Décembre
Thomas-Ignace Martin était un petit laboureur du Bourg de Gallardon, situé à quatre lieues de Chartres. Né en 1783, il avait, par conséquent, trente-trois ans quand eurent lieu les événements que nous allons rapporter. Il est mort le 8 mai 1834. Il était marié, père de quatre enfants en bas âge, et jouissait dans sa commune de la réputation d'un parfait honnête homme. Les rapports officiels le peignent comme un homme de bon sens, quoique d'une grande naïveté par suite de son ignorance des choses les plus vulgaires ; d'un caractère doux et paisible, et ne se mêlant d'aucune intrigue ; d'une droiture parfaite en toutes choses et d'un complet désintéressement, ainsi qu'il en a donné des preuves nombreuses, ce qui exclut toute idée d'ambition de sa part. Aussi, lorsqu'il revint dans son village après sa visite au roi, il reprit ses occupations habituelles comme si rien ne s'était passé, évitant même de parler de ce qui lui était arrivé. A son départ de Paris, le directeur de la maison de Charenton eut toutes les peines du monde à lui faire accepter 25 francs pour ses frais de voyage. L'année suivante, sa femme étant enceinte d'un cinquième enfant, une personne distinguée par son rang, et qui connaissait la médiocrité de sa fortune, lui fit proposer par un tiers 150 francs pour subvenir aux besoins dans cette circonstance. Martin refusa en disant : « Ce ne peut toujours être qu'à cause des choses qui me sont arrivées qu'on m'offre de l'argent, car, sans cela, on ne parlerait pas de moi, on ne me connaîtrait même pas. Mais comme la chose ne vient pas de moi, je ne dois rien recevoir pour cela. Ainsi, vous remercierez bien cette personne, car, quoique je ne sois pas riche, je ne veux rien recevoir. » Dans d'autres circonstances, il refusa des sommes plus considérables qui auraient pu le mettre à son aise.
Martin était simple, mais ni crédule ni superstitieux ; il pratiquait ses devoirs religieux exactement, mais sans exagération ni ostentation, et tout juste dans la limite du strict nécessaire, visitant son curé tout au plus une fois par an. Il n'y avait, par conséquent, chez lui ni bigotisme, ni surexcitation religieuse. Rien dans ses habitudes ni dans son caractère n'était de nature à exalter son imagination. Il avait vu avec plaisir le retour des Bourbons, mais sans s'occuper de politique en aucune façon et sans se mêler à aucun parti. Tout entier au travail des champs depuis son enfance, il ne lisait ni livres, ni journaux.
On comprend facilement l'importance de ces renseignements sur le caractère de Martin dans le cas dont il s'agit. Dès l'instant qu'un homme n'est mû ni par l'intérêt, ni par l'ambition, ni par le fanatisme, ni par la crédulité superstitieuse, il acquiert des titres sérieux à la confiance. Or, voici sommairement comment se sont passés les événements qui lui sont arrivés.
Le 15 janvier 1816, sur les deux heures et demie de l'après-midi, il était seul occupé à étendre du fumier dans un champ à trois quarts de lieue de Gallardon, dans un canton très désert, quand tout à coup se présente à lui un homme d'environ cinq pieds un ou deux pouces, mince de corps, le visage effilé, délicat et très blanc, vêtu d'une lévite ou redingote de couleur blonde, totalement fermée et pendante jusqu'aux pieds, ayant des souliers attachés avec des cordons et sur la tête un chapeau rond à haute forme. Cet homme dit à Martin :
« Il faut que vous alliez trouver le roi, que vous lui disiez que sa personne est en danger, ainsi que celle des princes ; que de mauvaises gens tentent encore de renverser le gouvernement ; que plusieurs écrits ou lettres ont déjà circulé dans quelques provinces de ses États à ce sujet ; qu'il faut qu'il fasse une police exacte et générale dans tous ses États, et surtout dans la capitale ; qu'il faut aussi qu'il relève le jour du Seigneur, afin qu'on le sanctifie ; que ce saint jour est méconnu par une grande partie de son peuple ; qu'il faut qu'il fasse cesser les travaux publics ces jours-là ; qu'il fasse ordonner des prières publiques pour la conversion du peuple ; qu'il l'excite à la pénitence ; qu'il abolisse et anéantisse tous les désordres qui se commettent dans les jours qui précèdent la sainte quarantaine : sinon toutes ces choses, la France tombera dans de nouveaux malheurs. »
Martin, un peu surpris d'une apparition aussi subite, lui répondit : « Mais vous pouvez bien en aller trouver d'autres que moi pour faire une commission comme ça. Voilà-t-il pas qu'avec des mains comme ça (empreintes de fumier) j'aille parler au roi !
‑ Non, répliqua l'inconnu, c'est vous qui irez. ‑ Mais, reprit Martin, puisque vous en savez si long, vous pouvez bien aller trouver le roi vous-même et lui dire tout cela ; pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme comme moi qui ne sait pas s'expliquer ? ‑ Ce n'est pas moi qui irai, lui dit l'inconnu, ce sera vous ; faites attention à ce que je vous dis, et vous ferez tout ce que je vous commande.
Après ces paroles, Martin le vit disparaître à peu près de cette sorte : ses pieds parurent s'élever de terre, sa tête s'abaisser et son corps se rapetissant, finit par s'évanouir à la hauteur de la ceinture, comme s'il eût fondu en l'air. Martin plus effrayé de cette manière de disparaître que de l'apparition subite, voulut s'en aller, mais il ne le put ; il resta comme malgré lui, et, s'étant remis à l'ouvrage, sa tâche, qui devait durer deux heures et demie, ne dura qu'une heure et demie, ce qui redoubla son étonnement.
On trouvera peut-être puériles certaines recommandations que Martin devait faire au roi, touchant surtout l'observation du dimanche, eu égard au moyen, en apparence surnaturel, employé pour la lui transmettre, et aux difficultés qu'une telle démarche devait rencontrer. Mais il est probable que ce n'était là qu'une sorte de passeport pour arriver à lui, car l'objet principal de la révélation, qui était d'une bien plus haute gravité, ne devait être connu, comme on le verra plus tard, qu'au moment de l'entrevue. L'essentiel était que Martin pût arriver jusqu'au roi, et pour cela l'intervention de quelques membres du haut clergé était nécessaire ; or on sait l'importance que le clergé attache à l'observation du dimanche ; comment le souverain ne se rendrait-il pas quand la voix du ciel allait se faire entendre par un miracle ? Il convenait donc de favoriser Martin au lieu de le décourager. Cependant il s'en faut que les choses aient marché toutes seules.
Martin s'empressa de raconter à son frère ce qui lui était arrivé, et tous deux s'en allèrent en faire part au curé de la paroisse, M. Laperruque, qui s'efforça de dissuader Martin et de mettre la chose sur le compte de son imagination.
Le 18, à six heures du soir, Martin étant descendu à la cave pour chercher des pommes, le même individu lui apparut debout, à côté de lui, pendant qu'il était à genoux occupé à en ramasser ; épouvanté il laisse là sa chandelle et s'enfuit. Le 18, nouvelle apparition à l'entrée d'une foulerie (pressoir), et Martin se sauva de même.
Le dimanche 21 janvier Martin entrait à l'église à l'heure de vêpres ; comme il prenait de l'eau bénite, il aperçut l'inconnu qui en prenait aussi et qui le suivit jusqu'à l'entrée de son banc ; pendant toute la durée de l'office il fut très recueilli et Martin remarqua qu'il n'avait de chapeau ni sur la tête ni dans ses mains. Au sortir de l'église il le suivit jusqu'à sa maison, marchant à ses côtés, le chapeau sur la tête. Arrivés sous la porte charretière, il se trouva tout à coup devant lui face à face, et lui dit : « Acquittez-vous de votre commission, et faites ce que je vous dis ; vous ne serez pas tranquille tant que votre commission ne sera pas faite. » A peine eut-il prononcé ces paroles, qu'il disparut, sans que ni cette fois, ni aux apparitions suivantes, Martin l'ait vu s'évanouir graduellement comme la première fois. Le 24 janvier nouvelle apparition dans le grenier, suivie de ces paroles : « Fais ce que je te commande, il est temps. »
Remarquons ces deux modes de disparition : la première, qui ne saurait être le fait d'un être corporel en chair et en os, avait sans doute pour but de prouver que c'était un être fluidique, étranger à l'humanité matérielle, circonstance qui devait être relevée 50 ans plus tard et expliquée par le Spiritisme, dont elle confirmait les doctrines en même temps qu'elle devait fournir un sujet d'étude.
On sait qu'en ces derniers temps, l'incrédulité a cherché à expliquer les apparitions par des effets d'optique, et que, lorsque parurent sur quelques théâtres des phénomènes artificiels de ce genre produits par une combinaison de glaces et de lumières, ce fut un cri général dans la presse pour dire : « Voici enfin le secret de toutes les apparitions découvert ! C'est à l'aide de pareils moyens que cette absurde croyance s'est répandue dans tous les temps et que des gens crédules ont été dupes de subterfuges ! »
Nous avons réfuté, comme elle devait l'être, (Revue, juillet 1863, page 204) cette étrange explication, digne pendant du fameux muscle craqueur, du docteur Jobert de Lamballe, qui accusait tous les Spirites de fous, et qui lui-même, hélas ! languit depuis plusieurs années dans une maison d'aliénés ; mais nous demanderons, dans le cas dont il s'agit ici, par qui et comment des appareils de cette nature, nécessairement compliqués et volumineux, auraient pu être disposés et manœuvrés dans un champ isolé de toute habitation et où Martin se trouvait absolument seul, sans qu'il se fût aperçu de rien ? Comment ces mêmes appareils, qui fonctionnent dans l'obscurité à l'aide de lumières artificielles, auraient pu produire une image en plein soleil ? Comment ils auraient pu être transportés instantanément dans la cave, au grenier, lieux généralement peu machinés, dans une église, et de l'église suivre Martin jusque chez lui, sans que personne eût rien remarqué ? Ces sortes d'images artificielles sont vues de tous les spectateurs ; comment se ferait-il qu'à l'église, et au sortir de l'église, Martin seul ait vu l'individu ? Dira-t-on qu'il n'a rien vu, mais que, de bonne foi, il a été le jouet d'une hallucination ? Cette explication est démentie par le fait matériel des révélations faites au roi, et qui, comme on le verra, ne pouvaient être connues préalablement de Martin. Il y a là un résultat positif, matériel, qui n'est pas le propre des illusions.
Le curé de Gallardon, à qui Martin rendait fidèlement compte de ses apparitions, et qui en prenait une note exacte, crut devoir l'adresser à son évêque, à Versailles, pour lequel il lui donna une lettre de recommandation circonstanciée. Là, Martin répéta tout ce qu'il avait vu, et, après diverses questions, l'évêque le chargea de demander à l'inconnu, de sa part, s'il se représentait, son nom, qui il était, et par qui il était envoyé, lui recommandant de dire le tout à son curé.
Quelques jours après le retour de Martin, M. le curé reçut une lettre de son évêque par laquelle il lui témoignait que l'homme qu'il lui avait envoyé, paraissait avoir de grandes lumières sur l'objet important dont il était question. Dès ce moment il s'établit une correspondance suivie entre l'évêque et le curé de Gallardon. De son côté, Monseigneur, à cause de la gravité de la première apparition, crut devoir en faire, peu de temps après, une affaire ministérielle et de police ; en conséquence, il envoyait chaque rapport qu'il recevait de M. le curé à M. Decazes, ministre de la police générale.
Le mardi 30 janvier, l'inconnu apparut de nouveau à Martin et lui dit : « Votre commission est bien commencée, mais ceux qui l'ont entre les mains ne s'en occupent pas ; j'étais présent, quoique invisible, quand vous avez fait votre déclaration ; il vous a été dit de demander mon nom et de quelle part je venais ; mon nom restera inconnu, et celui qui m'a envoyé (montrant le ciel) est au-dessus de moi. ‑ Comment vous adressez-vous toujours à moi, répliqua Martin, pour une commission comme celle-là, moi qui ne suis qu'un paysan ? Il y a tant de gens d'esprit. ‑ C'est pour abattre l'orgueil, dit l'inconnu en montrant la terre ; pour vous, il ne faut pas prendre d'orgueil de ce que vous avez vu et entendu, car l'orgueil déplaît souverainement à Dieu ; pratiquez la vertu ; assistez aux offices qui se font à votre paroisse les dimanches et les fêtes ; évitez les cabarets et les mauvaises compagnies où se commettent toutes sortes d'impuretés et où se tiennent toutes sortes de mauvais discours. Ne faites aucun charroi les jours de dimanches et de fêtes. »
Pendant le mois de février, l'inconnu apparut encore différentes fois à Martin, et lui dit entre autres ces paroles : « Persistez, ô mon ami, et vous parviendrez. Vous paraîtrez devant l'incrédulité, et vous la confondrez ; j'ai encore autre chose à vous dire qui les convaincra, et ils n'auront rien à répondre. ‑ Pressez votre commission, on ne fait rien de tout ce que je vous ai dit ; ceux qui ont l'affaire en mains sont enivrés d'orgueil ; la France est dans un état de délire ; elle sera livrée à toutes sortes de malheurs. ‑ Vous irez trouver le roi ; vous lui direz ce que je vous ai annoncé ; il pourra admettre avec lui son frère et ses neveux. Quand vous serez devant le roi je vous découvrirai des choses secrètes du temps de son exil, mais dont la connaissance ne vous sera donnée qu'au moment où vous serez introduit en sa présence. »
Sur ces entrefaites M. le comte de Breteuil, préfet de Chartres, reçut une lettre du ministre de la police générale qui l'invitait à vérifier « si ces apparitions données comme miraculeuses n'étaient pas plutôt un jeu de l'imagination de Martin, une véritable illusion de son esprit exalté, ou enfin si le prétendu envoyé inconnu, ne peut être Martin lui-même, ne devaient pas être sévèrement examinés par la police, et ensuite livrés aux tribunaux. »
Le 5 mars Martin reçut la visite de son inconnu qui lui dit : « Vous allez bientôt paraître devant le premier magistrat de votre département ; il faut que vous rapportiez les choses comme elles vous sont annoncées ; il ne faut avoir égard ni à la qualité ni à la dignité. »
Martin n'avait point été informé qu'il devait aller chez le Préfet ; ce n'est donc plus ici une simple communication sur une chose vague, c'est la prévision d'un fait qui va se réaliser. Ceci s'est constamment reproduit pendant la suite de ces événements ; Martin a toujours été informé par son inconnu de ce qui lui arriverait, des personnes en présence desquelles il allait se trouver, des lieux où il serait conduit. Or tel n'est pas le résultat de l'illusion et des idées chimériques. Dès lors que l'individu dit à Martin : demain vous verrez tel personnage, ou vous serez conduit à tel endroit, et que la chose se réalise, c'est un fait positif qui ne peut venir de l'imagination.
Le lendemain 6 mars, Martin accompagné de M. le curé se rendit à Chartres chez le préfet. Ce dernier s'entretint d'abord longuement en particulier avec le curé, puis ayant fait introduire Martin, il lui dit : « Mais si je vous mettais dans les entraves et en prison pour faire de pareilles annonces, continueriez-vous à dire ce que vous dites ? ‑ Comme vous voudrez, répondit Martin sans être effrayé ; je ne puis que dire la vérité. ‑ Mais, poursuivit M. le préfet, si vous paraissiez devant une autorité supérieure à la mienne, par exemple devant le ministre, soutiendriez-vous ce que vous venez de me dire ? ‑ Oui, monsieur, répliqua Martin, et devant le roi lui-même.
Le préfet surpris de tant d'assurance jointe à tant de simplicité, et plus encore des étranges récits que lui avaient faits le curé, se décida à envoyer Martin au ministre. Dès le lendemain 7 mars Martin partait pour Paris escorté de M. André, lieutenant de gendarmerie, qui avait ordre de surveiller toutes ses démarches et de ne le quitter ni jour ni nuit. Ils logèrent rue Montmartre, hôtel de Calais, dans une chambre à deux lits. Le vendredi 8 mars M. André conduisit Martin à l'hôtel de la police générale. En entrant dans la cour de l'hôtel, l'inconnu se présenta et lui dit : « Vous allez être interrogé de plusieurs manières ; n'ayez ni crainte ni inquiétude, mais dites les choses comme elles sont. » Après ces mots il disparut.
Nous ne rapporterons pas ici tous les interrogatoires que firent subir à Martin le ministre et ses secrétaires, sans qu'il se laissât intimider par les menaces, ni déconcerter par les pièges qu'on lui tendait pour le mettre en contradiction avec lui-même, déroutant ses interrogateurs par ses réponses pleines de sens et de sang-froid. Martin ayant dépeint son inconnu, le ministre lui dit : « Eh bien ! vous ne le verrez plus, car je viens de le faire arrêter. – Eh ! comment, repartit Martin, avez-vous pu le faire arrêter, puisqu'il disparaît tout de suite comme un éclair ? ‑ S'il disparaît pour vous, reprit le ministre, il ne disparaît pas pour tout le monde. Et s'adressant à l'un de ses secrétaires :
« Allez voir si cet homme que j'ai dit de mettre en prison y est encore. »
Quelques instants après le secrétaire revint et fit cette réponse :
« Monseigneur, il y est toujours. ‑ Eh bien ! dit alors Martin, si vous l'avez fait mettre en prison, vous me le montrerez, et je le reconnaîtrai bien ; je l'ai vu assez de fois pour cela.
Vint ensuite un homme qui visita avec soin la tête de Martin, en lui écartant les cheveux à droite et à gauche ; le ministre les tourna et retourna de même, sans doute pour examiner s'il ne portait pas quelque signe indicateur de folie, à quoi Martin se contentait de dire : « Regardez tant que vous voudrez, je n'ai jamais eu de mal de ma vie. »
Rentré à l'hôtel, Martin dit le soir à M. André : « Mais le ministre m'avait dit qu'il avait fait mettre en prison l'homme qui m'apparaissait. Il l'a donc relâché, puisqu'il m'a apparu depuis et qu'il m'a dit : « Vous avez été questionné aujourd'hui, mais on ne veut pas faire ce que j'ai dit. Celui que vous avez vu ce matin a voulu vous faire croire qu'on m'avait fait arrêter ; vous pouvez lui dire qu'il n'a aucun pouvoir sur moi et qu'il est grand temps que le roi soit averti. » A l'instant même, M. André alla faire son rapport à la police, tandis que Martin, sans inquiétude, se couche et s'endort paisiblement.
Le lendemain 9, Martin étant descendu pour demander les bottes du lieutenant, l'inconnu se présenta à lui au milieu de l'escalier et lui dit : « Vous allez avoir la visite d'un docteur qui vient voir si vous êtes frappé d'imagination et si vous avez perdu la tête ; mais ceux qui vous l'envoient sont plus fous que vous. » Le même jour, en effet, le célèbre aliéniste, M. Pinel, vint le visiter, et lui fit subir un interrogatoire approprié à ce genre d'information. « Malgré son habileté, dit le rapport, il n'a pu acquérir aucune indication tant soit peu probable d'aliénation. Ses recherches n'ont abouti qu'à une simple conjecture de possibilité d'hallucination et de manie intermittente. »
Il paraît que, pour certaines gens, il n'en faut pas davantage pour être taxé de folie : il suffit de ne pas penser comme eux ; c'est pourquoi ceux qui croient à quelque chose de l'autre monde passent pour des fous aux yeux de ceux qui ne croient à rien.
Après la visite du docteur Pinel, l'inconnu se présenta à Martin et lui dit : « Il faut que vous alliez parler au roi ; quand vous serez en sa présence, je vous inspirerai ce que vous aurez à lui dire. Je me sers de vous pour abattre l'orgueil et l'incrédulité. On tâche d'écarter l'affaire, mais si vous ne parvenez pas à votre but, elle se découvrira par une autre voie. »
Le 10 mars, Martin étant seul dans sa chambre, l'inconnu lui apparut et lui dit : « Je vous avais dit que mon nom resterait inconnu, mais, puisque l'incrédulité est si grande, il faut que je vous découvre mon nom. Je suis l'ange Raphaël, ange très célèbre auprès de Dieu ; j'ai le pouvoir de frapper la France de toutes sortes de plaies. » A ces mots, Martin fut saisi de frayeur et éprouva une sorte de crispation.
Un autre jour, M. André étant sorti avec Martin rencontra un officier de ses amis avec lequel il s'entretint pendant une heure en anglais que naturellement Martin ne comprenait pas. Le lendemain, l'inconnu, que désormais il appelle l'ange, lui dit : « Ceux qui étaient hier avec vous se sont entretenus de vous, mais vous n'entendiez pas leur langage ; ils ont dit que vous veniez pour parler au roi, et l'un a dit que quand il serait retourné dans son pays, l'autre lui donnât de ses nouvelles pour savoir comment la chose se serait passée. » M. André, à qui Martin rendait compte de tous ses entretiens avec l'inconnu, fut très surpris de voir que ce qu'il avait dit en anglais, pour n'être pas compris de lui, se trouvait dévoilé.
Quoique le rapport du docteur Pinel ne concluât pas à la folie, mais seulement à une possibilité d'hallucination, Martin n'en fut pas moins conduit à l'hospice des fous de Charenton, où il resta du 13 mars jusqu'au 2 avril. Là, il fut l'objet d'une surveillance minutieuse et soumis à l'étude spéciale des hommes de l'art. On fit également des enquêtes dans son pays sur ses antécédents et ceux de sa famille, sans que, malgré toutes ces investigations, on soit parvenu à constater la moindre apparence ou cause prédéterminante de folie. Pour rendre hommage à la vérité, il faut dire qu'il y fut constamment traité avec beaucoup d'égards de la part de M. Royer-Collard, directeur en chef de la maison, et des autres médecins, et qu'on ne lui fit subir aucun des traitements en usage dans ces sortes d'établissements. S'il y fut placé, c'était bien moins par mesure de séquestration que pour avoir plus de facilité d'observer l'état réel de son esprit.
Pendant son séjour à Charenton, il eut d'assez fréquentes visites de son inconnu qui ne présentèrent aucune particularité remarquable, si ce n'est celle où il lui dit: « Il y aura des discussions : les uns diront que c'est une imagination, les autres que c'est un ange de lumière, et d'autres que c'est un ange de ténèbres ; je vous permets de me toucher. » Alors, raconta Martin, il me prit la main droite qu'il serra ; puis il ouvrit sa redingote par-devant, et, quand elle a été ouverte, cela m'a semblé plus brillant que les rayons du soleil, et je n'ai pu l'envisager ; je fus obligé de mettre ma main devant mes yeux. Quand il eut fermé sa redingote, je n'ai plus rien vu de brillant ; il m'a semblé comme auparavant. Cette ouverture et cette fermeture se sont opérées sans aucun mouvement de sa part.
Une autre fois, comme il écrivait à son frère, il vit à côté de lui son inconnu qui lui dicta une partie de sa lettre, rappelant les prédictions qu'il avait déjà faites sur les malheurs dont la France était menacée. Voilà donc Martin à la fois médium voyant et écrivain.
Quelque soin que l'on prît de ne pas trop ébruiter cette affaire, elle ne laissa pas de faire une certaine sensation dans les hautes régions officielles ; il est probable cependant qu'elle aurait abouti à une fin de non recevoir, si l'archevêque de Reims, grand aumônier de France, depuis archevêque de Paris et cardinal de Périgord, ne s'y fût intéressé. Il en parla à Louis xviii, et lui proposa de recevoir Martin. Le roi lui déclara qu'il n'en avait point encore entendu parler, tant il est vrai que les souverains sont souvent les derniers à savoir ce qui se passe autour d'eux et ce qui les intéresse le plus. En conséquence, il ordonna que Martin lui fût présenté.
Le 2 avril, Martin fut conduit de Charenton chez le ministre de la police générale. Pendant qu'il attendait le moment d'être reçu, son inconnu lui apparut et lui dit : « Vous allez parler au roi, et vous serez seul avec lui ; n'ayez aucune crainte de paraître devant le roi ; pour ce que vous avez à lui dire, les paroles vous viendront à la bouche. » C'est la dernière fois qu'il l'a vu. Le ministre lui fit un accueil très bienveillant et lui dit qu'il allait le faire conduire aux Tuileries.
On croit assez généralement que Martin vint de lui-même à Paris, se présenta au château en insistant pour parler au roi ; qu'étant repoussé, il revint à la charge avec tant de persistance, que louis xviii en ayant été informé, ordonna de le faire entrer. Les choses, comme on le voit, se sont passées tout autrement. Ce ne fut qu'en 1828, quatre ans après la mort du roi, qu'il fit connaître les particularités secrètes qu'il lui révéla, et qui firent sur lui une profonde impression, car tel était le but essentiel de cette visite, les autres motifs allégués n'étant, comme nous l'avons dit, qu'un moyen d'arriver à lui. Son inconnu lui laissa ignorer ces choses jusqu'au dernier moment, dans la crainte qu'une indiscrétion arrachée par l'artifice des interrogatoires ne fît échouer le projet, ce qui aurait eu lieu inévitablement. Après sa visite au roi, Martin alla faire ses adieux au directeur de Charenton et partit immédiatement pour son pays, où il reprit le cours habituel de ses travaux, sans jamais se faire un mérite de ce qui lui était arrivé.
Le but que nous nous sommes proposés dans ce récit était de montrer les points par lesquels il se rattache au Spiritisme ; les particularités révélées à Louis XVIII étant étrangère à notre sujet, nous nous abstiendrons de les rapporter. Nous dirons seulement qu'elles avaient trait aux choses de famille les plus intimes ; elles émurent le roi au point de le faire beaucoup pleurer, et celui-ci déclara plus tard que ce qui lui avait été révélé n'était connu que de Dieu et de lui. Elles eurent pour conséquences de faire renoncer au sacre dont les préparatifs étaient déjà ordonnés[1].
Nous ne rapporterons de cette entrevue que quelques passages de la relation écrite en 1828 sous la dictée de Martin lui-même, et où se peignent le caractère et la simplicité de l'homme.
« Nous arrivâmes aux Tuileries sur les trois heures, et sans que personne ait dit rien. Nous arrivâmes jusqu'au premier valet de Louis xviii à qui on remit la lettre, et qui, après l'avoir lue, me dit : Suivez-moi. Nous nous arrêtâmes quelques moments, parce que M. Decazes était chez le roi. Quand le ministre sortit je suis entré, et avant que je dise un mot, le roi dit au valet de chambre de se retirer et de fermer les portes.
Le roi était assis devant sa table en face la porte ; il y avait des plumes, des papiers et des livres. J'ai salué le roi en disant : Sire, je vous salue. Le roi m'a dit : Bonjour Martin. Et je me suis alors dit à moi-même : Il sait donc bien mon nom. « Vous savez, Sire, sûrement, pourquoi je viens. ‑ Oui, je sais que vous avez quelque chose à me dire, et l'on m'a dit que c'était quelque chose que vous ne pouviez dire qu'à moi ; asseyez-vous. Alors je me suis assis dans un fauteuil qui était placé vis-à-vis le roi, de manière qu'il n'y avait que la table entre nous. Alors je lui demandai comment il se portait. ‑ Le roi me dit : « Je me porte un peu mieux que ces jours passés ; et vous, comment vous portez-vous ? ‑ Moi, je me porte bien. ‑ Quel est le sujet de votre voyage ? – « Et je lui ai dit : Vous pouvez faire appeler, si vous voulez, votre frère et ses fils. » Le roi m'interrompit en disant : Cela est inutile, je leur dirai ce que vous aurez à me dire. « Après cela, je racontai au roi toutes les apparitions que j'avais eues et qui sont dans la relation.
« Je sais tout cela, l'archevêque de Reims m'a tout dit. Mais il me semble que vous avez quelque chose à me dire en particulier et en secret. » Et alors je sentis venir à ma bouche les paroles que l'ange m'avait promises, et je dis au roi : « Le secret que j'ai à vous dire, c'est que… » (Suivent des détails qui, ainsi que les instructions données dans la suite de la conversation sur certaines mesures à prendre et la manière de gouverner, ne pouvaient qu'être inspirés à l'instant même, car ils sont hors de toute portée avec le degré de culture de Martin.)
« C'est à ce récit que le roi, frappé d'étonnement et profondément ému, dit : « O mon Dieu ! ô mon Dieu ! cela est bien vrai ; il n'y a que Dieu, vous et moi, qui sachions cela ; promettez-moi de garder sur toutes ces communications le plus grand secret ; » et moi je le lui promis. Après cela je lui dis : « Prenez garde de vous faire sacrer, car si vous le tentiez, vous seriez frappé de mort dans la cérémonie du sacre. » Dans le moment et jusqu'à la fin de la conversation le roi pleura toujours.
Quand j'eus fini, il m'a dit que l'ange qui m'avait apparu était celui qui conduisit Tobie le jeune à Ragès et qui le fit marier ; puis il m'a demandé laquelle de mes mains l'ange avait serrée. J'ai répondu : « Celle-ci, » en montrant la droite. Le roi me l'a prise en me disant : « Que je touche à la main que l'ange a serrée. Priez toujours pour moi. ‑ « Bien sûr, Sire, que moi, ma famille, ainsi que M. le curé de Gallardon, avons toujours prié pour que l'affaire réussisse.
J'ai salué le roi en lui disant : « Je vous souhaite une bonne santé. Il m'a été dit qu'une fois ma commission faite auprès du roi, je vous demande la permission de m'en retourner dans ma famille, comme il m'a été annoncé aussi que vous ne me refuserez pas, et qu'il ne m'arriverait aucune peine ni aucun mal. ‑ Il ne vous en arrivera pas non plus ; j'ai donné des ordres pour vous renvoyer. Le ministre va vous donner à souper et à coucher, et des papiers pour vous en retourner demain. ‑ Mais je serais content si je retournais à Charenton pour leur dire adieu et pour prendre une chemise que j'ai laissée. ‑ Cela ne vous a-t-il pas fait de la peine d'être à Charenton ? Y avez-vous été bien ? ‑ Pas du tout de peine ; et bien sûr que si je n'y avais pas été bien, je ne demanderais pas à y retourner. ‑ Et bien ! puisque vous désirez y retourner, le ministre vous y fera conduire de ma part.
Je suis retourné rejoindre mon conducteur qui m'attendait, et nous avons été ensemble à l'hôtel du ministre.
Fait à Gallardon, le 9 mars 1828.
Signé : Thomas Martin.
L'entretien de Martin avec le roi a duré au moins 55 minutes.
Si depuis sa visite au roi, Martin n'a plus revu son inconnu, les manifestations n'en ont pas moins continué sous une autre forme ; de médium voyant, il est devenu médium auditif. Voici quelques fragments de lettres qu'il écrivait à l'ancien curé de Gallardon :
28 janvier 1821.
« Monsieur le curé, je vous écris pour vous donner connaissance d'une chose qui m'est arrivée. Mardi dernier, 23 janvier, étant à la charrue, j'ai entendu une voix qui m'a parlé, sans avoir vu personne, et on m'a dit : « Fils de Japhet ! arrête et fais attention aux paroles qui te sont adressées. » Au même instant, mes chevaux se sont arrêtés sans que j'aie rien dit, parce que j'étais bien surpris. Voici ce qu'on m'a dit : « Dans cette grande région, un grand arbre est planté, et, sur la même souche, il en est planté un autre qui est inférieur au premier ; le second arbre a deux branches, dont l'une des deux a été fracassée, et aussitôt après elle s'est desséchée par un vent furieux, et ce vent ne cessa de souffler. A la place de cette branche, il en est sorti une autre branche, jeune, tendre, qui la remplace ; mais ce vent, qui est toujours agité, s'élèvera un jour avec de telles secousses que… et après cette catastrophe épouvantable, les peuples seront dans la dernière désolation. Prie, mon fils, que ces jours soient abrégés ; invoque le ciel que le vent fatal sortant du nord-ouest soit barré par des barrières puissantes, et que ses progrès n'aient rien de fâcheux. Ces choses sont obscures pour toi, mais d'autres les comprendront facilement. »
Voilà, monsieur, ce qui m'est arrivé mardi vers une heure après midi ; je ne comprends rien à cela ; vous me marquerez si vous y comprenez quelque chose. Je n'ai parlé à personne de tout cela, pas seulement à ma femme, car le monde est méchant. J'étais résou à garder tout cela sous silence ; mais je me suis décidé à vous écrire aujourd'hui, parce que cette nuit je n'ai pu dormir, et j'ai toujours eu ces paroles dans la mémoire, et je vous prie d'en garder le secret, parce que le monde s'en moquerait. Monsieur, on m'a traité de fils de Japhet ; je ne connais personne de notre famille qui porte ce nom ; on peut bien s'être trompé ; on m'a peut-être pris pour un autre. »
8 février 1821.
Je vous avais défendu de parler de ce que je vous avais marqué ; j'ai eu tort, parce que cela ne peut rester caché. Il faut nécessairement que cela passe devant les grands et les premiers de l'Etat, pour qu'on voie le danger dont ils sont menacés, parce que le vent dont je vous ai parlé avant peu va faire de terribles désastres, car ce vent tourne toujours autour de l'arbre ; si l'on n'y fait pas attention, avant peu il sera renversé. Dans le même moment, l'autre arbre avec ce qui sort de lui éprouvera le même sort. Hier la même parole est venue me parler, et je n'ai rien vu. »
21 février 1821.
Monsieur, j'ai eu une grande frayeur ce matin. Il était neuf heures ; j'ai entendu un grand bruit auprès de moi, et je n'ai rien vu, mais j'ai entendu parler, après que le bruit a été apaisé, et on m'a dit : « Pourquoi avez-vous eu peur ? ne craignez point ; je ne viens pas pour vous faire aucun mal. Vous êtes surpris d'entendre parler et de ne rien voir, ne vous étonnez pas : il faut que les choses soient découvertes ; je me sers de vous pour vous envoyer comme je suis envoyé. Les philosophes, les incrédules, les impies, ne croient pas que l'on voit leurs démarches, mais il faut qu'ils soient confondus… Demeurez tranquille, continuez d'être ce que vous avez été ; vos jours sont comptés, et il ne vous en échappera pas un seul. Je vous défends de vous prosterner devant moi, parce que je ne suis qu'un serviteur comme vous. »
Monsieur, voilà ce qui m'a été dit ; je ne sais pas quelle est la personne qui me parle ; il a la voix assez forte et bien claire. J'ai eu la pensée de parler, mais je n'ai pas osé, à cause que je ne vois personne. »
Reste à savoir quelle est l'individualité de l'Esprit qui s'est manifesté ; était-ce réellement l'ange Raphaël ? Il est fort permis d'en douter, et il y aurait beaucoup de choses à dire contre cette opinion ; mais, à notre avis, c'est là une question tout à fait secondaire ; le fait capital est celui de la manifestation dont on ne saurait douter, et dont tous les incidents ont eu leur raison d'être pour le résultat proposé, et ont aujourd'hui leur côté instructif.
Un fait qui n'aura sans doute échappé à personne, c'est cette parole de Martin au sujet d'une somme qu'on lui offrit : « Comme la chose ne vient pas de moi, dit-il, je ne dois rien recevoir pour cela. » Voilà donc un simple paysan, médium inconscient, qui, il y a cinquante ans, époque à laquelle on était loin de songer au spiritisme, a, par lui-même, l'intuition des devoirs qu'impose la médiumnité, de la sainteté de ce mandat ; son bon sens, sa loyauté naturelle lui font comprendre que ce qui vient d'une source céleste et non de lui, ne doit point être payé.
On s'étonnera peut-être des difficultés que rencontra Martin pour remplir la commission dont il était chargé. Pourquoi, dira-t-on, les Esprits ne l'ont-ils pas fait arriver directement au roi ? Ces difficultés, ces lenteurs, comme nous l'avons vu, ont eu leur utilité. Il fallait qu'il passât par Charenton, où sa raison fut soumise aux investigations les plus rigoureuses de la science officielle et peu crédule, afin qu'il fût constaté qu'il n'était ni fou, ni exalté. Les Esprits, comme on l'a vu, ont triomphé des obstacles mis par les hommes, mais comme les hommes ont leur libre arbitre, ils ne pouvaient les empêcher de mettre des entraves.
Remarquons à ce sujet, que Martin ne fit par lui-même, pour ainsi dire, aucun effort pour arriver au roi ; les circonstances l'y ont amené presque malgré lui, et sans qu'il ait eu besoin d'insister beaucoup ; or, ces circonstances ont évidemment été conduites par les Esprits, en agissant sur la pensée des incarnés, parce que la mission de Martin était sérieuse et devait s'accomplir.
Il en est de même dans tous les cas analogues. Outre la question de prudence, il est évident que, sans les difficultés qu'il y a de parvenir à eux, les souverains seraient assaillis de prétendus révélateurs. En ces derniers temps, que de gens se sont crus appelés à de pareilles missions, qui n'étaient autres que le résultat d'obsessions où leur orgueil était mis en jeu à leur insu, et ne pouvait aboutir qu'à des mystifications ! A tous ceux qui ont cru devoir nous consulter en pareil cas, nous avons toujours dit, en leur démontrant les signes évidents par lesquels se trahissaient les Esprits menteurs : « Gardez-vous d'aucune démarche qui tournerait infailliblement à votre confusion. Soyez certains que si votre mission est réelle, vous serez mis à même de l'accomplir ; que si vous devez vous trouver à un moment donné sur un lieu donné, vous y serez conduits à votre insu par des circonstances qui auront l'air d'être un effet du hasard. Soyez assurés, en outre, que lorsqu'une chose est dans les desseins de Dieu, il faut qu'elle soit, et qu'il n'en subordonne pas la réalisation au bon ou au mauvais vouloir des hommes. Défiez-vous des missions assignées et prônées à l'avance, car ce ne sont que des appâts pour l'orgueil ; les missions se révèlent par des faits. Défiez-vous aussi des prédictions à jours et heures fixes, car elles ne sont jamais le fait d'Esprits sérieux. » Nous avons été assez heureux pour en arrêter plus d'un à qui les évènements out pu prouver la prudence de ces conseils.
Il y a, comme on le voit, plus d'une similitude entre ces faits et ceux de Jeanne d'Arc, non qu'il y ait aucune comparaison à établir quant à l'importance des résultats accomplis, mais quant à la cause du phénomène, qui est exactement la même, et, jusqu'à un certain point, quant au but. Comme Jeanne d'Arc, Martin fut averti par un être du monde spirituel d'aller parler au roi pour sauver la France d'un péril, et, comme elle aussi, ce n'est pas sans difficultés qu'il parvint jusqu'à lui. Il y a toutefois entre les deux manifestations cette différence que Jeanne d'Arc entendait simplement les voix qui la conseillaient, tandis que Martin vit constamment l'individu qui lui parlait, non point en songe ou dans un sommeil extatique, mais sous les apparences d'un être vivant, comme le serait un agénère.
Mais à un autre point de vue, les faits arrivés à Martin, quoique moins éclatants, n'en ont pas moins une grande portée, comme preuve de l'existence du monde spirituel et de ses rapports avec le monde corporel, et parce qu'étant contemporains et d'une notoriété incontestable, ils ne peuvent être mis au rang des histoires légendaires. Par leur retentissement, ils ont servi de jalons au Spiritisme qui devait, à quelques années de là, en confirmer la possibilité par une explication rationnelle, et par la loi en vertu de laquelle ils se produisent, les faire passer du domaine du merveilleux dans celui des phénomènes naturels ; grâce au Spiritisme, il n'est pas une seule des phases qu'ont présentées les révélations de Martin, dont on ne puisse se rendre parfaitement compte.
Martin était un médium inconscient, doué d'une aptitude dont les Esprits se sont servis, comme d'un instrument, pour arriver à un résultat déterminé, et ce résultat était loin d'être tout entier dans la révélation faite à Louis XVIII. L'Esprit qui s'est manifesté à Martin le caractérise parfaitement en disant : « Je me sers de vous pour abattre l'orgueil et l'incrédulité. » Cette mission est celle de tous les médiums destinés à prouver, par des faits de tous genres, l'existence du monde spirituel, et d'une puissance supérieure à l'humanité, car tel est le but providentiel des manifestations. Nous ajouterons que le roi lui-même a été un instrument dans cette circonstance ; il fallait une position aussi élevée que la sienne, la difficulté même de parvenir à lui, pour que l'affaire eût du retentissement, et l'autorité d'une chose officielle. Les investigations minutieuses auxquelles Martin fut soumis ne pouvaient qu'ajouter à l'authenticité des faits, car on n'eût pas pris toutes ces précautions pour un simple particulier ; la chose eût passé presque inaperçue, tandis qu'on s'en souvient encore aujourd'hui, et qu'elle fournit une preuve authentique à l'appui des phénomènes spirites.
[1] Les détails circonstanciés et les preuves à l'appui se trouvent dans un ouvrage intitulé : Le passé et l'avenir expliqués par les évènements extraordinaires arrivés à Thomas Martin, laboureur de la Beauce. Paris, 1832, chez Bricon, libraire, rue du Vieux-Colombier, 19 ; Marseille, même maison, rue du Saint-Sépulcre, 17. Cet ouvrage épuisé est très rare aujourd'hui.
A ce sujet, nous sommes heureux de constater que la Vérité, qui en est à sa quatrième année, poursuit avec succès le cours de ses savantes et intéressantes publications, qui jettent la lumière sur l'histoire du Spiritisme, et nous le montrent partout, dans l'antiquité comme dans les temps modernes. Si, sur certains points, nous ne partageons pas toutes les opinions de son principal rédacteur, M. A. P…, nous n'en reconnaissons pas moins que, par ses laborieuses recherches, il rend à la cause un service réel qu'apprécient tous les Spirites sérieux.
En effet, prouver que la doctrine spirite actuelle n'est que la synthèse de croyances universellement répandues, partagées par des hommes dont la parole fait autorité et qui ont été nos premiers maîtres en philosophie, c'est montrer qu'elle n'est pas assise sur la base fragile de l'opinion d'un seul. Que désirent les Spirites, si ce n'est de trouver le plus d'adhérents possible à leurs croyances ? Ce doit donc être pour eux une satisfaction, en même temps qu'une consécration de leurs idées, d'en trouver même avant eux. Nous n'avons jamais compris que des hommes de bon sens aient pu conclure contre le Spiritisme moderne de ce qu'il n'est pas le premier inventeur des principes qu'il proclame, tandis que c'est là précisément ce qui fait une partie de sa force et doit l'accréditer. Exciper de son ancienneté pour le dénigrer, c'est se montrer souverainement illogique, et d'autant plus maladroit, qu'il ne s'est jamais attribué le mérite de la découverte première. C'est donc se méprendre étrangement sur les sentiments qui animent les Spirites, supposer à ceux-ci des idées bien étroites et une bien sotte prétention, de croire les molester en leur objectant que ce qu'ils professent était connu avant eux, alors qu'ils sont les premiers à fouiller dans le passé pour y découvrir les traces de l'ancienneté de leurs croyances, qu'ils font remonter aux premiers âges du monde, parce qu'elles sont fondées sur les lois de la nature qui sont éternelles.
Aucune grande vérité n'est sortie de toutes pièces du cerveau d'un individu ; toutes, sans exceptions, ont eu des précurseurs qui les ont pressenties ou en ont entrevu quelques parties ; le Spiritisme s'honore donc de compter les siens par milliers et parmi les hommes le plus justement considérés ; les mettre en lumière, c'est montrer le nombre infini de points par lesquels il se rattache à l'histoire de l'humanité.
Mais nulle part on ne trouve le Spiritisme complet ; sa coordination en corps de doctrine, avec toutes ses conséquences et ses applications, sa corrélation avec les sciences positives, est une œuvre essentiellement moderne, mais partout on en trouve les éléments épars, mêlés aux croyances superstitieuses dont il a fallu faire le triage ; si l'on réunissait les idées qui se trouvent disséminées chez la plupart des philosophes anciens et modernes, chez les écrivains sacrés et profanes, les faits innombrables et infiniment variés qui se sont produits à toutes les époques, et qui attestent les rapports du monde visible et du monde invisible, on arriverait à constituer le Spiritisme tel qu'il est aujourd'hui : c'est l'argument invoqué contre lui par certains détracteurs. Est-ce ainsi qu'il a procédé ? Est-ce une compilation d'idées anciennes rajeunies par la forme ? Non, il est sorti tout entier des observations récentes, mais loin de se croire amoindri par ce qui a été dit et observé avant lui, il s'en trouve fortifié et grandi.
Une histoire du Spiritisme avant l'époque actuelle est encore à faire. Un travail de cette nature, fait consciencieusement, écrit avec précision, clarté, sans longueurs superflues et fastidieuses qui en rendraient la lecture pénible, serait un ouvrage éminemment utile, un document précieux à consulter. Ce serait plutôt une œuvre de patience et d'érudition qu'une œuvre littéraire, et qui consisterait principalement dans la citation des passages des divers écrivains qui ont émis des pensées, des doctrines ou des théories qui se retrouvent dans le Spiritisme d'aujourd'hui. Celui qui fera ce travail consciencieusement aura bien mérité de la doctrine.
Revenons à notre sujet, dont nous nous sommes quelque peu écartés sans le vouloir, mais non peut-être sans utilité.
Le Spiritisme moderne n'a pas plus découvert ni inventé la médiumnité guérissante et les médiums guérisseurs que les autres phénomènes spirites. Dès lors que la médiumnité guérissante est une faculté naturelle soumise à une loi, comme tous les phénomènes de la nature, elle a dû se produire à diverses époques, ainsi que le constate l'histoire, mais il était réservé à notre temps, à l'aide des nouvelles lumières que nous possédons, d'en donner une explication rationnelle, et de la faire sortir du domaine du merveilleux. Le prince de Hohenlohe nous en offre un exemple d'autant plus remarquable, que les faits se passaient avant qu'il ne fût question du Spiritisme et des médiums. Voici le résumé qu'en donne le journal la Vérité :
« En l'année 1829, il vint à Wurtzbourg, ville considérable de Bavière, un saint prêtre, le prince de Hohenlohe. Des infirmes et des malades allèrent lui demander, pour obtenir du ciel leur guérison, le secours de ses prières. Il invoqua sur eux les grâces divines, et bientôt on vit un grand nombre de ces infortunés guéris tout à coup. Le bruit de ces merveilles a retenti au loin. L'Allemagne, la France, la Suisse, l'Italie, une grande partie de l'Europe en sont instruites. De nombreux écrits sont publiés, qui en perpétueront le souvenir. Parmi les témoignages authentiques et dignes de foi qui certifient la réalité des faits, il suffit ici d'en transcrire quelques-uns, dont l'ensemble forme une preuve convaincante.
« Voici d'abord un extrait de ce qu'a écrit sur ce sujet M. Scharold, conseiller de légation à Wurtzbourg, et témoin d'une grande partie des choses qu'il rapporte.
« Depuis deux années, une princesse de dix-sept ans, Mathilde de Schwartzemberg, fille du prince de ce nom, se trouvait dans la maison de santé du M. Haine, à Wurtzbourg. Il lui était absolument impossible de marcher. En vain les médecins les plus fameux de France, d'Italie et d'Autriche, avaient épuisé toutes les ressources de leur art pour guérir la princesse de cette infirmité. Seulement M. Haine, qui s'était aidé des lumières et de l'expérience du célèbre médecin, M. Textor, avait réussi, à force de soins prodigués à la malade, à la mettre en état de se tenir debout ; et elle-même, en faisant des efforts, était parvenue à exécuter quelques mouvements comme pour marcher, mais sans marcher réellement. Eh bien ! le 20 juin 1821, elle a quitté le lit tout d'un coup, et marché très librement.
« Voici comment la chose est arrivée. Le prince de Hohenlohe alla le matin, vers dix heures, faire une visite à la princesse, qui demeure chez M. de Reinach, doyen du chapitre. Lorsqu'il fut entré dans son appartement, il lui demanda, comme en conversation, en présence de sa gouvernante, si elle avait une foi ferme que Jésus-Christ pût la guérir de sa maladie. Sur sa réponse qu'elle en était intimement persuadée, le prince dit à la pieuse malade de prier du plus profond de son cœur et de mettre en Dieu sa confiance.
Quand elle eût cessé de prier, le prince lui donna sa bénédiction, et lui dit : « Allons, princesse, levez-vous ; à présent vous êtes guérie et vous pouvez marcher sans douleurs… » Tout le monde de la maison fut appelé sur-le-champ. On ne savait comment exprimer son étonnement d'une guérison si prompte et si incompréhensible. Tous tombèrent à genoux dans la plus vive émotion, et chantèrent les louanges du Tout-Puissant. Ils félicitèrent la princesse sur son bonheur, et joignirent leurs larmes à celles que la joie faisait couler de ses yeux.
Cette nouvelle, en se répandant par la ville, y a jeté l'étonnement. On courait en foule, pour s'assurer de l'événement par ses propres yeux. Le 21 juin, la princesse s'était déjà montrée en public. On ne saurait peindre le ravissement qu'elle éprouva, en se voyant sortie de son état de souffrances cruelles.
Le 25, le prince de Hohenlohe a donné un autre exemple notable de la grâce qu'il possède. L'épouse d'un forgeron de la rue Semmels ne pouvait plus entendre même les coups des plus gros marteaux de sa forge. Elle a été trouvé le prince dans la cour du presbytère Hung, et l'a supplié de la secourir. Pendant qu'elle était à genoux, il lui imposa les mains sur la tête, et ayant prié quelque temps, les yeux élevés vers le ciel, il la prit par la main et la releva. Quel fut l'étonnement des spectateurs, quand cette femme, en se relevant, dit qu'elle entendait sonner l'horloge de l'église ! En retournant chez elle, elle ne se lassait pas de raconter à tous ceux qui l'interrogeaient ce qui venait de lui arriver.
Le 26, une personne illustre (le prince royal de Bavière) a été guérie sur-le-champ d'une maladie qui, selon les règles de la médecine, devait demander beaucoup de temps et donner beaucoup de peine. Cette nouvelle a porté une vive joie dans les cœurs des habitants de Wurtzbourg.
Le prince de Hohenlohe n'a pas moins bien réussi dans la guérison d'une malade qu'il avait essayé deux fois de guérir, mais qui, à chaque fois, n'avait obtenu qu'un léger soulagement. Cette guérison s'est opérée en la personne d'une belle-sœur de M. Broili, négociant. Elle était depuis longtemps affligée d'une paralysie très douloureuse. La maison a retenti de cris de joie.
Le même jour, la vue a été rendue à la veuve Balzano, qui, depuis plusieurs années, était complètement aveugle. Je me suis convaincu par moi-même de ce fait.
A peine sorti du spectacle de cette scène touchante, je fus témoin d'une autre cure, opérée dans la maison de M. le général D… Une jeune femme était si grièvement estropiée de la main droite, qu'elle ne pouvait s'en servir ni l'étendre. Elle fit sur-le-champ l'épreuve de sa parfaite guérison, en enlevant de la même main une chaise fort lourde.
Le même jour, un paralytique, dont le bras gauche était tout à fait dépéri, a été complètement guéri. Une cure de deux autres paralytiques se fit immédiatement après. Elle fut aussi complète et plus prompte encore.
Le 28, j'ai vu par moi-même avec quelle promptitude et quelle solidité le prince de Hohenlohe guérit des enfants. On lui en avait apporté un de la campagne, qui ne pouvait marcher qu'avec des béquilles. Peu de minutes après, cet enfant, transporté de joie, courait sans béquilles dans la rue. Sur ces entrefaites, un enfant muet, qui ne pouvait faire entendre que quelques sons inarticulés, fut amené au prince. Quelques minutes après, l'enfant se mit à parler. Bientôt une pauvre femme apporta sur son dos sa petite fille, estropiée des deux jambes. Elle la déposa aux pieds du prince. Un moment après, il rendit l'enfant à sa mère, qui vit alors sa fille courir et sauter de joie.
Le 29, une femme de Neustadt, paralytique et aveugle, lui fut amenée dans une charrette. Elle était aveugle depuis vingt-cinq ans. Environ à trois heures après-midi, elle se présenta au château de la résidence de notre ville, pour implorer le secours du prince de Hohenlohe, au moment où il entrait dans le vestibule qui est construit en forme d'une grande tente. Tombant aux pieds du prince, elle le supplia, au nom de Jésus-Christ, de lui accorder son secours. Le prince pria pour elle, lui donna sa bénédiction, et lui demanda si elle croyait bien fermement qu'au nom de Jésus elle pût recouvrer la vue. Comme elle répondit que oui, il lui dit de se relever. Elle se retira. Mais à peine s'était-elle éloignée de quelques pas, que tout d'un coup ses yeux s'ouvrirent. Elle vit, et donna toutes les preuves qu'on lui demanda de la faculté qu'elle venait de recouvrer. Tous les témoins de cette guérison, parmi lesquels était un grand nombre de seigneurs de la cour, furent ravis d'admiration.
La cure d'une femme de l'Hôpital civil, qu'on avait apportée au prince, n'est pas moins étonnante. Cette femme, nommée Elisabeth Laner, fille d'un cordonnier, avait la langue si vivement affectée, qu'elle était parfois quinze jours sans pouvoir articuler une seule syllabe. Ses facultés mentales avaient beaucoup souffert. Elle avait presque perdu l'usage de ses membres, en sorte qu'elle était dans son lit comme une masse. Eh bien ! cette pauvre malheureuse s'est rendue aujourd'hui à l'Hôpital, sans le secours de personne. Elle jouit de tous ses sens, comme elle en jouissait il y a douze ans, et sa langue est si bien déliée, que personne dans l'hospice ne parle avec autant de volubilité qu'elle.
Le 30, dans l'après-midi le prince a donné un exemple extraordinaire de guérison. Un chariot, autour duquel s'étaient rassemblés des milliers de spectateurs, était venu de Musmerstadt. Dans ce chariot était un pauvre étudiant perclus de ses bras et de ses jambes, dépéri d'une manière effrayante.
Le prince, supplié par ce malheureux de le soulager, vint au chariot. Il pria environ cinq minutes, les mains jointes et élevées vers le ciel, parla plusieurs fois à l'étudiant ; et enfin lui dit : « Levez-vous, au nom de Jésus-Christ. » L'étudiant se leva effectivement, mais avec des souffrances qu'il ne put dissimuler. Le prince lui dit de ne pas perdre confiance. L'infortuné qui, quelques minutes auparavant, ne pouvait remuer ni bras ni jambes, se tint alors droit et parfaitement libre sur son chariot. Puis, tournant vers le ciel ses yeux, où l'on voyait peinte la plus tendre reconnaissance, il s'écria : « O Dieu ! vous m'avez secouru ! » Les spectateurs ne purent retenir leurs larmes.
Les guérisons miraculeuses opérées à Wurtzbourg par le prince de Hohenlohe pourraient fournir des sujets pour plus de cent tableaux d'ex-voto. »
On remarquera l'analogie frappante qui existe entre ces faits de guérisons et ceux dont nous sommes témoins. M. de Hohenlohe se trouvait dans les meilleures conditions pour le développement de sa faculté, aussi l'a-t-il conservée jusqu'à la fin. Comme à cette époque on n'en connaissait pas la véritable origine, elle était considérée comme un don surnaturel, et M. de Hohenlohe comme opérant des miracles. Mais pourquoi est-elle regardée par certaines personnes, chez les uns comme un don du ciel, et chez les autres comme une œuvre satanique ? Nous ne connaissons aucun médium guérisseur qui ait dit tenir son pouvoir du diable ; tous, sans exception, n'opèrent qu'en invoquant le nom de Dieu, et déclarent ne pouvoir rien faire sans sa volonté. Ceux mêmes qui ignorent le Spiritisme et agissent par intuition, recommandent la prière dans laquelle ils reconnaissent un auxiliaire puissant. S'ils agissaient de par le démon, il y aurait ingratitude à eux de le renier, et ce dernier n'est ni assez modeste, ni assez désintéressé pour laisser à celui qu'il cherche à combattre le mérite du bien qu'il fait, car ce serait perdre ses pratiques au lieu d'en recruter. Vit-on jamais un marchand vanter à ses clients la marchandise de son voisin aux dépens de la sienne, et les engager à aller chez lui ? En vérité, on a raison de rire du diable, car on en fait un être bien niais et bien stupide.
La communication suivante a été donnée par le prince de Hohenlohe à la Société de Paris :
Société de Paris, 26 octobre 1866, méd. M. Desliens.
Messieurs, je viens parmi vous avec d'autant plus de plaisir que mes paroles peuvent devenir pour tous un utile sujet d'instruction.
Faible instrument de la Providence, j'ai pu contribuer à faire glorifier son nom, et je viens volontiers parmi ceux qui ont pour but principal de se conduire selon ses lois, et d'avancer autant qu'il est en eux dans la voie de la perfection. Vos efforts sont louables, et je me considèrerai comme très honoré d'assister quelquefois à vos travaux. Venons-en, dès à présent, aux manifestations qui ont provoqué ma présence parmi vous.
Comme vous l'avez dit à juste titre, la faculté dont j'étais doué était simplement le résultat d'une médiumnité. J'étais instrument ; les Esprits agissaient, et, si j'ai pu quelque chose, ce n'est certainement que par mon grand désir de faire le bien et par la conviction intime que tout est possible à Dieu. Je croyais !… et les guérisons que j'obtenais venaient sans cesse faire grandir ma foi.
Comme toutes les facultés médianimiques qui concourent aujourd'hui à la vulgarisation de l'enseignement spirite, la médiumnité guérissante fut exercée dans tous les temps, et par des individus appartenant aux différentes religions. ‑ Dieu sème partout ses serviteurs les plus avancés pour en faire des jalons de progrès, chez ceux mêmes qui sont les plus éloignés de la vertu, et je dirai même, chez ceux-là surtout… Comme un bon père qui aime également tous ses enfants, sa sollicitude se répand sur tous, mais plus particulièrement sur ceux qui ont le plus besoin d'appui pour avancer. ‑ C'est ainsi qu'il n'est pas rare de rencontrer des hommes doués de facultés extraordinaires pour la foule, parmi les simples ; et, par ce mot, j'entends ceux dont la pureté des sentiments n'a pas été ternie par l'orgueil et l'égoïsme. Il est vrai que la faculté peut également exister chez des gens indignes, mais elle n'est et ne saurait être que passagère ; c'est un moyen énergique de leur ouvrir les yeux : tant pis pour eux s'ils s'obstinent à les tenir fermés.
Ils rentreront dans l'obscurité d'où ils sont sortis avec la confusion et le ridicule pour cortège, si même Dieu ne punit pas dès cette vie leur orgueil et leur obstination à méconnaître sa voix.
Quelle que soit la croyance intime d'un individu, si ses intentions sont pures, et s'il est entièrement convaincu de la réalité de ce qu'il croit, il peut, au nom de Dieu, opérer de grandes choses. La foi transporte les montagnes : elle rend la vue aux aveugles et l'entendement spirituel à ceux qui erraient auparavant dans les ténèbres de la routine et de l'erreur.
Quant à la meilleure manière d'exercer la faculté de médium guérisseur, il n'y en a qu'une : C'est de rester modeste et pur, et de rapporter à Dieu et aux puissances qui dirigent la faculté tout ce qui s'accomplit.
Ce qui perd les instruments de la Providence, c'est qu'ils ne se croient pas simplement instruments ; ils veulent que leurs mérites soient en partie cause du choix qui a été fait de leur personne ; l'orgueil les enivre et le précipice s'entrouvre sous leurs pas.
Elevé dans la religion catholique, pénétré de la sainteté de ses maximes, ayant foi en son enseignement comme tous mes contemporains, je considérais comme des miracles les manifestations dont j'étais l'objet. Aujourd'hui, je sais que c'est chose toute naturelle, et qui peut, qui doit s'accorder avec l'immuabilité des lois du Créateur pour que sa grandeur et sa justice demeurent intactes.
Dieu ne saurait faire de miracles !… car ce serait alors faire présumer que la vérité n'est pas assez forte pour s'affirmer elle-même, et d'autre part, il ne serait pas logique de démontrer l'éternelle harmonie des lois de la nature en les troublant par des faits en désaccord avec leur essence.
Quant à acquérir la faculté de médium guérisseur, il n'y a point de méthode pour cela ; tout le monde peut, dans une certaine mesure, acquérir cette faculté, et, en agissant au nom de Dieu, chacun fera des guérisons. Les privilégiés augmenteront en nombre à mesure que la doctrine se vulgarisera, et, c'est tout simple, puisqu'il y aura plus d'individus animés de sentiments purs et désintéressés.
Prince de Hohenlohe.
Variétés
« La pie blanche de Dinan n'est pas plus surprenante comme phénomène que la demoiselle magnétique indiquée dans l'envoi suivant.
Monsieur,
Je viens vous signaler un fait qui pourrait présenter beaucoup d'intérêt à vos lecteurs ; si vous vouliez vous donner la peine de le vérifier, vous y trouveriez une ample matière à de nombreux articles.
Une jeune fille, mademoiselle Dumesnil, âgée de treize ans, possède un fluide d'une force attractive extraordinaire, qui fait venir à elle tous les objets en bois qui l'entourent ; ainsi, les chaises, les tables et tout ce qui est en bois se dirige instantanément vers elle ; cette faculté s'est révélée chez cette jeune fille depuis environ trois semaines ; jusqu'à présent ce phénomène extraordinaire, et qu'on n'a pu encore expliquer, ne s'est manifesté qu'aux personnes de l'entourage de cette jeune fille, les voisins, etc., qui ont constaté le fait depuis quelques jours ; la faculté surprenante de cette jeune fille s'est répandue et on m'assure qu'elle est en voie de traiter avec un entrepreneur qui se propose de faire voir publiquement ce phénomène.
Dès hier elle est allée chez un grand personnage à qui on l'a signalée ; la publicité ne peut tarder de s'emparer de cet événement, et je m'empresse de vous en prévenir pour que vous en ayez la primeur.
Cette jeune fille exerce l'état de brunisseuse et reste avec ses parents, qui sont de pauvres gens.
Dans l'espoir que vous nous expliquerez ce mystère inexplicable, je vous prie de recevoir mes salutations bien sincères.
Brunet,
Employé, maison Christofle, 56, rue de Bondy.
Je n'en sais pas plus que vous, mon cher correspondant, en fait de science magnétique, et je regarde comme une simple curiosité votre charmeuse du chêne, du hêtre et de l'acajou, à laquelle je conseille de ne brûler, cet hiver, dans la cheminée… que du charbon… »
Voilà certes un phénomène étrange, bien digne d'attention, et qui doit avoir une cause. S'il est avéré qu'il n'est le fait d'aucun subterfuge, ce dont il est facile de s'assurer, et si les lois connues sont impuissantes à l'expliquer, il est évident qu'il révèle l'existence d'une force nouvelle ; or la découverte d'un principe nouveau peut être féconde en résultats. Ce qui est au moins aussi surprenant que ce phénomène, c'est de voir des hommes d'intelligence n'avoir pour de pareils faits qu'une dédaigneuse indifférence et des railleries de mauvais goût. Il n'était pourtant question ni d'Esprits ni de Spiritisme. Quelle conviction attendre de gens qui n'en ont aucune, qui n'en recherchent et n'en désirent aucune ? Quelle étude sérieuse peut-on en espérer ? S'efforcer de les convaincre, n'est-ce pas perdre son temps, user inutilement des forces que l'on pourrait mieux employer avec les hommes de bonne volonté, qui ne manquent pas ? Nous l'avons toujours dit : Avec les gens de parti pris, qui ne veulent ni voir ni entendre, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de les laisser tranquilles et de leur prouver qu'on n'a pas besoin d'eux. Si quelque chose doit triompher de leur incrédulité, les Esprits sauront bien le trouver et l'employer quand le moment sera venu.
Pour en revenir à la jeune fille, ses parents, qui sont dans une position précaire, en voyant la sensation qu'elle produisait et le concours de gens notables qu'elle attirait, se dirent qu'il y avait sans doute là pour eux une source de fortune. Il ne faut pas leur en vouloir, car, ignorant jusqu'au nom du Spiritisme et des médiums, ils ne pouvaient comprendre les conséquences d'une exploitation de ce genre. Leur fille était pour eux un phénomène ; ils résolurent donc de l'installer sur les boulevards parmi les autres phénomènes. On fit mieux ; on l'installa au Grand-Hôtel, lieu plus convenable pour l'aristocratie productive. Mais, hélas ! les rêves dorés s'évanouirent bientôt. Les phénomènes ne se produisirent plus qu'à de rares intervalles et d'une manière si irrégulière qu'il fallut abandonner presque aussitôt le splendide séjour et retourner à l'atelier. Mettez donc en exhibition une faculté si capricieuse qui fait défaut juste au moment où les spectateurs qui ont payé leurs places sont rassemblés et attendent qu'on leur en donne pour leur argent ! En fait de phénomène, mieux vaut, pour la spéculation, avoir un enfant à deux têtes, parce qu'au moins il est toujours là. Que faire si l'on n'a pas des ficelles pour suppléer aux acteurs invisibles ? Le parti le plus honorable est de se retirer. Il paraît toutefois, d'après une lettre publiée dans un journal, que la jeune fille n'a pas entièrement perdu son pouvoir, mais il est sujet à de telles intermittences qu'il devient difficile de saisir le moment favorable.
Un de nos amis, Spirite éclairé et profond observateur, a pu être témoin du phénomène, et a été médiocrement satisfait du résultat. « Je crois, nous disait-il, à la sincérité de ces personnes, mais pour des incrédules, l'effet ne se produit pas, en ce moment, dans des conditions à défier tout soupçon. Je ne nie pas, sachant la chose possible, je constate mes impressions. Comme j'ai pris de soi-disant médiums à effets physiques en flagrant délit de fraude, je me suis rendu compte des manœuvres par lesquelles on peut simuler certains effets, et abuser les gens qui ne connaissent pas les conditions des effets réels, de sorte que je n'affirme qu'à bon escient ne m'en rapportant pas à mes yeux. Dans l'intérêt même du Spiritisme, mon premier soin est d'examiner si la fraude est possible, à l'aide de l'adresse, ou si l'effet peut être dû à une cause matérielle vulgaire. Du reste, a-t-il ajouté, on se défend là d'être Spirite, d'agir par les Esprits et même d'y croire. »
Il est à remarquer que depuis la mésaventure des frères Davenport, tous les exhibiteurs de phénomènes extraordinaires repoussent toute participation des Esprits dans leur affaire, et ils font bien ; le Spiritisme ne peut que gagner à ne pas être mêlé à ces parades. C'est un service de plus rendu par ces messieurs, car ce n'est pas par de tels moyens que le Spiritisme recrutera des prosélytes.
Une autre remarque, c'est que chaque fois qu'il s'agit de quelque manifestation spontanée ou d'un phénomène quelconque attribué à une cause occulte, on prend généralement pour experts des gens, des savants parfois, qui ne savent pas le premier mot de ce qu'ils doivent observer et qui viennent avec une idée préconçue de négation. Qui charge-t-on de décider s'il y a ou non intervention des Esprits ou une cause spirituelle ? Précisément des gens qui nient la spiritualité, qui ne croient pas aux Esprits et ne veulent pas qu'il y en ait. On est sûr d'avance de leur réponse. On se garderait bien de prendre l'avis de quiconque serait simplement soupçonné de Spiritisme, parce que, d'abord, ce serait accréditer la chose, et ensuite que l'on craindrait une solution contraire à celle qu'on veut. On ne réfléchit pas qu'un Spirite éclairé seul est apte à juger des circonstances dans lesquelles les phénomènes spirites peuvent se produire, comme un chimiste est seul apte à connaître la composition d'un corps, et qu'à cet égard les Spirites sont plus sceptiques que beaucoup de gens ; que loin d'accréditer, par complaisance, un phénomène apocryphe, ils ont tout intérêt à le signaler comme tel et à démasquer la fraude.
Il ressort toutefois de ceci une instruction : l'irrégularité même des faits est une preuve de sincérité ; s'ils étaient le résultat de quelque moyen factice, ils se produiraient à point nommé. C'est la réflexion que fait un journaliste qui était invité à aller au Grand-Hôtel ; il y avait ce jour-là quelques autres notables invités, et, malgré deux heures d'attente la jeune fille n'obtint pas le plus petit effet. « La pauvre petite, dit le journaliste, était désolée, et son visage trahissait l'inquiétude. Rassurez-vous, lui dit-il, non-seulement cet échec ne me décourage pas, mais il me porte à croire votre récit sincère. S'il y avait quelque charlatanisme ou quelque truc dans votre cas, vous n'eussiez pas manqué votre coup. Je reviendrai demain. » Il revint, en effet, cinq fois de suite sans plus de résultats ; la sixième fois elle avait quitté l'hôtel. « D'où je conclus, ajoute le journaliste, que la pauvre mademoiselle Dumesnil, après avoir bâti de beaux châteaux aux frais de ses vertus électromagnétiques, a dû reprendre sa place dans les ateliers de polissage de M. Ruolz. »
Les faits ayant été constatés, il est certain qu'il y avait en elle une disposition organique spéciale qui se prêtait à ce genre de phénomène ; mais, tout subterfuge à part, il est certain que si sa faculté eût dépendu de son organisme seul, elle l'aurait eue, comme la torpille et le gymnote, toujours à sa disposition. Puisque sa volonté, son plus ardent désir, étaient impuissants à produire le phénomène, il y avait donc dans ce fait une cause qui lui était étrangère. Quelle est cette cause ? Evidemment celle qui régit tous les effets médianimiques : le concours des Esprits sans lequel les médiums les mieux doués n'obtiennent rien. Mademoiselle Dumesnil est un exemple qu'ils ne sont aux ordres de personne. Tout éphémère qu'ait été sa faculté, elle a plus fait pour la conviction de certaines gens que si elle se fût produite à jours et heures fixes à son commandement devant le public, comme des tours de prestidigitation.
Rien, il est vrai, n'atteste d'une manière ostensible l'intervention des Esprits dans cette circonstance, car il n'y a pas d'effets intelligents, si ce n'est l'impuissance où est la jeune fille d'agir à sa volonté. La faculté, comme dans tous les effets médianimiques, est inhérente à elle ; l'exercice de la faculté peut dépendre d'une volonté étrangère. Mais en admettant même que les Esprits n'y soient pour rien, ce n'en est pas moins un phénomène destiné à appeler l'attention sur les forces fluidiques qui régissent notre organisme, et que tant de gens s'obstinent à nier.
Si cette force était ici purement électrique, elle dénoterait toutefois une importante modification dans l'électricité, puisqu'elle agit sur le bois à l'exclusion des métaux. Cela seul vaudrait bien la peine d'être étudié.
D'un autre côté, ainsi que cela est annoncé, une multitude de phénomènes se produisent, qui paraissent s'écarter des lois connues et déroutent la science dans laquelle on en cherche vainement l'explication ; les passer sous silence quand ils ont une certaine notoriété, serait chose difficile ; or ces phénomènes, qui se présentent sous les aspects les plus variés, à force de se multiplier, finissent par éveiller l'attention et peu à peu familiarisent avec l'idée d'une puissance spirituelle en dehors des forces matérielles. C'est toujours un moyen d'arriver au but ; les Esprits frappent de tous les côtés et de mille manières différentes, de sorte que les coups portent toujours sur les uns ou sur les autres.
Parmi les pensées spirites que nous trouvons dans divers journaux, nous citerons les suivantes :
Dans le discours prononcé, le 11 novembre dernier, par M. d'Eichthal, l'un des rédacteurs du Temps, sur la tombe de M. Charles Duveyrier, l'orateur s'exprime ainsi :
« Duveyrier est mort dans un calme profond, plein de confiance en Dieu, de foi dans l'éternité de la vie, fier de ses longues années consacrées à l'élaboration et au développement d'une croyance qui doit racheter tous les hommes de la misère, du désordre et de l'ignorance, certain d'avoir payé sa dette, d'avoir rendu à la génération qui le suit plus qu'il n'avait reçu de celle qui l'avait précédé ; il s'est arrêté comme un vaillant ouvrier, sa tâche achevée, laissant à d'autres le soin de la poursuivre.
« Si sa dépouille mortelle n'a point traversé les temples consacrés pour arriver au champ de repos, ce n'est pas par un injuste dédain envers d'immortelles croyances, mais c'est qu'aucune des formules qui auraient été prononcées sur sa dépouille n'aurait rendu l'idée qu'il se faisait de la vie future. Duveyrier ne désirait pas, ne croyait pas aller dans le ciel, jouir sans fin d'une béatitude personnelle, pendant que la majorité des hommes resterait condamnée à des souffrances sans espoir ; plein de Dieu et vivant en Dieu, mais lié à l'humanité, c'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre pour concourir éternellement à cette œuvre de progrès qui la rapproche incessamment de l'idéal divin. » ‑ (Le Temps, 14 nov. 1866.)
M Duveyrier avait fait partie de la secte saint-simonienne ; c'est la croyance dont il est parlé ci-dessus, et au développement de laquelle il avait consacré plusieurs années de sa vie ; mais ses idées sur l'avenir de l'âme se rapprochaient beaucoup, comme on le voit, de celles qu'enseigne la doctrine spirite. Il ne faudrait pas inférer cependant de ces paroles : « C'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre, » qu'il crût à la réincarnation ; il n'avait, sur ce point, aucune idée arrêtée ; il entendait par là que l'âme, au lieu de se perdre dans l'infini, ou de s'absorber dans une béatitude inutile, restait dans la sphère de l'humanité, au progrès de laquelle elle concourait par son influence. Mais cette idée est précisément aussi ce qu'enseigne le Spiritisme ; c'est celle du monde invisible qui nous environne ; les âmes vivent au milieu de nous, comme nous vivons au milieu d'elles. M. Duveyrier était donc, à l'encontre de la plupart de ses confrères de la presse, non-seulement profondément spiritualiste, mais aux trois quarts spirite ; que lui manquait-il pour l'être complètement ? Probablement d'avoir su ce que c'était que le Spiritisme, car il en possédait les bases fondamentales : la croyance en Dieu, en l'individualité de l'âme, sa survivance et son immortalité ; en sa présence au milieu des hommes après la mort, et son action sur eux. Que dit de plus le Spiritisme ? Que ces mêmes âmes révèlent leur présence par une action directe, et que nous sommes incessamment en communion avec elles ; il vient prouver par des faits ce qui n'était chez M. Duveyrier et chez beaucoup d'autres, qu'à l'état de théorie et d'hypothèse.
On conçoit que ceux qui ne croient qu'à la matière tangible repoussent tout, mais il est plus surprenant de voir des spiritualistes rejeter la preuve de ce qui fait le fond de leur croyance. Celui qui retraçait ainsi les pensées de M. Duveyrier sur l'avenir de l'âme, M. d'Eichthal, son ami et son coreligionnaire en saint-simonisme, qui, probablement, partageait jusqu'à un certain point ses opinions, n'en est pas moins un adversaire déclaré du Spiritisme ; il ne se doutait guère que ce qu'il disait à la louange de M. Duveyrier était tout simplement une profession de foi spirite.
Les paroles suivantes, de M. Louis Jourdan, du Siècle, à son fils, ont été reproduites par le Petit Journal du 3 septembre 1866.
« Je te sens vivant, d'une vie supérieure à la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma dernière heure, je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimés ensemble, en pensant que je vais te retrouver et te rejoindre. Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts ; je sais qu'il faudra la conquérir en travaillant courageusement à ma propre amélioration, comme à celle des autres ; je ferai du moins tout ce qu'il sera en mon pouvoir de faire pour mériter la récompense que j'ambitionne : te retrouver. Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous soutient à travers les ténèbres qui nous enveloppent. Nous apercevons un point lumineux vers lequel nous marchons résolument ; ce point est celui où tu vis, mon fils, auprès de tous ceux que j'ai aimés ici-bas et qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle. »
Quoi de plus profondément spirite que ces douces et touchantes paroles ! M. Louis Jourdan est encore plus près du Spiritisme que M. Duveyrier, car depuis longtemps il croit à la pluralité des existences terrestres, ainsi qu'on a pu le voir par la citation que nous avons faite dans la Revue de décembre 1862, page 374. Il accepte la philosophie spirite, mais non le fait des manifestations, qu'il ne repousse pas absolument, mais sur lequel il n'est pas suffisamment éclairé. C'est cependant un phénomène assez grave, quant à ses conséquences, puisque seul il peut expliquer tant de choses incomprises qui se passent sous nos yeux, pour mériter d'être approfondi par un observateur tel que lui ; car si les rapports entre le monde visible et le monde invisible existent, c'est toute une révolution dans les idées, dans les croyances, dans la philosophie ; c'est la lumière jetée sur une foule de questions obscures ; c'est l'anéantissement du matérialisme ; c'est enfin la sanction de ses plus chères espérances à l'égard de son fils. Quels éléments les hommes qui se font les champions des idées progressives et émancipatrices puiseraient dans la doctrine s'ils savaient tout ce qu'elle renferme pour l'avenir ! Il en surgira, ce n'est pas douteux, qui comprendront la puissance de ce levier et sauront la mettre à profit.
L'Evènement du 4 novembre dernier rapportait l'anecdote suivante concernant le célèbre compositeur Glück. Lors de la première représentation d'Iphigénie, le 19 avril 1774, à laquelle assistaient Louis xvi et la reine Marie-Antoinette, celle-ci voulut couronner elle-même son ancien professeur de musique. Après la représentation, Glück, mandé dans la loge du roi, fut tellement ému qu'il ne put proférer une parole et eut à peine la force de remercier la reine du regard. En apercevant Marie-Antoinette, qui portait ce soir-là un collier de rubis, Glück se redressa : Grand Dieu ! s'écria-t-il, sauvez la reine ! sauvez la reine ! du sang ! du sang ! – Où ? s'écria-t-on de tous les côtés. ‑ Du sang ! du sang ! au cou ! cria le musicien. – Marie-Antoinette était tremblante. Vite un médecin, dit-elle, mon pauvre Glück devient fou. ‑ Le musicien était tombé dans un fauteuil. Du sang ! du sang ! murmura-t-il… Sauvez l'archiduchesse Marie… sauvez la reine ! ‑ Le malheureux maestro prend votre collier pour du sang, dit le roi à Marie-Antoinette ; il a la fièvre. ‑ La reine porta la main à son cou ; elle arracha le collier, et, saisie de terreur, elle le lança loin d'elle. On emporta Glück sans connaissance.
L'auteur de l'article termine ainsi :
Voilà, cher lecteur, l'histoire que me conta à l'Opéra le musicien allemand, et que j'ai relue le lendemain dans une biographie de l'immortel auteur d'Alceste. Est-elle vraie ? Est-ce de la fantaisie ? Je l'ignore. Mais ne serait-il pas possible que les hommes de génie, dont l'esprit élevé plane au-dessus de l'humanité, eussent, à de certaines heures d'inspiration, cette faculté mystérieuse qu'on appelle la seconde vue ? (Albert Wolff.)
M. Albert Wolff a décoché plus d'une flèche au Spiritisme et aux Spirites, et le voilà qui, de lui-même, admet la possibilité de la seconde vue, et, qui plus est, de la prévision par seconde vue. Il ne se doute probablement pas à quelles conséquences aboutit la reconnaissance d'une telle faculté. Encore un qui côtoie le Spiritisme sans s'en douter, sans peut-être oser se l'avouer, et qui ne lui en jette pas moins la pierre. Si on lui disait qu'il est Spirite, il sauterait d'indignation en s'écriant : Moi ! croire aux frères Davenport ! car pour la plupart de ces messieurs, le spiritisme est tout entier dans le tour des cordes. Nous nous souvenons que l'un d'eux, à qui un correspondant reprochait de parler du Spiritisme sans le connaître, répondit dans son journal : « Vous vous trompez ; j'ai étudié le Spiritisme à l'école des frères Davenport, et la preuve, c'est que cela m'a coûté 15 francs. » Nous croyons avoir cité le fait quelque part dans la Revue. Que peut-on leur demander de plus ? Ils n'en savent pas davantage.
Le Siècle du 27 août 1866 citait les paroles suivantes de madame George Sand, à propos de la mort de M. Ferdinand Pajot :
« La mort de M. Ferdinand Pajot est un fait des plus douloureux et des plus regrettables. Ce jeune homme, doué d'une beauté remarquable et appartenant à une excellente famille, était en outre un homme de cœur et d'idées généreuses. Nous avons été à même de l'apprécier chaque fois que nous avons invoqué sa charité pour les pauvres de notre entourage. Il donnait largement, plus largement peut-être que ses ressources ne l'autorisaient à le faire, et il donnait avec spontanéité, avec confiance, avec joie. Il était sincère, indépendant, bon comme un ange. Marié depuis peu de temps à une charmante jeune femme, il sera regretté comme il le mérite. Je tiens à lui donner, après cette cruelle mort, une tendre et maternelle bénédiction : illusion si l'on veut, mais je crois que nous entrons mieux dans la vie qui suit celle-ci quand nous y arrivons escortés de l'estime et de l'affection de ceux que nous venons de quitter. »
Madame Sand est plus explicite encore dans son livre de Mademoiselle de la Quintinie. On lit, page 318 : « Monsieur l'abbé, quand vous voudrez que nous fassions un pas vers votre église, commencez par nous faire voir un concile assemblé décrétant de mensonge et de blasphème l'enfer des peines éternelles, et vous aurez le droit de nous crier : « Venez à nous, vous tous qui voulez connaître Dieu. »
Page 320 : « Demander à Dieu d'éteindre nos sens, d'endurcir notre cœur, de nous rendre haïssables les liens les plus sacrés, c'est lui demander de renier et de détruire son œuvre, de revenir sur ses pas en nous faisant revenir nous-mêmes, en nous faisant rétrograder vers les existences inférieures, au-dessous de l'animal, au-dessous de la plante, peut-être au-dessous du minéral. »
Page 323 : « Quel que soit cependant votre sort parmi nous, vous verrez clair un jour au-delà de la tombe, et, comme je ne crois pas plus aux châtiments sans fin qu'aux épreuves sans fruit, je vous annonce que nous nous retrouverons quelque part où nous nous entendrons mieux, et où nous nous aimerons au lieu de nous combattre ; mais, pas plus que vous, je ne crois à l'impunité du mal et à l'efficacité de l'erreur. Je crois donc que vous expierez l'endurcissent de votre cœur par de grands déchirements de cœur dans quelque autre existence. »
A côté de ces pensées éminemment spirites, auxquelles il ne manque que le nom qu'on s'obstine à leur refuser, on en trouve encore parfois d'autres, un peu moins sérieuses, qui rappellent le beau temps des railleries plus ou moins spirituelles sous lesquelles on pensait étouffer le Spiritisme. On en peut juger par les échantillons suivants, qui sont comme les fusées perdues du feu d'artifice.
M. Ponson de Terrail, dans son Dernier mot de Rocambole, publié en en feuilleton dans le Figaro, s'exprime ainsi :
« Cependant les Anglais en remontreraient aux Américains en matière de superstitions. Les tables tournantes, avant de faire chez nous le bonheur de cent mille imbéciles, ont passé plusieurs saisons à Londres et y ont reçu une hospitalité des plus courtoises. Petit à petit le récit du fossoyeur avait fait le tour de Hampstead, ville célèbre par ses ânes et ses âniers, et les gros bonnets de l'endroit n'avaient pas hésité un seul instant à décider que le cottage était, la nuit, hanté par des Esprits. »
M. Ponson du Terrail, qui octroie si généreusement un brevet d'imbécillité à cent mille individus, croit naturellement avoir plus d'esprit qu'eux, mais il ne croit pas avoir un Esprit en lui, sans cela il est probable qu'il ne l'enverrait pas au pays des ânes.
Mais quel rapport, dira-t-il sans doute, peut-il y avoir entre des tables tournantes et les sublimes pensées que vous avez citées tout à l'heure ? Il y a, répondrons-nous, le même rapport qui existe entre votre corps quand il valse et votre esprit qui le fait valser ; entre la grenouille qui dansait dans le plat de Galvani, et le télégraphe transatlantique ; entre la pomme qui tombe et la loi de gravitation qui régit le monde. Si Galvani et Newton n'eussent pas médité sur ces phénomènes si simples et si vulgaires, nous n'aurions pas aujourd'hui tout ce que l'industrie, les arts et les sciences en ont tiré. Si cent mille imbéciles n'eussent pas cherché la cause qui fait tourner les tables, nous ignorerions encore aujourd'hui l'existence et la nature du monde invisible qui nous entoure ; nous ne saurions d'où nous venons avant de naître, et où nous allons en mourant. Parmi ces cent mille imbéciles, beaucoup croiraient peut-être encore aux démons cornus, aux flammes éternelles, à la magie, aux sorciers et aux sortilèges. Les tables tournantes sont aux pensées sublimes sur l'avenir de l'âme ce que le germe est à l'arbre qui en est sorti : ce sont les rudiments de la science de l'homme.
On lisait dans l'Echo d'Oran du 24 avril 1866 :
« Il vient de se passer à El-Afroun un fait qui a péniblement affecté notre population. Un des plus anciens habitants de notre village, M. Pagès, vient de mourir. Vous savez qu'il était imbu des idées, ‑ j'allais dire des folies, ‑ de M. Allan Kardec et qu'il faisait profession de Spiritisme. En dehors de cette lubie, c'était un parfait honnête homme, estimé de tous ceux qui le connaissaient. Aussi, on a été très étonné d'apprendre que M. le curé ait refusé de l'enterrer, sous prétexte que le Spiritisme est contraire au christianisme. N'y a-t-il pas dans l'Evangile : « Rendez le bien pour le mal, » et si ce pauvre M. Pagès est coupable d'avoir cru au Spiritisme, n'était-ce pas une raison de plus pour prier pour lui ! »
M. Pagès, que nous connaissions par correspondance depuis longtemps, nous écrivait ceci :
« Le Spiritisme a fait de moi un tout autre homme ; avant de le connaître, j'étais comme bien d'autres ; je ne croyais à rien, et cependant je souffrais à la pensée qu'en mourant tout est fini pour nous. J'en éprouvais parfois un profond découragement, et je me demandais à quoi sert de faire le bien. Le Spiritisme m'a fait l'effet d'un rideau qui se lève pour nous montrer une décoration magnifique. Aujourd'hui je vois clair ; l'avenir n'est plus douteux, et j'en suis bien heureux ; vous dire le bonheur que j'en éprouve m'est impossible ; il me semble que je suis comme un condamné à mort à qui on vient dire qu'il ne mourra pas, et qu'il va quitter sa prison pour aller dans un beau pays vivre en liberté. N'est-ce pas, cher monsieur, que c'est l'effet que cela doit faire ? Le courage m'est revenu avec la certitude de vivre toujours, parce que j'ai compris que ce que nous en acquérons en bien n'est pas en pure perte ; j'ai compris l'utilité de faire le bien ; j'ai compris la fraternité et la solidarité qui relient tous les hommes. Sous l'empire de cette pensée, je me suis efforcé de m'améliorer. Oui, je puis vous le dire sans vanité, je me suis corrigé de bien des défauts, quoiqu'il m'en reste encore beaucoup. Je sens maintenant que je mourrai tranquille, parce que je sais que je ne ferai que changer un mauvais habit qui me gêne, contre un neuf dans lequel je serai plus à mon aise. »
Voilà donc un homme qui, aux yeux de certaines personnes, était raisonnable, sensé quand il ne croyait à rien, et qui est taxé de folie sur le seul fait d'avoir cru à l'immortalité de son âme par le Spiritisme ; et ce sont ces mêmes personnes, qui ne croient ni à l'âme ni à la prière, qui lui ont jeté la pierre pour ses croyances, de son vivant, et le poursuivent de leurs sarcasmes jusqu'après sa mort, qui invoquent l'Evangile contre l'acte d'intolérance et le refus de prières dont il a été l'objet, lui qui n'a cru à l'Evangile et à la prière que par le Spiritisme !
« Un livre, donné en prix dans un pensionnat de religieuses, nous est tombé sous la main. Nous l'avons ouvert, et le hasard nous a fait lire, entre autres curieux passages, le suivant, bien digne, nous paraît-il, d'être mis sous les yeux du lecteur. Il y est question du rôle joué par les anges. Quiconque le parcourra ne manquera certainement pas de se demander comment il est possible qu'un ouvrage renfermant de pareilles absurdités puisse trouver un éditeur ! A notre avis, celui qui imprime de semblables âneries est aussi coupable que celui qui les écrit. Oui, nous ne craignons pas de l'affirmer, auteur et imprimeur doivent être passés maîtres en crétinisme pour oser lancer de pareils défis à la raison, à la science, que disons-nous ! au plus vulgaire bon sens. Voici le passage dont il s'agit :
« Selon saint Augustin, le monde visible est gouverné par des créatures invisibles, par de purs Esprits, et même il y a des anges qui président à chaque chose visible, à toutes les espèces de créatures qui sont dans le monde, soit qu'elles soient animées, soit qu'elles soient inanimées.
Les cieux et les astres ont leurs anges moteurs ; les eaux ont un ange particulier, comme il est rapporté en l'Apocalypse ; l'air a ses anges qui gouvernent les vents, comme il se voit dans le même livre, qui nous apprend de plus que l'élément du feu a aussi les siens. Les royaumes ont leurs anges ; les provinces en ont aussi qui les gardent, comme on le remarque dans la Genèse, car les anges qui apparurent à Jacob étaient les gardiens des provinces par où il passait, etc. »
On peut juger par cet échantillon du genre de lecture que fait la jeunesse élevée dans les couvents. Est-il possible de concevoir, ‑ on nous passera l'expression, ‑ quelque chose de plus profondément stupide ?
Pour combler la mesure, l'éditeur fait précéder l'ouvrage d'un avertissement où l'on peut lire ces lignes : « Dans son livre, qui ne convient pas moins aux ecclésiastiques qu'aux laïques, l'auteur déploie une force de raison et de style qui éclaire et assujettit l'esprit ; de sa plume découle une onction qui pénètre et gagne le cœur. C'est l'œuvre d'un homme profondément versé dans la spiritualité. »
Nous disons, nous : c'est l'œuvre d'un homme devenu fou d'ascétisme, bien plus à plaindre qu'à blâmer. »
Jusqu'à présent saint Augustin a été respecté de ceux mêmes qui ne partagent pas ses croyances. Malgré des erreurs manifestes qui tenaient à l'état des connaissances scientifiques de son temps, il est universellement considéré comme un des génies, une des gloires de l'humanité, et voilà que d'un trait de plume, un obscur écrivain, un de ces jeunes hommes qui se croient la lumière du monde, jette la boue sur cette renommée séculaire, prononce contre lui, de par sa haute raison, l'accusation de crétinisme, et cela parce que saint Augustin croyait à des créatures invisibles, à de purs Esprits présidant à toutes les choses visibles. A ce compte-là, que de crétins n'y a-t-il pas parmi les littérateurs contemporains les plus estimés ! Nous ne serions pas surpris de voir un jour accuser de crétinisme Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, George Sand et tant d'autres. Voilà l'école qui aspire à régénérer la société par le matérialisme ; aussi prétend-elle que l'humanité tourne à la démence ; mais on peut être tranquille, son règne, si jamais il arrivait, sera de courte durée. Elle sent bien sa faiblesse contre l'opinion générale qui la repousse, c'est pourquoi elle s'agite avec une sorte de frénésie.
Notices bibliographiques
Bien que, par sa spécialité, ce livre semble étranger aux matières qui nous occupent, il s'y rattache néanmoins par le principe même sur lequel il s'appuie, car l'auteur fait carrément intervenir le principe spiritualiste dans la science la plus entachée de matérialisme. Il ne fait pas de la spiritualité mystique comme quelques-uns la comprennent, mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la spiritualité positive et scientifique. Il s'attache à démontrer l'existence du principe spirituel qui est en nous, sa connexion avec l'organisme à l'aide du lien fluidique qui les unit, le rôle important que ces deux éléments jouent dans l'économie, les erreurs inévitables dans lesquelles tombent forcément les médecins qui rapportent tout à la matière, et les lumières dont ils se privent en négligeant le principe spirituel. Le passage suivant indique suffisamment le point de vue sous lequel il envisage la question.
« En somme, dit-il (page 34), la constitution humaine résulte :
1° D'un principe spirituel, indépendant, ou âme immortelle ;
2° D'un corps fluidique permanent ;
3° D'un organisme matériel, dissoluble, animé pendant la vie par un fluide spécial.
« L'union temporaire du premier de ces éléments constitutifs avec le troisième s'opère par la combinaison de leurs fluides respectifs (fluide périsprital et fluide vital), d'où résulte un fluide mixte qui, en même temps qu'il pénètre tout le corps, rayonne autour de lui, parfois à de grandes distances et à travers tous les obstacles, ainsi que le démontrent les phénomènes magnétiques, somnambuliques et autres, que le matérialisme de toutes les couleurs repousse avec un dédain superbe sous prétexte de merveilleux et de jonglerie, parce qu'ils viennent battre en brèche ses théories insensées. »
De l'action de l'élément fluidique sur l'organisme, il arrive à la démonstration, en quelque sorte mathématique, de la puissance d'action des quantités infinitésimales sur l'économie. Cette démonstration nous a paru nouvelle, et l'une des plus claires que nous ayons lues. Nous laissons aux hommes spéciaux l'appréciation de la partie technique que nous ne discutons pas ; mais au point de vue philosophique, cet ouvrage est une des premières applications à la science positive des lois révélées par le Spiritisme, et, à ce titre, il a sa place marquée dans les bibliothèques spirites. Quoique le nom du Spiritisme ne soit pas même prononcé, l'auteur peut être assuré de n'avoir pas l'approbation des gens qui ont un parti pris de négation sur tout ce qui touche à la spiritualité.
_____________________________
(1) Vol.in-12, prix 3fr. Tours, chez Guilland-Verger. — Paris, chez Baillère,19, rue Hautefeuillc.
_________________________________
(1) 1 vol. in-8°, traduit du russe, prix: 4fr. — Paris, chez Reinwald, 15, rue des Saints-Pères.
Nécrologie : Madame Dozon ; M. Fournier ; M. D'Ambel.
Le spiritisme vient de perdre une de ses plus ferventes adeptes dans la personne de madame Dozon, veuve de M. Henri Dozon, auteur de plusieurs ouvrages sur le spiritisme, mort le 1er août 1865. Elle est décédée à Passy, le 22 novembre 1866.
Madame Dozon, atteinte d'une maladie organique incurable, était depuis longtemps dans un état de dépérissement et de souffrance extrêmes, et voyait chaque jour la mort s'approcher ; elle l'envisageait avec la sérénité d'une âme pure, qui a la conscience de n'avoir fait que le bien, et profondément convaincue que ce n'était que le passage d'une vie d'épreuves à une vie meilleure, au seuil de laquelle elle allait trouver, pour la recevoir, son cher mari et ceux qu'elle avait aimés. Ses prévisions n'ont point été déçues ; la vie spirituelle, à laquelle elle était initiée, a réalisé toutes ses espérances et au-delà. Elle y recueille les fruits de sa foi, de son dévouement, de sa charité envers ceux qui lui ont fait du mal, de sa résignation dans la souffrance, et du courage avec lequel elle a soutenu ses croyances contre ceux qui lui en faisaient un crime. Si, chez elle, le corps était affaibli, l'Esprit avait conservé toute sa force, toute sa lucidité jusqu'au dernier moment ; elle est morte avec toute sa connaissance, comme quelqu'un qui part en voyage, n'emportant avec elle aucune trace de fiel contre ceux dont elle avait eu à se plaindre. Son dégagement a été rapide, et le trouble de courte durée ; aussi a-t-elle pu se manifester avant même l'inhumation. Sa mort et son réveil ont été ceux d'un Spirite de cœur, qui s'est efforcé de mettre en pratique les préceptes de la doctrine.
Sa seule appréhension était d'être enterrée vivante, et cette pensée l'a poursuivie jusqu'à la fin. « Il me semble, disait-elle, que je me vois dans la fosse, et que j'étouffe sous la terre que j'entends tomber sur moi. » Depuis sa mort elle a expliqué cette crainte en disant que, dans sa précédente existence, elle était morte ainsi, et que la terrible impression que son Esprit en avait ressentie, s'était réveillée au moment de mourir de nouveau.
Aucune prière spirite n'a été dite ostensiblement sur sa tombe, pour ne pas froisser certaines susceptibilités, mais la Société spirite de Paris, dont elle avait fait partie, s'est réunie au lieu de ses séances, après la cérémonie funèbre, pour lui renouveler le témoignage de ses sympathies.
Le Spiritisme a vu partir un autre de ses représentants dans la personne de M. Fornier-Duplan, ancien négociant, décédé à Rochefort-sur-Mer, le 22 octobre 1866. M. Fornier-Duplan était depuis longtemps un adepte sincère et dévoué, comprenant le véritable but de la doctrine dont il s'efforçait de mettre en pratique les enseignements. C'était un homme de bien, aimé et estimé de tous ceux qui l'ont connu, un de ceux que le Spiritisme s'honore de compter dans ses rangs ; les malheureux perdent en lui un soutien. Il avait puisé dans ses croyances le remède contre le doute sur l'avenir, le courage dans les épreuves de la vie, et le calme de ses derniers instants. Comme madame Dozon et tant d'autres, il est parti plein de confiance en Dieu, sans appréhension de l'inconnu, car il savait où il allait, et sa conscience lui donnait l'espoir d'y être accueilli avec sympathie par les bons Esprits. Son espérance n'a pas été trompée non plus, et les communications qu'il a données prouvent qu'il y occupe la place réservée aux hommes de bien.
Une mort qui nous a surpris autant qu'affligé, est celle de M. d'Ambel, ancien directeur du journal l'Avenir, décédé le 17 novembre 1866. Ses obsèques ont eu lieu à l'église Notre-Dame de Lorette, sa paroisse. La malveillance des journaux qui en ont parlé s'est révélée, en cette circonstance, d'une manière regrettable, par leur affectation à faire ressortir, à exagérer, à envenimer, comme s'ils prenaient plaisir à retourner le fer dans la plaie, tout ce que cette mort pouvait avoir de pénible, sans égard pour les susceptibilités de famille, oubliant jusqu'au respect que l'on doit aux morts, quelles qu'aient été leurs opinions ou leurs croyances de leur vivant. Ces mêmes journaux eussent crié au scandale et à la profanation contre quiconque eût parlé de cette manière d'un des leurs ; mais nous avons vu, par la citation que nous avons faite plus haut, à propos de la mort de M. Pagès, que la tombe même n'est pas respectée par certains adversaires du Spiritisme.
Les hommes impartiaux rendront toutefois aux Spirites la justice de reconnaître que jamais ceux-ci ne se sont écartés du respect, des convenances et des lois de la charité, à la mort de ceux qui avaient été leurs plus grands ennemis, et qui les avaient attaqués avec le moins de ménagements ; ils se contentent de prier pour eux.
Nous avons vu avec plaisir le journal le Pays, du 25 novembre, quoique dans un article peu sympathique à la doctrine, relever avec énergie ce manque de procédé de quelques-uns de ses confrères, et blâmer, comme elle le mérite, l'immixtion de la publicité dans les choses intimes de la famille. Le Siècle du 19 novembre avait aussi rendu compte de l'événement avec tous les ménagements désirables. Nous ajouterons que le défunt ne laisse point d'enfants, et que sa veuve s'est retirée dans sa famille.
Le numéro de janvier sera, comme d'habitude, adressé à tous les anciens abonnés ; les numéros suivants ne le seront qu'au fur et à mesure des renouvellements.
Allan Kardec.