REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

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Septembre

La Revue musicale du Siècle du 21 juin 1864 contenait l'article suivant :

« Sous ce titre : Un Orphéon sous les verrous, M. de Pontécoulant vient de publier une excellente notice en faveur d'une bonne cause. Il paraît que le directeur d'une maison centrale de détention a conçu l'ingénieuse idée de faire pénétrer la musique dans les cellules des condamnés ; il a compris que son devoir n'était pas seulement de punir, mais de corriger.

Pour agir avec certitude sur le caractère du prisonnier, endolori par le châtiment, il s'est adressé directement à la musique. Il a commencé par créer une école de chant. Les détenus qui s'étaient distingués par leur bonne conduite considéraient comme une récompense de faire parie de cet orphéon.

Le pénitencier se trouvait ainsi transformé. Sur mille pensionnaires environ on en choisit cent qui furent appelés à concourir aux premiers essais. L'effet fut très grand sur le moral de ces malheureux. Une infraction aux règlements pouvait les faire renvoyer de l'école ; ils s'arrangèrent pour respecter des obligations jusqu'alors dédaignées par eux.

Afin de faire mieux comprendre l'importance qu'ils attachent à l'institution de ces chœurs, je rappellerai que le silence leur est habituellement imposé. Ils pensent, ils ne parlent pas. Ils pourraient oublier leur langue, dont ils n'ont plus momentanément à se servir. Dans ces conditions, on le comprend, ces morceaux d'ensemble, parlés et chantés, leur tombent comme une manne du ciel. C'est l'occasion de se réunir, d'entendre des voix, de rompre leur solitude, d'être émus, d'exister.

Je le répète, les résultats sont excellents. Sur soixante-dix chanteurs dont l'orphéon se composait cette année, seize grâces ont pu être accordées. N'est-ce pas concluant ?

J'oubliais de dire que l'expérience s'est faite à Melun. C'est une épreuve à encourager, un exemple à suivre. Qui sait ? ces cœurs durcis sentiront peut-être leur glace se fondre, et ils se prendront à aimer encore quelque chose. En leur apprenant à chanter, on leur apprend à ne plus maudire. Leur isolement se peuple, leur tête se calme, et la corvée leur semble moins dure. Puis leur temps fini, raccourci souvent par l'application et la bonne conduite, ils sortiront autrement que pervertis par la haine.

Je visitai un jour la maison de santé du docteur B… en compagnie d'un aliéniste ; chemin faisant ce dernier disait :

‑ Les douches ! les douches !… Je ne connais que les douches et la camisole de force. C'est la panacée… Tous les autres palliatifs sont insuffisants quand on est en présence d'un fou furieux.

En ce moment des cris attirèrent notre attention au fond du jardin.

‑ Tenez, reprit-il, j'en aperçois un qui va subir un des deux supplices, peut-être même tous les deux. Voulez-vous que nous le suivions ? vous en verrez l'effet.

Le pauvre diable se débattait désespérément entre les mains de ses gardiens. Il avait des menaces à la bouche, du feu dans les yeux. Tenter un apaisement paraissait impossible sans le secours des grands moyens.

Tout à coup, une voix se fit entendre à l'autre extrémité du jardin. Elle venait d'un paillon isolé qu'on aurait pu croire poussé tout seul, avec sa vigne vierge et ses parasites tombant du toit, dans un bouquet d'aubépines en fleur. La voix chantait la romance du Saule, de Desdémone.

Je m'arrêtai pour l'écouter. Je ne sais pas si je dois l'impression que je ressentis à l'influence de l'atmosphère et du lieu, mais ce que j'affirme, c'est que jamais, en aucun temps, je ne me sentis si profondément remué. J'ai su depuis que la chanteuse était une dame du monde, à laquelle des malheurs avaient fait perdre la raison.

Le fou furieux s'arrêta court, cessant de se débattre et de blasphémer.

‑ La voix ! la voix ! dit-il… Chut !

Et, l'oreille tendue, il n'éprouvait plus que de l'extase.

Il était calmé.

‑ Eh bien ! dis-je à l'aliéniste décontenancé, que, dites-vous de votre fameux topique ?

Il se serait laissé couper en morceaux plutôt que de revenir sur sa brutale affirmation. Les gens à système sont ainsi faits. Les faits ne peuvent rien sur eux. Ils traitent ce qui les contrarie comme une exception. Ne tentez pas de les combattre ; ils ont leur idée fixe, et quand vous aurez dépensé tous vos arguments, ils vous riront au nez. Pas de concession ! on est convaincu ou on ne l'est pas.

Dans plusieurs hospices d'aliénés, à Bicêtre notamment, on a compris le parti qu'on pouvait tirer de la musique, et on s'en sert victorieusement. Les messes y sont chantées par les fous ; sauf de rares accidents, tout s'accomplit suivant le programme, sans qu'on ait à réprimer les moindres écarts.

Il est une maladie plus horrible que la folie ; je veux parler du crétinisme. Les fous ont leurs heures de lucidité ; quelquefois même ils ne sont affectés que d'une manie. Ils causent raisonnablement sur tous les sujets, hormis sur celui qui les fait divaguer. L'un se croit de verre et vous recommande de le toucher avec précaution ; l'autre vous aborde et vous dit, en vous montrant un de ses voisins Vous voyez bien ce petit brun ? Il se prétend le fils de Dieu ; mais c'est moi, le Christ. » Un troisième vous invite à ses grandes chasses, dans son parc splendide ; il entend la meute, les valets qui l'appuient, les fanfares qui lui répondent, la curée criarde ; il est heureux dans son rêve ; c'est presque toujours un ambitieux tombé plus ou moins loin du but poursuivi. Tous les curables et les incurables ont un point de repère pour leur imagination.

Mais les autres, mais les idiots, les crétins, que leur reste-t-il ? Ils sont accroupis dans l'angle d'un mur, sur une pierre, la face abêtie, comme de hideux paquets de chair, n'ayant jamais un éclair d'intelligence, et ne possédant pas même l'instinct des animaux infimes. Ils sont bien perdus, n'est-ce pas, de corps et d'âme ? bien abaissés dans leur dignité d'homme, bien dégradés, bien perclus physiquement et moralement ? ils ont des oreilles pour ne pas entendre, des yeux pour ne pas voir, des sens éteints ; ils sont morts vivants.

On a vainement essayé de ressusciter quelque chose en eux, tantôt par la rudesse, tantôt par la douceur. C'était à désespérer.

Alors on a vocalisé des notes en leur présence jusqu'à ce qu’ils les répétassent machinalement. On leur a seriné des motifs simples courts qu'ils ont redits. Ils chantent maintenant ; c'est une fête pour eux de chanter. Par le chant, on les tient ; c'est leur punition ou leur récompense ; ils obéissent ; ils ont conscience de leurs actions. On les occupe aux mêmes travaux : les voilà sur le chemin d'une demi réhabilitation intellectuelle.

Il y a des pays où cette cruelle infirmité se reproduit incessamment. Est-ce l'air ou l'eau qui la provoque ?

Certain matin, après une nuit de chasse laborieuse à travers le versant méridional des Pyrénées, j'étais entré dans la cahute d'un berger, pour me rafraîchir. J'y trouvai le père, chétif, sa femme malingre, et trois enfants rabougris dont un pelotonné sur une couche paille pourrie. Comme j'examinais ce malheureux hébété, le père me dit :

‑ Oh ! celui-là n'a jamais vécu ; il est né comme il est. Le crétinisme en prend un sur trois par ici. J'ai payé ma dette.

‑ Vous reconnaît-il ? lui demandai-je.

‑ Ni moi, ni ses frères ; il reste dans la position où vous le voyez ; il ne se réveille de l'engourdissement que quand le soleil se couche et que je hèle les troupeaux épars, alors il s'agite, il paraît content comme si quelque chose d'heureux arrivait.

‑ Et à quoi croyez-vous pouvoir attribuer ce mouvement ?

‑ Je ne sais pas.

‑ De quel signal vous servez-vous ?

‑ Du refrain de tous les bergers.

‑ Voyons, dites ce refrain, comme si les bêtes allaient rentrer.

Le vieillard docile alla vers la porte, et, debout sur le plateau, les mains en cornet, il recommença son chant d'appel. Un fait étrange se produisit : l'enfant malade se leva d'un bond en poussant des cris inarticulés. On devinait qu'il voulait parler. J'expliquai que la musique agissait puissamment sur ses nerfs. Le père comprit, il me dit dans son patois accentué :

‑ Je sais des chansons ; je les lui dirai.

Deux ans plus tard, j'eus l'occasion de revoir ces pauvres gens auxquels je rapportais un ysard blessé.

L'enfant était devenu docile.

Je publiai l'histoire avant qu'on songeât à se servir de la musique comme procédé curatif dans des cas semblables. Mon récit fut considéré comme une fable.

Le moyen pratique a fait son chemin depuis, avec les crétins comme avec les fous, ‑ ce qui n'a pas empêché mon aliéniste de soutenir que rien ne vaut la camisole de force et les douches. Il en est sûr. »

Nous ne savons si l'auteur de l'article, M. Chadeuil, est anti-spiritualiste, mais ce qui est certain, c'est qu'il est anti-Spirite au premier chef, à en juger par les sarcasmes qu'il n'a pas épargnés à la croyance aux Esprits, lorsqu'il a cru en trouver l'occasion dans sa Revue musicale. Pour nier une doctrine basée sur des faits, et acceptée par des millions d'individus, a-t-il vu, observé et étudié ? S'est-il scrupuleusement enquis à toutes les sources ? Ses articles mêmes témoignent de l'ignorance de ce dont il parle. Sur quoi donc s'appuie-t-il pour affirmer que c'est une croyance ridicule ? Sur son opinion personnelle, qui trouve ridicule l'idée des Esprits se communiquant aux hommes, absolument comme toutes les idées nouvelles de quelque importance ont été trouvées ridicules par les hommes, même les plus capables. Il est ainsi, sans s'en douter, l'application de ces remarquables et véridiques paroles de son article :

« Les gens à système sont ainsi faits. Les faits ne peuvent rien sur eux. Ils traitent ce qui les contrarie comme une exception. Ne tentez pas de les combattre ; ils ont leur idée fixe, et quand vous aurez dépensé tous vos arguments, ils vous riront au nez. »

N'est-ce pas toujours l'histoire de la poutre et de la paille dans l'œil ? Il est vrai que nous ne savons si cette réflexion est de lui ou de M. de Pontécoulant ; quoi qu'il en soit, il la cite avec éloge, c'est donc qu'il l'accepte. Mais laissons là l'opinion de M. Chadeuil, qui nous importe peu, et voyons l'article en lui-même, qui constate un fait important : l'influence de la musique sur les criminels, les fous et les idiots.

De tout temps, on a reconnu à la musique une influence salutaire pour l'adoucissement des mœurs ; son introduction parmi les criminels serait un progrès incontestable et ne pourrait avoir que des résultats satisfaisants ; elle remue les fibres engourdies de la sensibilité, et les prédispose à recevoir les impressions morales. Mais est-ce suffisant ? Non ; c'est un labour sur une terre inculte qu'il faut ensemencer d'idées propres à faire sur ces natures dévoyées une profonde impression. Il faut parler à l'âme après avoir amolli le cœur. Ce qui leur manque, c'est la foi en Dieu, en leur âme et en l'avenir ; non une foi vague, incertaine, incessamment combattue par le doute, mais une foi fondée sur la certitude, qui seule peut la rendre inébranlable. La musique peut sans doute y prédisposer, mais elle ne la donne pas. Ce n'en est pas moins un auxiliaire qu'il ne faut pas négliger. Cette tentative et beaucoup d'autres, auxquelles l'humanité et la civilisation ne peuvent qu'applaudir, témoignent d'une louable sollicitude pour le moral des condamnés ; mais il reste encore à atteindre le mal dans sa racine ; un jour on reconnaîtra toute l'étendue du secours que l'on peut puiser dans les idées spirites, dont l'influence est déjà prouvée par les nombreuses transformations qu'elles opèrent sur les natures en apparence les plus rebelles. Ceux qui ont approfondi cette doctrine et médité sur ses tendances et ses conséquences inévitables peuvent seuls comprendre la puissance du frein qu'elle oppose aux entraînements pernicieux. Cette puissance tient à ce qu'elle s'adresse à la cause même de ces entraînements, qui est l'imperfection de l'Esprit, tandis que la plupart du temps on ne la cherche que dans l'imperfection de la matière. Le Spiritisme, comme doctrine morale, n'est plus aujourd'hui à l'état de simple théorie ; il est entré dans la pratique, au moins pour un grand nombre de ceux qui en admettent le principe ; or, d'après ce qui se passe, et en présence des résultats produits, on peut affirmer sans crainte que la diminution des crimes et délits sera proportionnelle à sa vulgarisation. C'est ce qu'un avenir prochain se chargera de démontrer. En attendant que l'expérience se fasse sur une plus vaste échelle, elle se fait tous les jours individuellement. La Revue en fournit de nombreux exemples ; nous nous bornerons à rappeler les lettres des deux prisonniers, publiées dans les numéros de novembre 1863, page 350, et février 1864, page 44.

Nous laissons à nos lecteurs le soin d'apprécier le fait ci-dessus relatif à la folie ; c'est sans contredit la plus amère critique des aliénistes qui ne connaissent que les douches et la camisole de force. Le Spiritisme vient jeter un jour tout nouveau sur les maladies mentales, en démontrant la dualité de l'être humain, et la possibilité d'agir isolément sur l'être spirituel et sur l'être matériel. Le nombre sans cesse croissant des médecins qui entrent dans ce nouvel ordre d'idées amènera nécessairement de grandes modifications dans le traitement de ces sortes d'affections. Abstraction faite de l'idée spirite proprement dite, la constatation des effets de la musique en pareil cas est un pas dans la voie spiritualiste dont les aliénistes se sont généralement écartés jusqu'à ce jour, au grand préjudice des malades.

L'effet produit sur les idiots et les crétins est encore plus caractéristique. Les fous ont presque toujours été des hommes intelligents ; il en est autrement des idiots et des crétins, qui semblent voués par la nature même à une nullité morale absolue. Le Spiritisme expérimental vient encore jeter ici la lumière en prouvant, par l'isolement de l'Esprit et du corps, que ce sont généralement des Esprits développés et non arriérés comme on pourrait le croire, mais unis à des corps imparfaits. A égalité d'intelligence, il y a cette différence entre le fou et le crétin, que le premier est pourvu, à la naissance du corps, d'organes cérébraux constitués normalement, mais qui se désorganisent plus tard ; tandis que le second est un Esprit incarné dans un corps dont les organes atrophiés dès le principe ne lui ont jamais permis de manifester librement sa pensée ; il est dans la situation d'un homme fort et vigoureux à qui on aurait ôté la liberté de ses mouvements. Cette contrainte est pour l'Esprit un véritable supplice, car il n'en a pas moins la faculté de penser, et sent, comme Esprit, l'abjection où le place son infirmité. Supposons donc qu'à un instant donné on puisse, par un traitement quelconque, délier les organes, l'Esprit recouvrerait sa liberté, et le plus grand crétin deviendrait un homme intelligent ; il serait comme un prisonnier sortant de sa prison, ou comme un bon musicien mis en présence d'un instrument complet, ou encore comme un muet recouvrant la parole.

Ce qui manque à l'idiot, ce ne sont donc pas les facultés, mais les cordes cérébrales répondant à ces facultés pour leur manifestation. Chez l'enfant normalement constitué, l'exercice des facultés de l'Esprit pousse au développement des organes correspondants qui n'offrent aucune résistance ; chez l'idiot, l'action de l'Esprit est impuissante pour provoquer un développement resté à l'état rudimentaire comme un fruit avorté. La guérison radicale de l'idiot est donc impossible ; tout ce qu'on peut espérer, c'est une légère amélioration. Pour cela, on ne connaît aucun traitement applicable aux organes ; c'est à l'Esprit qu'il faut s'adresser. En étudiant les facultés dont on découvre le germe, il faut en provoquer l'exercice de la part de l'Esprit, et alors celui-ci surmontant la résistance, on pourra obtenir une manifestation, sinon complète, du moins partielle. S'il est un moyen externe d'agir sur les organes, c'est sans contredit la musique. Elle parvient à ébranler ces fibres engourdies, comme un grand bruit qui arrive à l'oreille d'un sourd ; l'Esprit s'en émeut, comme à un souvenir, et son activité, provoquée, redouble d'efforts pour vaincre les obstacles.

Pour celui qui ne voit dans l'homme qu'une machine organisée, sans tenir compte de l'intelligence qui préside au jeu de cet organisme, tout est obscurité et problème dans les fonctions vitales, tout est incertitude dans le traitement des affections ; c'est pourquoi, le plus souvent, on frappe à côté du mal ; bien plus : tout est ténèbres dans les évolutions de l'humanité, tout est tâtonnement dans les institutions sociales ; c'est pourquoi on fait si souvent fausse route. Admettez, seulement à titre d'hypothèse, la dualité de l'homme, la présence d'être intelligent indépendant de la matière, préexistant et survivant corps, qui n'est pour lui qu'une enveloppe temporaire, et tout s'explique. Le Spiritisme, par des expériences positives, fait de cette hypothèse une réalité, en nous révélant la loi qui régit les rapports de l'Esprit et de la matière.

Riez donc, sceptiques, de la doctrine des Esprits, sortie du vulgaire phénomène des tables tournantes, comme la télégraphie électrique est sortie des grenouilles dansantes de Galvani ; mais songez qu'en niant les Esprits, vous vous niez vous-mêmes, et qu'on a ri des plus grandes découvertes.



On nous écrit d'Espagne, 1er août 1864 :

« Cher maître,

« Je prends la liberté de vous adresser le nouveau mandement que Mgr Pantaléon, évêque de Barcelone, vient de publier dans le journal : El Diaro de Barcelona, du 31 juillet. Comme vous pourrez le remarquer, il a voulu marcher sur les traces de son prédécesseur. Pour moi, Spirite sincère, je lui pardonne les gros mots qu'il nous adresse, mais je ne puis m'empêcher de penser qu'il pourrait employer la science qu'il possède d'une manière plus profitable pour le bien de la foi et de ses semblables. Pour ne citer qu'un exemple, nous avons à chaque instant le spectacle de ces abominables courses de taureaux dans lesquelles de pauvres chevaux, après avoir dépensé leur existence au service de l'homme, viennent mourir éventrés dans ces tristes arènes, à la plus grande joie d'une population avide de sang et dont ces jeux barbares développent les mauvais instincts.

Voilà contre quoi vous devriez fulminer, Monseigneur, et non contre le Spiritisme qui vous ramène chaque jour au bercail les brebis que vous avez perdues ; car moi, qui croyais sincèrement à Dieu, qui reconnaissais sa grandeur dans les plus petits détails de la nature, avant d'être Spirite, je ne pouvais m'approcher d'une église, tant à mes yeux il y avait de dissemblance entre ceux qui se disent les représentants de Dieu sur la terre et cette grande figure du Christ, que l'Évangile nous montre toute d'amour et d'abnégation. Oui, me disais-je, Jésus se sacrifie pour nous ; il fait son entrée triomphale à Jérusalem, couvert de bure, monté sur un âne ; et vous, qui vous dites ses représentants, vous êtes couverts de soie, d'or et de diamants. Est-ce là le mépris des richesses que le divin Messie prêchait à ses apôtres ? Non ; et cependant, je vous l'avoue, Monseigneur, depuis que je suis Spirite, j'ai pu rentrer dans vos églises, j'ai pu y prier Dieu avec ferveur, malgré la musique mondaine qui y joue des airs d'opéra ; j'ai pu prier en pensant que, parmi toutes ces personnes réunies, il y en avait peut-être auxquelles cette pompe théâtrale était utile pour élever leur âme à Dieu ; alors j'ai pu pardonner votre luxe, et le comprendre dans un certain sens. Vous voyez donc bien, Monseigneur, que ce n'est pas sur les Spirites que vous devriez tonner ; et si vous avez, comme je n'en doute pas, le seul bien de votre troupeau en vue, revenez de votre manière de voir sur le Spiritisme, qui ne nous prêche que l'amour de nos semblables, le pardon des injures, la douceur, la charité et l'amour même pour nos ennemis.

Cher maître, pardonnez-moi ces quelques lignes qui m'ont été suggérées par ce nouveau mandement. Le Spiritisme est venu raviver ma foi, en m'expliquant toutes les misères de la vie que, jusqu'alors, mon intelligence n'avait pu comprendre. Persuadé sincèrement que nous travaillons pour notre avancement et celui de l'humanité, je ne cesserai de propager cette doctrine dans le cercle qui m'entoure, en employant pour cela une conviction profonde et les moyens que Dieu m'a donnés.

Daignez recevoir, cher maître, etc. »

Nous donnons ci-après la traduction du mandement de Monseigneur l'évêque. Nous le reproduisons in extenso pour n'en point affaiblir la portée. Mgr de Barcelone passe avec raison pour un homme de mérite ; il a donc dû réunir les arguments les plus puissants contre le Spiritisme ; nos lecteurs jugeront s'il est plus heureux que ses confrères, et si le coup de grâce nous sera donné de l'autre côté des Pyrénées. Nous nous bornons à y ajouter quelques remarques.

« Nous, D. D. Pantaléon Monserra y Navarro, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique, évêque de Barcelone, chevalier grand-croix de l'Ordre américain d'Isabelle la Catholique, du Conseil de Sa Majesté, etc.

A nos aimés et fidèles diocésains,

L'homme, mis sur la terre comme dans un lieu de ténèbres qui lui empêche de voir les choses placées dans un ordre supérieur, ne peut faire un pas pour les chercher s'il n'est éclairé du flambeau de la foi. S'il se sépare de ce guide, il ne fera que trébucher, tombant aujourd'hui dans l'extrême de l'incrédulité qui nie tout, et demain dans celui de la superstition qui croit tout. Notre époque, qui prétend se conduire par la raison et les sens, n'admettant pour vrai que ce que lui montrent ces fallacieux témoins, se voit traversée par un immense courant d'idées entraînant à sa suite et la négation du surnaturel et une excessive crédulité. L'une et l'autre sont le produit de l'orgueil de l'intelligence humaine qui répugne à prêter une attention raisonnable à la parole révélée de Dieu. La génération actuelle se voit obligée d'assister à ce triste spectacle que nous donnent aujourd'hui les peuples les plus avancés en science et en civilisation. Les États Nord-Américains, cette nation appelée modèle, et quelques parties de la France, y compris la colonie d'Alger, s'évertuent depuis quelque temps à l'étude ridicule et à l'application du Spiritisme qui vient, sous ce nom, ressusciter les anciennes pratiques de la nécromancie par l'évocation des Esprits invisibles qui reposent dans le lieu de leur destinée placé au delà de la tombe, et que l'on consulte pour découvrir les secrets cachés sous le voile tendu par Dieu entre le temps et l'éternité. »



Remarque. Si l'on est répréhensible d'avoir des rapports avec les Esprits, il faudrait que l'Église empêchât ceux-ci de venir sans qu'on les appelle ; car il est notoire qu'il y a une foule de manifestations spontanées chez les personnes même qui n'ont jamais entendu parler du Spiritisme. Comment les demoiselles Fox, aux États-Unis, les premières qui ont révélé leur présence dans ce pays, ont-elles été mises sur la voie des évocations, si ce n'est par les Esprits qui sont venus se manifester à elles, alors qu'elles n'y songeaient pas le moins du monde ? Pourquoi ces Esprits ont-ils quitté le lieu qui leur était assigné au delà de la tombe ? Est-ce avec ou sans la permission de Dieu ?

Le Spiritisme n'est pas sorti du cerveau d'un homme comme un système philosophique créé par l'imagination ; si les Esprits ne se fussent pas manifestés deux-mêmes, il n'y aurait point eu de Spiritisme. Si on ne peut les empêcher de se manifester, on ne peut arrêter le Spiritisme, pas plus qu'on ne peut empêcher un fleuve de couler, à moins d'en supprimer la source. Prétendre que les Esprits ne se manifestent pas est une question de fait et non d'opinion ; contre l'évidence, il n'y a pas de dénégation possible.

« Ce désir exagéré de tout connaître par des moyens ridicules et réprouvés n'est autre que le fruit de ce besoin, de ce vide qu'éprouve l'homme lorsqu'il a rejeté tout ce qui lui est proposé comme vérité par sa souveraine légitime et infaillible : l'Église. »

R. Si ce que cette souveraine infaillible propose comme vérité est démontré erreur par les observations de la science, est-ce la faute de l'homme s'il le repousse ? L'Église était-elle infaillible, quand elle condamnait aux peines éternelles ceux qui croyaient au mouvement de la terre et aux antipodes ? Lorsqu'elle condamne encore aujourd'hui ceux qui croient que la terre n'a pas été formée en six fois vingt-quatre heures ? Pour que l'Église fût crue sur parole, il faudrait qu'elle n'enseignât rien qui pût être démenti par les faits.

« Dans un moment d'ardeur à tout connaître par lui-même, il a repoussé comme superstition cette même vérité, parce que son entendement ne la comprenait pas ou ne s'accordait pas avec les notions qu'il en avait reçues. Mais, plus tard, il a jugé nécessaire ce qu'il avait méprisé ; il a voulu se réhabiliter dans sa foi ; il l'a examinée de nouveau, et selon que cet examen a été fait par des personnes d'une imagination vive, ou par d'autres d'un tempérament nerveux et irritable, elles ont admis, dans leur système de croyance, tout ce qu'elles ont cru voir et entendre des Esprits évoqués dans un moment de mélancolique exaltation. »

R. Nous n'avions jamais pensé que la foi, c'est-à-dire l'adoption ou le rejet des vérités enseignées par l'Eglise, après examen par celui qui veut sincèrement y revenir, fût une question de tempérament. Si, pour leur donner la préférence sur d'autres croyances, il ne faut être ni nerveux, ni irritable, ni avoir une imagination vive, il y a bien des gens qui en sont fatalement exclus par suite de leur complexion. Nous croyons, nous, que dans ce siècle de développement intellectuel, la foi est une question de compréhension.

« C'est ainsi qu'on est arrivé à créer une religion qui, renouvelant les égarements et les aberrations du paganisme, menace de conduire la société avide de merveilleux à la folie, à l'extravagance et au cynisme le plus immonde (y al cinismo mas inmundo). »

R. Voilà encore un prince de l'Eglise qui proclame, dans un acte officiel, que le Spiritisme est une religion qui se crée. C'est ici le cas de répéter ce que nous avons déjà dit à ce sujet : Si jamais le Spiritisme devient une religion, c'est l'Eglise qui, la première, en aura donné l'idée. Dans tous les cas, cette religion nouvelle, si tant est que c'en soit une, s'éloignerait du paganisme par le fait capital qu'elle n'admet pas un enfer localisé, avec des peines matérielles, tandis que l'enfer de l'Eglise, avec ses flammes, ses fourches, ses chaudières, ses lames de rasoirs, ses clous pointus qui déchirent les damnés, et ses diables qui attisent le feu, est une copie amplifiée du Tartare.

« Le grand propagateur de cette secte de modernes illuminés, Allan Kardec, l'avoue lui-même dans son Livre des Esprits, en disant : « Que parfois ceux-ci se plaisent à répondre ironiquement et d'une manière équivoque qui déconcerte les malheureux qui les consultent. » Et, bien qu'il avertisse de la nécessité qu'il y a de discerner les Esprits graves des Esprits superficiels, il ne peut nous donner les règles nécessaires à ce discernement, aveu qui révèle toute la vanité et la fausseté du Spiritisme, avec ses déplorables conséquences. »

R. Nous renvoyons Mgr de Barcelone au Livre des Médiums (chap. XXIV, page 327).

« Si ce système, qui établit un monstrueux commerce entre la lumière et les ténèbres, entre la vérité et l'erreur, entre le bien et le mal, en un mot, entre Dieu et Bélial, n'a point de prosélytes en Espagne, il y a, à n'en pas douter, d'ardents propagateurs, et la métropole de notre diocèse est le théâtre choisi pour mettre en œuvre tous les moyens que peut suggérer l'Esprit de mensonge et de perdition. La preuve en est dans l'introduction frauduleuse qui s'opère, malgré le zèle déployé par les autorités locales, de milliers d'exemplaires du Livre des Esprits, écrit par le premier prédicateur de ces mensonges, Allan Kardec, et traduit en espagnol. »

R. Il est assez difficile de concilier ces deux assertions, savoir : que le Spiritisme n'a point de prosélytes en Espagne, et qu'il y a, à n'en pas douter, d'ardents propagateurs. On ne comprend pas davantage que, dans un pays où il n'y a point de Spirites, on trouve l'écoulement du Livre des Esprits par milliers.

« En lisant cette production originale, nous nous sommes dit en nous-même : chaque siècle a ses préoccupations, ses erreurs favorites, et celles du nôtre sont une tendance à nier ce qui est invisible et à ne chercher la certitude que dans la matière sensible ; ne serait-ce donc pas chose incroyable, si nous ne l'avions pas vu, que le dix-neuvième siècle, si riche en découvertes sur les lois de la nature, si riche en observations et en expériences, en soit venu à adopter les songes de la magie et des apparitions des Esprits sur la seule évocation d'un simple mortel ? Et pourtant, cela est ! Et cette nouvelle hérésie, importée, selon les apparences, des pays idolâtres aux peuples du nouveau monde, a envahi l'ancien, et a trouvé des adeptes et des partisans dans celui-ci, malgré le flambeau du Christianisme qui l'éclaire depuis dix-huit siècles, et condamne de pareilles ridiculités, malgré l'éclat qu'il a répandu sur toute sa surface et particulièrement sur l'Europe. »

R. Puisque Mgr de Barcelone s'étonne que le dix-neuvième siècle accepte si facilement le Spiritisme, malgré ses tendances positives et la richesse de ses découvertes en fait de lois de la nature, nous lui dirons que c'est précisément l'aptitude à ces découvertes qui produit ce résultat. Les rapports du monde visible et du monde invisible sont une des grandes lois naturelles qu'il était réservé au dix-neuvième siècle de révéler au monde, ainsi que tant d'autres lois. Le Spiritisme, fruit de l'expérience et de l'observation, basé sur des faits positifs jusqu'à ce jour incompris, mal étudiés et encore plus mal expliqués, est l'expression de cette loi ; par cela même il vient détruire le fantastique, le merveilleux et le surnaturel faussement attribué à ces faits, en les faisant rentrer dans la catégorie des phénomènes naturels. Comme il vient expliquer ce qui était inexplicable, qu'il démontre ce qu'il avance et en donne la raison, qu'il ne veut point être cru sur parole, qu'il provoque l'examen et ne veut être accepté qu'en connaissance de cause, par ces motifs, il répond aux idées et aux tendances positives du siècle. Sa facile acceptation, loin d'être une anomalie, est une conséquence de sa nature qui lui donne rang parmi les sciences d'observation. S'il se fût entouré de mystères et s'il eût exigé une foi aveugle, on l'aurait repoussé comme un anachronisme.

Jeune encore, il rencontre de l'opposition, comme toutes les idées nouvelles d'une certaine importance ; il a contre lui :

1° Ceux qui ne croient qu'à la matière tangible, et nient toute puissance intellectuelle en dehors de l'homme ;

2° Certains savants qui croient que la nature n'a plus de secrets pour eux, ou qu'à eux seuls appartient de découvrir ce qui est encore caché ;

3° Ceux qui, dans tous les temps, se sont efforcés d'enrayer la marche ascendante de l'esprit humain, parce qu'ils craignent que le développement des idées, en faisant voir trop clair, ne nuise à leur puissance et à leurs intérêts ;

4° Enfin, par ceux qui, n'ayant pas de parti pris, et ne le connaissant pas, le jugent sur le travestissement que lui font subir ses adversaires en vue de le discréditer.

Cette catégorie compose la grande majorité des opposants ; mais elle diminue tous les jours, parce que tous les jours le nombre de ceux qui étudient augmente ; les préventions tombent devant un examen sérieux, et l'on s'attache d'autant plus à la chose sur laquelle on reconnaît avoir été trompé. A en juger par le chemin qu'a fait le Spiritisme dans un si court espace de temps, il est aisé de prévoir qu'avant peu il n'aura plus contre lui que les antagonistes de parti pris ; et comme ils forment une très petite minorité, leur influence sera nulle ; eux-mêmes subiront l'influence de la masse, et seront forcés de suivre le torrent.

La manifestation des Esprits n'est pas seulement une croyance, c'est un fait ; or, devant un fait, la négation est sans valeur, à moins de prouver qu'il n'existe pas, et c'est ce que nul n'a encore démontré. Comme sur tous les points du globe la réalité du fait est chaque jour constatée, on croit à ce qu'on voit ; c'est ce qui explique l'impuissance des négateurs pour arrêter le mouvement de l'idée. Une croyance n'est ridicule que lorsqu'elle est fausse, elle ne l'est plus dès qu'elle repose sur une chose positive ; le ridicule est pour celui qui s'obstine à nier l'évidence.

« Ceci doit vous convaincre, mes chers enfants et frères, du besoin que l'homme a de croire, et que lorsqu'il méprise les véritables croyances, il embrase avec enthousiasme même les fausses. C'est pourquoi le profond Pascal dit, dans une de ses pensées : « Les incrédules sont les hommes les plus portés à tout croire. » L'Esprit de ténèbres prend les hommes pour jouet et pour instrument de ses mauvais desseins, en se servant de leur vanité, de leur crédulité, de leur présomption pour faire d'eux-mêmes les propagateurs et les apôtres de ce dont ils riaient la veille, de ce qu'ils qualifiaient d'invention chimérique, et d'épouvantail pour les âmes faibles. »

Non, mes frères, la véritable foi, la doctrine du christianisme, l'enseignement constant de l'Église, ont toujours réprouvé la pratique de ces évocations qui portent à croire que l'homme a sur les Esprits un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu seul. « Il n'est pas au pouvoir d'un mortel que les âmes séparées des corps après la mort lui révèlent les secrets que recouvre le voile de l'avenir. » (Matt., XVI, 4.)

R. Le Spiritisme dit aussi qu'il n'est pas donné aux Esprits de révéler l'avenir, et il condamne formellement l'emploi des communications d'outre-tombe comme moyen de divinisation ; il dit que les Esprits viennent pour nous instruire et nous améliorer, et non pour nous dire la bonne aventure ; il dit de plus que nul ne peut contraindre les Esprits à venir et à parler quand ils ne le veulent pas. C'est en dénaturer méchamment le but de prétendre qu'il fait de la nécromancie. (Livre des Médiums, ch. XXVI, page 386.)

« Si la sagesse divine avait jugé utile au bonheur et au repos du genre humain de l'instruire sur les relations entre le monde des Esprits et celui des êtres corporels, elle nous l'aurait révélé de manière à ce qu'aucun mortel n'eût pu être trompé dans leurs communications ; elle nous aurait enseigné un moyen pour reconnaître quand ils nous auraient dit la vérité, ou insinué l'erreur, et elle ne nous aurait pas abandonné pour ce discernement à la lumière de la raison qui est une lueur bien faible pour découvrir ces régions qui s'étendent au delà de la mort. »

R. Puisque Dieu permet aujourd'hui que ces relations existent, ‑ car il faut bien admettre que rien n'arrive sans la permission de Dieu, ‑ c'est qu'il le juge utile au bonheur des hommes, afin de leur donner la preuve de la vie future à laquelle il y en a tant qui ne croient plus, et parce que le nombre sans cesse croissant des incrédules prouve que l'Eglise seule est impuissante à les retenir au bercail. Dieu lui envoie des auxiliaires dans les Esprits qui se manifestent ; les repousser n'est pas faire preuve de soumission à sa volonté ; les renier, c'est méconnaître sa puissance ; les injurier et maltraiter leurs interprètes, c'est agir comme les Juifs à l'égard des prophètes, ce qui fit verser les larmes à Jésus sur le sort de Jérusalem.

« Lors donc qu'un misérable mortel, égaré par son imagination, prétend nous donner des nouvelles sur le sort des ânes dans l'autre monde ; lorsque des hommes à courte vue ont l'audace de vouloir révéler à l'humanité et à l'individu sa destinée indéfectible dans l'avenir, ils usurpent un pouvoir qui appartient à Dieu, et dont il ne se dessaisit pas, si ce n'est pour le bien de l'humanité elle-même et des peuples, en les avertissant ou les réprimandant par l'intermédiaire d'envoyés qui, comme les prophètes, portent avec eux la preuve de leur mission, dans les miracles qu'ils opèrent, et dans l'accomplissement constant de ce qu'ils ont annoncé. »

R. Vous reniez donc les prédications de Jésus, puisque vous ne reconnaissez pas dans ce qui arrive l'accomplissement de ce qu'il a annoncé. Que signifient ces paroles : « Je répandrai l'Esprit sur toute chair ; vos femmes et vos filles prophétiseront, vos enfants auront des visions et les vieillards des songes ? »

« Nous pouvons considérer comme visionnaires ceux-là qui, abandonnant la vérité, et prêtant l'oreille aux fables, veulent que l'on écoute comme des révélations les caprices, les rêves fantastiques de leur imagination en délire. Saint Paul écrivant à Timothée le met en garde contre tout cela, lui et les générations futures. (I Tim., IV, v. 7.) L'apôtre pressentait déjà, dix-huit siècles auparavant, ce qu'à notre époque l'incrédulité devait offrir pour remplir par quelque chose le vide que laisse dans l'âme l'absence de la foi. »

R. L'incrédulité est, en effet, la plaie de notre époque ; elle laisse dans l'âme un vide immense ; pourquoi donc l'Eglise ne le comble-t-elle pas ? Pourquoi ne peut-elle retenir les fidèles dans la foi ? Les moyens matériels et spirituels ne lui manquent cependant pas ; n'a-t-elle pas d'immense richesses, une innombrable armée de prédicateurs, l'instruction religieuse de la jeunesse ? Si ses arguments ne triomphent pas de l'incrédulité, c'est donc qu'ils ne sont pas assez péremptoires. Le Spiritisme ne va pas sur ses brisées : il fait ce qu'elle ne fait pas ; il s'adresse à ceux qu'elle est impuissante à ramener, et il réussit à leur donner la foi en Dieu, en leur âme et en la vie future Que dirait-on d'un médecin qui, ne pouvant guérir un malade, s'opposerait à ce que celui-ci acceptât les soins d'un autre médecin qui pourrait le sauver ?

Il est vrai qu'il ne préconise pas un culte aux dépens de l'autre, qu'il ne lance l'anathème à aucun, sans cela il serait le bienvenu de celui dont il aurait embrassé la cause exclusive ; mais c'est précisément parce qu'il est porteur d'un mot de ralliement auquel tous peuvent répondre : « Hors la charité point de salut, » qu'il vient faire cesser les antagonismes religieux qui ont fait verser plus de sang que les guerres de conquêtes.

« Après avoir essayé de la divination, du somnambulisme par le magnétisme animal, sans avoir pu obtenir autre chose que la réprobation de tout homme sensé ; après avoir vu tomber en discrédit les tables tournantes, ils ont déterré le cadavre infect de ce Spiritisme avec les absurdités de la transmigration des âmes ; méprisant les articles de notre symbole tels que les enseigne l'Église, ils ont voulu les remplacer par d'autres qui les annulent, en admettant une immortalité de l'âme, un purgatoire et un enfer très différents de ceux que nous enseigne notre foi catholique. »

R. Ceci est très juste ; le Spiritisme n'admet pas un enfer où il y a des flammes, des fourches, des chaudières et des lames de rasoirs ; il n'admet pas non plus que ce soit un bonheur pour les élus de soulever le couvercle des chaudières pour y voir bouillir les damnés, peut-être un père, une mère ou un enfant ; il n'admet pas que Dieu se complaise à entendre pendant l'éternité les cris de désespoir de ses créatures, sans être touché des larmes de celles qui se repentent, plus cruel en cela que ce tyran qui fit construire un soupirail aboutissant des cachots de son palais à sa chambre à coucher, pour se donner le plaisir d'entendre les gémissements de ses victimes ; il n'admet pas, enfin, que la suprême félicité consiste dans une contemplation perpétuelle qui serait une inutilité perpétuelle, ni que Dieu ait créé les âmes pour ne leur donner que quelques années ou quelques jours d'existence active, et les plonger ensuite pour l'éternité dans les tortures ou dans une inutile béatitude. Si c'est là la pierre angulaire de l'édifice, l'Eglise a raison de craindre les idées nouvelles ; ce n'est pas avec de telles croyances qu'elle comblera le gouffre béant de l'incrédulité.

« Avec cela, comme l'a dit fort à propos le sage évêque d'Alger, tout ce qu'ont pu faire les incrédules a été de changer de face pour entraîner cette portion de croyants dont la foi simple et peu éclairée est facile à se prêter à tout ce qui est extraordinaire, et en même temps de réussir à opposer un nouvel obstacle à la conversion de ces âmes ensevelies dans l'indifférence religieuse, qui, en voyant que l'on veut réduire le christianisme à un tissu de superstitions, ont fini par le blasphémer, lui et son auteur. »

R. Voilà une chose bien singulière ! c'est le Spiritisme qui empêche l'Eglise de convertir les âmes ensevelies dans l'indifférence religieuse ; mais alors pourquoi ne les a-t-elle pas converties avant l'apparition du Spiritisme ? Il est donc plus puissant que l'Eglise ? Si les indifférents se rattachent à lui de préférence, c'est qu'apparemment ce qu'il donne leur convient mieux.

« Afin que les hommes de peu de foi ne se scandalisent pas en lisant les doctrines du Livre des Esprits, et ne croient pas un seul instant qu'elles sont en harmonie avec tous les cultes et toutes les croyances, y compris la foi catholique, ainsi que le prétend Atlan Kardec, nous leur rappellerons que l'Écriture sainte la condamne comme folie, en disant par la bouche de l'Ecclésiaste : « Les divinations, les augures et les songes sont choses vaines, et le cœur souffre de ces chimères ; toutes les fois qu'ils ne seront pas envoyés par le Très-Haut, défiez-vous-en ; car les songes attristent les hommes, et ceux qui s'appuient dessus sont tombés. » (Éccl. XXXVI, v. 5, 7.)

« Jésus-Christ reproche à ses disciples d'avoir cru à la vision d'un fantôme en le voyant marcher sur les eaux, et il ne veut pas qu'ils s'en assurent autrement que par les signes qu'il leur donne de la réalité de sa personne. (Luc, XXIV, v. 39.)

« L'Église et les saints Pères ont, comme interprètes de la parole divine, constamment repoussé ces moyens trompeurs par lesquels on croit que les Esprits se communiquent aux hommes, et la raison éclairée les repousse aussi, parce que, comprenant que, par elle seule et sans le secours de la foi, elle ne peut embrasser les choses ni les vérités qui se rapportent au passé dans l'ordre surnaturel ; comment peut-elle prétendre atteindre par elle-même, dans un état de transport, ou entraînée par une imagination ardente, ce qui ne peut se vérifier que d'une manière, dans un lieu, et dans des circonstances imprévues ?

Si donc, en d'autres occasions, nous avons élevé la voix contre ce matérialisme impie, et cette incrédulité systématique qui nie l'immortalité de l'âme séparée du corps dans les différents états auxquels la destine la justice divine pour l'éternité, aujourd'hui nous nous voyons obligé de protester contre cette communication active que l'on attribue à l'évocation des morts, et qui prétend révéler ce qui n'est perceptible qu'à la pénétration infinie de Dieu.

Ne vous laissez pas entraîner, mes frères, mes fils aimés, par ces fables vaines, recelant les erreurs et les préoccupations des peuples barbares et ignorants, et toutes les inventions absurdes de gens dont l'esprit, affaibli par le défaut de foi véritable et par la superstition, abjure la religion révélée par le fils de Dieu, dégrade la raison humaine et chasse la pureté de l'âme. Loin de nos bien-aimés diocésains, et surtout de ces lecteurs réputés avec raison éclairés et civilisés, d'ajouter foi à des contes de rêveurs tels qu'Allan Kardec, hommes à imagination exaltée et en délire ! Loin de vous donc cette croyance antichrétienne qui fait sortir du tombeau les fantômes, les Esprits errants ; loin de vous cette superstition importée dans notre religion par les païens convertis au christianisme, et que les écrits de ses sages apologistes en chassèrent bientôt. »

R. Les Spirites n'ont jamais fait sortir les fantômes des tombeaux, par la raison très simple que dans les tombeaux il n'y a que la dépouille mortelle qui se détruit et ne ressuscite pas. Les Esprits sont partout dans l'espace, heureux d'être libres et débarrassés du corps qui les faisait souffrir ; c'est pourquoi ils ne tiennent point à leurs restes, et les fuient plus qu'ils ne les recherchent. Le Spiritisme a toujours repoussé l'idée que les évocations étaient plus faciles près des tombes, d'où l'on ne peut faire sortir ce qui n'y est pas. Ce n'est qu'au théâtre qu'on voit ces choses-là.

« Ayez soin que vos enfants, poussés par la curiosité du jeune âge, ne lisent point de semblables productions, et ne s'impressionnent point de leurs images qui ont fait perdre le sens commun à un grand nombre de personnes qui gémissent aujourd'hui dans les maisons d'aliénés, victimes du Spiritisme.

Faites tous vos efforts, mes fils et mes frères, pour conserver pure la doctrine que nous enseigne le divin Maître ; reposez-vous et appuyez-vous uniquement sur sa sainte parole touchant votre avenir. Et sachant que c'est à la Providence divine, toujours sage, qu'il appartient de conduire l'homme à travers les vicissitudes de cette vie, pour éprouver sa foi, et aviver son espérance, sans vouloir sonder votre sort futur, cherchez à l'assurer par le moyen des bonnes œuvres, en rendant certaine par elles votre vocation d'enfants de Dieu, appelés à l'héritage du Père céleste. »

R. Avant d'arrêter la curiosité des enfants, il ne faudrait pas aiguillonner celle des parents, ce que ce mandement ne peut manquer de produire. Quant à la folie c'est toujours la même histoire, qui commence à être singulièrement usée, et dont le résultat n'a pas été plus heureux que celle des prétendus fantômes. Les expériences se faisant de tous les côtés, bien plus encore dans l'intimité des familles qu'en public, et les médiums se trouvant partout, dans tous les rangs de la société, et à tous les âges, chacun sait à quoi s'en tenir sur le véritable état des choses ; c'est pour cela que les efforts que l'on fait pour travestir le Spiritisme sont sans portée. Le nombre de ceux que de fausses allégations parviennent à circonvenir est bien faible, et de ceux-là beaucoup, voulant voir par eux-mêmes, reconnaissent la vérité. Comment persuader à une multitude de gens qu'il fait nuit alors que tous sont à même de voir qu'il fait clair ? Cette faculté de contrôle pratique donnée à tout le monde est un des caractères spéciaux du Spiritisme, et c'est ce qui fait sa puissance. Il en est autrement des doctrines purement théoriques que l'on peut combattre par le raisonnement ; mais le Spiritisme est fondé sur des faits et des observations que chacun a sans cesse sous la main.

Toute l'argumentation de Mgr de Barcelone se résume ainsi : Les manifestations des Esprits sont des fables imaginées par les incrédules pour détruire la religion ; il ne faut croire que ce que nous disons, parce que nous seuls sommes en possession de la vérité ; n'examinez rien au delà, de peur que vous ne soyez séduits.

« Pour prévenir les dangers auxquels vous pourriez succomber, et en vertu de l'autorité divine qui nous a été donnée pour vous les signaler et vous en éloigner, conformément à la faculté qui nous est reconnue par l'article 3 du dernier concordat, et d'accord avec ce qui a été prévu par les sacrés canons, et les lois du royaume, touchant les erreurs que nous avons signalées et combattues, nous condamnons le Livre des Esprits, traduit en espagnol sous le titre de : Libro de los Espiritos, par Allan Kardec, comme compris dans les articles 8 et 9 du catalogue promulgué en vertu de la prescription à cet effet du concile de Trente. Nous en défendons la lecture à tous nos diocésains sans exception et leur ordonnons de livrer à leurs curés respectifs les exemplaires qui pourront tomber entre leurs mains, pour qu'ils nous soient remis avec toute la sécurité possible.

Donné dans notre sainte visite de Mataro le 27 juillet 1864. »

Pantaléon, évêque de Barcelone.

Par ordre de S. E. S. Monseigneur l'évêque,

Dn Lazaro Bauluz, secrétaire.

La défense faite par Mgr de Barcelone à tous ses diocésains, sans exception, de s'occuper du Spiritisme, est calquée sur celle de Mgr d'Alger. Nous doutons fort qu'elle ait plus de succès, quoique ce soit en Espagne ; car dans ce pays les idées fermentent comme ailleurs, même sous l'étouffoir, et peut-être à cause de l'étouffoir qui les tient comme en serre chaude. L'autodafé de Barcelone a hâté leur éclosion. L'effet qu'on s'était promis de cette solennité n'a pas apparemment répondu à l'attente, puisqu'on ne l'a pas renouvelée ; mais l'exécution que l'on n'ose plus faire en public, on veut la faire en particulier. En invitant ses administrés à lui remettre tous les livres spirites qui leur tomberont sous la main, Mgr Pantaléon n'a sans doute pas en vue d'en faire collection. Il leur interdit d'évoquer les Esprits, c'est son droit ; mais dans son mandement il a oublié une chose essentielle, c'est de faire défense aux Esprits d'entrer en Espagne.

Il s'étonne que le Spiritisme prenne si facilement racine au dix-neuvième siècle ; on doit s'étonner encore plus de voir en ce siècle ressusciter les us et coutumes du moyen âge ; et ce qui est plus surprenant encore, c'est qu'il s'y trouve des gens, instruits du reste, comprenant assez peu la nature et la puissance de l'idée, pour croire qu'on peut l'arrêter au passage comme on arrête un ballot de marchandises à la frontière.

Vous vous plaignez, monseigneur, de ce que les incrédules et les indifférents restent sourds à la voix des pasteurs de l'Eglise, tandis qu'ils se rendent à celle du Spiritisme ; c'est qu'ils sont plus touchés des paroles de charité, d'encouragement et de consolation que par les anathèmes. Croit-on les ramener par des imprécations comme celle qu'a prononcée dernièrement le curé de Villemayor-de-Ladre contre un pauvre maître d'école qui avait eu le tort de lui déplaire ? Voici cette formule canonique rapportée par la Correspondencia de Madrid, du mois de juin 1864, et auprès de laquelle la fameuse imprécation de Camille est presque de la douceur ; le poète a pu la mettre dans la bouche d'une païenne, il n'eût pas osé la mettre dans celle d'une chrétienne.

« Maudit soit Auguste Vincent ; maudits soient les vêtements dont il se couvre, la terre sur laquelle il marche, le lit où il dort et la table où il mange ; maudits soient le pain, et de plus tous les autres aliments dont il se nourrit, la fontaine où il boit, et de plus tous les liquides qu'il prend.

Que la terre s'ouvre et qu'il soit enterré en ce moment ; qu'il ait Lucifer à son côté droit. Personne ne peut parler avec lui, sous peine d'être tous excommuniés, seulement en lui disant adieu ; maudits soient aussi ses champs, sur lesquels il ne tombera plus d'eau, afin que rien ne lui produise ; maudites soient la jument qu'il monte, la maison où il habite et les propriétés qu'il possède.

Maudits soient aussi ses pères, enfants qu'il a et qu'il aura, qui seront en petit nombre et méchants ; ils iront mendier et il n'y aura personne qui leur donnera l'aumône, et si on la leur donne, qu'ils ne pussent la manger. En plus, que sa femme en cet instant reste veuve, ses enfants orphelins et sans père. »

Est-ce bien dans un temple chrétien qu'ont pu retentir d'aussi horribles paroles ? Est-ce bien un ministre de l'Evangile, un représentant de Jésus-Christ qui a pu les prononcer ? qui, pour une injure personnelle, voue un homme à l'exécration de ses semblables, à la damnation éternelle et à toutes les misères de la vie, lui, son père, sa mère, ses enfants présents et à venir, et tout ce qui lui appartient ? Jésus a-t-il jamais tenu un pareil langage, lui qui priait pour ses bourreaux, et qui a dit : « Pardonnez à vos ennemis ; » qui nous fait chaque jour répéter, dans l'Oraison dominicale : « Seigneur, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Quand il prononce la malédiction contre les Scribes et les Pharisiens, appelle-t-il sur eux la colère de Dieu ? Non ; mais il leur prédit les malheurs qui les attendent.

Et vous vous étonnez, monseigneur, des progrès de l'incrédulité ! Etonnez-vous plutôt qu'au dix-neuvième siècle, la religion du Christ soit si mal comprise par ceux qui sont chargés de l'enseigner. Ne soyez donc pas surpris si Dieu envoie ses bons Esprits pour rappeler au sens véritable de sa loi. Ils ne viennent pas détruire le christianisme, mais le dégager des fausses interprétations et des abus que les hommes y ont introduits.

(Barcelone, 13 juin 1864. ‑ Médium, madame J.)

Je viens près de vous pour que vous ayez la bonté de me recommander à Dieu dans vos prières, parce que je souffre, et je désire que les âmes charitables incarnées aient compassion d'un pauvre Esprit qui demande à Dieu son pardon. J'ai longtemps croupi dans le mal, mais aujourd'hui je viens dire aux Esprits qui le font : Cessez, âmes impures dans vos iniquités, cessez d'être incrédules et de mener une vie errante telle que la vôtre ; cessez donc de faire le mal, parce que Dieu a dit à ses bons Esprits : « Allez, et purifiez ces âmes perverses qui n'ont jamais connu le bien ; il faut que le mal cesse, parce que les temps sont proches où la terre doit être améliorée. Pour qu'elle soit meilleure, il faut que ces âmes souillées, qui chaque jour viennent la peupler, se purifient, afin d'habiter de nouveau la terre, mais bonnes et charitables. »

C'est ce que Dieu a dit à ses bons Esprits ; et moi qui étais un des plus cruels dans les obsessions, je viens aujourd'hui dire à ceux qui font ce que je faisais : Ames égarées, suivez-moi ; demandez pardon à Dieu et à ces âmes pures qui vous tendent les bras ; implorez, et Dieu vous pardonnera ; mais pardonnez aussi, vous, et repentez-vous ; le pardon est si doux ! Ah ! si vous le connaissiez, vous ne tarderiez pas un instant à vous retirer de la fange du mal où vous croupissez ; vous voleriez aussitôt dans les bras des anges qui sont près de vous. Cessez, cessez, frères, je vous en prie ; cessez et suivez-moi ; repentez-vous.

Mes amis, permettez que je vous donne ce nom, quoique vous ne me connaissiez pas : je suis un de ces Esprits qui ont tout fait hors le bien ; mais à tout péché miséricorde, et puisque Dieu m'accorde mon pardon, et que des anges ont bien voulu me donner le nom de frère, j'espère que vous, qui pratiquez la charité, vous prierez pour moi, car j'ai des épreuves bien dures à subir ; mais elles sont méritées.

D. Y a-t-il longtemps que vous avez pris le sentier du bien ? ‑ R. Non, mes amis, il y a peu de temps, car je suis l'Esprit obsesseur de la jeune enfant de Marmande ; je suis Jules, et je viens auprès des âmes charitables leur demander de prier pour moi, et dire aussi à mes anciens compagnons : « Arrêtez ! ne faites plus le mal, parce que Dieu pardonne aux pécheurs repentants ; repentez-vous, et vous serez absous. Je viens vous apporter les paroles de paix ; recevez de l'ange qui est ici présent le saint baptême, comme je l'ai reçu moi-même. »

Chers amis, je vous quitte en vous recommandant de ne pas m'oublier dans vos bonnes prières. Adieu.Jules.

Ayant demandé à l'Esprit si celui de Petite Carita, sa protectrice, l'accompagnait, il répondit affirmativement. Nous priâmes ce bon Esprit de vouloir bien nous dire quelques bonnes paroles relativement aux obsessions que nous combattons depuis si longtemps. Voici ce qu'il nous dit :

« Mes amis, les obsessions qui font le tourment de ces pauvres âmes incarnées sont bien douloureuses, surtout pour les médiums qui désirent se servir de leur faculté pour faire le bien, et ne le peuvent, parce que des Esprits malveillants se sont abattus sur eux et ne leur laissent point de tranquillité ; mais il faut espérer que ces obsessions arrivent à leur fin. Priez beaucoup, demandez à Dieu, la bonté même, qu'il veuille bien abréger vos souffrances et vos épreuves. Evoquez, chères âmes, ces Esprits égarés ; priez pour eux ; moralisez-les ; demandez des conseils aux bons Esprits. Vous êtes bien entourés ; n'avez-vous pas près de vous plusieurs de ces âmes éthérées qui veillent sur vous et vous protègent, qui cherchent à vous faire progresser, pour que vous arriviez près de Dieu ; c'est là qu'est leur tâche ; ils travaillent sans cesse pour vous préparer la vie qui ne finit jamais. Si vous n'êtes pas délivrés, mes chers amis, c'est sans doute que vous n'êtes pas assez purifiés pour la tâche que vous vous êtes imposée. Vous avez choisi votre épreuve librement, et vous devez vous efforcer de la mener à bonne fin, car les Esprits vous guident et vous soutiennent pour vous aider à terminer la vie terrestre saintement, vous épurant par l'expiation de la souffrance et par la charité.

« Adieu, chers amis ; je vous quitte en priant Dieu pour vous et pour ces pauvres obsédés, et je lui demande que vous soyez toujours protégés par les Esprits purifiés de votre groupe. (Voir la Revue de février, mars et juin 1864 : guérison de la jeune obsédée de Marmande.)

Petite Carita. »

Voilà deux Esprits qui ont violé la consigne et franchi les Pyrénées sans permission, sans tenir compte du mandement de Mgr Pantaleon, et, qui plus est, sans avoir été appelés ni évoqués. Il est vrai que le mandement n'avait pas encore paru ; nous verrons si maintenant ils seront moins hardis. On pourrait dire que si, dans cette réunion, on ne les a pas appelés, on avait l'habitude d'en appeler d'autres, et que, trouvant la porte ouverte, ils en ont profité pour entrer ; mais on ne tardera pas, si ce n'est déjà fait, à en voir s'introduire, là comme ailleurs, comme à Poitiers, par exemple, chez des gens qui n'auront jamais entendu parler du Spiritisme, et même chez ceux qui, scrupuleux observateurs de l'ordonnance, leur fermeront l'entrée de leurs maisons, et cela malgré les alguazils.

Puisque ceux dont il est ici question se sont permis cette incartade, nous demanderons à Monseigneur ce qu'il y a de ridicule dans ce fait, et où est le cynisme immonde qui, selon lui, est le fruit du Spiritisme : Une jeune fille de Marmande, qui ni elle ni ses parents ne pensaient point aux Esprits, qui peut-être même n'y croyaient pas, est atteinte, depuis près d'un an, d'une maladie terrible, bizarre, devant laquelle échoue la science. Quelques Spirites croient y reconnaître l'action d'un mauvais Esprit ; ils entreprennent sa guérison sans médicaments, par la prière et l'évocation de ce mauvais Esprit, et en cinq jours, non seulement ils lui rendent la santé, mais ils ramènent le mauvais Esprit au bien. Où est le mal ? où est l'absurdité ? Puis, ce même Esprit vient à Barcelone, sans qu'on le demande, réclamer des prières dont il a besoin pour achever sa purification ; il se donne pour exemple et invite ses anciens compagnons à renoncer au mal ; le bon Esprit qui l'accompagne prêche une morale évangélique ; qu'y a-t-il encore là de ridicule et d'immonde ? Ce qui est ridicule, dites-vous, c'est de croire à la manifestation des Esprits. Mais qu'est-ce que c'est que ces deux êtres qui viennent de se communiquer ? Est-ce un effet de l'imagination ? Non, puisqu'on ne songeait ni à eux, ni au fait dont ils viennent parler. Lorsque vous serez mort, Monseigneur, vous verrez les choses autrement, et nous prions Dieu qu'il vous éclaire comme il l'a fait pour votre prédécesseur, aujourd'hui l'un des protecteurs du Spiritisme à Barcelone.

Parmi les communications qu'il a données à la Société spirite de Paris, voici la première qui a déjà été publiée dans cette Revue ; nous la reproduisons néanmoins pour l'édification de ceux qui ne la connaîtraient pas. (Voir la Revue d'août 1862, page 231 : Mort de l'évêque de Barcelone, et, pour les détails de l'autodafé, les numéros de novembre et décembre 1861.)

« Aidé par votre chef spirituel (saint Louis), j'ai pu venir vous enseigner par mon exemple et vous dire : Ne repoussez aucune des idées annoncées, car un jour, un jour qui durera et pèsera comme un siècle, ces idées amoncelées crieront comme la voix de l'ange : Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ? Qu'as-tu fait de notre puissance, qui devait consoler et élever l'humanité ? L'homme qui volontairement vit aveugle et sourd d'esprit, comme d'autres le sont de corps, souffrira, expiera et renaîtra pour recommencer le labeur intellectuel que sa paresse et son orgueil lui ont fait éviter ; et cette terrible voix m'a dit : Tu as brûlé les idées, et les idées te brûleront. Priez pour moi ; priez, car elle est agréable à Dieu la prière que lui adresse le persécuté pour le persécuteur.

« Celui qui fut évêque et n'est plus qu'un pénitent. »

Les Esprits ne s'arrêtent pas à Barcelone ; Madrid, Cadix, Séville, Murcie et bien d'autres villes reçoivent leurs communications, auxquelles l'autodafé a donné un nouvel élan, en augmentant le nombre des adeptes. Sans avoir le don de prophétie, nous pouvons dire avec certitude qu'un demi-siècle ne se passera pas que toute l'Espagne ne soit Spirite.

(Murcie (Espagne) 28 juin 1864.)

Demande à un Esprit protecteur. Pourriez-vous nous parler de l'état des âmes incarnées dans les mondes supérieurs au nôtre ?

Réponse. Je prends, comme point de comparaison avec le vôtre, un monde sensiblement plus avancé, où la croyance en Dieu, en l'immortalité de l'âme, en la succession des existences pour arriver à la perfection, sont autant de vérités reconnues et comprises par tous, où la communication des êtres corporés avec le monde occulte est par cela même très facile. Les êtres y sont moins matériels que sur votre terre, et n'y sont pas assujettis à tous les besoins qui vous pèsent ; ils forment la transition des corporés aux incorporés. Là point de barrières qui séparent les peuples, point de guerres ; tous vivent en paix, pratiquant entre eux la charité et la véritable fraternité ; les lois humaines y sont inutiles ; chacun porte avec soi sa conscience qui est son tribunal. Le mal y est rare, et encore ce mal serait presque le bien pour vous. Par rapport à vous, ils seraient parfaits, mais de la perfection de Dieu, ils sont encore bien loin ; il leur faut encore plus d'une incarnation sur diverses terres pour achever leur purification. Celui qui vous semble parfait sur la terre serait considéré comme un révolté et un criminel dans le monde dont je vous parle ; vos plus grands savants y seraient les derniers ignorants.

Dans les mondes supérieurs, les productions de la nature n'ont rien de commun avec celles de votre globe ; tout y est approprié à l'organisation moins matérielle des habitants. Ce n'est point à la sueur de leur front et par le travail manuel qu'ils en tirent leur nourriture ; le sol produit naturellement ce qui leur est nécessaire. Cependant ils ne sont point inactifs ; mais leurs occupations sont tout autres que les vôtres ; n'ayant pas à pourvoir aux besoins du corps, ils pourvoient à celui de l'Esprit ; chacun comprenant pourquoi il a été créé, est positivement certain de son avenir, et travaille sans relâche à sa propre amélioration et à la purification de son âme.

La mort y est considérée comme un bienfait. Le jour où une âme quitte son enveloppe est un jour heureux. On sait où l'on va ; on passe premier pour aller attendre plus loin ses parents, ses amis et les Esprits sympathiques qu'on laisse derrière soi.

Terre de paix, séjour fortuné, où les vicissitudes de la vie matérielle sont inconnues, où la tranquillité de l'âme n'est troublée ni par l'ambition, ni par la soif des richesses, heureux ceux qui t'habitent ! Ils touchent au but qu'ils poursuivent depuis tant de siècles ; ils voient, ils savent, ils comprennent ; ils se réjouissent en pensant à l'avenir qui les attend, et travaillent avec plus d'ardeur pour arriver avec plus de promptitude.

Un Esprit Protecteur.



Cette communication n'offre rien qui n'ait déjà été dit sur les mondes avancés ; mais il n'en est pas moins intéressant de voir la concordance qui s'établit dans l'enseignement des Esprits sur les divers points du globe. Avec de tels éléments, comment l'unité de doctrine ne se ferait-elle pas ?

Jusqu'à présent, les points fondamentaux de la doctrine étant constitués, les Esprits ont peu de choses nouvelles à dire ; ils ne peuvent guère que répéter en d'autres termes, développer et commenter les mêmes sujets, ce qui établit une certaine uniformité dans leur enseignement. Avant d'aborder de nouvelles questions, ils laissent à celles qui sont résolues le temps de s'identifier avec la pensée ; mais à mesure que le moment est propice pour faire un pas en avant, on les voit aborder de nouveaux sujets qui, plus tôt, eussent été prématurés.

Un Esprit qui se croit Médium

Madame Gaspard, amie de madame Delanne, était une fervente Spirite ; son regret était de n'être pas médium ; elle aurait surtout désiré être médium voyant. Depuis longtemps elle souffrait beaucoup d'un anévrisme ; le 2 juillet dernier, la rupture de cet anévrisme amena, dans la nuit, la mort subite de cette dame. Madame Delanne n'était pas encore informée de l'événement, lorsque, dans la journée, elle entendit des coups frappés dans les différentes parties de sa chambre ; elle n'y prêta pas d'abord grande attention, mais la persistance de ces coups lui fit penser que quelque Esprit demandait à se communiquer. Comme elle est très bon médium, elle prit le crayon et écrivit ce qui suit :

Oh ! bonne madame Delanne, comme vous me faites attendre ! Je suis accourue pour vous raconter ma nouvelle faculté : je suis médium voyant. J'ai vu mon cher Émile, mes petits enfants, tous, ma mère, la mère de M. Gaspard. Oh ! qu'il va être heureux, quand il va le savoir ! Merci, mon Dieu ! pour une si grande faveur.

D. – Est-ce bien vous, madame Gaspard, qui me parlez en ce moment ?

R. – Comment ! vous ne me voyez pas ? je suis vers vous depuis déjà longtemps. J'étais impatiente de ce que vous ne me répondiez pas. Allons ! vous allez venir, n'est-ce pas ? c'est votre tour maintenant. Et puis, cela vous fera du bien ; nous irons nous promener, maintenant que je vais bien. Oh ! que l'on est heureux de revoir ceux que l'on aime ! c'est pourtant ce qui m'a guérie. Comme le bon Dieu est bon, et comme il tient ses promesses, quand on est fidèle à ses commandements ! ‑ Hein, mon Émile ! et dire que mon pauvre père va encore me dire que je suis folle ! Cela ne fait rien, je lui dirai tout de même. ‑ Allons, partons-nous ? Il faut amener votre mère, cela lui fera dit bien. Pauvre femme ! elle a l'air si bon.

D. ‑ Voyons, bonne madame Gaspard, nous partons, je vous suis ; nous allons bien chez vous, à Châtillon ? Dites-moi ce que vous voyez, ou plutôt ce qui s'y passe en ce moment.

R. ‑ Singulières choses !

A ce mot, l'Esprit s'en va, et madame Delanne ne peut rien obtenir de plus.

Pour l'intelligence de cette dernière partie de la communication, nous dirons que, depuis quelque temps, une partie de campagne à Châtillon était projetée entre ces deux dames. Madame Gaspard, surprise par une mort subite, ne se rend pas compte de sa position, et se croit encore vivante ; comme elle voit les Esprits de ceux qui lui sont chers, elle se figure être devenue médium voyant ; c'est une particularité remarquable de la transition de la vie corporelle à la vie spirituelle. De plus, madame Gaspard, se trouvant délivrée de ses souffrances, croit être guérie, et vient renouveler son invitation à madame Delanne. Cependant, les idées sont confuses chez elle, car elle vient l'avertir en frappant des coups autour d'elle, sans comprendre qu'elle ne s'y serait pas prise de cette façon si elle eût été vivante.

Madame Delanne comprend de suite la singularité de la position, mais, ne voulant pas la désabuser, l'invite à voir ce qui se passe à Châtillon. Sans doute l'Esprit s'y transporte et est rappelé à la réalité par quelque circonstance inattendue, puisqu'il s'écrie : « Singulière chose ! » et interrompt sa communication.

Au reste, l'illusion ne fut pas de longue durée ; dès le lendemain, madame Gaspard était complètement dégagée, et dicta une excellente communication à l'adresse de son mari et de ses amis, se félicitant d'avoir connu le Spiritisme qui lui avait procuré une mort exempte des angoisses de la séparation.

On écrit de Brunswick au Pays :

« Une paysanne des environs de Lutter vient de mettre au monde un enfant qui a toutes les apparences d'un singe, car son corps presque tout entier est couvert de poils noirs et touffus, et le visage lui-même n'est pas exempt de cette étrange végétation.

Mariée depuis douze ans, et quoique admirablement conformée, cette malheureuse femme n'a pu encore mettre au monde un seul enfant qui ne fût atteint d'infirmités plus ou moins affreuses.

Sa fille aînée, âgée de dix ans, est complètement bossue, et son masque semble copié trait pour trait sur celui de Polichinelle. Son second enfant est un garçon de sept ans ; il est cul-de-jatte. Le troisième, qui va atteindre sa cinquième année, est sourd-muet et idiot. Enfin le quatrième, une petite fille âgée de deux ans et demi, est complètement aveugle.

Quelle peut être la cause de cet étrange phénomène ? C'est là un point que la science doit éclaircir.

Le père est un homme parfaitement constitué et qui présente toutes les apparences de la plus robuste santé, et rien ne peut expliquer l'espèce de fatalité qui pèse sur sa race. »

(Moniteur du 29 juillet 1864.)

« C'est là, dit le journal, un point que la science doit éclaircir. » Il est bien d'autres faits devant lesquels la science reste impuissante, sans compter ceux de Morzines et de Poitiers. La raison en est bien simple, c'est qu'elle s'obstine à ne chercher les causes que dans la matière, et ne tient compte que des lois qu'elle connaît. Elle est, à l'égard de certains phénomènes, dans la position où elle se trouverait si elle ne fût pas sortie de la physique d'Aristote, si elle eût méconnu la loi de la gravitation ou celle de l'électricité ; où s'est trouvée la religion tant que celle-ci a méconnu la loi du mouvement des astres ; où sont encore aujourd'hui ceux qui méconnaissent la loi géologique de la formation du globe ?

Deux forces se partagent le monde : l'esprit et la matière. L'esprit a ses lois, comme la matière a les siennes ; or, ces deux forces réagissant incessamment l'une sur l'autre, il en résulte que certains phénomènes matériels ont pour cause l'action de l'esprit, et que les unes ne peuvent être parfaitement comprises si l'on ne tient pas compte des autres. En dehors de lois tangibles, il en est donc une autre qui joue dans le monde un rôle capital, c'est celle des rapports du monde visible et du monde invisible. Quand la science reconnaîtra l'existence de cette loi, elle y trouvera la solution d'une multitude de problèmes contre lesquels elle se heurte inutilement.

Les monstruosités, comme toutes les infirmités congénitales, ont sans doute une cause physiologique qui est du ressort de la science matérielle ; mais, en supposant que celle-ci parvienne à surprendre le secret de ces écarts de la nature, il restera toujours le problème de la cause première, et la conciliation du fait avec la justice de Dieu. Si la science dit que cela ne la regarde pas, il n'en saurait être ainsi de la religion. Lorsque la science démontre l'existence d'un fait, à la religion incombe le devoir d'y chercher la preuve de la souveraine sagesse. A-t-elle jamais sondé, au point de vue de la divine équité, le mystère de ces existences anomales ? de ces fatalités qui semblent poursuivre certaines familles, sans causes actuelles connues ? Non, car elle sent son impuissance, et s'effraye de ces questions redoutables pour ses dogmes absolus. Jusqu'à ce jour on avait accepté le fait sans aller plus loin ; mais aujourd'hui on pense, on réfléchit, on veut savoir ; on interroge la science qui cherche dans les fibres et reste muette ; on interroge la religion qui répond : Mystère impénétrable !

Eh bien ! le Spiritisme vient déchirer ce mystère et en faire sortir l'éclatante justice de Dieu ; il prouve que ces âmes déshéritées dès leur naissance en ce monde ont déjà vécu, et qu'elles expient, dans des corps difformes, des fautes passées ; l'observation le démontre et la raison le dit, car on ne saurait admettre qu'elles soient châtiées en sortant des mains du Créateur avant d'avoir rien fait.

Bien, dira-t-on, pour l'être qui naît ainsi ; mais les parents ? mais cette mère qui ne donne le jour qu'à des êtres disgraciés ; qui est privée de la joie d'avoir un seul enfant qui lui fasse honneur et qu'elle puisse montrer avec orgueil ? A cela le Spiritisme répond : Justice de Dieu, expiation, épreuve pour sa tendresse maternelle, car c'en est une bien grande de ne voir autour de soi que de petits monstres au lieu d'enfants gracieux. Il ajoute : Il n'est pas une seule infraction aux lois de Dieu qui n'ait tôt ou tard ses conséquences funestes, sur la terre ou dans le monde des Esprits, dans cette vie ou dans une vie suivante. Par la même raison : il n'est pas une seule vicissitude de la vie qui ne soit la conséquence et la punition d'une faute passée, et il en sera ainsi pour chacun tant qu'il ne se sera pas repenti, qu'il n'aura pas expié et réparé le mal qu'il a fait ; il revient sur la terre pour expier et réparer ; à lui de s'améliorer assez ici-bas pour n'y plus revenir comme condamné. Souvent Dieu se sert de celui qui est puni pour en punir d'autres ; c'est ainsi que les Esprits de ces enfants devant, par punition, s'incarner dans des corps difformes, sont, à leur insu, des instruments d'expiation pour la mère qui leur a donné naissance. Cette justice distributive, proportionnée à la durée du mal, vaut bien celle des peines éternelles, irrémissibles, qui ferment à tout jamais la voie du repentir et de la réparation.

Le fait ci-dessus ayant été lu à la Société spirite de Paris, comme sujet d'étude philosophique, un Esprit donna l'explication suivante :

(Société de Paris, 29 juillet 1864.)

Si vous pouviez voir les ressorts cachés qui font mouvoir votre monde, vous comprendriez comment tout s'enchaîne, depuis les plus petites choses jusqu'aux plus grandes ; vous comprendriez surtout la liaison intime qui existe entre le monde physique et le monde moral, cette grande loi de la nature ; vous verriez la multitude des intelligences qui président à tous les faits et les utilisent pour les faire servir à l'accomplissement des vues du Créateur. Supposez-vous un instant devant une ruche dont les abeilles seraient invisibles ; le travail que vous verriez s'accomplir chaque jour vous étonnerait, et vous vous écrieriez peut-être : Singulier effet du hasard ! Eh bien ! vous êtes en réalité en présence d'un atelier immense que conduisent d'innombrables légions d'ouvriers invisibles pour vous, dont les uns ne sont que des manœuvres qui obéissent et exécutent, tandis que d'autres commandent et dirigent, chacun dans sa sphère d'activité proportionnée à son développement et à son avancement, et ainsi de proche en proche jusqu'à la volonté suprême qui donne à tout l'impulsion.

Ainsi s'explique l'action de la Divinité dans les détails les plus infimes. De même que les souverains temporels, Dieu a ses ministres, et ceux-ci des agents subalternes, rouages secondaires du grand gouvernement de l'univers. Si, dans un pays bien administré, le dernier hameau ressent les effets de la sagesse et de la sollicitude du chef de l'État, combien la sagesse infinie du Très-haut ne doit-elle pas s'étendre aux plus petits détails de la création !

Ne croyez donc pas que cette femme dont vous venez de parler soit la victime du hasard ou d'une aveugle fatalité ; non, ce qui lui arrive a sa raison d'être, soyez-en bien convaincus. Elle est châtiée dans son orgueil ; elle a méprisé les faibles et les infirmes ; elle a été dure pour les êtres disgraciés dont elle détournait sa vue avec dégoût, au lieu de les entourer d'un regard de commisération; elle a tiré vanité de la beauté physique de ses enfants, aux dépens de mères moins favorisées ; elle les montrait avec orgueil, car la beauté du corps avait à ses yeux plus de prix que la beauté de l'âme ; elle a ainsi développé en eux des vices qui ont retardé leur avancement, au lieu de développer les qualités du cœur. C'est pourquoi Dieu a permis que, dans son existence actuelle, elle n'eût que des enfants difformes, afin que la tendresse maternelle l'aidât à vaincre sa répugnance pour les malheureux. C'est donc pour elle une punition et un moyen d'avancement ; mais, dans cette punition même, éclatent à la fois la justice et la bonté de Dieu, qui châtie d'une main, et de l'autre donne sans cesse au coupable les moyens de se racheter.

Un Esprit protecteur.

Le Moniteur du 6 août contient l'article suivant, que le Siècle a reproduit le lendemain :

« Hier jeudi, à deux heures de l'après-midi, un jeune homme, à peine âgé de dix-neuf ans, fils d'un médecin, s'est suicidé dans son domicile de la chaussée des Martyrs, en se tirant un coup de pistolet dans la bouche.

La balle lui a fracassé la tête, et néanmoins la mort n'a pas été instantanée ; il a conservé sa raison pendant quelques instants, et, aux questions qui lui ont été adressées, il a répondu qu'à part le chagrin qu'il allait causer à son père, il n'avait aucun regret de ce qu'il avait fait. Puis le délire s'est emparé de lui, et, malgré les soins dont on l'a entouré, il est mort le soir même, après une agonie de cinq heures.

Depuis quelque temps ce malheureux jeune homme nourrissait, dit-on, des pensées de suicide, et l'on présume, à tort ou à raison, que l'étude du Spiritisme à laquelle il se livrait avec ardeur n'a pas été étrangère à sa fatale résolution. »

Cette nouvelle fera sans doute le tour de la presse, comme jadis celle des quatre prétendus fous de Lyon, qui fut à chaque fois répétée avec addition d'un zéro, tant nos adversaires recherchent avec avidité les occasions de trouver à mordre contre le Spiritisme. La vérité ne tarde pas à être connue, mais qu'importe ! on espère que d'une bonne petite calomnie colportée il reste toujours quelque chose. Oui, il en reste quelque chose : une tache sur les calomniateurs. Quant à la doctrine, on ne s'aperçoit pas qu'elle en ait souffert, puisqu'elle n'en poursuit pas moins sa marche ascendante.

Nous félicitons le directeur de l'Avenir, M. d'Ambel, de son empressement à s'informer de la véritable cause de l'événement. Voici ce qu'il dit à ce sujet dans son numéro du 11 août 1864 :

« Nous avouons que la lecture de ce fait-divers nous a plongés dans la plus profonde stupéfaction. Il nous est impossible de ne pas protester contre la légèreté avec laquelle l'organe officiel a accueilli une pareille accusation. Le Spiritisme est complètement étranger à l'acte de ce malheureux jeune homme. Nous qui sommes voisins du lieu du sinistre, nous savons pertinemment que telle n'est pas la cause de ce suicide épouvantable. Ce n'est qu'avec la plus grande réserve que nous devons indiquer la vraie cause de cette catastrophe ; mais enfin la vérité est la vérité, et notre doctrine ne peut rester sous le coup d'une telle imputation.

Depuis longtemps, ce jeune homme, qu'on présente comme se livrant avec ardeur à l'étude de notre doctrine, avait échoué à plusieurs reprises dans ses examens pour le baccalauréat. L'étude lui était antipathique aussi bien que la profession paternelle ; il devait prochainement passer un autre examen, et c'est à la suite d'une vive discussion avec son père que, craignant d'échouer encore, il a pris et mis à exécution sa fatale résolution.

Ajoutons que s'il eût réellement connu le Spiritisme, notre doctrine l'eût arrêté sur la pente fatale en lui montrant toute l'horreur que nous inspire le suicide et toutes les conséquences terribles que ce crime entraîne avec lui. (Voir le Livre des Esprits, p. 406 et suivantes.) »

Nos lecteurs se rappellent une brochure, sous le même titre, publiée par M. Flammarion, et dont nous avons rendu compte, avec l'éloge qu'elle méritait, dans la Revue spirite de janvier 1863. Le succès de cet opuscule a engagé l'auteur à développer la même thèse dans un ouvrage plus complet, où la question est traitée avec tous les développements qu'elle comporte, au point de vue de l'astronomie, de la physiologie et de la philosophie naturelle.

Dans cet ouvrage il est fait abstraction du Spiritisme, dont il n'est point parlé, et, par cela même, il s'adresse aux incrédules aussi bien qu'aux croyants ; mais, comme la théorie de la pluralité des mondes habités se lie intimement à la doctrine spirite, il est très important de la voir consacrée par la science et la philosophie. Sous ce rapport ce remarquable et savant ouvrage a sa place marquée dans la bibliothèque des Spirites.

C'est à ce même point de vue, c'est-à-dire en dehors de la révélation des Esprits, que sera traitée l'importante question de la pluralité des existences, dans un ouvrage en ce moment sous presse, édité par MM. Didier et Ce. Le nom de l'auteur, connu dans le monde savant, est une garantie que son livre sera à la hauteur du sujet.

La Voix d'outre-tombe, journal du Spiritisme, publié à Bordeaux sous la direction de M. Aug. Bez.

Voici la quatrième publication périodique spirite qui paraît à Bordeaux, et que nous sommes heureux de comprendre dans les réflexions que nous avons faites dans notre dernier numéro sur les publications du même genre. Nous connaissons M. Bez de longue date comme un des fermes soutiens de la cause ; son drapeau est le même que le nôtre, nous avons foi en sa prudence et en sa modération ; c'est donc un organe de plus qui vient ajouter sa voix à celles qui défendent les vrais principes de la doctrine ; qu'il soit le bien venu !

On nous annonce que bientôt Marseille aura aussi son journal spirite.

La multiplication de ces journaux spéciaux nous a suggéré d'importantes réflexions dans leur intérêt, mais que le défaut d'espace nous oblige de remettre à un prochain numéro.


Allan Kardec

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