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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866 > Octobre
Octobre
Les temps sont arrivés
Les temps marqués par Dieu sont arrivés,
nous dit-on de toutes parts, où de grands événements vont s'accomplir pour la
régénération de l'humanité. Dans quel sens faut-il entendre ces paroles
prophétiques ? Pour les incrédules, elles n'ont aucune importance ; à
leurs yeux, ce n'est que l'expression d'une croyance puérile sans
fondement ; pour le plus grand nombre des croyants, elles ont quelque
chose de mystique et de surnaturel qui leur semble être l'avant-coureur du
bouleversement des lois de la nature. Ces deux interprétations sont également
erronées : la première en ce qu'elle implique la négation de la
Providence, et que les faits accomplis prouvent la vérité de ces paroles ;
la seconde, en ce que celles-ci n'annoncent pas la perturbation des lois de la
nature, mais leur accomplissement. Cherchons-en donc le sens le plus rationnel.
Tout est harmonie dans l'œuvre de la création, tout révèle une prévoyance qui ne se dément ni dans les plus petites choses ni dans les plus grandes ; nous devons donc d'abord écarter toute idée de caprice inconciliable avec la sagesse divine ; en second lieu, si notre époque est marquée pour l'accomplissement de certaines choses, c'est qu'elles ont leur raison d'être dans la marche générale de l'ensemble.
Ceci posé, nous dirons que notre globe, comme tout ce qui existe, est soumis à la loi du progrès. Il progresse physiquement par la transformation des éléments qui le composent, et moralement par l'épuration des Esprits incarnés et désincarnés qui le peuplent. Ces deux progrès se suivent et marchent parallèlement, car la perfection de l'habitation est en rapport avec celle de l'habitant. Physiquement, le globe a subi des transformations, constatées par la science, et qui l'ont successivement rendu habitable par des êtres de plus en plus perfectionnés ; moralement, l'humanité progresse par le développement de l'intelligence, du sens moral et l'adoucissement des mœurs. En même temps que l'amélioration du globe s'opère sous l'empire des forces matérielles, les hommes y concourent par les efforts de leur intelligence ; ils assainissent les contrées insalubres, rendent les communications plus faciles et la terre plus productive.
Ce double progrès s'accomplit de deux manières : l'une lente, graduelle et insensible ; l'autre par des changements plus brusques, à chacun desquels s'opère un mouvement ascensionnel plus rapide qui marque, par des caractères tranchés, les périodes progressives de l'humanité. Ces mouvements, subordonnés dans les détails au libre arbitre des hommes, sont en quelque sorte fatals dans leur ensemble, parce qu'ils sont soumis à des lois, comme ceux qui s'opèrent dans la germination, la croissance et la maturité des plantes, attendu que le but de l'humanité est le progrès, nonobstant la marche retardataire de quelques individualités ; c'est pourquoi le mouvement progressif est quelquefois partiel, c'est-à-dire borné à une race ou à une nation, d'autres fois général. Le progrès de l'humanité s'effectue donc en vertu d'une loi ; or, comme toutes les lois de la nature sont l'œuvre éternelle de la sagesse et de la prescience divines, tout ce qui est l'effet de ces lois est le résultat de la volonté de Dieu, non d'une volonté accidentelle et capricieuse, mais d'une volonté immuable. Lors donc que l'humanité est mûre pour franchir un degré, on peut dire que les temps marqués par Dieu sont arrivés, comme on peut dire aussi qu'en telle saison ils sont arrivés pour la maturité des fruits et la récolte.
De ce que le mouvement progressif de l'humanité est inévitable, parce qu'il est dans la nature, il ne s'ensuit pas que Dieu y soit indifférent, et qu'après avoir établi des lois, il soit rentré dans l'inaction, laissant les choses aller toutes seules. Ses lois sont éternelles et immuables, sans doute, mais parce que sa volonté elle-même est éternelle et constante, et que sa pensée anime toutes choses sans interruption ; sa pensée qui pénètre tout, est la force intelligente et permanente qui maintient tout dans l'harmonie ; que cette pensée cessât un seul instant d'agir, et l'univers serait comme une horloge sans balancier régulateur. Dieu veille donc incessamment à l'exécution de ses lois, et les Esprits qui peuplent l'espace sont ses ministres chargés des détails, selon les attributions afférentes à leur degré d'avancement.
L'univers est à la fois un mécanisme incommensurable conduit par un nombre non moins incommensurable d'intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d'action sous l'œil du souverain Maître, dont la volonté unique maintient partout l'unité. Sous l'empire de cette vaste puissance régulatrice tout se meut, tout fonctionne dans un ordre parfait ; ce qui nous semble des perturbations sont les mouvements partiels et isolés qui ne nous paraissent irréguliers que parce que notre vue est circonscrite. Si nous pouvions en embrasser l'ensemble, nous verrions que ces irrégularités ne sont qu'apparentes et qu'elles s'harmonisent dans le tout.
La prévision des mouvements progressifs de l'humanité n'a rien de surprenant chez des êtres dématérialisés qui voient le but où tendent toutes choses, dont quelques-uns possèdent la pensée directe de Dieu, et qui jugent, aux mouvements partiels, le temps auquel pourra s'accomplir un mouvement général, comme on juge d'avance le temps qu'il faut à un arbre pour porter des fruits, comme les astronomes calculent l'époque d'un phénomène astronomique par le temps qu'il faut à un astre pour accomplir sa révolution.
Mais tous ceux qui annoncent ces phénomènes, les auteurs d'almanachs qui prédisent les éclipses et les marées, ne sont certes pas en état de faire eux-mêmes les calculs nécessaires ; ils ne sont que des échos ; ainsi en est-il des Esprits secondaires dont la vue est bornée, et qui ne font que répéter ce qu'il a plu aux Esprits supérieurs de leur révéler.
L'humanité a accompli jusqu'à ce jour d'incontestables progrès ; les hommes, par leur intelligence, sont arrivés à des résultats qu'ils n'avaient jamais atteints sous le rapport des sciences, des arts et du bien-être matériel ; il leur en reste encore un immense à accomplir : c'est de faire régner entre eux la charité, la fraternité et la solidarité, pour assurer leur bien-être moral. Ils ne le pouvaient ni avec leurs croyances, ni avec leurs institutions surannées, restes d'un autre âge, bonnes à une certaine époque, suffisantes pour un état transitoire, mais qui, ayant donné ce qu'elles comportaient, seraient un point d'arrêt aujourd'hui. Tel un enfant est stimulé par des mobiles, impuissants quand vient l'âge mûr. Ce n'est plus seulement le développement de l'intelligence qu'il faut aux hommes, c'est l'élévation du sentiment, et pour cela il faut détruire tout ce qui pouvait surexciter en eux l'égoïsme et l'orgueil.
Telle est la période où ils vont entrer désormais, et qui marquera une des phases principales de l'humanité. Cette phase qui s'élabore en ce moment est le complément nécessaire de l'état précédent, comme l'âge viril est le complément de la jeunesse ; elle pouvait donc être prévue et prédite d'avance, et c'est pour cela qu'on dit que les temps marqués par Dieu sont arrivés.
En ce temps-ci, il ne s'agit pas d'un changement partiel, d'une rénovation bornée à une contrée, à un peuple, à une race ; c'est un mouvement universel qui s'opère dans le sens du progrès moral. Un nouvel ordre de choses tend à s'établir, et les hommes qui y sont le plus opposés y travaillent à leur insu ; la génération future, débarrassée des scories du vieux monde et formée d'éléments plus épurés, se trouvera animée d'idées et de sentiments tout autres que la génération présente qui s'en va à pas de géant. Le vieux monde sera mort, et vivra dans l'histoire comme aujourd'hui les temps du moyen âge avec leurs coutumes barbares et leurs croyances superstitieuses.
Du reste, chacun sait que l'ordre de choses actuel laisse à désirer ; après avoir, en quelque sorte, épuisé le bien-être matériel qui est le produit de l'intelligence, on arrive à comprendre que le complément de ce bien-être ne peut être que dans le développement moral. Plus on avance, plus on sent ce qui manque, sans cependant pouvoir encore le définir clairement : c'est l'effet du travail intime qui s'opère pour la régénération ; on a des désirs, des aspirations qui sont comme le pressentiment d'un état meilleur.
Mais un changement aussi radical que celui qui s'élabore ne peut s'accomplir sans commotion ; il y a lutte inévitable entre les idées, et qui dit lutte, dit alternative de succès et de revers ; cependant, comme les idées nouvelles sont celles du progrès et que le progrès est dans les lois de la nature, elles ne peuvent manquer de l'emporter sur les idées rétrogrades. De ce conflit naîtront forcément des perturbations temporaires, jusqu'à ce que le terrain soit déblayé des obstacles qui s'opposent à l'érection du nouvel édifice social. C'est donc de la lutte des idées que surgiront les graves événements annoncés, et non de cataclysmes, ou catastrophes purement matérielles. Les cataclysmes généraux étaient la conséquence de l'état de formation de la terre ; aujourd'hui ce ne sont plus les entrailles du globe qui s'agitent, ce sont celles de l'humanité.
L'humanité est un être collectif en qui s'opèrent les mêmes révolutions morales que dans chaque être individuel, avec cette différence que les unes s'accomplissent d'année en année, et les autres de siècle en siècle. Qu'on la suive dans ses évolutions à travers les temps, et l'on verra la vie des diverses races marquée par des périodes qui donnent à chaque époque une physionomie particulière.
A côté des mouvements partiels, il y a un mouvement général qui donne l'impulsion à l'humanité tout entière ; mais le progrès de chaque partie de l'ensemble est relatif à son degré d'avancement. Telle serait une famille composée de plusieurs enfants dont le plus jeune est au berceau et l'aîné âgé de dix ans, par exemple. Dans dix ans, l'aîné en aura vingt et sera un homme ; le plus jeune en aura dix et, quoique plus avancé, sera encore un enfant ; mais à son tour il deviendra un homme. Ainsi en est-il des différentes fractions de l'humanité ; les plus arriérées avancent, mais ne sauraient d'un bond atteindre le niveau des plus avancées.
L'humanité, devenue adulte, a de nouveaux besoins, des aspirations plus larges, plus élevées ; elle comprend le vide des idées dont elle a été bercée, l'insuffisance de ses institutions pour son bonheur ; elle ne trouve plus dans l'état des choses les satisfactions légitimes auxquelles elle se sent appelée ; c'est pourquoi elle secoue ses langes, et s'élance, poussée par une force irrésistible, vers des rivages inconnus, à la découverte de nouveaux horizons moins bornés. Et c'est au moment où elle se trouve trop à l'étroit dans sa sphère matérielle, où la vie intellectuelle déborde, où le sentiment de la spiritualité s'épanouit, que des hommes, de prétendus philosophes, espèrent combler le vide par les doctrines du néantisme et du matérialisme ! Étrange aberration ! Ces mêmes hommes qui prétendent la pousser en avant, s'efforcent de la circonscrire dans le cercle étroit de la matière d'où elle aspire à sortir ; ils lui ferment l'aspect de la vie infinie, et lui disent, en lui montrant la tombe : Nec plus ultrà !
La marche progressive de l'humanité s'opère de deux manières, comme nous l'avons dit : l'une graduelle, lente, insensible, si l'on considère les époques rapprochées, qui se traduit par des améliorations successives dans les mœurs, les lois, les usages, et ne s'aperçoit qu'à la longue, comme les changements que les courants d'eau apportent à la surface du globe ; l'autre, par un mouvement relativement brusque, rapide, semblable à celui d'un torrent rompant ses digues, qui lui fait franchir en quelques années l'espace qu'elle eût mis des siècles à parcourir. C'est alors un cataclysme moral qui engloutit en quelques instants les institutions du passé, et auquel succède un nouvel ordre de choses qui s'assied peu à peu, à mesure que le calme se rétablit, et devient définitif.
A celui qui vit assez longtemps pour embrasser les deux versants de la nouvelle phase, il semble qu'un monde nouveau soit sorti des ruines de l'ancien ; le caractère, les mœurs, les usages, tout est changé ; c'est qu'en effet des hommes nouveaux, ou mieux régénérés, ont surgi ; les idées emportées par la génération qui s'éteint ont fait place à des idées nouvelles dans la génération qui s'élève.
C'est à l'une de ces périodes de transformation, ou, si l'on veut, de croissance morale, qu'est parvenue l'humanité. De l'adolescence elle passe à l'âge viril ; le passé ne peut plus suffire à ses nouvelles aspirations, à ses nouveaux besoins ; elle ne peut plus être conduite par les mêmes moyens ; elle ne se paye plus d'illusions et de prestiges : il faut à sa raison mûrie des aliments plus substantiels. Le présent est trop éphémère ; elle sent que sa destinée est plus vaste et que la vie corporelle est trop restreinte pour la renfermer tout entière ; c'est pourquoi elle plonge ses regards dans le passé et dans l'avenir afin d'y découvrir le mystère de son existence et d'y puiser une consolante sécurité.
Quiconque a médité sur le Spiritisme et ses conséquences, et ne le circonscrit pas dans la production de quelques phénomènes, comprend qu'il ouvre à l'humanité une voie nouvelle, et lui déroule les horizons de l'infini ; en l'initiant aux mystères du monde invisible, il lui montre son véritable rôle dans la création, rôle perpétuellement actif, aussi bien à l'état spirituel qu'a l'état corporel. L'homme ne marche plus en aveugle : il sait d'où il vient, où il va et pourquoi il est sur la terre. L'avenir se montre à lui dans sa réalité, dégagé des préjugés de l'ignorance et de la superstition ; ce n'est plus une vague espérance : c'est une vérité palpable, aussi certaine pour lui que la succession du jour et de la nuit. Il sait que son être n'est pas limité à quelques instants d'une existence dont la durée est soumise au caprice du hasard ; que la vie spirituelle n'est point interrompue par la mort ; qu'il a déjà vécu, qu'il revivra encore, et que de tout ce qu'il acquiert en perfection par le travail, rien n'est perdu ; il trouve dans ses existences antérieures la raison de ce qu'il est aujourd'hui, et de ce qu'il se fait aujourd'hui, il peut conclure ce qu'il sera un jour.
Avec la pensée que l'activité et la coopération individuelles à l'œuvre générale de la civilisation sont limitées à la vie présente, que l'on n'a rien été et que l'on ne sera rien, que fait à l'homme le progrès ultérieur de l'humanité ? Que lui importe qu'à l'avenir les peuples soient mieux gouvernés, plus heureux, plus éclairés, meilleurs les uns pour les autres ? Puisqu'il n'en doit retirer aucun fruit, ce progrès n'est-il pas perdu pour lui ? Que lui sert de travailler pour ceux qui viendront après lui, s'il ne doit jamais les connaître, si ce sont des êtres nouveaux qui peu après rentreront eux-mêmes dans le néant ? Sous l'empire de la négation de l'avenir individuel, tout se rapetisse forcément aux mesquines proportions du moment et de la personnalité.
Mais, au contraire, quelle amplitude donne à la pensée de l'homme la certitude de la perpétuité de son être spirituel ! quelle force, quel courage n'y puise-t-il pas contre les vicissitudes de la vie matérielle ! Quoi de plus rationnel, de plus grandiose, de plus digne du Créateur que cette loi d'après laquelle la vie spirituelle et la vie corporelle ne sont que deux modes d'existence qui s'alternent pour l'accomplissement du progrès ! Quoi de plus juste et de plus consolant que l'idée des mêmes êtres progressant sans cesse, d'abord à travers les générations d'un même monde, et ensuite de monde en monde jusqu'à la perfection, sans solution de continuité ! Toutes les actions ont alors un but, car, en travaillant pour tous, on travaille pour soi, et réciproquement ; de sorte que ni le progrès individuel ni le progrès général ne sont jamais stériles ; il profite aux générations et aux individualités futures, qui ne sont autres que les générations et les individualités passées, arrivées à un plus haut degré d'avancement.
La vie spirituelle est la vie normale et éternelle de l'Esprit, et l'incarnation n'est qu'une forme temporaire de son existence. Sauf le vêtement extérieur, il y a donc identité entre les incarnés et les désincarnés ; ce sont les mêmes individualités sous deux aspects différents, appartenant tantôt au monde visible, tantôt au monde invisible, se retrouvant soit dans l'un, soit dans l'autre, concourant dans l'un et dans l'autre au même but, par des moyens appropriés à leur situation.
De cette loi découle celle de la perpétuité des rapports entre les êtres ; la mort ne les sépare point, et ne met point de terme à leurs relations sympathiques, ni à leurs devoirs réciproques. De là la solidarité de tous pour chacun, et de chacun pour tous ; de là aussi la fraternité. Les hommes ne vivront heureux sur la terre que lorsque ces deux sentiments seront entrés dans leurs cœurs et dans leurs mœurs, car alors ils y assujettiront leurs lois et leurs institutions. Ce sera là un des principaux résultats de la transformation qui s'opère.
Mais comment concilier les devoirs de la solidarité et de la fraternité avec la croyance que la mort rend à tout jamais les hommes étrangers les uns aux autres ? Par la loi de la perpétuité des rapports qui lient tous les êtres, le Spiritisme fonde ce double principe sur les lois mêmes de la nature ; il en fait non-seulement un devoir, mais une nécessité. Par celle de la pluralité des existences, l'homme se rattache à ce qui s'est fait et à ce qui se fera, aux hommes du passé et à ceux de l'avenir ; il ne peut plus dire qu'il n'a plus rien de commun avec ceux qui meurent, puisque les uns et les autres se retrouvent sans cesse, dans ce monde et dans l'autre, pour gravir ensemble l'échelle du progrès et se prêter un mutuel appui. La fraternité n'est plus circonscrite à quelques individus que le hasard rassemble pendant la durée éphémère de la vie ; elle est perpétuelle comme la vie de l'Esprit, universelle comme l'humanité, qui constitue une grande famille dont tous les membres sont solidaires les uns des autres, quelle que soit l'époque à laquelle ils ont vécu.
Telles sont les idées qui ressortent du Spiritisme, et qu'il suscitera parmi tous les hommes, quand il sera universellement répandu, compris, enseigné et pratiqué. Avec le Spiritisme, la fraternité, synonyme de la charité prêchée par le Christ, n'est plus un vain mot ; elle a sa raison d'être. Du sentiment de la fraternité naît celui de la réciprocité et des devoirs sociaux, d'homme à homme, de peuple à peuple, de race à race ; de ces deux sentiments bien compris sortiront forcément les institutions les plus profitables au bien-être de tous.
La fraternité doit être la pierre angulaire du nouvel ordre social ; mais il n'y a pas de fraternité réelle, solide et effective si elle n'est appuyée sur une base inébranlable ; cette base c'est la foi ; non la foi en tels ou tels dogmes particuliers qui changent avec les temps et les peuples et se jettent la pierre, car en s'anathématisant ils entretiennent l'antagonisme ; mais la foi dans les principes fondamentaux que tout le monde peut accepter : Dieu, l'âme, l'avenir, le progrÈs individuel indéfini, la perpétuité des rapports entre les Êtres. Quand tous les hommes seront convaincus que Dieu est le même pour tous, que ce Dieu, souverainement juste et bon, ne peut rien vouloir d'injuste, que le mal vient des hommes et non de lui, ils se regarderont comme les enfants d'un même père et se tendront la main. C'est cette foi que donne le Spiritisme, et qui sera désormais le pivot sur lequel se mouvra le genre humain, quelles que soient leur manière de l'adorer et leurs croyances particulières, que le Spiritisme respecte, mais dont il n'a pas à s'occuper. De cette foi seule peut sortir le véritable progrès moral, parce que seule elle donne une sanction logique aux droits légitimes et aux devoirs ; sans elle, le droit est celui que donne la force ; le devoir, un code humain imposé par la contrainte. Sans elle, qu'est-ce que l'homme ? un peu de matière qui se dissout, un être éphémère qui ne fait que passer ; le génie même n'est qu'une étincelle qui brille un instant pour s'éteindre à tout jamais ; il n'y a certes pas là de quoi le relever beaucoup à ses propres yeux. Avec une telle pensée, où sont réellement les droits et les devoirs ? quel est le but du progrès ? Seule, cette foi fait sentir à l'homme sa dignité par la perpétuité et la progression de son être, non dans un avenir mesquin et circonscrit à la personnalité, mais grandiose et splendide ; sa pense l'élève au-dessus de la terre ; il se sent grandir en songeant qu'il a son rôle dans l'univers, et que cet univers est son domaine qu'il pourra un jour parcourir, et que la mort ne fera pas de lui une nullité, ou un être inutile à lui-même et aux autres.
Le progrès intellectuel accompli jusqu'à ce jour dans les plus vastes proportions est un grand pas, et marque la première phase de l'humanité, mais seul il est impuissant à la régénérer ; tant que l'homme sera dominé par l'orgueil et l'égoïsme, il utilisera son intelligence et ses connaissances au profit de ses passions et de ses intérêts personnels ; c'est pourquoi il les applique au perfectionnement des moyens de nuire aux autres et de s'entre-détruire. Le progrès moral seul peut assurer le bonheur des hommes sur la terre en mettant un frein aux mauvaises passions ; seul, il peut faire régner entre eux la concorde, la paix, la fraternité. C'est lui qui abaissera les barrières des peuples, qui fera tomber les préjugés de caste, et taire les antagonismes de sectes, en apprenant aux hommes à se regarder comme des frères appelés à s'entraider et non à vivre aux dépens les uns des autres. C'est encore le progrès moral, secondé ici par le progrès de l'intelligence, qui confondra les hommes dans une même croyance, établie sur les vérités éternelles, non sujettes à discussion et par cela même acceptées par tous. L'unité de croyance sera le lien le plus paissant, le plus solide fondement de la fraternité universelle, brisée de tous temps par les antagonismes religieux qui divisent les peuples et les familles, qui font voir dans le prochain des ennemis qu'il faut fuir, combattre, exterminer, au lieu de frères qu'il faut aimer.
Un tel état de choses suppose un changement radical dans le sentiment des masses, un progrès général qui ne pouvait s'accomplir qu'en sortant du cercle des idées étroites et terre à terre qui fomentent l'égoïsme. A diverses époques, des hommes d'élite ont cherché à pousser l'humanité dans cette voie ; mais l'humanité, encore trop jeune, est restée sourde, et leurs enseignements ont été comme la bonne semence tombée sur la pierre. Aujourd'hui, elle est mûre pour porter ses regards plus hauts qu'elle ne l'a fait, pour s'assimiler des idées plus larges et comprendre ce qu'elle n'avait pas compris. La génération qui disparaît emportera avec elle ses préjugés et ses erreurs ; la génération qui s'élève, trempée à une source plus épurée, imbue d'idées plus saines, imprimera au monde le mouvement ascensionnel dans le sens du progrès moral qui doit marquer la nouvelle phase de l'humanité. Cette phase se révèle déjà par des signes non équivoques, par des tentatives de réformes utiles, par les idées grandes et généreuses qui se font jour et qui commencent à trouver des échos. C'est ainsi qu'on voit se fonder une foule d'institutions protectrices, civilisatrices et émancipatrices, sous l'impulsion et par l'initiative d'hommes évidemment prédestinés à l'œuvre de la régénération ; que les lois pénales s'imprègnent chaque jour d'un sentiment plus humain. Les préjugés de races s'affaiblissent, les peuples commencent à se regarder comme les membres d'une grande famille ; par l'uniformité et la facilité des moyens de transaction, ils suppriment les barrières qui les divisaient de toutes les parties du monde, ils se réunissent en comices universels pour les tournois pacifiques de l'intelligence. Mais il manque à ces réformes une base pour se développer, se compléter et se consolider, une prédisposition morale plus générale pour fructifier et se faire accepter des masses. Ce n'en est pas moins un signe caractéristique du temps, le prélude de ce qui s'accomplira sur une plus vaste échelle, à mesure que le terrain deviendra plus propice.
Un signe non moins caractéristique de la période où nous entrons, c'est la réaction évidente qui s'opère dans le sens des idées spiritualistes, une répulsion instinctive se manifeste contre les idées matérialistes dont les représentants deviennent moins nombreux ou moins absolus. L'esprit d'incrédulité qui s'était emparé des masses, ignorantes ou éclairées, et leur avait fait rejeter, avec la forme, le fond même de toute croyance, semble avoir été un sommeil au sortir duquel on éprouve le besoin de respirer un air plus vivifiant. Involontairement, où le vide s'est fait on cherche quelque chose, un point d'appui, une espérance.
Dans ce grand mouvement régénérateur, le Spiritisme a un rôle considérable, non le Spiritisme ridicule inventé par une critique railleuse, mais le Spiritisme philosophique, tel que le comprend quiconque se donne la peine de chercher l'amande sous l'écorce. Par les preuves qu'il apporte des vérités fondamentales, il comble le vide que l'incrédulité fait dans les idées et les croyances ; par la certitude qu'il donne d'un avenir conforme à la justice de Dieu, et que la raison la plus sévère peut admettre, il tempère les amertumes de la vie et prévient les funestes effets du désespoir. En faisant connaître de nouvelles lois de la nature, il donne la clef de phénomènes incompris et de problèmes insolubles jusqu'à ce jour, et tue à la fois l'incrédulité et la superstition. Pour lui, il n'y a ni surnaturel ni merveilleux ; tout s'accomplit dans le monde en vertu de lois immuables. Loin de substituer un exclusivisme à un autre, il se pose en champion absolu de la liberté de conscience ; il combat le fanatisme sous toutes les formes, et le coupe dans sa racine en proclamant le salut pour tous les hommes de bien, et la possibilité, pour les plus imparfaits, d'arriver, par leurs efforts, l'expiation et la réparation, à la perfection qui seule conduit à la suprême félicité. Au lieu de décourager le faible, il l'encourage en lui montrant le but qu'il peut atteindre.
Il ne dit point : Hors le Spiritisme point de salut, mais avec le Christ : Hors la charité point de salut, principe d'union, de tolérance, qui ralliera les hommes dans un commun sentiment de fraternité, au lieu de les diviser en sectes ennemies. Par cet autre principe : Il n'y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face à tous les âges de l'humanité, il détruit l'empire de la foi aveugle qui annihile la raison, de l'obéissance passive qui abrutit ; il émancipe l'intelligence de l'homme et relève son moral.
Conséquent avec lui-même, il ne s'impose pas ; il dit ce qu'il est, ce qu'il veut, ce qu'il donne, et attend qu'on vienne à lui librement, volontairement ; il veut être accepté par la raison et non par la force. Il respecte toutes les croyances sincères, et ne combat que l'incrédulité, l'égoïsme, l'orgueil et l'hypocrisie, qui sont les plaies de la société, et les obstacles les plus sérieux au progrès moral ; mais il ne lance l'anathème à personne, pas même à ses ennemis, parce qu'il est convaincu que la voie du bien est ouverte aux plus imparfaits, et que tôt ou tard ils y entreront.
Si l'on suppose la majorité des hommes imbus de ces sentiments, on peut aisément se figurer les modifications qu'ils apporteraient dans les relations sociales : charité, fraternité, bienveillance pour tous, tolérance pour toutes les croyances, telle sera leur devise. C'est le but auquel tend évidemment l'humanité, l'objet de ses aspirations, de ses désirs, sans qu'elle se rende bien compte des moyens de les réaliser ; elle essaye, elle tâtonne, mais elle est arrêtée par des résistances actives ou la force d'inertie des préjugés, des croyances stationnaires et réfractaires au progrès. Ce sont ces résistances qu'il faut vaincre, et ce sera l'œuvre de la nouvelle génération ; si l'on suit le cours actuel des choses, on reconnaîtra que tout semble prédestiné à lui frayer la route ; elle aura pour elle la double puissance du nombre et des idées, et de plus l'expérience du passé.
La nouvelle génération marchera donc à la réalisation de toutes les idées humanitaires compatibles avec le degré d'avancement auquel elle sera parvenue. Le Spiritisme marchant au même but, et réalisant ses vues, ils se rencontreront sur le même terrain, non comme des concurrents, mais comme des auxiliaires se prêtant un mutuel appui. Les hommes de progrès trouveront dans les idées spirites un puissant levier, et le Spiritisme trouvera dans les hommes nouveaux des esprits tout disposés à l'accueillir. Dans cet état de choses, que pourront faire ceux qui voudraient se mettre à la traverse ?
Ce n'est pas le Spiritisme qui crée la rénovation sociale, c'est la maturité de l'humanité qui fait de cette rénovation une nécessité. Par sa puissance moralisatrice, par ses tendances progressives, par l'ampleur de ses vues, par la généralité des questions qu'il embrasse, le Spiritisme est, plus que toute autre doctrine, apte à seconder le mouvement régénérateur ; c'est pour cela qu'il en est contemporain ; il est venu au montent où il pouvait être utile, car pour lui aussi les temps sont arrivés ; plus tôt, il eût rencontré des obstacles insurmontables ; il eût inévitablement succombé, parce que les hommes, satisfaits de ce qu'ils avaient, n'éprouvaient pas encore le besoin de ce qu'il apporte. Aujourd'hui, né avec le mouvement des idées qui fermentent, il trouve le terrain préparé à le recevoir ; les esprits, las du doute et de l'incertitude, effrayés du gouffre que l'on creuse devant eux, l'accueillent comme une ancre de salut et une suprême consolation.
En disant que l'humanité est mûre pour la régénération, cela ne veut pas dire que tous les individus le soient au même degré, mais beaucoup ont, par intuition, le germe des idées nouvelles que les circonstances feront éclore ; alors ils se montreront plus avancés qu'on ne le supposait, et ils suivront avec empressement l'impulsion de la majorité.
Il y en a cependant qui sont foncièrement réfractaires, même parmi les plus intelligents, et qui assurément ne se rallieront jamais, du moins dans cette existence, les uns de bonne foi, par conviction ; les autres par intérêt. Ceux dont les intérêts matériels sont liés à l'état présent des choses, et qui ne sont pas assez avancés pour en faire abnégation, que le bien général touche moins que celui de leur personne, ne peuvent voir sans appréhension le moindre mouvement réformateur ; la vérité est pour eux une question secondaire, ou, pour mieux dire, la vérité est tout entière dans ce qui ne leur cause aucun trouble ; toutes les idées progressives sont à leurs yeux des idées subversives, c'est pourquoi ils leur vouent une haine implacable et leur font une guerre acharnée. Trop intelligents pour ne pas voir dans le Spiritisme un auxiliaire de ces idées et les éléments de la transformation qu'ils redoutent parce qu'ils ne se sentent pas à sa hauteur, ils s'efforcent de l'abattre ; s'ils le jugeaient sans valeur et sans portée, ils ne s'en préoccuperaient pas. Nous l'avons déjà dit ailleurs : « Plus une idée est grande, plus elle rencontre d'adversaires, et l'on peut mesurer son importance à la violence des attaques dont elle est l'objet. »
Le nombre des retardataires est encore grand sans doute, mais que peuvent-ils contre le flot qui monte, sinon y jeter quelques pierres ? Ce flot, c'est la génération qui s'élève, tandis qu'eux disparaissent avec la génération qui s'en va chaque jour à grands pas. Jusque-là ils défendront le terrain pied à pied ; il y a donc une lutte inévitable, mais une lutte inégale, car c'est celle du passé décrépit qui tombe en lambeaux, contre l'avenir juvénile ; de la stagnation contre le progrès ; de la créature contre la volonté de Dieu, car les temps marqués par lui sont arrivés.
Nota. ‑ Les réflexions qui précèdent sont le développement des instructions données par les Esprits sur le même sujet, dans un grand nombre de communications, soit à nous, soit à d'autres personnes. Celle que nous publions ci-après est le résumé de plusieurs entretiens que nous avons eus par l'intermédiaire de deux de nos médiums habitués en état de somnambulisme extatique, et qui, au réveil, ne conservent aucun souvenir. Nous avons coordonné méthodiquement les idées afin de leur donner plus de suite, en élaguant tous les détails et les accessoires superflus. Les pensées ont été très exactement reproduites, et les paroles sont aussi textuelles qu'il a été possible de les recueillir à l'audition.
Tout est harmonie dans l'œuvre de la création, tout révèle une prévoyance qui ne se dément ni dans les plus petites choses ni dans les plus grandes ; nous devons donc d'abord écarter toute idée de caprice inconciliable avec la sagesse divine ; en second lieu, si notre époque est marquée pour l'accomplissement de certaines choses, c'est qu'elles ont leur raison d'être dans la marche générale de l'ensemble.
Ceci posé, nous dirons que notre globe, comme tout ce qui existe, est soumis à la loi du progrès. Il progresse physiquement par la transformation des éléments qui le composent, et moralement par l'épuration des Esprits incarnés et désincarnés qui le peuplent. Ces deux progrès se suivent et marchent parallèlement, car la perfection de l'habitation est en rapport avec celle de l'habitant. Physiquement, le globe a subi des transformations, constatées par la science, et qui l'ont successivement rendu habitable par des êtres de plus en plus perfectionnés ; moralement, l'humanité progresse par le développement de l'intelligence, du sens moral et l'adoucissement des mœurs. En même temps que l'amélioration du globe s'opère sous l'empire des forces matérielles, les hommes y concourent par les efforts de leur intelligence ; ils assainissent les contrées insalubres, rendent les communications plus faciles et la terre plus productive.
Ce double progrès s'accomplit de deux manières : l'une lente, graduelle et insensible ; l'autre par des changements plus brusques, à chacun desquels s'opère un mouvement ascensionnel plus rapide qui marque, par des caractères tranchés, les périodes progressives de l'humanité. Ces mouvements, subordonnés dans les détails au libre arbitre des hommes, sont en quelque sorte fatals dans leur ensemble, parce qu'ils sont soumis à des lois, comme ceux qui s'opèrent dans la germination, la croissance et la maturité des plantes, attendu que le but de l'humanité est le progrès, nonobstant la marche retardataire de quelques individualités ; c'est pourquoi le mouvement progressif est quelquefois partiel, c'est-à-dire borné à une race ou à une nation, d'autres fois général. Le progrès de l'humanité s'effectue donc en vertu d'une loi ; or, comme toutes les lois de la nature sont l'œuvre éternelle de la sagesse et de la prescience divines, tout ce qui est l'effet de ces lois est le résultat de la volonté de Dieu, non d'une volonté accidentelle et capricieuse, mais d'une volonté immuable. Lors donc que l'humanité est mûre pour franchir un degré, on peut dire que les temps marqués par Dieu sont arrivés, comme on peut dire aussi qu'en telle saison ils sont arrivés pour la maturité des fruits et la récolte.
De ce que le mouvement progressif de l'humanité est inévitable, parce qu'il est dans la nature, il ne s'ensuit pas que Dieu y soit indifférent, et qu'après avoir établi des lois, il soit rentré dans l'inaction, laissant les choses aller toutes seules. Ses lois sont éternelles et immuables, sans doute, mais parce que sa volonté elle-même est éternelle et constante, et que sa pensée anime toutes choses sans interruption ; sa pensée qui pénètre tout, est la force intelligente et permanente qui maintient tout dans l'harmonie ; que cette pensée cessât un seul instant d'agir, et l'univers serait comme une horloge sans balancier régulateur. Dieu veille donc incessamment à l'exécution de ses lois, et les Esprits qui peuplent l'espace sont ses ministres chargés des détails, selon les attributions afférentes à leur degré d'avancement.
L'univers est à la fois un mécanisme incommensurable conduit par un nombre non moins incommensurable d'intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d'action sous l'œil du souverain Maître, dont la volonté unique maintient partout l'unité. Sous l'empire de cette vaste puissance régulatrice tout se meut, tout fonctionne dans un ordre parfait ; ce qui nous semble des perturbations sont les mouvements partiels et isolés qui ne nous paraissent irréguliers que parce que notre vue est circonscrite. Si nous pouvions en embrasser l'ensemble, nous verrions que ces irrégularités ne sont qu'apparentes et qu'elles s'harmonisent dans le tout.
La prévision des mouvements progressifs de l'humanité n'a rien de surprenant chez des êtres dématérialisés qui voient le but où tendent toutes choses, dont quelques-uns possèdent la pensée directe de Dieu, et qui jugent, aux mouvements partiels, le temps auquel pourra s'accomplir un mouvement général, comme on juge d'avance le temps qu'il faut à un arbre pour porter des fruits, comme les astronomes calculent l'époque d'un phénomène astronomique par le temps qu'il faut à un astre pour accomplir sa révolution.
Mais tous ceux qui annoncent ces phénomènes, les auteurs d'almanachs qui prédisent les éclipses et les marées, ne sont certes pas en état de faire eux-mêmes les calculs nécessaires ; ils ne sont que des échos ; ainsi en est-il des Esprits secondaires dont la vue est bornée, et qui ne font que répéter ce qu'il a plu aux Esprits supérieurs de leur révéler.
L'humanité a accompli jusqu'à ce jour d'incontestables progrès ; les hommes, par leur intelligence, sont arrivés à des résultats qu'ils n'avaient jamais atteints sous le rapport des sciences, des arts et du bien-être matériel ; il leur en reste encore un immense à accomplir : c'est de faire régner entre eux la charité, la fraternité et la solidarité, pour assurer leur bien-être moral. Ils ne le pouvaient ni avec leurs croyances, ni avec leurs institutions surannées, restes d'un autre âge, bonnes à une certaine époque, suffisantes pour un état transitoire, mais qui, ayant donné ce qu'elles comportaient, seraient un point d'arrêt aujourd'hui. Tel un enfant est stimulé par des mobiles, impuissants quand vient l'âge mûr. Ce n'est plus seulement le développement de l'intelligence qu'il faut aux hommes, c'est l'élévation du sentiment, et pour cela il faut détruire tout ce qui pouvait surexciter en eux l'égoïsme et l'orgueil.
Telle est la période où ils vont entrer désormais, et qui marquera une des phases principales de l'humanité. Cette phase qui s'élabore en ce moment est le complément nécessaire de l'état précédent, comme l'âge viril est le complément de la jeunesse ; elle pouvait donc être prévue et prédite d'avance, et c'est pour cela qu'on dit que les temps marqués par Dieu sont arrivés.
En ce temps-ci, il ne s'agit pas d'un changement partiel, d'une rénovation bornée à une contrée, à un peuple, à une race ; c'est un mouvement universel qui s'opère dans le sens du progrès moral. Un nouvel ordre de choses tend à s'établir, et les hommes qui y sont le plus opposés y travaillent à leur insu ; la génération future, débarrassée des scories du vieux monde et formée d'éléments plus épurés, se trouvera animée d'idées et de sentiments tout autres que la génération présente qui s'en va à pas de géant. Le vieux monde sera mort, et vivra dans l'histoire comme aujourd'hui les temps du moyen âge avec leurs coutumes barbares et leurs croyances superstitieuses.
Du reste, chacun sait que l'ordre de choses actuel laisse à désirer ; après avoir, en quelque sorte, épuisé le bien-être matériel qui est le produit de l'intelligence, on arrive à comprendre que le complément de ce bien-être ne peut être que dans le développement moral. Plus on avance, plus on sent ce qui manque, sans cependant pouvoir encore le définir clairement : c'est l'effet du travail intime qui s'opère pour la régénération ; on a des désirs, des aspirations qui sont comme le pressentiment d'un état meilleur.
Mais un changement aussi radical que celui qui s'élabore ne peut s'accomplir sans commotion ; il y a lutte inévitable entre les idées, et qui dit lutte, dit alternative de succès et de revers ; cependant, comme les idées nouvelles sont celles du progrès et que le progrès est dans les lois de la nature, elles ne peuvent manquer de l'emporter sur les idées rétrogrades. De ce conflit naîtront forcément des perturbations temporaires, jusqu'à ce que le terrain soit déblayé des obstacles qui s'opposent à l'érection du nouvel édifice social. C'est donc de la lutte des idées que surgiront les graves événements annoncés, et non de cataclysmes, ou catastrophes purement matérielles. Les cataclysmes généraux étaient la conséquence de l'état de formation de la terre ; aujourd'hui ce ne sont plus les entrailles du globe qui s'agitent, ce sont celles de l'humanité.
L'humanité est un être collectif en qui s'opèrent les mêmes révolutions morales que dans chaque être individuel, avec cette différence que les unes s'accomplissent d'année en année, et les autres de siècle en siècle. Qu'on la suive dans ses évolutions à travers les temps, et l'on verra la vie des diverses races marquée par des périodes qui donnent à chaque époque une physionomie particulière.
A côté des mouvements partiels, il y a un mouvement général qui donne l'impulsion à l'humanité tout entière ; mais le progrès de chaque partie de l'ensemble est relatif à son degré d'avancement. Telle serait une famille composée de plusieurs enfants dont le plus jeune est au berceau et l'aîné âgé de dix ans, par exemple. Dans dix ans, l'aîné en aura vingt et sera un homme ; le plus jeune en aura dix et, quoique plus avancé, sera encore un enfant ; mais à son tour il deviendra un homme. Ainsi en est-il des différentes fractions de l'humanité ; les plus arriérées avancent, mais ne sauraient d'un bond atteindre le niveau des plus avancées.
L'humanité, devenue adulte, a de nouveaux besoins, des aspirations plus larges, plus élevées ; elle comprend le vide des idées dont elle a été bercée, l'insuffisance de ses institutions pour son bonheur ; elle ne trouve plus dans l'état des choses les satisfactions légitimes auxquelles elle se sent appelée ; c'est pourquoi elle secoue ses langes, et s'élance, poussée par une force irrésistible, vers des rivages inconnus, à la découverte de nouveaux horizons moins bornés. Et c'est au moment où elle se trouve trop à l'étroit dans sa sphère matérielle, où la vie intellectuelle déborde, où le sentiment de la spiritualité s'épanouit, que des hommes, de prétendus philosophes, espèrent combler le vide par les doctrines du néantisme et du matérialisme ! Étrange aberration ! Ces mêmes hommes qui prétendent la pousser en avant, s'efforcent de la circonscrire dans le cercle étroit de la matière d'où elle aspire à sortir ; ils lui ferment l'aspect de la vie infinie, et lui disent, en lui montrant la tombe : Nec plus ultrà !
La marche progressive de l'humanité s'opère de deux manières, comme nous l'avons dit : l'une graduelle, lente, insensible, si l'on considère les époques rapprochées, qui se traduit par des améliorations successives dans les mœurs, les lois, les usages, et ne s'aperçoit qu'à la longue, comme les changements que les courants d'eau apportent à la surface du globe ; l'autre, par un mouvement relativement brusque, rapide, semblable à celui d'un torrent rompant ses digues, qui lui fait franchir en quelques années l'espace qu'elle eût mis des siècles à parcourir. C'est alors un cataclysme moral qui engloutit en quelques instants les institutions du passé, et auquel succède un nouvel ordre de choses qui s'assied peu à peu, à mesure que le calme se rétablit, et devient définitif.
A celui qui vit assez longtemps pour embrasser les deux versants de la nouvelle phase, il semble qu'un monde nouveau soit sorti des ruines de l'ancien ; le caractère, les mœurs, les usages, tout est changé ; c'est qu'en effet des hommes nouveaux, ou mieux régénérés, ont surgi ; les idées emportées par la génération qui s'éteint ont fait place à des idées nouvelles dans la génération qui s'élève.
C'est à l'une de ces périodes de transformation, ou, si l'on veut, de croissance morale, qu'est parvenue l'humanité. De l'adolescence elle passe à l'âge viril ; le passé ne peut plus suffire à ses nouvelles aspirations, à ses nouveaux besoins ; elle ne peut plus être conduite par les mêmes moyens ; elle ne se paye plus d'illusions et de prestiges : il faut à sa raison mûrie des aliments plus substantiels. Le présent est trop éphémère ; elle sent que sa destinée est plus vaste et que la vie corporelle est trop restreinte pour la renfermer tout entière ; c'est pourquoi elle plonge ses regards dans le passé et dans l'avenir afin d'y découvrir le mystère de son existence et d'y puiser une consolante sécurité.
Quiconque a médité sur le Spiritisme et ses conséquences, et ne le circonscrit pas dans la production de quelques phénomènes, comprend qu'il ouvre à l'humanité une voie nouvelle, et lui déroule les horizons de l'infini ; en l'initiant aux mystères du monde invisible, il lui montre son véritable rôle dans la création, rôle perpétuellement actif, aussi bien à l'état spirituel qu'a l'état corporel. L'homme ne marche plus en aveugle : il sait d'où il vient, où il va et pourquoi il est sur la terre. L'avenir se montre à lui dans sa réalité, dégagé des préjugés de l'ignorance et de la superstition ; ce n'est plus une vague espérance : c'est une vérité palpable, aussi certaine pour lui que la succession du jour et de la nuit. Il sait que son être n'est pas limité à quelques instants d'une existence dont la durée est soumise au caprice du hasard ; que la vie spirituelle n'est point interrompue par la mort ; qu'il a déjà vécu, qu'il revivra encore, et que de tout ce qu'il acquiert en perfection par le travail, rien n'est perdu ; il trouve dans ses existences antérieures la raison de ce qu'il est aujourd'hui, et de ce qu'il se fait aujourd'hui, il peut conclure ce qu'il sera un jour.
Avec la pensée que l'activité et la coopération individuelles à l'œuvre générale de la civilisation sont limitées à la vie présente, que l'on n'a rien été et que l'on ne sera rien, que fait à l'homme le progrès ultérieur de l'humanité ? Que lui importe qu'à l'avenir les peuples soient mieux gouvernés, plus heureux, plus éclairés, meilleurs les uns pour les autres ? Puisqu'il n'en doit retirer aucun fruit, ce progrès n'est-il pas perdu pour lui ? Que lui sert de travailler pour ceux qui viendront après lui, s'il ne doit jamais les connaître, si ce sont des êtres nouveaux qui peu après rentreront eux-mêmes dans le néant ? Sous l'empire de la négation de l'avenir individuel, tout se rapetisse forcément aux mesquines proportions du moment et de la personnalité.
Mais, au contraire, quelle amplitude donne à la pensée de l'homme la certitude de la perpétuité de son être spirituel ! quelle force, quel courage n'y puise-t-il pas contre les vicissitudes de la vie matérielle ! Quoi de plus rationnel, de plus grandiose, de plus digne du Créateur que cette loi d'après laquelle la vie spirituelle et la vie corporelle ne sont que deux modes d'existence qui s'alternent pour l'accomplissement du progrès ! Quoi de plus juste et de plus consolant que l'idée des mêmes êtres progressant sans cesse, d'abord à travers les générations d'un même monde, et ensuite de monde en monde jusqu'à la perfection, sans solution de continuité ! Toutes les actions ont alors un but, car, en travaillant pour tous, on travaille pour soi, et réciproquement ; de sorte que ni le progrès individuel ni le progrès général ne sont jamais stériles ; il profite aux générations et aux individualités futures, qui ne sont autres que les générations et les individualités passées, arrivées à un plus haut degré d'avancement.
La vie spirituelle est la vie normale et éternelle de l'Esprit, et l'incarnation n'est qu'une forme temporaire de son existence. Sauf le vêtement extérieur, il y a donc identité entre les incarnés et les désincarnés ; ce sont les mêmes individualités sous deux aspects différents, appartenant tantôt au monde visible, tantôt au monde invisible, se retrouvant soit dans l'un, soit dans l'autre, concourant dans l'un et dans l'autre au même but, par des moyens appropriés à leur situation.
De cette loi découle celle de la perpétuité des rapports entre les êtres ; la mort ne les sépare point, et ne met point de terme à leurs relations sympathiques, ni à leurs devoirs réciproques. De là la solidarité de tous pour chacun, et de chacun pour tous ; de là aussi la fraternité. Les hommes ne vivront heureux sur la terre que lorsque ces deux sentiments seront entrés dans leurs cœurs et dans leurs mœurs, car alors ils y assujettiront leurs lois et leurs institutions. Ce sera là un des principaux résultats de la transformation qui s'opère.
Mais comment concilier les devoirs de la solidarité et de la fraternité avec la croyance que la mort rend à tout jamais les hommes étrangers les uns aux autres ? Par la loi de la perpétuité des rapports qui lient tous les êtres, le Spiritisme fonde ce double principe sur les lois mêmes de la nature ; il en fait non-seulement un devoir, mais une nécessité. Par celle de la pluralité des existences, l'homme se rattache à ce qui s'est fait et à ce qui se fera, aux hommes du passé et à ceux de l'avenir ; il ne peut plus dire qu'il n'a plus rien de commun avec ceux qui meurent, puisque les uns et les autres se retrouvent sans cesse, dans ce monde et dans l'autre, pour gravir ensemble l'échelle du progrès et se prêter un mutuel appui. La fraternité n'est plus circonscrite à quelques individus que le hasard rassemble pendant la durée éphémère de la vie ; elle est perpétuelle comme la vie de l'Esprit, universelle comme l'humanité, qui constitue une grande famille dont tous les membres sont solidaires les uns des autres, quelle que soit l'époque à laquelle ils ont vécu.
Telles sont les idées qui ressortent du Spiritisme, et qu'il suscitera parmi tous les hommes, quand il sera universellement répandu, compris, enseigné et pratiqué. Avec le Spiritisme, la fraternité, synonyme de la charité prêchée par le Christ, n'est plus un vain mot ; elle a sa raison d'être. Du sentiment de la fraternité naît celui de la réciprocité et des devoirs sociaux, d'homme à homme, de peuple à peuple, de race à race ; de ces deux sentiments bien compris sortiront forcément les institutions les plus profitables au bien-être de tous.
La fraternité doit être la pierre angulaire du nouvel ordre social ; mais il n'y a pas de fraternité réelle, solide et effective si elle n'est appuyée sur une base inébranlable ; cette base c'est la foi ; non la foi en tels ou tels dogmes particuliers qui changent avec les temps et les peuples et se jettent la pierre, car en s'anathématisant ils entretiennent l'antagonisme ; mais la foi dans les principes fondamentaux que tout le monde peut accepter : Dieu, l'âme, l'avenir, le progrÈs individuel indéfini, la perpétuité des rapports entre les Êtres. Quand tous les hommes seront convaincus que Dieu est le même pour tous, que ce Dieu, souverainement juste et bon, ne peut rien vouloir d'injuste, que le mal vient des hommes et non de lui, ils se regarderont comme les enfants d'un même père et se tendront la main. C'est cette foi que donne le Spiritisme, et qui sera désormais le pivot sur lequel se mouvra le genre humain, quelles que soient leur manière de l'adorer et leurs croyances particulières, que le Spiritisme respecte, mais dont il n'a pas à s'occuper. De cette foi seule peut sortir le véritable progrès moral, parce que seule elle donne une sanction logique aux droits légitimes et aux devoirs ; sans elle, le droit est celui que donne la force ; le devoir, un code humain imposé par la contrainte. Sans elle, qu'est-ce que l'homme ? un peu de matière qui se dissout, un être éphémère qui ne fait que passer ; le génie même n'est qu'une étincelle qui brille un instant pour s'éteindre à tout jamais ; il n'y a certes pas là de quoi le relever beaucoup à ses propres yeux. Avec une telle pensée, où sont réellement les droits et les devoirs ? quel est le but du progrès ? Seule, cette foi fait sentir à l'homme sa dignité par la perpétuité et la progression de son être, non dans un avenir mesquin et circonscrit à la personnalité, mais grandiose et splendide ; sa pense l'élève au-dessus de la terre ; il se sent grandir en songeant qu'il a son rôle dans l'univers, et que cet univers est son domaine qu'il pourra un jour parcourir, et que la mort ne fera pas de lui une nullité, ou un être inutile à lui-même et aux autres.
Le progrès intellectuel accompli jusqu'à ce jour dans les plus vastes proportions est un grand pas, et marque la première phase de l'humanité, mais seul il est impuissant à la régénérer ; tant que l'homme sera dominé par l'orgueil et l'égoïsme, il utilisera son intelligence et ses connaissances au profit de ses passions et de ses intérêts personnels ; c'est pourquoi il les applique au perfectionnement des moyens de nuire aux autres et de s'entre-détruire. Le progrès moral seul peut assurer le bonheur des hommes sur la terre en mettant un frein aux mauvaises passions ; seul, il peut faire régner entre eux la concorde, la paix, la fraternité. C'est lui qui abaissera les barrières des peuples, qui fera tomber les préjugés de caste, et taire les antagonismes de sectes, en apprenant aux hommes à se regarder comme des frères appelés à s'entraider et non à vivre aux dépens les uns des autres. C'est encore le progrès moral, secondé ici par le progrès de l'intelligence, qui confondra les hommes dans une même croyance, établie sur les vérités éternelles, non sujettes à discussion et par cela même acceptées par tous. L'unité de croyance sera le lien le plus paissant, le plus solide fondement de la fraternité universelle, brisée de tous temps par les antagonismes religieux qui divisent les peuples et les familles, qui font voir dans le prochain des ennemis qu'il faut fuir, combattre, exterminer, au lieu de frères qu'il faut aimer.
Un tel état de choses suppose un changement radical dans le sentiment des masses, un progrès général qui ne pouvait s'accomplir qu'en sortant du cercle des idées étroites et terre à terre qui fomentent l'égoïsme. A diverses époques, des hommes d'élite ont cherché à pousser l'humanité dans cette voie ; mais l'humanité, encore trop jeune, est restée sourde, et leurs enseignements ont été comme la bonne semence tombée sur la pierre. Aujourd'hui, elle est mûre pour porter ses regards plus hauts qu'elle ne l'a fait, pour s'assimiler des idées plus larges et comprendre ce qu'elle n'avait pas compris. La génération qui disparaît emportera avec elle ses préjugés et ses erreurs ; la génération qui s'élève, trempée à une source plus épurée, imbue d'idées plus saines, imprimera au monde le mouvement ascensionnel dans le sens du progrès moral qui doit marquer la nouvelle phase de l'humanité. Cette phase se révèle déjà par des signes non équivoques, par des tentatives de réformes utiles, par les idées grandes et généreuses qui se font jour et qui commencent à trouver des échos. C'est ainsi qu'on voit se fonder une foule d'institutions protectrices, civilisatrices et émancipatrices, sous l'impulsion et par l'initiative d'hommes évidemment prédestinés à l'œuvre de la régénération ; que les lois pénales s'imprègnent chaque jour d'un sentiment plus humain. Les préjugés de races s'affaiblissent, les peuples commencent à se regarder comme les membres d'une grande famille ; par l'uniformité et la facilité des moyens de transaction, ils suppriment les barrières qui les divisaient de toutes les parties du monde, ils se réunissent en comices universels pour les tournois pacifiques de l'intelligence. Mais il manque à ces réformes une base pour se développer, se compléter et se consolider, une prédisposition morale plus générale pour fructifier et se faire accepter des masses. Ce n'en est pas moins un signe caractéristique du temps, le prélude de ce qui s'accomplira sur une plus vaste échelle, à mesure que le terrain deviendra plus propice.
Un signe non moins caractéristique de la période où nous entrons, c'est la réaction évidente qui s'opère dans le sens des idées spiritualistes, une répulsion instinctive se manifeste contre les idées matérialistes dont les représentants deviennent moins nombreux ou moins absolus. L'esprit d'incrédulité qui s'était emparé des masses, ignorantes ou éclairées, et leur avait fait rejeter, avec la forme, le fond même de toute croyance, semble avoir été un sommeil au sortir duquel on éprouve le besoin de respirer un air plus vivifiant. Involontairement, où le vide s'est fait on cherche quelque chose, un point d'appui, une espérance.
Dans ce grand mouvement régénérateur, le Spiritisme a un rôle considérable, non le Spiritisme ridicule inventé par une critique railleuse, mais le Spiritisme philosophique, tel que le comprend quiconque se donne la peine de chercher l'amande sous l'écorce. Par les preuves qu'il apporte des vérités fondamentales, il comble le vide que l'incrédulité fait dans les idées et les croyances ; par la certitude qu'il donne d'un avenir conforme à la justice de Dieu, et que la raison la plus sévère peut admettre, il tempère les amertumes de la vie et prévient les funestes effets du désespoir. En faisant connaître de nouvelles lois de la nature, il donne la clef de phénomènes incompris et de problèmes insolubles jusqu'à ce jour, et tue à la fois l'incrédulité et la superstition. Pour lui, il n'y a ni surnaturel ni merveilleux ; tout s'accomplit dans le monde en vertu de lois immuables. Loin de substituer un exclusivisme à un autre, il se pose en champion absolu de la liberté de conscience ; il combat le fanatisme sous toutes les formes, et le coupe dans sa racine en proclamant le salut pour tous les hommes de bien, et la possibilité, pour les plus imparfaits, d'arriver, par leurs efforts, l'expiation et la réparation, à la perfection qui seule conduit à la suprême félicité. Au lieu de décourager le faible, il l'encourage en lui montrant le but qu'il peut atteindre.
Il ne dit point : Hors le Spiritisme point de salut, mais avec le Christ : Hors la charité point de salut, principe d'union, de tolérance, qui ralliera les hommes dans un commun sentiment de fraternité, au lieu de les diviser en sectes ennemies. Par cet autre principe : Il n'y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face à tous les âges de l'humanité, il détruit l'empire de la foi aveugle qui annihile la raison, de l'obéissance passive qui abrutit ; il émancipe l'intelligence de l'homme et relève son moral.
Conséquent avec lui-même, il ne s'impose pas ; il dit ce qu'il est, ce qu'il veut, ce qu'il donne, et attend qu'on vienne à lui librement, volontairement ; il veut être accepté par la raison et non par la force. Il respecte toutes les croyances sincères, et ne combat que l'incrédulité, l'égoïsme, l'orgueil et l'hypocrisie, qui sont les plaies de la société, et les obstacles les plus sérieux au progrès moral ; mais il ne lance l'anathème à personne, pas même à ses ennemis, parce qu'il est convaincu que la voie du bien est ouverte aux plus imparfaits, et que tôt ou tard ils y entreront.
Si l'on suppose la majorité des hommes imbus de ces sentiments, on peut aisément se figurer les modifications qu'ils apporteraient dans les relations sociales : charité, fraternité, bienveillance pour tous, tolérance pour toutes les croyances, telle sera leur devise. C'est le but auquel tend évidemment l'humanité, l'objet de ses aspirations, de ses désirs, sans qu'elle se rende bien compte des moyens de les réaliser ; elle essaye, elle tâtonne, mais elle est arrêtée par des résistances actives ou la force d'inertie des préjugés, des croyances stationnaires et réfractaires au progrès. Ce sont ces résistances qu'il faut vaincre, et ce sera l'œuvre de la nouvelle génération ; si l'on suit le cours actuel des choses, on reconnaîtra que tout semble prédestiné à lui frayer la route ; elle aura pour elle la double puissance du nombre et des idées, et de plus l'expérience du passé.
La nouvelle génération marchera donc à la réalisation de toutes les idées humanitaires compatibles avec le degré d'avancement auquel elle sera parvenue. Le Spiritisme marchant au même but, et réalisant ses vues, ils se rencontreront sur le même terrain, non comme des concurrents, mais comme des auxiliaires se prêtant un mutuel appui. Les hommes de progrès trouveront dans les idées spirites un puissant levier, et le Spiritisme trouvera dans les hommes nouveaux des esprits tout disposés à l'accueillir. Dans cet état de choses, que pourront faire ceux qui voudraient se mettre à la traverse ?
Ce n'est pas le Spiritisme qui crée la rénovation sociale, c'est la maturité de l'humanité qui fait de cette rénovation une nécessité. Par sa puissance moralisatrice, par ses tendances progressives, par l'ampleur de ses vues, par la généralité des questions qu'il embrasse, le Spiritisme est, plus que toute autre doctrine, apte à seconder le mouvement régénérateur ; c'est pour cela qu'il en est contemporain ; il est venu au montent où il pouvait être utile, car pour lui aussi les temps sont arrivés ; plus tôt, il eût rencontré des obstacles insurmontables ; il eût inévitablement succombé, parce que les hommes, satisfaits de ce qu'ils avaient, n'éprouvaient pas encore le besoin de ce qu'il apporte. Aujourd'hui, né avec le mouvement des idées qui fermentent, il trouve le terrain préparé à le recevoir ; les esprits, las du doute et de l'incertitude, effrayés du gouffre que l'on creuse devant eux, l'accueillent comme une ancre de salut et une suprême consolation.
En disant que l'humanité est mûre pour la régénération, cela ne veut pas dire que tous les individus le soient au même degré, mais beaucoup ont, par intuition, le germe des idées nouvelles que les circonstances feront éclore ; alors ils se montreront plus avancés qu'on ne le supposait, et ils suivront avec empressement l'impulsion de la majorité.
Il y en a cependant qui sont foncièrement réfractaires, même parmi les plus intelligents, et qui assurément ne se rallieront jamais, du moins dans cette existence, les uns de bonne foi, par conviction ; les autres par intérêt. Ceux dont les intérêts matériels sont liés à l'état présent des choses, et qui ne sont pas assez avancés pour en faire abnégation, que le bien général touche moins que celui de leur personne, ne peuvent voir sans appréhension le moindre mouvement réformateur ; la vérité est pour eux une question secondaire, ou, pour mieux dire, la vérité est tout entière dans ce qui ne leur cause aucun trouble ; toutes les idées progressives sont à leurs yeux des idées subversives, c'est pourquoi ils leur vouent une haine implacable et leur font une guerre acharnée. Trop intelligents pour ne pas voir dans le Spiritisme un auxiliaire de ces idées et les éléments de la transformation qu'ils redoutent parce qu'ils ne se sentent pas à sa hauteur, ils s'efforcent de l'abattre ; s'ils le jugeaient sans valeur et sans portée, ils ne s'en préoccuperaient pas. Nous l'avons déjà dit ailleurs : « Plus une idée est grande, plus elle rencontre d'adversaires, et l'on peut mesurer son importance à la violence des attaques dont elle est l'objet. »
Le nombre des retardataires est encore grand sans doute, mais que peuvent-ils contre le flot qui monte, sinon y jeter quelques pierres ? Ce flot, c'est la génération qui s'élève, tandis qu'eux disparaissent avec la génération qui s'en va chaque jour à grands pas. Jusque-là ils défendront le terrain pied à pied ; il y a donc une lutte inévitable, mais une lutte inégale, car c'est celle du passé décrépit qui tombe en lambeaux, contre l'avenir juvénile ; de la stagnation contre le progrès ; de la créature contre la volonté de Dieu, car les temps marqués par lui sont arrivés.
Nota. ‑ Les réflexions qui précèdent sont le développement des instructions données par les Esprits sur le même sujet, dans un grand nombre de communications, soit à nous, soit à d'autres personnes. Celle que nous publions ci-après est le résumé de plusieurs entretiens que nous avons eus par l'intermédiaire de deux de nos médiums habitués en état de somnambulisme extatique, et qui, au réveil, ne conservent aucun souvenir. Nous avons coordonné méthodiquement les idées afin de leur donner plus de suite, en élaguant tous les détails et les accessoires superflus. Les pensées ont été très exactement reproduites, et les paroles sont aussi textuelles qu'il a été possible de les recueillir à l'audition.
Instruction des Esprits sur la régénération de l'humanité
Paris, avril 1866. Méd. M. M. et T., en somnambulisme.
Les événements se précipitent avec rapidité, aussi ne vous disons-nous plus, comme autrefois : « Les temps sont proches » ; nous vous disons maintenant : « Les temps sont arrivés. »
Par ces mots n'entendez pas un nouveau déluge, ni un cataclysme, ni un bouleversement général. Des convulsions partielles du globe ont eu lieu à toutes les époques et se produisent encore, parce qu'elles tiennent à sa constitution, mais ce ne sont pas là les signes des temps.
Et cependant tout ce qui est prédit dans l'Évangile doit s'accomplir et s'accomplit en ce moment, ainsi que vous le reconnaîtrez plus tard ; mais ne prenez les signes annoncés que comme des figures dont il faut saisir l'esprit et non la lettre. Toutes les Écritures renferment de grandes vérités sous le voile de l'allégorie, et c'est parce que les commentateurs se sont attachés à la lettre qu'ils se sont fourvoyés. Il leur a manqué la clef pour en comprendre le sens véritable. Cette clef est dans les découvertes de la science et dans les lois du monde invisible que vient vous révéler le Spiritisme. Désormais, à l'aide de ces nouvelles connaissances, ce qui était obscur devient clair et intelligible.
Tout suit l'ordre naturel des choses, et les lois immuables de Dieu ne seront point interverties. Vous ne verrez donc ni miracles, ni prodiges, ni rien de surnaturel dans le sens vulgaire attaché à ces mots.
Ne regardez pas au ciel pour y chercher des signes précurseurs, car vous n'en verrez point, et ceux qui vous en annonceront vous abuseront ; mais regardez autour de vous, parmi les hommes, c'est là que vous les trouverez.
Ne sentez-vous pas comme un vent qui souffle sur la terre et agite tous les Esprits ? Le monde est dans l'attente et comme saisi d'un vague pressentiment à l'approche de l'orage.
Ne croyez cependant pas à la fin du monde matériel ; la terre a progressé depuis sa transformation ; elle doit progresser encore, et non point être détruite. Mais l'humanité est arrivée à l'une de ses périodes de transformation, et la terre va s'élever dans la hiérarchie des mondes.
Ce n'est donc pas la fin du monde matériel qui se prépare, mais la fin du monde moral ; c'est le vieux monde, le monde des préjugés, de l'égoïsme, de l'orgueil et du fanatisme qui s'écroule ; chaque jour en emporte quelque débris. Tout finira pour lui avec la génération qui s'en va, et la génération nouvelle élèvera le nouvel édifice que les générations suivantes consolideront et complèteront.
De monde d'expiation, la terre est appelée à devenir un jour un monde heureux, et son habitation sera une récompense au lieu d'être une punition. Le règne du bien doit y succéder au règne du mal.
Pour que les hommes soient heureux sur la terre, il faut qu'elle ne soit peuplée que de bons Esprits incarnés et désincarnés qui ne voudront que le bien. Ce temps étant arrivé, une grande émigration s'accomplit en ce moment parmi ceux qui l'habitent ; ceux qui font le mal pour le mal, et que le sentiment du bien ne touche pas, n'étant plus dignes de la terre transformée, en seront exclus, parce qu'ils y porteraient de nouveau le trouble et la confusion et seraient un obstacle au progrès. Ils iront expier leur endurcissement dans des mondes inférieurs, où ils porteront leurs connaissances acquises, et qu'ils auront pour mission de faire avancer. Ils seront remplacés sur la terre par des Esprits meilleurs qui feront régner entre eux la justice, la paix, la fraternité.
La terre, nous l'avons dit, ne doit point être transformée par un cataclysme qui anéantirait subitement une génération. La génération actuelle disparaîtra graduellement, et la nouvelle lui succédera de même sans que rien soit changé à l'ordre naturel des choses. Tout se passera donc extérieurement comme d'habitude, avec cette seule différence, mais cette différence est capitale, qu'une partie des Esprits qui s'y incarnaient ne s'y incarneront plus. Dans un enfant qui naîtra, au lieu d'un Esprit arriéré et porté au mal qui s'y serait incarné, ce sera un Esprit plus avancé et porté au bien. Il s'agit donc bien moins d'une nouvelle génération corporelle que d'une nouvelle génération d'Esprits. Ainsi, ceux qui s'attendaient à voir la transformation s'opérer par des effets surnaturels et merveilleux seront déçus.
L'époque actuelle est celle de la transition ; les éléments des deux générations se confondent. Placés au point intermédiaire, vous assistez au départ de l'une et à l'arrivée de l'autre, et chacun se signale déjà dans le monde par les caractères qui lui sont propres.
Les deux générations qui succèdent l'une à l'autre ont des idées et des vues tout opposées. A la nature des dispositions morales, mais surtout des dispositions intuitives et innées, il est facile de distinguer à laquelle des deux appartient chaque individu.
La nouvelle génération, devant fonder l'ère du progrès moral, se distingue par une intelligence et une raison généralement précoces, jointes au sentiment inné du bien et des croyances spiritualistes, ce qui est le signe indubitable d'un certain degré d'avancement antérieur. Elle ne sera point composée exclusivement d'Esprits éminemment supérieurs, mais de ceux qui, ayant déjà progressé, sont prédisposés à s'assimiler toutes les idées progressives et aptes à seconder le mouvement régénérateur.
Ce qui distingue, au contraire, les Esprits arriérés, c'est d'abord la révolte contre Dieu par la négation de la Providence et de toute puissance supérieure à l'humanité ; puis la propension instinctive aux passions dégradantes, aux sentiments anti-fraternels de l'égoïsme, de l'orgueil, de la haine, de la jalousie, de la cupidité, enfin la prédominance de l'attachement pour tout ce qui est matériel.
Ce sont ces vices dont la terre doit être purgée par l'éloignement de ceux qui refusent de s'amender, parce qu'ils sont incompatibles avec le règne de la fraternité et que les hommes de bien souffriront toujours de leur contact. La terre en sera délivrée, et les hommes marcheront sans entraves vers l'avenir meilleur qui leur est réservé ici-bas, pour prix de leurs efforts et de leur persévérance, en attendant qu'une épuration encore plus complète leur ouvre l'entrée des mondes supérieurs.
Par cette émigration des Esprits, il ne faut pas entendre que tous les Esprits retardataires seront expulsés de la terre et relégués dans les mondes inférieurs. Beaucoup, au contraire, y reviendront, car beaucoup ont cédé à l'entraînement des circonstances et de l'exemple ; l'écorce était chez eux plus mauvaise que le fond. Une fois soustraits à l'influence de la matière et des préjugés du monde corporel, la plupart verront les choses d'une manière toute différente que de leur vivant, ainsi que vous en avez de nombreux exemples. En cela, ils sont aidés par les Esprits bienveillants qui s'intéressent à eux et qui s'empressent de les éclairer et de leur montrer la fausse route qu'ils ont suivie. Par vos prières et vos exhortations, vous pouvez vous-mêmes contribuer à leur amélioration, parce qu'il y a solidarité perpétuelle entre les morts et les vivants.
Ceux-là pourront donc revenir, et ils en seront heureux, car ce sera une récompense. Qu'importe ce qu'ils auront été et ce qu'ils auront fait, sils sont animés de meilleurs sentiments ! Loin d'être hostiles à la société et au progrès, ce seront des auxiliaires utiles, car ils appartiendront à la nouvelle génération.
Il n'y aura donc d'exclusion définitive que pour les Esprits foncièrement rebelles, ceux que l'orgueil et l'égoïsme, plus que l'ignorance, rendent sourds à la voix du bien et de la raison. Mais ceux-là mêmes ne sont pas voués à une infériorité perpétuelle, et un jour viendra où ils répudieront leur passé et ouvriront les yeux à la lumière.
Priez donc pour ces endurcis afin qu'ils s'amendent pendant qu'il en est temps encore, car le jour de l'expiation approche.
Malheureusement la plupart, méconnaissant la voix de Dieu, persisteront dans leur aveuglement, et leur résistance marquera la fin de leur règne par des luttes terribles. Dans leur égarement, ils courront eux-mêmes à leur perte ; ils pousseront à la destruction qui engendrera une multitude de fléaux et de calamités, de sorte que, sans le vouloir, ils hâteront l'avènement de l'ère de la rénovation.
Et comme si la destruction ne marchait pas assez vite, on verra les suicides se multiplier dans une proportion inouïe, jusque parmi les enfants. La folie n'aura jamais frappé un plus grand nombre d'hommes qui seront, avant la mort, rayés du nombre des vivants. Ce sont là les véritables signes des temps. Et tout cela s'accomplira par l'enchaînement des circonstances, ainsi que nous l'avons dit, sans qu'il soit en rien dérogé aux lois de la nature.
Cependant, à travers le nuage sombre qui vous enveloppe, et au sein duquel gronde la tempête, voyez déjà poindre les premiers rayons de l'ère nouvelle ! La fraternité pose ses fondements sur tous les points du globe et les peuples se tendent la main ; la barbarie se familiarise au contact de la civilisation ; les préjugés de races et de sectes, qui ont fait verser des flots de sang, s'éteignent ; le fanatisme et l'intolérance perdent du terrain, tandis que la liberté de conscience s'introduit dans les mœurs et devient un droit. Partout les idées fermentent ; on voit le mal et l'on essaye des remèdes, mais beaucoup marchent sans boussole et s'égarent dans les utopies. Le monde est dans un immense travail d'enfantement qui aura duré un siècle ; dans ce travail, encore confus, on voit cependant dominer une tendance vers un but : celui de l'unité et de l'uniformité qui prédisposent à la fraternisation.
Ce sont encore là des signes du temps ; mais tandis que les autres sont ceux de l'agonie du passé, ces derniers sont les premiers vagissements de l'enfant qui naît, les précurseurs de l'aurore que verra se lever le siècle prochain, car alors la nouvelle génération sera dans toute sa force. Autant la physionomie du dix-neuvième siècle diffère de celle du dix-huitième à certains points de vue, autant celle du vingtième siècle sera différente du dix-neuvième à d'autres points de vue.
Un des caractères distinctifs de la nouvelle génération sera la foi innée ; non la foi exclusive et aveugle qui divise les hommes, mais la foi raisonnée qui éclaire et fortifie, qui les unit et les confond dans un commun sentiment d'amour de Dieu et du prochain. Avec la génération qui s'éteint disparaîtront les derniers vestiges de l'incrédulité et du fanatisme, également contraires au progrès moral et social.
Le Spiritisme est la voie qui conduit à la rénovation, parce qu'il ruine les deux plus grands obstacles qui s'y opposent : l'incrédulité et le fanatisme. Il donne une foi solide et éclairée ; il développe tous les sentiments et toutes les idées qui correspondent aux vues de la nouvelle génération ; c'est pourquoi il est comme inné et à l'état d'intuition dans le cœur de ses représentants. L'ère nouvelle le verra donc grandir et prospérer par la force même des choses. Il deviendra la base de toutes les croyances, le point d'appui de toutes les institutions.
Mais d'ici là, que de luttes il aura encore à soutenir contre ses deux plus grands ennemis : l'incrédulité, et le fanatisme qui, chose bizarre, se donnent la main pour l'abattre ! Ils pressentent son avenir et leur ruine : c'est pourquoi ils le redoutent, car ils le voient déjà planter, sur les ruines du vieux monde égoïste, le drapeau qui doit rallier tous les peuples. Dans la divine maxime : Hors la charité point de salut, ils lisent leur propre condamnation, car c'est le symbole de la nouvelle alliance fraternelle proclamée par le Christ[1]. Elle se montre à eux comme les mots fatals du festin de Balthazar. Et pourtant, cette maxime, ils devraient la bénir, car elle les garantit de toutes représailles de la part de ceux qu'ils persécutent. Mais non, une force aveugle les pousse à rejeter ce qui seul pourrait les sauver !
Que pourront-ils contre l'ascendant de l'opinion qui les répudie ? Le Spiritisme sortira triomphant de la lutte, n'en doutez pas, car il est dans les lois de la nature, et par cela même impérissable. Voyez par quelle multitude de moyens l'idée se répand et pénètre partout ; croyez bien que ces moyens ne sont pas fortuits, mais providentiels ; ce qui, au premier abord, semblerait devoir lui nuire, est précisément ce qui aide à sa propagation.
Bientôt il verra surgir des champions hautement avoués parmi les hommes les plus considérables et les plus accrédités, qui l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur exemple, et imposeront silence à ses détracteurs, car on n'osera pas les traiter de fous. Ces hommes l'étudient dans le silence et se montreront quand le moment propice sera venu. Jusque-là, il est utile qu'ils se tiennent à l'écart.
Bientôt aussi vous verrez les arts y puiser comme à une mine féconde, et traduire ses pensées et les horizons qu'il découvre par la peinture, la musique, la poésie et la littérature. Il vous a été dit qu'il y aurait un jour l'art spirite, comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien, et c'est une grande vérité, car les plus grands génies s'en inspireront. Bientôt vous en verrez les premières ébauches, et plus tard il prendra le rang qu'il doit avoir.
Spirites, l'avenir est à vous et à tous les hommes de cœur et de dévouement. Ne vous effrayez pas des obstacles, car il n'en est aucun qui puisse entraver les desseins de la Providence. Travaillez sans relâche, et remerciez Dieu de vous avoir placés à l'avant-garde de la nouvelle phalange. C'est un poste d'honneur que vous avez vous-mêmes demandé, et dont il faut vous rendre dignes par votre courage, votre persévérance et votre dévouement. Heureux ceux qui succomberont dans cette lutte contre la force ; mais la honte sera, dans le monde des Esprits, pour ceux qui succomberaient par faiblesse ou pusillanimité. Les luttes, d'ailleurs, sont nécessaires pour fortifier l'âme ; le contact du mal fait mieux apprécier les avantages du bien. Sans les luttes qui stimulent les facultés, l'Esprit se laisserait aller à une insouciance funeste à son avancement. Les luttes contre les éléments développent les forces physiques et l'intelligence ; les luttes contre le mal développent les forces morales.
Remarques. – 1° La manière dont s'opère la transformation est fort simple, et, comme on le voit, elle est toute morale et ne s'écarte en rien des lois de la nature. Pourquoi donc les incrédules repoussent-ils ces idées, puisqu'elles n'ont rien de surnaturel ? C'est que, selon eux, la loi de vitalité cesse à la mort du corps, tandis que pour nous elle se poursuit sans interruption ; ils restreignent son action et nous l'étendons ; c'est pourquoi nous disons que les phénomènes de la vie spirituelle ne sortent pas des lois de la nature. Pour eux, le surnaturel commence où finit l'appréciation par les sens.
2° Que les Esprits de la nouvelle génération soient de nouveaux Esprits meilleurs, ou les anciens Esprits améliorés, le résultat est le même ; dès l'instant qu'ils apportent de meilleures dispositions, c'est toujours un renouvellement. Les Esprits incarnés forment ainsi deux catégories, selon leurs dispositions naturelles : d'une part, les Esprits retardataires qui partent, de l'autre les Esprits progressifs qui arrivent. L'état des mœurs et de la société sera donc, chez un peuple, chez une race ou dans le monde entier, en raison de celle des deux catégories qui aura la prépondérance.
Pour simplifier la question, soit donné un peuple, à un degré quelconque d'avancement, et composé de vingt millions d'âmes, par exemple ; le renouvellement des Esprits se faisant au fur à mesure des extinctions, isolées ou en masse, il y a nécessairement eu un moment où la génération des Esprits retardataires l'emportait en nombre sur celle des Esprits progressifs qui ne comptaient que de rares représentants sans influence, et dont les efforts pour faire prédominer le bien et les idées progressives étaient paralysés. Or, les uns partant et les autres arrivant, après un temps donné, les deux forces s'équilibrent et leur influence se contrebalance. Plus tard, les nouveaux venus sont en majorité et leur influence devient prépondérante, quoique encore entravée par celle des premiers ; ceux-ci, continuant à diminuer tandis que les autres se multiplient, finiront par disparaître ; il arrivera donc un moment où l'influence de la nouvelle génération sera exclusive.
Nous assistons à cette transformation, au conflit qui résulte de la lutte des idées contraires qui cherchent à s'implanter ; les unes marchent avec le drapeau du passé, les autres avec celui de l'avenir. Si l'on examine l'état actuel du monde, on reconnaîtra que, prise dans son ensemble, l'humanité terrestre est loin encore du point intermédiaire où les forces se balancent ; que les peuples, considérés isolément, sont à une grande distance les uns des autres sur cette échelle ; que quelques-uns touchent à ce point, mais qu'aucun ne l'a encore dépassé. Du reste, la distance qui le sépare des points extrêmes est loin d'être égale en durée, et une fois la limite franchie, la nouvelle route sera parcourue avec d'autant plus de rapidité, qu'une foule de circonstances viendront l'aplanir.
Ainsi s'accomplit la transformation de l'humanité. Sans l'émigration, c'est-à-dire sans le départ des Esprits retardataires qui ne doivent pas revenir, ou qui ne doivent revenir qu'après s'être améliorés, l'humanité terrestre ne resterait pas pour cela indéfiniment stationnaire, parce que les Esprits les plus arriérés avancent à leur tour ; mais il eût fallu des siècles, et peut-être des milliers d'années pour atteindre le résultat qu'un demi-siècle suffira pour réaliser.
Une comparaison vulgaire fera mieux comprendre encore ce qui se passe en cette circonstance. Supposons un régiment composé en grande majorité d'hommes turbulents et indisciplinés : ceux-ci y porteront sans cesse un désordre que la sévérité de la loi pénale aura souvent de la peine à réprimer. Ces hommes sont les plus forts, parce qu'ils sont les plus nombreux ; ils se soutiennent, s'encouragent et se stimulent par l'exemple. Les quelques bons sont sans influence ; leurs conseils sont méprisés ; ils sont bafoués, maltraités par les autres, et souffrent de ce contact. N'est-ce pas là l'image de la société actuelle ?
Supposons qu'on retire ces hommes du régiment un par un, dix par dix, cent par cent, et qu'on les remplace à mesure par un nombre égal de bons soldats, même par ceux qui auront été expulsés, mais qui se seront sérieusement amendés : au bout de quelque temps on aura toujours le même régiment, mais transformé ; le bon ordre y aura succédé au désordre. Ainsi en sera-t-il de l'humanité régénérée.
Les grands départs collectifs n'ont pas seulement pour but d'activer les sorties, mais de transformer plus rapidement l'esprit de la masse en la débarrassant des mauvaises influences, et de donner plus d'ascendant aux idées nouvelles.
C'est parce que beaucoup, malgré leurs imperfections, sont mûrs pour cette transformation, que beaucoup partent afin d'aller se retremper à une source plus pure. Tant qu'ils seraient restés dans le même milieu et sous les mêmes influences, ils auraient persisté dans leurs opinions et dans leur manière de voir les choses. Un séjour dans le monde des Esprits suffit pour leur dessiller les yeux, parce qu'ils y voient ce qu'ils ne pouvaient pas voir sur la terre. L'incrédule, le fanatique, l'absolutiste, pourront donc revenir avec des idées innées de foi, de tolérance et de liberté. A leur retour, ils trouveront les choses changées, et subiront l'ascendant du nouveau milieu où ils seront nés. Au lieu de faire de l'opposition aux idées nouvelles, ils en seront les auxiliaires.
La régénération de l'humanité n'a donc pas absolument besoin du renouvellement intégral des Esprits : il suffit d'une modification dans leurs dispositions morales ; cette modification s'opère chez tous ceux qui y sont prédisposés, lorsqu'ils sont soustraits à l'influence pernicieuse du monde. Ceux qui reviennent alors ne sont pas toujours d'autres Esprits, mais souvent les mêmes Esprits pensant et sentant autrement.
Lorsque cette amélioration est isolée et individuelle, elle passe inaperçue, et elle est sans influence ostensible sur le monde. Tout autre est l'effet, lorsqu'elle s'opère simultanément sur de grandes masses ; car alors, selon les proportions, en une génération les idées d'un peuple ou d'une race peuvent être profondément modifiées.
C'est ce qu'on remarque presque toujours après les grandes secousses qui déciment les populations. Les fléaux destructeurs ne détruisent que le corps, mais n'atteignent pas l'Esprit ; ils activent le mouvement de va-et-vient entre le monde corporel et le monde spirituel, et par suite le mouvement progressif des Esprits incarnés et désincarnés.
C'est un de ces mouvements généraux qui s'opère en ce moment, et qui doit amener le remaniement de l'humanité. La multiplicité des causes de destruction est un signe caractéristique des temps, car elles doivent hâter l'éclosion des nouveaux germes. Ce sont les feuilles d'automne qui tombent, et auxquelles succèderont de nouvelles feuilles pleines de vie ; car l'humanité a ses saisons, comme les individus ont leurs âges. Les feuilles mortes de l'humanité tombent emportées par les rafales et les coups de vent, mais pour renaître plus vivaces sous le même souffle de vie, qui ne s'éteint pas, mais se purifie.
Pour le matérialiste, les fléaux destructeurs sont des calamités sans compensations, sans résultats utiles, puisque, selon lui, ils anéantissent les êtres sans retour. Mais pour celui qui sait que la mort ne détruit que l'enveloppe, ils n'ont pas les mêmes conséquences, et ne lui causent pas le moindre effroi, car il en comprend le but, et il sait aussi que les hommes ne perdent pas plus à mourir ensemble qu'à mourir isolément, puisque, de manière ou d'autre, il faut toujours en arriver là.
Les incrédules riront de ces choses et les traiteront de chimères ; mais, quoi qu'ils disent, ils n'échapperont pas à la loi commune ; ils tomberont à leur tour comme les autres, et alors qu'adviendra-t-il d'eux ? Ils disent : rien ; mais ils vivront en dépit d'eux-mêmes, et seront forcés un jour d'ouvrir les yeux.
Nota. ‑ La communication suivante nous a été adressée, pendant le voyage que nous venons de faire, de la part d'un de nos chers protecteurs invisibles ; bien qu'elle ait un caractère personnel, elle se rattache aussi à la grande question que nous venons de traiter et qu'elle confirme, et, à ce titre, elle est d'autant mieux placée ici, que les personnes persécutées pour leurs croyances spirites y trouveront d'utiles encouragements.
« Paris, 1er septembre 1866.
Depuis longtemps déjà je n'ai point fait acte de présence à vos réunions en donnant une communication signée de mon nom ; ne croyez pas, cher maître, que ce soit par indifférence ou par oubli, mais je ne voyais point de nécessité de me manifester, et je laissais à d'autres plus dignes le soin de vous donner d'utiles instructions. Cependant j'étais là, et je suivais avec le plus grand intérêt les progrès de cette chère doctrine à laquelle j'ai dû le bonheur et le calme des dernières années de ma vie. J'étais là, et mon bon ami, M. T… vous en a donné plus d'une fois l'assurance pendant ses heures de sommeil et d'extase. Il envie mon bonheur, et il aspire aussi à venir dans le monde que j'habite maintenant, quand il le contemple brillant dans le ciel étoilé et qu'il reporte sa pensée sur ses rudes épreuves.
Moi aussi, j'en ai eu de bien pénibles ; grâce au Spiritisme, je les ai supportées sans me plaindre et je les bénis maintenant, puisque je leur dois mon avancement. Qu'il prenne patience ; dites-lui qu'il y viendra un jour, mais qu'il doit auparavant revenir encore sur la terre pour vous aider dans l'entier accomplissement de votre tâche. Mais alors, combien tout sera changé ! Vous vous croirez tous deux dans un monde nouveau.
Mon ami, pendant que vous le pouvez, reposez votre esprit et votre cerveau fatigués par le travail ; amassez des forces matérielles, car bientôt vous aurez beaucoup à dépenser. Les événements, qui vont désormais se succéder avec rapidité, vous appelleront sur la brèche ; soyez ferme de corps et d'esprit, afin d'être en état de lutter avec avantage. Il faudra alors travailler sans relâche. Mais, comme on vous l'a déjà dit, vous ne serez pas seul à porter le fardeau ; des auxiliaires sérieux se montreront quand il en sera temps. Ecoutez donc les conseils du bon docteur Demeure, et gardez-vous de toute fatigue inutile ou prématurée. Du reste, nous serons là pour vous conseiller et vous avertir.
Défiez-vous des deux partis extrêmes qui agitent le Spiritisme, soit pour l'enrayer au passé, soit pour précipiter sa course en avant. Tempérez les ardeurs nuisibles, et ne vous laissez pas arrêter par les tergiversations des craintifs, ou, ce qui est plus dangereux, mais ce qui n'est malheureusement que trop vrai, par les suggestions des émissaires ennemis.
Marchez d'un pas ferme et sûr comme vous l'avez fait jusqu'ici, sans vous inquiéter de ce qui se dit à droite ou à gauche, en suivant l'inspiration de vos guides et de votre raison, et vous ne risquerez pas de faire tomber le char du Spiritisme dans l'ornière. Beaucoup le poussent, ce char envié, pour précipiter sa chute. Aveugles et présomptueux ! il passera malgré les obstacles, et ne laissera dans l'abîme que ses ennemis et ses envieux déconcertés d'avoir servi à son triomphe.
« Les phénomènes vont surgir de tous côtés sous les aspects les plus variés, et ils surgissent déjà. Médiumnité guérissante, maladies incompréhensibles, effets physiques inexplicables par la science, tout se réunira dans un avenir prochain pour assurer notre victoire définitive, à laquelle concourront de nouveaux défenseurs.
Mais que de luttes il faudra encore soutenir, et aussi que de victimes ! non sanglantes, sans doute, mais frappées dans leurs intérêts et dans leurs affections. Plus d'un faiblira sous le poids des inimitiés déchaînées contre tout ce qui porte le nom de Spirite. Mais aussi, heureux ceux qui auront su conserver leur fermeté dans l'adversité ! Ils en seront bien récompensés, même ici-bas matériellement. Les persécutions sont les épreuves de la sincérité de leur foi, de leur courage et de leur persévérance. La confiance qu'ils auront mise en Dieu ne sera pas vaine. Toutes les souffrances, toutes les vexations, toutes les humiliations qu'ils auront endurées pour la cause seront des titres dont aucun ne sera perdu ; les bons Esprits veillent sur eux et les comptent, et ils sauront bien faire la part des dévouements sincères et celle des dévouements factices. Si la roue de la fortune les trahit momentanément et les précipite dans la poussière, bientôt elle les relèvera plus haut que jamais, en leur rendant la considération publique, et en détruisant les obstacles amoncelés sur leur chemin. Plus tard, ils se réjouiront d'avoir payé leur tribut à la cause, et plus ce tribut sera grand, plus leur part sera belle.
En ces temps d'épreuves, il vous faudra prodiguer à tous votre force et votre fermeté ; à tous il faudra aussi des encouragements et des conseils. Il faudra aussi fermer les yeux sur les défections des tièdes et des lâches. Pour votre propre compte, vous aurez aussi beaucoup à pardonner…
Mais je m'arrête ici, car si je puis vous pressentir sur l'ensemble des événements, il ne m'est pas permis de rien préciser. Tout ce que je puis vous dire, c'est que nous ne succomberons pas dans la lutte. On peut entourer la vérité des ténèbres de l'erreur, il est impossible de l'étouffer ; sa flamme est immortelle et se fait jour tôt ou tard.
Veuve F… »
Nota. ‑ Nous ajournons à notre prochain numéro la suite de notre étude sur Mahomet et l'islamisme, parce que, pour l'enchaînement des idées et l'intelligence des déductions, il était utile quelle fût précédée de l'article ci-dessus.
[1] Voir Evangile selon le Spiritisme, chap. xv.
Les événements se précipitent avec rapidité, aussi ne vous disons-nous plus, comme autrefois : « Les temps sont proches » ; nous vous disons maintenant : « Les temps sont arrivés. »
Par ces mots n'entendez pas un nouveau déluge, ni un cataclysme, ni un bouleversement général. Des convulsions partielles du globe ont eu lieu à toutes les époques et se produisent encore, parce qu'elles tiennent à sa constitution, mais ce ne sont pas là les signes des temps.
Et cependant tout ce qui est prédit dans l'Évangile doit s'accomplir et s'accomplit en ce moment, ainsi que vous le reconnaîtrez plus tard ; mais ne prenez les signes annoncés que comme des figures dont il faut saisir l'esprit et non la lettre. Toutes les Écritures renferment de grandes vérités sous le voile de l'allégorie, et c'est parce que les commentateurs se sont attachés à la lettre qu'ils se sont fourvoyés. Il leur a manqué la clef pour en comprendre le sens véritable. Cette clef est dans les découvertes de la science et dans les lois du monde invisible que vient vous révéler le Spiritisme. Désormais, à l'aide de ces nouvelles connaissances, ce qui était obscur devient clair et intelligible.
Tout suit l'ordre naturel des choses, et les lois immuables de Dieu ne seront point interverties. Vous ne verrez donc ni miracles, ni prodiges, ni rien de surnaturel dans le sens vulgaire attaché à ces mots.
Ne regardez pas au ciel pour y chercher des signes précurseurs, car vous n'en verrez point, et ceux qui vous en annonceront vous abuseront ; mais regardez autour de vous, parmi les hommes, c'est là que vous les trouverez.
Ne sentez-vous pas comme un vent qui souffle sur la terre et agite tous les Esprits ? Le monde est dans l'attente et comme saisi d'un vague pressentiment à l'approche de l'orage.
Ne croyez cependant pas à la fin du monde matériel ; la terre a progressé depuis sa transformation ; elle doit progresser encore, et non point être détruite. Mais l'humanité est arrivée à l'une de ses périodes de transformation, et la terre va s'élever dans la hiérarchie des mondes.
Ce n'est donc pas la fin du monde matériel qui se prépare, mais la fin du monde moral ; c'est le vieux monde, le monde des préjugés, de l'égoïsme, de l'orgueil et du fanatisme qui s'écroule ; chaque jour en emporte quelque débris. Tout finira pour lui avec la génération qui s'en va, et la génération nouvelle élèvera le nouvel édifice que les générations suivantes consolideront et complèteront.
De monde d'expiation, la terre est appelée à devenir un jour un monde heureux, et son habitation sera une récompense au lieu d'être une punition. Le règne du bien doit y succéder au règne du mal.
Pour que les hommes soient heureux sur la terre, il faut qu'elle ne soit peuplée que de bons Esprits incarnés et désincarnés qui ne voudront que le bien. Ce temps étant arrivé, une grande émigration s'accomplit en ce moment parmi ceux qui l'habitent ; ceux qui font le mal pour le mal, et que le sentiment du bien ne touche pas, n'étant plus dignes de la terre transformée, en seront exclus, parce qu'ils y porteraient de nouveau le trouble et la confusion et seraient un obstacle au progrès. Ils iront expier leur endurcissement dans des mondes inférieurs, où ils porteront leurs connaissances acquises, et qu'ils auront pour mission de faire avancer. Ils seront remplacés sur la terre par des Esprits meilleurs qui feront régner entre eux la justice, la paix, la fraternité.
La terre, nous l'avons dit, ne doit point être transformée par un cataclysme qui anéantirait subitement une génération. La génération actuelle disparaîtra graduellement, et la nouvelle lui succédera de même sans que rien soit changé à l'ordre naturel des choses. Tout se passera donc extérieurement comme d'habitude, avec cette seule différence, mais cette différence est capitale, qu'une partie des Esprits qui s'y incarnaient ne s'y incarneront plus. Dans un enfant qui naîtra, au lieu d'un Esprit arriéré et porté au mal qui s'y serait incarné, ce sera un Esprit plus avancé et porté au bien. Il s'agit donc bien moins d'une nouvelle génération corporelle que d'une nouvelle génération d'Esprits. Ainsi, ceux qui s'attendaient à voir la transformation s'opérer par des effets surnaturels et merveilleux seront déçus.
L'époque actuelle est celle de la transition ; les éléments des deux générations se confondent. Placés au point intermédiaire, vous assistez au départ de l'une et à l'arrivée de l'autre, et chacun se signale déjà dans le monde par les caractères qui lui sont propres.
Les deux générations qui succèdent l'une à l'autre ont des idées et des vues tout opposées. A la nature des dispositions morales, mais surtout des dispositions intuitives et innées, il est facile de distinguer à laquelle des deux appartient chaque individu.
La nouvelle génération, devant fonder l'ère du progrès moral, se distingue par une intelligence et une raison généralement précoces, jointes au sentiment inné du bien et des croyances spiritualistes, ce qui est le signe indubitable d'un certain degré d'avancement antérieur. Elle ne sera point composée exclusivement d'Esprits éminemment supérieurs, mais de ceux qui, ayant déjà progressé, sont prédisposés à s'assimiler toutes les idées progressives et aptes à seconder le mouvement régénérateur.
Ce qui distingue, au contraire, les Esprits arriérés, c'est d'abord la révolte contre Dieu par la négation de la Providence et de toute puissance supérieure à l'humanité ; puis la propension instinctive aux passions dégradantes, aux sentiments anti-fraternels de l'égoïsme, de l'orgueil, de la haine, de la jalousie, de la cupidité, enfin la prédominance de l'attachement pour tout ce qui est matériel.
Ce sont ces vices dont la terre doit être purgée par l'éloignement de ceux qui refusent de s'amender, parce qu'ils sont incompatibles avec le règne de la fraternité et que les hommes de bien souffriront toujours de leur contact. La terre en sera délivrée, et les hommes marcheront sans entraves vers l'avenir meilleur qui leur est réservé ici-bas, pour prix de leurs efforts et de leur persévérance, en attendant qu'une épuration encore plus complète leur ouvre l'entrée des mondes supérieurs.
Par cette émigration des Esprits, il ne faut pas entendre que tous les Esprits retardataires seront expulsés de la terre et relégués dans les mondes inférieurs. Beaucoup, au contraire, y reviendront, car beaucoup ont cédé à l'entraînement des circonstances et de l'exemple ; l'écorce était chez eux plus mauvaise que le fond. Une fois soustraits à l'influence de la matière et des préjugés du monde corporel, la plupart verront les choses d'une manière toute différente que de leur vivant, ainsi que vous en avez de nombreux exemples. En cela, ils sont aidés par les Esprits bienveillants qui s'intéressent à eux et qui s'empressent de les éclairer et de leur montrer la fausse route qu'ils ont suivie. Par vos prières et vos exhortations, vous pouvez vous-mêmes contribuer à leur amélioration, parce qu'il y a solidarité perpétuelle entre les morts et les vivants.
Ceux-là pourront donc revenir, et ils en seront heureux, car ce sera une récompense. Qu'importe ce qu'ils auront été et ce qu'ils auront fait, sils sont animés de meilleurs sentiments ! Loin d'être hostiles à la société et au progrès, ce seront des auxiliaires utiles, car ils appartiendront à la nouvelle génération.
Il n'y aura donc d'exclusion définitive que pour les Esprits foncièrement rebelles, ceux que l'orgueil et l'égoïsme, plus que l'ignorance, rendent sourds à la voix du bien et de la raison. Mais ceux-là mêmes ne sont pas voués à une infériorité perpétuelle, et un jour viendra où ils répudieront leur passé et ouvriront les yeux à la lumière.
Priez donc pour ces endurcis afin qu'ils s'amendent pendant qu'il en est temps encore, car le jour de l'expiation approche.
Malheureusement la plupart, méconnaissant la voix de Dieu, persisteront dans leur aveuglement, et leur résistance marquera la fin de leur règne par des luttes terribles. Dans leur égarement, ils courront eux-mêmes à leur perte ; ils pousseront à la destruction qui engendrera une multitude de fléaux et de calamités, de sorte que, sans le vouloir, ils hâteront l'avènement de l'ère de la rénovation.
Et comme si la destruction ne marchait pas assez vite, on verra les suicides se multiplier dans une proportion inouïe, jusque parmi les enfants. La folie n'aura jamais frappé un plus grand nombre d'hommes qui seront, avant la mort, rayés du nombre des vivants. Ce sont là les véritables signes des temps. Et tout cela s'accomplira par l'enchaînement des circonstances, ainsi que nous l'avons dit, sans qu'il soit en rien dérogé aux lois de la nature.
Cependant, à travers le nuage sombre qui vous enveloppe, et au sein duquel gronde la tempête, voyez déjà poindre les premiers rayons de l'ère nouvelle ! La fraternité pose ses fondements sur tous les points du globe et les peuples se tendent la main ; la barbarie se familiarise au contact de la civilisation ; les préjugés de races et de sectes, qui ont fait verser des flots de sang, s'éteignent ; le fanatisme et l'intolérance perdent du terrain, tandis que la liberté de conscience s'introduit dans les mœurs et devient un droit. Partout les idées fermentent ; on voit le mal et l'on essaye des remèdes, mais beaucoup marchent sans boussole et s'égarent dans les utopies. Le monde est dans un immense travail d'enfantement qui aura duré un siècle ; dans ce travail, encore confus, on voit cependant dominer une tendance vers un but : celui de l'unité et de l'uniformité qui prédisposent à la fraternisation.
Ce sont encore là des signes du temps ; mais tandis que les autres sont ceux de l'agonie du passé, ces derniers sont les premiers vagissements de l'enfant qui naît, les précurseurs de l'aurore que verra se lever le siècle prochain, car alors la nouvelle génération sera dans toute sa force. Autant la physionomie du dix-neuvième siècle diffère de celle du dix-huitième à certains points de vue, autant celle du vingtième siècle sera différente du dix-neuvième à d'autres points de vue.
Un des caractères distinctifs de la nouvelle génération sera la foi innée ; non la foi exclusive et aveugle qui divise les hommes, mais la foi raisonnée qui éclaire et fortifie, qui les unit et les confond dans un commun sentiment d'amour de Dieu et du prochain. Avec la génération qui s'éteint disparaîtront les derniers vestiges de l'incrédulité et du fanatisme, également contraires au progrès moral et social.
Le Spiritisme est la voie qui conduit à la rénovation, parce qu'il ruine les deux plus grands obstacles qui s'y opposent : l'incrédulité et le fanatisme. Il donne une foi solide et éclairée ; il développe tous les sentiments et toutes les idées qui correspondent aux vues de la nouvelle génération ; c'est pourquoi il est comme inné et à l'état d'intuition dans le cœur de ses représentants. L'ère nouvelle le verra donc grandir et prospérer par la force même des choses. Il deviendra la base de toutes les croyances, le point d'appui de toutes les institutions.
Mais d'ici là, que de luttes il aura encore à soutenir contre ses deux plus grands ennemis : l'incrédulité, et le fanatisme qui, chose bizarre, se donnent la main pour l'abattre ! Ils pressentent son avenir et leur ruine : c'est pourquoi ils le redoutent, car ils le voient déjà planter, sur les ruines du vieux monde égoïste, le drapeau qui doit rallier tous les peuples. Dans la divine maxime : Hors la charité point de salut, ils lisent leur propre condamnation, car c'est le symbole de la nouvelle alliance fraternelle proclamée par le Christ[1]. Elle se montre à eux comme les mots fatals du festin de Balthazar. Et pourtant, cette maxime, ils devraient la bénir, car elle les garantit de toutes représailles de la part de ceux qu'ils persécutent. Mais non, une force aveugle les pousse à rejeter ce qui seul pourrait les sauver !
Que pourront-ils contre l'ascendant de l'opinion qui les répudie ? Le Spiritisme sortira triomphant de la lutte, n'en doutez pas, car il est dans les lois de la nature, et par cela même impérissable. Voyez par quelle multitude de moyens l'idée se répand et pénètre partout ; croyez bien que ces moyens ne sont pas fortuits, mais providentiels ; ce qui, au premier abord, semblerait devoir lui nuire, est précisément ce qui aide à sa propagation.
Bientôt il verra surgir des champions hautement avoués parmi les hommes les plus considérables et les plus accrédités, qui l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur exemple, et imposeront silence à ses détracteurs, car on n'osera pas les traiter de fous. Ces hommes l'étudient dans le silence et se montreront quand le moment propice sera venu. Jusque-là, il est utile qu'ils se tiennent à l'écart.
Bientôt aussi vous verrez les arts y puiser comme à une mine féconde, et traduire ses pensées et les horizons qu'il découvre par la peinture, la musique, la poésie et la littérature. Il vous a été dit qu'il y aurait un jour l'art spirite, comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien, et c'est une grande vérité, car les plus grands génies s'en inspireront. Bientôt vous en verrez les premières ébauches, et plus tard il prendra le rang qu'il doit avoir.
Spirites, l'avenir est à vous et à tous les hommes de cœur et de dévouement. Ne vous effrayez pas des obstacles, car il n'en est aucun qui puisse entraver les desseins de la Providence. Travaillez sans relâche, et remerciez Dieu de vous avoir placés à l'avant-garde de la nouvelle phalange. C'est un poste d'honneur que vous avez vous-mêmes demandé, et dont il faut vous rendre dignes par votre courage, votre persévérance et votre dévouement. Heureux ceux qui succomberont dans cette lutte contre la force ; mais la honte sera, dans le monde des Esprits, pour ceux qui succomberaient par faiblesse ou pusillanimité. Les luttes, d'ailleurs, sont nécessaires pour fortifier l'âme ; le contact du mal fait mieux apprécier les avantages du bien. Sans les luttes qui stimulent les facultés, l'Esprit se laisserait aller à une insouciance funeste à son avancement. Les luttes contre les éléments développent les forces physiques et l'intelligence ; les luttes contre le mal développent les forces morales.
Remarques. – 1° La manière dont s'opère la transformation est fort simple, et, comme on le voit, elle est toute morale et ne s'écarte en rien des lois de la nature. Pourquoi donc les incrédules repoussent-ils ces idées, puisqu'elles n'ont rien de surnaturel ? C'est que, selon eux, la loi de vitalité cesse à la mort du corps, tandis que pour nous elle se poursuit sans interruption ; ils restreignent son action et nous l'étendons ; c'est pourquoi nous disons que les phénomènes de la vie spirituelle ne sortent pas des lois de la nature. Pour eux, le surnaturel commence où finit l'appréciation par les sens.
2° Que les Esprits de la nouvelle génération soient de nouveaux Esprits meilleurs, ou les anciens Esprits améliorés, le résultat est le même ; dès l'instant qu'ils apportent de meilleures dispositions, c'est toujours un renouvellement. Les Esprits incarnés forment ainsi deux catégories, selon leurs dispositions naturelles : d'une part, les Esprits retardataires qui partent, de l'autre les Esprits progressifs qui arrivent. L'état des mœurs et de la société sera donc, chez un peuple, chez une race ou dans le monde entier, en raison de celle des deux catégories qui aura la prépondérance.
Pour simplifier la question, soit donné un peuple, à un degré quelconque d'avancement, et composé de vingt millions d'âmes, par exemple ; le renouvellement des Esprits se faisant au fur à mesure des extinctions, isolées ou en masse, il y a nécessairement eu un moment où la génération des Esprits retardataires l'emportait en nombre sur celle des Esprits progressifs qui ne comptaient que de rares représentants sans influence, et dont les efforts pour faire prédominer le bien et les idées progressives étaient paralysés. Or, les uns partant et les autres arrivant, après un temps donné, les deux forces s'équilibrent et leur influence se contrebalance. Plus tard, les nouveaux venus sont en majorité et leur influence devient prépondérante, quoique encore entravée par celle des premiers ; ceux-ci, continuant à diminuer tandis que les autres se multiplient, finiront par disparaître ; il arrivera donc un moment où l'influence de la nouvelle génération sera exclusive.
Nous assistons à cette transformation, au conflit qui résulte de la lutte des idées contraires qui cherchent à s'implanter ; les unes marchent avec le drapeau du passé, les autres avec celui de l'avenir. Si l'on examine l'état actuel du monde, on reconnaîtra que, prise dans son ensemble, l'humanité terrestre est loin encore du point intermédiaire où les forces se balancent ; que les peuples, considérés isolément, sont à une grande distance les uns des autres sur cette échelle ; que quelques-uns touchent à ce point, mais qu'aucun ne l'a encore dépassé. Du reste, la distance qui le sépare des points extrêmes est loin d'être égale en durée, et une fois la limite franchie, la nouvelle route sera parcourue avec d'autant plus de rapidité, qu'une foule de circonstances viendront l'aplanir.
Ainsi s'accomplit la transformation de l'humanité. Sans l'émigration, c'est-à-dire sans le départ des Esprits retardataires qui ne doivent pas revenir, ou qui ne doivent revenir qu'après s'être améliorés, l'humanité terrestre ne resterait pas pour cela indéfiniment stationnaire, parce que les Esprits les plus arriérés avancent à leur tour ; mais il eût fallu des siècles, et peut-être des milliers d'années pour atteindre le résultat qu'un demi-siècle suffira pour réaliser.
Une comparaison vulgaire fera mieux comprendre encore ce qui se passe en cette circonstance. Supposons un régiment composé en grande majorité d'hommes turbulents et indisciplinés : ceux-ci y porteront sans cesse un désordre que la sévérité de la loi pénale aura souvent de la peine à réprimer. Ces hommes sont les plus forts, parce qu'ils sont les plus nombreux ; ils se soutiennent, s'encouragent et se stimulent par l'exemple. Les quelques bons sont sans influence ; leurs conseils sont méprisés ; ils sont bafoués, maltraités par les autres, et souffrent de ce contact. N'est-ce pas là l'image de la société actuelle ?
Supposons qu'on retire ces hommes du régiment un par un, dix par dix, cent par cent, et qu'on les remplace à mesure par un nombre égal de bons soldats, même par ceux qui auront été expulsés, mais qui se seront sérieusement amendés : au bout de quelque temps on aura toujours le même régiment, mais transformé ; le bon ordre y aura succédé au désordre. Ainsi en sera-t-il de l'humanité régénérée.
Les grands départs collectifs n'ont pas seulement pour but d'activer les sorties, mais de transformer plus rapidement l'esprit de la masse en la débarrassant des mauvaises influences, et de donner plus d'ascendant aux idées nouvelles.
C'est parce que beaucoup, malgré leurs imperfections, sont mûrs pour cette transformation, que beaucoup partent afin d'aller se retremper à une source plus pure. Tant qu'ils seraient restés dans le même milieu et sous les mêmes influences, ils auraient persisté dans leurs opinions et dans leur manière de voir les choses. Un séjour dans le monde des Esprits suffit pour leur dessiller les yeux, parce qu'ils y voient ce qu'ils ne pouvaient pas voir sur la terre. L'incrédule, le fanatique, l'absolutiste, pourront donc revenir avec des idées innées de foi, de tolérance et de liberté. A leur retour, ils trouveront les choses changées, et subiront l'ascendant du nouveau milieu où ils seront nés. Au lieu de faire de l'opposition aux idées nouvelles, ils en seront les auxiliaires.
La régénération de l'humanité n'a donc pas absolument besoin du renouvellement intégral des Esprits : il suffit d'une modification dans leurs dispositions morales ; cette modification s'opère chez tous ceux qui y sont prédisposés, lorsqu'ils sont soustraits à l'influence pernicieuse du monde. Ceux qui reviennent alors ne sont pas toujours d'autres Esprits, mais souvent les mêmes Esprits pensant et sentant autrement.
Lorsque cette amélioration est isolée et individuelle, elle passe inaperçue, et elle est sans influence ostensible sur le monde. Tout autre est l'effet, lorsqu'elle s'opère simultanément sur de grandes masses ; car alors, selon les proportions, en une génération les idées d'un peuple ou d'une race peuvent être profondément modifiées.
C'est ce qu'on remarque presque toujours après les grandes secousses qui déciment les populations. Les fléaux destructeurs ne détruisent que le corps, mais n'atteignent pas l'Esprit ; ils activent le mouvement de va-et-vient entre le monde corporel et le monde spirituel, et par suite le mouvement progressif des Esprits incarnés et désincarnés.
C'est un de ces mouvements généraux qui s'opère en ce moment, et qui doit amener le remaniement de l'humanité. La multiplicité des causes de destruction est un signe caractéristique des temps, car elles doivent hâter l'éclosion des nouveaux germes. Ce sont les feuilles d'automne qui tombent, et auxquelles succèderont de nouvelles feuilles pleines de vie ; car l'humanité a ses saisons, comme les individus ont leurs âges. Les feuilles mortes de l'humanité tombent emportées par les rafales et les coups de vent, mais pour renaître plus vivaces sous le même souffle de vie, qui ne s'éteint pas, mais se purifie.
Pour le matérialiste, les fléaux destructeurs sont des calamités sans compensations, sans résultats utiles, puisque, selon lui, ils anéantissent les êtres sans retour. Mais pour celui qui sait que la mort ne détruit que l'enveloppe, ils n'ont pas les mêmes conséquences, et ne lui causent pas le moindre effroi, car il en comprend le but, et il sait aussi que les hommes ne perdent pas plus à mourir ensemble qu'à mourir isolément, puisque, de manière ou d'autre, il faut toujours en arriver là.
Les incrédules riront de ces choses et les traiteront de chimères ; mais, quoi qu'ils disent, ils n'échapperont pas à la loi commune ; ils tomberont à leur tour comme les autres, et alors qu'adviendra-t-il d'eux ? Ils disent : rien ; mais ils vivront en dépit d'eux-mêmes, et seront forcés un jour d'ouvrir les yeux.
Nota. ‑ La communication suivante nous a été adressée, pendant le voyage que nous venons de faire, de la part d'un de nos chers protecteurs invisibles ; bien qu'elle ait un caractère personnel, elle se rattache aussi à la grande question que nous venons de traiter et qu'elle confirme, et, à ce titre, elle est d'autant mieux placée ici, que les personnes persécutées pour leurs croyances spirites y trouveront d'utiles encouragements.
« Paris, 1er septembre 1866.
Depuis longtemps déjà je n'ai point fait acte de présence à vos réunions en donnant une communication signée de mon nom ; ne croyez pas, cher maître, que ce soit par indifférence ou par oubli, mais je ne voyais point de nécessité de me manifester, et je laissais à d'autres plus dignes le soin de vous donner d'utiles instructions. Cependant j'étais là, et je suivais avec le plus grand intérêt les progrès de cette chère doctrine à laquelle j'ai dû le bonheur et le calme des dernières années de ma vie. J'étais là, et mon bon ami, M. T… vous en a donné plus d'une fois l'assurance pendant ses heures de sommeil et d'extase. Il envie mon bonheur, et il aspire aussi à venir dans le monde que j'habite maintenant, quand il le contemple brillant dans le ciel étoilé et qu'il reporte sa pensée sur ses rudes épreuves.
Moi aussi, j'en ai eu de bien pénibles ; grâce au Spiritisme, je les ai supportées sans me plaindre et je les bénis maintenant, puisque je leur dois mon avancement. Qu'il prenne patience ; dites-lui qu'il y viendra un jour, mais qu'il doit auparavant revenir encore sur la terre pour vous aider dans l'entier accomplissement de votre tâche. Mais alors, combien tout sera changé ! Vous vous croirez tous deux dans un monde nouveau.
Mon ami, pendant que vous le pouvez, reposez votre esprit et votre cerveau fatigués par le travail ; amassez des forces matérielles, car bientôt vous aurez beaucoup à dépenser. Les événements, qui vont désormais se succéder avec rapidité, vous appelleront sur la brèche ; soyez ferme de corps et d'esprit, afin d'être en état de lutter avec avantage. Il faudra alors travailler sans relâche. Mais, comme on vous l'a déjà dit, vous ne serez pas seul à porter le fardeau ; des auxiliaires sérieux se montreront quand il en sera temps. Ecoutez donc les conseils du bon docteur Demeure, et gardez-vous de toute fatigue inutile ou prématurée. Du reste, nous serons là pour vous conseiller et vous avertir.
Défiez-vous des deux partis extrêmes qui agitent le Spiritisme, soit pour l'enrayer au passé, soit pour précipiter sa course en avant. Tempérez les ardeurs nuisibles, et ne vous laissez pas arrêter par les tergiversations des craintifs, ou, ce qui est plus dangereux, mais ce qui n'est malheureusement que trop vrai, par les suggestions des émissaires ennemis.
Marchez d'un pas ferme et sûr comme vous l'avez fait jusqu'ici, sans vous inquiéter de ce qui se dit à droite ou à gauche, en suivant l'inspiration de vos guides et de votre raison, et vous ne risquerez pas de faire tomber le char du Spiritisme dans l'ornière. Beaucoup le poussent, ce char envié, pour précipiter sa chute. Aveugles et présomptueux ! il passera malgré les obstacles, et ne laissera dans l'abîme que ses ennemis et ses envieux déconcertés d'avoir servi à son triomphe.
« Les phénomènes vont surgir de tous côtés sous les aspects les plus variés, et ils surgissent déjà. Médiumnité guérissante, maladies incompréhensibles, effets physiques inexplicables par la science, tout se réunira dans un avenir prochain pour assurer notre victoire définitive, à laquelle concourront de nouveaux défenseurs.
Mais que de luttes il faudra encore soutenir, et aussi que de victimes ! non sanglantes, sans doute, mais frappées dans leurs intérêts et dans leurs affections. Plus d'un faiblira sous le poids des inimitiés déchaînées contre tout ce qui porte le nom de Spirite. Mais aussi, heureux ceux qui auront su conserver leur fermeté dans l'adversité ! Ils en seront bien récompensés, même ici-bas matériellement. Les persécutions sont les épreuves de la sincérité de leur foi, de leur courage et de leur persévérance. La confiance qu'ils auront mise en Dieu ne sera pas vaine. Toutes les souffrances, toutes les vexations, toutes les humiliations qu'ils auront endurées pour la cause seront des titres dont aucun ne sera perdu ; les bons Esprits veillent sur eux et les comptent, et ils sauront bien faire la part des dévouements sincères et celle des dévouements factices. Si la roue de la fortune les trahit momentanément et les précipite dans la poussière, bientôt elle les relèvera plus haut que jamais, en leur rendant la considération publique, et en détruisant les obstacles amoncelés sur leur chemin. Plus tard, ils se réjouiront d'avoir payé leur tribut à la cause, et plus ce tribut sera grand, plus leur part sera belle.
En ces temps d'épreuves, il vous faudra prodiguer à tous votre force et votre fermeté ; à tous il faudra aussi des encouragements et des conseils. Il faudra aussi fermer les yeux sur les défections des tièdes et des lâches. Pour votre propre compte, vous aurez aussi beaucoup à pardonner…
Mais je m'arrête ici, car si je puis vous pressentir sur l'ensemble des événements, il ne m'est pas permis de rien préciser. Tout ce que je puis vous dire, c'est que nous ne succomberons pas dans la lutte. On peut entourer la vérité des ténèbres de l'erreur, il est impossible de l'étouffer ; sa flamme est immortelle et se fait jour tôt ou tard.
Veuve F… »
Nota. ‑ Nous ajournons à notre prochain numéro la suite de notre étude sur Mahomet et l'islamisme, parce que, pour l'enchaînement des idées et l'intelligence des déductions, il était utile quelle fût précédée de l'article ci-dessus.
[1] Voir Evangile selon le Spiritisme, chap. xv.
Le Zouave guérisseur du camp de Châlons
On lit dans l'Écho de l'Aisne, du 1er août 1866 :
« Il n'est bruit dans nos contrées que des merveilles accomplies, au camp de Châlons, par un jeune zouave spirite, qui chaque jour fait de nouveaux miracles.
De nombreux convois de malades se dirigent sur Châlons, et, chose incroyable, « un bon nombre » en reviennent guéris.
Ces jours derniers, un paralytique venu en voiture, après avoir été voir le « jeune spirite » s'est trouvé radicalement guéri, et s'en est gaillardement revenu chez lui à pied.
« Il n'est bruit dans nos contrées que des merveilles accomplies, au camp de Châlons, par un jeune zouave spirite, qui chaque jour fait de nouveaux miracles.
De nombreux convois de malades se dirigent sur Châlons, et, chose incroyable, « un bon nombre » en reviennent guéris.
Ces jours derniers, un paralytique venu en voiture, après avoir été voir le « jeune spirite » s'est trouvé radicalement guéri, et s'en est gaillardement revenu chez lui à pied.
Explique qui pourra ces faits qui tiennent du prodige ; toujours est-il qu'ils sont exacts, et affirmés par un grand nombre de personnes intelligentes et dignes de foi.
Renaud. »
Cet article est reproduit textuellement par la Presse illustrée du 6 août. Le Petit Journal, du 17 août, raconte le fait en ces termes :
Après avoir pu visiter le quartier impérial, que vous avez, je pense, déjà décrit à vos lecteurs, c'est-à-dire la demeure la mieux entendue et en même temps la plus simple que puisse avoir un souverain, même pour quelques jours seulement, j'ai passé ma soirée à courir après le zouave magnétiseur.
Ce zouave, un simple musicien, est, depuis trois mois, le héros du camp et des environs. C'est un petit homme maigre, brun, aux yeux profondément enfoncés dans l'orbite ; une véritable physionomie de derviche tourneur. On raconte de lui des choses incroyables, et je suis bien forcé de ne vous parler que de ce que l'on raconte, car, depuis plusieurs jours, il a dû, par ordre supérieur, interrompre les séances publiques qu'il donnait à l'hôtel de la Meuse. On venait de dix lieues à la ronde ; il recevait vingt-cinq à trente malades à la fois, et à sa voix, à sa vue, à son toucher, dit-on du moins, subitement les sourds entendaient, les muets parlaient, les boiteux s'en allaient béquilles sous le bras.
Tout cela est-il bien vrai ? je n'en sais rien. J'ai causé une heure avec lui. Il se nomme Jacob, est tout simplement Bourguignon, s'exprime facilement, m'a eu l'air des plus convaincus et des plus intelligents. Il a toujours refusé toute espèce de rémunération, et n'aime même pas les remerciements. De plus, il m'a promis un manuscrit qui lui a été dicté par un Esprit. Inutile de vous dire que je vous en ferai part aussitôt qu'il m'aura été remis, si toutefois l'Esprit a de l'esprit.
Cet article est reproduit textuellement par la Presse illustrée du 6 août. Le Petit Journal, du 17 août, raconte le fait en ces termes :
Après avoir pu visiter le quartier impérial, que vous avez, je pense, déjà décrit à vos lecteurs, c'est-à-dire la demeure la mieux entendue et en même temps la plus simple que puisse avoir un souverain, même pour quelques jours seulement, j'ai passé ma soirée à courir après le zouave magnétiseur.
Ce zouave, un simple musicien, est, depuis trois mois, le héros du camp et des environs. C'est un petit homme maigre, brun, aux yeux profondément enfoncés dans l'orbite ; une véritable physionomie de derviche tourneur. On raconte de lui des choses incroyables, et je suis bien forcé de ne vous parler que de ce que l'on raconte, car, depuis plusieurs jours, il a dû, par ordre supérieur, interrompre les séances publiques qu'il donnait à l'hôtel de la Meuse. On venait de dix lieues à la ronde ; il recevait vingt-cinq à trente malades à la fois, et à sa voix, à sa vue, à son toucher, dit-on du moins, subitement les sourds entendaient, les muets parlaient, les boiteux s'en allaient béquilles sous le bras.
Tout cela est-il bien vrai ? je n'en sais rien. J'ai causé une heure avec lui. Il se nomme Jacob, est tout simplement Bourguignon, s'exprime facilement, m'a eu l'air des plus convaincus et des plus intelligents. Il a toujours refusé toute espèce de rémunération, et n'aime même pas les remerciements. De plus, il m'a promis un manuscrit qui lui a été dicté par un Esprit. Inutile de vous dire que je vous en ferai part aussitôt qu'il m'aura été remis, si toutefois l'Esprit a de l'esprit.
René de Pont-Jest. »
Enfin, l'Écho de l'Aisne, après avoir cité le fait, dans son numéro du 1er août, le commente de la manière suivante dans celui du 4 :
« Au numéro de mercredi dernier, vous avez dit qu'il n'était bruit, dans nos contrées, que des guérisons accomplies au camp de Châlons par un jeune zouave spirite.
Je crois bien faire en vous priant d'en rabattre, parce qu'une véritable armée de malades se dirige chaque jour vers le camp : ceux qui reviennent satisfaits engagent d'autres à les imiter ; ceux, au contraire, qui n'ont rien gagné, ne tarissent point de blâmes ou de moqueries.
Je crois bien faire en vous priant d'en rabattre, parce qu'une véritable armée de malades se dirige chaque jour vers le camp : ceux qui reviennent satisfaits engagent d'autres à les imiter ; ceux, au contraire, qui n'ont rien gagné, ne tarissent point de blâmes ou de moqueries.
Entre ces deux opinions extrêmes, il est une prudente réserve que « bon nombre de malades » doivent prendre pour règle de conduite, pour guide de ce qu'ils peuvent faire.
Ces « cures merveilleuses », ces « miracles », ainsi que les appelle le commun des mortels, n'ont rien de merveilleux, rien de miraculeux.
De prime-abord, ils causent l'étonnement parce qu'ils ne sont pas communs ; mais comme rien de ce qui s'accomplit ne se fait sans cause, on a dû chercher ce qui produit de tels faits, et la science les a expliqués.
Les impressions morales vives ont toujours eu la faculté d'agir sur le « système nerveux » ; ‑ les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur des maladies de ce système. A toute époque, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, des guérisons ont été signalées par la seule force de l'influence de l'imagination, influence constatée par un grand nombre de faits ; ‑ il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'aujourd'hui les mêmes causes produisent les mêmes résultats.
Les impressions morales vives ont toujours eu la faculté d'agir sur le « système nerveux » ; ‑ les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur des maladies de ce système. A toute époque, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, des guérisons ont été signalées par la seule force de l'influence de l'imagination, influence constatée par un grand nombre de faits ; ‑ il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'aujourd'hui les mêmes causes produisent les mêmes résultats.
C'est donc aux seuls malades du « système nerveux » qu'il est possible « d'aller voir et d'espérer.
X. »
Avant tout autre commentaire, nous ferons une courte observation sur ce dernier article. L'auteur constate les faits et les explique à sa manière. Selon lui, ces guérisons n'ont rien de merveilleux ni de miraculeux. Sur ce point, nous sommes parfaitement d'accord : le Spiritisme dit carrément qu'il ne fait point de miracles ; que tous les faits, sans exception, qui se produisent par l'influence médianimique sont dus à une force naturelle, et s'accomplissent en vertu d'une loi tout aussi naturelle que celle qui fait transmettre une dépêche de l'autre côté de l'Atlantique en quelques minutes. Avant la découverte de la loi de l'électricité, un pareil fait eût passé pour le miracle des miracles. Supposons pour un instant que Franklin, plus initié encore qu'il ne l'était sur les propriétés du fluide électrique, eût tendu un fil métallique à travers l'Océan et établi une correspondance instantanée entre l'Europe et l'Amérique, sans en indiquer le procédé, qu'eût-on pensé de lui ? On aurait incontestablement crié au miracle ; on lui aurait attribué un pouvoir surnaturel ; aux yeux d'une foule de gens, il aurait passé pour sorcier et pour avoir le diable à ses ordres. La connaissance de la loi de l'électricité a réduit ce prétendu prodige aux proportions des effets naturels. Ainsi d'une foule d'autres phénomènes.
Mais cornait-on toutes les lois de la nature ? la propriété de tous les fluides ? Ne se peut-il qu'un fluide inconnu, comme l'a si longtemps été l'électricité, soit la cause d'effets inexpliqués, produise sur l'économie des résultats impossibles pour la science, à l'aide des moyens bornés dont elle dispose ? Eh bien ! là est tout le secret des guérisons médianimiques ; ou mieux, il n'y a point de secret, car le Spiritisme n'a de mystères que pour ceux qui ne se donnent pas la peine de l'étudier. Ces guérisons ont tout simplement pour principe une action fluidique dirigée par la pensée et la volonté, au lieu de l'être par un fil métallique. Le tout est de connaître les propriétés de ce fluide, les conditions dans lesquelles il peut agir, et de savoir le diriger. Il faut, en outre, un instrument humain suffisamment pourvu de ce fluide, et apte à lui donner l'énergie suffisante.
Cette faculté n'est pas le privilège d'un individu ; par cela même qu'elle est dans la nature, beaucoup la possèdent, mais à des degrés très différents, comme tout le monde a celle de voir, mais plus ou moins loin. Dans le nombre de ceux qui en sont doués, quelques-uns agissent en connaissance de cause, comme le zouave Jacob ; d'autres à leur insu, et sans se rendre compte de ce qui se passe en eux ; ils savent qu'ils guérissent, voilà tout ; demandez-leur comment, ils n'en savent rien. S'ils sont superstitieux, ils attribueront leur pouvoir à une cause occulte, à la vertu de quelque talisman ou amulette qui, en réalité, ne sert à rien. Il en est ainsi de tous les médiums inconscients, et le nombre en est grand. Quantité de gens sont eux-mêmes la cause première d'effets qui les étonnent et qu'ils ne s'expliquent pas. Parmi les négateurs les plus obstinés, plus d'un est médium sans le savoir.Le journal en question dit :
« Les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur les maladies du système nerveux ; elles sont dues à l'influence de l'imagination, constatée par un grand nombre de faits ; il y a eu de ces cures dans l'antiquité comme dans les temps modernes ; elles n'ont donc rien d'extraordinaire. »
En disant que M. Jacob n'a guéri que des affections nerveuses, l'auteur s'avance un peu à la légère, car les faits contredisent cette affirmation. Mais admettons que cela soit ; ces sortes d'affections sont innombrables, et précisément de celles où la science est le plus souvent forcée d'avouer son impuissance ; si, par un moyen quelconque, on peut en triompher, n'est-ce pas un résultat important ? Si ce moyen est dans l'influence de l'imagination, qu'importe ! pourquoi le négliger ? Ne vaut-il pas mieux guérir par l'imagination que de ne pas guérir du tout ? Il nous semble difficile, cependant, que l'imagination seule, fût-elle surexcitée au plus haut degré, puisse faire marcher un paralytique et redresser un membre ankylosé. Dans tous les cas, puisque, selon l'auteur, des guérisons de maladies nerveuses ont de tout temps été guéries par l'influence de l'imagination, les médecins n'en sont que plus inexcusables de s'obstiner à employer des moyens impuissants, quand l'expérience leur en montre d'efficaces. Sans le vouloir, l'auteur fait leur procès.
Mais, dit-il, M. Jacob ne guérit pas tout le monde. ‑ C'est possible et même certain ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il n'a pas un pouvoir guérisseur universel. L'homme qui aurait ce pouvoir serait l'égal de Dieu, et celui qui aurait la prétention de le posséder ne serait qu'un sot présomptueux. Ne guérirait-on que quatre ou cinq malades sur dix, reconnus incurables par la science, que cela suffirait pour prouver l'existence de la faculté. Y a-t-il beaucoup de médecins qui puissent en faire autant ?
Nous connaissons personnellement M. Jacob depuis longtemps comme médium écrivain, et propagateur zélé du Spiritisme ; nous savions qu'il avait fait quelques essais partiels de médiumnité guérissante, mais il paraît que cette faculté a pris chez lui un développement rapide et considérable pendant son séjour au camp de Châlons. Un de nos collègues de la société de Paris, M. Boivinet, qui habite le département de l'Aisne, a bien voulu nous adresser un compte rendu très circonstancié des faits qui sont à sa connaissance personnelle. Ses connaissances approfondies en Spiritisme, jointes à un caractère exempt d'exaltation et d'enthousiasme, lui ont permis d'apprécier sainement les choses. Son témoignage a donc pour nous toute la valeur de celui d'un homme honorable, impartial et éclairé, et son compte rendu a toute l'authenticité désirable. Nous tenons donc les faits attestés par lui pour aussi avérés que si nous en avions été personnellement témoin. L'étendue de ces documents ne nous permet pas de les publier en entier dans cette revue, mais nous les avons coordonnés pour les utiliser ultérieurement, nous bornant, pour aujourd'hui, à en citer les passages les plus essentiels :
« … Tenant à justifier bien complètement la confiance que vous voulez mettre en moi, je me suis enquis, tant par moi-même que par des personnes tout à fait honorables et dignes de foi, des guérisons bien constatées opérées par M. Jacob. Ces personnes ne sont, du reste, pas des Spirites, ce qui ôte à leur affirmation toute suspicion de partialité en faveur du Spiritisme.
Je réduis d'un tiers les appréciations de M. Jacob sur le chiffre des malades reçus par lui ; mais il me semble que je suis en deçà, peut-être bien en deçà de la vérité, en estimant ce chiffre à 4,000, sur lesquels un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. L'affluence était telle, que l'autorité militaire s'en est émue et l'a consigné, en interdisant les visites à l'avenir. Je tiens moi-même du chef de gare que le chemin de fer transportait journellement des masses de malades au camp.
Quant à la nature des maladies sur lesquelles il a plus particulièrement exercé son influence, il m'est impossible de le dire. Ce sont surtout les infirmes qui se sont adressés à lui, et ce sont eux, par conséquent, qui figurent en plus grand nombre parmi ses clients satisfaits ; mais bien d'autres affligés pouvaient se présenter à lui avec succès.
C'est ainsi qu'à Chartères, village tout voisin de celui que j'habite, j'ai vu et revu un homme d'environ cinquante ans qui, depuis 1856, rendait tout ce qu'il prenait. Au moment où il est allé voir le zouave, il était parti entièrement malade, et vomissait au moins trois fois par jour. En le voyant, M. Jacob lui dit : « Vous êtes guéri ! » et, séance tenante, l'invita à boire et à manger. Le pauvre paysan, surmontant son appréhension, but et mangea et ne s'en trouva pas mal. Depuis plus de trois semaines il n'a pas éprouvé le moindre malaise. La cure a été instantanée. Inutile d'ajouter que M. Jacob ne lui fit prendre aucun médicament et ne lui prescrivit aucun traitement. Son action fluidique seule, comme une commotion électrique, avait suffi pour rétablir les organes dans leur état normal. »
Remarque. ‑ Cet homme est de ces natures frustes qui s'exaltent fort peu. Si donc une seule parole avait suffi pour surexciter son imagination au point de guérir instantanément une gastrite chronique, il faudrait convenir que le phénomène serait encore plus surprenant que la guérison, et mériterait bien quelque attention.
« La fille du maître de l'hôtel de la Meuse, au Mourmelon, malade de la poitrine, était faible au point de ne pouvoir quitter son lit. Le zouave l'invita à se lever, ce qu'elle put faire de suite ; à la stupéfaction des nombreux spectateurs, elle descendit l'escalier sans aide, et alla se promener au jardin avec son nouveau médecin. Depuis ce jour, cette jeune fille se porte bien. Je ne suis pas médecin, mais je ne crois pas que ce soit là une maladie nerveuse.
M. B…, maître de pension, que l'idée de l'intervention des Esprits dans nos affaires fait bondir, me racontait qu'une dame malade de l'estomac depuis longtemps avait été guérie par le zouave, et que, depuis ce temps, elle avait engraissé notablement, d'une vingtaine de livres environ. »
Remarque. Ce monsieur, que l'idée de l'intervention des Esprits exaspère, serait donc bien fâché que, lorsqu'il sera mort, son propre Esprit pût venir assister les personnes qui lui sont chères, les guérir, et leur prouver qu'il n'est pas perdu pour elles ?
Quant aux infirmes proprement dits, les résultats obtenus sur eux sont plus stupéfiants, parce que l'œil apprécie de suite le résultat.
A Treloup, village situé à 7 ou 8 kilomètres d'ici, un vieillard de soixante-dix ans était perclus et ne pouvait rien faire. Quitter sa chaise était presque impossible. La guérison a été complète et instantanée. Hier encore on m'en reparlait. Eh bien ! me disait-on, je l'ai vu, le père Petit ; il fauchait !
Une femme du Mourmelon avait la jambe percluse, immobilisée ; son genou était ramené sur son estomac. Maintenant elle se promène et se porte bien.
Le jour où le zouave a été interdit, un maçon a parcouru le Mourmelon exaspéré, et voulait, disait-il, assommer ceux qui empêchaient le médium de travailler. Ce maçon avait les deux poignets ramenés vers l'intérieur des bras. Ses poignets jouent aujourd'hui comme les nôtres, et il gagne deux francs de plus par jour.
Que de personnes ont été apportées qui ont pu repartir seules, ayant retrouvé séance tenante l'usage de leurs membres !
Une enfant de cinq ans, amenée de Reims, qui n'avait jamais marché, a marché de suite.Le fait suivant a été, pour ainsi dire, le point de départ de la faculté du médium, ou du moins de l'exercice public de cette faculté devenue notoire :
Arrivant à la Ferté-sous-Jouarre et se dirigeant vers le camp, le régiment de zouaves était réuni sur la place publique. Avant de rompre les rangs, la musique exécute un morceau. Au nombre des spectateurs se trouvait une petite fille dans une petite voiture traînée par ses parents. Cette enfant est signalée au zouave par un de ses camarades. La musique terminée, il se dirige vers elle, et s'adressant aux parents : « Cette enfant est donc malade ? leur dit-il. ‑ Elle ne peut marcher, lui fut-il répondu ; depuis deux ans elle a la jambe serrée dans un appareil orthopédique. ‑ Enlevez donc cet appareil, elle n'en a pas besoin. » Ce qui fut fait, non sans quelque hésitation, et la petite fille marcha. On alla donc au café, et le père, comme fou de joie, voulait que le limonadier montât sa cave, pour la faire boire par les zouaves.
Je vais maintenant vous dire comment le médium procédait, c'est-à-dire vous raconter une séance, à laquelle je n'ai pas assisté, mais que je me suis fait détailler par différents malades.
Le zouave fait entrer ses malades. La dimension du local en règle seule le nombre. C'est ainsi qu'il a dû, on l'affirme, se transporter de l'hôtel de l'Europe, où il ne pouvait admettre que dix-huit personnes à la foi, à l'hôtel de la Meuse, où il en pouvait admettre vingt-cinq ou trente. On s'introduit. Ceux qui habitent les pays les plus éloignés sont généralement invités à passer les premiers. Certaines personnes veulent parler : « Silence ! dit-il ; ceux qui parlent, je les … mets à la porte ! » Au bout de dix à quinze minutes de silence et d'immobilité générale, il s'adresse à quelques malades, les interroge rarement, mais leur dit ce qu'ils éprouvent. Puis, se promenant le long de la grande table autour de laquelle sont assis les malades, il parle à tous, mais sans ordre ; il les touche, mais sans gestes rappelant ceux des magnétiseurs ; puis il renvoie son monde, disant aux uns : « Vous êtes guéris, allez-vous-en ; » à d'autres : « Vous guérirez sans rien faire ; vous n'avez que de la faiblesse ; » à quelques-uns, mais rarement : « Je ne puis rien pour vous. » Veut-on le remercier, il répond très militairement qu'il n'a que faire de remerciements, et pousse ses clients dehors. Quelquefois il leur dit : « Vos remerciements, c'est à la Providence qu'il faut les adresser. »
Le 7 du mois d'août, un ordre du maréchal est venu interrompre le cours des séances. Aussitôt son interdiction, et vu l'affluence énorme des malades au Mourmelon, on a dû employer à l'égard du médium un moyen sans précédent. Comme il n'avait commis aucune faute et qu'il observait toujours très exactement la discipline, on ne pouvait l'enfermer. On attacha un planton à sa personne avec ordre de le suivre partout et d'empêcher qui que ce fût de l'approcher.
On a, m'a-t-on dit, toléré toutes ces guérisons tant que le mot Spiritisme n'a pas été prononcé, et je ne crois pas que ce soit par M. Jacob qu'il l'ait été. Ce serait à partir de ce moment qu'on a usé de rigueur contre lui.
D'où vient donc l'effroi que cause le seul nom du Spiritisme, même alors qu'il ne fait que du bien, console les affligés et soulage l'humanité souffrante ? Je crois, pour ma part, que certaines gens ont peur qu'il ne fasse trop de bien.
Dans les premiers jours du mois de septembre, M. Jacob a bien voulu venir passer deux jours chez moi, en exécution d'une promesse éventuelle qu'il m'avait faite au camp de Châlons. Le plaisir que j'ai eu à le recevoir s'est trouvé décuplé par les services qu'il a pu rendre à bon nombre de malheureux. Depuis son départ, je me suis tenu à peu près quotidiennement au courant de l'état des malades soignés, et je vous donne ci-après le résultat de mes observations. Afin d'être exact comme un relevé statistique, et à titre de renseignements ultérieurs, s'il y a lieu, je les inscris ici nominativement. (Suit une liste de 30 et quelques noms, avec désignation de l'âge, de la maladie et du résultat obtenu.)
M. Jacob est sincèrement religieux. « Ce que je fais, me disait-il, ne m'étonne pas. Je ferais des choses bien plus extraordinaires que je ne serais pas étonné davantage, parce que je sais que Dieu peut ce qu'il veut. Une chose seulement m'étonne, c'est d'avoir eu l'immense faveur d'être l'instrument qu'il a choisi. Aujourd'hui on est surpris de ce que j'obtiens, mais qui sait si dans un mois, dans un an, il n'y aura pas dix, vingt, cinquante médiums comme moi et plus forts que moi ? M. Kardec, lui qui cherche et doit chercher à étudier des faits comme ceux qui se passent ici, aurait dû venir ; aujourd'hui, demain, je puis perdre ma faculté, et ce serait pour lui une étude perdue ; il doit tenir à se faire l'historien de pareils faits. »
Observation.
Nous aurions été heureux, sans doute, d'être témoin personnel des faits rapportés ci-dessus, et nous serions probablement allés au camp de Châlons si nous en avions eu la possibilité et si nous en avions été informés en temps utile. Nous ne l'avons appris que par la voie indirecte des journaux, alors que nous étions en voyage, et nous avouons n'avoir pas une confiance absolue dans leurs récits. Nous aurions fort à faire s'il nous fallait aller contrôler par nous-même tout ce qu'ils rapportent du Spiritisme, ou même tout ce qui nous est signalé par notre correspondance. Nous ne pouvions y aller qu'avec la certitude de n'avoir pas de déception, et quand le compte rendu de M. Boivinet nous est parvenu, le camp était levé. Du reste, la vue de ces faits ne nous aurait rien appris de nouveau, car nous croyons les comprendre ; il se serait donc simplement agi d'en constater la réalité ; mais le témoignage d'un homme comme M. Boivinet, auquel nous avions envoyé une lettre pour M. Jacob, avec prière de nous instruire de ce qu'il aurait vu, nous suffisait complètement. Il n'y a donc eu de perdu pour nous que le plaisir d'avoir vu personnellement M. Jacob à l'œuvre, ce qui pourra, nous l'espérons, avoir lieu ailleurs qu'au camp de Châlons.Nous n'avons donc parlé des guérisons de M. Jacob que parce qu'elles sont authentiques ; si elles nous eussent paru suspectes, ou entachées de charlatanisme et d'une forfanterie ridicule qui les eût rendues plus nuisibles qu'utiles à la cause du Spiritisme, nous nous serions abstenu, quoi qu'on ait pu en dire, comme nous l'avons fait en maintes autres circonstances, ne voulant nous faire l'éditeur responsable d'aucune excentricité, ni seconder les vues ambitieuses et intéressées qui se cachent parfois sous les apparences du dévouement. Voilà pourquoi nous sommes circonspects dans nos appréciations des hommes et des choses, et aussi pourquoi notre Revue ne se transforme en encensoir au profit de personne.
Mais il s'agit ici d'une chose sérieuse, féconde en résultats, et capitale au double point de vue du fait en lui-même, et de l'accomplissement d'une des prévisions des Esprits. Depuis longtemps, en effet, ils ont annoncé que la médiumnité guérissante se développerait dans des proportions exceptionnelles, de manière à fixer l'attention générale, et nous félicitons M. Jacob d'en avoir un des premiers fourni l'exemple ; mais ici, comme dans tous les genres de manifestations, la personne, pour nous, s'efface devant la question principale.
Dès l'instant que le don de guérir n'est le résultat ni du travail, ni de l'étude, ni d'un talent acquis, celui qui le possède ne peut s'en faire un mérite. On loue un grand artiste, un savant, parce qu'ils doivent ce qu'ils sont à leurs propres efforts ; mais le médium le mieux doué n'est qu'un instrument passif, dont les Esprits se servent aujourd'hui, et qu'ils peuvent laisser demain. Que serait M. Jacob s'il perdait sa faculté, ce qu'il est sage à lui de prévoir ? Ce qu'il était avant : le musicien des zouaves ; tandis que, quoi qu'il arrive, au savant il restera toujours la science et à l'artiste le talent. Nous sommes heureux de voir M. Jacob partager ces idées, par conséquent ce n'est donc point à lui que s'adressent ces réflexions. Il sera également de notre avis, nous n'en doutons pas, quand nous dirons que ce qui est un mérite réel chez un médium, ce qu'on peut et doit louer avec raison, c'est l'emploi qu'il fait de sa faculté ; c'est le zèle, le dévouement, le désintéressement avec lesquels il la met au service de ceux à qui elle peut être utile ; c'est encore la modestie, la simplicité, l'abnégation, la bienveillance qui respirent dans ses paroles et que toutes ses actions justifient, parce que ces qualités lui appartiennent en propre. Ce n'est donc pas le médium qu'il faut élever sur un piédestal, puisque demain il peut en descendre : c'est l'homme de bien qui sait se rendre utile sans ostentation et sans profit pour sa vanité.Le développement de la médiumnité guérissante, aura forcément des conséquences d'une haute gravité, qui seront l'objet d'un examen spécial et approfondi dans un prochain article.
Mais cornait-on toutes les lois de la nature ? la propriété de tous les fluides ? Ne se peut-il qu'un fluide inconnu, comme l'a si longtemps été l'électricité, soit la cause d'effets inexpliqués, produise sur l'économie des résultats impossibles pour la science, à l'aide des moyens bornés dont elle dispose ? Eh bien ! là est tout le secret des guérisons médianimiques ; ou mieux, il n'y a point de secret, car le Spiritisme n'a de mystères que pour ceux qui ne se donnent pas la peine de l'étudier. Ces guérisons ont tout simplement pour principe une action fluidique dirigée par la pensée et la volonté, au lieu de l'être par un fil métallique. Le tout est de connaître les propriétés de ce fluide, les conditions dans lesquelles il peut agir, et de savoir le diriger. Il faut, en outre, un instrument humain suffisamment pourvu de ce fluide, et apte à lui donner l'énergie suffisante.
Cette faculté n'est pas le privilège d'un individu ; par cela même qu'elle est dans la nature, beaucoup la possèdent, mais à des degrés très différents, comme tout le monde a celle de voir, mais plus ou moins loin. Dans le nombre de ceux qui en sont doués, quelques-uns agissent en connaissance de cause, comme le zouave Jacob ; d'autres à leur insu, et sans se rendre compte de ce qui se passe en eux ; ils savent qu'ils guérissent, voilà tout ; demandez-leur comment, ils n'en savent rien. S'ils sont superstitieux, ils attribueront leur pouvoir à une cause occulte, à la vertu de quelque talisman ou amulette qui, en réalité, ne sert à rien. Il en est ainsi de tous les médiums inconscients, et le nombre en est grand. Quantité de gens sont eux-mêmes la cause première d'effets qui les étonnent et qu'ils ne s'expliquent pas. Parmi les négateurs les plus obstinés, plus d'un est médium sans le savoir.Le journal en question dit :
« Les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur les maladies du système nerveux ; elles sont dues à l'influence de l'imagination, constatée par un grand nombre de faits ; il y a eu de ces cures dans l'antiquité comme dans les temps modernes ; elles n'ont donc rien d'extraordinaire. »
En disant que M. Jacob n'a guéri que des affections nerveuses, l'auteur s'avance un peu à la légère, car les faits contredisent cette affirmation. Mais admettons que cela soit ; ces sortes d'affections sont innombrables, et précisément de celles où la science est le plus souvent forcée d'avouer son impuissance ; si, par un moyen quelconque, on peut en triompher, n'est-ce pas un résultat important ? Si ce moyen est dans l'influence de l'imagination, qu'importe ! pourquoi le négliger ? Ne vaut-il pas mieux guérir par l'imagination que de ne pas guérir du tout ? Il nous semble difficile, cependant, que l'imagination seule, fût-elle surexcitée au plus haut degré, puisse faire marcher un paralytique et redresser un membre ankylosé. Dans tous les cas, puisque, selon l'auteur, des guérisons de maladies nerveuses ont de tout temps été guéries par l'influence de l'imagination, les médecins n'en sont que plus inexcusables de s'obstiner à employer des moyens impuissants, quand l'expérience leur en montre d'efficaces. Sans le vouloir, l'auteur fait leur procès.
Mais, dit-il, M. Jacob ne guérit pas tout le monde. ‑ C'est possible et même certain ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il n'a pas un pouvoir guérisseur universel. L'homme qui aurait ce pouvoir serait l'égal de Dieu, et celui qui aurait la prétention de le posséder ne serait qu'un sot présomptueux. Ne guérirait-on que quatre ou cinq malades sur dix, reconnus incurables par la science, que cela suffirait pour prouver l'existence de la faculté. Y a-t-il beaucoup de médecins qui puissent en faire autant ?
Nous connaissons personnellement M. Jacob depuis longtemps comme médium écrivain, et propagateur zélé du Spiritisme ; nous savions qu'il avait fait quelques essais partiels de médiumnité guérissante, mais il paraît que cette faculté a pris chez lui un développement rapide et considérable pendant son séjour au camp de Châlons. Un de nos collègues de la société de Paris, M. Boivinet, qui habite le département de l'Aisne, a bien voulu nous adresser un compte rendu très circonstancié des faits qui sont à sa connaissance personnelle. Ses connaissances approfondies en Spiritisme, jointes à un caractère exempt d'exaltation et d'enthousiasme, lui ont permis d'apprécier sainement les choses. Son témoignage a donc pour nous toute la valeur de celui d'un homme honorable, impartial et éclairé, et son compte rendu a toute l'authenticité désirable. Nous tenons donc les faits attestés par lui pour aussi avérés que si nous en avions été personnellement témoin. L'étendue de ces documents ne nous permet pas de les publier en entier dans cette revue, mais nous les avons coordonnés pour les utiliser ultérieurement, nous bornant, pour aujourd'hui, à en citer les passages les plus essentiels :
« … Tenant à justifier bien complètement la confiance que vous voulez mettre en moi, je me suis enquis, tant par moi-même que par des personnes tout à fait honorables et dignes de foi, des guérisons bien constatées opérées par M. Jacob. Ces personnes ne sont, du reste, pas des Spirites, ce qui ôte à leur affirmation toute suspicion de partialité en faveur du Spiritisme.
Je réduis d'un tiers les appréciations de M. Jacob sur le chiffre des malades reçus par lui ; mais il me semble que je suis en deçà, peut-être bien en deçà de la vérité, en estimant ce chiffre à 4,000, sur lesquels un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. L'affluence était telle, que l'autorité militaire s'en est émue et l'a consigné, en interdisant les visites à l'avenir. Je tiens moi-même du chef de gare que le chemin de fer transportait journellement des masses de malades au camp.
Quant à la nature des maladies sur lesquelles il a plus particulièrement exercé son influence, il m'est impossible de le dire. Ce sont surtout les infirmes qui se sont adressés à lui, et ce sont eux, par conséquent, qui figurent en plus grand nombre parmi ses clients satisfaits ; mais bien d'autres affligés pouvaient se présenter à lui avec succès.
C'est ainsi qu'à Chartères, village tout voisin de celui que j'habite, j'ai vu et revu un homme d'environ cinquante ans qui, depuis 1856, rendait tout ce qu'il prenait. Au moment où il est allé voir le zouave, il était parti entièrement malade, et vomissait au moins trois fois par jour. En le voyant, M. Jacob lui dit : « Vous êtes guéri ! » et, séance tenante, l'invita à boire et à manger. Le pauvre paysan, surmontant son appréhension, but et mangea et ne s'en trouva pas mal. Depuis plus de trois semaines il n'a pas éprouvé le moindre malaise. La cure a été instantanée. Inutile d'ajouter que M. Jacob ne lui fit prendre aucun médicament et ne lui prescrivit aucun traitement. Son action fluidique seule, comme une commotion électrique, avait suffi pour rétablir les organes dans leur état normal. »
Remarque. ‑ Cet homme est de ces natures frustes qui s'exaltent fort peu. Si donc une seule parole avait suffi pour surexciter son imagination au point de guérir instantanément une gastrite chronique, il faudrait convenir que le phénomène serait encore plus surprenant que la guérison, et mériterait bien quelque attention.
« La fille du maître de l'hôtel de la Meuse, au Mourmelon, malade de la poitrine, était faible au point de ne pouvoir quitter son lit. Le zouave l'invita à se lever, ce qu'elle put faire de suite ; à la stupéfaction des nombreux spectateurs, elle descendit l'escalier sans aide, et alla se promener au jardin avec son nouveau médecin. Depuis ce jour, cette jeune fille se porte bien. Je ne suis pas médecin, mais je ne crois pas que ce soit là une maladie nerveuse.
M. B…, maître de pension, que l'idée de l'intervention des Esprits dans nos affaires fait bondir, me racontait qu'une dame malade de l'estomac depuis longtemps avait été guérie par le zouave, et que, depuis ce temps, elle avait engraissé notablement, d'une vingtaine de livres environ. »
Remarque. Ce monsieur, que l'idée de l'intervention des Esprits exaspère, serait donc bien fâché que, lorsqu'il sera mort, son propre Esprit pût venir assister les personnes qui lui sont chères, les guérir, et leur prouver qu'il n'est pas perdu pour elles ?
Quant aux infirmes proprement dits, les résultats obtenus sur eux sont plus stupéfiants, parce que l'œil apprécie de suite le résultat.
A Treloup, village situé à 7 ou 8 kilomètres d'ici, un vieillard de soixante-dix ans était perclus et ne pouvait rien faire. Quitter sa chaise était presque impossible. La guérison a été complète et instantanée. Hier encore on m'en reparlait. Eh bien ! me disait-on, je l'ai vu, le père Petit ; il fauchait !
Une femme du Mourmelon avait la jambe percluse, immobilisée ; son genou était ramené sur son estomac. Maintenant elle se promène et se porte bien.
Le jour où le zouave a été interdit, un maçon a parcouru le Mourmelon exaspéré, et voulait, disait-il, assommer ceux qui empêchaient le médium de travailler. Ce maçon avait les deux poignets ramenés vers l'intérieur des bras. Ses poignets jouent aujourd'hui comme les nôtres, et il gagne deux francs de plus par jour.
Que de personnes ont été apportées qui ont pu repartir seules, ayant retrouvé séance tenante l'usage de leurs membres !
Une enfant de cinq ans, amenée de Reims, qui n'avait jamais marché, a marché de suite.Le fait suivant a été, pour ainsi dire, le point de départ de la faculté du médium, ou du moins de l'exercice public de cette faculté devenue notoire :
Arrivant à la Ferté-sous-Jouarre et se dirigeant vers le camp, le régiment de zouaves était réuni sur la place publique. Avant de rompre les rangs, la musique exécute un morceau. Au nombre des spectateurs se trouvait une petite fille dans une petite voiture traînée par ses parents. Cette enfant est signalée au zouave par un de ses camarades. La musique terminée, il se dirige vers elle, et s'adressant aux parents : « Cette enfant est donc malade ? leur dit-il. ‑ Elle ne peut marcher, lui fut-il répondu ; depuis deux ans elle a la jambe serrée dans un appareil orthopédique. ‑ Enlevez donc cet appareil, elle n'en a pas besoin. » Ce qui fut fait, non sans quelque hésitation, et la petite fille marcha. On alla donc au café, et le père, comme fou de joie, voulait que le limonadier montât sa cave, pour la faire boire par les zouaves.
Je vais maintenant vous dire comment le médium procédait, c'est-à-dire vous raconter une séance, à laquelle je n'ai pas assisté, mais que je me suis fait détailler par différents malades.
Le zouave fait entrer ses malades. La dimension du local en règle seule le nombre. C'est ainsi qu'il a dû, on l'affirme, se transporter de l'hôtel de l'Europe, où il ne pouvait admettre que dix-huit personnes à la foi, à l'hôtel de la Meuse, où il en pouvait admettre vingt-cinq ou trente. On s'introduit. Ceux qui habitent les pays les plus éloignés sont généralement invités à passer les premiers. Certaines personnes veulent parler : « Silence ! dit-il ; ceux qui parlent, je les … mets à la porte ! » Au bout de dix à quinze minutes de silence et d'immobilité générale, il s'adresse à quelques malades, les interroge rarement, mais leur dit ce qu'ils éprouvent. Puis, se promenant le long de la grande table autour de laquelle sont assis les malades, il parle à tous, mais sans ordre ; il les touche, mais sans gestes rappelant ceux des magnétiseurs ; puis il renvoie son monde, disant aux uns : « Vous êtes guéris, allez-vous-en ; » à d'autres : « Vous guérirez sans rien faire ; vous n'avez que de la faiblesse ; » à quelques-uns, mais rarement : « Je ne puis rien pour vous. » Veut-on le remercier, il répond très militairement qu'il n'a que faire de remerciements, et pousse ses clients dehors. Quelquefois il leur dit : « Vos remerciements, c'est à la Providence qu'il faut les adresser. »
Le 7 du mois d'août, un ordre du maréchal est venu interrompre le cours des séances. Aussitôt son interdiction, et vu l'affluence énorme des malades au Mourmelon, on a dû employer à l'égard du médium un moyen sans précédent. Comme il n'avait commis aucune faute et qu'il observait toujours très exactement la discipline, on ne pouvait l'enfermer. On attacha un planton à sa personne avec ordre de le suivre partout et d'empêcher qui que ce fût de l'approcher.
On a, m'a-t-on dit, toléré toutes ces guérisons tant que le mot Spiritisme n'a pas été prononcé, et je ne crois pas que ce soit par M. Jacob qu'il l'ait été. Ce serait à partir de ce moment qu'on a usé de rigueur contre lui.
D'où vient donc l'effroi que cause le seul nom du Spiritisme, même alors qu'il ne fait que du bien, console les affligés et soulage l'humanité souffrante ? Je crois, pour ma part, que certaines gens ont peur qu'il ne fasse trop de bien.
Dans les premiers jours du mois de septembre, M. Jacob a bien voulu venir passer deux jours chez moi, en exécution d'une promesse éventuelle qu'il m'avait faite au camp de Châlons. Le plaisir que j'ai eu à le recevoir s'est trouvé décuplé par les services qu'il a pu rendre à bon nombre de malheureux. Depuis son départ, je me suis tenu à peu près quotidiennement au courant de l'état des malades soignés, et je vous donne ci-après le résultat de mes observations. Afin d'être exact comme un relevé statistique, et à titre de renseignements ultérieurs, s'il y a lieu, je les inscris ici nominativement. (Suit une liste de 30 et quelques noms, avec désignation de l'âge, de la maladie et du résultat obtenu.)
M. Jacob est sincèrement religieux. « Ce que je fais, me disait-il, ne m'étonne pas. Je ferais des choses bien plus extraordinaires que je ne serais pas étonné davantage, parce que je sais que Dieu peut ce qu'il veut. Une chose seulement m'étonne, c'est d'avoir eu l'immense faveur d'être l'instrument qu'il a choisi. Aujourd'hui on est surpris de ce que j'obtiens, mais qui sait si dans un mois, dans un an, il n'y aura pas dix, vingt, cinquante médiums comme moi et plus forts que moi ? M. Kardec, lui qui cherche et doit chercher à étudier des faits comme ceux qui se passent ici, aurait dû venir ; aujourd'hui, demain, je puis perdre ma faculté, et ce serait pour lui une étude perdue ; il doit tenir à se faire l'historien de pareils faits. »
Observation.
Nous aurions été heureux, sans doute, d'être témoin personnel des faits rapportés ci-dessus, et nous serions probablement allés au camp de Châlons si nous en avions eu la possibilité et si nous en avions été informés en temps utile. Nous ne l'avons appris que par la voie indirecte des journaux, alors que nous étions en voyage, et nous avouons n'avoir pas une confiance absolue dans leurs récits. Nous aurions fort à faire s'il nous fallait aller contrôler par nous-même tout ce qu'ils rapportent du Spiritisme, ou même tout ce qui nous est signalé par notre correspondance. Nous ne pouvions y aller qu'avec la certitude de n'avoir pas de déception, et quand le compte rendu de M. Boivinet nous est parvenu, le camp était levé. Du reste, la vue de ces faits ne nous aurait rien appris de nouveau, car nous croyons les comprendre ; il se serait donc simplement agi d'en constater la réalité ; mais le témoignage d'un homme comme M. Boivinet, auquel nous avions envoyé une lettre pour M. Jacob, avec prière de nous instruire de ce qu'il aurait vu, nous suffisait complètement. Il n'y a donc eu de perdu pour nous que le plaisir d'avoir vu personnellement M. Jacob à l'œuvre, ce qui pourra, nous l'espérons, avoir lieu ailleurs qu'au camp de Châlons.Nous n'avons donc parlé des guérisons de M. Jacob que parce qu'elles sont authentiques ; si elles nous eussent paru suspectes, ou entachées de charlatanisme et d'une forfanterie ridicule qui les eût rendues plus nuisibles qu'utiles à la cause du Spiritisme, nous nous serions abstenu, quoi qu'on ait pu en dire, comme nous l'avons fait en maintes autres circonstances, ne voulant nous faire l'éditeur responsable d'aucune excentricité, ni seconder les vues ambitieuses et intéressées qui se cachent parfois sous les apparences du dévouement. Voilà pourquoi nous sommes circonspects dans nos appréciations des hommes et des choses, et aussi pourquoi notre Revue ne se transforme en encensoir au profit de personne.
Mais il s'agit ici d'une chose sérieuse, féconde en résultats, et capitale au double point de vue du fait en lui-même, et de l'accomplissement d'une des prévisions des Esprits. Depuis longtemps, en effet, ils ont annoncé que la médiumnité guérissante se développerait dans des proportions exceptionnelles, de manière à fixer l'attention générale, et nous félicitons M. Jacob d'en avoir un des premiers fourni l'exemple ; mais ici, comme dans tous les genres de manifestations, la personne, pour nous, s'efface devant la question principale.
Dès l'instant que le don de guérir n'est le résultat ni du travail, ni de l'étude, ni d'un talent acquis, celui qui le possède ne peut s'en faire un mérite. On loue un grand artiste, un savant, parce qu'ils doivent ce qu'ils sont à leurs propres efforts ; mais le médium le mieux doué n'est qu'un instrument passif, dont les Esprits se servent aujourd'hui, et qu'ils peuvent laisser demain. Que serait M. Jacob s'il perdait sa faculté, ce qu'il est sage à lui de prévoir ? Ce qu'il était avant : le musicien des zouaves ; tandis que, quoi qu'il arrive, au savant il restera toujours la science et à l'artiste le talent. Nous sommes heureux de voir M. Jacob partager ces idées, par conséquent ce n'est donc point à lui que s'adressent ces réflexions. Il sera également de notre avis, nous n'en doutons pas, quand nous dirons que ce qui est un mérite réel chez un médium, ce qu'on peut et doit louer avec raison, c'est l'emploi qu'il fait de sa faculté ; c'est le zèle, le dévouement, le désintéressement avec lesquels il la met au service de ceux à qui elle peut être utile ; c'est encore la modestie, la simplicité, l'abnégation, la bienveillance qui respirent dans ses paroles et que toutes ses actions justifient, parce que ces qualités lui appartiennent en propre. Ce n'est donc pas le médium qu'il faut élever sur un piédestal, puisque demain il peut en descendre : c'est l'homme de bien qui sait se rendre utile sans ostentation et sans profit pour sa vanité.Le développement de la médiumnité guérissante, aura forcément des conséquences d'une haute gravité, qui seront l'objet d'un examen spécial et approfondi dans un prochain article.
Allan Kardec