REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Janvier

Les femmes ont-elles une âme ?

Les femmes ont-elles une âme ? On sait que la chose n'a pas toujours été tenue pour certaine, puisqu'elle fut, dit-on, mise en délibération dans un concile. La négation est encore un principe de foi chez certains peuples. On sait à quel degré d'avilissement cette croyance les a réduites dans la plupart des contrées de l'Orient. Bien qu'aujourd'hui, chez les peuples civilisés, la question soit résolue en leur faveur, le préjugé de leur infériorité morale s'est perpétué au point qu'un écrivain du siècle dernier, dont le nom ne nous revient pas en mémoire, définissait ainsi la femme : « Instrument des plaisirs de l'homme, » définition plus musulmane que chrétienne. De ce préjugé est née leur infériorité légale, qui n'est point encore effacée de nos codes. Longtemps elles acceptèrent cet asservissement comme une chose naturelle, tant est puissant l'empire de l'habitude. Il en est ainsi de ceux qui, voués au servage de père en fils, finissent par se croire d'une autre nature que leurs seigneurs.

Cependant le progrès des lumières a relevé la femme dans l'opinion ; elle s'est mainte fois affirmée par l'intelligence et le génie, et la loi, quoique la considérant encore comme mineure, a peu à peu relâché les liens de la tutelle. On peut la considérer comme émancipée moralement, si elle ne l'est légalement ; c'est ce dernier résultat auquel elle arrivera un jour par la force des choses.

On lisait dernièrement dans les journaux qu'une jeune demoiselle de vingt ans venait de soutenir avec un plein succès l'examen du baccalauréat, devant la faculté de Montpellier. C'est, disait-on, le quatrième diplôme de bachelier concédé à une femme. Il n'y a pas encore bien longtemps la question fut agitée de savoir si le grade de bachelier pouvait être conféré à une femme. Bien que cela parût à quelques-uns une monstrueuse anomalie, on reconnut que les règlements sur la matière ne faisant pas mention des femmes, elles ne se trouvaient pas exclues légalement. Après avoir reconnu qu'elles ont une âme, on leur reconnaît le droit de conquérir les grades de la science, c'est déjà quelque chose. Mais leur affranchissement partiel n'est que le résultat du développement de l'urbanité, de l'adoucissement des mœurs, ou, si l'on veut, d'un sentiment plus exact de la justice ; c'est une sorte de concession qu'on leur fait, et, il faut bien le dire, qu'on leur marchande le plus possible.

La mise en doute de l'âme de la femme serait aujourd'hui ridicule, mais une question bien autrement sérieuse se présente ici, et dont la solution peut seule établir si l'égalité de position sociale entre l'homme et la femme est de droit naturel, ou si c'est une concession faite par l'homme. Remarquons en passant que si cette égalité n'est qu'un octroi de l'homme par condescendance, ce qu'il donne aujourd'hui, il peut le retirer demain, et qu'ayant pour lui la force matérielle, sauf quelques exceptions individuelles, en masse il aura toujours le dessus ; tandis que si cette égalité est dans la nature, sa reconnaissance est un résultat du progrès, et une fois reconnue, elle est imprescriptible.

Dieu a-t-il créé des âmes mâles et des âmes femelles, et a-t-il fait celles-ci inférieures aux autres ? Là est toute la question. S'il en est ainsi, l'infériorité de la femme est dans les décrets divins, et aucune loi humaine ne saurait y contrevenir. Les a-t-il, au contraire, créées égales et semblables, les inégalités fondées par l'ignorance et la force brutale, disparaîtront avec le progrès et le règne de la justice.

L'homme livré à lui-même ne pouvait établir à ce sujet que des hypothèses plus ou moins rationnelles, mais toujours controversables ; rien, dans le monde visible, ne pouvait lui donner la preuve matérielle de l'erreur ou de la vérité de ses opinions. Pour s'éclairer, il fallait remonter à la source, fouiller dans les arcanes du monde extracorporel qu'il ne connaissait pas. Il était réservé au Spiritisme de trancher la question, non plus par des raisonnements, mais par les faits, soit par les révélations d'outre-tombe, soit par l'étude qu'il est à même de faire journellement sur l'état des âmes après la mort. Et, chose capitale, ces études ne sont le fait ni d'un seul homme, ni des révélations d'un seul Esprit, mais le produit d'innombrables observations identiques faites journellement par des milliers d'individus, dans tous les pays, et qui ont ainsi reçu la sanction puissante du contrôle universel, sur lequel s'appuient toutes les doctrines de la science spirite. Or, voici ce qui résulte de ces observations.

Les âmes ou Esprits n'ont point de sexe. Les affections qui les unissent n'ont rien de charnel, et, par cela même, sont plus durables, parce qu'elles sont fondées sur une sympathie réelle, et ne sont point subordonnées aux vicissitudes de la matière.

Les âmes s'incarnent, c'est-à-dire revêtent temporairement une enveloppe charnelle semblable pour elles à un lourd vêtement dont la mort les débarrasse. Cette enveloppe matérielle les mettant en rapport avec le monde matériel, dans cet état elles concourent au progrès matériel du monde qu'elles habitent ; l'activité qu'elles sont obligées de déployer, soit pour la conservation de la vie, soit pour s'y procurer le bien-être, aide à leur avancement intellectuel et moral. A chaque incarnation l'âme arrive plus développée ; elle apporte de nouvelles idées et les connaissances acquises dans les existences antérieures ; ainsi s'effectue le progrès des peuples ; les hommes civilisés d'aujourd'hui sont les mêmes qui ont vécu au moyen âge et dans les temps de barbarie, et qui ont progressé ; ceux qui vivront dans les siècles futurs seront ceux d'aujourd'hui, mais encore plus avancés intellectuellement et moralement.

Les sexes n'existent que dans l'organisme ; ils sont nécessaires à la reproduction des êtres matériels ; mais les Esprits, étant la création de Dieu, ne se reproduisent pas les uns par les autres, c'est pour cela que les sexes seraient inutiles dans le monde spirituel.

Les Esprits progressent par les travaux qu'ils accomplissent et les épreuves qu'ils ont à subir, comme l'ouvrier se perfectionne dans son art par le travail qu'il fait. Ces épreuves et ces travaux varient selon leur position sociale. Les Esprits devant progresser en tout et acquérir toutes les connaissances, chacun est appelé à concourir aux divers travaux et à subir les différents genres d'épreuves ; c'est pour cela qu'ils renaissent alternativement riches ou pauvres, maîtres ou serviteurs, ouvriers de la pensée ou de la matière.

Ainsi se trouve fondée, sur les lois mêmes de la nature, le principe de l'égalité, puisque le grand de la veille peut être le petit du lendemain et réciproquement. De ce principe découle celui de la fraternité, puisque, dans nos rapports sociaux, nous retrouvons d'anciennes connaissances, et que dans le malheureux qui nous tend la main peut se trouver un parent ou un ami.

C'est dans le même but que les Esprits s'incarnent dans les différents sexes ; tel qui a été homme pourra renaître femme, et tel qui a été femme pourra renaître homme, afin d'accomplir les devoirs de chacune de ces positions, et d'en subir les épreuves.

La nature a fait le sexe féminin plus faible que l'autre, parce que les devoirs qui lui incombent n'exigent pas une égale force musculaire, et seraient même incompatibles avec la rudesse masculine. Chez lui la délicatesse des formes et la finesse des sensations sont admirablement appropriées aux soins de la maternité. Aux hommes et aux femmes sont donc dévolus des devoirs spéciaux, également importants dans l'ordre des choses ; ce sont deux éléments qui se complètent l'un par l'autre.

L'Esprit incarné subissant l'influence de l'organisme, son caractère se modifie selon les circonstances et se plie aux nécessités et aux besoins que lui impose ce même organisme. Cette influence ne s'efface pas immédiatement après la destruction de l'enveloppe matérielle, de même qu'il ne perd pas instantanément les goûts et les habitudes terrestres ; puis il peut arriver que l'Esprit parcoure une série d'existences dans le même sexe, ce qui fait que pendant longtemps il peut conserver, à l'état d'Esprit, le caractère d'homme ou de femme dont l'empreinte est restée en lui. Ce n'est qu'arrivé à un certain degré d'avancement et de dématérialisation que l'influence de la matière s'efface complètement, et avec elle le caractère des sexes. Ceux qui se présentent à nous comme hommes ou comme femmes, c'est pour rappeler l'existence dans laquelle nous les avons connus.

Si cette influence se répercute de la vie corporelle à la vie spirituelle, il en est de même lorsque l'Esprit passe de la vie spirituelle à la vie corporelle. Dans une nouvelle incarnation, il apportera le caractère et les inclinations qu'il avait comme Esprit ; s'il est avancé, il fera un homme avancé ; s'il est arriéré, il fera un homme arriéré. En changeant de sexe, il pourra donc, sous cette impression et dans sa nouvelle incarnation, conserver les goûts, les penchants et le caractère inhérents au sexe qu'il vient de quitter. Ainsi s'expliquent certaines anomalies apparentes que l'on remarque dans le caractère de certains hommes et de certaines femmes.

Il n'existe donc de différence entre l'homme et la femme que dans l'organisme matériel qui s'anéantit à la mort du corps ; mais quant à l'Esprit, à l'âme, à l'être essentiel, impérissable, il n'en existe pas puisqu'il n'y a pas deux espèces d'âmes ; ainsi l'a voulu Dieu, dans sa justice, pour toutes ses créatures ; en donnant à toutes un même principe, il a fondé la véritable égalité ; l'inégalité n'existe que temporairement dans le degré d'avancement ; mais toutes ont droit à la même destinée, à laquelle chacune arrive par son travail, car Dieu n'en a favorisé aucune aux dépens des autres.

La doctrine matérialiste place la femme dans une infériorité naturelle dont elle n'est relevée que par le bon vouloir de l'homme. En effet, selon cette doctrine, l'âme n'existe pas, ou, si elle existe, elle s'éteint avec la vie ou se perd dans le tout universel, ce qui revient au même. Il ne reste donc à la femme que sa faiblesse corporelle qui la place sous la dépendance du plus fort. La supériorité de quelques-unes n'est qu'une exception, une bizarrerie de la nature, un jeu des organes, et ne saurait faire loi. La doctrine spiritualiste vulgaire reconnaît bien l'existence de l'âme individuelle et immortelle, mais elle est impuissante à prouver qu'il n'existe pas une différence entre celle de l'homme et celle de la femme, et partant une supériorité naturelle de l'une sur l'autre.

Avec la doctrine spirite, l'égalité de la femme n'est plus une simple théorie spéculative ; ce n'est plus une concession de la force à la faiblesse, c'est un droit fondé sur les lois mêmes de la nature. En faisant connaître ces lois, le Spiritisme ouvre l'ère de l'émancipation légale de la femme, comme il ouvre celle de l'égalité et de la fraternité.

Considérations sur la prière dans le Spiritisme

Chacun est libre d'envisager les choses à sa manière, et nous, qui réclamons cette liberté pour nous, nous ne pouvons la refuser aux autres. Mais, de ce qu'une opinion est libre, il ne s'ensuit pas qu'on ne puisse la discuter, en examiner le fort et le faible, en peser les avantages ou les inconvénients.

Nous disons ceci, à propos de la négation de l'utilité de la prière, que quelques personnes voudraient ériger en système, pour en faire le drapeau d'une école dissidente. Cette opinion peut se résumer ainsi :

« Dieu a établi des lois éternelles auxquelles tous les êtres sont soumis ; nous ne pouvons rien lui demander, et nous n'avons à le remercier d'aucune faveur spéciale, donc il est inutile de le prier.

Le sort des Esprits est tracé, il est donc inutile de prier pour eux. Ils ne peuvent changer l'ordre immuable des choses, donc il est inutile de les prier.

Le Spiritisme est une science purement philosophique ; non seulement ce n'est point une religion, mais il ne doit avoir aucun caractère religieux. Toute prière dite dans les réunions tend à maintenir la superstition et la bigoterie. »

La question de la prière a été depuis assez longtemps discutée pour qu'il soit inutile de répéter ici ce que l'on sait à ce sujet. Si le Spiritisme en proclame l'utilité, ce n'est point par esprit de système, mais parce que l'observation a permis d'en constater l'efficacité et le mode d'action. Dès lors que, par les lois fluidiques, nous comprenons la puissance de la pensée, nous comprenons aussi celle de la prière, qui est elle-même une pensée dirigée vers un but déterminé.

Pour quelques personnes, le mot prière ne réveille qu'une idée de demande ; c'est une grave erreur. A l'égard de la Divinité c'est un acte d'adoration, d'humilité et de soumission auquel on ne peut se réfuter sans méconnaître la puissance et la bonté du Créateur. Dénier la prière à Dieu, c'est reconnaître Dieu comme un fait, mais c'est refuser de lui rendre hommage ; c'est encore là une révolte de l'orgueil humain.

A l'égard des Esprits, qui ne sont autres que les âmes de nos frères, la prière est une identification de pensées, un témoignage de sympathie ; la repousser, c'est repousser le souvenir des êtres qui nous sont chers, car ce souvenir sympathique et bienveillant est lui-même une prière. On sait d'ailleurs que ceux qui souffrent la réclament avec insistance comme un allégement à leur peines ; s'ils la demandent, c'est donc qu'ils en ont besoin ; la leur refuser, c'est refuser le verre d'eau au malheureux qui a soif.

Outre l'action purement morale, le Spiritisme nous montre, dans la prière, un effet en quelque sorte matériel, résultant de la transmission fluidique. Son efficacité, dans certaines maladies, est constatée par l'expérience, comme elle est démontrée par la théorie. Rejeter la prière c'est donc se priver d'un puissant auxiliaire pour le soulagement des maux corporels.

Voyons maintenant quel serait le résultat de cette doctrine, et si elle a quelque chance de prévaloir.

Tous les peuples prient, depuis les sauvages jusqu'aux hommes civilisés ; ils y sont portés par instinct, et c'est ce qui les distingue des animaux. Sans doute ils prient d'une manière plus ou moins rationnelle, mais enfin ils prient. Ceux qui, par ignorance ou présomption, ne pratiquent pas la prière, forment, dans le monde, une infime minorité.

La prière est donc un besoin universel, indépendant des sectes et des nationalités. Après la prière, si l'on est faible, on se sent plus fort ; si l'on est triste, on se sent consolé ; ôter la prière, c'est priver l'homme de son plus puissant soutien moral dans l'adversité. Par la prière il élève son âme, il entre en communion avec Dieu, il s'identifie avec le monde spirituel, il se dématérialise, condition essentielle de son bonheur futur ; sans la prière, ses pensées restent sur la terre, s'attachent de plus en plus aux choses matérielles ; de là un retard dans son avancement.

En contestant un dogme, on ne se met en opposition qu'avec la secte qui le professe ; en déniant l'efficacité de la prière, on froisse le sentiment intime de la presque unanimité des hommes. Le Spiritisme doit les nombreuses sympathies qu'il rencontre aux aspirations du cœur, et dans lesquelles les consolations que l'on puise dans la prière entrent pour une large part. Une secte qui se fonderait sur la négation de la prière, se priverait du principal élément de succès, la sympathie générale, parce qu'au lieu de réchauffer l'âme, elle la glacerait ; au lieu de l'élever, elle la rabaisserait. Si le Spiritisme doit gagner en influence, c'est en augmentant la somme des satisfactions morales qu'il procure. Que ceux qui veulent à tout prix du nouveau dans le Spiritisme, pour attacher leur nom à un drapeau, s'efforcent de donner plus que lui ; mais ce n'est pas en donnant moins qu'ils le supplanteront. L'arbre dépouillé de ses fruits savoureux et nourrissants sera toujours moins attrayant que celui qui en est paré. C'est en vertu du même principe que nous avons toujours dit aux adversaires du Spiritisme : Le seul moyen de le tuer, c'est de donner quelque chose de mieux, de plus consolant, qui explique plus et qui satisfasse davantage. C'est ce que personne n'a encore fait.

On peut donc considérer le rejet de la prière, de la part de quelques croyants aux manifestations spirites, comme une opinion isolée qui peut rallier quelques individualités, mais qui ne ralliera jamais la majorité. Ce serait à tort qu'on imputerait cette doctrine au Spiritisme, puisqu'il enseigne positivement le contraire.

Dans les réunions spirites, la prière prédispose au recueillement, à la gravité, condition indispensable, comme on le sait, pour les communications sérieuses. Est-ce à dire qu'il faille les transformer en assemblées religieuses ? En aucune façon ; le sentiment religieux n'est pas synonyme de religionnaire ; on doit même éviter ce qui pourrait donner aux réunions ce dernier caractère. C'est dans ce but que nous y avons constamment désapprouvé les prières et les symboles liturgiques d'un culte quelconque. Il ne faut pas oublier que le Spiritisme doit tendre au rapprochement des diverses communions ; déjà il n'est pas rare de voir dans ces réunions fraterniser des représentants de différents cultes, c'est pourquoi aucun ne doit s'y arroger la suprématie. Que chacun en son particulier prie comme il l'entend, c'est un droit de conscience ; mais dans une assemblée fondée sur le principe de la charité, on doit s'abstenir de tout ce qui pourrait blesser des susceptibilités, et tendre à maintenir un antagonisme que l'on doit au contraire s'efforcer de faire disparaître. Des prières spéciales au Spiritisme ne constituent point un culte distinct, dès l'instant qu'elles ne sont pas imposées et que chacun est libre de dire celles qui lui conviennent ; mais elles ont l'avantage de servir pour tout le monde et de ne froisser personne.

Le même principe de tolérance et de respect pour les convictions d'autrui nous fait dire que toute personne raisonnable qu'une circonstance amène dans le temple d'un culte dont il ne partage pas les croyances doit s'abstenir de tout signe extérieur qui pourrait scandaliser les assistants ; qu'elle doit, au besoin même, sacrifier à des usages de pure forme qui ne peuvent en rien engager sa conscience. Que Dieu soit adoré dans un temple d'une manière plus ou moins logique, ce n'est pas un motif pour froisser ceux qui trouvent cette manière bonne.

Le spiritisme donnant à l'homme une certaine somme de satisfactions et prouvant un certain nombre de vérités, nous avons dit qu'il ne pourrait être remplacé que par quelque chose qui donnerait plus et prouverait mieux que lui. Voyons si cela est possible. Ce qui fait la principale autorité de la doctrine, c'est qu'il n'est pas un seul de ses principes qui soit le produit d'une idée préconçue ou d'une opinion personnelle ; tous, sans exception, sont le résultat de l'observation des faits ; c'est par les faits seuls que le Spiritisme est arrivé à connaître la situation et les attributions des Esprits, ainsi que les lois, ou mieux une partie des lois qui régissent leurs rapports avec le monde visible ; ceci est un point capital. En continuant à nous appuyer sur l'observation, nous faisons de la philosophie expérimentale et non spéculative. Pour combattre les théories du Spiritisme, il ne suffit donc pas de dire qu'elles sont fausses : il faudrait leur opposer des faits dont elles seraient impuissantes à donner la solution. Et dans ce cas même il se tiendra toujours au niveau, parce qu'il serait contraire à son essence de s'obstiner dans une idée fausse, et qu'il s'efforcera toujours de combler les lacunes qu'il peut présenter, n'ayant pas la prétention d'être arrivé à l'apogée de la vérité absolue. Cette manière d'envisager le Spiritisme n'est pas nouvelle ; on peut la voir de tous temps formulée dans nos ouvrages. Dès lors que le Spiritisme ne se déclare ni stationnaire ni immuable, il s'assimilera toutes les vérités qui seront démontrées, de quelque part quelles viennent, fût-ce de celle de ses antagonistes, et ne restera jamais en arrière du progrès réel. Il s'assimilera ces vérités, disons-nous, mais alors seulement qu'elles seront clairement démontrées, et non parce qu'il plaisait à quelqu'un de donner pour telles, ou ses désirs personnels ou les produits de son imagination. Ce point établi, le Spiritisme ne pourrait perdre que s'il se laissait distancer par une doctrine qui donnerait plus que lui ; il n'a rien à craindre de celles qui donneraient moins et en retrancheraient ce qui fait sa force et sa principale attraction.

Si le Spiritisme n'a pas encore tout dit, il est cependant une certaine somme de vérités acquises à l'observation et qui constituent l'opinion de l'immense majorité des adeptes ; et si ces vérités sont aujourd'hui passées à l'état d'articles de foi, pour nous servir d'une expression employée ironiquement par quelques-uns, ce n'est ni par nous, ni par personne, ni même par nos Esprits instructeurs qu'elles ont été ainsi posées et encore moins imposées, mais par l'adhésion de tout le monde, chacun étant à même de les constater.

Si donc une secte se formait en opposition avec les idées consacrées par l'expérience et généralement admises en principe, elle ne saurait conquérir les sympathies de la majorité, dont elle froisserait les convictions. Son existence éphémère s'éteindrait avec son fondateur, peut-être même avant, ou tout au moins avec les quelques adeptes qu'elle aurait pu rassembler. Supposons le Spiritisme partagé en dix, en vingt sectes, celle qui aura la suprématie et le plus de vitalité sera naturellement celle qui donnera la plus grande somme de satisfactions morales, qui comblera le plus grand nombre de vides de l'âme, qui sera fondée sur les preuves les plus positives, et qui se mettra le mieux à l'unisson de l'opinion générale.

Or le Spiritisme, prenant le point de départ de tous ses principes dans l'observation des faits, ne peut être renversé par une théorie ; se tenant constamment au niveau des idées progressives, il ne pourra être dépassé ; s'appuyant sur le sentiment de la majorité, il satisfait les aspirations du plus grand nombre ; fondé sur ces bases, il est impérissable, car là est sa force.

Là aussi est la cause de l'insuccès des tentatives faites pour se mettre à la traverse ; en fait de Spiritisme, il est des idées profondément antipathiques à l'opinion générale et que celle-ci repousse instinctivement ; bâtir sur ces idées, comme point d'appui, un édifice ou des espérances quelconques, c'est s'accrocher maladroitement à des branches cassées ; voilà où en sont réduits ceux qui, n'ayant pu renverser le Spiritisme par la force, essayent de le renverser par lui-même.

Nécrologie

Mort de M. Didier, libraire-éditeur

Le Spiritisme vient de perdre un de ses adeptes les plus sincères et les plus dévoués dans la personne de M. Didier, mort le samedi 2 décembre 1865. Il était membre de la Société Spirite de Paris depuis sa fondation, en 1858, et, comme on le sait, l'éditeur de nos ouvrages sur la doctrine. La veille il assistait à la séance de la Société, et le lendemain, à six heures du soir, il mourait subitement dans un bureau d'omnibus, à quelques pas de chez lui, où, fort heureusement, se trouvait un de ses amis qui put le faire transporter à son domicile. Ses obsèques ont eu lieu le mardi 5 décembre.

Le Petit Journal, en annonçant sa mort, ajoute : « Dans ces derniers temps, M. Didier avait édité M. Allan Kardec, et était devenu, par politesse d'éditeur, ou par conviction, un adepte du Spiritisme. »

Nous ne pensons pas que la plus exquise politesse fasse à un éditeur l'obligation d'épouser les opinions de ses clients, ni qu'il soit tenu de se faire juif, par exemple, parce qu'il éditerait les ouvrages d'un rabbin. De telles restrictions ne sont pas dignes d'un écrivain sérieux. Le Spiritisme est une croyance comme une autre qui compte plus d'un libraire dans ses rangs ; pourquoi serait-il plus étrange qu'un libraire fût spirite que d'être catholique, protestant, juif, saint-simonien, fouriériste ou matérialiste ? Quand donc messieurs les libres penseurs admettront-ils la liberté de conscience pour tout le monde ? Auraient-ils, par hasard, la singulière prétention d'exploiter l'intolérance à leur profit, après l'avoir combattue chez les autres ? Les opinions spirites de M. Didier étaient connues, et jamais il n'en a fait mystère, car il rompait souvent des lances avec les incrédules. C'était chez lui une conviction profonde et de vieille date, et non, comme le suppose l'auteur de l'article, une question de circonstance ou une politesse d'éditeur ; mais il est si difficile à ces messieurs, pour qui la doctrine spirite est tout entière dans l'armoire des frères Davenport, de convenir qu'un homme d'une valeur intellectuelle notoire croie aux Esprits ! Il faudra pourtant bien qu'ils s'accoutument à cette idée, car il y en a plus qu'ils ne supposent, ce dont ils ne tarderont pas à avoir la preuve.

Le Grand Journal en rend compte en ces termes :

« Mort aussi, M. Didier, éditeur qui a publié beaucoup de beaux et bons livres, dans sa modeste boutique du quai des Grands-Augustins. En ces derniers temps, M. Didier était un adepte, ‑ et ce qui vaut mieux encore, ‑ un éditeur fervent des livres spirites. Le pauvre homme doit savoir maintenant à quoi s'en tenir sur les doctrines de M. Allan Kardec. »

Il est triste de voir que la mort n'est pas même respectée de messieurs les incrédules, et qu'ils poursuivent de leurs railleries les adeptes les plus honorables jusqu'au-delà de la tombe. Ce que M. Didier pensait de la doctrine de son vivant ? Un fait lui prouvait l'impuissance des attaques dont elle est l'objet, c'est qu'au moment de sa mort il faisait imprimer la 14° édition du Livre des Esprits. Ce qu'il en pense maintenant ? c'est qu'il y aura de grands désappointements et plus d'une défection parmi ses antagonistes.

Ce que nous pourrions dire en cette circonstance se trouve résumé dans l'allocution suivante, prononcée à la Société de Paris, dans sa séance du 8 décembre.

Messieurs et chers collègues,

Encore un des nôtres qui vient de partir pour la céleste patrie ! Notre collègue, M. Didier, a laissé sur la terre sa dépouille mortelle pour revêtir l'enveloppe des Esprits.

Quoique depuis longtemps sa santé chancelante ait mis plusieurs fois sa vie en danger, et quoique l'idée de la mort n'ait rien d'effrayant pour nous, Spirites, sa fin arrivée aussi inopinément, le lendemain du jour où il assistait à notre séance, a causé parmi nous tous une profonde émotion.

Il y a dans cette mort, pour ainsi dire foudroyante, un grand enseignement, ou mieux un grand avertissement : c'est que notre vie tient à un fil qui peut se rompre au moment où nous nous y attendons le moins, car bien souvent la mort frappe sans dire gare ! Elle avertit ainsi les survivants de se tenir toujours prêts à répondre à l'appel du Seigneur pour rendre compte de l'emploi de la vie qu'il nous a donnée.

Bien que M. Didier ne prît pas une part personnelle très active aux travaux de la Société, où il prenait assez rarement la parole, il n'en était pas moins un des membres les plus considérables par son ancienneté, comme membre fondateur, par son assiduité, et surtout par sa position, son influence et les incontestables services qu'il a rendus à la cause du Spiritisme, comme propagateur et comme éditeur. Les rapports que j'ai eus avec lui pendant sept ans m'ont mis à même d'apprécier sa droiture, sa loyauté et ses capacités spéciales. Il avait sans doute, comme chacun de nous, ses petits travers qui ne plaisaient pas à tout le monde, parfois même une brusquerie avec laquelle il fallait se familiariser, mais qui n'ôtait rien à ses éminentes qualité, et le plus bel éloge qu'on en puisse faire, c'est de dire qu'en affaires on pouvait aller avec lui les yeux fermés.

Commerçant, il devait envisager les choses commercialement, mais il ne le faisait point avec petitesse et parcimonie ; il était grand, large, sans lésinerie dans ses opérations ; l'appât du gain ne lui eût point fait entreprendre une publication qui ne lui aurait pas convenu, quelque avantageuse qu'elle pût être. En un mot, M. Didier n'était point le marchand de livres calculant sou à sou son profit, mais l'éditeur intelligent, juste appréciateur, consciencieux et prudent, tel qu'il le fallait pour fonder une maison sérieuse comme la sienne. Ses relations avec le monde savant, dont il était aimé et estimé, avaient développé ses idées et contribué à donner à sa librairie académique le caractère grave qui en a fait une maison de premier ordre, moins par le chiffre des affaires que par la spécialité des ouvrages qu'elle exploitait, et la considération commerciale dont elle jouissait depuis longues années à juste titre.

En ce qui me concerne, je me félicite de l'avoir rencontré sur ma route, ce que je dois sans doute à l'assistance des bons Esprits, et c'est en toute sincérité que je dis que le Spiritisme perd en lui un appui, et moi un éditeur d'autant plus précieux qu'entrant parfaitement dans l'esprit de la doctrine, il éprouvait à la propager une véritable satisfaction.

Quelques personnes ont été surprises que je n'aie pas pris la parole à son enterrement ; les motifs de mon abstention sont très simples.

Je dirai d'abord que la famille ne m'en ayant point exprimé le désir, je ne savais si cela lui serait agréable ou non. Le Spiritisme, qui reproche à d'autres de s'imposer, ne doit pas encourir le même reproche ; il ne s'impose jamais : il attend qu'on vienne à lui.

Je prévoyais, en outre, que l'assistance serait nombreuse, et que dans le nombre se trouveraient beaucoup de personnes peu sympathiques ou même hostiles à nos croyances ; outre qu'il eût été peu convenable de venir en ce moment solennel froisser publiquement des convictions contraires, cela pouvait fournir à nos adversaires un prétexte à de nouvelles agressions. Par ce temps de controverse, c'eût été peut-être une occasion de faire connaître ce qu'est la doctrine ; mais n'aurait-ce pas été oublier le pieux motif qui nous rassemblait ? manquer au respect dû à la mémoire de celui que nous venions saluer à son départ ? Était-ce sur une tombe entrouverte qu'il convenait de relever le gant qu'on nous jette ? Vous conviendrez, messieurs, que le moment eût été mal choisi. Le Spiritisme gagnera toujours plus à la stricte observation des convenances qu'il ne perdra à laisser échapper une occasion de se montrer. Il sait qu'il n'a pas besoin de violence ; il vise au cœur : ses moyens de séduction sont la douceur, la consolation et l'espérance ; c'est pour cela qu'il trouve des complices jusque dans les rangs ennemis. Sa modération et son esprit conciliant nous mettent en relief par le contraste ; ne perdons pas ce précieux avantage. Cherchons les cœurs affligés, les âmes tourmentées par le doute : le nombre en est grand ; ce seront là nos plus utiles auxiliaires ; avec eux nous ferons plus de prosélytes qu'avec la réclame et la mise en scène.

J'aurais pu, sans doute, me renfermer dans des généralités et faire abstraction du Spiritisme ; mais de ma part cette réticence aurait pu être interprétée comme une crainte ou une sorte de désaveu de nos principes. En pareille circonstance je ne puis que parler carrément ou me taire ; c'est ce dernier parti que j'ai pris. S'il s'était agi d'un discours ordinaire et sur un sujet banal, il en eût été autrement ; mais ici ce que j'aurais pu dire devait avoir un caractère spécial.

J'aurais pu encore me borner à la prière qui se trouve dans l'Évangile selon le Spiritisme pour ceux qui viennent de quitter la terre, et qui produit toujours en pareil cas une sensation profonde ; mais ici se présentait un autre inconvénient. L'ecclésiastique qui a accompagné le corps au cimetière est resté jusqu'à la fin de la cérémonie, contrairement aux habitudes ordinaires ; il a écouté avec une attention soutenue le discours de M. Flammarion, et peut-être s'attendait-il, en raison des opinions bien connues de M. Didier et de ses rapports avec les Spirites, à quelque manifestation plus explicite. Après les prières qu'il venait de dire, et qui, dans son âme et conscience sont suffisantes, venir en sa présence en dire d'autres qui sont toute une profession de foi, un résumé de principes qui ne sont pas les siens, cela aurait eu l'air d'une bravade qui n'est pas dans l'esprit du Spiritisme. Peut-être quelques personnes n'eussent-elles pas été fâchées de voir l'effet du conflit tacite qui pouvait en résulter : c'est ce que les simples convenances me commandaient d'éviter. Les prières que chacun de nous a dites en particulier et que nous pouvons dire entre nous, seront tout aussi profitables à M. Didier, s'il en a besoin, que si elles l'eussent été avec ostentation.

Croyez bien, messieurs, que j'ai autant que qui que ce soit à cœur les intérêts de la doctrine, et que lorsque je fais ou ne fais pas une chose, c'est avec mûre réflexion et après en avoir pesé les conséquences.

Notre collègue, madame R… est venue de la part de quelques assistants me solliciter de prendre la parole. Des personnes qu'elle ne connaissait pas, a-t-elle ajouté, venaient de lui dire qu'elles étaient venues tout exprès jusqu'au cimetière dans l'espoir de m'entendre ; c'était flatteur sans doute pour moi, mais, de la part de ces personnes, c'était se méprendre étrangement sur mon caractère de penser qu'un stimulant d'amour-propre pût m'exciter à parler pour satisfaire la curiosité de ceux qui étaient venus par un autre motif que celui de rendre hommage à la mémoire de M. Didier. Ces personnes ignorent, sans doute, que s'il me répugne de m'imposer, je n'aime pas davantage à poser. C'est ce que madame R… aurait pu leur répondre, en ajoutant qu'elle me connaissait et m'estimait assez pour être certaine que le désir de me mettre en évidence n'aurait aucune influence sur moi.

Dans d'autres circonstances, messieurs, je me serais fait un devoir, j'aurais été heureux de rendre à notre collègue un témoignage public d'affection au nom de la Société, représentée à ses obsèques par un grand nombrede ses membres ; mais comme les sentiments sont plus dans le cœur que dans la démonstration, chacun de nous, sans doute, le lui avait déjà rendu dans son for intérieur ; en ce moment où nous sommes rassemblés, payons-lui entre nous le tribut de regrets, d'estime et de sympathie qu'il mérite, et espérons qu'il voudra bien revenir parmi nous comme par le passé, et continuer, comme Esprit, la tâche spirite qu'il avait entreprise comme homme.



Correspondance

Lettre de M Jaubert

« Je vous prie, mon cher monsieur Kardec, d'insérer la lettre suivante dans le plus prochain numéro de votre Revue. Je suis certes bien peu de chose, mais enfin j'ai mon appréciation, et je l'impose à votre modestie. D'un autre côté, quand la bataille se livre, je tiens à prouver que je suis toujours sous le drapeau avec mes épaulettes de laine.

Jaubert. »

Sans l'obligation qui nous en est faite, en termes si précis, on comprendra les motifs qui nous auraient empêché de publier cette lettre ; nous nous serions contenté de la conserver comme un honorable et précieux témoignage, et de l'ajouter aux nombreuses causes de satisfaction morale qui viennent nous soutenir et nous encourager dans notre rude labeur, et compenser les tribulations inséparables de notre tâche. Mais, d'un autre côté, la question personnelle mise à part, en ce temps de déchaînement contre le Spiritisme, les exemples du courage de l'opinion sont d'autant plus influents qu'ils partent de plus haut. Il est utile que la voix des hommes de cœur, de ceux qui, par leur caractère, leurs lumières et leur position commandent le respect et la confiance, se fasse entendre ; et si elle ne peut dominer les clameurs, de telles protestations ne sont perdues ni pour le présent ni pour l'avenir.



Carcassonne, 12 décembre 1865.

Monsieur et cher Maître,

Je ne veux pas laisser mourir l'année 1865 sans lui rendre grâce pour tout le bien qu'elle a fait au Spiritisme. Nous lui devons la Pluralité des existences de l'âme, par André Pezzani ; la Pluralité des mondes habités, par Camille Flammarion : deux jumeaux qui naissent à peine et marchent à si grands pas dans le monde philosophique.

Nous lui devons un livre, petit par ses pages, grand par ses pensées ; la simplicité nerveuse de son style le dispute à la sévérité de sa logique. Il contient en germe la théologie de l'avenir ; il a le calme de la force, et la force de la vérité. Je voudrais que le volume ayant pour titre : Ciel et Enfer, fût édité à des millions d'exemplaires. Pardonnez-moi cet éloge : j'ai trop vécu pour être enthousiaste, et j'abhorre la flatterie.

L'année 1865 nous donne Spirite, nouvelle fantastique. La littérature se décide à faire invasion dans notre domaine. L'auteur n'a pas tiré du Spiritisme tous les enseignements qu'il renferme. Il met en saillie l'idée capitale, essentielle : la démonstration de l'âme immortelle par les phénomènes. Les tableaux du peintre m'ont paru ravissants ; je ne puis résister au plaisir d'une citation.

« Spirite, l'amante ignorée, sur la terre, de Guy de Malivert, vient de mourir. Elle décrit elle-même ses premières sensations.

L'instinct de la nature luttait encore contre la destruction ; mais bientôt cette lutte inutile cessa, et, dans un faible soupir, mon âme s'exhala de mes lèvres.

Des mots humains ne peuvent rendre la sensation d'une âme qui, délivrée de sa prison corporelle, passe de cette vie dans l'autre, du temps dans l'éternité, et du fini dans l'infini. Mon corps immobile et déjà revêtu de cette blancheur mate, livrée de la mort, gisait sur sa couche funèbre, entouré des religieuses en prières, et j'en étais aussi détachée que le papillon peut l'être de sa chrysalide, coque vide, dépouille informe, pour ouvrir ses jeunes ailes à la lumière inconnue et soudainement révélée. A une intermittence d'ombre profonde avait succédé un éblouissement de splendeur, un élargissement d'horizon, une disparition de toute limite et de tout obstacle qui m'enivraient d'une joie indicible. Des explosions de sens nouveaux me faisaient comprendre les mystères impénétrables à la pensée et aux organes terrestres. Débarrassée de cet argile soumise aux lois de la pesanteur, qui m'alourdissait naguère encore, je m'élançais avec une célérité folle dans l'insondable éther. Les distances n'existaient plus pour moi, et mon simple désir me rendait présente où je voulais être. Je traçais de grands cercles, d'un vol plus rapide que la lumière, à travers l'azur vague des espaces, comme pour prendre possession de l'immensité, me croisant avec des essaims d'âmes et d'Esprits. »

Et la toile se déroule toujours plus splendide ; j'ignore si, au fond de l'âme, M. Théophile Gautier est Spirite ; mais à coup sûr il sert aux matérialistes, aux incroyants le breuvage salutaire dans des coupes d'or magnifiquement ciselées.

Je bénis encore l'année 1865 pour les grosses colères qu'elle renfermait dans ses flancs. Personne ne s'y trompe : les frères Davenport sont moins la cause que le prétexte de la croisade. Soldats de tous uniformes ont pointé contre nous leurs canons rayés. Qu'ont-ils donc prouvé ? La force et la résistance de la citadelle assiégée. Je connais un journal du Midi très répandu, très estimé, et à bon droit, qui, depuis bien longtemps, enterre le Spiritisme pauvrement une fois par mois ; d'où la conséquence que le Spiritisme ressuscite au moins douze fois par an. Vous verrez qu'ils le rendront immortel à force de le tuer.

Je n'ai plus maintenant que mes souhaits de bonne année ; mes premiers vœux sont pour vous, monsieur et cher maître, pour votre bonheur, pour votre œuvre si vaillamment entreprise et si dignement poursuivie.

Je fais des vœux pour l'union intime de tous les Spirites. J'ai vu avec douleur quelques légers nuages tomber dans notre horizon. Qui nous aimera si nous ne savons nous aimer ? Comme vous le dites très bien dans le dernier numéro de votre Revue : « Quiconque croit à l'existence et à la survivance des âmes, et à la possibilité des relations entre les hommes et le monde spirituel, est Spirite. » Que cette définition reste, et sur ce terrain solide nous serons toujours d'accord. Et maintenant, si des détails de doctrine, même importants, parfois nous divisent, discutons-les, non pas en fratricides, mais en hommes qui n'ont qu'un but : le triomphe de la raison, et par la raison la recherche du vrai et du beau, le progrès de la science, le bonheur de l'humanité.

Restent mes vœux les plus ardents, les plus sincères ; je les adresse à tous ceux qui se disent nos ennemis : que Dieu les éclaire !

Adieu, monsieur ; recevez pour vous et pour tous nos frères de Paris la nouvelle assurance de mes sentiments affectueux et de ma considération distinguée.

T. Jaubert,

Vice-président du Tribunal.



Tout commentaire sur cette lettre serait superflu ; nous n'ajouterons qu'un mot, c'est que des hommes comme M. Jaubert honorent le drapeau qu'ils portent. Son appréciation si judicieuse sur l'ouvrage de M. Théophile Gautier nous dispense du compte rendu que nous nous proposions d'en faire ce mois-ci ; nous en reparlerons dans le prochain numéro.

La jeune cataleptique de Souabe

Étude psychologique

Sous le titre de Seconde vue, plusieurs journaux ont reproduit le fait suivant, entre autres la Patrie du 26 et l'Evénement du 28 novembre.

« On attend à Paris la prochaine arrivée d'une jeune fille, originaire de la Souabe, dont l'état mental présente des phénomènes qui laissent bien loin les jongleries des frères Davenport et autres Spirites.

Agée de seize ans et demi, Louise B… demeure chez ses parents, propriétaires cultivateurs au lieu dit le Bondru (Seine-et-Marne), où ils se sont établis après avoir quitté l'Allemagne.

A la suite d'un violent chagrin, causé par la mort de sa sœur, Louise est tombée dans un sommeil léthargique qui s'est prolongé pendant cinquante-six heures. Après ce laps de temps elle s'est éveillée, non à la vie réelle et normale, mais à une existence étrange qui se résume dans les phénomènes suivants :

Louise a subitement perdu sa vivacité et sa gaieté, sans souffrir cependant, mais en prenant possession d'une sorte de béatitude qui s'allie au calme le plus profond. Pendant toute la durée du jour, elle reste immobile sur une chaise, ne répondant que par monosyllabes aux questions qui lui sont adressées. Le soir venu, elle tombe dans un état cataleptique, caractérisé par la rigidité des membres et la fixité du regard.

En ce moment, les facultés et les sens de la jeune fille acquièrent une sensibilité et une portée qui dépassent les limites assignées à la puissance humaine. Elle possède non seulement le don de seconde vue, mais encore celui de seconde ouïe, c'est-à-dire qu'elle entend les paroles proférées près d'elle, et qu'elle entend celles qui sont émises dans un endroit plus ou moins éloigné, vers lequel se concentre son attention.

Entre les mains de la cataleptique, chaque objet prend pour elle une image double. Comme tout le monde, elle a le sentiment de la forme et de l'apparence extérieure de cet objet ; elle voit en outre distinctement la représentation de son intérieur, c'est-à-dire l'ensemble des propriétés qu'il possède et des usages auxquels il est destiné dans l'ordre de la création.

Dans une quantité de plantes, d'échantillons métalliques et minéralogiques, soumis à son inconsciente appréciation, elle a signalé des vertus latentes et inexplorées qui reportent la pensée vers les découvertes des alchimistes du moyen âge.

Louise éprouve un effet analogue à l'aspect des personnes avec lesquelles elle entre en communication par le contact des mains. Elle les voit à la fois telles qu'elles sont et telles qu'elles ont été dans un âge moins avancé. Les ravages du temps et de la maladie disparaissent à ses yeux, et si l'on a perdu quelque membre, il subsiste encore pour elle.

La jeune paysanne prétend qu'à l'abri de toutes les modifications de l'action vitale extérieure, la forme corporelle demeure intégralement reproduite par le fluide nerveux.

Transportée dans les endroits où se trouvent des tombeaux, Louise voit et dépeint de la manière que nous venons de rapporter les personnes dont la dépouille a été confiée à la terre. Elle éprouve alors des spasmes et des crises nerveuses, de même que lorsqu'elle approche des lieux où existent, à n'importe quelle profondeur dans le sol, de l'eau ou des métaux.

Quand la jeune Louise passe de la vie ordinaire à ce mode de vie qu'on peut appeler supérieur, il lui semble qu'un voile épais tombe de ses yeux.

La création, éclairée pour elle d'une manière nouvelle, fait l'objet de son intarissable admiration, et, quoique illettrée, elle trouve, pour exprimer son enthousiasme, des comparaisons et des images véritablement poétiques.

Aucune préoccupation religieuse ne se mêle à ces impressions. Les parents, loin de trouver dans ces phénomènes insolites un sujet de spéculation, les cachent avec le plus grand soin. S'ils se décident à amener sans bruit la jeune fille à Paris, c'est parce que cette surexcitation constante du système nerveux exerce sur ses organes une influence destructive et qu'elle dépérit à vue d'œil. Les médecins qui la soignent ont émis l'avis de la conduire dans la capitale, autant pour réclamer le secours des maîtres en l'art de guérir, que pour soumettre à la science des faits sortant du cercle ordinaire de ses investigations, et dont l'explication n'est pas encore trouvée. »

Les phénomènes que présente cette jeune fille, dit l'auteur de l'article, laissent bien les jongleries des frères Davenport et autres Spirites. Si ces phénomènes sont réels, quels rapports peuvent-ils avoir avec des tours d'adresse ? Pourquoi cette comparaison entre choses dissemblables, et dire que l'une dépasse l'autre ? Avec l'intention de lancer une petite méchanceté contre le Spiritisme, l'auteur énonce, sans le vouloir, une grande vérité à l'appui de ce qu'il veut dénigrer ; il proclame un fait essentiellement spirite, que le Spiritisme reconnaît et accepte comme tel, tandis qu'il n'a jamais pris MM. Davenport sous son patronage, et les a encore moins présentés comme des adeptes et des apôtres ; c'est ce que messieurs les journalistes sauraient s'ils avaient tenu compte des innombrables protestations qui leur sont arrivées de toutes parts contre l'assimilation qu'ils ont prétendu établir entre une doctrine essentiellement morale et philosophique et des exhibitions théâtrales.

L'explication de ces phénomènes n'est, dit-on, pas encore donnée : par la science officielle ; cela est certain ; mais pour la science spirite, il y a longtemps que ce n'est plus un mystère. Ce ne sont cependant pas les moyens de s'éclairer qui ont fait défaut ; les cas de catalepsie, de double vue, de somnambulisme naturel, avec les étranges facultés qui se développent dans ces différents états, ne sont pas rares. Pourquoi la science en est-elle encore à en chercher l'explication ? C'est que la science s'obstine à la chercher où elle n'est pas, où elle ne la trouvera jamais : dans les propriétés de la matière.

Voilà un homme qui vit : il pense, il raisonne ; une seconde après, il meurt ; il ne donne plus aucun signe d'intelligence. Il y avait donc en lui, alors qu'il pensait, quelque chose qui n'existe plus depuis qu'il ne pense plus. Qui donc pensait en lui ? La matière, dites-vous ; mais la matière est toujours là, intacte, sans une parcelle de moins ; pourquoi donc pensait-elle tout à l'heure et ne pense-t-elle plus maintenant ? ‑ C'est qu'elle est désorganisée ; les molécules se sont sans doute désagrégées ; une fibre s'est peut-être rompue ; un rien s'est dérangé et le mouvement intellectuel s'est arrêté. ‑ Ainsi voilà le génie, les plus grandes conceptions humaines à la merci d'une fibre, d'un atome imperceptible, et les efforts de toute une vie de labeur sont perdus ! De tout ce mobilier intellectuel acquis à grande peine, il ne reste rien ; la plus vaste intelligence n'est qu'une pendule bien montée qui, une fois disloquée, n'est bonne qu'à mettre à la ferraille ! C'est peu logique et peu encourageant ; avec une telle perspective, mieux vaudrait sans doute ne s'occuper qu'à boire et manger ; mais enfin c'est un système.

L'âme, selon vous, n'est qu'une hypothèse. Mais cette hypothèse ne devient-elle pas une réalité dans les cas analogues à celui de la jeune fille en question ? Ici l'âme se montre à découvert ; vous ne la voyez pas, mais vous la voyez penser et agir isolément de l'enveloppe matérielle ; elle se transporte au loin ; elle voit et elle entend malgré l'état d'insensibilité des organes. Peut-on expliquer par les organes seuls des phénomènes qui se passent en dehors de leur sphère d'activité, et n'est-ce pas la preuve que l'âme en est indépendante ? Comment donc ne la reconnaît-on pas à ces signes si évidents ? C'est qu'il faudrait, pour cela, admettre l'intervention de l'âme dans les phénomènes pathologiques et physiologiques, qui cesseraient ainsi d'être exclusivement matériels ; or, comment reconnaître un élément spirituel dans les phénomènes de la vie, alors qu'on a constamment dit le contraire ? C'est ce à quoi l'on ne peut se résoudre, car il faudrait convenir qu'on s'est trompé, et il est dur, pour certains amours-propres, de recevoir un démenti de l'âme même qu'on a niée. Aussi, dès qu'elle se montre quelque part avec trop d'évidence, vite on se hâte de la couvrir d'un boisseau, et l'on n'en entend plus parler. Ainsi en a-t-il été de l'hypnotisme et de tant d'autres choses ; Dieu veuille qu'il n'en soit pas de même de Louise B… Pour couper court, on dit que ces phénomènes sont des illusions, et que leurs promoteurs sont des fous ou des charlatans.

Telles sont les raisons qui ont fait négliger l'étude si intéressante et si féconde en résultats moraux, des phénomènes psychophysiologiques ; telle est aussi la cause de la répulsion du matérialisme pour le Spiritisme, qui repose tout entier sur les manifestations ostensibles de l'âme, pendant la vie et après la mort.

Mais, dira-t-on, le parti religieux, battu en brèche par le matérialisme, doit accueillir avec empressement des phénomènes qui viennent terrasser l'incrédulité par l'évidence ; pourquoi donc, au lieu de s'en faire une arme, les repousse-t-il ? C'est que l'âme est une indiscrète qui vient se présenter dans des conditions tout autres que celles de l'état où on nous la montre, et sur lequel on a bâti tout un système ; il faudrait revenir sur des croyances que l'on a dit être immuables ; puis elle voit trop clair ; donc il fallait lui interdire la parole. Mais on a compté sans sa subtilité ; on ne l'enferme pas, comme un oiseau dans une cage ; si on lui ferme une porte, elle en ouvre mille. Aujourd'hui elle se fait entendre partout, pour dire d'un bout du monde à l'autre : voilà ce que nous sommes. Bien habiles seront ceux qui l'en empêcheront.

Revenons à notre sujet. La jeune fille en question offre le phénomène, très ordinaire en pareil cas, de l'extension des facultés. Cette extension, dit l'article, atteint une portée qui dépasse les limites assignées à la puissance humaine. Il faut distinguer ici deux ordres de facultés : les facultés perceptives, c'est-à-dire la vue et l'ouïe, et les facultés intellectuelles. Les premières sont mises en activité par les agents extérieurs dont l'action se répercute à l'intérieur ; les secondes constituent la pensée qui rayonne de l'intérieur à l'extérieur. Parlons d'abord des premières.

Dans l'état normal, l'âme perçoit par l'intermédiaire des sens. Ici, la jeune file perçoit ce qui est hors de la portée de la vue et de l'ouïe ; elle voit dans l'intérieur des choses, pénètre les corps opaques, décrit ce qui se passe au loin, donc elle voit autrement que par les yeux et entend autrement que par les oreilles, et cela dans un état où l'organisme est frappé d'insensibilité. S'il s'agissait d'un fait unique, exceptionnel, on pourrait l'attribuer à une bizarrerie de la nature, à une sorte de monstruosité ; mais il est très commun ; il se montre d'une manière identique, quoique à différents degrés, dans la plupart des cas de catalepsie, dans la léthargie, dans le somnambulisme naturel et artificiel, et même chez de nombreux individus qui ont toutes les apparences de l'état normal. Il se produit donc en vertu d'une loi ; comment la science, qui porte ses investigations sur le mouvement attractif du moindre grain de poussière, a-t-elle négligé un fait aussi capital ?

Le développement des facultés intellectuelles est plus extraordinaire encore. Voilà une jeune fille, une paysanne illettrée qui non seulement s'exprime avec élégance, avec poésie, mais en qui se révèlent des connaissances scientifiques sur des choses qu'elle n'a pas apprises, et, circonstance non moins singulière, cela a lieu dans un état particulier, au sortir duquel tout est oublié : elle redevient tout aussi ignorante qu'auparavant. Rentre-t-elle dans l'état extatique, le souvenir lui revient avec les mêmes facultés et les mêmes connaissances ; ce sont pour elle deux existences distinctes.

Si, selon l'école matérialiste, les facultés sont le produit direct des organes ; si, pour nous servir de l'expression de cette école, « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile, » il sécrète donc aussi des connaissances toutes faites, sans le secours d'un professeur ; c'est une propriété qu'on ne connaissait pas encore à cet organe. Dans cette hypothèse même, comment expliquer ce développement intellectuel extraordinaire, ces facultés transcendantes, alternativement possédées, perdues et recouvrées presque instantanément, alors que le cerveau est toujours le même ? N'est-ce pas la preuve patente de la dualité dans l'homme, de la séparation du principe matériel et du principe spirituel ?

Là, encore rien d'exceptionnel : ce phénomène est aussi commun que celui de l'extension de la vue et de l'ouïe. Comme ce dernier, il dépend donc d'une loi ; ce sont ces lois que le Spiritisme a recherchées et que l'observation lui a fait connaître.

L'âme est l'être intelligent ; en elle est le siège de toutes les perceptions et de toutes les sensations ; elle sent et pense par elle-même ; elle est individuelle, distincte, perfectible, préexistante et survivante au corps. Le corps est son enveloppe matérielle : c'est l'instrument de ses rapports avec le monde visible. Pendant son union avec le corps, elle perçoit par l'intermédiaire des sens, elle transmet sa pensée à l'aide du cerveau ; séparée du corps, elle perçoit directement et pense plus librement. Les sens ayant une portée circonscrite, les perceptions reçues par leur intermédiaire sont bornées et, en quelque sorte, amorties ; reçues sans intermédiaire, elles sont indéfinies et d'une subtilité qui nous étonne, parce qu'elle surpasse, non la puissance humaine, mais tous les produits de nos moyens matériels. Par la même raison, la pensée transmise par le cerveau se tamise pour ainsi dire à travers cet organe. La grossièreté et les défectuosités de l'instrument la paralysent et l'étouffent en partie, comme certains corps transparents absorbent une partie de la lumière qui les traverse. L'âme, obligée de se servir du cerveau, est comme un très bon musicien devant un instrument imparfait. Délivrée de cet auxiliaire gênant, elle déploie toutes ses facultés.

Telle est l'âme pendant la vie et après la mort ; il y a donc pour elle deux états : celui d'incarnation ou de contrainte, et celui de désincarnation ou de liberté ; en d'autres termes : celui de la vie corporelle et celui de la vie spirituelle. La vie spirituelle est la vie normale, permanente de l'âme ; la vie corporelle est transitoire et passagère.

Durant la vie corporelle, l'âme ne subit pas constamment la contrainte du corps, et là est la clef de ces phénomènes physiques qui ne nous paraissent si étranges que parce qu'ils nous transportent hors de la sphère habituelle de nos observations ; on les a qualifiés de surnaturels, quoiqu'en réalité ils soient soumis à des lois parfaitement naturelles, mais parce que ces lois nous étaient inconnues. Aujourd'hui, grâce au Spiritisme qui a fait connaître ces lois, le merveilleux a disparu.

Pendant la vie extérieure de relation, le corps a besoin de son âme ou Esprit pour guide, afin de le diriger dans le monde ; mais dans les moments d'inactivité du corps, la présence de l'âme n'est plus nécessaire ; elle s'en dégage, sans toutefois cesser d'y tenir par un lien fluidique qui l'y rappelle dès que le besoin de sa présence se fait sentir ; dans ces moments elle recouvre en partie la liberté d'agir et de penser dont elle ne jouira complètement qu'après la mort du corps, alors qu'elle en sera complètement séparée. Cette situation a été spirituellement et très véridiquement dépeinte par l'Esprit d'une personne vivante, qui se comparait à un ballon captif, et par un autre, l'Esprit d'un idiot vivant, qui disait être comme un oiseau attaché par la patte. (Revue spirite, juin 1860, p. 173.)

Cet état, que nous appelons émancipation de l'âme, a lieu normalement et périodiquement pendant le sommeil ; le corps seul repose pour récupérer ses pertes matérielles ; mais l'Esprit, qui n'a rien perdu, profite de ce répit pour se transporter où il veut. Il a en outre lieu exceptionnellement toutes les fois qu'une cause pathologique ou simplement physiologique produit l'inactivité totale ou partielle des organes de la sensation et de la locomotion ; c'est ce qui se passe dans la catalepsie, la léthargie, le somnambulisme. Le dégagement ou, si l'on veut, la liberté de l'âme est d'autant plus grande que l'inertie du corps est plus absolue ; c'est pour cette raison que le phénomène acquiert son plus grand développement dans la catalepsie et la léthargie. Dans cet état, l'âme ne perçoit plus par les sens matériels, mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, par le sens psychique ; c'est pourquoi ses perceptions dépassent les limites ordinaires ; sa pensée agit sans l'intermédiaire du cerveau, c'est pour cela qu'elle déploie des facultés plus transcendantes que dans l'état normal. Telle est la situation de la jeune B… ; aussi dit-elle avec raison que « lorsqu'elle passe de la vie ordinaire à ce mode de vie supérieure, il lui semble qu'un voile épais tombe de ses yeux. » Telle est aussi la cause du phénomène de la seconde vue, qui n'est autre que la vue directe pour l'âme ; de la vue à distance, qui résulte du transport de l'âme dans le lieu qu'elle décrit ; de la lucidité somnambulique, etc.

Quand Louise B… voit des personnes vivantes, les ravages du temps disparaissent, et si l'on a perdu quelque membre, il subsiste encore pour elle ; la forme corporelle demeure intégralement reproduite par le fluide nerveux. » Si elle voyait simplement le corps, elle le verrait tel qu'il est ; ce qu'elle voit, c'est l'enveloppe fluidique ; le corps matériel peut être amputé : le périsprit ne l'est pas ; ce que l'on désigne ici par fluide nerveux n'est autre que le fluide périsprital.

Elle voit aussi ceux qui sont morts : il en reste donc quelque chose. Que voit-elle ? ce ne peut être le corps, qui n'existe plus ; cependant elle les voit avec une forme humaine, celle qu'ils avaient de leur vivant. Ce qu'elle voit, c'est l'âme revêtue de son corps fluidique ou périsprit ; les âmes survivent donc au corps ; ce ne sont donc pas des êtres abstraits, des étincelles, des flammes, des souffles perdus dans l'immensité du réservoir commun, mais des êtres réels, distincts, circonscrits, individuels. Si elle voit les morts comme les vivants, c'est donc que les vivants ont, comme les morts, le même corps fluidique impérissable, tandis que la grossière enveloppe matérielle se dissout à la mort. Elle ne voit point les âmes perdues dans les profondeurs infinies de l'espace, mais au milieu de nous, ce qui prouve l'existence du monde invisible qui nous entoure, et au milieu duquel nous vivons sans nous en douter.

De telles révélations ne donnent-elles pas sérieusement à réfléchir ? Qui a pu donner de telles idées à cette jeune fille ? La lecture des ouvrages spirites ? Elle ne sait pas lire. - La fréquentation des Spirites ? Elle n'en a pas entendu parler. C'est donc spontanément qu'elle décrit toutes ces choses. Est-ce le produit de son imagination ? mais elle n'est pas la seule : des milliers de voyants ont dit et disent tous les jours la même chose, ce dont la science ne se doute pas. Or, c'est de ce concours universel d'observations que le Spiritisme a déduit sa théorie.

La science cherchera en vain la solution de ces phénomènes tant qu'elle fera abstraction de l'élément spirituel, car là est la clef de tous ces prétendus mystères. Qu'elle l'admette, ne fût-ce qu'à titre d'hypothèse, et tout s'expliquera sans difficulté.

Des observations de cette nature, sur des sujets comme Louise B…, exigent beaucoup de tact et de prudence. Il ne faut pas perdre de vue que, dans cet état d'excessive susceptibilité, la moindre commotion peut être funeste ; l'âme, heureuse d'être dégagée du corps, n'y tient que par un fil qu'un rien peut rompre sans retour. En pareil cas, des expériences faites sans ménagement peuvent tuer.

Poésies spirites

Alfred de Musset

M. Timothée Trimm a publié, dans le Petit Journal du 23 octobre 1865, des strophes qu'un de ses amis lui avait données comme ayant été dictées médianimiquement par Alfred de Musset à une dame de sa connaissance, car la folie du Spiritisme gagne jusqu'aux amis de ces messieurs, qui n'osent trop les envoyer publiquement à Charenton, surtout quand ces amis sont, comme celui-ci, des hommes d'une intelligence notoire, placés à la tête de la haute industrie artistique. Par égard sans doute pour cet ami, il n'avait pas trop maltraité la provenance de ces vers ; il s'était contenté de les encadrer dans une mise en scène de fantaisie semi-burlesque. Il disait entre autres :

« Je n'invente rien, je constate. Dans un château des environs de Paris, on a fait venir l'auteur de Rolla et de la Coupe et les lèvres… dans une table. On lui demanda des vers ! ! !… inédits. Un secrétaire spirite, s'est assis au pupitre enchanté ; il dit avoir écrit sous la dictée de l'immortel… et voici ce qu'il montra à l'assistance. »

La vérité est que ces vers n'ont été obtenus ni dans un château des environs de Paris ni par une table, mais par l'écriture ordinaire, et qu'on n'avait nullement demandé Alfred de Musset. L'idée de faire venir le poète dans une table avait sans doute, aux yeux de l'écrivain, quelque chose de plus trivial à l'endroit du Spiritisme. Voici comment les choses se sont passées.

Madame X… est une femme du monde, instruite comme toutes celles qui ont reçu de l'éducation, mais nullement poète. Elle est douée d'une puissante faculté médianimique, psychographique et voyante, et a donné en mainte occasion des preuves irrécusables de l'identité des Esprits qui se communiquent par son entremise. Étant allée passer la belle saison avec son mari, fervent Spirite comme elle, dans un petit chalet, au milieu des dunes du département du Nord, elle se trouvait un soir à son balcon, par un magnifique clair de lune, contemplant la voûte azurée et la vaste étendue des dunes, dans un solennel silence qui n'était interrompu que par les aboiements du chien de la maison, circonstances à remarquer, parce qu'elles donnent aux vers un cachet d'actualité. Tout à coup elle se sentit agitée et comme enveloppée d'un fluide, et, sans dessein prémédité, elle fut poussée à prendre la plume ; elle traça d'un seul jet, sans rature ni hésitation, en quelques minutes, les vers en question, avec la signature d'Alfred de Musset, auquel elle ne songeait nullement. Nous les reproduisons dans leur intégrité. C'était le 1er septembre 1865.



Ainsi, te voilà, pauvre Esprit,

Contemplant le jour et la nuit

La triste dune,

N'ayant, pour te désennuyer,

Que le chien qui vient aboyer

Au clair de lune.

Quand je te vois, seule et troublée,

Lever vers la voûte étoilée

Ton œil humide,

Je me souviens des tristes jours

Où je maudissais pour toujours

La terre aride.

Tout autant que toi, j'ai souffert,

En sentant dans ce grand désert

Mon cœur en flamme ;

Comme une perle au fond des mers,

J'ai cherché dans tout l'univers

Un cri de l'âme.

Pour apaiser ma tête en feu,

J'ai voyagé sous le ciel bleu

De l'Italie ;

Florence et Venise m'ont vu,

Parmi leurs filles au sein nu,

Traîner ma vie.

Parfois le pêcheur indolent

M'a vu pleurer, comme un enfant,

Près de la grève,

Et s'arrêtant, plein de piété,

Laisser ses filets qu'à moitié

La mer enlève.

Pauvre enfant, reviens près de nous ;

Comme on berce sur les genoux

L'enfant qui pleure,

Nous te conduirons à ton tour

Dans les terres pleines d'amour

Où je demeure.

Si dans ces vers écrits pour toi,

J'ai pris encore et malgré moi

Cette facture,

C'est pour affirmer aux savants,

Qui se moquent des revenants,

Ma signature.

A. de Musset.



En publiant ces vers, le Petit Journal leur a fait subir plusieurs altérations qui en dénaturent le sens et prêtent au ridicule. Dans la première strophe, 6° vers, au lieu de : Au clair de lune, il a mis : Au clair de la lune, ce qui estropie le vers et tourne au grotesque.

La seconde strophe a été supprimée, ce qui rompt l'enchaînement de l'idée.

Dans la troisième, 2° vers, au lieu de : Ce grand désert, qui peint la localité, il a mis : Le grand désert.

Dans la sixième, au 5° vers, au lieu de : Dans les terres pleines d'amour, qui a un sens, il a mis : Dans les serres pleines d'amour, qui n'en a pas.

Ces rectifications ayant été adressées au Petit Journal, il est regrettable qu'il se soit refusé à les insérer. Cependant l'auteur de l'article a dit : « Je n'invente rien ; je constate. »

A propos du roman de M. Théophile Gauthier, intitulé Spirite, le même Esprit a dicté au médium les strophes suivantes, le 2 décembre 1865 :



Me voici revenu. Pourtant j'avais, Madame,

Juré sur mes grands dieux de ne jamais rimer.

C'est un triste métier que de faire imprimer

Les œuvres d'un auteur réduit à l'état d'âme.

J'avais fui loin de vous, mais un Esprit charmant

Risque, en parlant de nous, d'exciter le sourire.

Je pense qu'il en sait bien plus qu'il n'en veut dire,

Et qu'il a, quelque part, trouvé son revenant.

Un revenant ! Vraiment cela paraît étrange ;

Moi-même j'en ai ri quand j'étais ici-bas ;

Mais lorsque j'affirmais que je n'y croyais pas,

J'aurais, comme un sauveur, accueilli mon bon ange.

Que je l'aurais aimé, lorsque, le front jauni,

Appuyé sur ma main, la nuit, dans la fenêtre,

Mon esprit, en pleurant, sondait le grand peut-être,

En parcourant au loin les champs de l'infini !

Amis, qu'espérez-vous d'un siècle sans croyance ?

Quand vous aurez pressé votre fruit le plus beau,

L'homme trébuchera toujours sur un tombeau

Si, pour le soutenir, il n'a plus l'espérance.

Mais ces vers, dira-on, ils ne sont pas de lui.

Que m'importe, après tout, le blâme du vulgaire !

Lorsque j'étais vivant, il ne m'occupait guère ;

A plus forte raison en rirais-je aujourd'hui.

A. de Musset.



Voici le jugement porté sur ces vers par un des rédacteurs du Monde Illustré, M. Junior, qui n'est pas Spirite. (Voir le Monde Illustré du 16 décembre 1865.)

« M. T. Gautier a reçu d'une dame une pièce de vers signée Alfred de Musset, et qu'on pourrait intituler : A une dame Spirite qui m'avait demandé des vers pour son album. Il est bien entendu, puisqu'il s'agit de Spiritisme, que la dame prétend avoir été l'intermédiaire, le médium obéissant dont la main a tracé les vers sous la dictée d'Alfred de Musset, mort depuis bien des années déjà.

Jusque-là, rien que de très simple, car dès qu'on fouille dans l'infini, tous ceux qui croient au Spiritisme se tournent vers vous et vous inondent de communications plus ou moins intéressantes. Mais les vers signés de Musset sont tels que celui ou celle qui les a tracés est un poète de premier ordre. C'est le tour de Musset, c'est sa langue charmante, son sans-façon cavalier, son charme et sa gracieuse allure. Ce n'est point excessif comme le pastiche, ce n'est pas voulu ce n'est pas forcé, et vous pensez bien que si un maître comme T. Gautier s'y trompe, il faut que le tableau soit bien admirablement pastiché. Le côté curieux, c'est que l'honorable M. Charpentier, l'éditeur des œuvres complètes de Musset, auquel on a fait lire ces vers charmants, que j'espère vous communiquer bientôt, s'est pris à crier « Au voleur ! »

Vous supposez bien que je ne crois pas un mot de tout ce que racontent les Allan Kardec et les Delaage, mais cela me trouble et m'agace, et il me faut supposer que ces vers sont inédits et sont du poète des Nuits, ‑ ce qui est bien inadmissible, car enfin sous quel prétexte la dame en question aurait-elle ces vers dans son tiroir ? ‑ ou alors un poète de race aurait inventé cette mystification, et les poètes ne perdent pas ainsi leur copie. Quelle est donc, la solution possible ? ‑ J'entends d'ici un homme pratique me dire : « Mon cher monsieur, vous voulez une solution ? elle est dans votre imagination, qui s'exagère la portée et l'excellence de ces vers ; ils sont gentils et rien de plus, et le premier médium un peu bas-bleu qui sait bien son Musset en fera autant.

Monsieur l'homme pratique, vous avez raison ; cela arrive quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent ; mais si vous saviez à quel point je suis de sang-froid ! Je les ai lus ces vers que je n'ai pas encore le droit de vous communiquer, je les lis, je les relis encore, et je maintiens que Gautier lui-même, le grand linguiste, le grand ciseleur du Poème de la femme, ne ferait pas mieux du Musset que cela. »

Remarque. Il y a une circonstance dont l'auteur ne tient pas compte, et qui ôte toute possibilité à ce que ces vers aient été faits par Musset de son vivant, ce sont les actualités et les allusions aux choses présentes. Quant au médium, il n'est ni poète ni bas-bleu, cela est certain, et de plus sa position dans le monde écarte toute suspicion de supercherie.



Le Spiritisme prend rang dans la philosophie et les connaissances usuelles

Il se publie en ce moment un important ouvrage qui intéresse au plus haut degré la doctrine spirite, et que nous ne pouvons mieux faire connaître que par l'analyse du prospectus.

Nouveau Dictionnaire universel, panthéon littéraire et encyclopédie illustrée, par Maurice Lachatre, avec le concours de savants, d'artistes et d'hommes de lettres, d'après les travaux de : Allan Kardec, Ampère, Andral, Arago, Audouin, Balbi, Becquerel, Berzelius, Biot, Brongnard, Burnouf, Chateaubriand, Cuvier, Flourens, Gay-Lussac, Guizot, Humboldt, Lamartine, Lamennais, Laplace, Magendie, Michelet, Ch. Nodier, Orfila, Payen, Raspail, de Sacy, J. B. Say, Thiers, etc., etc.

Deux magnifiques volumes grand in-4° à trois colonnes, illustrés de vingt mille sujets, gravés sur bois, intercalés dans le texte. ‑ Deux livraisons par semaine, ‑ 10 centimes la livraison. ‑ Chaque livraison contient 95,768 lettres, c'est-à-dire la matière de la moitié d'un volume in-8°. L'ouvrage contient 200 livraisons par volume, et ne coûtera en tout que 40 francs. Cette œuvre, la plus gigantesque des entreprises littéraires de notre époque, renferme l'analyse de plus de 400,000 ouvrages, et peut être considérée à bon droit comme le plus vaste répertoire des connaissances humaines. Le Nouveau Dictionnaire universel est le plus exact, le plus complet et le plus progressif de tous les dictionnaires, le seul qui embrasse dans ses développements tous les dictionnaires spéciaux de la langue usuelle, la langue poétique, des synonymes, du vieux langage, des difficultés grammaticales, de la théologie, des religions, sectes et hérésies, des fêtes et cérémonies chez tous les peuples, de la mythologie, du magnétisme, du Spiritisme, des doctrines philosophiques et sociales, de l'histoire, de la biographie, des sciences, de la physique, de la chimie, de l'histoire naturelle, de l'astronomie, des inventions, de la médecine, de la géographie, de la marine, de la jurisprudence, de l'économie politique, de la franc-maçonnerie, de l'agriculture, du commerce, de l'économie domestique, du ménage, etc., etc. ‑ Paris, Docks de la librairie, 38, boulevard Sébastopol. »

Cet ouvrage compte en ce moment vingt mille souscripteurs.

Nous devons tout d'abord faire observer que si notre nom se trouve en tête des auteurs dont les ouvrages ont été consultés, c'est l'ordre alphabétique qui l'a voulu ainsi, et non la prééminence.

Tous les termes spéciaux du vocabulaire spirite se trouvent dans ce vaste répertoire, non point avec une simple définition, mais avec tous les développements qu'ils comportent ; de sorte que leur ensemble formera un véritable traité du Spiritisme. En outre, toutes les fois qu'un mot peut donner lieu à une déduction philosophique, l'idée spirite est mise en parallèle comme point de comparaison. L'ouvrage, étant conçu dans un esprit d'impartialité, ne présente pas plus l'idée spirite que toute autre comme la vérité absolue ; il laisse le lecteur libre de l'accepter ou de la rejeter, mais il donne à celui-ci les moyens de l'apprécier, en la présentant avec une scrupuleuse exactitude, et non tronquée, altérée ou jugée d'avance ; il se borne à dire : sur tel point les uns pensent de telle manière, le Spiritisme l'explique de telle autre.

Un dictionnaire n'est pas un traité spécial sur une matière, où l'auteur développe son opinion personnelle ; c'est un ouvrage de recherches, destiné à être consulté, et qui s'adresse à toutes les opinions. Si l'on y cherche un mot, c'est pour savoir ce qu'il signifie en réalité, et non pour avoir l'appréciation du rédacteur, qui peut être juste ou fausse. Un juif, un musulman, doivent y trouver l'idée juive ou musulmane exactement reproduite, ce qui n'oblige pas d'épouser cette idée. Le dictionnaire n'a pas à décider si elle est bonne ou mauvaise, absurde ou rationnelle, parce que ce qui est approuvé, par les uns peut être blâmé par les autres ; en la présentant dans son intégrité, il n'en assume point la responsabilité. S'agit-il d'une question scientifique qui divise les savants, de l'homéopathie et de l'allopathie, par exemple, il a pour mission de faire connaître les deux systèmes, mais non de préconiser l'un aux dépens de l'autre. Tel doit être le caractère d'un dictionnaire encyclopédique ; à cette condition seule il peut être consulté avec fruit, dans tous les temps et par tout le monde ; avec l'universalité il acquiert la perpétuité.

Tel est, et tel devait être, le sentiment qui a présidé à la partie qui concerne le Spiritisme. Que les critiques émettent leur opinion dans des ouvrages spéciaux, rien de mieux, c'est leur droit ; mais un dictionnaire est un terrain neutre où chaque chose doit être présentée sous ses couleurs véritables, et où l'on doit pouvoir puiser toute espèce de renseignements avec la certitude d'y trouver la vérité.

Dans de telles conditions, le Spiritisme, ayant trouvé place dans un ouvrage aussi important et aussi populaire que le Nouveau Dictionnaire universel, a pris rang parmi les doctrines philosophiques et les connaissances usuelles ; son vocabulaire, déjà accepté par l'usage, a reçu sa consécration, et désormais aucun ouvrage du même genre ne pourra l'omettre sans être incomplet. C'est encore là un des produits de l'année 1865, que M. le vice-président Jaubert a omis de mentionner dans sa nomenclature des résultats de cette année.

A l'appui des observations ci-dessus et comme spécimen de la manière dont les questions spirites sont traitées dans cet ouvrage, nous citerons l'explication qui se trouve au mot Ame. Après avoir longuement et impartialement développé les différentes théories de l'âme, selon Aristote, Platon, Leibniz, Descartes et autres philosophes, que nous ne pouvons reproduire à cause de leur étendue, l'article se termine ainsi :

« Selon la doctrine spirite, l'âme est le principe intelligent qui anime les êtres de la création et leur donne la pensée, la volonté et la liberté d'agir. Elle est immatérielle ; individuelle et immortelle ; mais son essence intime est inconnue : nous ne pouvons la concevoir isolée absolument de la matière que comme une abstraction. Unie à l'enveloppe fluidique éthérée ou périsprit, elle constitue l'être spirituel concret, défini et circonscrit appelé Esprit. (V. esprit, périsprit.) Par métonymie, on emploie souvent les mots âme et esprit l'un pour l'autre ; on dit : les âmes souffrantes et les esprits souffrants ; les âmes heureuses et les esprits heureux ; évoquer l'âme ou l'esprit de quelqu'un ; mais le mot âme réveille plutôt l'idée d'un principe, d'une chose abstraite, et le mot esprit celle d'une individualité.

« L'esprit uni au corps matériel par l'incarnation constitue l'homme ; de sorte qu'en l'homme il y a trois choses : l'âme proprement dite, ou principe intelligent ; le périsprit, ou enveloppe fluidique de l'âme ; le corps, ou enveloppe matérielle. L'âme est ainsi un être simple ; l'esprit, un être double composé de l'âme et du périsprit ; l'homme, un être triple composé de l'âme, du périsprit et du corps. Le corps séparé de l'esprit est une matière inerte ; le périsprit séparé de l'âme est une matière fluidique sans vie et sans intelligence. L'âme est le principe de la vie et de l'intelligence ; c'est donc à tort que quelques personnes ont prétendu qu'en donnant à l'âme une enveloppe fluidique semi-matérielle, le Spiritisme en faisait un être matériel.

L'origine première de l'âme est inconnue, parce que le principe des choses est dans les secrets de Dieu, et qu'il n'est pas donné à l'homme, dans son état actuel d'infériorité, de tout comprendre. On ne peut, sur ce point, formuler que des systèmes. Selon les uns, l'âme est une création spontanée de la Divinité ; selon d'autres, c'est une émanation même, une portion, une étincelle du fluide divin. C'est là un problème sur lequel on ne peut établir que des hypothèses, car il y a des raisons pour et contre. A la seconde opinion on oppose toutefois cette objection fondée : Dieu étant parfait, si les âmes sont des portions de la Divinité, elles devraient être parfaites, en vertu de l'axiome que la partie est de la même nature que le tout ; dès lors, on ne comprendrait pas que les âmes fussent imparfaites et qu'elles eussent besoin de se perfectionner. Sans s'arrêter aux différents systèmes touchant la nature intime et l'origine de l'âme, le Spiritisme la considère dans l'espèce humaine ; il constate, par le fait de son isolement et de son action indépendante de la matière, pendant la vie et après la mort, son existence, ses attributs, sa survivance et son individualité. Son individualité ressort de la diversité qui existe entre les idées et les qualités de chacune dans le phénomène des manifestations, diversité qui accuse pour chacune une existence propre.

Un fait non moins capital ressort également de l'observation : c'est que l'âme est essentiellement progressive, et qu'elle acquiert sans cesse en savoir et en moralité, puisqu'on en voit à tous les degrés de développement. D'après l'enseignement unanime des Esprits, elle est créée simple et ignorante, c'est-à-dire sans connaissances, sans conscience du bien et du mal, avec une égale aptitude pour l'un et pour l'autre et pour tout acquérir. La création étant incessante et pour toute éternité, il y a des âmes arrivées au sommet de l'échelle alors que d'autres naissent à la vie ; mais, toutes ayant le même point de départ, Dieu n'en crée pas de mieux douées les unes que les autres, ce qui est conforme à sa souveraine justice : une parfaite égalité présidant à leur formation, elles avancent plus ou moins rapidement, en vertu de leur libre arbitre et selon leur travail. Dieu laisse ainsi à chacune le mérite et le démérite de ses actes, et la responsabilité croît à mesure que se développe le sens moral. De sorte que de deux âmes créées en même temps, l'une peut arriver au but plus vite que l'autre si elle travaille plus activement à son amélioration ; mais celles qui sont restées en arrière arriveront également, quoique plus tard et après de rudes épreuves, car Dieu ne ferme l'avenir à aucun de ses enfants.

L'incarnation de l'âme dans un corps matériel est nécessaire à son perfectionnement ; par le travail que nécessite l'existence corporelle, l'intelligence se développe. Ne pouvant, dans une seule existence, acquérir toutes les qualités morales et intellectuelles qui doivent la conduire au but, elle y arrive en passant par une série illimitée d'existences, soit sur la terre, soit dans d'autres mondes, à chacune desquelles elle fait un pas dans la voie du progrès et se dépouille de quelques imperfections. Dans chaque existence l'âme apporte ce qu'elle a acquis dans les existences précédentes. Ainsi s'explique la différence qui existe dans les aptitudes innées et dans le degré d'avancement des races et des peuples. (V. Esprit, Réincarnation.)

Allan Kardec

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