REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Mai

Dieu est partout

Comment Dieu si grand, si puisant, si supérieur à tout, peut-il s'immiscer dans des détails infimes, se préoccuper des moindres actes et des moindres pensées de chaque individu ? Telle est la question que l'on se pose souvent.

Dans leur état actuel d'infériorité, les hommes ne peuvent que difficilement comprendre Dieu infini, parce qu'ils sont eux-mêmes bornés et limités, c'est pourquoi ils se le figurent borné et limité comme eux ; ils se le représentent comme un être circonscrit, et s'en font une image à leur image. Nos tableaux qui le peignent sous des traits humains ne contribuent pas peu à entretenir cette erreur dans l'esprit des masses, qui adorent en lui la forme plus que la pensée. C'est pour le plus grand nombre un souverain puissant, sur un trône inaccessible, perdu dans l'immensité des cieux, et parce que leurs facultés et leurs perceptions sont bornées, ils ne comprennent pas que Dieu puisse ou daigne intervenir directement dans les plus petites choses.

Dans l'impuissance où est l'homme de comprendre l'essence même de la divinité, il ne peut s'en faire qu'une idée approximative à l'aide de comparaisons nécessairement très imparfaites, mais qui peuvent du moins lui montrer la possibilité de ce qui, au premier abord, lui semble impossible.

Supposons un fluide assez subtil pour pénétrer tous les corps, il est évident que chaque molécule de ce fluide produira sur chaque molécule de la matière avec laquelle elle est en contact une action identique à celle que produirait la totalité du fluide. C'est ce que la chimie nous montre à chaque pas.

Ce fluide, étant inintelligent, agit mécaniquement par les seules forces matérielles ; mais si nous supposons ce fluide doué d'intelligence, de facultés perceptives et sensitives, il agira, non plus aveuglément, mais avec discernement, avec volonté et liberté ; il verra, entendra et sentira.

Les propriétés du fluide périsprital peuvent nous en donner une idée. Il n'est point intelligent par lui-même puisqu'il est matière, mais il est le véhicule de la pensée, des sensations et des perceptions de l'esprit ; c'est par suite de la subtilité de ce fluide que les Esprits pénètrent partout, qu'ils scrutent nos pensées, qu'ils voient et agissent à distance ; c'est à ce fluide, arrivé à un certain degré d'épuration, que les Esprits supérieurs doivent le don d'ubiquité ; il suffit d'un rayon de leur pensée dirigé sur divers points, pour qu'ils puissent y manifester leur présence simultanément. L'extension de cette faculté est subordonnée au degré d'élévation et d'épuration de l'Esprit.

Mais les Esprits, quelque élevés qu'ils soient, sont des créatures bornées dans leurs facultés, leur puissance et l'étendue de leurs perceptions ne sauraient, sous ce rapport, approcher de Dieu ; cependant ils peuvent nous servir de point de comparaison. Ce que l'Esprit ne peut accomplir que dans une limite restreinte, Dieu, qui est infini, l'accomplit dans des proportions infinies. Il y a encore cette différence que l'action de l'Esprit est momentanée et subordonnée aux circonstances : celle de Dieu est permanente ; la pensée de l'Esprit n'embrasse qu'un temps et un espace circonscrits : celle de Dieu embrasse l'univers et l'éternité. En un mot, entre les Esprits et Dieu, il y a la distance du fini à l'infini.

Le fluide périsprital n'est pas la pensée de l'Esprit, mais l'agent et l'intermédiaire de cette pensée ; comme c'est le fluide qui la transmet, il en est en quelque sorte imprégné, et dans l'impossibilité où nous sommes d'isoler la pensée, elle semble ne faire qu'un avec le fluide, comme le son semble ne faire qu'un avec l'air, de sorte que nous pouvons, pour ainsi dire, la matérialiser. De même que nous disons que l'air devient sonore, nous pourrions, en prenant l'effet pour la cause, dire que le fluide devient intelligent.

Qu'il en soit ou non ainsi de la pensée de Dieu, c'est-à-dire qu'elle agisse directement ou par l'intermédiaire d'un fluide, pour la facilité de notre intelligence, représentons-nous cette pensée sous la forme concrète d'un fluide intelligent remplissant l'univers infini, pénétrant toutes les parties de la création : la nature entière est plongée dans le fluide divin ; tout est soumis à son action intelligente, à sa prévoyance, à sa sollicitude ; pas un être, quelque infime qu'il soit, qui n'en soit en quelque sorte saturé.

Nous sommes ainsi constamment en présence de la divinité ; il n'est pas une seule de nos actions que nous puissions soustraire à son regard ; notre pensée est en contact avec sa pensée, et c'est avec raison qu'on dit que Dieu lit dans les plus profonds replis de notre cœur ; nous sommes en lui comme il est en nous, selon la parole du Christ. Pour étendre sa sollicitude sur les plus petites créatures, il n'a donc pas besoin de plonger son regard du haut de l'immensité, ni de quitter le séjour de sa gloire, car ce séjour est partout ; nos prières, pour être entendues de lui, n'ont pas besoin de franchir l'espace, ni d'être dites d'une voix retentissante, car, sans cesse pénétrés par lui, nos pensées se répercutent en lui.

L'image d'un fluide intelligent universel n'est évidemment qu'une comparaison, mais propre à donner une idée plus juste de Dieu que les tableaux qui le représentent sous la figure d'un vieillard à longue barbe, drapé dans un manteau. Nous ne pouvons prendre nos points de comparaison que dans les choses que nous connaissons ; c'est pour cela qu'on dit tous les jours : L'œil de Dieu, la main de Dieu, la voix de Dieu, le souffle de Dieu, la face de Dieu. Dans l'enfance de l'humanité, l'homme prend ces comparaisons à la lettre ; plus tard, son esprit, plus apte à saisir les abstractions, spiritualise les idées matérielles. Celle d'un fluide universel intelligent, pénétrant tout, comme serait le fluide lumineux, le fluide calorique, le fluide électrique ou tous autres, s'ils étaient intelligents, a pour objet de faire comprendre la possibilité pour Dieu d'être partout, de s'occuper de tout, de veiller sur le brin d'herbe comme sur les mondes. Entre lui et nous la distance est supprimée ; nous comprenons sa présence, et cette pensée, lorsque nous nous adressons à lui, augmente notre confiance, car nous ne pouvons plus dire que Dieu est trop loin et trop grand pour s'occuper de nous. Mais cette pensée, si consolante pour l'humble et l'homme de bien, est trop terrifiante pour le méchant et l'orgueilleux endurcis, qui espéraient se soustraire à lui à la faveur de la distance, et qui, désormais, se sentiront sous les étreintes de sa puissance.

Rien n'empêche d'admettre, pour le principe de souveraine intelligence, un centre d'action, un foyer principal rayonnant sans cesse, inondant l'univers de ses effluves, comme le soleil de sa lumière. Mais où est-il ce foyer ? Il est probable qu'il n'est pas plus fixé sur un point déterminé que ne l'est son action. Si de simples Esprits ont le don d'ubiquité, cette faculté en Dieu doit être sans limites. Dieu remplissant l'univers, on pourrait admettre, à titre d'hypothèse, que ce foyer n'a pas besoin de se transporter, et qu'il se forme sur tous les points où sa souveraine volonté juge à propos de se produire, d'où l'on pourrait dire qu'il est partout et nulle part.

Devant ces problèmes insondables, notre raison doit s'humilier. Dieu existe : nous n'en saurions douter ; il est infiniment juste et bon : c'est son essence ; sa sollicitude s'étend à tout : nous le comprenons maintenant ; sans cesse en contact avec lui, nous pouvons le prier avec la certitude d'en être entendu ; il ne peut vouloir que notre bien, c'est pourquoi nous devons avoir confiance en lui. Voilà l'essentiel ; pour le surplus, attendons que nous soyons dignes de le comprendre.

La vue de Dieu

Puisque Dieu est partout, pourquoi ne le voyons-nous pas ? Le verrons-nous en quittant la terre ? Telles sont aussi les questions que l'on se pose journellement. La première est facile à résoudre : nos organes matériels ont des perceptions bornées, qui les rendent impropres la vue de certaines choses, même matérielles. C'est ainsi que certains fluides échappent totalement à notre vue et à nos instruments d'analyse. Nous voyons les effets de la peste et nous ne voyons pas le fluide qui la transporte ; nous voyons les corps se mouvoir sous l'influence de la force de gravitation, et nous ne voyons pas cette force.

Les choses d'essence spirituelle ne peuvent être perçues par des organes matériels ; ce n'est que par la vue spirituelle que nous pouvons voir les Esprits et les choses du monde immatériel ; notre âme seule peut donc avoir la perception de Dieu. Le voit-elle immédiatement après la mort ? C'est ce que les communications d'outre-tombe peuvent seules nous apprendre. Par elles, nous savons que la vue de Dieu n'est le privilège que des âmes les plus épurées, et qu'ainsi bien peu possèdent, en quittant leur enveloppe terrestre, le degré de dématérialisation nécessaire. Quelques comparaisons vulgaires le feront aisément comprendre.

Celui qui est au fond d'une vallée, environné d'une brume épaisse, ne voit pas le soleil ; cependant, à la lumière diffuse, il juge de la présence du soleil. S'il gravit la montagne, à mesure qu'il s'élève le brouillard s'éclaircit, la lumière devient de plus en plus vive, mais il ne voit pas encore le soleil. Quand il commence à l'apercevoir, il est encore voilé, car la moindre vapeur suffit pour en affaiblir l'éclat. Ce n'est qu'après s'être complètement élevé au-dessus de la couche brumeuse, que, se trouvant dans un air parfaitement pur, il le voit dans toute sa splendeur.

Il en est de même de celui dont la tête serait enveloppée de plusieurs voiles ; d'abord, il ne voit rien du tout ; à chaque voile qu'on enlève, il distingue une lueur de plus en plus claire ; ce n'est que lorsque le dernier voile a disparu qu'il perçoit nettement les choses.

Il en est encore de même d'une liqueur chargée de matières étrangères ; elle est trouble d'abord ; à chaque distillation sa transparence augmente, jusqu'à ce qu'étant complètement épurée, elle acquiert une limpidité parfaite et ne présente aucun obstacle à la vue.

Ainsi en est-il de l'âme. L'enveloppe périspritale, bien qu'invisible et impalpable pour nous, est pour elle une véritable matière, trop grossière encore pour certaines perceptions. Cette enveloppe se spiritualise à mesure que l'âme s'élève en moralité. Les imperfections de l'âme sont comme des voiles qui obscurcissent sa vue ; chaque imperfection dont elle se défait est un voile de moins, mais ce n'est qu'après s'être complètement épurée qu'elle jouit de la plénitude de ses facultés.

Dieu, étant l'essence divine par excellence, ne peut être perçu dans tout son éclat que par les Esprits arrivés au plus haut degré de dématérialisation. Si les Esprits imparfaits ne le voient pas, ce n'est pas qu'ils en soient plus éloignés que les autres ; comme eux, comme tous les êtres de la nature, ils sont plongés dans le fluide divin ; comme nous le sommes dans la lumière, les aveugles aussi sont plongés dans la lumière, et cependant ils ne la voient pas. Les imperfections sont des voiles qui dérobent Dieu à la vue des Esprits inférieurs ; quand le brouillard sera dissipé, ils le verront resplendir : pour cela, ils n'auront besoin, ni de monter, ni d'aller le chercher dans les profondeurs de l'infini ; la vie spirituelle étant débarrassée des taies morales qui l'obscurcissaient, ils le verront en quelque lieu qu'ils se trouvent, fût-ce même sur la terre, car il est partout.

L'Esprit ne s'épure qu'à la longue, et les différentes incarnations sont les alambics au fond desquels il laisse à chaque fois quelques impuretés. En quittant son enveloppe corporelle, il ne se dépouille pas instantanément de ses imperfections ; c'est pourquoi il en est qui, après la mort, ne voient pas plus Dieu que de leur vivant ; mais, à mesure qu'ils s'épurent, ils en ont une intuition plus distincte ; s'ils ne le voient pas, ils le comprennent mieux ; la lumière est moins diffuse. Lors donc que des Esprits disent que Dieu leur défend de répondre à telle question, ce n'est pas que Dieu leur apparaisse ou leur adresse la parole pour leur prescrire ou leur interdire telle ou telle chose. Non ; mais ils le sentent, ils reçoivent les effluves de sa pensée, comme cela nous arrive à l'égard des Esprits qui nous enveloppent de leur fluide, quoique nous ne les voyions pas.

Aucun homme ne peut donc voir Dieu avec les yeux de la chair. Si cette faveur était accordée à quelques-uns, ce ne serait qu'à l'état d'extase, alors que l'âme est autant dégagée des liens de la matière que cela est possible pendant l'incarnation.

Un tel privilège ne serait d'ailleurs que celui des âmes d'élite, incarnées en mission et non en expiation. Mais comme les Esprits de l'ordre le plus élevé resplendissent d'un éclat éblouissant, il se peut que des Esprits moins élevés, incarnés ou désincarnés, frappés de la splendeur qui les entoure, aient cru voir Dieu lui-même. Tel on voit parfois un ministre pris pour son souverain.

Sous quelle apparence Dieu se présente-t-il à ceux qui se sont rendus dignes de cette faveur ? Est-ce sous une forme quelconque ? Sous une figure humaine, ou comme un foyer resplendissant de lumière ? C'est ce que le langage humain est impuissant à décrire parce qu'il n'existe pour nous aucun point de comparaison qui puisse en donner une idée ; nous sommes comme des aveugles à qui l'on chercherait en vain à faire comprendre l'éclat du soleil. Notre vocabulaire est borné à nos besoins et au cercle de nos idées ; celui des sauvages ne saurait dépeindre les merveilles de la civilisation ; celui des peuples les plus civilisés est trop pauvre pour décrire les splendeurs des cieux, notre intelligence trop bornée pour les comprendre, et notre vue trop faible en serait éblouie.

Une résurrection

La Concorde, journal de Versailles, du 22 février 1866, relate l'épisode suivant d'un récit publié en feuilleton sous le titre de : En Corse, croquis à la plume.

Une jeune fille avait une vieille tante qui lui servait de mère, et à laquelle elle portait une tendresse filiale. La tante tomba malade et mourut. On éloigna la jeune fille, mais celle-ci se tint à la porte de la chambre mortuaire, pleurant et priant. Tout à coup elle croit entendre un faible cri et comme un gémissement sourd ; elle ouvre précipitamment la porte et voit sa tante qui avait écarté le drap dont on l'avait recouverte, et qui lui faisait signe d'approcher. Elle lui dit alors d'une voix éteinte et en faisant un effort suprême : « Saveria, j'étais morte tout à l'heure,… oui, morte… J'ai vu le Seigneur… Il m'a permis de revenir un instant sur cette terre, pour que je puisse te faire un dernier adieu, une dernière recommandation. »

Alors elle lui renouvela un conseil très important qu'elle lui avait donné quelques jours auparavant, et dont dépendait son avenir. Il s'agissait de garder un secret absolu sur un fait dont la divulgation devait entraîner une de ces terribles vengeances si communes dans ce pays. Sa nièce lui ayant promis de se conformer à sa volonté, elle ajouta : « Je puis mourir maintenant, car Dieu te protégera comme il me protége à cette heure, puisque je n'emporterai pas en m'en allant le regret de laisser derrière moi une vengeance à assouvir dans un sillon de sang et de malédictions… Adieu, ma pauvre enfant, je te bénis. » Après ces paroles, elle expira.

Un de nos correspondants, qui connaît personnellement l'auteur, lui demanda si son récit était un conte puisé dans son imagination. « Non, répondit celui-ci, c'est l'exacte vérité. Je tiens le fait de la bouche même de Saveria, alors que j'étais en Corse ; j'ai cité ses propres paroles, et encore ai-je omis certains détails, dans la crainte qu'on ne m'accusât d'exagération. »

Les faits de cette nature ne sont pas sans exemple ; nous en avons cité un très remarquable dans la Revue d'août 1863, page 251, sous le titre de : M. Cardon, médecin. Ils sont la preuve évidente de l'existence et de l'indépendance de l'âme ; car, si le principe intelligent était inhérent à la matière, il s'éteindrait avec elle. La question est de savoir si, par un acte de la volonté, l'âme peut rentrer momentanément en possession du corps qu'elle vient de quitter.

Il ne faut pas assimiler le fait ci-dessus, ni celui du médecin Cardon, à l'état léthargique. La léthargie est une suspension accidentelle de la sensibilité nerveuse et du mouvement qui offre l'image de la mort, mais qui n'est pas la mort, puisqu'il n'y a pas décomposition, et que des léthargiques ont vécu de longues années après leur réveil. La vitalité, pour être latente, n'en est pas moins dans toute sa force, et l'âme n'est pas plus détachée du corps que dans le sommeil ordinaire. Dans la mort véritable, au contraire, la matière se désorganise, la vitalité s'éteint, le périsprit se sépare ; le travail de la dissolution commence avant même que la mort ne soit accomplie. Tant qu'elle n'est pas consommée, il peut y avoir des retours passagers à la vie, comme ceux que nous avons cités, mais toujours de courte durée, attendu que la volonté peut bien retarder de quelques instants la séparation définitive du périsprit, mais qu'elle est impuissante à arrêter le travail de la dissolution, quand le moment est venu. Quelles que soient les apparences extérieures, on peut dire que, toutes les fois qu'il y a retour à la vie, c'est qu'il n'y a pas mort dans l'acception pathologique du mot. Lorsque la mort est complète, ces retours sont impossibles, les lois physiologiques s'y opposent.

Dans la circonstance dont nous parlons, on pouvait donc rationnellement admettre que la mort n'était pas consommée. Le fait ayant été rapporté à la Société de Paris, le guide d'un de nos médiums habitués en donna l'explication suivante, que nous reproduisons sous toute réserve, comme une chose possible, mais non matériellement prouvée, et à titre d'observation.



Société spirite de Paris, 2 mars 1866. – Médium, M. Morin.

Dans le cas qui fait le sujet de votre discussion, il y a un fait positif, celui de la morte qui a parlé à sa nièce. Il reste à savoir si ce fait est du domaine matériel, c'est-à-dire s'il y a eu retour momentané à la vie corporelle, ou s'il est de l'ordre spirituel ; c'est cette dernière hypothèse qui est la vraie, car la vieille femme était bien réellement morte. Voici ce qui s'est passé.

La jeune fille, agenouillée au seuil mortuaire, a subi une impulsion irrésistible qui l'a poussée auprès du lit de sa tante, qui, comme je l'ai dit, était bien morte. C'est l'ardente volonté de l'Esprit de cette femme qui a provoqué le phénomène. Se sentant mourir sans pouvoir faire la recommandation si vivement désirée, elle a demandé à Dieu, dans une dernière et suprême prière, de pouvoir dire à sa nièce ce qu'elle désirait lui dire. La séparation étant déjà faite, le fluide périsprital, encore imprégné de son désir, enveloppa la jeune fille et l'entraîna vers sa dépouille. Là, par une permission de Dieu, elle devint médium voyant et auditif ; elle vit et entendit sa tante, parlant et agissant, non avec son corps, mais bien au moyen de son périsprit encore adhérent au corps ; de sorte qu'il y a eu vision et audition spirituelles et non matérielles.

La recommandation de la tante, faite dans un pareil moment et dans des circonstances qui avaient l'air d'une résurrection, devait impressionner plus vivement la jeune fille, et lui en faire mieux comprendre toute l'importance. Bien qu'elle la lui eût déjà faite de son vivant, elle voulait emporter la certitude que sa nièce s'y conformerait, pour éviter les malheurs qui seraient résultés d'une indiscrétion.Sa volonté n'a pu faire revivre son corps, contrairement aux lois de la nature, mais elle a pu donner à son enveloppe fluidique les apparences de son corps.

Ebelman.



Entretiens d'outre-tombe

L'Abbé Laverdet

M. Laverdet était un des pasteurs de l'Eglise française et le coadjuteur de l'abbé Châtel. C'était un homme d'un grand savoir et jouissant, par l'élévation de son caractère, de l'estime de ceux qui l'ont connu. Il est mort à Paris, au mois de novembre dernier. Un de ses plus intimes amis, M. Monvoisin, l'éminent peintre d'histoire, Spirite fervent, ayant désiré avoir de lui quelques paroles d'outre-tombe, nous pria de le faire évoquer. La communication qu'il a donnée ayant, pour son ami et pour son frère, un cachet incontestable d'identité, nous accédons au désir exprimé par ces deux messieurs en la publiant, et cela d'autant plus volontiers qu'elle est instructive à plus d'un égard.



Société de Paris, 5 janvier 1866. ‑ Médium, M. Desliens.

Évocation. Votre ami, M. Monvoisin, m'a informé de votre mort aujourd'hui, et, quoique nous n'ayons pas eu l'avantage de vous connaître personnellement, nous vous connaissons de réputation pour la part que vous avez prise à la formation de l'Église française. L'estime dont vous jouissiez à juste titre, et l'étude que vous aviez faite du Spiritisme avant de mourir, jointes au désir de votre ami et de votre frère, nous donnent celui de nous entretenir avec vous si Dieu le permet. Nous serons heureux si vous voulez bien nous faire part de vos impressions comme Esprit, soit sur la réforme religieuse à laquelle vous avez travaillé et les causes qui en ont arrêté le progrès, soit sur la doctrine spirite.

Réponse. Cher monsieur, je suis heureux, bien heureux du bon souvenir de mon cher ami M. Monvoisin. Grâce à lui, je puis aujourd'hui, dans cette honorable assemblée, exprimer mon admiration pour l'homme dont les savantes études ont porté le bonheur dans tous les cœurs déshérités et blessés par l'injustice des hommes. Réformateur moi-même, je suis plus que tout autre en position d'apprécier toute la prudence, toute la sagesse de votre conduite, cher monsieur et maître, si vous voulez bien me permettre de vous donner ce titre.

Peu satisfait des tendances générales du clergé orthodoxe, de sa manière parcimonieuse de répandre la lumière due à tous, j'ai voulu, de concert avec l'abbé Châtel, établir sur de nouvelles bases un enseignement, portant le titre de religion, plus en rapport avec les besoins généraux des classes pauvres. Notre but fut louable d'abord, mais notre entreprise péchait par sa base, par son titre, qui était tel qu'on devait venir à nous plutôt pour faire pièce à la religion établie que par conviction intime. Nous le reconnûmes bientôt, mais, trop faciles, nous acceptions avec empressement les enfants que repoussaient d'autres prêtres, faute d'instruction suffisante ou de formalités nécessaires.

Le Spiritisme procède tout autrement ; il est ferme et prudent ; il ne cherche pas le nombre, mais la qualité des adeptes. C'est un enseignement sérieux et non une spéculation.

Notre réforme, qui dès l'abord était complètement désintéressée, fut bientôt considérée, par l'abbé Châtel surtout, comme un moyen de faire fortune. Ce fut là la principale cause de sa ruine. Nous n'avions pas assez d'éléments de résistance, et il faut bien le dire, pas assez d'intrigue, heureusement sans doute, pour mener une telle entreprise à bonne fin. Le premier primat français n'eut pas de successeur. Je n'essayai pas de me poser comme chef d'une secte dont j'avais été un des fondateurs de second ordre, parce qu'en premier lieu je n'approuvais pas toutes les tendances de l'abbé Châtel, tendances que le cher homme a expiées et qu'il expie encore dans le monde des Esprits. D'autre part, ma simplicité y répugnait ; je m'abstins, et j'en suis heureux aujourd'hui.

Lorsqu'on vint me proposer de nouveau de reprendre l'œuvre interrompue, la lecture de vos ouvrages, cher monsieur, avait déjà jeté de profondes racines chez moi. Je compris qu'il s'agissait non-seulement de modifier la forme de l'enseignement, mais aussi l'enseignement lui-même. Par sa nature, notre réforme ne pouvait nécessairement avoir qu'un temps ; fondée sur une idée arrêtée, sur une conception humaine, entièrement développée et bornée à son début, elle devait, même avec toutes chances de succès, se trouver bientôt débordée par les semences progressistes dont nous voyons aujourd'hui la germination.

Le Spiritisme n'a pas ce défaut ; il marche avec le progrès, il est le progrès même et ne saurait être dépassé par celui qu'il précède constamment. Acceptant toutes les idées nouvelles fondées sur la raison et la logique, les développant et en faisant surgir d'inconnues, son avenir est assuré. Permettez-moi, cher monsieur, de vous remercier en particulier du plaisir que j'ai éprouvé à étudier les sages enseignements publiés par vos soins. Mon esprit, troublé par le désir de savoir ce que cachaient tous les mystères de la nature, a été frappé, à leur lecture, de la plus vive lumière.

Je sais que, par modestie, vous repoussez tout éloge personnel ; je sais aussi que ces enseignements ne sont pas votre conception, mais la réunion des instructions de vos guides ; néanmoins, ce n'en est pas moins à votre prudente réserve, à votre habileté à présenter chaque chose en son temps, à votre sage lenteur, à votre modération constante, que le Spiritisme doit, après Dieu et les bons Esprits, de jouir de la considération qu'on lui accorde. Malgré toutes les diatribes, toutes les attaques illogiques et grossières, il n'en est pas moins aujourd'hui une opinion qui fait loi et qui est acceptée par nombre de gens sensés et sérieux, et à l'abri des soupçons. C'est une œuvre d'avenir ; il est sous l'égide du Tout-Puissant, et le concours de tous les hommes supérieurs et intelligents lui sera acquis dès qu'ils connaîtront ses véritables tendances, défigurées par ses adversaires.

Malheureusement le ridicule est une arme puissante en ce pays de progrès ! Quantité de gens éclairés se refusent à étudier certaines idées, même en secret, lorsqu'elles ont été stigmatisées par de plates railleries. Mais il est des choses qui bravent tous les obstacles ; le Spiritisme est de celles-là, et son heure de victoire sonnera bientôt. Il ralliera autour de lui toute la France, toute l'Europe intelligente, et bien sots et bien confus seront ceux qui oseront encore mettre sur le compte de l'imagination des faits reconnus par des intelligences hors ligne.

Quant à mon état personnel, il est présentement satisfaisant ; je ne vous en dirai donc rien ; j'appellerai seulement votre attention et vos prières sur mon ancien collègue, l'abbé Châtel. Priez pour lui. Plus tard, son esprit égaré, mais élevé, pourra vous dicter de sages instructions. Je vous remercie de nouveau de votre bienveillance à mon égard, et me tiens tout à votre disposition, si je puis vous être utile en quoi que ce soit.

L'abbé Laverdet.

Un père insouciant pour ses enfants

Charles-Emmanuel Jean était un artisan bon et doux de caractère, mais adonné à l'ivrognerie dès sa jeunesse. Il avait conçu une vive passion pour une jeune fille de sa connaissance qu'il avait inutilement demandée en mariage ; celle-ci l'avait toujours repoussé, disant qu'elle n'épouserait jamais un ivrogne. Il en épousa une autre dont il eut plusieurs enfants ; mais, absorbé qu'il était par la boisson, il ne se préoccupa en rien ni de leur éducation, ni de leur avenir. Il mourut vers 1823, sans qu'on sût ce qu'il était devenu. L'un de ses fils marcha sur les traces de son père ; il partit pour l'Afrique et l'on n'en entendit plus parler. L'autre était d'une nature toute différente ; sa conduite fut toujours régulière. Entré de très bonne heure en apprentissage, il se fit aimer et estimer de ses patrons comme ouvrier rangé, laborieux, actif et intelligent. Par son travail et ses économies, il se fit une position honorable dans l'industrie, et éleva d'une manière très convenable une nombreuse famille. C'est aujourd'hui un Spirite fervent et dévoué.

Un jour, dans une conversation intime, il nous exprimait le regret de n'avoir pu assurer à ses enfants une fortune indépendante ; nous cherchâmes à rassurer sa conscience en le félicitant, au contraire, sur la manière dont il avait rempli ses devoirs de père. Comme il est bon médium, nous le priâmes de demander une communication, sans faire appel à un Esprit déterminé. Il écrivit :

« C'est moi, Charles-Emmanuel. »

C'est mon père, dit-il ; pauvre père ! Il n'est pas heureux.

L'Esprit continue : Oui, le maître a raison ; tu as plus fait pour tes enfants que je n'ai fait pour toi ; aussi ai-je une tâche rude à remplir. Bénis Dieu, qui t'a donné l'amour de la famille.

Demande (par M. Allan Kardec). D'où vous venait votre penchant à l'ivrognerie ? ‑ Réponse. Une habitude de mon père, dont j'ai hérité ; c'était une épreuve que j'aurais dû combattre.

Remarque. Son père avait, en effet, le même défaut, mais il n'est pas exact de dire que c'était une habitude dont il avait hérité ; il a tout simplement cédé à l'influence du mauvais exemple. On n'hérite pas des vices de caractère, comme on hérite des vices de conformation ; le libre arbitre peut tout sur les premiers, et ne peut rien sur les seconds.

D. Quelle est votre position actuelle dans le monde des Esprits ? ‑ R. Je suis sans cesse à chercher mes enfants et celle qui m'a tant fait souffrir ; celle qui m'a toujours repoussé.

D. Vous devez avoir une consolation dans votre fils Jean, qui est un homme honoré et estimé, et qui prie pour vous, quoique vous vous soyez peu occupé de lui ? ‑ R. Oui, je le sais, il l'a fait, et il le fait encore ; c'est pourquoi il m'est permis de vous parler. Je suis toujours près de lui à tâcher de soulager ses fatigues ; c'est ma mission ; elle ne finira qu'à la venue de mon fils parmi nous.

D. Dans quelle situation vous êtes-vous trouvé comme Esprit, après votre mort ? ‑ R. D'abord je ne me croyais pas mort ; je buvais sans cesse ; je voyais Antoinette, que je voulais atteindre et qui me fuyait. Puis, je cherchais mes enfants, que j'aimais malgré tout, et que ma femme ne voulait point me rendre. Alors je me révoltais en reconnaissant mon néant et mon impuissance, et Dieu m'a condamné à veiller sur mon fils Jean, qui ne mourra jamais par accident, car partout et toujours je le sauve d'une mort violente.

Remarque. En effet, M. Jean a maintes fois échappé, comme par miracle, à des dangers imminents ; il a failli être noyé, être brûlé, être broyé dans les engrenages d'une mécanique, sauter avec une machine à vapeur ; dans sa jeunesse, il a été pendu par accident, et toujours un secours inespéré l'a sauvé au moment le plus critique, ce qui est dû, à ce qu'il paraît à la surveillance exercée par son père.

D. Vous dites que Dieu vous a condamné à veiller à la sécurité de votre fils ; je ne vois pas que ce soit là une punition ; puisque vous l'aimez, ce doit être, au contraire, une satisfaction pour vous. Une foule d'Esprits sont préposés à la garde des incarnés, dont ils sont les protecteurs, et c'est là une tâche qu'ils sont heureux de remplir. ‑ R. Si, maître ; je devais ne point délaisser mes enfants comme je l'ai fait ; alors la loi de justice me condamne à réparer. Je ne le fais point à contrecœur ; je suis heureux de le faire par amour pour mon fils ; mais la douleur qu'il éprouverait dans les accidents dont je le sauve, c'est moi qui la supporte ; s'il devait être percé de dix balles, je ressentirais le mal qu'il endurerait si la chose s'accomplissait. Voilà la punition que je me suis justement attirée en ne remplissant pas auprès de lui mes devoirs de père pendant ma vie.

D. (Par M. Jean.) Voyez-vous mon frère Numa, et pouvez-vous me dire où il est ? (Celui qui était adonné à l'ivrognerie et dont le sort est resté ignoré.) ‑ R. Non, je ne le vois pas, je le cherche. Ta fille Jeanne l'a vu sur les côtes d'Afrique tomber à la mer ; je n'étais pas là pour le secourir ; je ne le pouvais pas.

Remarque. La fille de M. Jean, dans un moment d'extase, l'avait effectivement vu tomber à la mer à l'époque de sa disparition.

La punition de cet Esprit offre cette particularité qu'il ressent les douleurs qu'il est chargé d'épargner à son fils ; on comprend, dès lors, que cette mission soit pénible ; mais, comme il ne s'en plaint pas, qu'il la considère comme une juste réparation, et que cela ne diminue pas son affection pour lui, cette expiation lui est profitable

Souvenirs rétrospectifs d'un Esprit

Communication spontanée. ‑ Tulle, 26 février 1866. ‑ Médium, M. Leymarie

Savez-vous, mes amis, de quel endroit est datée ma communication ? D'une gorge perdue où les maisons ont disputé leurs assises aux difficultés accumulées par la création. Sur le penchant de collines presque à pic, serpentent des rues étagées ou plutôt pendues aux flancs des rochers. Pauvres demeures qui ont abrité bien des générations ; au-dessus des toits se trouvent les jardins où les oiseaux chantent leur prière. Quand les premières fleurs annoncent de beaux jours pleins d'air et de soleil, cette musique semble sortir des couches aériennes, et l'habitant qui tord et travaille le fer, l'usine et son bruit discordant, marient leur rythme aigre et bruyant à l'harmonie des petits artistes du bon Dieu.

Mais au-dessus de ces maisons éclopées, échevelées, originales, disloquées, il y a de hautes montagnes avec une verdure sans pareille ; le promeneur à chaque pas voit s'élargir l'horizon ; les villages, les églises semblent sortir de l'abîme, et ce panorama étrange, sauvage, changeant, se perd dans le lointain, dominé par des montagnes à la tête blanchie par les neiges.

Mais j'oubliais : vous devez sans doute apercevoir un ruban argenté, clair, capricieux, transparent comme un miroir : c'est la Corrèze. Tantôt encaissée entre des rochers, elle est silencieuse et grave ; tantôt elle s'échappe gaie, joyeuse, à travers les prairies, les saules et les peupliers, en offrant sa coupe aux lèvres de nombreux troupeaux, et sa transparence bienfaisante aux ébats des baigneurs ; elle purifie la ville, qu'elle partage gracieusement.

Je l'aime, ce pays, avec ses vieilles demeures, son gigantesque clocher, sa rivière, son bruit, sa couronne de châtaigniers ; je l'aime parce que j'y suis né, parce que tout ce que je rappelle à votre esprit bienveillant fait partie des souvenirs de ma dernière incarnation. Des parents aimés, des amis sincères m'ont toujours entouré de tendres soins ; ils aidèrent à mon avancement spirituel. Parvenu aux grandeurs, je leur devais mes sentiments fraternels ; mes travaux les honoraient, et lorsque je viens comme Esprit visiter la ville de mon enfance, je ne puis m'empêcher de monter au Puy-Saint-Clair, la dernière demeure des citoyens de Tulle, saluer les restes terriens des Esprits aimés.

Étrange fantaisie ! Ce cimetière est à cinq cents pieds au-dessus de la ville ; tout autour l'horizon infini. On est seul entre la nature, ses prestiges et Dieu, le roi de toutes les grandeurs, de toutes les espérances. Nos aïeux avaient-ils voulu rapprocher les morts aimés de leur vraie demeure, pour leur dire : Esprits ! dégagez-vous ! l'air ambiant vous appelle. Sortez resplendissants de votre prison, afin que le spectacle enchanteur de cet horizon immense vous prépare aux merveilles que vous êtes appelés à contempler. S'ils ont eu cette pensée, je l'approuve, car la mort n'est pas si lugubre qu'on veut la dépeindre. N'est-elle pas pour les Spirites la vraie vie, la séparation désirée, la bienvenue de l'exilé dans les groupes de l'erraticité, où il vient étudier, apprendre et se préparer à de nouvelles épreuves ?

Dans quelques années, au lieu de gémir, de se couvrir de noir, ce sera une fête pour les Esprits incarnés que cette séparation, lorsque le mort aura rempli les devoirs spirites dans toute l'acception du mot ; mais on pleurera, on gémira pour le terrien égoïste qui ne pratiqua jamais la charité, la fraternité, toutes les vertus, tous les devoirs si bien précisés dans le Livre des Esprits.

Après avoir parlé des morts, me permettrez-vous de parler des vivants ? Je m'attache beaucoup à toutes les espérances, et mon pays, où il y a tant à faire, mérite bien des vœux sincères.

Le progrès, ce niveleur inflexible, est lent, il est vrai, à s'implanter dans les pays montagneux, mais il sait à temps s'imprégner dans les habitudes, dans les mœurs ; il écarte une à une les oppositions, pour laisser entrevoir enfin des lueurs nouvelles à ces parias du travail, dont le corps, toujours penché sur une terre ingrate, est aussi rude que le tracé des sillons.

La vigoureuse nature de ces braves habitants attend la rédemption spirituelle. Ils ne savent pas ce que c'est que penser, juger sainement et utiliser toutes les ressources de l'esprit ; l'intérêt seul les domine dans toute son âpreté, et la nourriture lourde et commune se prête à cette stérilité de l'esprit. Vivant éloignés du bruit de la politique, des découvertes scientifiques, ils sont comme des bœufs, ignorant leur force, prêts à accepter le joug, et sous le coup de l'aiguillon, ils vont à la messe, au cabaret, au village, non par intérêt, mais par habitude, dormant aux prêches, sautant aux sons discordants d'une musette, poussant des cris insensés, et obéissant brutalement aux mouvements de la chair.

Le prêtre se garde bien de changer ces vieux us et coutumes ; il parle de foi, de mystères, de passion, du diable toujours, et ce mélange incohérent trouve un écho sans harmonie dans les têtes de ces braves gens qui font des vœux, des pèlerinages pieds nus, et se livrent aux coutumes superstitieuses les plus étranges.

Ainsi, quand un enfant est maladif, peu ouvert, manquant d'intelligence, on s'empresse de le porter à un village appelé Saint-Pao (dites Saint-Paul) ; il est d'abord plongé dans une eau privilégiée, mais que l'on paye ; puis on le fait asseoir sur une enclume bénite, et un forgeron, armé d'un lourd marteau, frappe vigoureusement sur l'enclume ; la commotion éprouvée par les coups répétés guérit infailliblement (dit-on) le patient. On appelle cela se faire forger à Saint-Pao. Les femmes qui ont la rate vont aussi se baigner dans l'eau miraculeuse et se faire forger. Jugez par cet exemple sur cent ce qu'est l'enseignement des desservants de ce pays.

Cependant prenez cette brute et parlez-lui intérêt, aussitôt le paysan rusé, prudent comme un sauvage, se défend avec aplomb et déroute les juges les plus fins. Faites un peu de lumière dans son cerveau, apprenez-lui les premiers éléments des sciences, et vous aurez des hommes vrais, forts en santé, des esprits virils et pleins de bonne volonté. Que les chemins de fer croisent ce pays et aussitôt vous aurez un sol plantureux avec du vin, des fruits délicieux, du grain choisi, la truffe parfumée, le marron exquis, le cep ou champignon sans pareil, des bois magnifiques, des mines de charbon inépuisables, du fer, du cuivre, des bestiaux de premier ordre, de l'air, de la verdure, des paysages splendides.

Et lorsque tant d'espérances ne demandent qu'à s'épanouir, lorsque tant d'autres pays sont, comme celui-là, dans une prostration mortelle, désirons que, dans tous les cœurs, dans tous les recoins perdus de ce monde, pénètre le Livre des Esprits. La doctrine qu'il renferme peut seule changer l'esprit des populations, en les arrachant à la pression absurde de ceux qui ignorent les grandes lois de l'erraticité, et qui veulent immobiliser la croyance humaine dans un dédale où ils ont eux-mêmes tant de peine à se reconnaître. Travaillons donc tous avec ardeur à cette rénovation désirée qui doit renverser toutes les barrières, et créer la fin promise à la génération qui nous viendra bientôt.

Baluze.

Remarque. ‑ Le nom de Baluze est connu de nos lecteurs par les excellentes communications qu'il dicte souvent à son compatriote et médium de prédilection, M. Leymarie. C'est pendant un voyage de ce dernier dans son pays qu'il lui a donné la communication ci-dessus. Baluze, savant historiographe, né à Tulle en 1630, mort à Paris en 1718, a publié un grand nombre d'ouvrages estimés ; il fut bibliothécaire de Colbert. Sa biographie (Dictionnaire de Feller) dit « que les gens de lettres regrettèrent en lui un savant profond, et ses amis un homme doux et bienfaisant. » Il y a à Tulle un quai qui porte son nom. M. Leymarie, qui ignorait l'histoire de Saint-Pao, s'en est informé, et a acquis la certitude que ces pratiques superstitieuses sont encore en usage.


Nécrologie - Mort du docteur Cailleux

Président du groupe spirite de Montreuil-sur-Mer.

Le Spiritisme vient de perdre un de ses plus dignes et de ses plus fervents adeptes en la personne de M. le docteur Cailleux, mort le vendredi 20 avril 1866. Nous ne pouvons rendre un plus éclatant hommage à sa mémoire qu'en reproduisant un des articles publiés à ce sujet par le Journal de Montreuil du 5 avril.

« Un homme de bien vient de s'éteindre au milieu de la douleur générale. M. Cailleux, docteur en médecine depuis près de trente ans, membre du Conseil municipal, membre du Bureau de bienfaisance, médecin des pauvres, médecin des épidémies, est mort vendredi dernier, à 7 heures du soir.

Lundi, une foule immense, composée de toutes les classes de la société, le conduisait à sa dernière demeure. Le silence religieux qui régna dans tout le parcours du convoi donnait à cette triste et imposante cérémonie le caractère d'une manifestation publique. Ce simple cercueil, suivi de près de trois mille personnes en pleurs ou plongées dans une douleur muette, eût touché les cœurs les plus durs. C'était toute une ville qui était accourue rendre les derniers devoirs à l'un de ses plus chers habitants ; c'était toute une population qui voulait conduire jusqu'au cimetière celui qui s'était tant de fois sacrifié pour elle.

Les pauvres que M. Cailleux avait si souvent comblés de ses bienfaits ont montré qu'ils avaient un cœur reconnaissant ; un grand nombre d'ouvriers ont enlevé des mains des porteurs le cercueil de leur bienfaiteur et se sont fait une gloire de porter jusqu'au cimetière ce précieux fardeau !…

Les coins du drap étaient tenus par M. Lecomte, 1er adjoint ; M. Cosyn, 1er conseiller municipal ; M. Hacot, membre du Bureau de bienfaisance, et M. Delplanque, médecin et conseiller municipal. ‑ En avant du cortège marchait le Conseil municipal, précédé de M. Emile Delhomel, maire. Dans l'assemblée, on remarquait M. Charbonnier, sous-préfet ; M. Martinet, procureur impérial ; M. le commandant de place, toutes les notabilités de la ville et les médecins des localités voisines.

Un grand nombre de soldats de la garnison, que M. Cailleux avait soignés à l'Hôtel-Dieu, avaient obtenu la faveur d'assister à l'enterrement et s'étaient empressés de venir se mêler à la foule.

Lorsqu'on fut arrivé au cimetière, un ouvrier fendit la foule, et, s'arrêtant devant la tombe, prononça d'une voix émue, au milieu du silence général, ces quelques paroles : « Homme de bien, qui avez été le bienfaiteur des pauvres et qui êtes mort victime de votre sublime dévouement, recevez nos derniers adieux, votre souvenir demeurera éternellement dans nos cœurs. » Après ces paroles, dictées par un sentiment de reconnaissance, la foule s'est retirée dans un recueillement religieux. La tristesse qui régnait sur tous les fronts montrait assez quelle immense perte la ville de Montreuil venait de faire.

M. Cailleux, en effet, avait su, par ses nombreuses qualités, se conquérir l'estime universelle. Toute sa vie n'a été qu'une longue suite d'actes de dévouement ; il a travaillé jusqu'au dernier jour sans vouloir jamais prendre de repos, et, mardi dernier, il alla encore visiter plusieurs malades à la campagne. Quand on lui parlait de son âge avancé et qu'on l'engageait à se reposer de ses nombreuses fatigues, il eût volontiers répondu comme Arnauld : « J'ai l'éternité tout entière pour me reposer. » Chaque heure de sa vie fut consacrée à soigner les malades, à consoler les affligés ; il ne vivait pas pour lui, mais pour ses semblables, et toute son existence peut se résumer en ces trois mots : Charité, Dévouement, Abnégation.

Dans ces derniers temps, lorsque l'épidémie sévit à Étaples et dans les villages des alentours, le docteur Cailleux se mit tout entier au service des malades, il parcourut les villages infestés, visitant les pauvres, soignant les uns, secourant les autres, et ayant des consolations pour tous. Il visita ainsi plus de 800 malades, entrant dans les habitations les plus malsaines, s'asseyant au chevet des moribonds et leur administrant lui-même les remèdes, sans jamais se plaindre, demeurant au contraire d'une humeur toujours égale et d'une gaieté proverbiale. Le malade qui le voyait était déjà à moitié guéri par cette humeur joviale, toujours accompagnée du mot pour rire.

Huit jours avant sa mort, M. Cailleux est allé visiter ses malades de Berck, Lefaux, Camiers et Étaples, puis sa soirée fut consacrée aux malades de la ville : voilà quel était pour lui l'œuvre d'une seule journée !

Tant d'abnégation allait lui être funeste, et il devait être la dernière victime du fléau. Le 29 mars, il commença à ressentir une forte diarrhée… Il allait se reposer quand on le demande pour un malade de la campagne. Malgré des conseils amis, il part en disant : « Je ne veux pas exposer un malade par ma faute ; s'il en mourait, j'en serais cause. Je ne fais qu'accomplir mon devoir. » Quand il revint le soir, par un mauvais temps, de nouveaux symptômes de maladie apparaissaient. Il se mit au lit, le mal augmenta, le lendemain la maladie était déclarée, et vendredi il expirait…

On est effrayé quand on songe aux douleurs terribles que doit ressentir un homme qui connaît sa position, qui se voit mourir. M. Cailleux indiquait lui-même le traitement à suivre à deux de ses confrères accourus auprès de lui pour l'assister. Il savait bien qu'il n'en guérirait pas. « Si le mieux ne se fait pas bientôt sentir, disait-il, dans douze heures je n'existerai plus. » Il se voyait mourir, il sentait la force vitale diminuer et s'éteindre peu à peu, sans pouvoir arrêter cette marche vers la tombe. Ses derniers moments furent calmes et sereins, et je ne saurais mieux appeler cette mort que le repos dans le Seigneur. Beati qui moriuntur in Domino.

Quelques heures avant sa mort, on lui demandait quel remède il fallait employer. « La science humaine, dit-il, a employé tous les remèdes qui sont en son pouvoir, Dieu seul peut maintenant arrêter le mal, il faut se confier en sa divine providence. » ‑ Il se pencha alors sur son lit, et, les yeux fixés vers le ciel, comme s'il eût éprouvé un avant-goût de la béatitude céleste, il expira sans douleur, sans aucun cri, de la mort la plus douce et la plus calme.

« Homme de bien, dont toute la vie ne fut qu'un long dévouement, vous avez travaillé sur cette terre, maintenant vous jouissez de la récompense que Dieu réserve à ceux qui ont toujours observé sa loi. Alors que l'égoïsme coulait à pleins bords sur la terre, vous, vous débordiez d'abnégation et de charité. Visiter les pauvres, secourir les malades, consoler les affligés, voilà quelle fut votre œuvre. Oh ! que de familles vous ont béni ! que de pères à qui vous avez sauvé leurs enfants pendant la dernière épidémie, que d'enfants qui allaient être orphelins et que vous avez ravis au fléau destructeur, que de familles sauvées par votre dévouement sont venues, lundi, de plusieurs lieues pour vous accompagner à votre dernière demeure et pleurer sur votre tombeau.

Votre vie fut toujours pure et sans tache ; votre mort fut héroïque ; soldat de la charité, vous avez succombé en sauvant vos frères de la mort, vous avez péri frappé par le fléau que vous combattiez. Ce glorieux dévouement allait recevoir sa récompense, et bientôt la croix d'honneur, que vous aviez si noblement gagnée, allait briller sur votre poitrine… Mais Dieu avait sur vous d'autres desseins, il vous préparait une récompense plus belle que les récompenses des hommes, il vous préparait le bonheur qu'il réserve à ses fidèles serviteurs. Votre âme s'est envolée dans ces mondes supérieurs où, débarrassée de cette lourde enveloppe matérielle, délivrée de tous les liens qui, sur cette terre, pèsent sur nous, elle jouit maintenant de la perfection et du bonheur qui l'attendaient.

En ce jour de félicité, ne nous oubliez pas, pensez aux nombreux amis que vous laissez sur cette terre et que votre séparation plonge dans une profonde douleur. Fasse le Ciel qu'un jour nous vous retrouvions là-haut pour y jouir d'un bonheur éternel… C'est cette espérance qui nous console et qui nous donnera la force de supporter avec patience votre absence…A.J. »

Pour copie conforme : Jules Duval.

Qu'on me permette, comme complément de cet article, de citer quelques fragments du magnifique discours funèbre prononcé, il y a un an, par Victor Hugo.

(Suit un extrait de ce discours que nous avons publié dans la Revue de février 1865, p. 59.)

Ce ne sont certainement pas des apôtres du néantisme qui écrivent de telles paroles.

La lettre par laquelle on nous informe de cet événement contient le passage suivant :

« M. Cailleux, docteur en médecine, président du groupe spirite de Montreuil, vient de mourir victime de son dévouement pendant le choléra qui a désolé nos contrées. Il est mort en spirite convaincu, et le clergé de la ville a cru devoir, pour cette raison, lui refuser la sépulture ecclésiastique ; mais, comme vous le verrez par le numéro du journal que je vous envoie, toute la population a rendu un solennel hommage à ses vertus. Néanmoins la famille a fait des démarches à l'évêché pour qu'un service funèbre fût chanté à l'église, quoiqu'il n'y ait eu qu'un enterrement civil. On l'a obtenu, et le service a eu lieu le jeudi 5 avril.

Le Spiritisme fait une grande perte par la mort de M. Cailleux, et je suis persuadé que tous mes frères en croyance s'associeront à mes légitimes regrets. Grâce à son dévouement et à son zèle éclairé, la doctrine a fait de si rapides progrès dans nos contrées que dans la ville et les environs on compte plusieurs centaines de spirites.

Le Conseil municipal de la ville de Montreuil a décidé, à l'unanimité, sur la proposition de M. le maire, qu'un monument public serait élevé aux frais de la ville, comme hommage rendu à la mémoire de cet homme de bien. »

On nous a adressé l'extrait suivant d'une communication donnée par lui à ses collègues de Montreuil ; on en a supprimé ce qui a trait à des choses personnelles :

… Vous revenez à ma mort. Eh bien ! elle a été utile à notre cause, en ce sens qu'elle a éveillé l'attention endormie de nombre d'âmes privées de vérité, et par conséquent, de vie. Toute chose qui disparaît laisse toujours un vide dans la place qu'elle occupait ; mais, sachez-le, ce vide n'est qu'apparent, il n'existe que pour vous qui voyez court, car il se trouve comblé d'une autre part. Vous ne perdez donc rien, je le répète, à ma mort ; au contraire, vous y gagnerez beaucoup, non que j'aie fait pendant ma vie corporelle des prodiges de charité propres à mettre en relief la doctrine que nous professions ensemble, mais parce que, fidèle aux principes spirites, j'ai été l'objet de manifestations hostiles qui devaient nécessairement appeler des manifestations contraires. Il n'en est jamais autrement sur la terre : le bien et le mal ne se heurtent-ils pas chaque fois qu'ils se rencontrent ?

Il résulte donc de tout ceci, qu'à l'heure qu'il est vous entrez dans une phase nouvelle que nos bons guides avaient préparée depuis longtemps par leurs enseignements. Mais de décomposition de votre société, ‑ point, ‑ si vous persistez toujours dans les sentiments dont je vous vois animés en ce moment. Savez-vous quelle est ma récompense ? C'est de voir le bonheur relatif que vous éprouvez par la doctrine dont je me suis montré, en toute circonstance, le zélé champion. Il vous est difficile de concevoir une joie plus pure. Que sont, à côté d'elle, les joies grossières de votre monde ? Que sont les honneurs sous lesquels vous cachez les misères de vos âmes ? que sont les plaisirs que vous recherchez pour étourdir vos tristes retours ? qu'est tout cela en comparaison de ce que je ressens ? Rien ! moins qu'une fumée.

Persévérez dans vos sentiments, persévérez-y jusqu'à la mort.

J'ai vu que vous vous proposez de vous organiser régulièrement : c'est une sage mesure ; la faiblesse doit se précautionner toujours contre les embûches et les surprises de l'esprit du mal. Ah ! l'esprit du mal ! ce n'est pas Satan. On le rencontre à chaque pas dans le monde que vous coudoyez. Réglez donc l'ordre de vos séances, de vos évocations, de vos études. Liez-vous les uns aux autres par les liens volontaires de la charité, de la bienveillance et de la soumission. Voilà la meilleure manière de récolter des fruits abondants et doux. »

Voici la première communication qu'il a donnée à la société de Paris :



13 avril 1866. ‑ Médium, M. Morin.

Évocation

Cher et vénéré docteur Cailleux,

Nous avions su, de votre vivant, vous apprécier comme spirite fervent et dévoué ; appelé sans doute par la Providence à implanter la doctrine dans votre contrée, vous en avez tenu le drapeau haut et ferme, bravant sans défaillance les sarcasmes et la persécution ; aussi le succès a couronné vos efforts. Ce n'est pas seulement le frère en croyance que nous venons saluer aujourd'hui à son départ de la terre, c'est l'homme de bien, celui qui non-seulement a prêché le Spiritisme par ses paroles, mais qui a su le faire aimer et respecter par son exemple et la pratique des vertus chrétiennes. Recevez donc ici l'expression de nos plus vives sympathies et l'espoir que vous voudrez bien venir souvent au milieu de nous et vous associer à nos travaux.

Réponse. ‑ Me voici, merci. ‑ Vous parliez tout à l'heure des tendances inhérentes à l'organisme humain. On observe plus spécialement celles qui tiennent des mauvais instincts, parce que les hommes sont toujours portés à se garder de ce qui peut leur être nuisible ou leur causer quelque embarras ; mais les tendances au bien passent souvent inaperçues aux yeux de la société, parce qu'il est beaucoup plus difficile de trouver et de montrer la violette que de rencontrer le Chardon.

Si je commence ainsi, n'en soyez pas surpris. Comme vous le disiez tout à l'heure, l'Esprit est seul responsable de ses actes ; il ne peut s'excuser en attribuant sa faute à Dieu ; non, les bons et les mauvais sentiments sont le résultat d'acquêts antérieurs. De mon vivant, porté d'instinct vers le bien, au soulagement de mes frères en Dieu, je décline l'honneur de toutes vos louanges, car je n'ai pas eu de peine à suivre la voie que me traçait mon cœur ; je n'ai point eu de lutte à soutenir contre les instincts contraires ; je n'ai fait que me laisser aller tout doucement sur la pente de mon goût, qui me disait bien haut : « Marche ! tu es dans la bonne route » ; et la satisfaction morale de tout mon être intelligent était si grande, que j'étais certainement aussi heureux que l'avare qui assouvit sa passion pour l'or en le contemplant et en le caressant. Je vous le répète, je n'ai point de mérite à cet égard ; néanmoins je vous remercie de vos bonnes paroles, qui ne sont pas entendues en vain par ceux à qui elles s'adressent. Si élevés qu'ils soient, les Esprits ressentent toujours du bonheur d'une pensée sympathique.

Je n'ai point tardé à revenir de l'émotion bien naturelle résultant du passage de la vie matérielle à celle des Esprits, mais la conviction profonde d'entrer dans un monde plus vivant m'a aidé à me faire revenir à moi ; je ne puis mieux comparer mon passage de vie à trépas qu'à un évanouissement sans souffrances, sans fatigues. Je me suis réveillé de l'autre côté aux doux attouchements fluidiques de mes chers parents et amis spirituels. J'ai ensuite vu ma pauvre dépouille mortelle, et je l'ai bénie de ses bons et loyaux services ; car, docile à ma volonté, je n'ai eu, de ma vie, de luttes sérieuses à soutenir entre mon Esprit et ma matière ; c'est donc avec joie que j'ai accompagné au champ du repos mon pauvre corps, qui m'avait aidé à empêcher beaucoup de mes co-incarnés de faire ce voyage qu'ils n'envisageaient pas tous comme moi.

Je pardonne à tous ceux qui, de façon ou d'autre, ont cru me faire du mal ; quant à ceux qui ont refusé de prier pour moi dans le temple consacré, je serai plus charitable que la charité qu'ils prêchent : je prie pour eux. C'est ainsi qu'il faut faire, mes bons frères en croyance ; croyez-moi, et pardonnez à ceux qui luttent contre vous, car ils ne savent ce qu'ils font. Docteur Cailleux.



Remarque. ‑ Les premières paroles de cette communication prouvent que l'Esprit était présent et avait assisté aux discussions de la séance. On avait en effet discuté un fait remarquable d'instinct incendiaire précoce chez un enfant de quatre ans et demi, rapporté par le Salut public de Lyon. Ce fait, qui a fourni le sujet d'une étude importante, sera publié dans le prochain numéro.

Remarquons aussi chez M. Cailleux l'absence de tous les préambules ordinaires chez les Esprits qui viennent de quitter la terre. On voit de suite que ce n'est pas un faiseur de phrases ni de compliments. Il dit merci, et pense que ce mot suffit pour faire comprendre sa pensée et qu'on doit s'en contenter ; puis il entre brusquement en matière, comme un homme qui se trouve sur son terrain et ne veut pas perdre son temps en paroles inutiles ; il parle comme s'il n'y avait eu aucune interruption dans son existence : on dirait M. Cailleux de Montreuil venu faire visite à la société de Paris.

S'il décline le mérite de ses actes, c'est certainement par modestie ; ceux qui font le bien sans effort sont arrivés à un degré d'avancement qui le leur rend naturel ; s'ils n'ont plus à lutter aujourd'hui, ils ont lutté dans d'autres circonstances : la victoire est remportée ; ceux qui ont à combattre des tendances mauvaises en sont encore à la lutte ; plus tard, le bien ne leur coûtera aucun effort, ils le feront sans y penser. Pour avoir vaincu plus tôt, le mérite n'en existe pas moins.

Le docteur Cailleux est un de ces hommes qui, comme le docteur Demeure et tant d'autres, honorent la doctrine qu'ils professent, et donnent le plus éclatant démenti aux détracteurs du Spiritisme.





Dissertations spirites

Instruction pour M. Allan Kardec

(Paris, 23 avril 1866. ‑ Médium, M. Desliens.)

La santé de M. Allan Kardec s'affaiblissant de jour en jour par suite de travaux excessifs auxquels il ne peut suffire, je me vois dans la nécessité de lui répéter de nouveau ce que je lui ai déjà dit maintes fois : Vous avez besoin de repos ; les forces humaines ont des bornes que votre désir de voir progresser l'enseignement vous porte souvent à enfreindre ; vous avez tort, car, en agissant ainsi, vous ne hâterez pas la marche de la doctrine, mais vous ruinerez votre santé et vous vous mettrez dans l'impossibilité matérielle d'achever la tâche que vous êtes venu remplir ici-bas. Votre maladie actuelle n'est que le résultat d'une dépense incessante de forces vitales qui ne laisse pas à la réparation le temps de se faire, et d'un échauffement du sang produit pas le manque absolu de repos. Nous vous soutenons, sans doute, mais à la condition que vous ne déferez pas ce que nous faisons. Que sert-il de courir ? Ne vous a-t-on pas dit maintes fois que chaque chose viendrait en son temps et que les Esprits préposés au mouvement des idées sauraient faire surgir des circonstances favorables quand le moment d'agir serait venu ?

Lorsque chaque Spirite recueille ses forces pour la lutte, pensez-vous qu'il soit de votre devoir d'épuiser les vôtres ? – Non ; en tout, vous devez donner l'exemple et votre place sera sur la brèche au moment du danger. Qu'y feriez-vous si votre corps affaibli ne permettait plus à votre esprit de se servir des armes que l'expérience et la révélation vous ont mises entre les mains ? – Croyez-moi, remettez à plus tard les grands ouvrages destinés à compléter l'œuvre ébauchée dans vos premières publications ; vos travaux courants et quelques petites brochures urgentes ont de quoi absorber votre temps, et doivent être les seuls objets de vos préoccupations actuelles.

Je ne vous parle pas seulement en mon propre nom, je suis ici le délégué de tous ces Esprits qui ont contribué si puissamment à la propagation de l'enseignement par leurs sages instructions. Ils vous disent par mon intermédiaire que ce retard que vous pensez nuisible à l'avenir de la doctrine est une mesure nécessaire à plus d'un point de vue, soit parce que certaines questions ne sont pas encore complètement élucidées, soit pour préparer les Esprits à se les mieux assimiler. Il faut que d'autres aient déblayé le terrain, que certaines théories aient prouvé leur insuffisance et fait un plus grand vide. En un mot, le moment n'est pas opportun ; ménagez-vous donc, car lorsqu'il en sera temps, toute votre vigueur de corps et d'esprit vous sera nécessaire. Le Spiritisme a été jusqu'ici l'objet de bien des diatribes, il a soulevé bien des tempêtes ! croyez-vous que tout mouvement soit apaisé, que toutes les haines soient calmées et réduites à l'impuissance ? Détrompez-vous, le creuset épurateur n'a pas encore rejeté toutes les impuretés ; l'avenir vous garde d'autres épreuves et les dernières crises ne seront pas les moins pénibles à supporter.

Je sais que votre position particulière vous suscite une foule de travaux secondaires qui emploient la meilleure partie de votre temps. Les demandes de toutes sortes vous accablent, et vous vous faites un devoir d'y satisfaire autant que possible. Je ferai ici ce que vous n'oseriez sans doute faire vous-même, et, m'adressant à la généralité des Spirites, je les prierai, dans l'intérêt du Spiritisme lui-même, de vous épargner toute surcharge de travail de nature à absorber des instants que vous devez consacrer presque exclusivement à l'achèvement de l'œuvre. Si votre correspondance en souffre un peu, l'enseignement y gagnera. Il est quelquefois nécessaire de sacrifier les satisfactions particulières à l'intérêt général. C'est une mesure urgente que tous les adeptes sincères sauront comprendre et approuver.

L'immense correspondance que vous recevez est pour vous une source précieuse de documents et de renseignements ; elle vous éclaire sur la marche vraie et les progrès réels de la doctrine ; c'est un thermomètre impartial ; vous y puisez en outre des satisfactions morales qui ont plus d'une fois soutenu votre courage en voyant l'adhésion que rencontrent vos idées sur tous les points du globe ; sous ce rapport, la surabondance est un bien et non un inconvénient, mais à la condition de seconder vos travaux et non de les entraver, en vous créant un surcroît d'occupations.

Doct. Demeure.



Bon monsieur Demeure, je vous remercie de vos sages conseils. Grâce à la résolution que j'ai prise de me faire suppléer, sauf les cas exceptionnels, la correspondance courante souffre peu maintenant, et ne souffrira plus à l'avenir ; mais que faire de cet arriéré de plus de cinq cents lettres que, malgré toute ma bonne volonté, je ne puis parvenir là mettre à jour ?

R. Il faut, comme on dit en terme de commerce, les passer en bloc par compte de profits et pertes. En annonçant cette mesure dans la Revue, vos correspondants sauront à quoi s'en tenir ; ils en comprendront la nécessité, et ils la trouveront surtout justifiée par les conseils qui précèdent. Je le répète, il serait impossible que les choses allassent longtemps comme cela ; tout en souffrirait, et votre santé et la doctrine. Il faut, au besoin, savoir faire les sacrifices nécessaires. Tranquille désormais sur ce point, vous pourrez vaquer plus librement à vos travaux obligatoires. Voilà ce que vous conseille celui qui sera toujours votre ami dévoué. Demeure.



Déférant à ce sage conseil, nous prions ceux de nos correspondants avec lesquels nous sommes depuis si longtemps en retard d'agréer nos excuses et nos regrets de n'avoir pu répondre en détail, et comme nous l'aurions désiré, à leurs bienveillantes lettres. Ils voudront bien recevoir ici collectivement l'expression de nos sentiments fraternels.

De l'acquiescement à la prière

Paris, avril 1866. ‑ Médium, madame D…

Vous vous figurez presque toujours que ce que vous demandez dans la prière doit s'accomplir par une sorte de miracle ; cette croyance erronée est la source d'une foule de pratiques superstitieuses et de bien des déceptions. Elle conduit aussi à la négation de l'efficacité de la prière ; de ce que votre demande n'est pas accueillie de la manière que vous l'entendiez, vous en concluez qu'elle était inutile, et alors, parfois, vous murmurez contre la justice de Dieu. D'autres pensent que, Dieu ayant établi des lois éternelles auxquelles tous les êtres sont soumis, il n'y peut déroger pour accéder aux demandes qui lui sont faites. C'est pour vous prémunir contre l'erreur, ou mieux contre l'exagération de ces deux idées que je me propose de vous donner quelques explications sur le mode d'acquiescement à la prière.

Il est une vérité incontestable, c'est que Dieu n'intervertit et ne suspend pour personne le cours des lois qui régissent l'univers ; sans cela, l'ordre de la nature serait incessamment bouleversé par le caprice du premier venu. Il est donc certain que toute prière qui ne pourrait être exaucée que par une dérogation à ces lois demeure sans effet ; telle serait, par exemple, celle qui aurait pour objet le retour à la vie d'un homme véritablement mort, ou le rétablissement de la santé si le désordre de l'organisme est irrémédiable.

Il n'est pas moins certain qu'il n'est donné aucune attention aux demandes futiles ou inconsidérées ; mais soyez persuadés que toute prière pure et désintéressée est écoutée, et qu'il est toujours tenu compte de l'intention, lors même que Dieu, dans sa sagesse, jugerait à propos de n'y pas faire droit ; c'est alors surtout qu'il vous faut faire preuve d'humilité et de soumission à sa volonté, en vous disant qu'il sait mieux que vous ce qui peut vous être utile.

Il y a certainement des lois générales auxquelles l'homme est fatalement soumis ; mais c'est une erreur de croire que les moindres circonstances de la vie sont arrêtées d'avance d'une manière irrévocable ; si cela était, l'homme serait une machine sans initiative, et par conséquent sans responsabilité. Le libre arbitre est une des prérogatives de l'homme ; dès l'instant qu'il est libre d'aller à droite ou à gauche, d'agir selon les circonstances, ses mouvements ne sont pas réglés comme ceux d'une mécanique. Selon qu'il fait ou ne fait pas une chose, et selon qu'il la fait d'une manière ou d'une autre, les événements qui en dépendent suivent un cours différent ; puisqu'ils sont subordonnés à la décision de l'homme, ils ne sont pas soumis à la fatalité. Ceux qui sont fatals sont ceux qui sont indépendants de sa volonté ; mais toutes les fois que l'homme peut réagir en vertu de son libre arbitre, il n'y a pas fatalité.

L'homme a donc un cercle dans lequel il peut se mouvoir librement ; cette liberté d'action a pour limites les lois de la nature, que nul ne peut franchir ; ou pour mieux dire, cette liberté, dans la sphère d'activité où elle s'exerce, fait partie de ces lois ; elle est nécessaire, et c'est par elle que l'homme est appelé à concourir à la marche générale des choses ; et comme il le fait librement, il a le mérite de ce qu'il fait de bien, et le démérite de ce qu'il fait de mal, de sa nonchalance, de sa négligence, de son inactivité. Les fluctuations que sa volonté peut faire subir aux événements de la vie ne troublent donc en aucune façon l'harmonie universelle, ces fluctuations mêmes faisaient partie des épreuves qui incombent à l'homme sur la terre.

Dans la limite des choses qui dépendent de la volonté de l'homme, Dieu peut donc, sans déroger à ses lois, accéder à une prière lorsqu'elle est juste, et que l'accomplissement peut en être utile ; mais il arrive souvent qu'il en juge l'utilité et l'opportunité autrement que nous, c'est pour cela qu'il n'y acquiesce pas toujours. S'il lui plaît de l'exaucer, ce n'est pas en modifiant ses décrets souverains qu'il le fait, mais par des moyens qui ne sortent pas de l'ordre légal, si l'on peut s'exprimer ainsi. Les Esprits, exécuteurs de ses volontés, sont alors chargés de provoquer les circonstances qui doivent amener le résultat désiré. Ce résultat requiert presque toujours le concours de quelque incarné ; c'est donc ce concours que les Esprits préparent en inspirant à ceux qui doivent y coopérer la pensée d'une démarche, en les incitant à se rendre sur un point plutôt que sur un autre, en provoquant des rencontres propices qui semblent dues au hasard ; or, le hasard n'existe pas plus dans l'assistance qu'on reçoit que dans les malheurs qu'on éprouve.

Dans les afflictions, la prière est non-seulement une preuve de confiance et de soumission à la volonté de Dieu, qui l'écoute, si elle est pure et désintéressée, mais elle a encore pour effet, comme vous le savez, d'établir un courant fluidique qui porte au loin, dans l'espace, la pensée de l'affligé, comme l'air porte les accents de sa voix. Cette pensée se répercute dans les cœurs sympathiques à la souffrance, et ceux-ci, par un mouvement inconscient et comme attirés par une puissance magnétique, se dirigent vers le lieu où leur présence peut être utile. Dieu, qui veut secourir celui qui l'implore, pourrait sans doute le faire pur lui-même, instantanément, mais, je l'ai dit, il ne fait pas de miracles, et les choses doivent suivre leur cours naturel ; il veut que les hommes pratiquent la charité en se secourant les uns les autres. Par ses messagers, il porte la plainte où elle peut trouver de l'écho, et là, de bons Esprits soufflent une bonne pensée. Bien que suscitée, la pensée, par cela même que la source en est inconnue, laisse à l'homme toute sa liberté ; rien ne le contraint ; il a, par conséquent, tout le mérite de la spontanéité s'il cède à la voix intime qui fait en lui appel au sentiment du devoir, et tout le démérite si, dominé par une indifférence égoïste, il résiste.

D. Il y a des cas, comme dans un danger imminent, où l'assistance doit être prompte ; comment peut-elle arriver en temps utile, s'il faut attendre le bon vouloir d'un homme, et si ce bon vouloir fait défaut par suite du libre arbitre ? ‑ R. Vous ne devez pas oublier que les anges gardiens, les Esprits protecteurs, dont la mission est de veiller sur ceux qui leur sont confiés, les suivent pour ainsi dire pas à pas. Ils ne peuvent leur épargner les appréhensions des dangers qui font partie de leurs épreuves ; mais si les suites du danger peuvent être évitées, comme ils l'ont prévu d'avance, ils n'ont pas attendu au dernier moment pour préparer les secours. Si, parfois, ils s'adressent aux hommes de mauvaise volonté, c'est en vue de chercher à éveiller en eux de bons sentiments, mais ils ne comptent pas sur eux.

Lorsque, dans une position critique, une personne se trouve, comme à point nommé, pour vous assister, et que vous vous écriez : « C'est la Providence qui l'envoie, » vous dites une vérité plus grande que vous ne le croyez souvent.

S'il y a des cas pressants, d'autres qui le sont moins exigent un certain temps pour amener un concours de circonstances favorables, surtout quand il faut que les Esprits triomphent, par l'inspiration, de l'apathie des gens dont la coopération est nécessaire pour le résultat à obtenir. Ces retards dans l'accomplissement du désir sont des épreuves pour la patience et la résignation ; puis, quand arrive la réalisation de ce que l'on a souhaité, c'est presque toujours par un enchaînement de circonstances si naturelles, que rien absolument ne décèle une intervention occulte, rien n'affecte la plus légère apparence de merveilleux ; les choses semblent s'arranger d'elles-mêmes. Cela doit être ainsi par le double motif que les moyens d'action ne s'écartent pas des lois générales, et, en second lieu, que, si l'assistance des Esprits était trop évidente, l'homme se fierait sur eux et s'habituerait à ne pas compter sur lui-même. Cette assistance doit être comprise de lui par la pensée, par le sens moral, et non par les sens matériels ; sa croyance doit être le résultat de sa foi et de sa confiance en la bonté de Dieu. Malheureusement, parce qu'il n'a pas vu le doigt de Dieu faire pour lui un miracle, il oublie trop souvent Celui à qui il doit son salut pour en glorifier le hasard ; c'est une ingratitude qui, tôt ou tard, reçoit son expiation.

Un Esprit protecteur.

Le Spiritisme oblige

Paris, avril 1866. – Médium, madame B…

Le Spiritisme est une science essentiellement morale ; dès lors ceux qui se disent ses adeptes ne peuvent, sans commettre une inconséquence grave, se soustraire aux obligations qu'il impose.

Ces obligations sont de deux sortes.

La première concerne l'individu qui, aidé des clartés intellectuelles que répand la doctrine, peut mieux comprendre la valeur de chacun de ses actes, mieux sonder tous les replis de sa conscience, mieux apprécier l'infinie bonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive, et, pour lui laisser la possibilité de se relever de ses chutes, lui a donné la longue suite des existences successives à chacune desquelles, en portant la peine de ses fautes passées, il peut acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles forces, lui faisant éviter le mal et pratiquer ce qui est conforme à la justice, à la charité. Que dire de celui qui, ainsi éclairé sur ses devoirs envers Dieu, envers ses frères, reste orgueilleux, cupide, égoïste ? Ne semble-t-il pas que la lumière l'ait aveuglé parce qu'il n'était pas préparé à la recevoir ? Dès lors, il marche dans les ténèbres, bien qu'étant au milieu de la lumière ; il n'est Spirite que de nom. La charité fraternelle de ceux qui voient véritablement doit s'efforcer de le guérir de cette cécité intellectuelle ; mais, pour beaucoup de ceux qui lui ressemblent, il faudra la lumière qu'apporte la tombe, parce que leur cœur est trop attaché aux jouissances matérielles, et que leur esprit n'est pas mûr pour recevoir la vérité. Dans une nouvelle incarnation, ils comprendront que les planètes inférieures comme la terre ne sont qu'une sorte d'école mutuelle où l'âme commence à développer ses facultés, ses aptitudes, pour les appliquer ensuite à l'étude des grands principes d'ordre, de justice d'amour et d'harmonie, qui règlent les rapports des âmes entre elles, et les fonctions qu'elles remplissent dans la direction de l'univers ; ils sentiront qu'appelée à une si haute dignité que celle de devenir messagère du Très-haut, l'âme humaine ne doit pas s'avilir, se dégrader au contact des immondes jouissances de la volupté ; des ignobles convoitises de l'avarice qui retranche à quelques-uns des enfants de Dieu la jouissance des biens qu'il a donnés pour tous ; ils comprendront que l'égoïsme, né de l'orgueil, aveugle l'âme et lui fait violer les droits de la justice, de l'humanité, dès lors engendre tous les maux qui font de la terre un séjour de douleurs et d'expiations. Instruits par les dures leçons de l'adversité, leur esprit sera mûri par la réflexion, et leur cœur, après avoir été broyé par la douleur, deviendra bon et charitable ; c'est ainsi que ce qui nous paraît un mal est quelquefois nécessaire pour ramener les endurcis. Ces pauvres retardataires, régénérés par la souffrance, éclairés de cette lumière intérieure qu'on peut appeler le baptême de l'Esprit, veilleront avec soin sur eux-mêmes, c'est-à-dire sur les mouvements de leur cœur et l'emploi de leurs facultés pour les diriger selon les lois de la justice et de la fraternité. Ils comprendront qu'ils ne sont pas seulement obligés à s'améliorer eux-mêmes, calcul égoïste empêchant d'atteindre le but voulu par Dieu, mais que le second ordre d'obligations du Spirite, découlant nécessairement du premier et le complétant, est celui de l'exemple qui est le meilleur des moyens de propagation et de rénovation.

En effet, celui qui est convaincu de l'excellence des principes qui lui sont enseignés et doivent, s'il y conforme sa conduite, lui procurer un bonheur durable, ne peut, s'il est vraiment animé de cette charité fraternelle qui est dans l'essence même du Spiritisme, que désirer qu'ils soient compris par tous les hommes. De là, l'obligation morale de conformer sa conduite à sa croyance, et d'être un exemple vivant, un modèle, comme Christ le fut pour l'humanité.

Vous, faibles étincelles parties de l'éternel foyer de l'amour divin, vous ne pouvez assurément pas prétendre à un aussi vaste rayonnement que celui du Verbe de Dieu incarné sur la terre, mais, chacun dans votre sphère d'action, vous pouvez répandre les bienfaits du bon exemple ; vous pouvez faire aimer la vertu en l'entourant du charme de cette bienveillance constante qui attire, captive et montre enfin que la pratique du bien est chose facile, qu'elle fait le bonheur intime de la conscience qui s'est rangée sous sa loi, car elle est l'accomplissement de la volonté divine qui nous a fait dire par son Christ : Soyez parfaits parce que votre Père céleste est parfait.

Or, le Spiritisme n'est autre chose que l'application vraie des principes de la morale enseignée par Jésus, car ce n'est que dans le but de la faire comprendre à tous, afin que, par elle, tous progressent plus rapidement, que Dieu permet cette universelle manifestation de l'Esprit venant vous expliquer ce qui vous paraissait obscur et vous enseigner toute vérité. Il vient, comme le christianisme bien compris, montrer à l'homme l'absolue nécessité de sa rénovation intérieure par les conséquences mêmes qui résultent de chacun de ses actes, de chacune de ses pensées ; car aucune émanation fluidique, bonne ou mauvaise, ne s'échappe du cœur ou du cerveau de l'homme sans laisser, quelque part, une empreinte ; le monde invisible qui vous environne est pour vous ce Livre de vie où tout s'inscrit avec une incroyable fidélité, et la Balance de la justice divine n'est autre qu'une figure exprimant que chacun de vos actes, chacun de vos sentiments est, en quelque sorte, le poids qui charge votre âme et l'empêche de s'élever, ou celui qui amène l'équilibre entre le bien et le mal.

Heureux celui dont les sentiments partent d'un cœur pur ; il répand autour de lui comme une suave atmosphère qui fait aimer la vertu et attire les bons Esprits ; sa puissance de rayonnement est d'autant plus grande qu'il est plus humble, dès lors plus dégagé des influences matérielles qui attirent l'âme et l'empêchent de progresser.

Les obligations qu'impose le Spiritisme sont donc d'une nature essentiellement morale, elles sont une conséquence de la croyance ; chacun est juge et partie dans sa propre cause ; mais les clartés intellectuelles qu'il apporte à celui qui veut véritablement se connaître soi-même et travailler à son amélioration sont telles qu'elles effraient les pusillanimes, et c'est pourquoi il est rejeté par un si grand nombre. D'autres tâchent de concilier la réforme que leur raison leur démontre être une nécessité, avec les exigences de la société actuelle. De là, un mélange hétérogène, un manque d'unité qui fait de l'époque actuelle un état transitoire ; il est si difficile à votre pauvre nature corporelle de se dépouiller de ses imperfections pour revêtir l'homme nouveau, c'est-à-dire l'homme vivant suivant les principes de justice et d'harmonie voulus par Dieu. Avec des efforts persévérants, vous y arriverez néanmoins, car les obligations que s'impose la conscience, lorsqu'elle est suffisamment éclairée, ont plus de force que n'en auront jamais les lois humaines basées sur la contrainte d'un obscurantisme religieux ne pouvant supporter l'examen ; mais si, grâce aux lumières d'en haut, vous êtes plus instruits et comprenez davantage, vous devez aussi être plus tolérants et n'employer, comme moyen de propagation, que le raisonnement, car toute croyance sincère est respectable. Si votre vie est un beau modèle où chacun puisse trouver de bons exemples et de solides vertus, où la dignité s'allie à une gracieuse aménité, réjouissez-vous, car vous aurez, en partie, compris ce à quoi le Spiritisme oblige.

Louis de France.



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