REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Juillet

Du projet de caisse générale de secours et autres institutions pour les Spirites

Dans un des groupes spirites de Paris un médium reçut dernièrement la communication suivante de l'Esprit de sa grand'mère :

« Mon cher enfant, je vais te parler un instant des questions de charité qui te préoccupaient ce matin en allant à ton travail.

Les enfants qui sont livrés à des nourrices mercenaires ; les femmes pauvres qui sont forcées, au mépris de la pudeur qui leur est chère, de servir, dans les hôpitaux, de matière expérimentale aux médecins et aux élèves en médecine, ce sont deux grandes plaies que tous les bons cœurs doivent s'appliquer à guérir, et cela n'est pas impossible ; que les Spirites fassent comme les catholiques, qu'ils s'imposent des sous par semaine et qu'ils capitalisent ces ressources, ils arriveront à des fondations sérieuses, grandes et véritablement efficaces. La charité qui soulage un mal présent est une charité sainte que j'encourage de toutes mes forces ; mais la charité qui se perpétue dans des fondations immortelles comme les misères qu'elle est destinée à soulager, c'est là une charité intelligente et que je serais heureuse de voir mettre en pratique.

Je voudrais qu'un travail fût élaboré qui aurait pour but de créer d'abord un premier établissement dans des proportions restreintes. Quand on aurait vu le bon résultat de cette première création, on passerait à une autre, et l'on grandirait peu à peu comme Dieu veut que l'on grandisse, car le progrès s'accomplit par une marche lente, sage, calculée. Je répète que ce que je propose n'est pas difficile ; il n'y aurait pas un seul spirite véritable qui oserait manquer à l'appel pour le soulagement de ses semblables, et les Spirites sont assez nombreux pour former, par l'accumulation du sou par semaine, un capital suffisant pour un premier établissement à l'usage des femmes malades qui seraient soignées par des femmes et qui cesseraient alors de cacher leurs souffrances pour sauver leur pudeur.

Je livre ces réflexions aux méditations des personnes bienveillantes qui assistent à la séance, et je suis bien convaincue qu'elles porteront de bons fruits. Les groupes de province se rallieraient promptement à une idée si belle, et en même temps si utile et si paternelle ; ce serait d'ailleurs un monument de la valeur morale du spiritisme tant calomnié, et qui le sera longtemps encore avec acharnement.

Je l'ai dit, la charité locale est bonne, elle profite à un individu, mais elle n'élève pas l'esprit des masses comme une œuvre durable. Ne serait-il pas beau que l'on pût repousser la calomnie en disant aux calomniateurs : « Voilà ce que nous avons fait. A l'arbre on reconnaît le fruit ; un mauvais arbre ne donne pas de bons fruits, et un bon arbre n'en donne pas de mauvais. »

Songez aussi aux pauvres enfants qui sortent des hôpitaux, et qui vont mourir entre des mains mercenaires, deux crimes à la fois : celui de livrer l'enfant désarmé et faible, et le crime de celui qui l'a sacrifié sans pitié. Que tous les cœurs élèvent leurs pensées vers les tristes victimes de la société imprévoyante, et qu'ils tâchent de trouver une bonne solution pour les sauver de leurs misères. Dieu veut qu'on essaie, et il donne les moyens d'arriver, il faut agir ; on réussit quand on à la foi, et la foi transporte les montagnes. Que M. Kardec traite la question dans son journal, et vous verrez comment elle sera acclamée avec entraînement et enthousiasme.

J'ai dit qu'il fallait un monument matériel qui attestât la foi des Spirites, comme les pyramides d'Egypte attestent la vanité des Pharaons ; mais, au lieu de faire des folies, faites des œuvres qui portent le cachet de Dieu lui-même. Tout le monde doit me comprendre, je n'insiste pas.

Je me retire, mon cher enfant ; ta bonne grand'mère, comme tu le vois, aime toujours ses petits enfants, comme elle t'aimait quand tu étais tout petit. Je veux que tu les aimes comme moi, et que tu songes à trouver une bonne organisation ; tu le peux si tu le veux, et au besoin nous t'aiderons. Je te bénis.

« Marie G… »

L'idée d'une caisse centrale et générale de secours formée entre les Spirites a déjà été conçue et émise par des hommes animés d'excellentes intentions ; mais il ne suffit pas qu'une idée soit grande, belle et généreuse, il faut avant tout qu'elle soit praticable. Nous avons, certes, donné assez de gages de notre dévouement à la cause du Spiritisme pour n'être pas suspecté d'indifférence à son endroit ; or, c'est précisément par suite de notre sollicitude même que nous cherchons à mettre en garde contre l'enthousiasme qui aveugle ; avant d'entreprendre une chose, il faut en calculer froidement le pour et le contre, afin d'éviter des échecs toujours fâcheux qui ne manqueraient pas d'être exploités par nos adversaires. Le Spiritisme ne doit marcher qu'à coup sûr, et quand il pose le pied quelque part, il doit être assuré d'y trouver un terrain solide. La victoire n'est pas toujours au plus pressé, mais plus sûrement à celui qui sait attendre le moment propice. Il est des résultats qui ne peuvent être que l'œuvre du temps et de l'infiltration de l'idée dans l'esprit des masses ; sachons donc attendre que l'arbre soit formé, avant de lui demander une abondante récolte.

Depuis longtemps nous vous proposions de traiter à fond la question dont il s'agit, pour la poser sur son véritable terrain, et prémunir contre les illusions de projets plus généreux que réfléchis et dont l'avortement aurait des suites fâcheuses. La communication relatée ci-dessus, et sur laquelle on a bien voulu nous demander notre avis, nous en fournit l'occasion toute naturelle. Nous examinerons donc soit le projet de centralisation des secours, soit celui de quelques autres institutions et établissements spéciaux pour le Spiritisme.

Avant tout il convient de se rendre compte de l'état réel des choses. Les Spirites sont très nombreux sans doute, et leur nombre croît sans cesse : sous ce rapport il offre un spectacle unique, celui d'une propagation inouïe dans l'histoire des doctrines philosophiques, car il n'en est aucune, sans en excepter le christianisme, qui ait rallié autant de partisans dans un aussi petit nombre d'années ; ceci est un fait notoire qui confond même ses antagonistes. Et ce qui n'est pas moins caractéristique, c'est que cette propagation, au lieu de se faire autour d'un centre unique, s'opère simultanément sur toute la surface du globe et dans des milliers de centres. Il en résulte que les adeptes, tout en étant très nombreux, ne forment encore nulle part une agglomération compacte.

Cette dispersion qui, au premier abord, semble une cause de faiblesse, est au contraire un élément de force. Cent mille Spirites disséminés sur la surface d'un pays font plus pour la propagation de l'idée que s'ils étaient massés dans une ville ; chaque individualité est un foyer d'action, un germe qui produit des rejetons ; chaque rejeton en produit à son tour plus ou moins, dont les rameaux se réunissant peu à peu, couvriront le pays bien plus promptement que si l'action ne partait que d'un seul point ; c'est absolument comme si une poignée de graines était jetée au vent, au lieu qu'elles soient mises toutes ensemble dans le même trou. Par cette multitude de petits centres, la doctrine est en outre moins vulnérable que si elle n'en avait qu'un seul contre lequel ses ennemis pourraient diriger toutes leurs forces. Une armée primitivement compacte qui est dispersée par la force ou toute autre cause, est une armée perdue ; ici le cas est tout différent : la dissémination des Spirites n'est pas le fait d'une dispersion, c'est l'état primitif tendant à la concentration pour former une vaste unité ; la première est à sa fin, la seconde est à sa naissance.

A ceux donc qui se plaignent de leur isolement dans une localité, nous répondons : Remerciez le ciel, au contraire, de vous avoir choisis pour les premiers pionniers de l'œuvre dans votre contrée. A vous d'en jeter les premières semences ; peut-être ne germeront-elles pas tout de suite ; peut-être n'en recueillerez-vous pas les fruits ; peut-être même aurez-vous à souffrir dans votre labeur, mais songez qu'on ne défriche pas une terre sans travail, et soyez assurés que tôt ou tard ce que vous aurez semé fructifiera ; plus la tâche sera ingrate, plus vous aurez de mérite, n'eussiez-vous fait que frayer la voie à ceux qui viendront après vous.

Sans doute, si les Spirites devaient toujours rester à l'état d'isolement, ce serait une cause permanente de faiblesse ; mais l'expérience prouve à quel point la doctrine est vivace, et l'on sait que pour un rameau abattu, il y en a dix qui renaissent. Sa généralisation est donc une question de temps ; or, quelque rapide que soit sa marche, encore faut-il le temps nécessaire, et tout en travaillant à l'œuvre, il faut savoir attendre que le fruit soit mûr avant de le cueillir.

Cette dissémination momentanée des Spirites, essentiellement favorable à la propagation de la doctrine, est un obstacle pour l'exécution d'œuvres collectives d'une certaine importance, par la difficulté, si ce n'est même l'impossibilité, de réunir sur un même point des éléments assez nombreux.

C'est précisément, dira-t-on, pour obvier à cet inconvénient, pour resserrer les liens de confraternité entre les membres isolés de la grande famille spirite, qu'on a proposé la création d'une caisse centrale de secours. C'est certes là une pensée grande et généreuse qui séduit au premier abord ; mais a-t-on réfléchi aux difficultés de l'exécution ?

Une première question se présente. Jusqu'où s'étendrait l'action de cette caisse ? Serait-elle bornée à la France, ou comprendrait-elle les autres contrées ? Il y a des Spirites sur tout le globe ; est-ce que ceux de tous les pays, de toutes les castes, de tous les cultes, ne sont pas nos frères ? Si donc la caisse recevait des dons de Spirites étrangers, ce qui arriverait infailliblement, aurait-elle le droit de limiter son assistance à une seule nationalité ? Pourrait-elle consciencieusement et charitablement demander à celui qui souffre s'il est Russe, Polonais, Allemand, Espagnol, Italien ou Français ? A moins de manquer à son titre, à son but, à son devoir, elle devrait étendre son action du Pérou jusqu'à la Chine. Il suffit de songer à la complication des rouages d'une telle entreprise pour voir combien elle est chimérique.

Supposons-la circonscrite à la France, ce n'en serait pas moins une administration colossale, un véritable ministère. Qui voudrait assumer la responsabilité d'un tel maniement de fonds ? Pour une gestion de cette nature l'intégrité et le dévouement ne suffiraient pas, il faudrait une haute capacité administrative. Admettons cependant les premières difficultés vaincues, comment exercer un contrôle efficace sur l'étendue et la réalité des besoins, sur la sincérité de la qualité de Spirite ? Une pareille institution verrait bientôt des adeptes, ou soi-disant tels, surgir par millions, mais ce ne serait pas de ceux qui alimenteraient la caisse. Du moment où celle-ci existerait, on la croirait inépuisable, et elle se verrait bientôt dans l'impuissance de satisfaire toutes les exigences de son mandat. Fondée sur une aussi vaste échelle, nous la regardons comme impraticable, et pour notre compte personnel nous n'y prêterions pas la main.

N'aurait-elle pas à craindre, en outre, de rencontrer de l'opposition à sa constitution même ? Le Spiritisme naît à peine, et n'est pas encore partout tellement en odeur de sainteté qu'il soit à l'abri des suppositions malveillantes. Ne pourrait-on se méprendre sur ses intentions dans une opération de ce genre ; supposer que, sous un manteau, il cache un autre but ; faire, en un mot, des assimilations dont exciperaient ses adversaires, pour exciter la défiance contre lui ? Le Spiritisme, par sa nature, n'est et ne peut être ni une affiliation, ni une congrégation ; il doit donc, dans son propre intérêt, éviter tout ce qui en aurait l'apparence.

Faut-il donc que, par crainte, le Spiritisme reste stationnaire ? n'est-ce pas en agissant, dira-t-on, qu'il montrera ce qu'il est, qu'il dissipera les défiances et déjouera la calomnie ? Sans aucun doute, mais il ne faut pas demander à l'enfant ce qui exige les forces de l'âge viril. Loin de servir le Spiritisme, ce serait le compromettre et l'offrir aux coups ou à la risée de ses adversaires, que de mêler son nom à des choses chimériques. Certes, il doit agir, mais dans la limite du possible. Laissons-lui donc le temps d'acquérir les forces nécessaires, et alors il donnera plus qu'on ne croit. Il n'est pas même encore complètement constitué en théorie ; comment veut-on qu'il donne ce qui ne peut être que le résultat du complément de la doctrine ?

Il est d'ailleurs d'autres considérations dont il importe de tenir compte.

Le Spiritisme est une croyance philosophique, et il suffit de sympathiser avec les principes fondamentaux de la doctrine pour être Spirite. Nous parlons des Spirites convaincus et non de ceux qui en prennent le masque, par des motifs d'intérêt ou autres tout aussi peu avouables ; ceux-là ne font pas nombre : chez eux il n'y a aucune conviction ; ils se disent Spirites aujourd'hui, par l'espoir d'y trouver leur avantage ; ils seront adversaires demain, s'ils n'y trouvent pas ce qu'ils cherchent ; ou bien ils se poseront en victimes de leur dévouement factice, et accuseront les Spirites d'ingratitude de ne pas les soutenir. Ce ne seraient pas les derniers à exploiter la caisse générale, pour se relever de spéculations avortées, ou réparer des désastres causés par leur incurie ou leur imprévoyance, et à lui jeter la pierre si elle ne les satisfaisait pas. Il ne faut pas s'en étonner, toutes les opinions comptent de pareils auxiliaires et voient se jouer de semblables comédies.

Il y a aussi la masse considérable des Spirites d'intuition ; ceux qui le sont par la tendance et la prédisposition de leurs idées, sans étude préalable ; les indécis qui flottent encore en attendant les éléments de conviction qui leur sont nécessaires ; on peut, sans exagération, les évaluer au quart de la population. C'est la grande pépinière où se recrutent les adeptes, mais ils ne comptent pas encore dans le nombre.

Parmi les Spirites réels, ceux qui constituent le véritable corps des adhérents, il y a certaines distinctions à faire. En première ligne il faut mettre les adeptes de cœur, animés d'une foi sincère, qui comprennent le but et la portée de la doctrine, et en acceptent toutes les conséquences pour eux-mêmes ; leur dévouement est à toute épreuve et sans arrière-pensée ; les intérêts de la cause, qui sont ceux de l'humanité, leur sont sacrés, et jamais ils ne les sacrifieront à une question d'amour-propre ou d'intérêt personnel ; pour eux le côté moral n'est pas une simple théorie : ils s'efforcent de prêcher d'exemple ; ils n'ont pas seulement le courage de leur opinion : ils s'en font gloire, et savent au besoin payer de leur personne.

Viennent ensuite ceux qui acceptent l'idée, comme philosophie, parce qu'elle satisfait leur raison, mais dont la fibre morale n'est pas suffisamment touchée pour comprendre les obligations que la doctrine impose à ceux qui se l'assimilent. Le vieil homme est toujours là, et la réforme de soi-même leur semble une tâche trop lourde ; mais comme ils n'en sont pas moins fermement convaincus, et l'on trouve parmi eux des propagateurs et des défenseurs zélés.

Puis il y a les gens légers pour qui le Spiritisme est tout entier dans les manifestations ; pour eux c'est un fait, et rien de plus ; le côté philosophique passe inaperçu ; l'attrait de la curiosité est leur principal mobile, ils s'extasient devant un phénomène, et restent froids devant une conséquence morale.

Il y a enfin le nombre encore très grand des Spirites plus ou moins sérieux qui n'ont pu se mettre au-dessus des préjugés et du qu'en dira-t-on, que la crainte du ridicule retient ; ceux que des considérations personnelles ou de famille, des intérêts souvent respectables à ménager, forcent en quelque sorte à se tenir à l'écart ; tous ceux, en un mot, qui, par une cause ou par une autre, bonne ou mauvaise, ne se mettent pas en évidence. La plupart ne demanderaient pas mieux de s'avouer, mais ils n'osent pas ou ne le peuvent pas ; cela viendra plus tard, à mesure qu'ils verront les autres le faire et qu'il n'y a pas de danger ; ce seront les Spirites du lendemain, comme d'autres sont ceux de la veille. On ne peut cependant pas trop leur en vouloir, car il faut une force de caractère qui n'est pas donnée à tout le monde, pour braver l'opinion dans certain cas. Il faut donc faire la part de la faiblesse humaine ; le Spiritisme n'a pas le privilège de transformer subitement l'humanité, et si l'on peut s'étonner d'une chose, c'est du nombre des réformes qu'il a déjà opérées en si peu de temps. Tandis que chez les uns, où il trouve le terrain préparé, il entre pour ainsi dire tout d'une pièce, chez d'autres il ne pénètre que goutte à goutte, selon la résistance qu'il rencontre dans le caractère et les habitudes.

Tous ces adeptes comptent dans le nombre, et quelque imparfaits qu'ils soient, ils sont toujours utiles, quoique dans une limite restreinte. Ne serviraient-ils, jusqu'à nouvel ordre, qu'à diminuer les rangs de l'opposition, ce serait déjà quelque chose ; c'est pourquoi il ne faut dédaigner aucune adhésion sincère, même partielle.

Mais quand il s'agit d'une œuvre collective importante où chacun doit apporter son contingent d'action, comme serait celle d'une caisse générale, par exemple, il convient de faire entrer ces considérations en ligne de compte, car l'efficacité du concours que l'on peut espérer est en raison de la catégorie à laquelle appartiennent les adeptes. Il est bien évident qu'on ne peut faire grand fond sur ceux qui ne prennent pas à cœur le côté moral de la doctrine, et encore moins sur ceux qui n'osent pas se montrer.

Restent donc les adeptes de la première catégorie ; de ceux-là, certes, on peut tout attendre, ce sont les soldats de l'avant-garde, et qui le plus souvent n'attendent pas l'appel quand il s'agit de faire preuve d'abnégation et de dévouement ; mais dans une coopération financière, chacun y contribue selon ses ressources et le pauvre ne peut donner que son obole. Aux yeux de Dieu cette obole a une grande valeur, mais pour les besoins matériels elle n'a que sa valeur intrinsèque. En défalquant tous ceux dont les moyens d'existence sont bornés, ceux qui eux-mêmes vivent au jour le jour de leur travail, le nombre de ceux qui pourraient contribuer un peu largement et d'une manière efficace est relativement restreint.

Une remarque à la fois intéressante et instructive est celle de la proportion des adeptes suivant les catégories. Cette proportion a sensiblement varié, et se modifie en raison des progrès de la doctrine ; mais en ce moment elle peut être approximativement évaluée de la manière suivante : 1re catégorie, Spirites complets de cœur et de dévouement, 10 sur 100 adeptes ; 2e catégorie, Spirites incomplets, cherchant plus le côté scientifique que le côté moral, 25 sur 100 ; 3e catégorie, Spirites légers, ne s'intéressant qu'aux faits matériels, 5 sur 100 (cette proportion était inverse il y a dix ans) ; 4e catégorie, Spirites non avoués ou qui se cachent, 60 sur 100.

Relativement à la position sociale, on peut faire deux classes générales : d'une part, ceux dont la fortune est indépendante ; de l'autre, ceux qui vivent de leur travail. Sur 100 Spirites de la première catégorie, il y a, en moyenne, 5 riches contre 95 travailleurs ; dans la seconde, 70 riches et 30 travailleurs ; dans la troisième, 80 riches et 20 travailleurs ; dans la quatrième, 99 riches et 1 travailleur.

Ce serait donc se faire illusion de croire qu'en de telles conditions une caisse générale pût satisfaire à tous les besoins, alors que celle du plus riche banquier n'y suffirait pas ; ce ne seraient pas quelques milliers de francs qu'il faudrait chaque année, mais des millions.

D'où vient cette différence dans la proportion des riches et de ceux qui ne le sont pas ? La raison en est bien simple : les affligés trouvent dans le Spiritisme une immense consolation qui les aide à supporter le fardeau des misères de la vie ; il leur donne la raison de ces misères et la certitude d'une compensation. Il n'est donc pas surprenant que, jouissant plus du bienfait, ils l'apprécient plus et le prennent plus à cœur que les heureux du monde.

On s'est étonné que, lorsque de semblables projets ont été mis en avant, nous ne nous soyons pas empressés de les appuyer et de les patronner : c'est qu'avant tout nous tenons aux idées positives et pratiques ; le spiritisme est pour nous une chose trop sérieuse pour l'engager prématurément dans les voies où il pourrait rencontrer des déceptions. Il n'y a là, de notre part, ni insouciance ni pusillanimité, mais prudence, et toutes les fois qu'il sera mûr pour aller de l'avant, nous ne resterons pas en arrière. Ce n'est pas que nous nous attribuons plus de perspicacité qu'aux autres ; mais, notre position nous permettant de voir l'ensemble, nous pouvons juger le fort et le faible mieux peut-être que ceux qui se trouvent dans un cercle plus restreint. Du reste, nous donnons notre opinion, et nous n'entendons l'imposer à personne.

Ce qui vient d'être dit au sujet de la création d'une caisse générale et centrale de secours, s'applique naturellement aux projets de fondation d'établissements hospitaliers et autres ; or, ici, l'utopie est plus évidente encore. S'il est facile de jeter un canevas sur le papier, il n'en est plus de même quand on arrive aux voies et moyens d'exécution. Construire un édifice ad hoc, c'est déjà énorme, et quand il serait fait, il faudrait le pourvoir d'un personnel suffisant et capable, puis assurer son entretien, car de tels établissements coûtent beaucoup et ne rapportent rien. Ce ne sont pas seulement de grands capitaux qu'il faut, mais de grands revenus. Admettons cependant qu'à force de persévérance et de sacrifices on arrive à créer, comme on le dit, un petit échantillon, combien minimes ne seraient pas les besoins auxquels il pourrait satisfaire, eu égard à la masse et à la dissémination des nécessiteux sur un vaste territoire ! Ce serait une goutte d'eau dans la rivière, et, s'il y a tant de difficultés pour un seul, même sur une petite échelle, ce serait bien pis s'il s'agissait de les multiplier. L'argent ainsi employé ne profiterait donc, en réalité, qu'à quelques individus, tandis que, judicieusement réparti, il aiderait à vivre un grand nombre de malheureux.

Ce serait un modèle, un exemple, soit ; mais pourquoi s'ingénier à créer des chimères, quand les choses existent toutes faites, toutes montées, toutes organisées, avec des moyens plus puissants que n'en posséderont jamais des particuliers ? Ces établissements laissent à désirer ; il y a des abus ; ils ne répondent pas à tous les besoins, cela est évident, et cependant, si on les compare à ce qu'ils étaient il y a moins d'un siècle, on constate une immense différence et un progrès constant ; chaque jour voit s'introduire quelque amélioration. On ne saurait donc douter qu'avec le temps de nouveaux progrès se réaliseront par la force des choses. Les idées spirites doivent infailliblement hâter la réforme de tous les abus, parce que, mieux que d'autres, elles pénètrent les hommes du sentiment de leurs devoirs ; partout où elles s'introduiront, les abus tomberont et le progrès s'accomplira. C'est donc à les répandre qu'il faut s'attacher : là est la chose possible et pratique, là est le véritable levier, levier irrésistible quand il aura acquis une force suffisante par le développement complet des principes et le nombre des adhérents sérieux. A juger de l'avenir par le présent, on peut affirmer que le Spiritisme aura amené la réforme de bien des choses longtemps avant que les Spirites n'aient pu achever le premier établissement du genre de ceux dont nous parlons, si jamais ils l'entreprenaient, dussent-ils même tous donner un sou par semaine. Pourquoi donc user ses forces en efforts superflus, au lieu de les concentrer sur le point accessible et qui doit mener sûrement au but ? Mille adeptes gagnés à la cause et répandus en mille lieux divers hâteront plus la marche du progrès qu'un édifice.

Le Spiritisme, dit l'Esprit qui a dicté la communication ci-dessus, doit s'affirmer et montrer ce qu'il est par un monument durable élevé à la charité. Mais que sertirait un monument à la charité, si la charité n'est pas dans le cœur ? Il en élève un plus durable qu'un monument de pierre : c'est la doctrine et ses conséquences pour le bien de l'humanité. C'est à celui-là que chacun doit travailler de toutes ses forces, car il durera plus que les pyramides d'Égypte.

De ce que cet Esprit se trompe, selon nous, sur ce point, cela ne lui ôte rien de ses qualités : il est incontestablement animé d'excellents sentiments ; mais un Esprit peut être très bon, sans être un appréciateur infaillible de toutes choses ; tout bon soldat n'est pas nécessairement bon général.

Un projet d'une réalisation moins chimérique est celui de la formation de sociétés de secours mutuels entre les Spirites d'une même localité ; mais encore ici on ne peut échapper à quelques-unes des difficultés que nous avons signalées : le défaut d'agglomération, et le chiffre encore restreint de ceux sur lesquels on peut compter pour un concours effectif. Une autre difficulté vient de la fausse assimilation que l'on fait des Spirites et de certaines classes d'individus. Chaque profession présente une délimitation nettement tranchée ; on peut facilement établir une société de secours mutuels entre gens d'une même profession, entre ceux d'un même culte, parce qu'ils se distinguent par quelque chose de caractéristique, et par une position en quelque sorte officielle et reconnue ; il n'en est pas ainsi des Spirites, qui ne sont enregistrés nulle part comme tels, et dont aucun brevet ne constate la croyance ; il y en a dans tous les rangs de la société, dans toutes les professions, dans tous les cultes, et nulle part ils ne constituent une classe distincte. Le Spiritisme étant une croyance fondée sur une conviction intime dont on ne doit compte à personne, on ne connaît guère que ceux qui se mettent en évidence ou fréquentent les groupes, et non le nombre bien autrement considérable de ceux qui, sans se cacher, ne font partie d'aucune réunion régulière. Voilà pourquoi, malgré la certitude où l'on est que les adeptes sont nombreux, il est souvent difficile d'arriver à un chiffre suffisant quand il s'agit d'une opération collective.

A l'égard des sociétés de secours mutuels, il se présente une autre considération. Le Spiritisme ne forme et ne doit pas former de classe distincte, puisqu'il s'adresse à tout le monde ; par son principe même il doit étendre sa charité indistinctement, sans s'enquérir de la croyance, parce que tous les hommes sont frères ; s'il fonde des institutions charitables exclusives pour les adeptes, il est forcé de dire à celui qui réclame assistance : « Etes-vous des nôtres, et quelle preuve en donnez-vous ? Sinon, nous ne pouvons rien pour vous. » Il mériterait ainsi le reproche d'intolérance qu'on adresse à d'autres. Non, pour faire le bien, le Spirite ne doit pas scruter la conscience et l'opinion, et eût-il devant lui un ennemi de sa foi malheureux, il doit lui venir en aide dans la limite de ses facultés. C'est en agissant ainsi que le Spiritisme montrera ce qu'il est, et prouvera qu'il vaut mieux que ce qu'on lui oppose.

Les sociétés de secours mutuels se multiplient de tous les côtés et dans toutes les classes de travailleurs. C'est une excellente institution, prélude du règne de la fraternité et de la solidarité dont on sent le besoin ; elles profitent aux Spirites qui en font partie, comme à tout le monde ; pourquoi donc en fonderaient-ils pour eux seuls d'où les autres seraient exclus ? Qu'ils aident à les propager, puisqu'elles sont utiles ; que, pour les rendre meilleures, ils y fassent pénétrer l'élément spirite en y entrant eux-mêmes, cela sera plus profitable pour eux et pour la doctrine. Au nom de la charité évangélique inscrite sur leur drapeau, au nom des intérêts du Spiritisme, nous les adjurons d'éviter tout ce qui peut établir une barrière entre eux et la société. Alors que le progrès moral tend à abaisser celles mêmes qui divisent les peuples, le Spiritisme ne doit pas en élever ; son essence est de pénétrer partout ; sa mission, d'améliorer tout ce qui existe ; il y faillirait s'il s'isolait.

La bienfaisance doit-elle dont rester individuelle, et, dans ce cas, son action n'est-elle pas plus bornée que si elle est collective ? La bienfaisance collective a d'incontestables avantages, et bien loin d'en détourner, nous l'encourageons. Rien n'est plus facile que de la pratiquer dans les groupes, en recueillant par voie de cotisations régulières ou de dons facultatifs les éléments d'un fonds de secours ; mais alors, agissant dans un cercle restreint, le contrôle des véritables besoins est facile ; la connaissance que l'on peut en avoir permet une répartition plus judicieuse et plus profitable ; avec une somme modique, bien distribuée et donnée à propos, on peut rendre plus de services réels qu'avec une grosse somme donnée sans connaissance de cause et pour ainsi dire au hasard. Il est donc nécessaire de pouvoir se rendre compte de certains détails, si l'on ne veut pas gaspiller inutilement ses ressources ; or on comprend que de tels soins seraient impossibles si l'on opérait sur une vaste échelle ; ici, point de dédale administratif, point de personnel bureaucratique ; quelques personnes de bonne volonté, et voilà tout.

Nous ne pouvons donc qu'encourager de toutes nos forces la bienfaisance collective dans les groupes spirites ; nous en connaissons à Paris, en Province et à l'Étranger qui sont fondés, sinon exclusivement, du moins principalement dans ce but, et dont l'organisation ne laisse rien à désirer ; là, des membres dévoués vont à domicile s'enquérir des souffrances, et porter ce qui vaut quelquefois mieux que les secours matériels : les consolations et les encouragements. Honneur à eux, car ils méritent bien du Spiritisme ! Que chaque groupe agisse ainsi dans sa sphère d'activité, et tous ensemble réaliseront plus de bien que ne pourrait le faire une caisse centrale quatre fois plus riche.

Statistique de la Folie

Le Moniteur du 16 avril 1866, contenait le rapport quinquennal adressé à l'Empereur par le Ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, sur l'état de l'aliénation mentale en France. Ce rapport très étendu, savamment et consciencieusement fait, est une preuve de la sollicitude que le Gouvernement apporte dans cette grave question d'humanité. Les documents précieux qu'il renferme attestent une observation attentive. Ils nous intéressent d'autant plus qu'ils sont le démenti formel et authentique des accusations lancées par les adversaires du Spiritisme, désigné par eux comme cause prépondérante de la folie. Nous en extrayons les passages les plus saillants.

Ces documents constatent, il est vrai, un accroissement considérable dans le nombre des aliénés, mais on verra que le Spiritisme y est complètement étranger. Ce nombre qui, dans les asiles spéciaux, était en 1835 de 10,539, se trouvait en 1861 de 30,229 ; c'est donc une augmentation de 19, 700 en 26 ans, soit en moyenne 750 par année, ainsi qu'il résulte du tableau suivant :



Au 1er janvier Au 1er janvierAu 1er janvier

183510,539 184416,255 185323,795

183611,091 184517,089 185424,524

183711,429 184618,013 185524,896

183811,982 184719,023 185625,485

183912,577 184819,570 185726,305

184013,283 184920,231 185827,028

184113,887 185020,061 185927,878

184215,280 185121,353 186028,761

184315,786 185222,495 186130,239



Le rapport constate en outre ce fait capital que l'augmentation a été progressive d'année en année de 1835 à 1846, et que, depuis lors, elle a été en décroissance, comme l'indique le tableau ci-après :

Période de 1836 à 1841, accroissement annuel 5.04 p. 100

Période de 1841 à 1846, accroissement annuel 5.94 p. 100

Période de 1846 à 1851, accroissement annuel 3.71 p. 100

Période de 1851 à 1856, accroissement annuel 3.87 p. 100

Période de 1856 à 1861, accroissement annuel 3.14 p. 100



« En présence de ce ralentissement, dit M. le Ministre, qui s'est également produit, comme je l'établirai plus loin, dans les admissions, il est probable que l'accroissement tout à fait exceptionnel dans la population de nos asiles s'arrêtera bientôt.

Le nombre de malades que pouvaient convenablement abriter nos asiles était, à la fin de 1860, de 31,550. L'effectif des malades entretenus à la même époque s'élevait à 30,239. Le nombre des places disponibles n'était en conséquence que de 1,321.

Au point de vue de la nature de leur infirmité, les malades en traitement le 1er janvier de chacune des années 1856-1861 (seules années pour lesquelles la distinction ait été faite) se classaient ainsi qu'il suit :



Années.Fous.Idiots. Crétins.

185622,602 2,84043

185723,283 2,97646

185823,851 3,13443

185924,395 3,44340

186025,147 3,57737

186126,450 3,74643



« Le fait saillant de ce tableau, c'est l'augmentation considérable, par rapport aux fous, du nombre des idiots traités dans les asiles. Elle a été, en cinq ans, de 32 p. 100, tandis que, dans le même intervalle, l'effectif des fous ne s'est élevé que de 14 p. 100. Cette différence est la conséquence de l'admission dans nos asiles d'un grand nombre d'idiots qui restaient antérieurement au sein des familles.

Divisé par sexes, l'effectif de la population totale des asiles offre, chaque année, un excédent numérique du sexe féminin sur le sexe masculin. Voici les chiffres constatés pour les malades présents à la fin de chacune des années 1854-1860 :



Années.Sexe masculin.Sexe féminin.

185412,036 12,860

185512,22113,264

185612,632 13,673

185712,930 14,098

185813,392 14,486

185913,876 14,885

186014,582 15,657



« La moyenne annuelle, calculée sur cette période de six années, est, pour 100 malades, de 51.99 femmes et 48.10 hommes. Cette disproportion des deux sexes, qui se reproduit chaque année depuis 1842, avec de faibles différences, est très remarquable en présence de la supériorité numérique bien constatée du sexe masculin dans les admissions, où l'on compte 52,91 hommes sur 100 malades admis. Elle est due, comme il a été expliqué dans la précédente publication, à la plus grande mortalité de ces derniers, et en outre à ce que leur séjour à l'asile est notablement moins long que celui des femmes.

A partir de 1856, les malades en traitement dans les asiles ont été classés d'après les chances de guérison que leur état paraissait offrir. Les chiffres ci-après résument les faits constatés pour la catégorie des fous en traitement le 1er janvier de chaque année :



Années.Présumés curablesPrésumés incurablesTotaux

18564,40418,198 22,602

18574,38918,894 23,283

18584,26619,585 24,851

18594,61319,782 24,395

18604,49919,648 25,147



« Ainsi, plus des quatre cinquièmes des fous entretenus dans nos asiles n'offrent aucune chance de guérison. Ce triste résultat est la conséquence de l'incurie ou de la tendresse aveugle de la plupart des familles, qui ne se séparent que le plus tard possible de leurs aliénés, c'est-à-dire lorsque leur mal invétéré ne laisse aucun espoir de guérison.

On sait avec quel soin les médecins de nos asiles d'aliénés, au moment de l'admission d'un malade, cherchent à déterminer la cause de sa folie, afin de pouvoir arriver à attaquer le mal dans son principe et y appliquer un remède approprié à sa nature. Si scrupuleuses, si consciencieuses que soient ces investigations médicales, leurs résultats, il ne faut pas l'oublier, sont loin d'équivaloir à des faits suffisamment établis. Ils ne reposent, en effet, que sur des appréciations dont l'exactitude peut souffrir de différentes circonstances. C'est d'abord l'extrême difficulté de découvrir entre les diverses influences qu'a subies la raison du malade, la cause décisive, celle dont l'aliénation est sortie. Mentionnons ensuite la répugnance des familles à faire au médecin des confidences complètes. Peut-être faut-il tenir compte également de la tendance actuelle de la plupart des médecins à considérer les causes morales comme tout à fait secondaires et accidentelles, pour attribuer de préférence le mal à des causes purement physiques.

C'est sous le bénéfice de ces observations que je vais aborder l'examen des tableaux relatifs aux causes présumées d'aliénation des 38,988 malades admis de 1856 à 1860.

La folie se produit-elle plus souvent sous l'influence de causes physiques que de causes morales ? Voici les faits recueillis sur ce point (élimination faite de l'hérédité), pour les fous admis dans chacune des cinq années de la période 1856 à 1860 :



Causes physiquesCauses morales



18562,7301,724

18573,2132,171

18583,2022,217

18593,2771,986

18603,4442,259

Totaux15,866 10,357



« D'après ces chiffres, sur 1,000 cas de folie, 607 ont été rapportés à des causes physiques et 393 à des causes morales. La folie se produirait donc beaucoup plus souvent sous des influences physiques. Cette observation est commune à l'un et l'autre sexe, avec cette différence toutefois que, pour les femmes, le nombre des cas dont l'origine a été attribuée à des causes morales est relativement plus élevé que pour les hommes.

Les 15,866 cas où la folie a paru provoquée par une cause physique se décomposent ainsi qu'il suit :

Effet de l'âge (démence sénile)…………….2,098

Dénuement et misère…………………….1,008

Onanisme et abus vénériens……………..1,026

Excès alcooliques………………………..3,455

Vice congénital………………………….4.74

Maladies propres à la femme………………1,592

Epilepsie…………………………………1,498

Autres maladies du système nerveux……1,136

Coups, chutes, blessures, etc…………….3.98

Maladies diverses………………………..2,866

Autres causes physiques…………………1,164



Total……………………………………..15,866



« Quant aux phénomènes de l'ordre moral, ceux qui paraissent produire le plus souvent la folie, sont : d'abord les chagrins domestiques et l'exaltation des sentiments religieux ; puis viennent ensuite les revers de fortune et l'ambition déçue. Voici, au surplus, l'énumération détaillée des 10,357 cas de folie signalés comme la conséquence immédiate de divers incidents de la vie morale :

Excès de travail intellectuel………………3.58

Chagrins domestiques……………………2,549

Chagrins résultant de la perte de la fortune..8.51

Chagrins résultant de la perte d'une personne chère 8.03

Chagrins résultant de l'ambition déçue……5.20

Remords…………………………………..1.02

Colère…………………………………….1.23

Joie …………………………………………0.31

Pudeur blessée……………………………0.69

Amour………………………………….. 7.67

Jalousie…………………………………. 4.56

Orgueil…………………………………..3.68

Événements politiques…………………. 1.23

Passage subit d'une vie active à une vie inactive, et vice-versa 0.82

Isolement et solitude…………………….1.15

Emprisonnement simple………………....1.13

Emprisonnement cellulaire……………0.26

Nostalgie…………………………………0.78

Sentiments religieux poussés à l'excès…..1,095

Autres causes morales……………………1,728

Totaux…………………………………….10,357



« En somme, abstraction faite de l'hérédité, il résulte des observations recueillies sur les malades admis dans nos asiles d'aliénés pendant la période 1856-1860, que, de toutes les causes qui concourent à provoquer la folie, la plus ordinaire est l'ivrognerie. Viennent ensuite les chagrins domestiques, l'âge, les maladies de différents organes, l'épilepsie, l'exaltation religieuse, l'onanisme et les privations de toutes sortes.

Le tableau suivant donne le nombre des paralytiques, épileptiques, sourds-muets, scrofuleux et goitreux parmi les malades admis pour la première fois de 1856 à 1860 :



Fous.Idiots-crétins

Paralytiques.377569

Epileptiques.1763347

Sourds-muets.13361

Scrofuleux. 381146

Goitreux.12332



« La folie se complique de la paralysie beaucoup plus souvent chez la femme. Parmi les épileptiques, il y a également plus d'hommes que de femmes, mais dans une proportion moins forte.

Si l'on recherche maintenant, en distinguant les sexes, dans quelles proportions les guérisons se sont produites chaque année, relativement au nombre des malades traités, on obtient les résultats qui suivent :



Années.Hommes.Femmes.2 Sexes.

18548.93 % 8.65 % 8.79 %

18558.92 % 8.81 % 8.86 %

18568.00 % 7.69 % 7.83 %

18578.11 % 7.45 % 7.62 %

18588.02 % 6.74 % 7.37 %

18597.69 % 6.71 % 7.19 %

18607.05 % 6.95 % 7.00 %



« On voit que, si la folie est curable, le nombre proportionnel des guérisons est encore bien restreint, malgré les améliorations de toute nature apportées dans le traitement des malades et l'appropriation des asiles. De 1856 à 1860, la proportion moyenne des guérisons a été, pour les fous des deux sexes réunis, de 8.24 sur 100 malades traités. C'est le douzième seulement. Cette proportion serait beaucoup plus élevée, si les familles n'avaient le tort grave de ne se séparer de leurs aliénés que lorsque la maladie a déjà fait des progrès inquiétants.

Un fait digne de remarque, c'est que le nombre proportionnel des hommes guéris excède, chaque année, celui des femmes. Sur 100 fous traités, on a compté en moyenne, de 1856 à 1860, 8.69 guérisons pour les hommes et 7.81 seulement pour les femmes, soit un neuvième environ en plus pour les aliénés du sexe masculin.

Parmi les 13,687 fous sortis après guérison, de 1856 à 1860, il en est seulement 9,789 pour lesquels on a pu déterminer les influences diverses qui avaient occasionné leur affection mentale. Voici le résumé des indications recueillies à ce point de vue :



Causes physiques 5,253guéris.

Causes morales4,536

Total9,789



« En représentant par 1,000 ce nombre total, on trouve que, chez 536 malades guéris, la folie était survenue à la suite de causes physiques, et, chez 464, à la suite d'influences morales. Ces proportions numériques diffèrent assez sensiblement de celles précédemment constatées, en ce qui concerne les admissions de 1856 à 1860, où l'on a compté, sur 1,000 admis, 393 malades seulement dont la folie avait une cause morale. D'où il résulte que, parmi cette catégorie de malades, les guérisons obtenues auraient été relativement plus nombreuses que parmi ceux dont la folie a eu une cause physique.

Près de la moitié des cas guéris, pour lesquels la cause du mal a été recueillie, était due aux circonstances ci-après : ivrognerie, 1,738 ; chagrins domestiques, 1,171 ; maladies diverses, 761 ; maladies propres à la femme, 723 ; exaltation des sentiments religieux, 460.

Chez 1,522 malades guéris, on a constaté une prédisposition héréditaire. C'est une proportion, de 15 p. 100 par rapport au chiffre des fous guéris. »

De ces documents, il résulte d'abord que l'accroissement de la folie, constaté depuis 1835, est de près de vingt ans antérieur à l'apparition du Spiritisme en France, où l'on ne s'est occupé des tables tournantes, comme amusement plutôt que comme chose sérieuse, que depuis 1852, et de la partie philosophique que depuis 1857. En second lieu, cette augmentation a suivi chaque année une marche ascendante de 1835 à 1846 ; de 1847 à 1861, elle a été en diminuant d'année en année ; et la diminution a été la plus forte de 1856 à 1861, précisément dans la période où le Spiritisme prenait son développement. Or, c'est précisément aussi vers cette époque qu'on publiait des brochures, et que les journaux s'empressaient de répéter que les maisons d'aliénés étaient encombrées de fous spirites, à tel point que plusieurs avaient été obligées d'augmenter leurs bâtiments ; qu'on y en comptait en tout plus de quarante mille. Comment pouvait-il y en avoir plus de 40,000 alors que le rapport constate un chiffre maximum de 30,339 ? A quelle source plus certaine que celle de l'autorité ces messieurs puisaient-ils leurs renseignements ? Ils provoquaient une enquête : la voilà faite aussi minutieusement que possible, et on voit si elle leur donne raison.

Ce qui ressort également du rapport, c'est le nombre des idiots et des crétins, qui entre pour une part considérable dans le compte général, et l'augmentation annuelle de ce nombre, qui ne peut évidemment être attribuée au Spiritisme.

Quant aux causes prédominantes de la folie, elles ont été, comme on le voit, minutieusement étudiées, et cependant le Spiritisme n'y figure ni nominativement ni par allusion. Aurait-il passé inaperçu si, comme quelques-uns le prétendent, il avait à lui seul peuplé les maisons d'aliénés ?

Nous ne pensons pas qu'on attribue au ministre la pensée d'avoir voulu ménager les Spirites en s'abstenant de les mentionner s'il y avait eu lieu de le faire. Dans tous les cas, certains chiffres viendraient récuser toute part prépondérante du Spiritisme dans l'état des choses ; s'il en était autrement, les causes morales l'emporteraient en nombre sur les causes physiques, tandis que c'est le contraire qui a lieu ; le chiffre des aliénés réputés incurables ne serait pas quatre et cinq fois plus fort que celui des malades présumés curables, et le rapport ne dirait pas que les quatre cinquièmes des fous entretenus dans les asiles n'offrent aucune chance de guérison.

Enfin, en présence du développement que prend chaque jour le Spiritisme, le ministre ne dirait pas qu'en raison du ralentissement qui s'est produit, il est probable que l'accroissement tout à fait exceptionnel dans la population des asiles s'arrêtera bientôt.

En résumé, ce rapport est la réponse la plus péremptoire que l'on puisse faire à ceux qui accusent le Spiritisme d'être une cause prépondérante de folie. Ici ce ne sont ni des hypothèses ni des raisonnements, ce sont des chiffres authentiques opposés à des chiffres de fantaisie, des faits matériels opposés aux allégations mensongères de ses détracteurs intéressés à le discréditer dans l'opinion.


Mort de Joseph Méry

Un homme de talent, intelligence d'élite, poète et littérateur distingué, M. Joseph Méry, est mort à Paris, le 17 juin 1866, à l'âge de 67 ans et demi. Bien qu'il ne fût pas adepte avoué du Spiritisme, il appartenait à la classe nombreuse de ceux qu'on peut appeler Spirites inconscients, c'est-à-dire en qui les idées fondamentales du Spiritisme existent à l'état d'intuition. A ce titre, nous pouvons, sans sortir de notre spécialité, lui consacrer quelques lignes qui ne seront pas inutiles à notre instruction.

Il serait superflu de répéter ici les renseignements que la plupart des journaux ont publiés, à l'occasion de sa mort, sur sa vie et sur ses ouvrages. Nous reproduirons seulement le passage suivant de la notice du Siècle (19 juin), parce que c'est un juste hommage rendu au caractère de l'homme. Après avoir énuméré ses travaux littéraires, l'auteur de l'article le dépeint ainsi : « Joseph Méry se prodiguait dans la conversation ; causeur étincelant, improvisateur de stances et de bouts rimés, il semait les saillies, les paradoxes, avec une verve infatigable ; et, particularité qui l'honore, jamais il n'a sacrifié personne à un bon mot, jamais il n'a cessé d'être bienveillant pour tous. C'est un des plus beaux éloges qu'on puisse faire d'un écrivain. »

Nous avons dit que M. Méry était Spirite d'intuition ; il croyait non seulement à l'âme et à sa survivance, au monde spirituel qui nous environne, mais à la pluralité des existences, et cette croyance était chez lui le résultat des souvenirs. Il était persuadé avoir vécu à Rome sous Auguste, en Germanie, aux Indes, etc. ; certains détails même étaient si bien présents à sa mémoire qu'il décrivait avec exactitude des lieux qu'il n'avait jamais vus. C'est à cette faculté que l'auteur de l'article précité fait allusion quand il dit : « Son imagination inépuisable créait les contrées qu'il n'avait pas vues, devinait les mœurs, en peignait les habitants avec une fidélité d'autant plus merveilleuse qu'il la possédait à son insu. »

Nous avons cité les faits les plus saillants qui le concernent sous ce rapport, dans le numéro de la Revue de novembre 1864, page 328, en reproduisant, sous le titre de Souvenirs d'existences passées, l'article biographique publié par M. Dangeau, dans le Journal littéraire du 25 septembre 1864, et que nous avons fait suivre de quelques réflexions. Cette faculté était parfaitement connue de ses confrères en littérature ; qu'en pensaient-ils ? Pour quelques-uns, ce n'était qu'un singulier effet de l'imagination ; mais, comme M. Méry était un homme estimé, d'un caractère simple et droit, que l'on savait incapable d'une imposture ‑ l'exactitude de certaines descriptions locales avait d'ailleurs été reconnue, ‑ et qu'on ne pouvait rationnellement le taxer de folie, beaucoup se disaient qu'il pourrait bien y avoir là quelque chose de vrai ; aussi ces faits ont-ils été rappelés dans un des discours qui ont été prononcés sur sa tombe ; or, si on les eût considérés comme des aberrations de son esprit, on les eût passés sous silence. C'est donc en présence d'un immense concours d'auditeurs, de l'élite de la littérature et de la presse, dans une circonstance grave et solennelle, une de celles qui commandent le plus de respect, qu'il a été dit que M. Méry se souvenait avoir vécu à d'autres époques et le prouvait par des faits. Cela ne peut manquer de donner lieu à réfléchir, d'autant mieux, qu'en dehors du Spiritisme, beaucoup de personnes adoptent l'idée de la pluralité des existences comme étant la plus rationnelle. Les faits de cette nature concernant M. Méry, étant une des particularités saillantes de sa vie, et ayant eu du retentissement à l'occasion de sa mort, ne pourront que l'accréditer.

Or, quelles sont les conséquences de cette croyance, abstraction faite du Spiritisme ? Si l'on admet que l'on a déjà vécu une fois, on peut, on doit même avoir vécu plusieurs fois, et l'on peut revivre après cette existence. Si l'on revit plusieurs fois, ce ne peut être avec le même corps ; donc il y a en nous un principe intelligent indépendant de la matière et qui conserve son individualité ; c'est, comme on le voit, la négation des doctrines matérialistes et panthéistes. Ce principe, ou âme, revivant sur la terre, puisqu'elle peut conserver l'intuition de son passé, ne peut se perdre dans l'infini après la mort, comme on le croit vulgairement ; elle doit, dans l'intervalle de ses existences corporelles, rester dans le milieu humanitaire ; devant reprendre de nouvelles existences dans cette même humanité, elle ne doit pas la perdre de vue ; elle doit en suivre les péripéties : voilà donc le monde spirituel qui nous entoure, au milieu duquel nous vivons, reconnu ; dans ce monde, se trouvent naturellement nos parents, nos amis, qui doivent continuer à s'intéresser à nous, comme nous nous intéressons à eux, et qui ne sont pas perdus pour nous, puisqu'ils existent et peuvent être près de nous. Voilà ce qu'arrivent forcément à croire, les conséquences auxquelles ne peuvent manquer d'aboutir ceux qui admettent le principe de la pluralité des existences, et voilà ce que croyait Méry. Que fait de plus le Spiritisme ? il appelle Esprits ces mêmes êtres invisibles, et dit qu'étant au milieu de nous, ils peuvent manifester leur présence et se communiquer aux incarnés. Quand le surplus a été admis, ceci est-il donc si déraisonnable ?

Comme on le voit, la distance qui sépare le Spiritisme de la croyance intime d'une foule de gens est bien peu de chose. Le fait des manifestations n'est plus qu'un accessoire et une confirmation pratique du principe fondamental admis en théorie. Pourquoi donc quelques-uns de ceux qui admettent la base repoussent-ils ce qui doit y servir de preuve ? Par l'idée fausse qu'ils s'en font. Mais ceux qui se donnent la peine de l'étudier et de l'approfondir, reconnaissent bientôt qu'ils sont plus près du Spiritisme qu'ils ne le croyaient, et que la plupart d'entre eux sont Spirites sans le savoir : il ne leur manque que le nom. Voilà pourquoi on voit tant d'idées spirites émises à chaque instant par ceux mêmes qui repoussent le mot, et pourquoi ces mêmes idées sont si facilement acceptées par certaines personnes. Quand on en est à une question de mot, on est bien près de s'entendre.

Le Spiritisme touchant à tout entre dans le monde par une infinité de portes : les uns y sont amenés par le fait des manifestations ; d'autres, par le malheur qui les frappe et contre lequel ils trouvent dans cette croyance la seule consolation véritable ; d'autres, par l'idée philosophique et religieuse ; d'autres enfin par le principe de la pluralité des existences. Méry, contribuant à accréditer ce principe dans un certain monde, fera plus peut-être pour la propagation du Spiritisme que s'il s'était ouvertement avoué Spirite.

C'est précisément au moment où cette grande loi de l'humanité vient s'affirmer par des faits et le témoignage d'un homme honorable, que la Cour de Rome vient, de son côté, la désavouer en mettant à l'index la Pluralité des existences de l'âme, par Pezzani (journal le Monde, 22 juin 1866) ; cette mesure aura inévitablement pour effet d'appeler l'attention sur la question et d'en provoquer l'examen. La pluralité des existences n'est pas une simple opinion philosophique ; c'est une loi de nature qu'aucun anathème ne peut empêcher d'être, et avec laquelle il faudra tôt ou tard que la théologie se mette d'accord. C'est un peu trop se hâter que de condamner, au nom de la Divinité, une loi qui, comme toutes celles qui régissent le monde, est une œuvre de la Divinité ; il est fort à craindre qu'il n'en soit bientôt de cette condamnation comme de celles qui furent lancées contre le mouvement de la terre et les périodes de sa formation.

La communication suivante a été obtenue à la Société de Paris, le 22 juin 1866 ; (médium, M. Desliens).

Demande. Monsieur Méry, nous n'avions l'avantage de vous connaître que de réputation ; mais vos talents et l'estime méritée dont vous étiez entouré nous font espérer trouver, dans les entretiens que nous aurons avec vous, une instruction dont nous serons heureux de profiter toutes les fois que vous voudrez bien venir parmi nous.

Les questions que nous désirerions vous adresser aujourd'hui, si l'époque rapprochée de votre mort vous permet de répondre, sont celles-ci :

1° Comment s'est accompli pour vous le passage de cette vie dans l'autre, et quelles ont été vos impressions en entrant dans le monde spirituel ?

2° De votre vivant aviez-vous connaissance du Spiritisme, et qu'en pensiez-vous ?

3° Ce que l'on dit de vos souvenirs d'existences antérieures est-il exact, et quelle influence ces souvenirs ont-ils exercée sur votre vie terrestre et vos écrits ?

Nous pensons superflu de vous demander si vous êtes heureux dans votre nouvelle position ; la bonté de votre caractère et votre honorabilité nous donnent lieu de l'espérer.

Réponse. Messieurs, je suis extrêmement touché du témoignage de sympathie que vous voulez bien me donner, et qui est renfermé dans les paroles de votre honorable président. Je suis heureux de me rendre à votre appel, parce que ma situation actuelle m'affirme la réalité d'un enseignement dont j'avais apporté l'intuition en naissant, et aussi parce que vous songez à ce qui reste de Méry le romancier, à l'avenir de ma partie intime et vivante, à mon âme enfin, tandis que mes nombreux amis songeaient surtout, en me quittant, à la personnalité qui les abandonnait. Ils me jetaient leur dernier adieu en me souhaitant que la terre me soit légère ! Que reste-t-il de Méry pour eux ?… Un peu de poussière et des œuvres sur le mérite desquelles je ne suis pas appelé à me prononcer… De ma vie nouvelle, pas un mot !

On a rappelé mes théories comme une des singularités de mon caractère, l'imposition de mes convictions comme un effet magnétique, un charme qui disparaissait avec mon absence ; mais du Méry qui survit au corps, de cet être intelligent qui rend compte aujourd'hui de sa vie d'hier et qui songe à sa vie de demain, qu'en ont-ils dit ?… Rien !… ils n'y ont pas même songé… Le romancier si gai, si triste, si amusant parfois, est parti ; on lui a donné une larme, un souvenir ! Dans huit jours, on n'y songera plus, et les péripéties de la guerre feront oublier le retour du pauvre exilé dans sa patrie.

Les insensés ! ils se disaient depuis longtemps : « Méry est malade, il s'affaiblit, il vieillit. » Comme ils se trompaient !… J'allais à la jeunesse, croyez-le ; c'est l'enfant qui pleure en entrant dans la vie, qui s'avance vers la vieillesse ; l'homme mûr qui meurt retrouve la jeunesse éternelle au delà du tombeau !

La mort a été pour moi d'une douceur ineffable. Mon pauvre corps, affligé par la maladie, a eu quelques dernières convulsions, et tout a été dit ; mais mon Esprit sortait peu à peu de ses langes, il planait prisonnier encore et aspirant déjà à l'infini !… J'ai été délivré sans trouble, sans secousse ; je n'ai pas eu d'étonnement, car la tombe n'avait plus de voile pour moi. J'abordais un rivage connu ; je savais que des amis dévoués m'attendaient sur la plage, car ce n'était pas la première fois que je faisais ce voyage.

Comme je le disais à mes auditeurs étonnés, j'ai connu la Rome des Césars ; j'ai commandé en conquérant subalterne dans cette Gaule que j'habitais récemment comme citoyen ; j'ai aidé à conquérir votre patrie, à asservir vos fiers ancêtres, puis je suis parti pour retremper mes forces à la source de vie intellectuelle, pour choisir de nouvelles preuves et de nouveaux moyens d'avancement. J'ai vu les rives du Gange et celles des fleuves de la Chine ; je me suis assimilé ces civilisations si différentes de la vôtre, et cependant si grandes, si avancées dans leur genre. J'ai vécu sous la zone torride et dans les climats tempérés ; j'ai étudié les mœurs ici et là-bas, guerrier, poète, écrivain tour à tour, philosophe et rêveur toujours…

Cette dernière existence a été pour moi une sorte de résumé de toutes celles qui l'ont précédée. J'ai acquis naguère ; hier encore, je dépensais les trésors accumulés par une série d'existences, d'observations et d'études.

Oui, j'étais Spirite de cœur et d'esprit, sinon de raisonnement. La préexistence était pour moi un fait, la réincarnation une loi, le Spiritisme une vérité. Quant aux questions de détail, je vous avoue de bonne foi ne pas y avoir attaché une grande importance. Je croyais à la survivance de l'âme, à la pluralité de ses existences, mais je n'ai jamais tenté d'approfondir si elle pouvait, après avoir quitté son corps mortel, entretenir, libre, des relations avec ceux qui sont encore attachés à la chaîne. Ah ! Victor Hugo l'a dit avec vérité, « la terre n'est autre chose que le bagne du ciel !… » On brise quelquefois sa chaîne, mais pour la reprendre. On ne sort d'ici, à coup sûr, qu'en laissant à ses gardiens le soin de dénouer, quand le moment est venu, les liens qui nous rivent à l'épreuve.

Je suis heureux, bien heureux, car j'ai conscience d'avoir bien vécu !

Pardonnez-moi, messieurs, c'est encore Méry le rêveur qui vous parle, et permettez-moi de revenir dans une réunion où je me sens à l'aise. Il doit y avoir à apprendre avec vous, et, si vous voulez me recevoir au nombre de vos auditeurs invisibles, c'est avec bonheur que je demeurerai parmi vous, écoutant, m'instruisant et parlant si l'occasion s'en présente.

Questions et problèmes
Identité des Esprits dans les communications particulières

Pourquoi les Esprits que l'on évoque par un sentiment d'affection se refusent-ils souvent à donner des preuves certaines de leur identité ?

On conçoit tout le prix que l'on attache aux preuves d'identité de la part des Esprits qui nous sont chers ; ce sentiment est très naturel, et il semble que du moment que les Esprits peuvent se manifester, il doit leur être tout aussi facile d'attester leur personnalité. Le défaut de preuves matérielles est pour certaines personnes, celles surtout qui ne connaissent pas le mécanisme de la médiumnité, c'est-à-dire la loi des rapports entre les Esprits et les hommes, une cause de doute et de pénible incertitude. Quoique nous ayons plusieurs fois traité cette question, nous allons l'examiner de nouveau pour répondre à quelques demandes qui nous sont adressées.

Nous n'avons rien à ajouter à ce qui a été dit sur l'identité des Esprits qui viennent uniquement pour notre instruction, et qui ont quitté la terre depuis un certain temps ; on sait qu'elle ne peut-être attestée d'une manière absolue, et que l'on doit se borner à juger la valeur du langage.

L'identité ne peut être constatée avec certitude que pour les Esprits partis depuis peu, dont on connaît le caractère et les habitudes qui se reflètent dans leurs paroles. Chez ceux-là l'identité se révèle par mille particularités de détail. La preuve ressort quelquefois de faits matériels, caractéristiques, mais le plus souvent des nuances même du langage et d'une multitude de petits riens qui, pour être peu saillants, n'en sont pas moins significatifs.

Les communications de ce genre renferment souvent plus de preuves qu'on ne croit, et que l'on découvre avec plus d'attention et moins de préventions. Malheureusement, la plupart du temps on ne se contente pas de ce que l'Esprit veut ou peut donner ; on veut les preuves à sa manière ; on lui demande de dire ou de faire telle chose, de rappeler un nom on un fait, et cela à un moment donné, sans songer aux obstacles qui s'y opposent parfois, et paralysent sa bonne volonté. Puis, obtient-on ce qu'on désire, bien souvent on veut davantage ; on trouve que ce n'est pas encore assez concluant ; après un fait on en demande un autre, puis un autre ; en un mot, on n'en a jamais assez pour se convaincre. C'est alors que souvent l'Esprit, fatigué de cette insistance, cesse tout à fait de se manifester, en attendant que la conviction arrive par d'autres moyens. Mais bien souvent aussi son abstention lui est imposée par une volonté supérieure, comme punition pour le solliciteur trop exigeant, et aussi comme épreuve pour sa foi ; car si, pour quelques déceptions, et faute d'obtenir ce qu'il veut, et de la manière qu'il le veut, il venait à abandonner les Esprits, ceux-ci l'abandonneraient à leur tour, en le laissant plongé dans les angoisses et les tortures du doute, heureux quand leur abandon n'a pas des conséquences plus graves.

Mais, dans une foule de cas, les preuves matérielles d'identité sont indépendantes de la volonté de l'Esprit, et du désir qu'il a de des donner ; cela tient à la nature, ou à l'état de l'instrument par lequel il se communique. Il y a dans la faculté médianimique une variété infinie de nuances qui rendent le médium apte ou impropre à l'obtention de tels ou tels effets, qui, au premier abord, semblent identiques, et qui cependant dépendent d'influences fluidiques différentes. Le médium est comme un instrument à cordes multiples : il ne peut donner de son par les cordes qui lui manquent. En voici un exemple remarquable.

Nous connaissons un médium qu'on peut ranger parmi ceux de premier ordre, tant par la nature des instructions qu'il reçoit, que par son aptitude à communiquer avec presque tous les Esprits sans distinction. Maintes fois, dans des évocations particulières, il a obtenu des preuves irrécusables d'identité, par la reproduction du langage et du caractère de personnes qu'il n'avait jamais connues. Il y a quelque temps, il fit pour une personne qui venait de perdre subitement plusieurs enfants, l'évocation de l'un de ces derniers, une petite fille. La communication reflétait parfaitement le caractère de l'enfant, et elle était d'autant plus satisfaisante qu'elle répondait à un doute du père sur sa position comme Esprit. Cependant il n'y avait que des preuves en quelque sorte morales ; le père trouvait qu'un autre enfant aurait pu parler de même ; il aurait voulu quelque chose que sa fille seule pût dire ; il s'étonnait surtout qu'elle l'appelât père, au lieu du petit nom familier qu'elle lui donnait, et qui n'était pas un nom français, d'après cette idée que puisqu'elle disait un mot, elle pouvait en dire un autre. Le père lui en ayant demandé la raison, voici la réponse que le guide du médium fit à ce sujet.

« Votre petite fille, bien qu'entièrement dégagée, ne serait pas en état de vous faire comprendre comment il se fait qu'elle ne peut faire exprimer au médium les termes connus de vous, qu'elle lui souffle cependant. Elle obéit à une loi en se communiquant, mais elle ne la comprend pas assez pour en expliquer le mécanisme. La médiumnité est une faculté dont les nuances varient infiniment, et les médiums qui traitent d'ordinaire des sujets philosophiques n'obtiennent que rarement, et toujours spontanément, de ces particularités qui font reconnaître la personnalité de l'Esprit d'une manière évidente. Lorsque les médiums de ce genre demandent une preuve d'identité dans le désir de satisfaire l'évocateur, les fibres cérébrales tendues par son désir même ne sont plus assez malléables pour que l'Esprit les fasse mouvoir à son gré ; il s'ensuit que les mots caractéristiques ne peuvent être reproduits. La pensée reste, mais la forme n'existe plus. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que votre fille vous ait appelé père au lieu de vous donner la qualification familière à laquelle vous vous attendiez. Par un médium spécial, vous obtiendrez des résultats qui vous satisferont ; ce n'est qu'un peu de patience à avoir. »

A quelques jours de là, ce monsieur, se trouvant dans le groupe d'un de nos sociétaires, obtint d'un autre médium, par la typtologie, et en présence du premier, non-seulement le nom qu'il désirait sans qu'il l'eût spécialement demandé, mais d'autres faits de précision remarquables. Ainsi la faculté du premier médium, quelque développée et flexible qu'elle fût, ne se prêtait pas à ce genre de production médianimique. Il pouvait reproduire les mots qui sont la traduction de la pensée transmise, et non des termes qui exigent un travail spécial ; voilà pourquoi l'ensemble de la communication reflétait le caractère et la tournure des idées de l'Esprit, mais sans signes matériels caractéristiques. Un médium n'est pas une mécanique propre à tous les effets ; de même qu'on ne trouve pas deux personnes entièrement semblables au physique et au moral, il n'y a pas deux médiums dont la faculté soit absolument identique.

Il est à remarquer que les preuves d'identité viennent presque toujours spontanément, au moment où l'on y songe le moins, tandis qu'elles sont très rarement données sur la demande qui en est faite. Est-ce caprice de la part de l'Esprit ? Non ; il y a une cause matérielle que voici.

Les dispositions fluidiques qui établissent les rapports entre l'Esprit et le médium offrent des nuances d'une extrême délicatesse, inappréciables à nos sens, et qui varient d'un moment à l'autre chez le même médium. Souvent un effet qui n'est pas possible à un instant voulu, le sera une heure, un jour, une semaine plus tard, parce que les dispositions ou l'énergie des courants fluidiques auront changé. Il en est ici comme dans la photographie, où une simple variation dans l'intensité ou dans la direction de la lumière suffit pour favoriser ou empêcher la reproduction de l'image. Est-ce qu'un poète fait des vers à volonté ? Non ; il lui faut l'inspiration ; s'il n'est pas en disposition favorable, il a beau se creuser le cerveau, il n'obtient rien ; demandez-lui donc pourquoi ? Dans les évocations, l'Esprit laissé à sa volonté profite des dispositions qu'il rencontre chez le médium, il saisit le moment propice ; mais, lorsque ces dispositions n'existent pas, il ne peut pas plus que le photographe en l'absence de la lumière. Malgré son désir, il ne peut donc pas toujours satisfaire instantanément à une demande en fait de preuves d'identité ; c'est pourquoi il est préférable de les attendre que de les solliciter.

Il faut, en outre, considérer que les rapports fluidiques qui doivent exister entre l'Esprit et le médium ne s'établissent jamais complètement dès la première fois ; l'assimilation ne se fait qu'à la longue et graduellement. Il en résulte qu'en commençant l'Esprit éprouve toujours une difficulté qui influe sur la netteté, la précision et le développement des communications ; tandis que, lorsque l'Esprit et le médium sont habitués l'un à l'autre, que leurs fluides se sont identifiés, les communications se font naturellement, parce qu'il n'y a plus de résistance à vaincre.

On voit par là de combien de considérations il faut tenir compte dans l'examen des communications ; c'est faute de le faire, et de connaître les lois qui régissent ces sortes de phénomènes, qu'on demande souvent ce qui est impossible. C'est absolument comme si quelqu'un qui ne connaîtrait pas les lois de l'électricité s'étonnait que le télégraphe pût éprouver des variations et des interruptions, et en concluait que l'électricité n'existe pas.

Le fait de la constatation de l'identité de certains Esprits est un accessoire dans le vaste ensemble des résultats qu'embrasse le Spiritisme ; cette constatation fût-elle impossible, elle ne préjugerait rien contre les manifestations en général, ni contre les conséquences morales qui en découlent. Il faudrait plaindre ceux qui se priveraient des consolations qu'elle procure, faute d'avoir obtenu une satisfaction personnelle, car ce serait sacrifier le tout à la partie.

Qualification de Saint appliquée à certains Esprits

Dans un groupe de province, un Esprit s'étant présenté sous le nom de « Saint Joseph, saint, trois fois saint, » cela donna lieu de poser la question suivante :

Un Esprit, même canonisé de son vivant, peut-il se donner la qualification de saint, sans manquer à l'humilité qui est un des apanages de la véritable sainteté, et convient-il, en l'invoquant, de lui donner ce titre ? L'Esprit qui le prend, doit-il, pour ce fait, être tenu pour suspect ?

Un autre Esprit répondit :

« Vous devez le rejeter de suite, car autant vaudrait un grand capitaine se présentant à vous en étalant pompeusement ses nombreux faits d'armes avant de décliner son nom, ou un poète qui commencerait par vanter ses talents ; vous verriez dans ces paroles un orgueil déplacé. Ainsi doit-il en être des hommes qui ont eu quelques vertus sur la terre et qu'on a jugés dignes de la canonisation. S'ils se présentent à vous avec humilité, croyez en eux ; s'ils viennent en se faisant précéder de leur sainteté, remerciez-les et vous ne perdrez rien. L'incarné n'est pas saint parce qu'il a été canonisé : Dieu seul est saint, parce qu'il possède seul toutes les perfections. Voyez les Esprits supérieurs, que vous connaissez à la sublimité de leurs enseignements, ils n'osent pas se dire saints ; ils se qualifient simplement d'Esprits de vérité. »

Cette réponse demande elle-même quelques rectifications. La canonisation n'implique pas la sainteté dans le sens absolu, mais simplement un certain degré de perfection. Pour quelques-uns la qualification de saint est devenue une sorte de titre banal faisant partie intégrante du nom, pour les distinguer de leurs homonymes, ou qu'on leur donne par habitude. Saint Augustin, saint Louis, saint Thomas peuvent donc mettre le mot saint devant leur signature, sans que ce soit par un sentiment d'orgueil qui serait d'autant plus déplacé chez des Esprits supérieurs que, mieux que d'autres, ils ne font aucun cas des distinctions données par les hommes. Il en serait de même des titres nobiliaires ou des grades militaires ; assurément celui qui a été duc, prince ou général sur la terre, ne l'est plus dans le monde des Esprits, et cependant, en signant, ils pourront prendre ces qualifications, sans que cela tire à conséquence pour leur caractère. Quelques-uns signent : Celui qui, de son vivant sur la terre, fut le duc un tel. Le sentiment de l'Esprit se révèle par l'ensemble de ses communications et par des signes non équivoques dans son langage ; c'est ainsi qu'on ne peut se méprendre sur celui qui débute par se dire : « Saint Joseph, saint, trois fois saint ; » cela seul suffirait pour révéler un Esprit imposteur se parant du nom de saint Joseph ; aussi a-t-il pu voir que, grâce à la connaissance des principes de la doctrine, sa fourberie n'a pas trouvé de dupes dans le cercle où il a voulu s'introduire.

L'Esprit qui a dicté la communication ci-dessus est donc trop absolu en ce qui concerne la qualification de saint, et il n'est pas dans le vrai en disant que les Esprits supérieurs se disent simplement Esprits de vérité, qualification qui ne serait qu'un orgueil déguisé sous un autre nom, et qui pourrait induire en erreur si on le prenait la lettre, car aucun ne peut se flatter de posséder la vérité absolue, pas plus que la sainteté absolue. La qualification d'Esprit de vérité n'appartient qu'à un seul, et peut être considérée comme un nom propre ; elle est spécifiée dans l'Evangile. Du reste, cet Esprit se communique rarement, et seulement dans des circonstances spéciales ; on doit se tenir en garde contre ceux qui se parent indûment de ce titre : ils sont faciles à reconnaître, à la prolixité et à la vulgarité de leur langage.

Vue rétrospective des existences de l'Esprit

A propos du Docteur Cailleux

Un de nos correspondants, de Lyon, nous écrit ce qui suit :

« J'ai été surpris que l'Esprit du docteur Cailleux ait été mis dans un état magnétique pour voir se dérouler devant lui le tableau de ses existences passées. (Revue de juin 1866, page 175.) Cela paraît indiquer que l'Esprit en question ne les connaissait pas ; car je vois dans le livre des Esprits que : « Après la mort, l'âme voit et embrasse d'un coup d'œil ses émigrations passées. » (Chap. vi, n° 243.) Ce fait ne semble-t-il pas impliquer une contradiction ? »

Il n'y a là aucune contradiction, puisque le fait vient au contraire confirmer la possibilité, pour l'Esprit, de connaître ses existences passées. Le Livre des Esprits n'est pas un traité complet du Spiritisme ; il ne fait qu'en poser les bases et les points fondamentaux, qui doivent se développer successivement par l'étude et l'observation. Il dit, en principe, qu'après la mort l'âme voit ses émigrations passées, mais il ne dit ni quand, ni comment cela se fait : ce sont là les détails d'application qui sont subordonnés aux circonstances. On sait que chez les Esprits arriérés la vue est bornée au présent, ou à peu près, comme sur la terre ; elle se développe avec l'intelligence, et à mesure qu'ils acquièrent la conscience de leur situation. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que, même chez les Esprits avancés, comme M. Cailleux, par exemple, aussitôt entrés dans le monde spirituel, toutes choses leur apparaissent subitement comme dans un changement de décoration à vue, ni qu'ils ont constamment sous les yeux le panorama du temps et de l'espace ; quant à leurs existences antérieures, ils les voient en souvenir, comme nous voyons, par la pensée, ce que nous étions et ce que nous faisions dans les années antérieures, les scènes de notre enfance, les positions sociales que nous avons occupées ; ce souvenir est plus ou moins précis ou confus, quelquefois il est nul, selon la nature de l'Esprit, et selon que la Providence juge à propos de l'effacer ou de le raviver, comme récompense, punition ou instruction. C'est une grande erreur de croire que les aptitudes, les facultés et les perceptions sont les mêmes chez tous les Esprits ; comme dans l'incarnation, ils ont les perceptions morales et celles qu'on peut appeler matérielles, qui varient selon les individus.

Si le docteur Cailleux eût dit que les Esprits ne peuvent avoir connaissance de leurs existences passées, là serait la contradiction, parce que ce serait la négation d'un principe admis ; loin de là, il affirme le fait ; seulement, les choses se sont passées chez lui d'une manière différente que chez d'autres, sans doute par des motifs d'utilité pour lui, et pour nous c'est un sujet d'enseignement, puisque cela nous montre un des côtés du monde spirituel. M. Cailleux était mort depuis peu de temps ; ses existences passées pouvaient donc ne pas se retracer encore nettement à sa mémoire. Remarquons, en outre, qu'ici ce n'était pas un simple souvenir ; c'était la vue même des individualités qu'il avait animées, l'image de ses anciennes formes périspritales qui se présentait à lui ; or, l'état magnétique dans lequel il s'est trouvé, était probablement nécessaire à la production du phénomène.

Le Livre des Esprits a été écrit à l'origine du Spiritisme, à une époque où l'on était loin d'avoir fait toutes les études pratiques qu'on a faites depuis ; les observations ultérieures sont venues développer et compléter les principes dont il avait posé les germes, et il est même digne de remarque que, jusqu'à ce jour, elles n'ont fait que les confirmer, sans jamais les contredire dans les points fondamentaux.





Poésie Spirite

La prière pour les Esprits


Société de Paris, 4 mai 1866. – Médium M. V…

Je suis vraiment touché de te voir, cher enfant,

A mes ordres soumis, prier en m'évoquant,

Et blâmer hautement la logique trompeuse

Et les vains arguments d'une secte orgueilleuse,

Qui prétend que l'Esprit accomplit un devoir

En venant à ta voix, trop heureux de pouvoir,

En subissant ta loi, fuir et quitter plus vite

Le séjour ennuyeux du monde qu'il habite,

Pour s'envoler enfin, vers ces rives sans bords,

Que n'attristent plus l'ombre et la plainte des morts.

Ce sont là de grands mots et des phrases pompeuses.

Mais s'il vient dévoiler les beautés merveilleuses

Des mondes inconnus, ouvrir les horizons

Des temps, et l'enseigner, dans de longues leçons,

Le principe et la fin de ton âme immortelle,

La grandeur de ton Dieu, sa puissance éternelle,

Sa justice infinie et son sublime amour,

Noble railleur, sois franc : Diras-tu qu'en retour,

S'il te demande un jour une courte prière,

Il est trop exigeant, quand souvent sur la terre,

Pour avoir ou payer une mince faveur,

On te voit, suppliant, fouler toute pudeur,

Et mendier longtemps, comme un pauvre mendie,

En soupirant, le pain qui doit nourrir sa vie ?

Oh ! crois-moi, cher enfant, malheur ! trois fois malheur !

A celui qui toujours, oubliant la douleur

Et les larmes de sang de ce monde invisible,

En écoutant nos voix reste encore insensible,

Et ne vient à genoux

Prier son Dieu pour nous.



Casimir Delavigne.



Allan Kardec




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