'acharnement de la lutte est l'indice certain qu'on le prend au sérieux. Mais s'il y a lutte entre le Spiritisme et le clergé, l'histoire dira quels ont été les agresseurs. Les attaques et les calomnies dont il a été l'objet l'ont forcé de retourner les armes qu'on lui lançait, et de montrer les côtés vulnérables de ses adversaires ; ceux-ci, en le harcelant, l'ont-ils arrêté dans sa marche ? Non ; c'est un fait acquis. S'ils l'eussent laissé en repos, le nom même du clergé n'eût pas été prononcé, et peut-être celui-ci y eût-il gagné. En l'attaquant au nom des dogmes de l'Église, il l'a forcé de discuter la valeur des objections, et par cela même d'entrer sur un terrain qu'il n'avait point l'intention d'aborder. La mission du Spiritisme est de combattre l'incrédulité par l'évidence des faits, de ramener à Dieu ceux qui le méconnaissent, de prouver l'avenir à ceux qui croient au néant ; pourquoi donc l'Église jette-t-elle l'anathème à ceux à qui il donne cette foi, plus que lorsqu'ils ne croyaient à rien ? En repoussant ceux qui croient à Dieu et à leur âme par lui, c'est les contraindre de chercher un refuge hors de l'Eglise. Qui, le premier, a proclamé que le Spiritisme était une religion nouvelle avec son culte et ses prêtres, si ce n'est le clergé ? Où a-t-on vu, jusqu'à présent, le culte et les prêtres du Spiritisme ? Si jamais il devient une religion, c'est le clergé qui l'aura provoquée.

On pense assez généralement que l'Église admet aujourd'hui le feu de l'enfer comme un feu moral et non comme un feu matériel ; telle est du moins l'opinion de la plupart des théologiens et de beaucoup d'ecclésiastiques éclairés ; mais ce n'est toutefois qu'une opinion individuelle et non une croyance acquise à l'orthodoxie, autrement elle serait universellement professée. On en peut juger par le tableau ci-après qu'un prédicateur a tracé de l'enfer, pendant le carême dernier, à Montreuil-sur-Mer :

« Le feu de l'enfer est des millions de fois plus intense que celui de la terre, et si l'un des corps qui y brûlent sans se consumer venait à être rejeté sur notre planète, il l'empesterait depuis un bout jusqu'à l'autre !

L'enfer est une vaste et sombre caverne, hérissée de clous pointus, de lames d'épées bien acérées, de lames de rasoirs bien affilées, dans laquelle sont précipitées les âmes des damnés ! »

Il serait superflu de réfuter cette description ; on pourrait toutefois demander à l'orateur où il a puisé une connaissance si précise de ce lieu qu'il décrit ; ce n'est certainement pas dans l'Évangile, où il n'est question ni de clous, ni d'épées, ni de rasoirs. Pour savoir que ces lames sont bien acérées et bien affilées, il faut les avoir vues et éprouvées ; est-ce que, nouvel Enée ou Orphée, il serait descendu lui-même dans cette sombre caverne, qui a du reste un grand air de famille avec le Tartare des païens ? Il aurait dû expliquer en outre l'action que des clous et des rasoirs peuvent avoir sur des âmes et la nécessité qu'ils fussent bien affilés et de bonne trempe. Puisqu'il connaît si bien les détails intérieurs de la localité, il aurait dû dire aussi où elle est située. Ce n'est pas au centre de la terre, puisqu'il suppose le cas où un des corps qu'elle renferme serait lancé sur notre planète. C'est donc dans l'espace ? Mais l'astronomie y a plongé ses regards bien avant, sans rien découvrir ; il est vrai qu'elle n'a pas regardé avec les yeux de la foi.

Quoi qu'il en soit, ce tableau est-il fait pour ramener les incrédules ? C’est plus que douteux, car il est plus propre à diminuer le nombre des croyants.

Comme contrepartie, nous citerons le fragment suivant d'une lettre écrite de Riom, et rapportée par le journal la Vérité, dans le numéro du 20 mars 1864 :

Hier, à ma grande surprise et à ma grande satisfaction, j'ai entendu de mes propres oreilles ce rassurant aveu sortir de la bouche d'un éloquent prédicateur, en présence d'un nombreux auditoire étonné : Il n'y a plus d'enfer… l'enfer n'existe plus… il est remplacé par une admirable substitution : les feux de la charité, les feux de l'amour rachètent nos fautes !

Notre divine doctrine (le Spiritisme) n'est-elle pas renfermée tout entière dans ces quelques paroles ? »

Il est inutile de dire lequel des deux a eu le plus de sympathies dans l'auditoire ; mais le second pourrait même être accusé d'hérésie par le premier. Jadis il eût infailliblement expié sur un bûcher ou dans un cachot l'audace d'avoir proclamé que Dieu ne fait pas brûler ses créatures.

Cette double citation nous suggère les réflexions suivantes :

Si les uns croient à la matérialité des peines, tandis que d'autres n'y croient pas, les uns ont nécessairement tort et les autres raisons.

Ce point est plus capital qu'il ne paraît au premier abord, car c'est la voie ouverte aux interprétations dans une religion fondée sur l'utilité absolue de croyance, et qui repousse l'interprétation en principe.

Il est bien certain que, jusqu'à ce jour, la matérialité des peines a fait partie des croyances dogmatiques de l'Église ; pourquoi donc tous les théologiens n'y croient-ils pas ? Comme ni les uns ni les autres n'ont vérifié la chose par eux-mêmes, qui est-ce qui en porte quelques-uns à ne voir qu'une figure là où d'autres voient la réalité, si ce n'est la raison qui, chez eux, l'emporte sur la foi aveugle ? Or, la raison, c'est le libre examen.

Voilà donc la raison et le libre examen entrés dans l'Église par la force de l'opinion ; on pourrait dire, sans métaphore, par la porte de l'enfer ; c'est la main portée sur le sanctuaire invariable des dogmes, non par des laïques, mais par le clergé lui-même.

Qu'on ne croie pas cette question de minime importance ; elle porte en elle le germe de toute une révolution religieuse et d'un immense schisme, bien autrement radical que le protestantisme, car il menace non seulement le catholicisme, mais le protestantisme, l'Église grecque et toutes les sectes chrétiennes. En effet, entre la matérialité des peines et les peines purement morales, il y a toute la distance du sens propre au sens figuré, de l'allégorie à la réalité ; dès lors qu'on admet les flammes de l'enfer comme allégorie, il demeure évident que les paroles de Jésus : « Allez au feu éternel, » ont un sens allégorique ; de là la conséquence qu'il doit en être de même de beaucoup d'autres de ses paroles.

Mais la conséquence la plus grave est celle-ci : Du moment qu'on admet l'interprétation sur un point, il n'y a pas motif de la rejeter sur les autres ; c'est donc, comme nous l'avons dit, la porte ouverte à la libre discussion, un coup mortel porté au principe absolu de la foi aveugle. La croyance à la matérialité des peines se lie intimement à d'autres articles de foi qui en sont le corollaire ; cette croyance transformée, les autres se transformeront par la force des choses, et ainsi de proche en proche.

En voici déjà une application. Il y a peu d'années encore le dogme : Hors l'Église point de salut était dans toute sa force ; le baptême était de condition si impérieuse, qu'il suffisait que l'enfant d'un hérétique le reçût clandestinement, et malgré la volonté de ses parents, pour être sauvé, car tout ce qui n'était pas rigoureusement orthodoxe était irrémissiblement condamné. Mais la raison humaine s'étant soulevée à la pensée de ces milliards d'âmes vouées aux tortures éternelles, alors qu'il n'avait pas dépendu d'elles d'être éclairées de la vraie foi, des innombrables enfants qui meurent avant d'avoir la conscience de leurs actes, et qui n'en sont pas moins damnés, si la négligence ou la foi religieuse de leurs parents les a privés du baptême, l'Église s'est départie de son absolutisme à cet égard. Elle dit aujourd'hui, ou du moins la plupart des théologiens disent que ces enfants ne sont pas responsables de la faute de leurs parents ; que la responsabilité ne commence que du moment qu'ayant la possibilité d'être éclairé, on s'y refuse, et que dès lors ces enfants ne sont pas damnés pour n'avoir pas reçu le baptême ; qu'il en est de même des sauvages et des idolâtres de toutes sectes. Quelques-uns vont plus loin ; ils reconnaissent que, par la pratique des vertus chrétiennes, c'est-à-dire de l'humilité et de la charité, on peut être sauvé dans toutes les religions, parce qu'il dépend aussi bien de la volonté d'un Indou, d'un juif, d'un musulman, d'un protestant que d'un catholique de vivre chrétiennement ; que celui qui vit ainsi est dans l'Église par l'Esprit, s'il n'y est pas par la forme. N'est-ce pas là le principe : Hors la l'Église point de salut élargi et transformé en celui : Hors la charité point de salut ? C'est précisément ce qu'enseigne le Spiritisme, et c'est cependant pour cela qu'il est déclaré être l'œuvre du démon. Pourquoi ces maximes serait-elles plutôt le souffle du démon dans la bouche des Spirites que dans celle des ministres de l'Église ? Si l'orthodoxie de la foi est menacée, ce n'est donc pas par le Spiritisme, mais par l'Église elle-même, parce qu'elle subit à son insu la pression de l'opinion générale, et que, parmi ses membres, il s'en trouve qui voient les choses de plus haut, et chez qui la puissance de la logique l'emporte sur la foi aveugle.

Il paraîtrait sans doute téméraire de dire que l'Église marche à la rencontre, du Spiritisme ; c'est pourtant une vérité que l'on reconnaîtra plus tard ; tout en marchant pour le combattre, elle ne s'en assimile pas moins peu à peu les principes sans s'en douter.

Cette nouvelle manière d'envisager la question du salut est grave ; l'Esprit mis au-dessus de la forme est un principe éminemment révolutionnaire dans l'orthodoxie. Le salut étant reconnu possible en dehors de l'Église, l'efficacité du baptême est relative et non absolue : il devient symbole. L'enfant non baptisé ne portant pas la peine de la négligence ou du mauvais vouloir de ses parents, que devient celle encourue par tout le genre humain pour la faute du premier homme ? que devient aussi le péché originel, tel que l'entend l'Église ?

Les plus grands effets ont souvent les plus petites causes ; le droit d'interprétation et de libre examen étant admis dans la question, puérile en apparence, de la matérialité des peines futures, est un premier pas dont les conséquences sont incalculables, car c'est une brèche faite à l'immuabilité dogmatique, et une pierre enlevée en entraîne d'autres. La position de l'Église est embarrassante, il faut en convenir ; cependant il n'y a que l'un de ces deux partis à prendre : rester stationnaire quand même, ou aller en avant ; mais alors elle ne peut échapper à ce dilemme : si elle s'immobilise d'une manière absolue dans les errements du passé, elle sera infailliblement débordée, comme elle l'est déjà, par le flot des idées nouvelles, puis isolée, puis démembrée, comme elle le serait aujourd'hui si elle eût persisté à rejeter de son sein ceux qui croient au mouvement de la terre, ou aux périodes géologiques de la création ; si elle entre dans la voie de l'interprétation des dogmes, elle se transforme, et elle y entre par le seul fait de renoncer à la matérialité des peines et à la nécessité absolue du baptême.

Le péril d'une transformation est du reste nettement et énergiquement formulé dans le passage suivant d'une petite brochure publiée par le R. P. Marin de Boylesve, de la Compagnie de Jésus, sous le titre de : Le Miracle et le diable, en réponse à la Revue des Deux-Mondes.

« Il est, entre autres, une question qui, pour la religion chrétienne, est la vie ou la mort, la question du miracle. Celle du diable ne l'est guère moins. Otez le diable, le christianisme disparaît. Si le diable n'est qu'un mythe, la chute d'Adam et le péché originel rentrent dans les régions de la fable ; la rédemption, par suite, le baptême, l'Église, le christianisme, en un mot, n'ont plus guère de raison d'être. Aussi la science ne s'épargne pas pour effacer le miracle et pour supprimer le diable. »

De sorte que, si la science découvre une loi de nature qui fasse rentrer dans les faits naturels un fait réputé miraculeux ; si elle prouve l'antériorité de la race humaine et la multiplicité de ses origines, tout l'édifie s'écroule. Une religion est bien fragile, quand une découverte scientifique est pour elle une question de vie et de mort. C'est là un aveu maladroit. Pour notre compte nous sommes loin de partager les appréhensions du P. Boylesve à l'endroit du christianisme ; nous disons que le christianisme tel qu'il est sorti de la bouche de Jésus, mais seulement tel qu'il en est sorti, est invulnérable, parce que c'est la loi de Dieu.

La conclusion de ceci est : Point de concession, sous peine de mourir. L'auteur oublie d'examiner s'il y a plus de chances de vivre dans l'immobilité ; notre opinion est qu'il y en a moins, et qu'il vaut encore mieux vivre transformé que de ne pas vivre du tout.

Dans l'un et l'autre cas, une scission est inévitable ; on peut même dire qu'elle existe déjà ; l'unité doctrinale est rompue, puisqu'il n'y a pas accord parfait dans l'enseignement ; que les uns approuvent ce que d'autres blâment ; que les uns absolvent alors que d'autres condamnent. Aussi voit-on les fidèles aller de préférence à ceux dont les idées leur conviennent le mieux ; les pasteurs se divisant, le troupeau se divise également. De cette divergence à une séparation, la distance n'est pas grande ; un pas de plus, et ceux qui sont en avant seront traités d'hérétiques par ceux qui restent en arrière. Or, voilà le schisme établi ; là est le danger de l'immobilité.

La religion, ou mieux toutes les religions subissent malgré elles l'influence du mouvement progressif des idées. Une nécessité fatale les oblige à se maintenir au niveau du mouvement ascensionnel, sous peine d'être submergées ; aussi toutes ont-elles été contraintes, de temps à autre, de faire des concessions à la science, et de faire fléchir le sens littéral de certaines croyances devant l'évidence des faits ; celle qui répudierait les découvertes de la science et leurs conséquences, au point de vue religieux, perdrait tôt ou tard son autorité et son crédit, et augmenterait le nombre des incrédules. Si une religion quelconque peut être compromise par la science, la faute n'en est pas à la science, mais à la religion fondée sur des dogmes absolus en contradiction avec les lois de la nature, qui sont des lois divines. Répudier la science, c'est donc répudier les lois de la nature, et par cela même renier l'œuvre de Dieu ; le faire au nom de la religion serait mettre Dieu en contradiction avec lui-même, et lui faire dire : J'ai établi des lois pour régir le monde, mais ne croyez pas à ces lois.

L'homme, à tous les âges, n'a point été apte à connaître toutes les lois de la nature ; la découverte successive de ces lois constitue le progrès ; de là, pour les religions, la nécessité de mettre leurs croyances et leurs dogmes en harmonie avec le progrès, sous peine de recevoir le démenti des faits constatés par la science ; à cette seule condition une religion est invulnérable. A notre sens, la religion devrait faire plus que de se mettre à la remorque du progrès, qu'elle ne suit que comme contrainte et forcée, elle devrait en être la sentinelle avancée, car c'est honorer Dieu que de proclamer la grandeur et la sagesse de ses lois.

La contradiction qui existe entre certaines croyances religieuses et les lois naturelles a fait la plupart des incrédules, dont le nombre augmente à mesure que la connaissance de ces lois se popularise. Si l'accord entre la science et la religion était impossible, il n'y aurait pas de religion possible. Nous proclamons hautement la possibilité et la nécessité de cet accord, car, selon nous, la science et la religion sont sœurs pour la plus grande gloire de Dieu, et doivent se compléter l'une par l'autre, au lieu de se démentir l'une par l'autre. Elles se tendront la main quand la science ne verra dans la religion rien d'incompatible avec les faits démontrés, et que la religion n'aura plus à craindre la démonstration des faits. Le Spiritisme, par la révélation des lois qui régissent les rapports du monde visible et du monde invisible, sera le trait d'union qui leur permettra de se regarder face à face, l'une sans rire et l'autre sans trembler. C'est par l'accord de la foi et de la raison qu'il ramène chaque jour tant d'incrédules à Dieu.

Sous ce titre, le journal de Constantinople a publié, dans le mois de mars dernier, trois articles très étendus sur, ou mieux contre le Magnétisme et le Spiritisme, qui ont, dans cette capitale, de nombreux et fervents adeptes. Comme dans toutes les critiques en général, nous y avons vainement cherché quelques arguments sérieux, tandis que nous y avons vu la preuve évidente que l'auteur parle d'une chose qu'il ne connaît pas, ou qu'il ne connaît que très superficiellement ; il juge le Spiritisme sur des apparences, sur des ouï-dire, sur la lecture de quelques fragments incomplets, sur le récit de quelques faits excentriques répudiés par le Spiritisme lui-même, et cela lui semble suffisant pour prononcer un arrêt. C'est, comme on le voit, un nouvel échantillon de la logique de nos antagonistes. Ce qu'il paraît avoir le mieux lu, c'est M. de Mirville, la magie de M. Dupotet et la vie de M. Home ; mais de la science spirite proprement dite, on ne voit ni étude ni observations sérieuses.

Nous sommes loin de prétendre que celui qui étudie le Spiritisme doit nécessairement l'approuver ; mais, s'il est de bonne foi, dans son blâme même il ne s'écartera pas de la vérité ; il ne nous fera pas dire le contraire de ce que nous disons, ce qui arrivera nécessairement s'il ne sait pas tout ce que nous avons dit. Nous ne reconnaîtrions pour critique sérieux que celui qui, sortant des généralités, opposerait à nos arguments des arguments péremptoires, et prouverait, sans réplique possible, que les faits sur lesquels nous nous appuyons sont faux, controuvés et radicalement impossibles ; c'est ce que personne n'a encore fait, pas plus le rédacteur du journal de Constantinople que les autres. Le Spiritisme a été attaqué de toutes les manières, avec toutes les armes que l'on a cru les plus meurtrières ; rien n'a été épargné pour l'anéantir, pas même la calomnie ; il n'est pas le plus mince écrivain qui, dans un opuscule ou un feuilleton, ne se soit flatté de lui donner le coup de grâce ; parmi ses adversaires, il s'est trouvé des hommes d'une valeur réelle, qui ont dû fouiller jusqu'au fond l'arsenal des objections, avec une ardeur d'autant plus grande qu'ils avaient intérêt à l'étouffer. Cependant, quoi qu'on ait fait, non seulement il est encore debout, mais il s'étend chaque jour davantage ; il s'implante partout ; le nombre de ses adhérents croît sans cesse ; ceci est un fait notoire. Qu'en faut-il conclure ? C’est qu'on n'a pu lui opposer rien de sérieux et de concluant. Notre contradicteur de Constantinople sera-t-il plus heureux ? Nous en doutons fort, s'il n'a pas de meilleurs arguments à faire valoir. Ses articles, loin d'arrêter le mouvement spirite en Orient, ne peuvent que le favoriser, comme l'ont fait tous ceux du même genre, car ils tournent exactement dans le même cercle ; c'est pourquoi nous n'avons pas autrement à nous en préoccuper. Nous nous bornerons à en citer quelques fragments qui résument l'opinion de l'auteur.

Il n'est pas une des objections faites contre le Spiritisme qui ne trouve sa réfutation dans nos ouvrages ; s'il nous fallait relever toutes les absurdités débitées à ce sujet, il nous faudrait sans cesse nous répéter, ce qui est inutile, puisqu'en définitive, ces critiques n'ayant aucun fond sérieux servent bien plus qu'elles ne nuisent.

« A côté des praticiens habiles, tels que les magiciens comme M Dupotet, ou les médiums comme M. Home, viennent se placer des opérateurs d'un ordre différent, aux premiers rangs desquels figure M. Allan Kardec. Celui-ci peut être présenté comme le patron sur lequel sont calqués tout un cadre de Spirites dont la bonne foi ne saurait être mis en doute.

Les Spirites de Constantinople appartiennent, ainsi que nous l'avons dit déjà, à cette école littéraire et artistique, qui milite principalement par ses écrits, dont la Revue spirite de M. Allan Kardec est le type le plus parfait. Ce sont les adeptes de cette catégorie qui ont établi la doctrine. La théorie des Esprits n'a plus aucun secret pour eux ; aussi dédaignent-ils le plus souvent de recourir aux procédés matériels employés par les médiums du commun. Ils ont des manifestations directes. Leur procédé, aussi simple qu'eux-mêmes, consiste à prendre, comme le ferait le premier profane venu, un crayon ordinaire à l'aide duquel ils sont mis en rapport immédiat avec les Esprits, et écrivent sous leur dictée. Entre autres avantages, cette méthode leur permet de mettre toute modestie de côté, et de donner à leurs propres ouvrages les louanges les plus exagérées, en se couvrant du nom de leurs auteurs supposés.

Avant de croire à l'exactitude du médium écrivain mécanique, on aimerait à voir écrire par un idiot quelque belle page, telle que les Esprits qui agissent par voie médianimique n'en ont jamais dicté. Le médium intuitif est plus acceptable ; mais il nous semble bien difficile que l'expérience apprenne à distinguer la pensée de l'Esprit de celle du médium. Le rôle joué par ce dernier peut, du reste, s'expliquer facilement. Dans la plupart des cas, il est sincère, et c'est plutôt à lui qu'aux opérateurs de l'ordre de MM. Home et Dupotet que s'appliquerait avec justesse le jugement porté par M. le comte de Gasparin. Quant à l'opinion de M. de Mirville, il n'y a pas lieu de la discuter ici, car il est parfaitement avéré qu'aucun médium, à Constantinople du moins, n'est sorcier.

S'il nous fallait défendre les Spirites contre des accusations aussi odieuses que celles que nous repoussons ici, il nous suffirait pour démontrer leur complète innocence de citer quelques-uns des renseignements que donnent les Esprits.

Les différentes planètes qui circulent dans l'espace sont peuplées comme notre terre. Les observations astronomiques induisent à penser que les milieux où vont leurs habitants respectifs sont assez différents pour nécessiter des organisations corporelles différentes ; mais le périsprit s'accommode à la variété des types et permet à l'Esprit qu'il recouvre de s'incarner à la surface de planètes différentes.

L'état moral, intellectuel et physique de ces mondes forme une série progressive dans laquelle notre terre n'occupe ni le premier ni le dernier rang ; elle est cependant un des globes les plus matériels et les plus arriérés. Il en est où le mal moral est inconnu ; où les arts et les sciences sont portés à un degré de perfection que nous ne pouvons comprendre ; où l'organisation physique n'est sujette ni aux souffrances, ni aux maladies ; où les hommes vivent en paix, sans chercher à se nuire, exempts de chagrins et de soucis. »

Avec mes nouveaux instruments, cette nuit, je verrai des hommes dans la lune… » dit quelque part le roi Alphonse ; plus heureux que lui, les Spirites les ont vus, mais c'est bien à tort qu'ils envient le sort des lunatiques ; rien ne saurait, croyons-nous, les empêcher d'en jouir dès ce monde tout à leur aise.

On voit, par tout ce qui précède, à quoi se réduit le merveilleux et le surnaturel du Spiritisme ; il suffit, pour les mettre à néant, d'examiner tous les faits que nous avons cités, sans parti pris à l'avance d'y trouver les pratiques de sorcellerie les plus répréhensibles, ou l'action d'un fluide dont les savants nient l'existence. Pour qui voudra prendre la peine d'assister à leurs séances sans se condamner à prendre les faits qu'ils produisent pour ce qu'ils les donnent, MM. Home et Dupotet, ainsi que tous les opérateurs du même ordre, seront bien évidemment des mystificateurs intéressés. Leurs opérations sont tout au plus comparables, en ce qui concerne l'habileté, à celles de M. Bosco, et celui-ci a de plus la sincérité, ce qui ne permet pas de pousser plus loin la comparaison entre eux.

Bien différents des magiciens dont nous venons de parler, les médiums de la catégorie de M. Allan Kardec, catégorie à laquelle appartiennent généralement les Spirites de Constantinople, sont au contraire des mystifiés. Tous leurs efforts tendent à rendre de plus en plus complète la mystification qu'ils se donnent eux-mêmes. Malgré toute la bonne volonté qu'on y peut mettre, il est vraiment impossible de prendre au sérieux aucune de leurs pratiques. Toutefois, il est permis de regretter que d'honnêtes gens passent ainsi la meilleure partie de leur temps à se pénétrer d'erreurs qui pour eux deviennent la réalité. Quelque inoffensives que puissent paraître au fond ces erreurs, il n'en est pas moins vrai qu'elles ne peuvent produire que de funestes résultats, puisqu'elles tiennent la place de la vérité ; c'est en ce sens qu'elles sont condamnables. »

Les Spirites de Constantinople se sont eux-mêmes chargés de répondre, par deux articles que le journal a publiés dans ses numéros des 21 et 22 mars dernier. L'un est d'un médium qui rend compte de la manière dont la faculté s'est développée en lui et a triomphé de son incrédulité. L'autre, que nous reproduisons ci-après, est au nom de tous.

« Monsieur le rédacteur,

Votre journal vient de publier trois longs articles intitulés : le Spiritisme à Constantinople, en suite desquels nous venons vous prier de vouloir bien donner place aux quelques lignes suivantes :

La doctrine qui se base sur la croyance d'un Dieu infiniment juste et infiniment bon : l'amour infini ; qui indique pour but, aux Esprits créés par ce même Dieu, l'acheminement vers la perfection de plus en plus complète ; et pour châtiment, à l'état d'Esprit, la perception parfaite de ce but avec le regret de s'en être éloigné, en même temps que la nécessité de recommencer cette marche ascensionnelle par de nouvelles incarnations… La doctrine qui enseigne la morale la plus pure : celle-là même que le Christ exposait si bien par ces simples paroles : Aimez-vous les uns les autres… Une telle doctrine d'amour, disons-le hautement, peut parfaitement se passer des manifestations que l'auteur des articles, Le Spiritisme à Constantinople, après avoir promis de les expliquer, en dehors du Spiritisme, se borne à qualifier de mystifications.

Mais ces manifestations, aujourd'hui si complètement avérées, et dont on retrouve la preuve presque à chaque page de l'histoire humanitaire, Dieu les permet continuellement, afin de donner à tous la preuve de la solidarité qui existe entre les Esprits incarnés et non incarnés ; et cela, afin que les uns et les autres s'entraident mutuellement, et que l'être spirituel, appelé à la vie éternelle, puisse atteindre plus facilement et surtout plus sûrement le but providentiel assigné à la création.

Si les faits d'où découlent de semblables théories, qui sont la base de la doctrine spirite, peuvent être pris, par de certaines personnes, pour des mystifications, au moins devraient-elles en indiquer les raisons, et, ce qui vaudrait encore mieux, présenter d'autres théories plus rationnelles et surtout plus vraies.

Maintenant, appelez la vérité sorcellerie, magie, prestidigitation, et d'autres épithètes plus ridicules encore, vous n'empêcherez pas cette vérité de se propager et d'étendre ses rayons bienfaisants sur tout le genre humain.

Voilà pourquoi le Spiritisme s'est si rapidement répandu sur toute la surface de la terre ; et, malgré les critiques du genre des susdits articles, cela n'empêche pas ses adeptes de se compter par millions.

Les Spirites de Constantinople. »



Nous adressons à nos frères Spirites de Constantinople, tant en notre nom personnel qu'en celui des membres de la Société de Paris, les sincères félicitations que mérite leur réponse à la fois digne et modérée. La lettre suivante, que nous écrit à ce sujet M. Repos, avocat, président de la Société spirite de Constantinople, témoigne trop bien de leur dévouement à la cause de la doctrine, pour que nous ne nous fassions pas un devoir et un sincère plaisir de la publier, afin que les Spirites de tous les pays sachent qu'ils ont dans la capitale de l'Orient des frères sur la fraternité desquels ils peuvent compter. En parlant de l'Orient, nous ne devons pas oublier ceux de Smyrne ; eux aussi ont droit à toutes leurs sympathies.

« Constantinople, 15 juin 1864.

Cher maître et très honoré frère en Spiritisme,

J'ai reçu en son temps votre bonne lettre du 8 avril dernier, qui m'a fait le plus grand plaisir, ainsi qu'à nos frères Spirites, auxquels je n'ai pas manqué d'en donner connaissance en séance.

Tous les Spirites de Constantinople se joignent à moi pour, ensemble, assurer de nos sentiments fraternels vous et tous les Spirites qui font partie de la Société de Paris ; et tout en vous remerciant des encouragements que vous nous donnez pour nous aider à combattre pour notre grande cause, soyez bien persuadé que nous ne faillirons pas à la tâche que nous avons entreprise, et que tous nos efforts tendront à la propagation de la vérité, de l'amour du bien, et de l'émancipation intellectuelle des autres hommes, nos frères en Dieu, dussions-nous soutenir les luttes les plus acharnées contre nos ennemis. Sil y a des hommes assez serviles et assez lâches pour oser combattre la vérité, il y en a aussi d'assez indépendants et d'assez courageux pour la défendre, obéissant en cela aux sentiments de justice et d'amour fraternel qui font de l'être humain un véritable enfant de Dieu.

C'est avec un bien vif intérêt que j'ai lu les détails intéressants renfermés dans votre susdite lettre, par rapport aux progrès du Spiritisme en France et partout ailleurs ; espérons que, dans l'avenir, l'idée grandira de plus en plus, et désirons-le ardemment pour nos frères terrestres de tous les pays et de toutes les religions.

Le jet puissant de la révélation jaillit de toutes parts : aveugle qui ne le voit pas, imprudent qui le nie, insensé qui le combat en cherchant à le refouler vers sa source ; son eau pure et limpide ne part-elle pas du pied du trône éternel pour se répandre en douce et féconde rosée sur toute la terre, qu'elle doit régénérer ? Aucune force humaine ne pourra donc la comprimer !… Et, en effet, ne voyons-nous pas que, dès qu'un jet vient à surgir quelque part, si quelqu'un fait des efforts pour le comprimer, aussitôt on voit des milliers de jets surgir dans toutes les directions et à tous les degrés de l'échelle sociale ? tant il est vrai que la volonté divine est toute puissante, et qu'à un moment donné aucun obstacle ne peut lui être opposé, sous peine d'être renversé et broyé par le char éclatant de la justice et de la vérité.

Cher maître, j'ai un devoir bien doux à remplir, celui de vous complimenter, tant en mon nom qu'au nom de tous nos frères Spirites d'Orient, de ce que vos œuvres Spirites ont subi la condamnation de la très sainte inquisition de la pensée, je veux dire la condamnation de l'Index. Réjouissez-vous donc, avec tous nos frères, si vos ouvrages ont soulevé de hautes colères qui n'ont pu vous frapper qu'en se ridiculisant et en laissant voir de plus en plus le bout de l'oreille. Ce jugement a déjà été déclaré nul et non avenu par l'opinion publique de tous les pays.

Vous avez sans doute reçu les journaux de Constantinople que je vous ai adressés, et dans lesquels se trouvait la majeure partie des articles publiés contre le Spiritisme et contre les Spirites. Vous avez vu nos deux petites réponses ; comment les avez-vous trouvées ? Ici elles ont produit bon effet, et maintenant on parle du Spiritisme plus que jamais. Nous attendons impatiemment ce que vous direz pour nous aider à combattre la fourberie et le mensonge, qui sont le seul apanage des ennemis de notre belle doctrine.

Ici la persécution sourde que vous avez annoncée a commencé ; un de nos frères a dû à sa qualité de Spirite la perte de son emploi ; d'autres sont traqués, menacés dans leurs intérêts de famille les plus chers, ou dans leurs moyens d'existence, par les manœuvres ténébreuses des éternels ennemis de toute lumière, et qui osent dire que le Spiritisme est l'œuvre de l'ange des ténèbres ! Si c'est ainsi qu'ils croient l'étouffer, ils se trompent. La persécution, loin d'arrêter, fait grandir toute idée qui vient d'en haut ; elle hâte son éclosion et sa maturité, car c'est l'engrais qui la féconde ; elle prouve l'absence de tout moyen intelligent pour la combattre. Est-ce que l'idée chrétienne a été étouffée dans le sang des martyrs ?

Au revoir, cher maître ; croyez en mon dévouement bien sincère pour vous et nos frères Spirites de Paris, auxquels je vous prie de faire mes compliments.

B. Repos jeune, avocat. »



Chronique de Paris. Du 23 septembre 1863.

A propos des spectres des théâtres, le correspondant conclut ainsi, après en avoir fait l'historique :

« De la sorte, l'hiver prochain, chacun pourra régaler ses amis du spectacle, devenu populaire, de quelques fantômes et autres curiosités surnaturelles. Au dessert, on éteindra les bougies et l'on verra apparaître, enveloppés de leurs linceuls, les spectres modernes qui remplaceront ainsi les couplets qu'autrefois chantaient nos aïeux. Dans les bals, au lieu de rafraîchissements, on fera défiler des fantômes. Quel charmant divertissement ! rien que d'y penser on en a le frisson. »

L'auteur passant au Spiritisme :

« Puisque nous parlons de choses surnaturelles, nous ne passerons pas sous silence le Livre des Esprits. Quel titre attrayant ! que de mystères ne cache-t-il pas ! Et si nous nous reportons au point de départ, quel chemin ces idées n'ont-elles pas fait depuis quelques années ! ‑ Au début, ces phénomènes, non encore expliqués, consistaient en une simple table mise en mouvement par l'imposition des mains ; aujourd'hui les tables ne se contentent plus de tourner, de bondir, de se dresser sur un pied, de faire mille cabrioles, elles vont plus loin ; elles parlent ! Quand je dis : elles parlent, c'est qu'elles ont un alphabet propre et même plusieurs. Il suffit de leur adresser une question, et la réponse est aussitôt donnée par de petits coups suivis, frappés avec le pied, ou bien par le moyen d'un crayon qui, tenu à la main, se met à tracer sur le papier des signes, des mots, des phrases entières dictées par une volonté étrangère et inconnue ; la main devient alors un simple instrument, un porte-crayon, et l'esprit de la personne reste complètement étranger à tout ce qui se passe.

Le Spiritisme, c'est ainsi qu'on appelle la science de ces phénomènes, a fait en peu d'années de grands progrès dans les faits, dans la pratique ; mais la théorie, à mon avis, n'a pas fait le même chemin, elle est restée stationnaire, et je dirai pourquoi. ‑ Il est incontestable, à moins que les personnes qui s'occupent de cette matière n'aient intérêt à se tromper et à nous tromper, il est incontestable que les faits existent. Ils ne se révèlent pas seulement par le moyen des tables, ils se présentent à nous tous les jours et à toute heure. Ils excitent l'étonnement de tous, mais chacun en reste là. ‑ Deux personnes conçoivent la même idée ou se rencontrent simultanément sur le même mot ; quelqu'un que nous ne voyons pas souvent et auquel nous venons de penser se présente à nous inopinément ; on frappe à notre porte, et, bien que rien ne vienne du dehors nous indiquer la personne, nous devinons qui elle est ; une lettre avec de l'argent nous arrive dans un moment d'urgence ; et tant d'autres cas si fréquents, si nombreux et connus de tout le monde ; tout cela peut-il être attribué au hasard ? Non, ce ne peut être le hasard en aucun cas ; et pourquoi ne serait-ce pas une communication fluidique inappréciable à notre organisation matérielle, un sixième sens, enfin, d'une nature plus élevée ? Personne ne sait où réside l'âme ; elle n'est ni visible, ni pondérable, ni tangible, et cependant, pleins de conviction que nous sommes, nous affirmons son existence. ‑ Quelle est la nature de l'agent électrique ? Qu'est-ce que l'aimant ?… Et cependant les effets de l'électricité et du magnétisme sont continuellement patents à nos yeux. ‑ Je suis persuadé qu'il en doit être de même un jour du spiritisme, ou quel que soit le nom qu'en dernier lieu il plaise à la science de lui assigner.

J'ai vu depuis quelque temps de nombreux faits de catalepsie, de magnétisme, de Spiritisme, et je ne puis conserver le moindre doute à leur égard ; mais ce qui me paraît plus difficile, c'est de pouvoir les expliquer et les attribuer à telle ou telle cause. Il faut donc procéder avec prudence et réserver son opinion, s'abstenant de tomber dans les deux extrêmes : ou de nier tous les faits ou de les soumettre tous à une théorie prématurée.

L'existence des phénomènes est incontestable ; la théorie en est encore à découvrir : voilà aujourd'hui l'état de la question. On ne peut nier qu'il n'y ait quelque chose de singulier et digne d'être examiné dans cette idée qui a agité le monde entier, et qui reparaît avec plus d'intensité que jamais, dans cette idée qui a ses organes périodiques, ses annales d'observations, qui a ému les esprits en Autriche, en Italie, en Amérique, qui fait naître des réunions en France, pays où elles se forment rarement, et où le gouvernement les tolère difficilement.

Cette invasion générale, outre qu'elle produit une vive impression, a une très haute importance. Il faut donc, sans précipitation ni idées préconçues, vérifier de bonne foi ces phénomènes, jusqu'à ce qu'ils viennent à être expliqués, ce qui se réalisera un jour, s'il plaît à Dieu de nous révéler la nature de cet agent mystérieux. »

L'auteur, comme on le voit, n'est pas fort avancé ; mais au moins il ne juge pas ce qu'il ne sait pas ; il reconnaît l'existence des faits et leur cause première, mais il ne connaît pas leur mode de production. Il ignore les progrès de la partie théorique de la science, et il donne à ce sujet un conseil très sage : celui de ne pas faire de théories hasardées, ainsi qu'on s'était trop hâté de le faire au début de l'apparition des phénomènes, où chacun s'est empressé de les expliquer à sa manière ; aussi la plupart de ces systèmes prématurés sont-ils tombés devant les expériences ultérieures qui sont venues les contredire. Aujourd'hui on en possède une théorie rationnelle dont aucun point n'a été admis à titre d'hypothèse ; tout est déduit de l'expérience et de l'observation attentive des faits ; on peut dire que, sous ce rapport, le Spiritisme a été étudié à la manière des sciences exactes.

Cette science, née d'hier, n'a pas tout dit, tant s'en faut, et il nous reste encore beaucoup à apprendre, mais elle en a dit assez pour être fixé sur les bases fondamentales et savoir que ces phénomènes ne sortent pas de l'ordre des faits naturels ; ils n'ont été qualifiés de surnaturels et merveilleux que faute de connaître la loi qui les régit, ainsi qu'il en a été de la plupart des phénomènes de la nature. Le Spiritisme, en faisant connaître cette loi, restreint le cercle du merveilleux au lieu de l'étendre ; nous disons plus, c'est qu'il lui porte le dernier coup. Ceux qui en parlent autrement prouvent qu'ils ne l'ont pas étudié.

Nous constatons avec plaisir que l'idée spirite fait des progrès sensibles à Rio de Janeiro, où elle compte de nombreux représentants fervents et dévoués. La petite brochure : Le Spiritisme à sa plus simple expression, publiée en langue portugaise, n'a pas peu contribué à y répandre les vrais principes de la doctrine.



A Monsieur le Rédacteur du Progrès colonial.

Monsieur,

Connaissant votre libéralisme et sachant aussi que vous vous êtes occupé de Spiritisme, veuillez avoir l'obligeance d'insérer dans votre plus prochain numéro la lettre que je vous envoie à l'adresse de M. l'abbé de Régnon, vous laissant la liberté de faire telles réflexions que vous jugerez convenable de faire dans l'intérêt de la vérité.

Comptant sur votre impartialité, j'ose croire que vous m'ouvrirez les colonnes de votre journal, pour toutes les réclamations du genre de celle que j'ai l'honneur de vous envoyer.

Je suis, monsieur, votre très humble serviteur,

C.



«A Monsieur l'abbé de Régnon.

Port-Louis, 26 mars 1864.

Monsieur l'abbé,

Dans votre conférence de jeudi dernier (24 mars), vous avez attaqué le Spiritisme, et j'aime à croire que vous l'avez fait de bonne foi, bien que les arguments dont vous vous êtes servi contre lui n'aient pas été peut-être d'une grande exactitude.

Il est à regretter pour nous, Spirites bien convaincus, que vous ayez été les puiser ailleurs que dans la connaissance positive de cette science ; en l'étudiant un peu, vous eussiez appris que nous rejetons, ainsi que vous, toutes les communications émanés d'Esprits grossiers ou trompeurs, qu'avec la moindre expérience il est facile de reconnaître, et que nous nous attachons seulement à celles qui se présentent d'une façon claire, rationnelle, et selon les lois de Dieu, qui, vous le savez comme nous, a permis de tout temps les manifestations spirites ; l'Écriture sainte est là pour en faire foi.

Du reste, vous ne niez pas l'existence des Esprits, au contraire ; seulement, vous n'en admettez que de mauvais ; voilà la différence qui existe entre nous.

Nous sommes assurés qu'il y en a de bons, et que leurs conseils, lorsqu'ils sont suivis, et tout véritable Spirite n'y manque point, ramènent plus d'âmes à Dieu, et font beaucoup plus de prosélytes à la religion que vous ne le pensez. Mais pour comprendre et pratiquer cette science, ainsi que toutes les autres, il faut d'abord s'en instruire et la connaître à fond.

Je vous engage donc, monsieur l'abbé, dans votre intérêt d'abord, puis dans celui de tous ceux qui ont le bonheur de vous entendre, à lire l'un des principaux ouvrages qui ont paru sur ce sujet, le Livre des Esprits, dicté par eux à M. Allan Kardec, président de la Société spirite de Paris, composée de gens sérieux et fort instruits pour la plupart.

Là, vous verrez comment les ignorants seuls se laissent abuser par de faux noms et des paroles mensongères, et qu'aux fruits, il est bien facile de reconnaître l'arbre ! Ai-je besoin, du reste, de vous rappeler la 4e épître de saint Jean, versets 1, 2, 3, sur la manière d'éprouver les Esprits ?

Oui, j'en conviens, le Spiritisme est une science qui, ainsi que ce qu'il y a de meilleur en ce monde, peut quelquefois produire de grands maux, lorsqu'elle est exercée par ceux qui ne l'ont point étudiée et la pratiquent au hasard ; mais, devez-vous donc, vous, homme sage, la juger ainsi sans la connaître ?

Et notre belle religion chrétienne, au nom de laquelle un si grand nombre d'insensés, d'ignorants et même de scélérats ont commis tant de crimes, et fait verser tant de sang, faut-il donc aussi la juger sur les actions folles ou criminelles de ces malheureux ?

Non, monsieur l'abbé, il n'est ni juste, ni rationnel de porter un jugement téméraire sur des choses dont on ne s'est point assuré d'abord ; laissez la superficie, allez au fond par l'étude ; alors vous pourrez en traiter avec connaissance de cause, et nous vous écouterons avec recueillement, parce qu'alors vous serez sans doute dans le vrai, et nous ne sourirons plus en nous disant tout bas :

Il parle de ce qu'il ignore.

Un Spirite. »



Si le Spiritisme a des détracteurs, il a aussi partout des défenseurs, même dans les contrées les plus éloignées ; l'auteur de cette lettre a publié en feuilletons, dans ce même journal, un roman très intéressant dont le Spiritisme forme la base, et qui a puissamment contribué à répandre ces idées dans le pays. Nous en rendrons compte ultérieurement.



« Décidément le Spiritisme est une chose horrible, car jamais ni science, ni doctrine hérétique, ni l'athéisme lui-même, n'ont soulevé contre eux une aussi forte émeute au sein de l'Eglise, que l'a fait le Spiritisme. Toutes les ressources imaginables, loyales ou non, ont été mises en jeu pour l'étouffer d'abord, et puis, quand l'impossibilité de ce meurtre eut été démontrée, pour le dénaturer et le présenter sous un aspect noir de péchés. Pauvre Spiritisme ! il ne demandait qu'une petite place au soleil pour faire jouir gratuitement le monde de ses bienfaits ; il ne demandait à ces gens qui, en qualité de disciples en titre du Christ, de l'Homme-amour, sont censés porter le mot de charité inscrit en lettres brillantes sur leurs surplis, il ne leur demandait qu'à pouvoir ramener dans la bonne voie ces milliers de brebis qu'ils avaient été incapable d'y maintenir ; il ne leur demandait qu'à pouvoir les seconder dans leur œuvre de dévouement, en guérissant par une espérance fondée les pauvres cœurs rongés par la gangrène du doute, ‑ et à cette demande si désintéressée, si pure d'intention, il n'a été répondu que par un décret de proscription ! Vraiment on voit d'étranges choses dans ce monde : les messagers officiels de la charité damnent plus des neuf dixièmes des hommes parce qu'ils échappent à leur influence, et ils damnent plus profondément encore ceux qui veulent sauver ces malheureux !

Sans nul doute donc, le Spiritisme est chose bien coupable, puisqu'il est tellement combattu, et il est bien étonnant qu'une doctrine aussi perverse ait fait tant de chemin en un si court laps de temps. Mais ce qui doit sembler bien plus étonnant encore, c'est que cet abominable Spiritisme est si solidement établi et si logique, que tous les arguments qu'on lui oppose, loin de le faire crouler et de le réduire au néant, loin même de l'ébranler, viennent tous, au contraire, contribuer, par leur inanité et leur impuissance manifestes, à sa solidification et à sa propagation. C'est en effet aux entraves qu'on a voulu lui susciter, qu'il doit en notable partie la rapidité de son extension, et les prédications sans frein de certains de nos adversaires n'ont certes pas peu aidé à le généraliser. Il en est ainsi dans l'ordre des choses : la vérité n'a rien à craindre de ses détracteurs, et ce sont ceux-là mêmes qui contribuent involontairement à la faire triompher. Le Spiritisme est un immense foyer de chaleur et de lumière, et qui souffle sur ce brasier, outre qu'infailliblement il s'y brûle quelque peu, n'obtient d'autre résultat que de la raviver davantage.

Cependant mandements et conférences paraissent insuffisants pour détruire le Spiritisme (nous sommes loin de nier cette insuffisance patente), aussi la Congrégation romaine vient-elle de mettre à l'Index tous les livres de M Allan Kardec, livres qui contiennent l'enseignement universel des Esprits, et auxquels, Spirites, nous nous rallions tous. Qu'on nous permette de faire à cet égard les deux réflexions suivantes : Les livres spirites en question renferment dans toute leur pureté et avec les développements que l'état actuel de l'esprit humain exige, les enseignements et les préceptes de Jésus, en qui les Esprits reconnaissent un Messie : condamner ces livres, n'est-ce donc pas condamner du même coup les paroles du Christ, et mettre ces livres à l'Index, n'est-ce pas y mettre en quelque sorte les évangiles qui sont d'accord avec nous ? Il nous paraît que oui, mais il est vrai que nous ne sommes pas infaillibles comme vous ! Seconde réflexion : Cette mesure qu'on prend aujourd'hui, n'est-elle pas tant soit peu tardive ? Pourquoi attendre si longtemps ? Outre que c'est plus ou moins inexplicable (à moins de croire que le Spiritisme vous semble tellement vrai et que vous êtes tellement persuadés de son triomphe, que vous avez hésité longtemps à l'attaquer carrément de face, et qu'un bien puissant intérêt personnel (car nous ne vous ferons pas l'injure de vous croire ultra ignorants) vous a seul pu décider à le faire), outre, disons-nous, que c'est plus ou moins inexplicable, c'est encore très maladroit. En effet, le Livre des Esprits, le Livre des Médiums et l'Imitation de l'Évangile selon le Spiritisme, sont actuellement entre les mains de milliers de personnes, et nous doutons fort que la condamnation de la Congrégation de Rome puisse faire trouver maintenant mauvais et abject ce que chacun a jugé grand et noble.

Quoi qu'il en soit, les livres spirites sont mis à l'Index. Tant mieux, car beaucoup de ceux qui ne les ont pas encore lus les dévoreront ; tant mieux ! car des dix personnes qui les parcourront, sept au moins seront convaincues, ou fortement ébranlées et désireuses d'étudier les phénomènes spirites ; tant mieux ! car nos adversaires eux-mêmes, voyant leurs efforts n'aboutir qu'à des résultats diamétralement contraires à ceux qu'ils en espéraient, se rallieront à nous, s'ils possèdent la sincérité, le désintéressement et les lumières que leur ministère comporte. Ainsi le veut d'ailleurs la loi de Dieu : rien au monde ne peut rester éternellement stationnaire, mais tout progresse, et l'idée religieuse doit suivre le progrès général si elle ne veut pas disparaître.

« Qu'ils continuent donc leur croisade, nos adversaires. Ils ont déjà mis en jeu les mandements, les sermons, les cours publics, les influences occultes et souvent victorieuses en apparence, à cause de l'état dépendant de ceux sur lesquels elles pèsent tyranniquement ; ils ont usé de l'autodafé, en brûlant publiquement nos livres à Barcelone ; n'en ayant pu brûler que quelques exemplaires, et ceux-ci se remplaçant en nombre étonnant, ils les ont mis enfin à l'Index. L'inquisition n'étant, hélas ! plus tolérée, quoiqu'elle soit loin de ne plus exister sous une autre forme et à l'aide des influences occultes dont nous venons de parler, il ne leur reste plus que l'excommunication de tous les Spirites en masse, c'est-à-dire d'une notable fraction d'hommes et, en particulier, d'une très notable fraction de chrétiens (nous ne parlons que des Spirites avoués, car le nombre de ceux qui le sont sans le savoir est inappréciable). »



Nota. ‑ Dans une des séances de la Société spirite de Paris où l'on avait discuté la question du trouble qui suit généralement la mort, un Esprit se manifeste spontanément à madame Costel par la communication suivante qu'il ne signe pas :

Que parlez-vous du trouble ? pourquoi ces vaines paroles ? Vous êtes des rêveurs et des utopistes. Vous ignorez parfaitement les choses dont vous prétendez vous occuper. Non, messieurs, le trouble n'existe pas, sauf peut-être dans vos cervelles. Je suis aussi fraîchement mort que possible ; et je vois clair en moi, autour de moi, partout… La vie est une lugubre comédie ! Maladroits, ceux qui se font renvoyer de la scène, avant la chute du rideau… La mort est une terreur, un châtiment, un désir, selon la faiblesse ou la force de ceux qui la craignent, la bravent ou l'implorent. Pour tous, elle est une amère dérision !… La lumière m'éblouit et pénètre, comme une flèche aiguë, la subtilité de mon être… On m'a châtié par les ténèbres de la prison, et on a cru me châtier par les ténèbres du tombeau, ou celles rêvées par les superstitions catholiques. Eh bien ! c'est vous, messieurs, qui subissez l'obscurité, et moi, le dégradé social, je plane au-dessus de vous… Je veux rester moi !… Fort par la pensée, je dédaigne les avertissements qui résonnent autour de moi… Je vois clair… Un crime ! c'est un mot ! Le crime existe partout. Quand il est exécuté par des masses d'hommes on le glorifie ; dans le particulier, il est honni. Absurdité !

Je ne veux pas être plaint… je ne demande rien… je me suffis et je saurai bien lutter contre cette odieuse lumière.



Celui qui était hier un homme

Cette communication ayant été analysée dans la séance suivante, on reconnut, dans le cynisme même du langage, un grave enseignement, et l'on vit dans la situation de ce malheureux une nouvelle phase du châtiment qui attend les coupables. En effet, tandis que les uns sont plongés dans les ténèbres ou dans un isolement absolu, d'autres endurent pendant de longues années les angoisses de leur dernière heure, ou se croient encore de ce monde ; la lumière brille pour celui-ci ; son Esprit jouit de la plénitude de ses facultés ; il sait parfaitement qu'il est mort, et ne se plaint de rien ; il ne demande aucune assistance, et brave encore les lois divines et humaines. Est-ce donc qu'il échapperait à la punition ? Non, mais c'est que la justice de Dieu s'accomplit sous toutes les formes, et ce qui fait la joie des uns est pour d'autres un tourment ; cette lumière fait son supplice contre lequel il se roidit, et, malgré son orgueil, il l'avoue quand il dit : « Je me suffis et je saurai bien lutter contre cette odieuse lumière » ; et dans cette autre phrase : « La lumière m'éblouit et pénètre, comme une flèche aiguë, la subtilité de mon être. » Ces mots : subtilité de mon être, sont caractéristiques ; il reconnaît que son corps est fluidique et pénétrable à la lumière à laquelle il ne peut échapper, et cette lumière le transperce comme une flèche aiguë.



Nos guides spirituels, priés de donner leur appréciation sur ce sujet, dictèrent les trois communications ci-après, et qui méritent une attention sérieuse :



(Médium, M. A. Didier.)

Il y a des épreuves sans expiation, de même qu'il y a des expiations sans épreuve. Les Esprits dans l'erraticité sont évidemment, au point de vue des existences, inactifs et dans l'attente ; mais cependant, ils peuvent expier, pourvu que leur orgueil, la ténacité formidable et rétive de leurs erreurs ne les retiennent pas, au moment de leur ascension progressive. Vous en avez un exemple terrible dans la dernière communication relativement au criminel qui se débat contre la justice divine qui l'étreint après celle des hommes. Alors, dans ce cas, l'expiation ou plutôt la souffrance fatale qui les oppresse, au lieu de leur profiter et de leur faire sentir la profonde signification de leurs peines, les exalte dans la révolte, et leur fait pousser ces murmures que l'Écriture dans sa poétique éloquence appelle grincements de dents ; image par excellence ! signe de la souffrance abattue, mais insoumise ! perdue dans la douleur, mais dont la révolte est encore assez grande pour refuser de reconnaître la vérité de la peine et la vérité de la récompense !

Les grandes erreurs se continuent souvent, et même presque toujours, dans le monde des Esprits. De même les grandes consciences criminelles. Être soi malgré tout, et parader devant l'infini, ressemble à cet aveuglement de l'homme qui contemple les étoiles et qui les prend pour les arabesques d'un plafond, tel que le craignaient les Gaulois du temps d'Alexandre.

Il y a l'infini moral ! Misérable est celui, infime est celui qui, sous prétexte de continuer les luttes et les forfanteries abjectes de la terre, n'y voit pas plus loin dans l'autre monde qu'ici-bas ! A celui-là l'aveuglement, le mépris des autres, l'égoïste et mesquine personnalité et l'arrêt du progrès ! Il n'est que trop vrai, ô hommes, qu'il y a un accord secret entre l'immortalité d'un nom pur laissé sur la terre, et l'immortalité que gardent réellement les Esprits dans leurs épreuves successives.

Lamennais.



Remarque. ‑ Pour comprendre le sens de cette phrase : « Il y a des épreuves sans expiation, et des expiations sans épreuve », il faut entendre par expiation la souffrance qui purifie et lave les souillures du passé ; après l'expiation, l'esprit est réhabilité. La pensée de Lamennais est celle-ci : Selon que les vicissitudes de la vie sont ou non accompagnées du repentir des fautes qui les ont occasionnées, du désir de les rendre profitables pour sa propre amélioration, il y a ou il n'y a pas expiation, c'est-à-dire réhabilitation. Ainsi les plus grandes souffrances peuvent être sans profit pour celui qui les endure, si elles ne le rendent pas meilleur, si elles ne l'élèvent pas au-dessus de la matière, s'il n'y voit pas la main de Dieu, enfin si elles ne lui font pas faire un pas en avant, car ce sera à recommencer pour lui dans des conditions encore plus pénibles. A ce point de vue, il en est de même des peines endurées après la mort ; l'Esprit endurci les subit, sans être touché par le repentir ; c'est pourquoi il peut les prolonger indéfiniment par sa propre volonté ; il est châtié, mais ne répare pas.



(Médium, M. d'Ambel.)

Précipiter un homme dans les ténèbres ou dans des flots de clarté : le résultat n'est-il pas le même ? Dans l'un et l'autre cas, il ne voit rien de ce qui l'entoure, et il s'habituera même bien plus rapidement à l'ombre qu'à la triple clarté électrique dans laquelle il peut être immergé. Donc, l'Esprit qui s'est communiqué à la dernière séance exprime bien la vérité de sa situation, lorsqu'il s'écrie : « Oh ! je me délivrerai bien de cette odieuse lumière ! » En effet, cette lumière est d'autant plus terrible, d'autant plus effroyable, qu'elle le transperce complètement, et qu'elle rend visibles et apparentes ses plus secrètes pensées. C'est là un des côtés les plus rudes de son châtiment spirituel. Il se trouve, pour ainsi dire, interné dans la maison de verre que demandait Socrate, et c'est là encore un enseignement, car ce qui eût été la joie et la consolation du sage devient la punition infamante et continue du méchant, du criminel, du parricide, effaré dans sa propre personnalité.

Comprenez-vous, mes fils, la douleur et la terreur qui doivent étreindre celui qui, pendant une existence sinistre, se complaisait à combiner, à machiner les plus tristes forfaits dans le fond de son être, où il se réfugiait comme une bête fauve en sa caverne, et qui, aujourd'hui, se trouve chassé de ce repaire intime, où il se dérobait aux regards et à l'investigation de ses contemporains ? Maintenant, son masque d'impassibilité lui est arraché, et chacune de ses pensées se reflète successivement sur son front !

Oui, désormais, nul repos, nul asile pour ce formidable criminel ! Chaque mauvaise pensée, et Dieu sait si son âme en exprime, se trahit au dehors et en dedans de lui, comme à un choc électrique supérieur. Il veut se dérober à la foule, et la lumière odieuse le perce continuellement à jour. Il veut fuir, il fuit d'une course haletante et désespérée à travers les espaces incommensurables, et partout la lumière ! partout les regards qui plongent en lui ! et il se précipite de nouveau à la poursuite de l'ombre, à la recherche de la nuit, et l'ombre et la nuit ne sont plus pour lui. Il appelle la mort à son aide ; mais la mort n'est qu'un nom vide de sens. L'infortuné fuit toujours ! Il marche à la folie spirituelle, châtiment terrible ! douleur affreuse ! où il se débattra avec lui-même pour se débarrasser de lui-même. Car telle est la loi suprême par delà la terre : c'est le coupable qui devient pour lui-même son plus inexorable châtiment.

Combien de temps cela durera-t-il ? Jusqu'à l'heure où sa volonté, enfin vaincue, se courbera sous l'étreinte poignante du remords, et où son front superbe s'humiliera devant ses victimes apaisées et devant les Esprits de justice. Et remarquez la haute logique des lois immuables, en cela encore il accomplira ce qu'il écrivait, dans cette hautaine communication, si nette, si lucide et si tristement pleine de lui-même, qu'il a donnée vendredi dernier, en se délivrant par un acte de sa propre volonté.

L'Esprit protecteur du médium.

(Médium, M. Costel.)



La justice humaine ne fait pas acception de l'individualité des êtres qu'elle châtie ; mesurant le crime au crime lui-même, elle frappe indistinctement ceux qui l'ont commis, et la même peine atteint le coupable sans distinction de sexe, et quelle que soit son éducation. La justice divine procède autrement ; les punitions correspondent au degré d'avancement des êtres auxquels elles sont infligées ; l'égalité du crime ne constitue pas l'égalité entre les individus ; deux hommes coupables au même chef peuvent être séparés par la distance des épreuves qui plongent l'un dans l'opacité intellectuelle des premiers cercles initiateurs, tandis que l'autre, les ayant dépassés, possède la lucidité qui affranchit l'Esprit du trouble. Ce ne sont plus alors les ténèbres qui châtient, mais l'acuité de la lumière spirituelle ; elle transperce l'intelligence terrestre, et lui fait éprouver l'angoisse d'une plaie mise à vif.

Les êtres désincarnés que poursuit la représentation matérielle de leur crime subissent le choc de l'électricité physique : ils souffrent par les sens ; ceux qui sont déjà dématérialisés par l'Esprit ressentent une douleur très supérieure, qui anéantit dans ses flots amers le ressouvenir des faits, pour ne laisser subsister que la science de leurs causes.

L'homme peut donc, malgré la criminalité de ses actions, posséder un avancement intérieur, et, tandis que les passions le faisaient agir comme une brute, ses facultés aiguisées l'élèvent au-dessus de l'épaisse atmosphère des couches inférieures. L'absence de pondération, d'équilibre entre le progrès moral et le progrès intellectuel, produit les anomalies très fréquentes aux époques de matérialisme et de transition.

La lumière qui torture l'Esprit coupable est donc bien le rayon spirituel inondant de clarté les retraites secrètes de son orgueil, et lui découvrant l'inanité de son être fragmentaire. Ce sont là les premiers symptômes et les premières angoisses de l'agonie spirituelle qui annoncent la séparation ou dissolution des éléments intellectuels matériels qui composent la primitive dualité humaine, et doivent disparaître dans la grande unité de l'être achevé.

Jean Reynaud.


Remarque. Ces trois communications obtenues simultanément se complètent l'une par l'autre, et présentent le châtiment sous un nouvel aspect éminemment philosophique, quelque peu plus rationnel que les flammes de l'enfer, avec ses cavernes garnies de lames de rasoir (voir ci-dessus, page 119). Il est probable que les Esprits, voulant traiter cette question d'après un exemple, auront provoqué, dans ce but, la communication spontanée de l'Esprit coupable.



L'éducation maternelle, Conseils aux mères de famille[1].

Cet opuscule est le produit d'instructions médianimiques formant un ensemble complet, dictées à madame Collignon, de Bordeaux, par un Esprit qui signe Étienne, et qui est inconnu du médium. Ces instructions, publiées primitivement en articles détachés par le journal le Sauveur, ont été réunies en corps de brochure.

Nous sommes heureux de pouvoir donner une approbation sans réserve à ce travail, aussi recommandable pour la forme que pour le fond ; style simple, clair, concis, sans emphase ni mots de remplissage vides de sens, pensées profondes, d'une irréprochable logique, c'est bien là le langage d'un Esprit élevé, et non ce style verbeux des Esprits qui croient compenser le vide des idées par l'abondance des mots. Nous ne craignons pas d'y donner ces éloges, parce que nous savons que madame Collignon ne les prendra pas pour elle, et que son amour-propre n'en sera nullement surexcité, de même qu'elle ne se formaliserait point de la critique la plus sévère.

Dans cet écrit, l'éducation est envisagée à son véritable point de vue sous le rapport du développement physique, moral et intellectuel de l'enfant considéré depuis le berceau jusqu'à son établissement dans le monde. Les mères spirites, mieux que toutes autres, apprécieront la sagesse des conseils qu'il renferme, c'est pourquoi nous le leur recommandons comme une œuvre digne de toute leur attention.


La brochure est complétée par un petit poème intitulé : le Corps et l'Esprit, également produit médianimique que plus d'un auteur en renom pourrait signer sans crainte. En voici le début :


" Morphée avait plongé mes sens dans le sommeil ;

Mon Esprit, affranchi de ce lourd appareil,

Voulut s'émanciper et voguer dans l'espace,

Abandonnant son corps comme un soldat la place.

Semblable au prisonnier qui gémit dans les fers,

Il voulut, libre enfin, s'élever dans les airs ;

Était-ce un souvenir, un caprice, un mystère

Qui portait mon Esprit à délaisser la terre ?

Je ne saurais le dire, et lui-même, au retour,

A cette question répond par un détour.

Mais je compris bientôt le motif de sa ruse

Et me fâchai beaucoup, n'aimant pas qu'on m'abuse.

Au moins me direz-vous, Esprit capricieux,

Ce que vous avez vu dans ce voyage aux cieux ?

‑ Pour te plaire, il faut bien te dire quelque chose ;

Autrement, le geôlier, dans son humeur morose,

Tiendrait au prisonnier quelque discours brutal

Et le pauvre captif n'en serait que plus mal…

Sache donc… ‑ Attendez. Est-ce bien de l'histoire

Que vous m'allez conter ? ‑ Oh ! oui, tu peux m'en croire.

Sache donc qu'autrefois, au monde des Esprits

Je laissai des parents et bon nombre d'amis :

Je voulais les revoir : car l'exil sur la terre

N'est pas fait, crois-le bien, pour amuser et plaire !

Profitant du sommeil qui te clouait au lit,

Je laissai là mon corps, et bientôt, tout Esprit,

Je franchis les degrés qui séparent les mondes,

Faisant ce long trajet en moins de deux secondes.

Il fallait se hâter, car le moindre retard

Pouvait te compromettre. Hélas ! si par hasard

Je m'étais oublié dans ma course lointaine,

Au retour, vois-tu bien, c'était chose certaine,

Je trouvais un cadavre à la place d'un corps.

J'ai voulu m'éviter un semblable remords.

Je savais qu'en restant je commettrais un crime,

Dieu seul devant briser notre union intime.

‑ Merci du souvenir, cher Esprit empressé ;

Il n'en est pas moins vrai que j'étais trépassé

Si le moindre retard… Ah ! foi de corps honnête,

Je sens tous mes cheveux se dresser sur ma tête ! "



_______________________________________________
[1] Broch. In-8° ; prix 50 c. ; par la poste 60 c. ‑ Paris, chez Ledoyen, Palais-Royal, galerie d'Orléans, n° 31. ‑ Bordeaux, chez Ferret, libr., 15, Fossés-de-l'Intendance, et au bureau du journal le Sauveur, 57, cours d'Aquitaine.


Le Spiritisme à sa plus simple expression, par Allan Kardec, édition en langue russe, imprimé à Leipzig, chez Baer et Hermann. ‑ Paris, chez Ledoyen, Palais-Royal ; Didier et Ce, 35, quai des Augustins ; et au bureau de la Revue spirite. ‑ Prix : 20 c. ; par la poste, 25 c.


Avis. ‑ M. le docteur Chavaux, président de la Société des études spirites de Marseille, nous prie d'annoncer que le siège de ladite Société est rue du Petit-Saint-Jean, n° 24, au premier.





Articles connexes

Voir articles connexes