REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Septembre

Les frères Davenport à Bruxelles

Les frères Davenport viennent de passer quelque temps en Belgique où ils ont donné paisiblement leurs représentations ; nous avons de nombreux correspondants dans ce pays, et, ni par eux ni par les journaux, nous n'avons appris que ces messieurs y aient été en butte aux scènes regrettables qui ont eu lieu à Paris. Est-ce que les Belges donneraient des leçons d'urbanité aux Parisiens ? On pourrait le croire en comparant les deux situations. Ce qui est évident, c'est qu'à Paris il y avait un parti pris d'avance, une cabale organisée coutre eux ; et la preuve en est, c'est qu'on les a attaqués avant de savoir ce qu'ils allaient faire, avant même qu'ils eussent commencé. Qu'on siffle celui qui échoue, qui ne tient pas ce qu'il annonce, c'est un droit qu'on achète partout où l'on paye en entrant ; mais qu'on le bafoue, qu'on l'insulte, qu'on le maltraite, qu'on brise ses instruments, avant même qu'il entre en scène, c'est ce qu'on ne se permettrait pas chez le dernier bateleur de la foire ; quelle que soit la manière dont on considère ces messieurs, de tels procédés sont sans excuse chez un peuple civilisé.

De quoi les accusait-on ? de se donner pour des médiums ; de prétendre qu'ils opéraient à l'aide des Esprits ? Si c'était de leur part un moyen frauduleux pour piquer la curiosité du public, qui est-ce qui avait le droit de s'en plaindre ? Ce sont les Spirites qui pouvaient trouver mauvais de voir mettre en parade une chose respectable. Or, qui est-ce qui s'est plaint ? qui a crié au scandale, à l'imposture et à la profanation ? Précisément ceux qui ne croient pas aux Esprits. Mais parmi ceux qui crient le plus haut qu'il n'y en a pas, qu'en dehors de l'homme il n'y a rien, à force d'entendre parler de manifestations, quelques-uns finissent, sinon par croire, du moins par craindre qu'il n'y ait quelque chose. La peur que les frères Davenport ne vinssent le prouver trop clairement a déchaîné contre eux une véritable colère, qui, si l'on avait eu la certitude qu'ils n'étaient que d'habiles faiseurs de tours, n'avait pas plus de raison d'être que celle qui serait dirigée contre le premier escamoteur venu. Oui, nous en sommes convaincu, la peur de les voir réussir a été la cause principale de cette hostilité qui avait devancé leur apparition en public, et préparé les moyens de faire avorter leur première séance.

Mais les frères Davenport n'ont été qu'un prétexte ; ce n'est pas à leur personne qu'on en voulait, c'est au Spiritisme auquel on a cru qu'ils pouvaient donner une sanction, et qui, au grand déplaisir de ses antagonistes, déjoue les effets de la malveillance par la prudente réserve dont il ne s'est jamais départi, malgré tout ce qu'on a fait pour l'en faire sortir. Pour bien des gens, c'est un véritable cauchemar. Il fallait bien peu le connaître pour croire que ces messieurs, en se plaçant dans des conditions qu'il désavoue, pouvaient lui servir d'auxiliaires. Ils ont cependant servi sa cause, mais c'est en faisant parler de lui à leur occasion, et la critique y a donné la main, sans le vouloir, en provoquant l'examen de la doctrine. Il est à remarquer que tout le bruit qui s'est fait autour du Spiritisme est l'œuvre de ceux mêmes qui voulaient l'étouffer. Quoi qu'on ait fait contre lui, il n'a jamais crié ; ce sont ses adversaires qui ont crié comme s'ils se croyaient déjà morts.

Nous extrayons de l'Office de publicité, journal de Bruxelles, qui, dit-on, tire à 25 000, les passages suivants de deux articles publiés dans les nos des 8 et 22 juillet dernier sur les frères Davenport, ainsi que deux lettres de réfutation loyalement insérées dans ce même journal. Le sujet, quoique un peu usé, ne laisse pas d'avoir son côté instructif.


Chronique Bruxelloise

« Il est bien vrai que tout arrive et qu'il ne faut pas dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Si l'on m'avait dit que je verrais jamais l'armoire des frères Davenport ni ces illustres sorciers, j'aurais été homme à jurer qu'il n'en serait rien, parce qu'il suffit qu'on me dise de quelqu'un qu'il est sorcier pour m'ôter toute curiosité à son égard. Le surnaturel et la sorcellerie n'ont pas d'ennemi plus entêté que moi. Je n'irais pas voir un miracle quand on le montrerait pour rien : ces choses-là m'inspirent le même éloignement que les veaux à deux têtes, les femmes à barbe et tous les monstres ; je trouve idiots les Esprits frappeurs et les guéridons savants, et il n'est pas de superstition qui ne me puisse faire fuir jusqu'au bout du monde. Jugez si, avec de telles dispositions, j'aurais pu aller grossir la foule chez les fières Davenport lorsqu'on les disait en commerce réglé avec les Esprits ! J'avoue que l'idée ne me serait pas venue non plus de démasquer leur supercherie, de briser leur armoire et de prouver qu'ils n'étaient réellement pas sorciers, car il me semble que j'aurais donné par là la preuve que j'avais cru moi-même à leurs pompes et à leurs œuvres. Il m'aurait paru infiniment plus simple d'écarter tout d'abord cette prétendue sorcellerie et de supposer qu'ayant trompé tant de gens ils devaient être des gens fort adroits en leurs exercices. Quant à comprendre, je ne m'en serais pas beaucoup mis en peine. Dès que les Esprits ne s'en mêlaient pas, à quoi bon ? Et s'il y eût eu d'assez pauvres Esprits en l'autre monde pour venir faire en celui-ci métier de compères, à quoi bon encore ?

« Je lus dans le temps avec beaucoup d'attention, encore que j'eusse de quoi mieux employer mon temps, la plupart des livres à l'usage des Spirites, et j'y trouvai tout ce qu'il fallait pour faire au besoin une religion nouvelle, mais non de quoi me convertir à cette vieille nouveauté. Tous les Esprits consultés, et dont on cite les réponses, n'ont rien dit qui n'eût été dit avant eux, et en de meilleurs termes qu'ils ne l'ont redit. Ils nous ont appris qu'il faut aimer le bien et détester le mal, que la vérité est le contraire du mensonge, que l'âme est immortelle, que l'homme doit tendre sans cesse à devenir meilleur, et que la vie est une épreuve, toutes choses qu'on savait déjà assez bien depuis plusieurs milliers d'années, et pour la révélation desquelles il était inutile d'évoquer tant d'illustres morts et jusqu'à des personnages qui, tout célèbres qu'ils sont aussi, ont pourtant le tort de n'avoir pas existé. Je ne parle pas même du Juif-Errant, mais imaginez que j'aille évoquer don Quichotte et qu'il revienne, cela ne sera-t-il pas du dernier plaisant ?

« Je n'avais plus qu'une seule objection au sujet des frères Davenport dès qu'ils n'étaient plus que d'habiles faiseurs de tours ; cette objection se résumait en ceci, que, tout Spiritisme écarté de bonne grâce et d'un commun accord, leurs exercices pouvaient bien n'être que médiocrement amusants. Il est probable que l'idée ne me serait pas venue d'aller les voir, si, l'offre m'étant obligeamment faite de m'y conduire, je n'avais considéré que chronique oblige, que tout n'est pas rose dans la vie et que le chroniqueur doit aller où va le public et s'ennuyer un peu, à charge de revanche. Résolu à faire les choses en conscience, j'allai d'abord dans la journée à la salle du Cercle artistique et littéraire, où l'on était occupé à monter la fameuse armoire. Je la vis, incomplète encore, à la lumière du jour, et dépouillée de toute sa « poésie. » S'il faut aux ruines la solitude et les ombres du soir, il faut aux « trucs » des prestidigitateurs, la lumière du gaz, la foule crédule et la distance. Mais les frères Davenport sont beaux joueurs et jouent cartes sur table. On pouvait voir, et entrait qui voulait. Un domestique yankee montait l'armoire avec tranquillité ; les guitares, les tambours de basque, les cordes, les sonnettes étaient là pêle-mêle avec des coffres, des habits, des morceaux de tapis, des toiles d'emballage ; le tout à l'abandon, à la merci du premier venu, et comme un défi à la curiosité. Cela semblait dire : Tournez, retournez, examinez, cherchez, épluchez, évertuez-vous ! vous ne saurez rien.

Il n'y a rien de plus insolemment simple que l'armoire. C'est une armoire à linge, à habits, et qui n'a pas du tout l'air d'être fait pour loger des Esprits. Elle m'a paru de noyer ; elle a sur le devant trois portes au lieu de deux, et elle semble fatiguée des voyages qu'elle a faits ou des assauts qu'elle a subis. J'y jetai un coup d'œil, pas trop près, car, tout ouverte qu'elle était, je me figurais qu'un meuble si mystérieux devait sentir le renfermé, comme l'épinette magique dans laquelle on cachait Mozart tout enfant.

Je déclare formellement qu'à moins d'y mettre mon linge ou mes habits, je n'aurais su que faire de l'armoire des frères Davenport. Chacun son métier. Je la revis le soir, isolée sur l'estrade, devant la rampe : elle avait déjà un air monumental. La salle était comble, comme elle ne le fut jamais les jours où Mozart, Beethoven et leurs interprètes firent seuls les frais de la soirée. Le plus beau public qu'on puisse avoir : les plus aimables, les plus spirituelles, les plus jolies femmes de Bruxelles, puis des conseillers de la Cour de cassation, des présidents politiques, judiciaires et littéraires ; toutes les académies, des sénateurs, des ministres, des représentants, des journalistes, des artistes, des entrepreneurs de bâtisse, des ébénisses, « que c'était comme un bouquet de fleurs ! » L'honorable M. Rogier, ministre des affaires étrangères, était à cette soirée, où lui tenait compagnie un ancien président de la Chambre. M. Vervoort, qui, revenu des grandeurs humaines, n'a conservé que la présidence du Cercle, charmante royauté d'ailleurs. A cette vue, je me sentis tout rassuré. Un de nos meilleurs peintres, M. Robie, fit écho à ma pensée en me disant : « Vous voyez ! L'Autriche et la Prusse peuvent se battre tant qu'elles voudront. Puisque la crise européenne ne trouble pas autrement notre ministre des affaires étrangères, c'est que la Belgique peut dormir en paix. » Cela me parut péremptoire, vous en jugerez de même, et, sachant que M. Rogier a assisté souriant à la soirée des frères Davenport, vous dormirez sur les deux oreilles. C'est ce que vous avez de mieux à faire.

J'ai vu tous les exercices des frères Davenport, et je n'ai nullement cherché à en comprendre le mystère. Tout ce que je puis dire, sans songer le moins du monde à amoindrir leur succès, c'est qu'il m'est impossible de prendre le moindre plaisir à ces choses-là. Elles ne m'intéressent point. On a lié en ma présence les frères Davenport ; on les a même très bien liés, dit-on ; on leur a mis ensuite de la farine dans les mains, puis on les a enfermés dans leur armoire, on a baisé le gaz, et j'ai entendu dans l'armoire un grand bruit de guitares, de sonnettes et de tambours de basque. Tout d'un coup, l'armoire s'est ouverte ‑ brusquement, un tambour de basque a roulé violemment jusqu'à mes pieds, et les frères Davenport ont paru, déliés, saluant le public et secouant devant lui la farine qu'on avait mise dans leurs mains. On a beaucoup applaudi ; voilà !

‑ Enfin, comment expliquez-vous cela ?

‑ Il y a des personnes au Cercle qui l'expliquent fort bien ; quant à moi, j'ai beau me battre les flancs là-dessus, je ne me sens absolument aucune envie de me l'expliquer. Ils se sont déliés, voilà tout, et le tour de la farine est fait adroitement. Je trouve les préparatifs longs, le bruit ennuyeux, et le tout peu divertissant. Et pas d'esprit, ni au singulier ni au pluriel.

‑ Ainsi, vous ne croyez point ?

‑ Si fait ; je crois à l'ennui que j'ai ressenti.

‑ Et le Spiritisme, y croyez-vous ?

‑ C'est la question de Sganarelle à don Juan. Vous allez bientôt me demander si je crois au Moine-Bourru. Je vous répondrai, comme don Juan, que je crois que deux et deux font quatre et que quatre et quatre font huit. Encore ne sais-je point si, à voir ce qui se passe en Allemagne et ailleurs, je ne serais pas forcé de faire des réserves.

‑ Vous êtes donc un athée ?

‑ Non. Sans modestie, je suis l'homme le plus religieux de la terre.

‑ Ainsi vous croyez à Dieu, à l'immortalité de l'âme, à…

‑ J'y crois. C'est mon bonheur et mon espérance.

‑ Et tout cela se concilie avec vos : quatre et quatre font huit !

‑ Précisément. Tout est là-dedans. C'est une belle langue que le turc.

‑ Allez donc à la messe !

‑ Non. Mais je ne vous empêche pas d'y aller.

L'oiseau sur la branche, le ver luisant dans l'herbe, les globes dans l'espace et mon cœur plein d'adoration me chantent la messe nuit et jour. J'aime Dieu passionnément et sans crainte. Que voulez-vous que je fasse, avec cela, des religions et des autres variétés du davenportisme ?

‑ Et le Spiritisme, et Allan Kardec ?

‑ Je crois que M. Allan Kardec, qui ferait tout aussi bien de s'appeler de son vrai nom, est un aussi bon citoyen que vous et moi. Sa morale ne diffère point de la morale vulgaire, qui me suffit. Quant à ses révélations, j'aime autant l'armoire des Davenport, avec ou sans guitares. J'ai lu les révélations des Esprits ; leur style ne vaut pas celui de Bossuet, et, sauf les emprunts faits aux ouvrages des hommes illustres, il est lourd et souvent plat. Je ne voudrais pas écrire comme le plus fort de la bande : mon éditeur me dirait que le macaroni a du bon, mais qu'il ne faut pas en abuser. Le Spiritisme en est au surnaturel et aux dogmes, je me défie de ce bloc enfariné. Je l'ai dit il y a cinq ans en parlant de la doctrine, car c'est bien une doctrine : il y a là tout ce qu'il faut pour bâcler une religion nouvelle. Il vaudrait mieux être tout simplement religieux et s'en tenir aux révélations de l'univers.

« Je la vois poindre, cette religion. Elle est déjà une secte, et considérable, car vous ne pouvez vous imaginer le nombre et le sérieux des lettres que j'ai déjà reçues pour avoir effleuré dernièrement le Spiritisme. Il a ses fanatiques, il aura ses intolérants, ses prêtres, car le dogme prête à l'action intermédiaire, puisque les Esprits ont des rangs et des préférences. Sitôt qu'il y aura dix pour cent à gagner sur ce nouveau dogme, on lui verra un clergé. Je le crois destiné à hériter du catholicisme, en raison de ses côtés séduisants. Attendez seulement que les habiles s'en mêlent, et les prophètes et les évocateurs privilégiés pousseront au travers du mystère de la chose, qui est douce et poétique, comme les herbes parasites dans un champ de blé.

Voici deux lettres qui m'ont été adressées. Elles viennent de personnes loyales, naïves et convaincues ; c'est pour cela que je les publie.

A M. Bertram.



« Il y a quatre ans, j'étais ce qu'on peut appeler un franc retardataire ; catholique sincère, je croyais aux miracles, au diable, à l'infaillibilité papale ; ainsi, j'aurais accepté sans marchander l'Encyclique de Pie IX avec toutes ses conséquences dans l'ordre politique.

Mais à quoi bon cette confession d'un inconnu ? me direz-vous. Ma foi, monsieur Bertram, je vais vous l'apprendre, au risque d'exciter votre verve railleuse ou de vous faire sauver jusqu'au bout du monde.

J'ai vu un jour à Anvers un guéridon (vulgairement appelé une table parlante) qui m'a répondu à une question mentale dans mon idiome natal, inconnu des assistants ; parmi ceux-ci il y avait des Esprits forts, des maçons qui ne croyaient ni à Dieu ni à l'âme ; la chose leur a donné à réfléchir, ils ont lu avec avidité les ouvrages spirites d'Allan Kardec, j'ai fait comme eux, surtout quand plusieurs prêtres m'eurent assuré que ces phénomènes étaient exclusivement l'œuvre du… démon, et je vous assure, moi, que je n'ai pas regretté le temps que cela m'a coûté, bien au contraire. J'ai trouvé dans ces livres non-seulement une solution rationnelle et toute naturelle du phénomène ci-dessus, mais une issue à bien des questions, à bien des problèmes que je m'étais posés dans le temps ; vous y avez trouvé matière à une religion nouvelle, mais croyez-vous, monsieur Bertram, qu'il y aurait un grand mal à cela, le cas échéant ? Le catholicisme est-il tellement en rapport avec les besoins de notre société qu'il ne puisse être ni rajeuni ni remplacé avantageusement ? Ou bien croyez-vous que l'humanité puisse se passer de toute croyance religieuse ? Le libéralisme proclame de beaux principes, mais il est en grande partie septique et matérialiste ; dans ces conditions il ne ralliera jamais à lui les masses, aussi peu que le catholicisme ultramontain ; si le Spiritisme est appelé à devenir un jour une religion, ce sera la religion naturelle bien développée et bien comprise, et celle-ci certainement n'est pas nouvelle ; c'est comme vous dites : une vieille nouveauté ; mais c'est aussi un terrain neutre où toutes les opinions, tant politiques que religieuses, pourront se tendre un jour la main.

« Quoi qu'il en soit, depuis que je suis devenu Spirite, quelques méchantes langues m'accusent d'être devenu libre penseur ; il est vrai qu'à partir de cette époque, de même que les Esprits forts dont je parlais ci-dessus, je ne crois plus au surnaturel ni au diable ; mais par contre nous croyons tous un peu plus à Dieu, à l'immortalité de l'âme, à la pluralité des existences ; enfants du dix-neuvième siècle, nous avons aperçu une route sûre et nous voulons y pousser le char du progrès au lieu de le retarder. Vous voyez donc que le Spiritisme a encore du bon, s'il peut opérer de tels changements. ‑ Et maintenant, pour en venir aux frères Davenport, on aurait tort de fuir des expériences, ou de conclure avec parti pris contre elles, par là même qu'elles sont nouvelles ; plus les faits qu'on nous présente sont extraordinaires, plus ils méritent d'être observés consciencieusement et sans idées préconçues, car, qui pourrait se flatter de connaître tous les secrets de la nature ? Je n'ai jamais vu les frères Davenport, mais j'ai lu ce que la presse française a écrit sur leur compte, et j'ai été étonné de la mauvaise foi qu'elle y a mise. Les amateurs pourront lire avec fruit : Des forces naturelles inconnues, par Hermès. (Paris, Didier, 1865) ; c'est une réfutation au point de vue de la science des critiques dirigées contre eux. S'il est vrai que ces messieurs ne se donnent pas pour Spirites et qu'ils ne connaissent pas la doctrine, le Spiritisme n'a pas à prendre leur défense ; tout ce qu'on peut dire, c'est que des faits pareils à ceux qu'ils présentent sont possibles en vertu d'une loi naturelle aujourd'hui connue et par l'intervention d'Esprits inférieurs ; seulement, jusqu'ici ces faits ne s'étaient pas encore produits dans des conditions aussi peu favorables, à des heures fixes et avec autant de régularité.

J'espère, monsieur, que vous accueillerez ces observations désintéressées et que vous leur donnerez l'hospitalité dans votre journal ; puissent-elles contribuer à élucider une question plus intéressante pour vos lecteurs que vous ne pourriez le supposer.

Votre abonné,

H. Vanderyst. »



La voilà publiée ! on ne m'accusera pas de mettre « la lumière sous le boisseau. »

D'abord, je n'ai pas de boisseau ; ensuite, sans l'ombre de raillerie, je ne vois pas trop ici la lumière. Jamais je n'ai fait d'objection à la morale du Spiritisme ; elle est pure. Les Spirites sont honnêtes et bienfaisants, leurs dons pour les crèches me l'ont prouvé. S'ils tiennent à leurs Esprits supérieurs et inférieurs, je n'y vois point d'inconvénient. C'est une affaire entre leur instinct et leur raison.

Il y a un post-scriptum à la lettre, le voici :

Permettez que j'appelle votre attention sur un ouvrage qui vient d'avoir les honneurs de l'Index : la Pluralité des existences de l'âme, par Pezzani, avocat, où cette question est traitée en dehors de la révélation spirite. »



Passons à l'autre lettre :

(Suit une seconde lettre dans le même sens que la précédente, et qui se termine ainsi :)

« J'ai la conviction que, le jour où la presse se mêlera de développer tout ce que le Spiritisme renferme de beau, le monde fera des progrès immenses, moralement. Rendre sensible à l'homme que chacun porte en soi la vraie religion, la conscience, le laisser en présence de lui-même pour répondre de ses actes devant l'Être suprême, quelle chose importante ! Ne serait-ce pas tuer le matérialisme qui fait tant de mal dans le monde ? Ne serait-ce pas une barrière contre l'orgueil, l'ambition, l'envie, toutes choses qui rendent les hommes malheureux ? Apprendre à l'homme qu'il doit faire le bien pour mériter sa récompense : il y a certainement des hommes qui sont convaincus de tout cela, mais combien sur la généralité ? Et on peut apprendre tout cela à l'homme ; pour ma part, j'ai évoqué mon père, et d'après les réponses que j'ai reçues, le doute n'est plus possible.

Si j'avais le bonheur de manier la plume comme vous, je traiterais le Spiritisme comme appelé à nous inculquer une morale douce et agréable. Mon premier article aurait pour titre : Le Spiritisme, ou la destruction de tout fanatisme. La chute des Jésuites et de tous ceux qui vivent de la crédulité de l'homme. On puise toutes ces idées dans l'excellent livre d'Allan Kardec. Que je voudrais que vous eussiez ma manière d'envisager le Spiritisme ! Comme vous feriez du bien pour le moral ! Mais, mon cher Bertram, comment avez-vous pu trouver du surnaturel, de la sorcellerie dans le Spiritisme ? Je ne trouve pas plus extraordinaire que nous communiquions avec nos parents et nos amis passés dans un autre monde, au moyen du fluide qui nous met en rapport avec eux, que je ne trouve extraordinaire que nous communiquions avec nos frères de ce globe à des distances fabuleuses au moyen du fil électrique ! »



Le tout publié sans observation et sans commentaire, pour prouver seulement que le Spiritisme a en Belgique des partisans ardents en leur foi. La secte fait positivement des progrès, et le catholicisme aura bientôt à compter avec elle.

La presse parisienne n'a pas été de mauvaise foi avec les frères Davenport ; ce qui le fait bien voir, c'est que ceux-ci n'affichent plus de prétentions au surnaturel. Ils ne donnent plus de séances à cinquante francs par tête, du moins que je sache ; je crois cependant que les personnes qui voudraient payer leur place à ce prix-là ne seraient pas mal reçues. Pour conclure, j'affirme que leurs exercices ne me semblent pas faits pour exercer une grande influence sur l'avenir des sociétés humaines.

Bertram. »



Après les deux lettres qu'on vient de lire, nous n'aurons que peu de chose à dire sur cet article ; sa modération contraste avec l'acrimonie de la plupart de ceux qui ont été écrits jadis sur le même sujet. L'auteur, au moins, ne conteste pas aux Spirites le droit d'avoir une opinion qu'il respecte, quoique ne la partageant pas ; à l'encontre de certains apôtres du progrès, il reconnaît que la liberté de conscience est pour tout le monde ; c'est déjà quelque chose. Il convient même que les Spirites ont du bon et sont de bonne foi. Il constate enfin les progrès de la doctrine et avoue qu'elle a un côté séduisant. Nous ne ferons donc que de courtes observations.

M. Bertram veut bien nous tenir pour un aussi bon citoyen que lui, et nous l'en remercions ; mais il ajoute que nous ferions tout aussi bien de nous appeler de notre vrai nom. Nous nous permettrons à notre tour de lui demander pourquoi il signe ses articles Bertram, au lieu de Eugène Landois, ce qui n'ôte rien à ses qualités personnelles, car nous savons qu'il est le principal organisateur de la crèche de Saint-Josse-Tennoode, dont il s'occupe avec la plus louable sollicitude.

Si M. Bertram avait lu les livres spirites avec autant d'attention qu'il le dit, il saurait si les Spirites sont assez simples pour évoquer le Juif-Errant et don Quichotte ; il saurait ce que le Spiritisme accepte et ce qu'il désavoue ; il n'affecterait pas de le présenter comme une religion, car, au même titre, toutes les philosophies seraient des religions, puisqu'il est de leur essence de discuter les bases mêmes de toutes les religions : Dieu, et la nature de l'âme. Il comprendrait enfin que si jamais le Spiritisme devenait une religion, il ne pourrait se faire intolérant sans renier son principe qui est la fraternité universelle, sans distinction de secte et de croyance ; sans abjurer sa devise : Hors la charité point de salut, symbole le plus explicite de l'amour du prochain, de la tolérance et de la liberté de conscience. Jamais il ne dit : « Hors le Spiritisme point de salut. » Si une religion s'entait sur le Spiritisme à l'exclusion de ces principes, ce ne serait plus du Spiritisme.

Le Spiritisme est une doctrine philosophique qui touche à toutes les questions humanitaires ; par les modifications profondes qu'elle apporte dans les idées, elle fait envisager les choses à un autre point de vue ; delà, pour l'avenir, d'inévitables modifications dans les rapports sociaux ; c'est une mine féconde où les religions comme les sciences, comme les institutions civiles, puiseront des éléments de progrès ; mais de ce qu'elle touche à certaines croyances religieuses, elle ne constitue pas plus un culte nouveau qu'elle n'est un système particulier de politique, de législation ou d'économie sociale. Ses temples, ses cérémonies et ses prêtres sont dans l'imagination de ses détracteurs et de ceux qui ont peur de la voir devenir religion.

M. Bertram critique le style des Esprits et place le sien bien au-dessus : c'est son droit, et nous ne le lui disputerons pas. Nous ne lui contestons pas davantage ce point qu'en fait de morale les Esprits ne nous apprennent rien de nouveau ; cela prouve une chose, c'est que les hommes n'en sont que plus coupables de la pratiquer si peu. Faut-il donc s'étonner que Dieu, dans sa sollicitude, la leur répète sous toutes les formes ? Si, sous ce rapport, l'enseignement des Esprits est inutile, celui du Christ l'était également, puisqu'il n'a fait que développer les commandements du Sinaï ; les écrits de tous les moralistes sont pareillement inutiles, puisqu'ils ne font que dire la même chose en d'autres termes. Avec ce système-là, que de gens dont les travaux seraient inutiles ! sans y comprendre les chroniqueurs qui, par état, ne doivent rien inventer.

Il est donc convenu que la morale des Esprits est vieille comme le monde, ce qui n'a rien de surprenant, puisque la morale n'étant autre chose que la loi de Dieu, cette loi doit être de toute éternité, et que la créature ne peut rien ajouter à l'œuvre du Créateur. Mais n'y a-t-il rien de nouveau dans le mode d'enseignement ? Jusqu'à présent le code de morale n'avait été promulgué que par quelques individualités ; il a été reproduit dans des livres que tout le monde ne lit pas ou ne comprend pas. Eh bien ! aujourd'hui ce même code est enseigné, non plus par quelques hommes, mais par des millions d'Esprits, qui ont été des hommes, dans tous les pays, dans chaque famille, et pour ainsi dire à chaque individu. Croyez-vous que celui qui aura été indifférent à la lecture d'un livre, qui aura traité les maximes qu'il renferme de lieux communs, ne sera pas bien autrement impressionné si son père, sa mère, ou un être qui lui est cher et qu'il respecte, vient lui dire, fût-ce même dans un style inférieur à celui de Bossuet : « Je ne suis pas perdu pour toi comme tu l'as cru ; je suis là près de toi, je te vois et je t'entends, je te connais mieux que lorsque j'étais vivant, car je lis dans ta pensée ; pour être heureux dans le monde où je suis, voici la règle de conduite à suivre ; telle action est bonne et telle autre est mauvaise, etc. » Comme vous le voyez, c'est un enseignement direct, ou si vous aimez mieux, un nouveau moyen de publicité, d'autant plus efficace qu'il va droit au cœur ; qu'il ne coûte rien ; qu'il s'adresse à tout le monde, au petit comme au grand, au pauvre comme au riche, à l'ignorant comme au savant, et qu'il défie le despotisme humain qui voudrait y mettre une barrière.

Mais, direz-vous, cela est-il possible ? n'est-ce pas une illusion ? Ce doute serait naturel si de telles communications n'étaient faites qu'à un seul homme privilégié, car rien ne prouverait qu'il ne se trompe pas ; mais quand des milliers d'individus en reçoivent de pareilles tous les jours et dans tous les pays du monde, est-il rationnel de penser que tous sont hallucinés ? Si l'enseignement du Spiritisme était relégué dans les ouvrages spirites, il n'aurait pas conquis la centième partie des adeptes qu'il possède ; ces livres ne font que résumer et coordonner cet enseignement, et ce qui fait leur succès, c'est que chacun trouve en son particulier la confirmation de ce qu'ils renferment.

On sera fondé à dire que l'enseignement moral des Esprits est superflu, quand on aura prouvé que les hommes sont assez bons pour n'en avoir plus besoin ; jusque-là il ne faut pas s'étonner de le leur voir répéter sous toutes les formes et sur tous les tons.

Que m'importe, dites-vous, monsieur Bertram, qu'il y ait ou non des Esprits ! Il est possible que cela vous soit indifférent, mais il n'en est pas de même de tout le monde. C'est absolument comme si vous disiez : « Que m'importe qu'il y ait des habitants en Amérique, et que le câble électrique vienne me le prouver ! » Scientifiquement, c'est quelque chose que la preuve du monde invisible ; moralement, c'est beaucoup ; car les Esprits peuplant l'espace qu'on croyait inhabité, c'est la découverte de tout un monde, la révélation de l'avenir et de la destinée de l'homme, une révolution dans ses croyances ; or, si la chose existe, toute dénégation ne pourra l'empêcher d'exister. Ses résultats inévitables méritent bien qu'on s'en préoccupe. Vous êtes homme de progrès, et vous repoussez un élément de progrès ? un moyen d'améliorer l'humanité, de cimenter la fraternité entre les hommes ? une découverte qui conduit à la réforme des abus sociaux contre lesquels vous réclamez sans cesse ? Vous croyez à votre âme immortelle, et vous ne vous souciez nullement de savoir ce qu'elle devient, ce que sont devenus vos parents et vos amis ? Franchement, cela est peu rationnel. Ce n'est pas, direz-vous, dans l'armoire des frères Davenport que je le trouverai ; d'accord ; nous n'avons jamais dit que ce fût là du spiritisme. Cependant, cette même armoire, précisément parce que, à tort ou à raison, on y a fait intervenir les Esprits, a fait beaucoup parler des Esprits, même ceux qui n'y croyaient pas ; de là des recherches et des études qu'on n'aurait pas faites si ces messieurs se fussent donnés pour de simples prestidigitateurs. Si les Esprits n'étaient pas dans leur armoire, ils ont bien pu provoquer ce moyen de faire sortir une foule de gens de leur indifférence. Vous voyez que vous-même, à votre insu, avez été poussé à semer l'idée parmi vos nombreux lecteurs, ce que vous n'auriez point fait sans cette fameuse armoire.

Quant aux vérités nouvelles qui ressortent des révélations spirites en dehors de la morale, nous renvoyons à l'article publié dans la Revue de janvier 1865 sous le titre de : Ce qu'apprend le Spiritisme.

Le Spiritisme ne demande qu'à être connu

C'est un fait avéré que depuis que la critique a pris à partie le Spiritisme, elle a montré la plus complète ignorance de ses principes même les plus élémentaires ; elle l'a surabondamment prouvé en lui faisant dire précisément le contraire de ce qu'il dit, en lui attribuant des idées diamétralement opposées à celles qu'il professe. Pour elle, étant donné un Spiritisme de fantaisie, elle s'est dit : « Il doit dire et penser telle chose ; » en un mot, elle l'a jugé sur ce qu'elle s'est figuré qu'il pouvait être, et non sur ce qu'il est réellement. Il lui était sans doute bien facile de s'éclairer ; mais, pour cela, il fallait lire, étudier, approfondir une doctrine toute philosophique, analyser la pensée, sonder la portée des paroles ; or, c'est là un travail sérieux qui n'est pas du goût de tout le monde, trop fatigant même pour certains. La plupart des écrivains, trouvant dans les écrits de quelques-uns de leurs confrères un jugement tout fait, d'accord avec leurs idées sceptiques, en ont accepté le fond sans plus d'examen, se bornant à y broder quelques variantes dans la forme ; c'est ainsi que les idées les plus fausses se sont propagées comme des échos dans la Presse, et de là dans une partie du public.

Cela, cependant, ne pouvait avoir qu'un temps. La doctrine spirite, qui n'a rien de caché, qui est claire, précise, sans allégories ni ambiguïtés, sans formules abstraites, devait finir par être mieux connue ; la violence même avec laquelle elle était attaquée devait en provoquer l'examen ; c'est ce qui a eu lieu, et c'est ce qui amène la réaction que l'on remarque aujourd'hui. Ce n'est pas à dire que tous ceux qui l'étudient, même sérieusement, doivent s'en faire les apôtres ; non certes ; mais il est impossible qu'une étude attentive, faite sans parti pris, n'atténue pas au moins la prévention que l'on avait conçue, si elle ne la dissipe pas complètement. Il était évident que l'hostilité dont le Spiritisme était l'objet devait amener ce résultat ; c'est pour cela que nous n'en avons jamais pris souci.

Parce que le Spiritisme fait moins de bruit en ce moment, quelques personnes se figurent qu'il y a stagnation dans sa marche progressive ; mais comptent-elles pour rien le revirement qui s'opère dans l'opinion ? Est-ce une conquête insignifiante que d'être regardé d'un moins mauvais œil ? Le Spiritisme a dès l'abord rallié à lui tous ceux à qui ces idées étaient pour ainsi dire à l'état d'intuition ; il n'a eu qu'à se montrer pour être accepté avec empressement ; c'est ce qui explique son accroissement numérique rapide. Aujourd'hui qu'il a moissonné ce qui était mûr, il agit sur la masse réfractaire ; le travail est plus long ; les moyens d'action sont différents et appropriés à la nature des difficultés ; mais aux fluctuations de l'opinion, on sent que cette masse s'ébranle sous la cognée des Esprits qui la frappent sans cesse de mille manières. Le progrès, pour être moins apparent, n'en est pas moins réel ; c'est comme celui d'un bâtiment qui s'élève avec rapidité, et qui paraît s'arrêter quand on travaille à l'intérieur.

Quant aux Spirites, le premier moment a été celui de l'enthousiasme ; mais un état de surexcitation ne peut être permanent ; au mouvement expansif extérieur, a succédé un état plus calme ; la foi est aussi vive, mais elle est plus froide, plus raisonnée, et par cela même plus solide. L'effervescence a fait place à une satisfaction intime plus douce, chaque jour mieux appréciée, par la sérénité que procure l'inébranlable confiance en l'avenir.

Aujourd'hui donc le Spiritisme commence à être jugé à un autre point de vue ; on ne le trouve plus si étrange et si ridicule, parce qu'on le connaît mieux ; les Spirites ne sont plus montrés au doigt comme des bêtes curieuses ; si beaucoup de personnes repoussent encore le fait des manifestations qu'elles ne peuvent concilier avec l'idée qu'elles se font du monde invisible, elles ne contestent plus la portée philosophique de la doctrine ; que la morale en soit vieille ou neuve, ce n'en est pas moins une doctrine morale, qui ne peut qu'exciter au bien ceux qui la professent ; c'est ce que reconnaît quiconque juge en connaissance de cause. Tout ce qu'on reproche maintenant aux Spirites, c'est de croire à la communication des Esprits ; mais on leur passe cette petite faiblesse en faveur du reste. Sur ce point les Esprits se chargeront de montrer s'ils existent.

L'article de M. Bertram, de Bruxelles, rapporté ci-dessus, nous semble être l'expression du sentiment qui tend à se propager dans le monde des ci-devant railleurs, et se développera à mesure que le Spiritisme sera plus connu, L'article suivant est dans le même sens, mais il révèle une conviction plus complète. Il est extrait du Soleil du 5 mai.

« En même temps que paraissaient les Apôtres de M. Ernest Renan, M. J.-B. Roustaing, adepte éclairé du Spiritisme, publiait à la Librairie centrale un ouvrage considérable intitulé : les Quatre Evangiles, suivis des commandements expliqués en esprit et en vérité par les évangélistes assistés des apôtres.

La masse des Parisiens ne connaît guère, en fait de Spiritisme, que les échauffourées de quelques escamoteurs qui ont vainement tenté d'abuser de la crédulité d'un public incrédule. Ces charlatans ont été sifflés, ce qui est fort bien fait ; mais les Spirites, pleins d'ardeur et de foi, n'en ont pas moins continué leurs expériences et leur propagande rapide.

Les choses les plus sérieuses sont traitées à Paris à l'égal des choses les plus futiles. C'est ici qu'on se demande le plus souvent si l'on a affaire à un dieu, à une table ou à une cuvette. Les expériences sommaires tentées entre deux tasses de thé par quelques femmes adultères et quelques jeunes prétentieux ont suffi à la curiosité des Parisiens. Si la table faisait mine de tourner, on riait beaucoup ; si, au contraire, la table ne bougeait pas, on riait encore plus fort ; et c'est ainsi que la question se trouvait approfondie. Il en était autrement chez la population plus réfléchie de la province. Le moindre résultat animait les prosélytes, excitait leur ardeur ; l'esprit de leurs proches répondait à leur attente ; et chacun d'eux, conversant avec l'âme de son père et de son frère défunts, était convaincu d'avoir soulevé le voile de la mort qui, désormais, ne pouvait avoir de terreur pour lui.

S'il y eut jamais une consolante doctrine, c'est certainement celle-ci : l'individualité conservée au-delà du tombeau, la promesse formelle d'une autre vie qui est réellement la suite de la première. La famille subsiste, l'affection ne meurt point avec la personne ; il n'y a pas de séparation. Chaque soir, dans le midi et dans l'ouest de la France, les réunions de spirites attentifs deviennent plus nombreuses. On prie, on évoque, on croit. Des gens qui ne savent pas écrire, écrivent ; leur main est tenue par l'Esprit.

Le Spiritisme est sans danger social ; aussi le laisse-t-on s'étendre sans lui opposer de barrières. Si le Spiritisme était persécuté, il aurait ses martyrs comme le Babisme en Perse.

A côté des réponses médianimiques les plus graves se trouvent des indications et des conseils qui appellent le sourire. L'auteur des Quatre Évangiles, M. Roustaing, avocat à la cour impériale de Bordeaux, ancien bâtonnier, n'est point un naïf ‑ pas plus qu'un amuseur ‑ et, dans sa préface, se trouve la communication suivante :

Le moment est venu où tu dois te mettre en situation de livrer à la publicité cette œuvre ; nous ne fixons point de limites ; emploie avec sagesse et mesure tes heures, afin de ménager tes forces… La publication peut être commencée à compter du mois d'août prochain ; à partir de cette époque, travaille le plus promptement possible, mais sans dépasser les forces humaines ; de telle façon que la publication soit terminée au mois d'août 1866. »

Signé : Moïse, ‑ Mathieu, ‑ Marc, ‑ Luc, ‑ Jean,

Assistés des Apôtres. »



Le lecteur est surpris ne pas voir Moïse, Mathieu, Luc et Jean pousser jusqu'au bout leur conseil et ajouter : Tu feras imprimer l'ouvrage chez Lavertujon, 7, rue des Treilles, à Bordeaux, et tu le feras paraître à la Librairie centrale, 24, boulevard des Italiens, à Paris.

On s'arrête aussi un instant sur ce passage, qui dit à l'auteur de ne pas dépasser les forces humaines. L'auteur les eût donc dépassées, sans cette paternelle parole de messieurs Moïse, Mathieu, Marc et Jean ?

M. Renan, sans toucher d'abord au Spiritisme, fait de nombreuses allusions à cette nouvelle doctrine dont il paraît ne point méconnaître l'importance. L'auteur des Apôtres rappelle (page 8) un passage capital de saint Paul qui établit : 1° la réalité des apparitions ; 2° la longue durée des apparitions. Une seule fois, dans le cours de son ouvrage, M. Renan prend les Spirites au collet. Il dit, à la page 22, deuxième note :

« Pour concevoir la possibilité de pareilles illusions, il suffit de se rappeler les scènes de nos jours où des personnes réunies reconnaissent unanimement entendre des bruits sans réalité, et cela, avec une parfaite bonne foi. L'attente, l'effort de l'imagination, la disposition à croire, parfois des complaisances innocentes, expliquent ceux de ces phénomènes qui ne sont pas le produit direct de la fraude. Ces complaisances viennent, en général, de personnes convaincues, animées d'un sentiment bienveillant, ne voulant pas que la séance finisse mal, et désireuses de tirer d'embarras les maîtres de la maison. Quand on croit au miracle, on y aide toujours sans s'en apercevoir. Le doute et la négation sont impossibles dans ces sortes de réunions. On ferait de la peine à ceux qui croient et à ceux qui vous ont invité. Voilà pourquoi ces expériences, qui réussissent devant de petits comités, échouent d'ordinaire devant un public payant, et manquent toujours devant les commissions scientifiques. »

Ici, comme ailleurs, le livre de M. Renan manque de bonnes raisons. D'un style doux et charmant, remplaçant la logique par la poésie, les Apôtres devraient s'intituler les Derniers Abencérages. Les renvois à des documents inutiles, les fausses preuves dont l'ouvrage est surchargé lui donnent toutes les apparences de la puérilité avec laquelle il a été conçu. Il n'y a pas à s'y tromper.

M. Renan raconte que Marie de Magdala, pleurant au bord du sépulcre, eut une vision, une simple vision. ‑ Qui le lui a dit ? ‑ Elle a cru entendre une voix. ‑ Comment sait-il qu'elle ne l'a pas réellement entendue ? ‑ Toutes les affirmations contenues dans l'ouvrage sont à peu près de la même force.

Si les Spirites n'ont guère à offrir que leur bonne foi pour explication, M Renan n'a même pas cette ressource.

Nous ne pouvons ici que raconter le livre de M. Roustaing ; nous n'avons pas le droit de le discuter, pas plus que celui de voir où il nous mène. Du reste, ce ne serait pas le lieu d'entrer dans des considérations que le lecteur ne cherche point dans nos colonnes. L'ouvrage est sérieux, le style en est clair et ferme. L'auteur n'est pas tombé dans le travers ordinaire des commentateurs qui sont souvent plus obscurs que le texte même qu'ils veulent éclairer.

Le spiritisme, qui avait son catéchisme, aura désormais ses codes annotés et son cours de jurisprudence. Il ne lui manquera que l'épreuve du martyre. »

Aurélien Scholl.

Extrait du Progrès colonial de l'île Maurice
Communication Spirite

Ce n'est pas seulement dans nos contrées que les journaux, nous ne dirons pas encore sympathisent, mais s'humanisent avec le Spiritisme, auquel ils commencent à accorder droit de bourgeoisie. On lit dans le Progrès colonial, journal de Port-Louis, île Maurice, à la date du 15 juin 1866 :

« Tous, les jours nous recevons deux ou trois de ces communications spirites ; mais si nous nous sommes abstenus de les reproduire jusqu'ici, c'est parce que nous ne sommes pas encore en mesure de consacrer une place à cette chose extraordinaire qu'on appelle le Spiritisme. Que nos lecteurs, ceux qui sont par nature curieux, prennent un peu de patience : ils n'attendront pas longtemps. Si nous donnons ce petit écrit, signé Lazare, c'est qu'il s'agit de ce pauvre Georges, mort et enterré si malheureusement :

« Monsieur,

J'ai lu aujourd'hui une correspondance insérée dans votre journal, signé : « Un témoin oculaire, » relatant la manière dont on s'est servi pour mettre en terre le cadavre de l'infortuné G. Lemeure.

Depuis longtemps, monsieur, je savais parfaitement que si la misère n'est pas un vice, c'est du moins une des plus grandes calamités qu'il y ait au monde ; mais ce que je ne voulais pas admettre, c'est que les hommes fussent assez adorateur du veau d'or pour ne pas respecter davantage tout ce qu'il y a de plus solennel, de plus grand et de plus sacré pour nous : la mort !…

Ainsi, pauvre Georges, doué d'un caractère doux, honnête et modeste, condamné à vivre dans le plus grand dénuement, supportant les épreuves de ce monde avec courage et même avec gaieté, toujours prêt à rendre service à son prochain, tu es allé mourir ainsi isolé, loin de ceux qui t'aimaient, qui te regrettent peut-être ; et il faut encore, pour humilier ton ombre, que des hommes, que des frères, te creusent un trou dans la terre, seul, seul avec le néant ! comme si ta pauvreté te rendait indigne de partager, ainsi que tes semblables, un terrain consacré. Outre cela, on ne te fait même pas la charité d'un cercueil, de quatre bouts de planches ! tu es encore bien heureux, pense cette bonne humanité, de reposer sur la terre humide et froide, oublié de tous ! Que leur importe, du reste, que ton corps pourrisse là, sans qu'un ami vienne y répandre une larme, y jeter une fleur, y porter un souvenir ?

Je m'arrête ici, car je suis encore indigné de ce qu'on ne remplisse même pas les formes voulues en pareille occasion envers les malheureux ; dans tous les pays civilisés, on donne aux parents ou amis d'une personne morte, trouvée par l'autorité, vingt-quatre heures pour venir la reconnaître et la réclamer ; si au bout de ce temps on n'est pas venu, alors on la dépose en terre sainte, en observant toujours les égards dus à la mort ; mais ici, l'on s'abstient de pareilles formalités, on se contente, si vous n'avez pas de quoi payer les frais de votre cercueil, de vous jeter dans quelque coin, ainsi qu'une bête, et de vous couvrir de deux ou trois poignées de poussière.

Je le répète, monsieur, c'est un bien grand fléau que la misère.

Lazare. »



Les phénomènes apocryphes

Le fait suivant est rapporté par l'Événement du 2 août 1866 :

« Depuis plusieurs jours, les habitants du quartier avoisinant l'église Saint-Médard étaient mis en grand émoi par un fait singulier, mystérieux, qui donnait lieu aux commentaires et aux récits les plus lugubres.

Des démolitions se font autour de cette église ; la plupart des maisons abattues ont été élevées sur l'emplacement d'un cimetière auquel se rattache l'histoire des prétendus miracles qui, au commencement du dix-huitième siècle, motivèrent une ordonnance du gouvernement qui ordonna, le 27 janvier 1733, la fermeture de ce cimetière, sur la porte duquel on trouva le lendemain l'épigramme suivante :

De par le roi… défense à Dieu

De faire miracle en ce lieu.

Or, les maisons respectées par le marteau du démolisseur étaient, chaque nuit, ravagées par une grêle de pierres, souvent très grosses, qui brisaient les vitres des fenêtres et tombaient sur les toitures, qu'elles dégradaient.

Malgré les plus actives recherches, nul ne put découvrir d'où provenaient ces projectiles.

On ne manqua pas de dire que les morts du cimetière, troublés dans leur repos par les démolitions, manifestaient ainsi leur mécontentement. Mais des gens moins crédules, pensant bien que ces pierres qui continuaient à tomber toutes les nuits étaient lancées par un être vivant, allèrent réclamer l'intervention de M. Cazeaux, commissaire de police, qui fit organiser une surveillance par des agents.

Pendant qu'ils l'exerçaient, les pierres n'apparurent pas, mais dès qu'ils la cessèrent, elles retombèrent plus abondantes encore.

On ne savait que faire pour pénétrer ce mystère, lorsque la dame X…, propriétaire d'une maison de la rue Censier, vint déclarer au commissaire qu'effrayée parce qui se passait, elle avait été consulter une somnambule.

Elle m'a révélé, dit la déclarante, que les pierres étaient lancées par une jeune fille affectée d'un mal à la tête. Précisément ma bonne, Félicie F…, âgée de seize ans, est atteinte de dartres sur cette partie du corps.

Bien que n'attachant aucune importance à cette indication, le commissaire consentit cependant à interroger Félicie, et il en obtint des aveux complets. Agissant sous l'inspiration d'un Esprit qui lui est apparu, elle avait depuis plusieurs mois amassé dans un grenier une quantité considérable de pierres, et, chaque nuit, elle se levait pour en jeter une partie ‑ par la fenêtre de ce grenier ‑ sur les maisons voisines.

Dans la présomption que cette fille pouvait être aliénée, le commissaire l'a envoyée à la Préfecture, pour qu'elle y soit examinée par des médecins spéciaux. »

Ce fait prouve qu'il faut se garder d'attribuer à une cause occulte tous les faits de ce genre, et que, lorsqu'une cause matérielle existe, on arrive toujours à la découvrir, ce qui ne prouve rien contre la possibilité d'une autre origine dans certains cas dont on ne peut juger que par l'ensemble des circonstances, comme à Poitiers. A moins que la cause occulte ne soit démontrée par l'évidence, le doute est le parti le plus sage ; il convient donc de se tenir sur la réserve. Il faut se défier surtout des pièges tendus par la malveillance en vue de se donner le plaisir de mystifier les Spirites. L'idée fixe de la plupart des antagonistes est que le Spiritisme est tout entier dans les effets physiques, et ne peut vivre sans cela ; que la foi des Spirites n'a pas d'autre objet : c'est pourquoi ils s'imaginent le tuer en discréditant ces effets, soit qu'ils les fassent simuler, soit qu'ils en inventent dans des conditions ridicules. Leur ignorance du Spiritisme fait que, sans s'en apercevoir, ils frappent à côté de la question capitale qui est le point de vue moral et philosophique.

Quelques-uns, cependant, connaissent très bien ce côté de la doctrine ; mais comme il est inattaquable, ils se rejettent sur l'autre, plus vulnérable, et qui se prête plus facilement à la supercherie. Ils voudraient à tout prix faire passer les Spirites pour des admirateurs crédules et superstitieux du fantastique, acceptant tout les yeux fermés. C'est pour eux un grand désappointement de ne pas les voir s'extasier au moindre fait ayant quelque teinte de surnaturel, et de les trouver, à l'endroit de certains phénomènes, plus sceptiques que ceux qui ne connaissent pas le Spiritisme ; or, c'est précisément parce qu'ils le connaissent, qu'ils savent ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, et qu'ils ne voient pas partout l'action des Esprits.

Dans le fait rapporté ci-dessus, il est assez curieux de voir la véritable cause révélée par une somnambule. C'est la consécration du phénomène de la lucidité. Quant à la jeune fille qui dit avoir agi sous l'impulsion d'un Esprit, il est certain que ce n'est pas la connaissance du Spiritisme qui lui a donné cette idée. D'où lui est-elle venue ? Il est très possible qu'elle se soit trouvée sous l'empire d'une obsession qu'on a prise, comme toujours, pour de la folie. Si cela est, ce n'est pas avec des remèdes qu'on la guérira. En pareil cas, on a maintes fois vu des personnes parler spontanément des Esprits, parce qu'elles les voient, et l'on dit alors qu'elles sont hallucinées.

Nous la supposons de bonne foi, parce que nous n'avons aucune raison de la suspecter ; mais il y a malheureusement des faits de nature à faire naître la défiance. Nous nous rappelons une femme qui a simulé la folie au sortir d'une réunion spirite où elle avait été admise sur ses instances, la seule à laquelle elle ait assisté ; conduite immédiatement dans une maison d'aliénés, elle a avoué depuis qu'elle avait reçu cinquante francs pour jouer cette comédie. C'était à l'époque où l'on cherchait à accréditer l'idée que les maisons de fous regorgeaient de Spirites. Cette femme s'est laissé séduire par l'appât de quelque argent, d'autres peuvent céder à d'autres influences. Nous ne prétendons pas qu'il en soit ainsi de la jeune fille ; nous avons simplement voulu montrer que lorsqu'on veut dénigrer une chose, tous les moyens sont bons ; c'est, pour les Spirites, une raison de plus d'être sur leurs gardes et de tout observer scrupuleusement. Du reste, si tout ce qui se trame par-dessous main prouve que la lutte n'est pas finie, et qu'il faut redoubler de vigilance et de fermeté, c'est également la preuve que tout le monde ne regarde pas le Spiritisme comme une chimère.

A coté de la guerre sourde, il y a la guerre à ciel ouvert, plus généralement faite par l'incrédulité railleuse ; celle-ci s'est évidemment modifiée. Les faits qui se multiplient, l'adhésion de personnes dont on ne peut suspecter la bonne foi ni la raison, l'impassibilité des Spirites, leur calme et leur modération en présence des orages qu'on a soulevés contre eux, ont donné à réfléchir. La presse enregistre chaque jour des faits spirites ; si, dans le nombre, il y en a de vrais, d'autres sont évidemment inventés pour les besoins de la cause de l'opposition. On ne nie plus les phénomènes, mais on cherche à les rendre ridicules par l'exagération. C'est une tactique assez inoffensive, car il n'est pas difficile aujourd'hui de faire, en ces matières, la part de l'invraisemblance. Les journaux d'Amérique ne sont pas en reste d'inventions sous ce rapport, et les nôtres s'empressent de les répéter. C'est ainsi que la plupart ont reproduit l'histoire suivante dans le courant de mars dernier :

« ÉTATS-UNIS. ‑ On a exécuté à Cleveland (Ohio) un homme, le docteur Hughes, qui, au moment de mourir, a fait un discours attestant un esprit d'une fermeté et d'une lucidité extraordinaires. Il a profité de l'occasion pour faire sur l'utilité et la justice de la peine de mort une dissertation qui n'a pas duré moins d'une demi-heure. Cette pénalité de la mort, a-t-il dit, est tout simplement ridicule. Quel avantage y a-t-il à prendre ma vie ? Aucun. Ce n'est certainement pas mon exemple qui en détournera d'autres du crime. Est-ce que je me souviens d'avoir tiré ce coup de pistolet ? Du tout, je n'en ai pas, même aujourd'hui, le moindre souvenir. Je puis admettre que la loi de l'Ohio me frappe justement, mais je dis en même temps qu'elle est folle et vaine.

Si vous prétendez que, parce que cette corde va être nouée autour de mon cou, et serrée jusqu'à ce que mort s'ensuive, elle aura pour effet de prévenir l'assassinat, je dis que votre pensée est folle et vaine ; car, dans la situation d'esprit où était John W. Hughes quand il a assassiné, il n'y a pas d'exemple sur la terre qui eût pu empêcher un homme, quel qu'il fût, de faire ce que j'ai fait. Je m'incline devant la loi du pays avec la pensée que c'est un meurtre inutile autant que cruel de prendre ma vie. J'espère que mon supplice ne restera pas comme un exemple de la peine de mort, mais comme un argument qui en prouve l'inanité.

Hughes a ensuite fait un examen de conscience, et s'est longuement étendu sur la religion et sur l'immortalité de l'âme. Ses doctrines en ces graves matières ne sont pas positivement orthodoxes ; mais elles attestent au moins un sang-froid singulier. Il a aussi parlé du Spiritualisme ou plutôt du Spiritisme. « Je sais, a-t-il dit, par ma propre expérience, qu'il y a entre ceux qui sortent de la vie et ceux qui restent des communications incessantes. Je vais aujourd'hui souffrir la suprême pénalité légale, mais en même temps je suis sûr que je serai avec vous après mon exécution comme j'y suis maintenant.

Mes juges et mes bourreaux me verront toujours devant leurs yeux, et vous-mêmes qui êtes venus ici pour me voir mourir, il n'en est pas un de vous qui ne me revoie en chair et en os, vêtu de noir comme je le suis, portant mon propre deuil prématuré, pendant son sommeil comme pendant les heures de ses occupations journalières. ‑ Adieu, messieurs, j'espère qu'aucun de vous ne fera ce que j'ai fait ; mais s'il en est quelqu'un qui se trouve dans l'état mental où j'étais moi-même quand j'ai commis le crime, ce n'est assurément pas le souvenir de cette journée qui l'en empêchera. Adieu. »

Après cette harangue, la trappe est tombée, et le docteur Hughes est resté pendu. Mais ses paroles avaient produit une profonde impression sur son auditoire, et il en est résulté de singuliers effets. Voici ce que nous trouvons aujourd'hui à ce sujet dans le Herald de Cleveland :

Le docteur Hughes, étant sur l'échafaud avec la corde au cou, a dit qu'il serait avec ceux qui l'entendaient aussi bien après qu'avant sa mort, et on dirait qu'il a pris à cœur de tenir sa parole. Parmi les personnes qui l'avaient visité dans sa cellule avant l'exécution, se trouvait un honnête boucher allemand. Cet homme, depuis son entrevue avec le condamné, n'a plus que le docteur Hughes dans la cervelle. Il a sans cesse devant les yeux, la nuit, le jour, à toute heure, des prisons, des gibets, des hommes pendus. Il ne dort plus, ne mange plus, n'a plus la tête à sa famille ni à ses affaires, et hier soir cette vision a failli le tuer.

Il venait d'entrer dans son écurie pour soigner les bestiaux, lorsqu'il vit debout, près de son cheval, le docteur Hughes, vêtu de ses mêmes habits noirs qu'il portait avant de quitter notre planète, et paraissant jouir d'une excellente santé. Le pauvre boucher jeta un cri perçant, un hurlement de l'autre monde, et tomba à la renverse.

On accourut, on le releva ; son œil était hagard, sa face livide, ses lèvres tremblantes, et d'une voix pantelante, il demanda, dès qu'il reprit connaissance, si le docteur Hughes était encore là. Il venait de le voir, disait-il, et, s'il n'était plus dans l'écurie, il ne pouvait être loin. Ce fut avec toutes les peines du monde qu'on le calma et qu'on l'entraîna dans sa maison. La vision le poursuit toujours, et aux dernières nouvelles encore, il était dans un état d'agitation que rien ne pouvait apaiser.

Mais voici qui est plus curieux encore. Le boucher n'est pas le seul à qui le docteur Hughes ait apparu depuis sa mort. Le surlendemain de l'exécution, tous les détenus l'ont vu, de leurs yeux vu, entrer dans la prison et parcourir les corridors. Il avait l'air parfaitement naturel : il était habillé de noir comme sur l'échafaud ; il passait souvent sa main autour de son cou, et en même temps laissait échapper de sa bouche un son guttural qui sifflait entre ses dents. Il a monté les escaliers qui conduisent à sa cellule, y est entré, s'est assis, et s'est mis à écrire des vers. Voilà ce qu'ont raconté les détenus, et rien au monde ne leur aurait persuadé qu'ils avaient été le jouet d'une illusion. »

Ce fait ne laisse pas d'avoir son côté instructif par les paroles du patient ; il est vrai quant au sujet principal ; mais comme celui-ci a cru devoir, dans sa dernière allocution, parler du Spiritualisme ou Spiritisme, le narrateur a trouvé bon d'enrichir son récit d'apparitions, qui n'ont existé qu'au bout de sa plume, sauf la première, celle au boucher, qui paraît être réelle.

‑ Tom l'aveugle n'est pas un conte de revenant, mais un phénomène d'intelligence inouï. Tom est un jeune nègre de dix-sept ans, aveugle de naissance, soi-disant doué d'un instinct musical merveilleux. Le Harpers Weekly, journal illustré de New-York, lui consacre un long article dont nous extrayons les passages suivants :

« Il n'avait pas deux ans qu'il traduisait par le chant tout ce qui frappait son oreille, et telle était la justesse et la facilité avec lesquelles il saisissait un motif, qu'en entendant les premières notes d'un chant il pouvait exécuter sa partie. Bientôt il commença à accompagner en faisant les seconds, bien qu'il n'en eût jamais entendu, mais un instinct de nature lui révélait que quelque chose de semblable devait se chanter.

A l'âge de quatre ans il entendit pour la première fois un piano. A l'arrivée de l'instrument, il était, selon son habitude, à s'amuser dans la cour ; la première vibration des touches l'attira au parloir (le salon). On lui permit de promener ses doigts sur les touches simplement pour satisfaire sa curiosité, et ne pas lui refuser l'innocent plaisir de faire un peu de bruit. Une fois, de minuit au jour, il put rester au parloir où il avait su pénétrer. Le piano n'avait pas été fermé, et les jeunes demoiselles de la maison furent réveillées par les sons de l'instrument. A leur grand étonnement, elles entendirent Tom jouant un de leurs morceaux, et le matin elles le trouvèrent encore au piano. On lui permit alors de jouer autant qu'il lui plairait ; il fit des progrès si rapides et si étonnants que le piano devint l'écho de tout ce qu'il entendit. Il développa ainsi de nouvelles et prodigieuses facultés, inconnues jusqu'alors au monde musical, et dont il semble que Dieu ait réservé le monopole à Tom. Il avait moins de cinq ans lorsque, après un orage, il en fit un qu'il intitula : Ce que me disent le vent, le tonnerre et la pluie.

Soixante-dix professeurs de musique, à Philadelphie, ont spontanément revêtu de leur signature une déclaration qui se termine ainsi : « En fait, sous toute forme d'examen musical, exécution, composition et improvisation, il a montré une puissance et une capacité qui le classent parmi les plus étonnants phénomènes dont l'histoire de la musique ait gardé le souvenir. Les soussignés pensent qu'il est impossible d'expliquer ces prodigieux résultats par aucune des hypothèses que peuvent fournir les lois de l'art ou de la science.

Aujourd'hui il joue la plus difficile musique des grands auteurs avec une délicatesse de touche, une puissance et une expression qui ont été rarement entendues. C'est au printemps prochain qu'il doit se rendre en Europe. »

Voici l'explication donnée à ce sujet par l'intermédiaire de M. Morin, médium, dans une réunion spirite de Paris, chez la princesse O… le 13 mars 1866, et à laquelle nous assistions. Elle peut servir de guide dans tous les cas analogues.

« Ne vous hâtez pas trop de croire à la venue du fameux musicien noir aveugle ; ses aptitudes musicales sont trop exaltées par les grands colporteurs de nouvelles, qui ne sont pas avares de faits imaginaires destinés à satisfaire la curiosité des abonnés. Il faut vous défier beaucoup des reproductions, et surtout des emprunts réels ou supposés que font vos journalistes à leurs confrères d'outre-mer. Bien des ballons d'essai sont lancés dans le but de faire tomber les Spirites dans le panneau, et l'espoir d'entraîner le Spiritisme et ses adeptes dans le domaine du ridicule. Tenez-vous donc sur vos gardes, et ne commentez jamais un fait sans, au préalable, vous être bien renseignés, et sans avoir demandé l'opinion de vos guides.

Vous ne pouvez vous imaginer toutes les ruses employées par les grands pourfendeurs des idées nouvelles, pour arriver à surprendre une bévue, une faute, une absurdité palpable, commise par les Esprits ou leurs trop confiants prosélytes. De tous côtés les pièges à Spirites sont tendus ; tous les jours on y apporte des perfectionnements ; petits et grands sont à l'affût, et le jour où ils pourraient prendre le chef en défaut, les mains dans le sac au ridicule, serait le plus beau de leur vie. Ils ont une telle confiance en eux, qu'ils s'en réjouissent par anticipation ; mais il est un vieux proverbe qui dit : « Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué ; » or, le Spiritisme, leur bête noire, est encore debout, et pourrait bien leur faire user leurs chaussures avant de se laisser atteindre. C'est la tête basse qu'ils viendront un jour brûler l'encens devant l'autel de la vérité qui, dans un temps prochain, sera reconnue par tout le monde.

« En vous conseillant de vous tenir sur la réserve, je ne prétends pas que les faits et gestes attribués à cet aveugle soient impossibles, mais il ne faut pas croire à celui-ci avant de l'avoir vu, et surtout entendu. »

Ebelmann.



Un tel prodige, même en faisant une large part à l'exagération, serait le plus éloquent plaidoyer en faveur de la réhabilitation de la race nègre, dans un pays où le préjugé de la couleur est si enraciné ; et s'il ne peut être expliqué par les lois connues de la science, il le serait de la manière la plus claire et la plus rationnelle par celle de la réincarnation, non d'un noir dans un noir, mais d'un blanc dans un noir, car une faculté instinctive si précoce ne pourrait être que le souvenir intuitif de connaissances acquises dans une existence antérieure.

Mais alors, dira-t-on, ce serait une déchéance de l'Esprit de passer de la race blanche dans la race nègre ? Déchéance de position sociale, sans doute, ce qui se voit tous les jours, quand, de riche on renaît pauvre, ou de maître serviteur, mais non rétrogradation de l'Esprit, puisqu'il aurait conservé ses aptitudes et son acquis. Cette position serait pour lui une épreuve ou une expiation ; peut-être aussi une mission, afin de prouver que cette race n'est pas vouée par la nature à une infériorité absolue. Nous raisonnons ici dans l'hypothèse de la réalité du fait, et pour les cas analogues qui pourraient se présenter.

Les deux faits suivants sont de même fabrique, et n'ont pas besoin d'autre commentaire que ce qui vient d'être dit. Le premier, rapporté par le Soleil du 19 juillet, est censé d'origine américaine ; le second, tiré de l'Evènement du mois d'avril, est du cru parisien. Ce sont incontestablement les Spirites qui se montreront les incrédules les plus endurcis ; quant aux autres, la curiosité pourrait bien en porter plus d'un à connaître la chose qu'on dit produire tant de merveilles.

« Les Esprits frappeurs et autres semblent élire domicile à Taunton, et avoir choisi, pour théâtre de leurs exploits, la maison d'un malheureux docteur de cette ville. La cave, les corridors, les chambres, la cuisine et jusqu'au grenier du praticien sont hantés nuitamment par les ombres de tous ceux qu'il a envoyés dans un monde meilleur. Ce sont des cris, des plaintes, des imprécations, des ironies sanglantes, selon l'esprit des ombres, qui n'ont quelquefois pas l'ombre d'esprit.

‑ Ta dernière potion m'a tué, dit une voix caverneuse.

‑ Allopathe, s'écrie une voix plus jeune, tu ne vaux même pas un homéopathe.

‑ Je suis ta deux cent quatre-vingt-dix-neuvième victime, la dernière de toutes, psalmodie une autre apparition. Tâche au moins de faire une croix quand tu seras à la trois centième.

« Et ainsi de suite. La vie de l'infortuné docteur n'est plus soutenable. »

L'autre anecdote est aussi spirituelle :

« C'est dimanche soir, pendant cet orage épouvantable dont les journaux d'hier ont énuméré les ravages. Une calèche descendait à travers la pluie et les éclairs l'avenue de Neuilly ; dedans, se trouvaient quatre personnes ; elles avaient dîné ensemble dans une très aimable et très hospitalière maison, près du parc de Neuilly, et égayés par cette soirée agréable, les quatre voyageurs, insoucieux de l'orage, se livraient à une causerie un peu légère.

On parlait des femmes, on en médisait, on les calomniait même quelque peu. Le nom d'une jeune personne fut mis sur le tapis, et quelqu'un émit des doutes sur la nationalité de la victime, insinuant qu'assurément ce n'est pas à Nanterre qu'elle a vu le jour.

Tout à coup, un coup de tonnerre fait frissonner les portières, un éclair illumine toute la voiture et la pluie fouette les vitres à les briser. A la lueur de la foudre, les quatre voyageurs virent alors, debout, devant eux, dans la voiture, un cinquième voyageur, ou plutôt une voyageuse ‑ c'était une femme, vêtue de blanc, un spectre, un ange. L'apparition s'évanouit avec l'éclair, puis comme si le fantôme eût voulu protester contre la calomnie qu'on dirigeait contre la jeune personne absente, une pluie de fleurs d'oranger tomba sur les quatre compagnons de route et les couvrit d'une neige embaumée.

Il y avait, à la vérité, un médium parmi les quatre voyageurs.

Rien ne vous force d'ajouter foi à cette histoire invraisemblable, et je n'en crois pas, pour ma part, un traître mot. C'est un des quatre voyageurs qui me la raconte et me l'affirme. Elle m'a paru originale, voilà tout ! »

Cheveux blanchis sous l'impression d'un rêve

On lit dans le Petit Journal du 14 mai 1866 :

M. Émile Gaboriau, commentant le fait attribué à ce mari qui aurait assassiné sa femme en rêvant, raconte dans le Pays le dramatique épisode qu'on va lire :

« Mais voici qui est plus fort, et je dois dire que j'ajoute foi à ce fait dont l'authenticité m'a été affirmée sous serment par le héros en personne.

Ce héros, mon camarade de collège, est un ingénieur d'une trentaine d'années, homme d'esprit et de talent, d'un caractère méthodique, d'un tempérament froid.

Comme il parcourait la Bretagne il y a deux ans, il se trouva passer la nuit dans une auberge isolée, à quelques centaines de mètres d'une mine qu'il se proposait de visiter le lendemain.

Il était las ; il se mit au lit de bonne heure et ne tarda pas à s'endormir.

Bientôt il rêva. On venait de le mettre à la tête de l'exploitation de cette mine voisine.

Il surveillait les ouvriers, lorsque arriva le propriétaire.

Cet homme, brutal et mal élevé, lui reprocha de rester au dehors les bras croisés pendant qu'il devrait être à l'intérieur occupé à en tracer le plan.

‑ C'est bien ! je descends, répondit le jeune ingénieur.

Il descendit en effet, parcourut les galeries et en leva un croquis.

Cette besogne terminée, il se plaça dans le panier qui devait le ramener au jour. Un câble énorme servait à hisser ce panier.

La mine étant extraordinairement profonde, l'ingénieur calcula que l'ascension durerait bien un quart d'heure, aussi s'installa-t-il le plus commodément qu'il put.

Il remontait depuis deux ou trois minutes déjà lorsque, levant les yeux par hasard, il crut voir que le câble auquel se trouvait suspendue sa vie était coupé à quelques pieds au-dessus de sa tête, trop haut pour qu'il pût atteindre la rupture.

Tout d'abord son effroi fut tel qu'il faillit s'évanouir. Puis il essaya de se remettre, de se rassurer. Ne se trompait-il pas, n'avait-il pas mal vu ? Il eut besoin de faire un énergique appel à tout son courage pour oser regarder de nouveau.

Non, il ne s'était pas trompé. Le câble avait été déchiré par quelque éclat de rocher, et lentement, mais visiblement, il se détortillait. Il n'était pas à cet endroit plus gros que le pouce.

L'infortuné se sentit perdu. Un froid mortel le glaça jusque dans les moelles. Il voulut crier, impossible. D'ailleurs, à quoi bon ? il était à moitié route maintenant.

Dans le fond, à une profondeur vertigineuse, il apercevait, moins brillantes que des vers luisants dans l'herbe, les lampes des ouvriers.

En haut, l'ouverture du puits lui apparaissait si rétrécie qu'elle semblait n'avoir pas le diamètre du goulot d'une bouteille.

Et il montait toujours, et un à un les fils de chanvre craquaient.

Et nul moyen d'éviter la chute horrible, car, il le voyait, il le sentait bien, le câble serait rompu bien avant que le panier eût atteint le haut.

Telle était son angoisse mortelle, qu'il eut l'idée d'abréger le supplice en se précipitant.

Il hésitait, quand le panier arriva à fleur du sol. Il était sauvé. C'est en poussant un cri formidable qu'il sauta à terre.

Ce cri l'éveilla. L'horrible aventure n'était qu'un songe. Mais il était dans un état affreux, baigné de sueur, respirant à peine, incapable du moindre mouvement.

Enfin, il put sonner et on vint à son secours. Mais les gens de l'auberge refusaient presque de le reconnaître. Ses cheveux noirs étaient devenus gris.

Sur le pied de son lit se trouvait, esquissé par lui, le plan de cette mine qu'il ne connaissait pas. Ce plan était merveilleux d'exactitude. »

Nous n'avons d'autre garant de l'authenticité de ce fait que le récit ci-dessus ; sans rien préjuger à ce sujet, nous dirons que tout ce qu'il relate est dans les choses possibles. Le plan de la mine, tracé par l'ingénieur pendant son sommeil, n'est pas plus surprenant que les travaux qu'exécutent certains somnambules.

Pour le faire exact, il a dû voir ; puisqu'il n'a pu voir par les yeux du corps, il a vu par ceux de l'âme ; pendant son sommeil, son Esprit a exploré la mine : le plan en est la preuve matérielle. Quant au danger, il est évident qu'il n'y a rien eu de réel ; ce n'était donc qu'un cauchemar. Ce qui est plus singulier, c'est que, sous l'impression d'un danger imaginaire, ses cheveux aient pu blanchir.

Ce phénomène s'explique par les liens fluidiques qui transmettent au corps les impressions de l'âme, alors que celle-ci en est éloignée. L'âme ne se rendait pas compte de cette séparation ; son corps périsprital lui faisait l'effet de son corps matériel, ainsi que cela arrive souvent après la mort chez certains Esprits qui se croient encore vivants, et se figurent vaquer à leurs occupations habituelles. L'Esprit de l'ingénieur, quoique vivant, se trouvait dans une situation analogue ; tout était aussi réel dans sa pensée que s'il avait eu son corps de chair et d'os. De là le sentiment de frayeur qu'il a éprouvé en se voyant prêt à être précipité dans l'abîme.

D'où est venue cette image fantastique ? Il a créé lui-même, par sa pensée, un tableau fluidique, une scène dont il était l'acteur, exactement comme madame Cantianille et la sœur Elmérich dont nous avons parlé dans le précédent numéro, p. 240. La différence provient de la nature des préoccupations habituelles. L'ingénieur pensait naturellement aux mines, tandis que madame Cantianille, dans son couvent, pensait à l'enfer. Elle se croyait sans doute en état de péché mortel pour quelque infraction à la règle commise à l'instigation des démons ; elle s'en exagérait les conséquences et se voyait déjà en leur pouvoir, ces paroles : « Je n'ai que trop bien réussi à mériter leur confiance, » prouvent que sa conscience n'était pas tranquille. Du reste, la peinture qu'elle fait de l'enfer a quelque chose de séduisant pour certaines personnes, puisque ceux qui consentent à blasphémer Dieu, à louer le diable, et qui ont le courage de braver la peur des flammes, en sont récompensés par des jouissances tout à fait mondaines. On a pu remarquer, dans ce tableau, un reflet des épreuves maçonniques, qu'on lui avait sans doute montrées comme le vestibule de l'enfer. Quant à la sœur Elmérich, ses préoccupations sont plus douces ; elle se complaît dans la béatitude et dans la vénération des choses saintes ; aussi ses visions en sont-elles la reproduction.

Dans la vision de l'ingénieur, il y a donc deux parties distinctes : l'une réelle et positive, constatée par l'exactitude du plan de la mine ; l'autre purement fantastique : celle du danger qu'il a couru. Celle-ci est peut-être l'effet du souvenir d'un accident réel de cette nature dont il aurait été victime dans sa précédente existence. Elle a pu être provoquée comme avertissement d'avoir à prendre les précautions voulues. Étant chargé de la direction de la mine, après une semblable alerte, il n'aura eu garde de négliger les mesures de prudence.

Voici un exemple de l'impression qu'on peut conserver des sensations éprouvées dans une autre existence. Nous ne savons si nous l'avons déjà cité quelque part ; n'ayant pas le temps de le rechercher, nous le rappelons, au risque de faire une répétition, parce qu'il vient à l'appui de ce que nous venons de dire.

Une dame de notre connaissance personnelle avait été élevée dans un pensionnat de Rouen. Lorsque les élèves sortaient pour aller soit à l'église, soit à la promenade, à un certain endroit de la rue elle était prise d'un saisissement et d'une appréhension extraordinaires ; il lui semblait qu'elle allait être précipitée dans un gouffre ; et cela s'est renouvelé chaque fois qu'elle passait en cet endroit, et tout le temps qu'elle fut dans cette pension. Elle avait quitté Rouen depuis plus de vingt ans, et y étant retournée il y a peu d'années, elle eut la curiosité d'aller revoir la maison qu'elle avait habitée, et en passant par la même rue, elle éprouva la même sensation. Plus tard, cette dame était devenue Spirite, ce fait lui revenant en mémoire, elle en demanda l'explication, et il lui fut répondu que, jadis, en cet endroit, se trouvaient des remparts avec de profonds fossés remplis d'eau ; qu'elle faisait partie d'une troupe de femmes qui concoururent à la défense de la ville contre les Anglais, et que toutes furent précipitées dans ces fossés où elles périrent. Ce fait est rapporté dans l'histoire de Rouen.

Ainsi, après plusieurs siècles, la terrible impression de cette catastrophe ne s'était pas encore effacée de son Esprit. Si elle n'avait plus le même corps charnel, elle avait toujours le même corps fluidique ou périsprital qui avait reçu la première impression, et réagissait sur son corps actuel. Un rêve aurait donc pu lui en retracer l'image, et produire une émotion semblable à celle de l'ingénieur.

Que de choses nous explique le grand principe de la perpétuité de l'Esprit, et du lien qui unit l'Esprit à la matière ! Jamais, peut-être, les journaux, tout en niant le Spiritisme, n'ont rapporté autant de faits à l'appui des vérités qu'il proclame.

Variétés

Médiumnité voyante chez les enfants

Un de nos correspondants nous écrit de Caen :

« J'étais dernièrement à l'hôtel Saint-Pierre, à Caen ; je prenais un verre de bière en lisant un journal. La petite fille de la maison, je crois, de quatre ans environ, était assise sur un escalier et mangeait des cerises. Elle ne s'apercevait pas que je la voyais et paraissait tout entière à une conversation avec des êtres invisibles auxquels elle offrait des cerises ; tout l'indiquait ; sa physionomie, ses gestes, les inflexions de sa voix. Tantôt elle se retournait brusquement en disant : Toi, tu n'en auras pas ; tu n'es pas gentille. ‑ Voici pour toi, disait-elle à une autre. ‑ Qu'est-ce que tu me jettes donc ? disait-elle à une troisième. On l'eût dit entourée d'autres enfants ; tantôt elle se levait, tendait les mains en offrant ce qu'elle avait ; tantôt ses yeux suivaient des objets invisibles pour moi, qui l'attristaient ou la faisaient rire aux éclats. Cette petite scène dura plus d'une demi-heure, et l'entretien ne cessa que lorsque l'enfant s'aperçut que je l'observais. Je sais que souvent les enfants s'amusent à des apartés de ce genre, mais ici c'était tout différent ; la figure et les manières reflétaient des impressions réelles qui n'étaient pas celles d'un jeu joué. Je pensais que c'était sans doute un médium voyant en herbe, et me disais que si toutes les mères de famille étaient initiées aux lois du Spiritisme, elles y puiseraient de nombreux cas d'observations, et s'expliqueraient bien des faits qui passent inaperçus, et dont la connaissance leur serait utile pour la direction de leurs enfants. »

Il est fâcheux que notre correspondant n'ait pas eu l'idée de questionner cette petite fille sur les personnes avec lesquelles elle causait ; il aurait pu s'assurer si cette conversation avait réellement lieu avec des êtres invisibles ; et dans ce cas, il aurait pu en ressortir une instruction d'autant plus importante que notre correspondant étant un Spirite très éclairé pouvait diriger utilement ces questions. Quoi qu'il en soit, beaucoup d'autres faits prouvent que la médiumnité voyante est très commune, si même elle n'est générale chez les enfants, et cela est providentiel ; au sortir de la vie spirituelle, les guides de l'enfant, viennent le conduire au port d'embarquement pour le monde terrestre, comme ils viennent le chercher à son retour. Ils se montrent à lui dans les premiers temps, afin qu'il n'y ait pas transition trop brusque ; puis ils s'effacent peu à peu, à mesure que l'enfant grandissant peut agir en vertu de son libre arbitre. Ils le laissent alors à ses propres forces en disparaissant à ses yeux, mais sans le perdre de vue. La petite fille en question, au lieu d'être, comme le pense notre correspondant, un médium voyant en herbe, pourrait bien en être un sur son déclin, et ne plus jouir de cette faculté le reste de sa vie. (Voy. Revue de février 1865, page 42 : des Esprits instructeurs de l'enfance.)



Allan Kardec




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