REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1862

Allan Kardec

Vous êtes ici: REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1862 > Décembre


Décembre

Etude sur les possédés de Morzine

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre.

Les observations que nous avons faites sur l'épidémie qui a sévi et sévit encore sur la commune de Morzine, dans la Haute-Savoie, ne nous laissent aucun doute sur sa cause ; mais, pour appuyer notre opinion, il nous faut entrer dans quelques explications préliminaires qui feront mieux ressortir l'analogie de ce mal avec les cas analogues dont l'origine ne saurait être douteuse pour quiconque est familiarisé avec les phénomènes spirites et reconnaît l'action du monde invisible sur l'humanité. Il est nécessaire pour cela de remonter à la source même du phénomène et d'en suivre la gradation depuis les cas les plus simples, et d'expliquer en même temps la manière dont il s'opère ; nous en déduirons beaucoup mieux les moyens de combattre le mal. Quoique nous ayons déjà traité ce sujet dans le Livre des Médiums, au chapitre de l'obsession, et dans plusieurs articles de cette Revue, nous y ajouterons quelques considérations nouvelles qui rendront la chose plus facile à concevoir.


Le premier point dont il importe de se pénétrer, c'est de la nature des Esprits au point de vue moral. Les Esprits n'étant que les âmes des hommes, et les hommes n'étant pas tous bons, il n'est pas rationnel d'admettre que l'Esprit d'un homme pervers se transforme subitement, autrement il n'y aurait pas besoin de châtiment dans la vie future. L'expérience vient confirmer cette théorie ou, pour mieux dire, cette théorie est le fruit de l'expérience. Les rapports avec le monde invisible nous montrent, en effet, à côté des esprits sublimes de sagesse et de savoir, d'autres Esprits ignobles ayant encore tous les vices et toutes les passions de l'humanité. L'âme d'un homme de bien sera, après sa mort, un bon Esprit ; de même un bon Esprit en s'incarnant fera un homme de bien ; par la même raison un homme pervers, en mourant, donne au monde invisible un Esprit pervers, et un mauvais Esprit, en s'incarnant, ne peut faire un homme vertueux, et cela tant que l'Esprit ne se sera pas épuré ou n'aura pas éprouvé le désir de s'améliorer ; car, une fois entré dans la voie du progrès, il dépouille peu à peu ses mauvais instincts ; il s'élève graduellement dans la hiérarchie des Esprits, jusqu'à ce qu'il ait atteint la perfection accessible à tous, Dieu ne pouvant avoir créé des êtres voués au mal et au malheur pour l'éternité. Ainsi le monde visible et le monde invisible se déversent incessamment et alternativement l'un dans l'autre, si l'on peut s'exprimer ainsi, et s'alimentent mutuellement, ou, pour mieux dire, ces deux mondes n'en font en réalité qu'un seul, dans deux états différents. Cette considération est très importante pour comprendre la solidarité qui existe entre eux.

La terre étant un monde inférieur, c'est-à-dire peu avancé, il en résulte que l'immense majorité des Esprits qui le peuplent, soit à l'état errant, soit comme incarnés, doit se composer d'Esprits imparfaits qui produisent plus de mal que de bien ; de là la prédominance du mal sur la terre ; or, la Terre étant en même temps un monde d'expiation, c'est le contact du mal qui rend les hommes malheureux ; car si tous les hommes étaient bons, tous seraient heureux. C'est un état où n'est point encore arrivé notre globe, et c'est vers cet état que Dieu veut le conduire. Toutes les tribulations que les hommes de bien éprouvent ici-bas, soit de la part des hommes, soit de celle des Esprits, sont la conséquence de cet état d'infériorité. On pourrait dire que la Terre est le Botany-Bay des mondes : on y rencontre la sauvagerie primitive et la civilisation, la criminalité et l'expiation.

Il faut donc se représenter le monde invisible comme formant une population innombrable, compacte, pour ainsi dire, qui enveloppe la Terre et s'agite dans l'espace. C'est une sorte d'atmosphère morale dont les Esprits incarnés occupent les bas-fonds, et s'y agitent comme dans la vase. Or, de même que l'air des lieux bas est lourd et malsain, cet air moral est aussi malsain, car il est corrompu par les miasmes des Esprits impurs ; il faut pour y résister des tempéraments moraux doués d'une grande vigueur.

Disons, comme parenthèse, que cet état de choses est inhérent aux mondes inférieurs ; mais ces mondes suivent la loi du progrès, et quand ils ont atteint l'âge voulu, Dieu les assainit en en expulsant les Esprits imparfaits, qui ne s'y réincarnent plus et sont remplacés par des Esprits plus avancés, qui font régner entre eux le bonheur, la justice et la paix. C'est une révolution de ce genre qui se prépare en ce moment.

Examinons maintenant le mode réciproque d'action des Esprits incarnés et désincarnés.

Nous savons que les Esprits sont revêtus d'une enveloppe vaporeuse formant pour eux un véritable corps fluidique, auquel nous donnons le nom de périsprit, et dont les éléments sont puisés dans le fluide universel ou cosmique, principe de toutes choses. Lorsque l'Esprit s'unit à un corps, il y existe avec son périsprit, qui sert de lien entre l'Esprit proprement dit et la matière corporelle ; c'est l'intermédiaire des sensations perçues par l'Esprit. Mais ce périsprit n'est pas confiné dans le corps comme dans une boîte ; par sa nature fluidique, il rayonne au dehors et forme autour du corps une sorte d'atmosphère, comme la vapeur qui s'en dégage. Mais la vapeur qui se dégage d'un corps malsain est également malsaine, âcre et nauséabonde, ce qui infecte l'air des lieux où sont rassemblées beaucoup de personnes malsaines. De même que cette vapeur est imprégnée des qualités du corps, le périsprit est imprégné des qualités, c'est-à-dire de la pensée de l'Esprit, et fait rayonner ces qualités autour du corps.


Ici une autre parenthèse pour répondre immédiatement à une objection que quelques-uns opposent à la théorie que le Spiritisme donne de l'état de l'âme ; ils l'accusent de matérialiser l'âme, tandis que, selon la religion, l'âme est purement immatérielle. Cette objection, comme la plupart de celles qu'on fait, proviennent d'une étude incomplète et superficielle. Le Spiritisme n'a jamais défini la nature de l'âme, qui échappe à nos investigations ; il ne dit point que le périsprit constitue l'âme : le mot périsprit dit positivement le contraire, puisqu'il spécifie une enveloppe autour de l'Esprit. Que dit le Livre des Esprits à ce sujet ? « Il y a en l'homme trois choses : l'âme, ou Esprit, principe intelligent ; le corps, enveloppe matérielle ; le périsprit, enveloppe fluidique semi-matérielle, servant de lien entre l'Esprit et le corps. » De ce qu'à la mort du corps l'âme conserve l'enveloppe fluidique, ce n'est pas à dire que cette enveloppe et l'âme soient une seule et même chose, pas plus que le corps ne fait qu'un avec l'habit, pas plus que l'âme ne fait qu'un avec le corps. La doctrine spirite n'ôte donc rien à l'immatérialité de l'âme, seulement elle lui donne deux enveloppes au lieu d'une pendant la vie corporelle, et une après la mort du corps, ce qui est, non une hypothèse, mais un résultat d'observation, et à l'aide de cette enveloppe elle en fait mieux concevoir l'individualité et explique mieux son action sur la matière.

Revenons à notre sujet.

Le périsprit, par sa nature fluidique, est essentiellement mobile, élastique, si l'on peut s'exprimer ainsi ; comme agent direct de l'Esprit, il est mis en action et projette des rayons par la volonté de l'Esprit ; par ces rayons il sert à la transmission de la pensée, parce qu'il est en quelque sorte animé par la pensée de l'Esprit. Le périsprit étant le lien qui unit l'Esprit au corps, c'est par cet intermédiaire que l'Esprit transmet aux organes, non la vie végétative, mais les mouvements qui sont l'expression de sa volonté ; c'est aussi par cet intermédiaire que les sensations du corps sont transmises à l'Esprit. Le corps solide détruit par la mort, l'Esprit n'agit plus et ne perçoit plus que par son corps fluidique, ou périsprit, c'est pourquoi il agit plus facilement et perçoit mieux, le corps étant une entrave. Tout ceci est encore un résultat d'observation.

Supposons maintenant deux personnes près l'une de l'autre, enveloppées chacune de leur atmosphère périspritale, ‑ qu'on nous passe encore ce néologisme. ‑ Ces deux fluides vont se mettre en contact, se pénétrer l'un l'autre ; s'ils sont de nature antipathique, ils se repousseront, et les deux individus éprouveront une sorte de malaise à l'approche l'un de l'autre, sans s'en rendre compte ; sont-ils au contraire mus par un sentiment bon et bienveillant, ils porteront avec eux une pensée bienveillante qui attire. Telle est la cause pour laquelle deux personnes se comprennent et se devinent sans se parler. Un certain je ne sais quoi dit souvent que la personne qu'on a devant soi doit être animée de tel ou tel sentiment ; or, ce je ne sais quoi, c'est l'expansion du fluide périsprital de la personne en contact avec le nôtre, sorte de fil électrique, conducteur de la pensée. On comprend dès lors que les Esprits, dont l'enveloppe fluidique est bien plus libre qu'à l'état d'incarnation, n'ont plus besoin de sons articulés pour s'entendre.

Le fluide périsprital de l'incarné est donc mis en action par l'Esprit ; si, par sa volonté, l'Esprit darde pour ainsi dire des rayons sur un autre individu, ces rayons le pénètrent ; de là l'action magnétique plus ou moins puissante selon la volonté, plus ou moins bienfaisante selon que ces rayons sont d'une nature plus ou moins bonne, plus ou moins vivifiante ; car, par leur action, ils peuvent pénétrer les organes, et, dans certains cas, rétablir l'état normal. On sait quelle est l'influence des qualités morales chez le magnétiseur.

Ce que peut faire l'Esprit incarné en dardant son propre fluide sur un individu, un Esprit désincarné peut le faire également, puisqu'il a le même fluide, c'est-à-dire qu'il peut magnétiser, et, selon qu'il est bon ou mauvais, son action sera bienfaisante ou malfaisante.


On se rend compte facilement ainsi de la nature des impressions que l'on reçoit selon les milieux où l'on se trouve. Si une assemblée est composée de personnes animées de mauvais sentiments, elles remplissent l'air ambiant du fluide imprégné de leurs pensées ; de là, pour les âmes bonnes, un malaise moral analogue au malaise physique causé par les exhalaisons méphitiques : l'âme est asphyxiée. Les personnes, au contraire, ont-elles des intentions pures, on se trouve dans leur atmosphère comme dans un air vivifiant et salubre. L'effet sera naturellement le même dans un milieu rempli d'Esprits selon qu'ils sont bons ou mauvais.

Ceci étant bien compris, nous arrivons sans difficulté à l'action matérielle des Esprits errants sur les Esprits incarnés, et de là à l'explication de la médiumnité.

Un Esprit veut-il agir sur un individu, il s'en approche et l'enveloppe pour ainsi dire de son périsprit comme d'un manteau ; les fluides se pénétrant, les deux pensées et les deux volontés se confondent, et l'Esprit peut alors se servir de ce corps comme du sien propre, le faire agir selon sa volonté, parler, écrire, dessiner, etc. ; tels sont les médiums. Si l'Esprit est bon, son action est douce, bienfaisante, il ne fait faire que de bonnes choses ; est-il mauvais, il en fait faire de mauvaises ; est-il pervers et méchant, il l'étreint comme dans un filet, paralyse jusqu'à sa volonté, son jugement même, qu'il étouffe sous son fluide, comme on étouffe le feu sous une couche d'eau ; le fait penser, parler, agir par lui, le pousse malgré lui à des actes extravagants ou ridicules, en un mot il le magnétise, le cataleptise moralement, et l'individu devient un instrument aveugle de ses volontés. Telle est la cause de l'obsession, de la fascination et de la subjugation qui se montrent à des degrés d'intensité très divers. C'est le paroxysme de la subjugation, que l'on appelle vulgairement possession. Il est à remarquer que, dans cet état, l'individu a très souvent la conscience que ce qu'il fait est ridicule, mais il est contraint de le faire, comme si un homme plus vigoureux que lui faisait mouvoir contre son gré ses bras, ses jambes et sa langue. En voici un exemple curieux.

Dans une petite réunion de Bordeaux, au milieu d'une évocation, le médium, jeune homme d'un caractère doux et d'une parfaite urbanité, se met tout à coup à frapper sur la table, se lève, les yeux menaçants, montrant les poings aux assistants, leur disant les plus grossières injures, et voulant leur jeter l'encrier à la tête. Cette scène, d'autant plus effrayante qu'on était loin de s'y attendre, dura environ dix minutes, après lesquelles le jeune homme reprit son calme habituel, s'excusant de ce qui venait de se passer, en disant qu'il savait très bien avoir fait et dit des choses inconvenantes, mais qu'il n'avait pu s'en empêcher. Le fait nous ayant été rapporté, nous en demandâmes l'explication dans une séance de la Société de Paris, et il nous fut répondu que l'Esprit qui l'avait provoqué était plutôt farceur que mauvais, et qu'il avait voulu simplement s'amuser de la frayeur des assistants. Ce qui prouve la vérité de cette explication, c'est que le fait ne s'est pas renouvelé, et que le médium n'en continua pas moins à recevoir d'excellentes communications comme par le passé. Il est bon de dire ce qui avait probablement excité la verve de cet Esprit loustic. Un ancien chef d'orchestre du théâtre de Bordeaux, M. Beck, avait éprouvé, pendant plusieurs années avant sa mort, un singulier phénomène. Chaque soir en sortant du théâtre, il lui semblait qu'un homme lui sautait sur le dos, se mettait à califourchon sur ses épaules, et s'y cramponnait jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la porte de chez lui ; là, le prétendu individu sautait à terre, et M. Beck se trouvait débarrassé. Dans cette réunion, on voulut évoquer M. Beck pour lui demander une explication ; c'est alors que l'Esprit farceur trouva plaisant de se substituer à lui et de faire jouer une scène diabolique au médium, en qui il trouva sans doute les dispositions fluidiques nécessaires pour le seconder.

Ce qui n'a été qu'accidentel dans cette circonstance prend quelquefois un caractère de permanence quand l'Esprit est mauvais, car l'individu devient pour lui une véritable victime à laquelle il peut donner l'apparence d'une véritable folie. Nous disons apparence, car la folie proprement dite résulte toujours d'une altération des organes cérébraux, tandis que, dans ce cas, les organes sont aussi intacts que ceux du jeune homme dont nous venons de parler ; il n'y a donc pas folie réelle, mais folie apparente contre laquelle les remèdes de la thérapeutique sont impuissants, ainsi que le prouve l'expérience ; bien plus, ils peuvent produire ce qui n'existe pas. Les maisons d'aliénés contiennent beaucoup de malades de ce genre auxquels le contact des autres aliénés ne peut être que très préjudiciable, car cet état dénote toujours une certaine faiblesse morale. A côté de toutes les variétés de folies pathologiques, il convient donc d'ajouter la folie obsessionnelle, qui requiert des moyens spéciaux ; mais comment un médecin matérialiste pourra-t-il jamais faire cette différence, ou même l'admettre ?

Bravo ! vont s'écrier nos adversaires ; on ne peut pas mieux démontrer les dangers du Spiritisme, et nous avons bien raison de le défendre.

Un instant ; ce que nous avons dit prouve précisément son utilité.

Croyez-vous que les mauvais Esprits, qui pullulent au milieu de l'humanité, ont attendu qu'on les appelât pour exercer leur influence pernicieuse ? Puisque les Esprits ont existé de tout temps, de tout temps aussi ils ont joué le même rôle, parce que ce rôle est dans la nature, et la preuve en est dans le grand nombre de personnes obsédées, ou possédées, si vous le voulez, avant qu'il ne fût question des Esprits, ou qui, de nos jours, n'ont jamais entendu parler de Spiritisme ni de médiums. L'action des Esprits, bons ou mauvais, est donc spontanée ; celle des mauvais produit une foule de perturbations dans l'économie morale et même physique que, par ignorance de la cause véritable, on attribuait à des causes erronées. Les mauvais Esprits sont des ennemis invisibles d'autant plus dangereux qu'on ne soupçonnait pas leur action. Le Spiritisme, en les mettant à découvert, vient révéler une nouvelle cause à certains maux de l'humanité ; la cause connue, on ne cherchera plus à combattre le mal par des moyens que l'on sait désormais inutiles, on en cherchera de plus efficaces. Or, qui est-ce qui a fait découvrir cette cause ? La médiumnité ; c'est par la médiumnité que ces ennemis occultes ont trahi leur présence ; elle a fait pour eux ce que le microscope a fait pour les infiniment petits : elle a révélé tout un monde. Le Spiritisme n'a point attiré les mauvais Esprits ; il les a dévoilés, et a donné les moyens de paralyser leur action, et par conséquent de les éloigner. Il n'a donc point apporté le mal, puisque le mal existait de tout temps ; il apporte au contraire le remède au mal en en montrant la cause. Une fois l'action du monde invisible reconnue, on aura la clef d'une foule de phénomènes incompris, et la science, enrichie de cette nouvelle loi, verra s'ouvrir devant elle de nouveaux horizons. Quand y arrivera-t-elle ? Quand elle ne professera plus le matérialisme, car le matérialisme l'arrête dans son essor et lui pose une barrière infranchissable.

Avant de parler du remède, expliquons un fait qui embarrasse beaucoup de Spirites, dans les cas d'obsession simple surtout, c'est-à-dire dans ceux, très fréquents, où un médium ne peut se débarrasser d'un mauvais Esprit qui se communique obstinément à lui par l'écriture ou l'audition ; celui, non moins fréquent, où, au milieu d'une bonne communication, un Esprit vient s'immiscer pour dire de mauvaises choses. On se demande alors si les mauvais Esprits sont plus puissants que les bons.

Reportons-nous à ce que nous avons dit en commençant de la manière dont agit l'Esprit, et représentons-nous un médium enveloppé, pénétré par le fluide périsprital d'un mauvais Esprit ; pour que celui d'un bon puisse agir sur le médium, il faut qu'il pénètre cette enveloppe, et l'on sait que la lumière pénètre difficilement un épais brouillard. Selon le degré de l'obsession, ce brouillard sera permanent, tenace ou intermittent, et par conséquent plus ou moins facile à dissiper.

Notre correspondant de Parme, M. Superchi, nous a envoyé deux dessins faits par un médium voyant, qui représentent parfaitement cette situation. Dans l'un on voit la main du médium écrivant environnée d'un nuage obscur, image du fluide périsprital des mauvais Esprits, traversé par un rayon lumineux allant éclairer la main ; c'est le bon fluide qui la dirige et s'oppose à l'action du mauvais. Dans l'autre, la main est dans l'ombre ; la lumière est autour du brouillard, qu'elle ne peut pénétrer. Ce que ce dessin borne à la main doit s'entendre de toute la personne.

Reste toujours la question de savoir si le bon Esprit est moins puissant que le mauvais. Ce n'est pas le bon Esprit qui est plus faible, c'est le médium qui n'est pas assez fort pour secouer le manteau qu'on a jeté sur lui, pour se dégager de l'étreinte des bras qui l'enlacent et dans lesquels, il faut bien le dire, quelquefois il se complaît. Dans ce cas, on comprend que le bon Esprit ne puisse avoir le dessus, puisqu'on lui en préfère un autre. Admettons maintenant le désir de se débarrasser de cette enveloppe fluidique dont la sienne est pénétrée, comme un vêtement est pénétré par l'humidité, le désir ne suffira pas, la volonté même ne suffit pas toujours.

Il s'agit de lutter contre un adversaire ; or, quand deux hommes luttent corps à corps, c'est celui qui a les muscles les plus forts qui terrasse l'autre. Avec un Esprit il faut lutter, non corps à corps, mais d'Esprit à Esprit, et c'est encore le plus fort qui l'emporte ; ici, la force est dans l'autorité que l'on peut prendre sur l'Esprit, et cette autorité est subordonnée à la supériorité morale. La supériorité morale est comme le soleil, qui dissipe le brouillard par la puissance de ses rayons. S'efforcer d'être bon, de devenir meilleur si l'on est déjà bon, se purifier de ses imperfections, en un mot, s'élever moralement le plus possible, tel est le moyen d'acquérir le pouvoir de commander aux Esprits inférieurs pour les écarter, autrement ils se moquent de vos injonctions. (Livre des Médiums, nos 252 et 279.)

Cependant, dira-t-on, pourquoi les Esprits protecteurs ne leur enjoignent-ils pas de se retirer ? Sans doute ils le peuvent et le font quelquefois ; mais, en permettant la lutte, ils laissent aussi le mérite de la victoire ; s'ils laissent se débattre des personnes méritantes à certains égards, c'est pour éprouver leur persévérance et leur faire acquérir plus de force dans le bien ; c'est pour elles une sorte de gymnastique morale.

Voici la réponse que nous avons faite à un colonel d'état-major autrichien, en Hongrie, M. P…, qui nous consultait sur une affection qu'il attribuait aux mauvais Esprits, s'excusant de nous donner le titre d'ami, quoiqu'il ne nous connût que de nom :

« Le Spiritisme est le lien fraternel par excellence, et vous avez raison de penser que ceux qui partagent cette croyance peuvent, sans se connaître, se traiter d'amis ; je vous remercie d'avoir eu de moi une assez bonne opinion pour me donner ce titre.

« Je suis heureux de trouver en vous un adepte sincère et dévoué de cette consolante doctrine ; mais par cela même qu'elle est consolante, elle doit donner la force morale et la résignation pour supporter les épreuves de la vie, qui, le plus souvent, sont des expiations ; la Revue spirite vous en fournit de nombreux exemples.

« En ce qui concerne la maladie dont vous êtes atteint, je n'y vois pas de preuve évidente de l'influence de mauvais Esprits qui vous obséderaient. Admettons-le pourtant, par hypothèse ; il n'y aurait qu'une force morale à opposer à une force morale, et elle ne peut venir que de vous. Contre un Esprit il faut lutter d'Esprit à Esprit, et c'est l'Esprit le plus fort qui l'emporte. En pareil cas, il faut donc s'efforcer d'acquérir la plus grande somme possible de supériorité par la volonté, l'énergie et les qualités morales pour avoir le droit de lui dire : Vade retrò. Si donc vous avez affaire à l'un d'eux, ce n'est pas avec votre sabre de colonel que vous le vaincrez, mais avec l'épée de l'ange, c'est-à-dire la vertu et la prière. L'espèce de frayeur et d'angoisse que vous éprouvez dans ces moments-là est un signe de faiblesse dont l'Esprit profite. Surmontez cette crainte, et avec la volonté vous y parviendrez. Prenez donc le dessus résolument, comme vous le faites devant l'ennemi, et croyez-moi votre tout dévoué et affectionné,

A. K. »

Certaines personnes préféreraient sans doute une autre recette plus facile pour chasser les mauvais Esprits : quelques mots à dire ou quelques signes à faire, par exemple, ce qui serait plus commode que de se corriger de ses défauts. Nous en sommes fâché, mais nous ne connaissons aucun procédé plus efficace pour vaincre un ennemi que d'être plus fort que lui. Quand on est malade, il faut se résigner à prendre une médecine, quelque amère qu'elle soit ; mais aussi, quand on a eu le courage de boire, comme on se porte bien, et combien l'on est fort ! Il faut donc bien se persuader qu'il n'y a, pour atteindre ce but, ni paroles sacramentelles, ni formules, ni talismans, ni signes matériels quelconques. Les mauvais Esprits s'en rient et se plaisent souvent à en indiquer qu'ils ont toujours soin de dire infaillibles, pour mieux capter la confiance de ceux qu'ils veulent abuser, parce qu'alors ceux-ci, confiants dans la vertu du procédé, se livrent sans crainte.

Avant d'espérer dompter le mauvais Esprit, il faut se dompter soi-même. De tous les moyens d'acquérir la force pour y parvenir, le plus efficace est la volonté secondée par la prière, la prière de cœur s'entend, et non des paroles auxquelles la bouche a plus de part que la pensée. Il faut prier son ange gardien et les bons Esprits de nous assister dans la lutte ; mais il ne suffit pas de leur demander de chasser le mauvais Esprit, il faut se souvenir de cette maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera, et leur demander surtout la force qui nous manque pour vaincre nos mauvais penchants qui sont pour nous pire que les mauvais Esprits, car ce sont ces penchants qui les attirent, comme la corruption attire les oiseaux de proie. En priant aussi pour l'Esprit obsesseur, c'est lui rendre le bien pour le mal, et se montrer meilleur que lui, et c'est déjà une supériorité. Avec de la persévérance, on finit le plus souvent par le ramener à de meilleurs sentiments, et de persécuteur en faire un obligé.

En résumé, la prière fervente, et les efforts sérieux pour s'améliorer, sont les seuls moyens d'éloigner les mauvais Esprits qui reconnaissent leurs maîtres dans ceux qui pratiquent le bien, tandis que les formules les font rire ; la colère et l'impatience les excitent. Il faut les lasser en se montrant plus patient qu'eux.

Mais il arrive quelquefois que la subjugation arrive au point de paralyser la volonté de l'obsédé, et qu'on ne peut attendre de lui aucun concours sérieux. C'est alors surtout que l'intervention de tiers devient nécessaire, soit par la prière, soit par l'action magnétique ; mais la puissance de cette intervention dépend aussi de l'ascendant moral que les intervenants peuvent prendre sur les Esprits ; car s'ils ne valent pas mieux, leur action est stérile. L'action magnétique, dans ce cas, a pour effet de pénétrer le fluide de l'obsédé d'un fluide meilleur, et de dégager celui de l'Esprit mauvais ; en opérant, le magnétiseur doit avoir le double but d'opposer une force morale à une force morale, et de produire sur le sujet une sorte de réaction chimique, pour nous servir d'une comparaison matérielle, chassant un fluide par un autre fluide. Par là, non-seulement il opère un dégagement salutaire, mais il donne de la force aux organes affaiblis par une longue et souvent vigoureuse étreinte. On comprend, du reste, que la puissance de l'action fluidique est en raison, non-seulement de l'énergie de la volonté, mais surtout de la qualité du fluide introduit, et, d'après ce que nous avons dit, que cette qualité dépend de l'instruction et des qualités morales du magnétiseur ; d'où il suit qu'un magnétiseur ordinaire qui agirait machinalement pour magnétiser purement et simplement, produirait peu ou point d'effet ; il faut de toute nécessité un magnétiseur Spirite agissant en connaissance de cause, avec l'intention de produire, non le somnambulisme ou une guérison organique, mais les effets que nous venons de décrire. Il est en outre évident qu'une action magnétique dirigée dans ce sens ne peut être que très utile dans les cas d'obsession ordinaire, parce qu'alors, si le magnétiseur est secondé par la volonté de l'obsédé, l'Esprit est combattu par deux adversaires au lieu d'un.


Il faut dire aussi qu'on charge souvent les Esprits étrangers de méfaits dont ils sont très innocents ; certains états maladifs et certaines aberrations que l'on attribue à une cause occulte, tiennent simplement parfois à l'Esprit de l'individu lui-même. Les contrariétés, que le plus ordinairement on concentre en soi-même, les chagrins amoureux surtout, ont fait commettre bien des actes excentriques qu'on aurait tort de mettre sur le compte de l'obsession. On est souvent son propre obsesseur.

Ajoutons enfin que certaines obsessions tenaces, surtout chez les personnes méritantes, font quelquefois partie des épreuves auxquelles elles sont soumises. « Il arrive même parfois que l'obsession, quand elle est simple, est une tâche imposée à l'obsédé qui doit travailler à l'amélioration de l'obsesseur, comme un père à celle d'un enfant vicieux. »

Nous renvoyons pour plus de détails au Livre des Médiums.

Il nous reste à parler de l'obsession collective ou épidémique, et en particulier de celle de Morzine ; mais cela exige des considérations d'une certaine étendue pour montrer, par les faits, leur similitude avec les obsessions individuelles, et nous en trouverons la preuve soit dans nos propres observations, soit dans celles qui sont consignées dans les rapports des médecins. Il nous restera en outre à examiner l'effet des moyens employés, puis l'action de l'exorcisme et les conditions dans lesquelles il peut être efficace ou nul. L'étendue de cette seconde partie nous oblige à en faire l'objet d'un article spécial qui se trouvera dans le prochain numéro.


Le Spiritisme à Rochefort

Épisode du voyage de M. Allan Kardec.

Rochefort n'est point encore un foyer de Spiritisme, quoiqu'il y ait quelques adeptes fervents et d'assez nombreuses sympathies pour les nouvelles idées ; mais là, moins qu'ailleurs, il y a le courage de l'opinion, et beaucoup de croyants se tiennent à l'écart. Le jour où ils oseront se montrer, on sera tout surpris de les voir si nombreux. Comme nous n'avions à voir que quelques personnes isolées, nous comptions ne nous y arrêter que peu d'heures ; mais un voyageur qui se trouvait dans la même voiture que nous, nous ayant reconnu à notre portrait qu'il avait vu à Marennes, prévint ses amis de notre arrivée ; nous reçûmes alors une invitation pressante et des plus gracieuses de la part de plusieurs Spirites qui désiraient nous connaître et recevoir des instructions. Notre départ fut donc remis au lendemain, et nous eûmes le bonheur de passer la soirée dans une réunion de Spirites sincères et dévoués.

Pendant la soirée nous reçûmes une autre invitation, en termes non moins obligeants, de la part d'un haut fonctionnaire et de plusieurs notabilités de la ville, qui nous firent exprimer le désir d'avoir une réunion le lendemain soir, ce qui fut cause d'un nouveau sursis à notre départ. Nous n'aurions point mentionné ces détails, s'ils n'étaient nécessaires aux explications que nous croyons devoir donner ci-après, à propos d'un journal de la localité.

Dans cette dernière réunion, nous fîmes, au début de la séance, l'allocution suivante :

« Messieurs,

« Quoique je n'eusse l'intention de passer que quelques heures à Rochefort, le désir que vous m'avez manifesté de cette réunion était trop flatteur, surtout par la manière dont l'invitation a été faite, pour que je ne me sois pas empressé d'y accéder. J'ignore si toutes les personnes qui me font l'honneur d'assister à cette réunion sont initiées à la science spirite ; je suppose que plusieurs sont encore novices en cette matière ; il pourrait même s'en trouver qui y fussent hostiles ; or, par suite de l'idée fausse que se font du Spiritisme ceux qui ne le connaissent pas, ou ne le connaissent qu'imparfaitement, le résultat de cette séance pourrait causer quelques déceptions à ceux qui n'y trouveraient pas ce qu'ils s'attendaient à y trouver ; je dois donc en expliquer clairement l'objet pour qu'il n'y ait pas de méprise.

« Je dois avant tout vous édifier sur le but que je me propose dans mes tournées. Je vais uniquement visiter les centres spirites, et leur donner les instructions dont ils peuvent avoir besoin ; mais on aurait tort de croire que je vais prêcher la doctrine aux incrédules. Le Spiritisme est toute une science qui requiert des études sérieuses, comme toutes les sciences, et de nombreuses observations ; pour la développer, il faudrait faire un cours en règle, et un cours de Spiritisme ne pourrait pas plus se faire en une ou deux séances qu'un cours de physique ou d'astronomie. Pour ceux qui n'en savent pas le premier mot, je suis obligé de les renvoyer à la source, c'est-à-dire à l'étude des ouvrages où ils trouveront tous les renseignements nécessaires et la réponse à la plupart des questions qu'ils pourraient adresser, questions qui, le plus souvent, portent sur les principes les plus élémentaires. Voilà pourquoi, dans mes visites, je ne m'adresse qu'à ceux qui, sachant déjà, n'ont pas besoin de l'A B C, mais bien d'un enseignement complémentaire. Je ne vais donc jamais donner ce qu'on appelle des séances, ni convoquer le public pour assister à des expériences ou à des démonstrations, et encore moins faire des exhibitions d'Esprits ; ceux qui s'attendraient à voir ici pareille chose seraient dans une erreur complète et je dois m'empresser de les désabuser.

« La réunion de ce soir est donc en quelque sorte exceptionnelle et en dehors de mes habitudes. Par les motifs que je viens d'exposer, je ne puis avoir la prétention de convaincre ceux qui repousseraient les bases mêmes de mes principes ; je ne désire qu'une chose, c'est qu'à défaut de conviction, ils emportent l'idée que le Spiritisme est une chose sérieuse et digne d'attention, puisqu'elle fixe l'attention des hommes les plus éclairés dans tous les pays. Qu'on ne l'accepte pas aveuglément et sans examen, cela se conçoit ; mais il y aurait de la présomption à s'inscrire en faux contre une opinion qui compte ses plus nombreux partisans dans l'élite de la société. Les gens sensés disent : Il y a tant de choses nouvelles qui viennent nous surprendre et qui eussent paru absurdes il y a un siècle ; nous voyons chaque jour découvrir des lois nouvelles, se révéler de nouvelles forces de la nature, qu'il serait illogique d'admettre que la nature ait dit son dernier mot ; avant de nier il est donc prudent d'étudier et d'observer. Pour juger une chose, il faut la connaître ; la critique n'est permise qu'à celui qui parle de ce qu'il sait. Que dirait-on d'un homme qui, ne sachant pas la musique, critiquerait un opéra ? de celui qui, n'ayant pas les premières notions de littérature, critiquerait une œuvre littéraire ? Eh bien ! il en est ainsi de la plupart des détracteurs du Spiritisme : ils jugent sur des données incomplètes, souvent même sur des ouï-dire ; aussi toutes leurs objections dénotent l'ignorance la plus absolue de la chose. On ne peut que leur répondre : Étudiez avant de juger.

« Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, messieurs, il me serait matériellement impossible de vous développer tous les principes de la science ; quant à satisfaire la curiosité de qui que ce soit, il y en a parmi vous qui me connaissent assez pour savoir que c'est un rôle que je n'ai jamais joué. Mais à défaut de pouvoir vous exposer la chose dans ses détails, il peut être utile de vous en faire connaître le but et les tendances ; c'est ce que je me propose de faire ; vous jugerez ensuite si ce but est sérieux et s'il est permis de s'en railler. Je vous demanderai donc la permission de vous lire quelques passages du discours que j'ai prononcé dans les grandes réunions de Lyon et de Bordeaux. Pour ceux qui n'ont du Spiritisme qu'une idée incomplète, il laisse sans doute la question principale à l'état d'hypothèse, attendu que je m'adresse à des adeptes déjà instruits ; mais, en attendant que les circonstances en aient fait pour vous une vérité, vous pourrez en voir les conséquences, ainsi que la nature des instructions que je donne, et juger par là du caractère des réunions auxquelles je vais assister.

« Je puis dire toutefois que, dans le Spiritisme, rien n'est hypothétique : de tous les principes formulés dans le Livre des Esprits et dans le Livre des Médiums, il n'en est pas un seul qui soit le produit d'un système ou d'une opinion personnelle ; tous, sans exception, sont le fruit de l'expérience et de l'observation ; je ne saurais en revendiquer aucun comme étant le produit de mon initiative ; ces ouvrages contiennent ce que j'ai appris, et non ce que j'ai créé ; or, ce que j'ai appris, d'autres peuvent l'apprendre comme moi ; mais, comme moi, il leur faut travailler ; seulement, je leur ai épargné la peine des premiers travaux et des premières recherches. »

A la suite de ce préambule, nous lûmes quelques fragments du discours prononcé à Lyon et à Bordeaux, puis nous donnâmes quelques explications, nécessairement très sommaires, sur les principes fondamentaux du Spiritisme, entre autres sur la nature des Esprits et les moyens par lesquels ils se communiquent, nous attachant surtout à faire ressortir l'influence morale qui résulte des manifestations par la certitude de la vie future, et les effets de cette certitude sur la conduite pendant la vie présente.

Par le préambule, il était impossible d'établir la situation d'une manière plus nette, et de mieux préciser le but que nous nous proposions, afin de prévenir toute méprise. Nous dûmes prendre cette précaution, sachant que l'assemblée était loin d'être homogène et toute sympathique. Cela ne satisfit naturellement pas ceux qui espéraient voir une séance dans le genre de celles de M. Home. Un des assistants déclara même poliment que ce n'était pas ce à quoi il s'attendait ; nous le croyons sans peine, puisque, au lieu d'exhiber des choses curieuses, nous venions parler morale ; il demanda même avec tant d'insistance que nous donnassions des preuves de l'existence des Esprits, que force fut de lui dire que nous n'en avions pas dans notre poche pour les lui montrer ; un peu plus, je crois, il aurait dit : « Cherchez bien. »

Un journaliste, du pseudonyme de Tony, qui assistait à la réunion, crut devoir en rendre compte dans le Spectateur, journal hebdomadaire de théâtres, numéro du 12 octobre. Il commence ainsi :

Alléché par l'annonce d'une soirée spirite, je me suis empressé d'aller entendre un des hiérophantes les plus accrédités de cette science… les adeptes qualifient ainsi le Spiritisme. L'auditoire nombreux attendait avec une certaine anxiété le développement des bases de cette science… puisque science il y a. M. Allan Kardec, auteur des livres des Esprits et des Médiums, allait nous initier à de redoutables secrets ! Mû par un sentiment de curiosité très compréhensible et qui n'avait rien d'hostile, nous espérions sortir de cette séance avec une demi-conviction, si le professeur, homme d'une habileté non contestée, se donnait la peine d'exposer sa doctrine. M. Allan en a pensé autrement, et c'est regrettable. On ne lui demandait pas d'évoquer des Esprits, mais tout au moins de fournir des explications claires ou même élémentaires pour faciliter l'expérimentation des profanes.

Ce début caractérise clairement la pensée de quelques-uns des auditeurs qui croyaient être spectateurs ; le mot alléché en dit plus que tout le reste. Ce qu'ils voulaient, c'était des explications claires pour faciliter l'expérimentation des profanes ; autrement dit, une recette pour que chacun, en rentrant chez soi, pût s'amuser à évoquer les Esprits.

Suit une tirade sur la base de la doctrine : la charité, et autres maximes qui, dit-il, viennent tout droit du christianisme et n'apprennent rien de nouveau. Si un jour ce monsieur se donne la peine de lire, il saura que le Spiritisme n'a jamais eu la prétention d'apporter aux hommes une autre morale que celle du Christ, et qu'il ne s'adresse pas à ceux qui la pratiquent dans sa pureté ; mais comme il y en a beaucoup qui ne croient ni à Dieu, ni à leur âme, ni aux enseignements du Christ, ou qui sont tout au moins dans le doute, et dont toute la morale se résume en ces mots : Chacun pour soi, il vient, en prouvant l'âme et la vie future, donner une sanction pratique, une nécessité à cette morale. Nous voulons bien croire que M. Tony n'en a pas besoin, qu'il a une foi vive, une religion sincère, puisqu'il prend la défense du christianisme contre le Spiritisme, quoique quelques mauvaises langues l'accusent d'être un peu matérialiste ; nous voulons bien croire, disons-nous, qu'il pratique la charité en vrai chrétien ; qu'à l'exemple du Christ, il est doux et humble ; qu'il n'a ni orgueil, ni vanité, ni ambitition ; qu'il est bon et indulgent pour tout le monde, même pour ses ennemis ; qu'en un mot il a toutes les vertus du divin modèle ; mais au moins qu'il n'en dégoûte pas les autres. Il poursuit :

Le Spiritisme a la prétention d'évoquer les Esprits. Les Esprits, il est vrai, ne se soumettent pas aux caprices et aux exigences. Ils peuvent, au besoin, revêtir un corps reconnaissable, des vêtements même, et ils n'entrent en relation avec les médiums qu'à la condition d'être enveloppés d'une couche fluidique de même nature… pourquoi pas de nature contraire, comme en électricité ? La science du Spiritisme ne s'explique pas.

Lisez et vous le verrez.

Je ne sais si les adeptes se sont retirés satisfaits ; mais, à coup sûr, les ignorants sincèrement désireux de s'instruire n'ont rient emporté de cette séance, si ce n'est que le Spiritisme ne se démontre pas. Est-ce la faute du professeur, ou le Spiritisme ne dévoile-t-il ses arcanes qu'aux fidèles ? Nous ne vous le dirons pas… et pour cause.

Tony.

Conclusion. ‑ Le Spiritisme ne se démontre pas. M. Tony aurait dû expliquer clairement, puisqu'il aime tant les explications claires, pourquoi il est démontré pour des millions d'hommes qui ne sont ni sots ni ignorants. Qu'il se donne la peine d'étudier et il le saura, si, comme il le dit, il est si désireux de s'instruire ; mais puisqu'il a cru devoir rendre compte publiquement d'une réunion qui n'avait rien de public, comme s'il se fût agi du compte rendu d'un spectacle où l'on va, alléché par l'attrait de l'affiche, il aurait dû, pour être impartial, rapporter les paroles que nous avons dites en commençant.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons qu'à nous louer de l'urbanité qui a présidé à la réunion, et nous saisissons cette circonstance pour adresser au fonctionnaire éminent, maître La Maison, nos remerciements pour son accueil plein de bienveillance et de cordialité, et l'initiative qu'il a prise de mettre son salon à notre disposition. Il nous a paru utile de lui prouver, ainsi qu'à la société d'élite réunie chez lui, les tendances morales du Spiritisme, et la nature de l'enseignement que nous donnons dans les centres que nous allons visiter.

M. Tony ignore si les adeptes ont été satisfaits ; à son point de vue la séance a évidemment été sans résultat ; quant à nous, nous préférons avoir laissé chez quelques auditeurs l'impression d'un moraliste ennuyeux que l'idée d'un donneur de représentations. Un fait certain, c'est que tout le monde n'a pas partagé son avis ; sans parler des adeptes qui s'y trouvaient, et dont nous avons reçu de chaleureux témoignages de sympathie, nous citerons deux messieurs qui, à la fin de la séance, nous ont demandé si les instructions que nous avions lues seraient publiées, ajoutant qu'ils s'étaient fait du Spiritisme une idée tout à fait fausse, mais qu'ils le voyaient maintenait sous un tout autre jour, en comprenaient le côté sérieux et utile, et se proposaient d'en faire une étude approfondie. N'eussions-nous obtenu que ce résultat que nous serions satisfait. C'est l'être à bon marché, dira M. Tony ; soit, mais il ignore que deux graines qui fructifient se multiplient ; et d'ailleurs nous avons la certitude que toutes celles que nous avons semées en cette circonstance ne seront pas perdues, et que le vent même soulevé par M. Tony en aura porté quelques-unes sur une terre fertile.

M. Florentin Blanchard, libraire de Marennes, crut devoir répondre à l'article de M. Tony par une lettre qui fut insérée dans les Tablettes des deux Charentes du 25 octobre.

Réplique de M. Tony où l'on trouve cette conclusion :

« Le Spiritisme surexcite fâcheusement l'esprit des crédules, aggrave l'état des femmes douées d'une grande irritabilité nerveuse, les rend folles ou les tue, si elles persistent dans leurs aberrations.

« Le Spiritisme est une maladie ; à ce titre, il doit être combattu. Il entre en outre dans le cadre des choses… malsaines qu'étudie l'hygiène publique et morale. »

Ici nous prenons M.Tony en flagrant délit de contradiction. Dans le premier article rapporté ci-dessus, il dit qu'en venant à la séance il était « mû par un sentiment de curiosité très compréhensible et qui n'avait rien d'hostile. » Comment comprendre qu'il ne fût pas hostile à une chose qu'il dit être une maladie, une chose malsaine, etc. ?

Plus loin il dit qu'il espérait des explications claires ou même élémentaires pour faciliter l'expérimentation des profanes. Comment pouvait-il désirer être initié, lui et les profanes, à l'expérimentation d'une chose qu'il dit pouvoir rendre fou et tuer ? Pourquoi est-il venu ? Pourquoi n'a-t-il pas détourné ses amis de venir assister à l'enseignement d'une chose si dangereuse ? Pourquoi regrette-t-il que cet enseignement n'ait pas répondu à son attente, n'ayant pas été aussi complet qu'il l'aurait désiré ? Puisque, à son avis, cette chose est si pernicieuse, au lieu de nous faire un reproche d'avoir été si peu explicite, il aurait dû nous en féliciter.

Autre contradiction. Puisqu'il est venu à la réunion pour savoir ce qu'est, ce que veut et ce que peut le Spiritisme ; qu'il nous reproche de ne pas le lui avoir appris, c'est donc qu'il ne le savait pas ; or, puisqu'il ne l'a pas étudié, comment sait-il qu'il est si dangereux ? Donc il le juge sans le connaître. Ainsi, de son autorité privée, il décide que c'est une chose mauvaise, malsaine et qui peut tuer, alors qu'il vient de déclarer qu'il ne sait pas ce que c'est. Est-ce là le langage d'un homme sérieux ? Il est des critiques qui se réfutent tellement par elles-mêmes qu'il suffit de les signaler, et qu'il serait superflu d'y attacher de l'importance. En d'autres circonstances une allégation comme celle de tuer eût pu être poursuivie en calomnie, car c'est porter une accusation de la dernière gravité contre nous et contre une classe immensément nombreuse aujourd'hui d'hommes les plus honorables.

Ce n'est pas tout. Ce second article fut suivi de plusieurs autres dans lesquels il développe sa thèse.

Or, voici ce qu'on lit dans le Spectateur du 26 octobre à l'occasion de la première lettre de M. Blanchard :

La rédaction du Spectateur recevait de Marennes, sous la signature Florentin Blanchard, une lettre en réponse à notre premier article du 12, quand cet article était déjà composé. La rédaction regrette que l'exiguïté de son format ne lui permette pas d'ouvrir ses colonnes à une controverse sur le Spiritisme. Les Tablettes, sur la demande expresse du Spectateur, ont donné cette lettre in extenso.

Nous nous réservons d'y répondre en son temps et nous tâcherons de ne pas céder, comme son auteur, aux inspirations d'un Esprit inconvenant.

Tony.

Puis, à la suite d'une seconde lettre de M. Blanchard, insérée cette fois dans le Spectateur, on lit :

Nous vous accordons l'hospitalité avec plaisir, M. Florentin Blanchard, mais il ne faudrait pas en abuser. Votre lettre de ce jour m'accuse de n'avoir pas étudié le Spiritisme. Comment l'entendez-vous ? Vous ne voulez sans doute discuter qu'avec des illuminés, et à ce titre je ne fais pas votre affaire ; d'accord !…

Que ne répondez-vous, monsieur, aux quelques propositions qui terminent ma dernière lettre… au lieu de m'accuser vaguement ? Cette correspondance prolongée est sans intérêt, permettez-moi de ne pas la continuer.

Je reprendrai prochainement la suite de mes articles sur le Spiritisme, mais de temps en temps seulement, car le peu d'étendue du Spectateur ne lui permet pas des études longues sur ce drolatique sujet.

Puis vous aurez beau faire, monsieur, nous ne prendrons pas les Spirites au sérieux et nous ne saurions considérer le Spiritisme comme une science.

Tony.

Ainsi, voilà qui est clair : M. Tony veut bien attaquer le Spiritisme, le traîner dans la boue, le qualifier de chose malsaine, dire qu'il tue, sans dire toutefois combien il a tué de gens, mais il ne veut pas de controverse ; son journal est assez grand pour ses attaques, mais il est trop petit pour la réplique. Parler tout seul est plus commode. Il a oublié qu'en raison de la nature et de la personnalité de ses attaques, la loi pourrait l'obliger à l'insertion d'une réponse double d'étendue, malgré l'exiguïté de son journal.

En rapportant les particularités de notre séjour, nous avons voulu montrer que nous n'avons ni recherché, ni sollicité cette réunion, et par conséquent que nous n'avons alléché personne pour venir nous entendre ; aussi avons-nous eu soin de dire carrément au début quelle était notre intention ; ceux que cela désappointait étaient libres de se retirer. A présent nous nous félicitons de la circonstance fortuite, ou mieux providentielle, qui nous a fait rester, puisqu'elle a provoqué une polémique qui ne peut que servir la cause du Spiritisme en le faisant connaître pour ce qu'il est : une chose morale, et non pour ce qu'il ne veut pas être : un spectacle pour la satisfaction des curieux ; et en donnant une fois de plus à la critique l'occasion de montrer la logique de ses arguments.

Maintenant, monsieur Tony, encore deux mots, je vous prie. Pour avancer publiquement des choses comme celles que vous avez écrites, il faut être bien sûr de son fait, et vous devez avoir à cœur de les prouver. C'est trop commode de discuter tout seul, et pourtant je n'entends établir avec vous aucune polémique ; je n'en ai pas le temps, et d'ailleurs votre feuille est trop petite pour admettre la critique et la réfutation ; puis, soit dit sans vous offenser, son influence ne s'étend pas très loin. Je vous offre mieux que cela, c'est de venir à Paris devant la Société que je préside, c'est-à-dire devant cent cinquante personnes, soutenir et prouver ce que vous avancez ; si vous êtes certain d'être dans le vrai, vous ne devez rien redouter, et je vous promets sur l'honneur que, par le moyen de la Revue spirite, vos arguments et l'effet que vous aurez produit iront de la Chine à Mexico, en passant par toutes les capitales de l'Europe.

Remarquez, monsieur, que je vous fais la partie belle, car ce n'est pas dans l'espoir de vous convertir, ce à quoi je ne tiens pas du tout, que je vous fais cette proposition ; vous resterez donc parfaitement libre de garder vos convictions ; c'est pour offrir à vos idées contre le Spiritisme l'occasion d'un grand retentissement. Pour que vous sachiez à qui vous aurez à faire, je vous dirai de quoi se compose la Société : avocats, négociants, artistes, hommes de lettres, savants, médecins, rentiers, bons bourgeois, officiers, artisans, princes, etc. ; le tout entremêlé d'un certain nombre de dames, ce qui vous garantit une tenue irréprochable sous le rapport de l'urbanité ; mais tous atteints jusqu'à la moelle des os, comme les cinq ou six millions d'adeptes, de cette chose malsaine qu'étudient l'hygiène publique et la morale, et que vous devez ardemment désirer guérir.

Le Spiritisme est-il possible ?

(Extrait de l'Écho de Sétif du 18 septembre 1862.)

Tel est le titre d'un très savant et très profond article, signé Jalabert, publié avec cette épigraphe : Mens agitat molem, par l'Echo de Sétif, un des journaux les plus accrédités de l'Algérie. Nous regrettons que son étendue ne nous permette pas de le rapporter en entier, car il ne peut que perdre à l'interruption de l'enchaînement des arguments par lesquels son auteur arrive, par un immense sorite, de la création du corps et de l'Esprit par Dieu, à l'action de l'Esprit sur la matière, puis à la possibilité des communications entre l'Esprit libre et l'Esprit incarné. Ses déductions sont si logiques, qu'à moins de nier Dieu et l'âme, on ne peut s'empêcher de dire : Cela ne peut pas être autrement. Nous n'en citerons que quelques fragments et surtout la conclusion.

Quand Fulton exposa à Napoléon Ier son système d'application de la vapeur à la navigation, il affirma et offrit de prouver que, si son système était vrai en théorie, il n'était pas moins vrai en pratique.

Que lui répondit Napoléon ? ‑ Qu'en théorie, son idée n'était pas réalisable, et, sur cette fin de non-recevoir à priori, sans tenir aucun compte ni des expérimentations déjà faites par l'immortel mécanicien, ni de celles qu'il demandait à faire et qu'il fit, le grand Empereur ne pensa plus ni à Fulton, ni à son système, jusqu'au jour où le premier bateau à vapeur lui apparut à l'horizon de Sainte-Hélène.

Chose singulière surtout dans un siècle d'observations physiques, de sciences matérielles et de positivisme ! Plus d'une fois, le fait, par cela seul qu'il est extraordinaire, inouï, nouveau, le fait, s'il est permis de le dire, est écarté par une simple exception de droit.

C'est ainsi que, pour ne parler que de ces manifestations d'Esprits, que rappelle l'expression de Spiritisme, nous avons entendu des hommes, d'ailleurs graves et instruits, s'écrier en ricanant, après un récit consciencieux de certaines de ces manifestations vues ou attestées par des hommes intelligents, convaincus et de bonne foi : Laissez donc là votre Spiritisme et vos manifestations, et vos médiums ! Ce que vous racontez n'est pas possible !

‑ Pas possible ! Eh bien, soit ! Mais, de grâce, ô transcendants génies ! daignez vous souvenir du mot célèbre d'un Ancien, et, avant de nous frapper de vos superbes dédains, consentez, je vous prie, à nous entendre.

Veuillez lire ces lignes en entier, ‑ sérieusement, attentivement, ‑ et puis, la main sur votre conscience, et la sincérité sur vos lèvres, osez, osez nier la possibilité, la rationalité du Spiritisme !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous dites : Je ne comprends pas ce mystère ! ‑ Mais pour nous comme pour vous, le mouvement matériel produit par un mouvement spirituel, la matière agitée par la pensée, le corps mû par l'Esprit, c'est l'incompréhensible ! Mais l'incompréhensible n'est pas l'impossible. Niez cette action, niez cette influence, niez cette communication ! Plus de création, plus d'incarnation, plus de Rédemption, plus de distinction entre l'âme et le corps, plus de variété dans l'unité, ‑ plus de Dieu, ‑ plus de corps, ‑ plus d'Esprit, ‑ plus de religion, ‑ plus de raison. ‑ Le chaos, le chaos encore et toujours le chaos, ou, qui pis est, le panthéisme ou le nihilisme.

Résumons-nous. Philosophiquement, physiologiquement, religieusement, le Spiritisme n'est ni irrationnel, ni absurde.

Donc, il est possible.

L'homme agit ‑ sur lui-même par son verbe intérieur ou sa volonté et par ses sens, ‑ sur ses semblables, par son verbe extérieur ou sa parole, et par ses sens encore. Pourquoi donc, par son seul verbe intérieur, ne communiquerait-il pas avec Dieu, avec l'ange et avec les Esprits, en un mot, avec tout autre être incorporel par nature, ou accidentellement incorporifié, dégagé des sens ?

L'Esprit est une force, une force agissant sur la matière, c'est-à-dire sur un être n'ayant rien de commun avec lui, inerte, inintelligent. Et cependant des rapports existent du créateur à la création, de l'ange à l'homme, comme de l'âme de l'homme au corps de l'homme et, par lui, au monde extérieur.

Mais, d'Esprit à Esprit, qu'est-ce qui empêcherait une action, une communication réciproque ? Si l'Esprit communique avec des êtres d'une nature opposée à la sienne, on ne concevrait vraiment pas qu'il ne pût pas communiquer avec des êtres d'une nature identique.

D'où viendrait l'obstacle ? ‑ De la distance ? ‑ Mais, entre Esprits, la distance n'est pas. « L'air en est plein, » a dit saint Paul, ‑ pour nous faire comprendre qu'ils jouissent, à quelques égards, de l'ubiquité divine. D'une différence hiérarchique ? Mais la hiérarchie n'y fait rien ; dès qu'ils sont Esprits, leur nature l'exige, ils agissent et communiquent entre eux. ‑ De leur séjour momentané dans des liens corporels ? ‑ Mais, sauf, dans ce cas, la différence des moyens de communication, la communication elle-même ne s'en fera pas moins. Mon Esprit communique avec le vôtre, et votre Esprit, tout comme le mien, habite un corps. A plus forte raison, communiquera-t-il avec un Esprit libre ou libéré de toute matière, ‑ qu'il s'agisse d'un Esprit d'ange ou d'une âme d'homme.

Il y a plus ! Loin que rien empêche, tout, au contraire, favorise pareille communication, « Dieu est amour » et tout ce qui a quelque chose de divin participe à l'amour. Mais l'amour vit de communications, de communions ; Dieu aime l'homme : aussi communique-t-il avec lui, ‑ dans l'Eden, par la parole, ‑ sur le Sinaï par l'écriture, ‑ dans l'étable de Bethléem et sur le sommet du Calvaire par son Verbe incarné, ‑ sur l'autel, par son Verbe transubstancié dans le pain et le vin eucharistiques.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tenons donc pour certain que les communications d'âme à âme, d'Esprit à Esprit sont plus possibles encore que celles de l'Esprit à la matière.

Maintenant, quel sera l'instrument, le moyen de la communication des êtres entre eux !

Entre des êtres corporels, cette communication s'opérera par le mouvement, qui est comme le verbe des corps ;

Entre des êtres purement spirituels, par la pensée ou par la parole intérieure, qui est comme le mouvement des Esprits ;

Entre des êtres à la fois spirituels et corporels, par cette même pensée revêtue d'un signe à la fois corporel et spirituel, par la parole extérieure ;

Entre un être spirituel et corporel, d'une part, et un être simplement spirituel, de l'autre, d'ordinaire par la parole intérieure, se manifestant au dehors par un signe matériel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et, quel sera ce signe ? ‑ Tout objet matériel, se mouvant, à un moment donné, d'un mouvement à signification convenue d'avance, sous la seule influence, directe ou indirecte, de la volonté ou de la parole intérieure de l'Esprit avec lequel on voudra se mettre en communication.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous recommandons cet article à M. Tony, de Rochefort ; voilà un de ses confrères qui dit tout le contraire de lui ; l'un dit blanc, l'autre dit noir ; qui a raison ? Il y a entre eux cette différence, que l'un sait et que l'autre ne sait pas. Nous laissons au lecteur le soin de peser les deux logiques.

Le même journal a publié plusieurs articles sur le même sujet, par d'autres écrivains, et qui, comme celui-ci, portent le cachet d'une profonde observation et d'une étude sérieuse. Nous en reparlerons.

Charles Fourier, Louis Jourdan et la réincarnation

Nous extrayons le passage suivant d'une lettre qu'un ami de l'auteur a bien voulu nous communiquer.

« Figure-toi quelle a été ma surprise quand, dans la doctrine spirite, dont je n'avais aucune idée, j'ai reconnu toute la théorie de Fourier sur l'âme, la vie future, la mission de l'homme dans la vie actuelle et la réincarnation des âmes. Juges-en toi-même ; voici la théorie de Fourier en raccourci :

« L'homme est attaché à la planète ; il vit de sa vie et il ne la quitte même pas en mourant.

« Il a deux existences : la vie actuelle, que Fourier compare au sommeil, et la vie qu'il appelle aromale, l'autre vie en un mot, qui est le réveil. Son âme passe alternativement d'une vie dans l'autre, et revient périodiquement se réincarner dans la vie actuelle.

« Dans la vie actuelle, l'âme n'a pas le sentiment de ses vies antérieures, mais dans la vie aromale elle en a conscience et voit toutes ses existences précédentes.

« Les peines dans la vie aromale sont les craintes qu'éprouvent les âmes d'être condamnées, en se réincarnant dans la vie actuelle, de venir animer le corps d'un malheureux ; car, dit Fourier, on voit tous les jours des personnes venir demander la charité à la porte des châteaux dont ils ont été les propriétaires dans leurs vies précédentes, et il ajoute : Si les hommes étaient bien convaincus de la vérité que j'apporte au monde, tous s'empresseraient de travailler au bonheur de tous. »

« Vois, mon cher ami, par ce petit extrait, combien la doctrine de Fourier et la doctrine du Spiritisme sont similaires, et qu'étant phalanstériens, il n'était pais difficile de faire de moi un adepte de la doctrine spirite. »

Il est impossible d'être plus explicite sur le chapitre de la réincarnation ; ce n'est pas seulement une idée vague d'existences successives à travers les différents mondes, c'est dans celui-ci que l'homme prend de nouveau naissance pour s'épurer et expier. Tout y est : alternatives de vie spirituelle, qu'il appelle aromale, et de vie corporelle ; oubli momentané, pendant celle-ci, des existences antérieures, et souvenir du passé pendant la première ; expiation par les vicissitudes de la vie. Son tableau des malheureux venant demander l'aumône à la porte des châteaux dont ils ont été propriétaires dans leurs existences précédentes, semble calqué sur les révélations des Esprits. Pourquoi donc ceux qui s'acharnent tant après la doctrine de la réincarnation aujourd'hui n'ont-ils rien dit quand Fourier est venu en faire une des pierres angulaires de sa théorie ? C'est qu'alors elle leur semblait confinée dans les phalanstères, tandis qu'aujourd'hui elle court le monde ; et d'autres raisons que l'on comprendra facilement sans que nous ayons besoin de les développer.

Au reste, il n'est pas le seul qui ait eu l'intuition de cette loi de nature. On trouve le germe de cette idée dans une foule d'écrivains modernes. M. Louis Jourdan, rédacteur du Siècle, l'a formulée d'une manière non équivoque dans son charmant petit livre des Prières de Ludovic publié pour la première fois en 1849, par conséquent avant qu'il ne fût question du Spiritisme, et l'on sait que ce livre n'est pas une œuvre de fantaisie, mais de conviction. On y lit entre autres choses ce qui suit :

« Pour moi, je vous l'avoue, je crois, mais je crois fermement, je crois avec passion, comme on croyait aux époques primitives, que chacune et chacun de nous prépare aujourd'hui sa transformation future, de même que notre existence actuelle est le produit d'existences antérieures. » Le livre est tout entier sur cette donnée.

Maintenant envisageons la question à un autre point de vue, pour répondre à une interrogation que l'on nous a posée plusieurs fois à ce sujet.

Quelques personnes objectent à la doctrine de la réincarnation qu'elle est contraire aux dogmes de l'Église, et en concluent qu'elle ne doit pas exister ; que peut-on leur répondre ?

La réponse est bien simple. La réincarnation n'est pas un système qu'il dépend des hommes d'adopter ou de rejeter, comme on le fait pour un système politique, économique ou social. Si elle existe, c'est qu'elle est dans la nature ; c'est une loi inhérente à l'humanité, comme boire, manger et dormir ; une alternative de la vie de l'âme, comme la veille et le sommeil sont des alternatives de la vie du corps. Si c'est une loi de la nature, ce n'est pas une opinion qui peut la faire prévaloir, ni une opinion contraire qui peut l'empêcher d'être. La terre ne tourne pas autour du soleil parce qu'on croit qu'elle tourne, mais parce qu'elle obéit à une loi, et les anathèmes qu'on a lancés contre cette loi n'ont pas empêché la terre de tourner. Il en est ainsi de la réincarnation ; ce n'est pas l'opinion de quelques hommes qui les empêchera de renaître s'ils doivent le faire. Étant donc admis que la réincarnation ne peut être qu'une loi de la nature, supposons qu'elle ne puisse s'accorder avec un dogme, il s'agit de savoir qui a raison du dogme ou de la loi. Or, quel est l'auteur d'une loi de nature, si ce n'est Dieu ? Je dirai, dans ce cas, que ce n'est pas la loi qui est contraire au dogme, mais le dogme qui est contraire à la loi, attendu qu'une loi de nature quelconque est antérieure au dogme, et que les hommes renaissaient avant que le dogme fût établi. S'il y avait incompatibilité absolue entre un dogme et une loi de nature, ce serait la preuve que le dogme est l'œuvre d'hommes qui ne connaissaient pas la loi, car Dieu ne peut se contredire en défaisant d'un côté ce qu'il a fait de l'autre ; soutenir cette incompatibilité, c'est donc faire le procès au dogme. S'ensuit-il que le dogme soit faux ? Non, mais simplement qu'il peut être susceptible d'une interprétation, comme on a interprété la Genèse quand il a été reconnu que les six jours de la création ne pouvaient s'accorder avec la loi de la formation du globe. La religion y gagnera, en ce qu'elle trouvera moins d'incrédules.

La question est de savoir si la loi de réincarnation existe ou n'existe pas. Pour les Spirites il y a mille preuves pour une qu'il est inutile de répéter ici ; je dirai seulement que le Spiritisme démontre que la pluralité des existences est non-seulement possible, mais nécessaire, indispensable, et il en trouve la preuve, sans parler de la révélation des Esprits, dans une multitude innombrable de phénomènes de l'ordre moral, psychologique et anthropologique ; ces phénomènes sont des effets qui ont une cause ; en cherchant cette cause, on ne la trouve que dans la réincarnation rendue évidente par l'observation de ces phénomènes, comme la présence du soleil, quoique caché par les nuages, est rendue évidente par la lumière du jour. Pour prouver qu'il a tort et que cette loi n'existe pas, il faudrait expliquer mieux qu'il ne le fait, et par d'autres moyens, tout ce qu'il explique, et c'est ce que personne n'a encore fait.

Avant la découverte des propriétés de l'électricité, celui qui aurait annoncé qu'on pouvait correspondre à cinq cents lieues en cinq minutes n'eût pas manqué de savants qui lui auraient prouvé scientifiquement par les lois de la mécanique que la chose était matériellement impossible, parce qu'ils n'en connaissaient pas d'autres ; il fallait pour cela la révélation d'une nouvelle puissance. Il en est ainsi de la réincarnation ; c'est une nouvelle loi qui vient jeter la lumière sur une foule de questions obscures, et modifiera profondément toutes les idées quand elle sera reconnue.

Ainsi, ce n'est pas l'opinion de quelques hommes qui prouve que cette loi existe, ce sont les faits. Si nous invoquons leur témoignage, c'est pour démontrer qu'elle avait été entrevue et soupçonnée par d'autres avant le Spiritisme qui n'en est pas l'inventeur, mais qui l'a développée et en a déduit les conséquences.

La loge et le salon

Etude de mœurs spirites.

Nous retrouvons, dans notre correspondance ancienne, la lettre suivante, qui vient à propos après l'article précédent.

Paris, 29 juillet 1860.

Monsieur,

Je prends la liberté de vous communiquer les réflexions que m'ont suggérées deux faits observés par moi-même, et que l'on pourrait à bon droit, je pense, qualifier d'études de mœurs spirites. Vous verrez par là que les phénomènes moraux ne sont pas sans valeur pour moi ; depuis que je me suis livré à l'étude du Spiritisme, il me semble que je vois cent fois plus de choses qu'auparavant ; tel fait auquel je n'aurais donné aucune attention m'amène à réfléchir aujourd'hui ; je suis, je pourrais dire, devant un spectacle perpétuel, où chaque individu a son rôle, et m'offre un rébus à deviner ; il est vrai de dire qu'il y en a de si faciles quand on possède l'admirable clef du Spiritisme, qu'on n'a pas grand mérite ; mais ils n'en offrent que plus d'intérêt, car avec le Spiritisme on se trouve comme dans un pays dont on comprend la langue. Il m'a rendu méditatif et observateur, parce que tout a pour moi maintenant sa cause ; les mille et un faits qui me semblaient jadis le produit du hasard et passaient pour moi inaperçus, ont aujourd'hui leur raison d'être et leur utilité ; un rien, dans l'ordre moral, attire mon attention et m'est une leçon. Mais j'oublie que c'est à propos d'une leçon que je veux vous entretenir.

Je suis professeur de piano ; il y a quelque temps, allant chez une de mes élèves qui appartient à une famille du grand monde, j'entrai chez la concierge, je ne me souviens plus pour quel motif. C'est une femme au poing sur la hanche et qui n'a été déclassée ni au physique ni au moral, en occupant une loge. Je la vis morigéner d'importance sa fille, enfant d'une quinzaine d'années dont les manières font un contraste frappant avec la mère. « Qu'a donc fait mademoiselle Justine, lui dis-je, pour exciter à ce point votre colère ? ‑ Ne m'en parlez pas, monsieur, cette pimbêche ne s'avise-t-elle pas de se donner des airs de duchesse ! Mademoiselle n'aime pas à laver la vaisselle ; elle trouve que ça lui gâte les mains, que ça sent mauvais, elle qui a été élevée avec les vaches chez sa grand'mère ; elle craint de se salir les ongles ; il lui faut des essences sur son mouchoir ! Je t'en donnerai des essences, moi ! » Là dessus, un vigoureux soufflet la fait reculer de quatre pas. « Ah ! c'est que, voyez-vous, mon petit monsieur, il faut corriger les enfants quand ils sont jeunes ; je n'ai jamais gâté les miens, tous mes garçons sont de bons ouvriers, et il faudra bien que cette mijaurée perde ses airs de grande dame. »

Après avoir donné quelques conseils de douceur à la mère et de docilité à la fille, je montai chez mon élève sans attacher d'importance à cette scène de famille. Là, par une singulière coïncidence, j'en vis la contre-partie. La mère, femme du monde et de belles manières, grondait aussi sa fille, mais pour un motif tout opposé. « Mais, tenez-vous donc comme il faut, Sophie, lui disait-elle ; vous avez une véritable tournure de cuisinière ; cela n'est pas étonnant, vous avez une prédilection toute particulière pour la cuisine, où vous semblez mieux vous plaire qu'au salon. Je vous assure que Justine, la fille du concierge, vous ferait honte ; on dirait vraiment que vous avez été changées en nourrice. »

Je n'avais jamais fait attention à ces particularités ; il fallut le rapprochement de ces deux scènes pour me les faire remarquer. Mademoiselle Sophie, mon élève, est une jeune personne de dix-huit ans, assez jolie, mais ses traits ont quelque chose de vulgaire ; toutes ses manières sont communes et sans distinction ; sa tournure, ses mouvements ont quelque chose de lourd et de gauche ; j'ignorais son penchant pour la cuisine. Je me pris alors à la comparer à la petite Justine aux instincts si aristocratiques, et je me demandai si ce n'était pas là un exemple frappant des penchants innés, puisque chez ces deux jeunes filles l'éducation a été impuissante à les modifier. Pourquoi l'une, élevée au sein de l'opulence et du bon ton, a-t-elle des goûts et des manières vulgaires, tandis que l'autre qui, depuis son enfance, a vécu dans le milieu le plus rustique, a-t-elle le sentiment de la distinction et des choses délicates, malgré les corrections de sa mère pour lui en faire perdre l'habitude ? O philosophes ! qui voulez sonder les replis du cœur humain, expliquez donc ces phénomènes sans les existences antérieures ; pour moi, il est indubitable que ces deux jeunes filles ont les instincts de ce qu'elles ont été. Qu'en pensez-vous, cher maître ?

Agréez,

D…



Nous pensons que mademoiselle Justine, la portière, pourrait bien être une variante de ce que dit Charles Fourier : « On voit tous les jours des personnes venir demander la charité à la porte des châteaux dont elles ont été les propriétaires dans leurs vies précédentes. » Qui sait si mademoiselle Justine n'a pas été la maîtresse dans cet hôtel, et mademoiselle Sophie, la grande dame, sa portière ? Cette idée est révoltante pour certaines gens qui ne peuvent se faire à la pensée d'avoir pu être moins que ce qu'ils sont, ou de devenir valets de leurs valets ; car alors que deviennent les races de pur sang qu'on a pris tant de soin de ne pas mésallier ? Consolez-vous ; le sang de vos aïeux peut couler dans vos veines, car le corps procède du corps. Quant à l'Esprit, c'est autre chose ; mais que faire si c'est ainsi ? Ce n'est pas parce qu'un homme sera contrarié de la pluie, que cela empêchera de pleuvoir. Il est humiliant, sans doute, de penser que de maître on puisse devenir serviteur, et de riche, mendiant ; mais rien n'est plus aisé que d'empêcher qu'il en soit ainsi ; il n'y a qu'à ne pas être vain et orgueilleux, et l'on ne sera pas rabaissé ; d'être bon et généreux, et l'on ne sera pas réduit à demander ce qu'on a refusé aux autres. Être puni par où l'on a péché, n'est-ce pas la plus juste des justices ? Oui, de grand on peut revenir petit, mais quand on a été bon on ne peut revenir mauvais ; or, ne vaut-il pas mieux être un honnête prolétaire qu'un riche vicieux ?



Dissertations Spirites

La Toussaint

I.

(Paris, 1er novembre 1862. – Médium, M. Perchet, sergent au 40e de ligne, caserne du Prince-Eugène ; membre de la Société de Paris.)

Mon cher frère, en ce jour de commémoration des morts, je suis bien heureux de pouvoir m'entretenir avec toi. Tu ne saurais croire combien grand est le plaisir que j'en éprouve ; appelle-moi donc plus souvent, nous y gagnerons tous les deux.

Ici, je ne puis pas toujours venir près de toi, parce que, bien souvent, je suis près de mes sœurs, particulièrement près de ma filleule, que je ne quitte guère, car j'ai demandé pour mission de rester près d'elle. Néanmoins, je puis fréquemment répondre à ton appel et ce sera toujours avec bonheur que je t'aiderai de mes conseils.

Parlons de la fête d'aujourd'hui. Dans cette solennité pleine de recueillement qui rapproche le monde invisible du monde visible, il y a bonheur et tristesse.

Bonheur, parce qu'il unit dans un pieux sentiment les membres dispersés de la famille. Ce jour-là, l'enfant revient près de sa tombe au rendez-vous de sa tendre mère, qui arrose la pierre sépulcrale de ses pleurs. Il la bénit, le petit ange, et mêle ses vœux aux pensées qui tombent goutte à goutte avec les larmes de sa mère chérie. Qu'elles sont douces au Seigneur ces chastes prières trempées dans la foi et le souvenir ! aussi montent-elles jusqu'aux pieds de l'Éternel, comme le suave parfum des fleurs, et du haut du ciel Dieu jette un regard de miséricorde sur ce petit coin de terre, et envoie un de ses bons Esprits consoler cette âme souffrante et lui dire : « Consolez-vous, bonne mère ; votre enfant chéri est au séjour des bienheureux, il vous aime et vous attend. »

J'ai dit : jour de bonheur, et je le répète, parce que ceux que la religion du souvenir porte ici-bas à prier pour ceux qui n'y sont plus, savent que ce n'est pas en vain, et qu'un jour ils reverront les êtres bien-aimés dont ils sont momentanément séparés. Jour de bonheur, parce que les Esprits voient avec joie et attendrissement ceux qui leur sont chers mériter, par leur confiance en Dieu, de venir bientôt participer au bonheur dont ils jouissent.

Dans ce jour de la Toussaint, les défunts qui ont subi courageusement toutes les épreuves imposées pendant la vie, qui se sont dépouillés des choses mondaines et ont élevé leurs enfants dans la foi et la charité, ces Esprits, dis-je, viennent volontiers s'associer aux prières de ceux qu'ils ont laissés, et leur inspirent la ferme volonté de marcher constamment dans la voie du bien ; les enfants, parents ou amis agenouillés près de leurs tombes en éprouvent une satisfaction intime, car ils ont la conscience que les restes qui sont là, sous la pierre, ne sont qu'un souvenir de l'être qu'ils renfermaient, et qui est maintenant délivré des misères terrestres.

Voilà, mon cher frère, les heureux. A demain !



II.

Mon cher frère, fidèle à ma promesse, je reviens vers toi. Comme je te l'avais dit, en te quittant hier au soir, je suis allée faire une visite au cimetière ; j'y ai examiné attentivement les divers Esprits en souffrance ; c'est à faire pitié ; ce spectacle navrant arracherait des larmes au cœur le plus dur.

Un grand nombre de ces âmes sont cependant bien soulagées par les vivants, et par l'assistance des bons Esprits, surtout quand elles ont le repentir des fautes terrestres et qu'elles font leurs efforts pour se dépouiller de leurs imperfections, seule cause de leurs souffrances. Elles comprennent alors la sagesse, la bonté, la grandeur de Dieu, et demandent la faveur de nouvelles épreuves pour satisfaire à la justice divine, expier et réparer leurs fautes, et obtenir un avenir meilleur.

Priez donc, mes chers amis, de tout votre cœur, pour ces Esprits repentants qui viennent d'être éclairés d'une étincelle de feu. Jusqu'alors ils n'avaient pas cru aux délices éternelles, parce que, dans leur punition, ce qui était le comble de leurs tourments, il ne leur était pas permis d'espérer. Juge de leur joie, lorsque le voile des ténèbres s'est enfin déchiré, et que l'ange envoyé du Seigneur a ouvert leurs yeux frappés de cécité à la lumière de la foi. Ils sont heureux, et cependant ils ne se font pas, en général, illusion sur l'avenir ; beaucoup d'entre eux savent qu'ils ont même des épreuves terribles à subir ; aussi réclament-ils avec instance les prières des vivants et l'assistance des bons Esprits, afin de pouvoir supporter avec résignation la tâche difficile qui leur sera dévolue.

Je vous le dis encore, et ne saurais trop souvent vous le répéter, pour vous bien convaincre de cette grande vérité : priez du fond du cœur pour tous les Esprits qui souffrent, sans distinction de castes ni de sectes, car tous les hommes sont frères, et se doivent porter appui mutuellement.

Fervents Spirites, vous surtout qui connaissez la situation des Esprits souffrants et savez apprécier les phases de la vie ; vous qui connaissez les difficultés qu'ils ont à surmonter, venez-leur en aide. C'est une belle charité que de prier pour ces pauvres frères inconnus, souvent oubliés de tous, et dont vous ne sauriez vous figurer la reconnaissance quand ils se voient assister. La prière est pour eux ce qu'est une douce rosée sur une terre brûlée par la chaleur. Figurez-vous un étranger tombé à quelque carrefour d'un obscur chemin, par une nuit sombre ; ses pieds sont déchirés par une longue course ; il sent l'aiguillon de la faim et d'une soif ardente ; à ses souffrances physiques viennent s'ajouter toutes les tortures morales ; le désespoir est à deux pas ; en vain jette-t-il aux quatre vents du ciel des cris déchirants : pas un écho ami ne répond à cet appel désespéré. Eh bien ! supposez qu'à l'instant où cette malheureuse créature est arrivée aux dernières limites de la souffrance, une main compatissante vienne doucement se poser sur son épaule et lui apporter les secours que réclame sa position ; figurez-vous alors, s'il est possible, le ravissement de cet homme, et vous aurez une faible idée du bonheur que la prière donne aux malheureux Esprits qui supportent les angoisses de la punition et de l'isolement. Éternellement ils vous seront reconnaissants, car soyez persuadés que dans le monde des Esprits il n'y a pas d'ingrats comme sur votre terre.

J'ai dit que la Toussaint est une solennité empreinte de tristesse ; une grande tristesse, en effet, car elle appelle aussi l'attention sur la classe de ces Esprits qui, pendant leur existence terrestre, se sont voués au matérialisme, à l'égoïsme ; qui n'ont voulu connaître d'autres dieux que les misérables vanités de leur monde infime ; qui n'ont pas craint d'employer tous les moyens illicites pour augmenter leurs richesses et souvent jeter d'honnêtes gens sur la paille. Parmi eux se trouvent aussi ceux qui ont brisé leur existence par une mort violente ; ceux encore qui, pendant leur vie, se sont traînés dans la boue infecte de l'impureté.

Pour tous ceux-là, mon cher frère, quels affreux tourments ! C'est bien comme le dit l'Écriture : Il y aura des pleurs et des grincements de dents. Ils seront plongés dans l'abîme profond des ténèbres. On appelle vulgairement ces malheureux des damnés, et quoiqu'il soit plus vrai de les appeler les punis, ils n'en souffrent pas moins des tortures aussi terribles que celles qu'on attribue aux damnés au milieu des flammes. Enveloppés dans les plus épaisses ténèbres d'un abîme qui leur paraît insondable, bien qu'il ne soit pas circonscrit comme on vous l'enseigne, ils éprouvent des souffrances morales indescriptibles jusqu'à ce qu'ils ouvrent leur cœur au repentir.

Il y en a qui restent quelquefois des siècles dans cet état, sans qu'il leur soit possible de prévoir la fin de leurs tourments ; aussi disent-ils qu'ils sont réprouvés pour l'éternité. Cette opinion erronée a trouvé longtemps crédit parmi vous ; c'est une grave erreur ; car, tôt ou tard, ces Esprits s'ouvrent au repentir, et alors Dieu, prenant en pitié leurs malheurs, leur envoie un ange qui leur adresse de consolantes paroles, et leur ouvre une voie d'autant plus large qu'il y a eu pour eux plus de prières aux pieds de l'Éternel.

Tu le vois, frère, les prières sont toujours utiles aux coupables, et si elles ne changent pas les décrets immuables de Dieu, elles n'en donnent pas moins beaucoup de soulagement aux Esprits souffrants en leur apportant la douce pensée d'être encore dans le souvenir de quelques âmes compatissantes. Ainsi le prisonnier sent bondir son cœur de joie quand, à travers ses tristes barreaux, il aperçoit le visage de quelque parent ou ami qui ne l'a pas oublié dans le malheur.

Si l'Esprit souffrant est trop endurci, trop matériel, pour que la prière ait accès sur son âme, un Esprit pur la recueille comme un arôme précieux, et la dépose dans les amphores célestes jusqu'au jour où elles pourront servir au coupable.

Pour que la prière porte son fruit, il ne suffit pas de balbutier les mots comme le fait la majeure partie des hommes ; la prière qui part du cœur est la seule qui soit agréable au Seigneur, la seule dont il soit tenu compte et qui apporte du soulagement aux Esprits qui souffrent.

Ta sœur, qui t'aime,

Marguerite.



Demande (faite à la Société). ‑ Que penser du passage de cette communication, où il est dit : « Je vous assure que dans notre monde il n'y a pas des ingrats comme sur votre terre ? » Les âmes des hommes, étant des Esprits incarnés, apportent avec elles leurs vices et leurs vertus : les imperfections des hommes viennent des imperfections de l'Esprit, comme leurs qualités viennent des qualités acquises. D'après cela, et puisqu'on trouve les vices les plus ignobles chez les Esprits, on ne comprendrait pas qu'on ne pût rencontrer l'ingratitude qu'on trouve si souvent sur la terre.

Réponse (par M. Perché). « Il y a sans doute des ingrats dans le monde des Esprits, et vous pouvez placer au premier rang les Esprits obsesseurs et les Esprits malins, qui font tous leurs efforts pour vous inculquer leurs pensées perverses en dépit du bien que vous leur faites en priant pour eux. Leur ingratitude n'est cependant que momentanée ; car l'heure du repentir sonne pour eux tôt ou tard ; alors leurs yeux s'ouvrent à la lumière et leurs cœurs s'ouvrent aussi pour toujours à la reconnaissance. Sur la terre, il n'en est pas ainsi, et vous rencontrez à chaque pas des hommes qui, malgré tout le bien que vous leur faites, ne vous payent, jusqu'à la fin, que par la plus noire ingratitude.

Le passage qui a nécessité cette observation n'est obscur que parce qu'il manque d'extension. Je n'envisageais la question qu'au point de vue des Esprits ouverts au repentir, et aptes, par cela même, à recueillir immédiatement les fruits de la prière. Ces Esprits étant engagés dans la bonne voie, et l'Esprit ne rétrogradant pas, il est clair que la reconnaissance ne saurait s'éteindre en eux.

Afin qu'il n'y ait pas de confusion, vous écrirez la phrase qui a suscité cette remarque de la manière suivante : « Eternellement ils vous seront reconnaissants, car soyez bien persuadés que, parmi les Esprits, ceux que vous aurez ramenés dans la bonne voie ne sauraient être ingrats. »

Marguerite.



Remarque. ‑ Ces deux communications, comme beaucoup d'autres d'une moralité non moins élevée, ont été obtenues par M. Perché, à sa caserne, où il compte plusieurs camarades qui partagent ses croyances spirites et y conforment leur conduite. Nous demanderons aux détracteurs du Spiritisme si ces militaires recevraient de meilleurs conseils de morale au cabaret. Si c'est là le langage de Satan, il s'est bien fait ermite ! Il est vrai qu'il est si vieux !

Par la même occasion, nous demanderons à M. Tony, le spirituel et surtout très logique journaliste de Rochefort, qui croit que le Spiritisme est un des maux sortis de la boîte de Pandore et une de ces choses malsaines qu'étudient l'hygiène publique et la morale ; nous lui demanderons, disons-nous, ce qu'il y a de malsain et de contraire à l'hygiène dans cette communication, et ce que ces militaires ont dû perdre de leur moralité et de leur santé en renonçant aux mauvais lieux pour la prière.

Dispensaire magnétique

Fondé par M Canelle, 11, rue Neuve‑des‑Martyrs, à Paris.

Le premier article de ce numéro fait ressortir les rapports qui existent entre le Magnétisme et le Spiritisme, et montre le secours que, dans des cas nombreux, le Magnétiseur peut puiser dans les connaissances spirites, cas dans lesquels l'idée matérialiste ne pourrait que paralyser l'influence salutaire ; ces rapports ressortiront encore mieux dans le second article que nous publierons dans le prochain numéro. En portant à la connaissance de nos lecteurs la formation de l'établissement dirigé par M. Canelle, que nous connaissons personnellement de longue date comme magnétiseur expérimenté, non-seulement spiritualiste, mais sincèrement spirite, nous sommes heureux de lui donner ce témoignage de notre sympathie. Les traitements sont dirigés par lui et par plusieurs médecins magnétiseurs. Des séances spéciales sont consacrées aux magnétisations gratuites. Nous renvoyons au prospectus pour plus amples renseignements.



Réponse à un monsieur de Bordeaux

Un monsieur de Bordeaux nous a écrit une lettre, très polie du reste, mais contenant une critique au point de vue religieux de l'article publié dans le numéro de novembre sur l'Origine du langage, article qui, soit dit en passant, a trouvé de nombreux admirateurs. Cette lettre ne contenant ni signature ni adresse, nous en avons fait le cas que l'on doit faire de toute lettre sans nom : nous l'avons jetée au feu.


Erratum.

Dans l'article publié dans le dernier numéro sur : Un remède donné par les Esprits, il a été omis de dire qu'avant l'application de l'onguent, il faut laver soigneusement la plaie avec de l'eau de gui mauve ou autre lotion adoucissante.

ALLAN KARDEC.

Articles connexes

Voir articles connexes