Revue spirite — Journal d'études psychologiques — 1859

Allan Kardec

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Juin

Le muscle craqueur

Les adversaires du spiritisme viennent de faire une découverte qui doit bien contrarier les Esprits frappeurs ; c'est pour eux un coup de massue, dont ils auront bien de la peine à se relever. Que doivent penser, en effet, ces pauvres Esprits de la terrible botte que vient de leur porter M. Schiff, et puis M. Jobert (de Lamballe), et puis M. Velpeau ? Il me semble les voir tout penauds, tenir à peu près ce langage : « Eh bien ! mon cher, nous sommes dans de beaux draps ! nous voilà enfoncés ; nous avions compté sans l'anatomie qui a découvert nos ficelles. Décidément, il n'y a pas moyen de vivre dans un pays où il y a des gens qui voient si clair. » - Allons, messieurs les badauds, qui avez cru bonnement à tous ces contes de bonne femme ; imposteurs qui avez voulu nous faire accroire qu'il peut exister des êtres que nous ne voyons pas. Ignorants qui croyez que quelque chose peut échapper au scalpel, même votre âme ; et vous tous, écrivains spirites ou spiritualistes, plus ou moins spirituels, inclinez-vous et reconnaissez que vous étiez tous des dupes, des charlatans, voire même des fripons ou des imbéciles : ces messieurs vous laissent le choix, car voici la lumière, la vérité pure.
« Académie des sciences (Séance du 18 avril 1859.) - DE LA CONTRACTION RYTHMIQUE MUSCULAIRE INVOLONTAIRE. - M. JOBERT (de Lamballe) communique un fait curieux de contractions involontaires rythmiques du court péronier latéral droit, qui confirme l'opinion de M. Schiff relativement au phénomène occulte des esprits frappeurs.

Mademoiselle X..., âgée de quatorze ans, forte, bien constituée, est affectée depuis six ans de mouvements involontaires réguliers du muscle court péronier latéral droit et de battements qui se font entendre derrière la malléole externe droite, offrant la régularité du pouls. Ils se sont déclarés pour la première fois à la jambe droite, pendant la nuit, en même temps qu'une douleur assez vive. Depuis peu de temps le court péronier latéral gauche est atteint d'une affection de même nature, mais de moindre intensité.

L'effet de ces battements est de provoquer de la douleur, de produire des hésitations dans la marche et même de déterminer des chutes. La jeune malade nous déclare que l'extension du pied et la compression exercée sur certains points du pied et de la jambe suffisent pour les arrêter, mais qu'elle continue alors à éprouver de la douleur et de la fatigue dans le membre.

Lorsque cette intéressante personne se présenta à nous, voici dans quel état nous la trouvâmes : Au niveau de la malléole externe droite, il était facile de constater, vers le bord supérieur de cette saillie osseuse, un battement régulier, accompagné d'une saillie passagère et d'un soulèvement des parties molles de cette région, lesquels étaient suivis d'un bruit sec succédant à chaque contraction musculaire. Ce bruit se faisait entendre dans le lit, hors du lit et à une distance assez considérable du lieu où la jeune personne reposait. Remarquable par sa régularité et son éclat, ce bruit l'accompagnait partout. En appliquant l'oreille sur la jambe, le pied ou sur la malléole, on distinguait un choc incommode qui gagnait toute la largeur du trajet parcouru par le muscle, absolument comme un coup qui est transmis d'une extrémité d'une poutre à l'autre. Le bruit ressemblait quelquefois à un frottement, à un grattement, et cela lorsque les contractions offraient moins d'intensité. Ces mêmes phénomènes se sont toujours reproduits, que la malade fût debout, assise ou couchée, quelle que fût l'heure du jour ou de la nuit où nous l'ayons examinée.

Si nous étudions le mécanisme des battements produits, et si, pour plus de clarté, nous décomposons chaque battement en deux temps, nous verrons :

Que, dans le premier temps, le tendon du court péronier latéral se déplace en sortant de la gouttière, et nécessairement en soulevant le long péronier latéral et la peau ;

Que, dans le deuxième temps, le phénomène de contraction étant accompli, son tendon se relâche, se replace dans la gouttière, et produit, en frappant contre celui-ci, le bruit sec et sonore dont nous avons parlé.

Il se renouvelait, pour ainsi dire, à chaque seconde, et chaque fois le petit orteil éprouvait une secousse et la peau qui recouvre le cinquième métatarsien était soulevée par le tendon. Il cessait lorsque le pied était fortement étendu. Il cessait encore lorsqu'une pression était exercée sur le muscle ou la gaine des péroniers.

Dans ces dernières années, les journaux français et étrangers, ont beaucoup parlé de bruits semblables à des coups de marteau, tantôt se succédant régulièrement, tantôt affectant un rythme particulier, qui se produisaient autour de certaines personnes couchées dans leur lit.

Les charlatans se sont emparés de ces phénomènes singuliers, dont la réalité est d'ailleurs attestée par des témoins dignes de foi. Ils on essayé de les rapporter à l'intervention d'une cause surnaturelle, et s'en sont servis pour exploiter la crédulité publique.

L'observation de mademoiselle X... montre comment, sous l'influence de la contraction musculaire, les tendons déplacés peuvent, au moment où ils retombent dans leurs gouttières osseuses, produire des battements qui, pour certaines personnes, annoncent la présence d'esprits frappeurs.

En s'exerçant, tout homme peut acquérir la faculté de produire à volonté de semblables déplacements des tendons et battements secs qui sont entendus à distance.

Repoussant toute idée d'intervention surnaturelle et remarquant que ces battements et ces bruit étranges se passaient toujours au pied du lit des individus agités par les esprits, M. Schiff s'est demandé si le siège de ces bruits n'était pas en eux plutôt que hors d'eux. Ses connaissances anatomiques lui ont donné à penser qu'il pouvait bien être à la jambe, dans la région péronière, où se trouvent placés une surface osseuse, des tendons et une coulisse commune.

Cette manière de voir étant bien arrêtée dans son esprit, il a fait des expériences et des essais sur lui-même, qui ne lui ont pas permis de douter que le bruit n'eût son siège derrière la malléole externe et dans la coulisse des tendons des péroniers.

Bientôt M. Schiff a été à même d'exécuter des bruits volontaires, réguliers, harmonieux, et a pu devant un grand nombre de personnes (une cinquantaine d'auditeurs), imiter les prodiges des esprits frappeurs avec ou sans chaussure, debout ou couché.

M. Schiff établit que tous ces bruits ont pour origine le tendon du long péronier, lorsqu'il passe dans la gouttière péronière, et il ajoute qu'ils coexistent avec un amincissement ou l'absence de la gaine commune au long et au court péronier. Quant à nous, admettant d'abord que tous ces battements sont produits par la chute d'un tendon contre la surface osseuse péronière, nous pensons cependant qu'il n'est pas besoin d'une anomalie de la gaine pour s'en rendre compte. Il suffit de la contraction du muscle, du déplacement du tendon et de son retour dans la gouttière pour que le bruit ait lieu. De plus, le court péronier seul est l'agent du bruit en question. En effet, il affecte une direction plus droite que le long péronier, qui subit plusieurs déviations dans son trajet ; il est profondément situé dans la gouttière ; il recouvre tout à fait la gouttière osseuse, d'où il est naturel de conclure que le bruit est produit par le choc de ce tendon sur les parties solides de la gouttière ; il présente des fibres musculaires jusqu'à l'entrée du tendon dans la gouttière commune, tandis que c'est tout le contraire pour le long péronier.

Le bruit est variable dans son intensité, et l'on peut en effet y distinguer diverses nuances. C'est ainsi que, depuis le bruit éclatant et qui se distingue au loin, on retrouve des variétés de bruit, de frottement, de scie, etc.

Nous avons successivement, par la méthode sous-cutanée, incisé en travers le corps du court péronier latéral droit et le corps du même muscle du côté gauche chez notre malade, et nous avons maintenu les membres dans l'immobilité à l'aide d'un appareil. La réunion s'est faite et les fonctions des deux membres ont été recouvrées sans aucune trace de cette singulière et RARE affection.

M. VELPEAU. Les bruits dont M. Jobert vient de traiter dans son intéressante notice me semblent se rattacher à une question assez vaste. On observe, en effet, de ces bruits dans une foule de régions. La hanche, l'épaule, le côté interne du pied en deviennent assez souvent le siège. J'ai vu, entre autres, une dame qui, a l'aide de certains mouvements de rotation de la cuisse, produisait ainsi une sorte de musique assez manifeste pour être entendue d'un côté à l'autre du salon. Le tendon de la longue portion du biceps brachial en engendre facilement en sortant de sa coulisse, quand les brides fibreuses qui le retiennent naturellement viennent à se relâcher ou à se rompre. Il en est de même du jambier postérieur ou du fléchisseur du gros orteil, derrière la malléole interne. De tels bruits s'expliquent, ainsi que MM. Schiff et Jobert l'ont bien compris, par le frottement ou les soubresauts des tendons dans les rainures ou contre des bords à surfaces synoviales. Ils sont, par conséquent, possibles dans une infinité de régions ou au voisinage d'une foule d'organes. Tantôt clairs ou éclatants, tantôt sourds ou obscurs, parfois humides et d'autres fois secs, ils varient, d'ailleurs, extrêmement d'intensité.

Espérons que l'exemple donné à ce sujet par MM. Schiff et Jobert portera les physiologistes à s'occuper sérieusement de ces divers bruits, et qu'ils donneront un jour l'explication rationnelle de phénomènes incompris ou attribués jusqu'ici à des causes occultes et surnaturelles.

M. JULES CLOQUET, à l'appui des observations de M. Velpeau sur les bruits anormaux que les tendons peuvent produire dans diverses régions du corps, cite l'exemple d'une jeune fille de seize à dix-huit ans qui lui fui présentée à l'hôpital Saint-Louis, à une époque où MM. Velpeau et Jobert étaient attachés à ce même établissement. Le père de cette jeune fille, qui s'intitulait père d'un phénomène, espèce de saltimbanque, comptait tirer profit de son enfant pour la livrer à une exhibition publique ; il annonça que sa fille avait dans le ventre un mouvement de pendule. Cette fille était parfaitement conformée. Par un léger mouvement de rotation dans la région lombaire de la colonne vertébrale, elle produisait des craquements très forts, plus ou moins réguliers, suivant le rythme des légers mouvements qu'elle imprimait à la partie inférieure de son torse. Ces bruits anormaux pouvaient s'entendre très distinctement à plus de vingt-cinq pieds de distance, et ressemblaient au bruit d'un vieux tournebroche ; ils étaient suspendus à la volonté de la jeune fille, et paraissaient avoir leur siège dans les muscles de la région lombo-dorsale de la colonne vertébrale. »



Cet article, tiré de l'Abeille médicale, et que nous avons cru devoir transcrire dans son intégrité pour l'édification de nos lecteurs, et afin qu'on ne nous accusât pas d'avoir voulu esquiver quelques arguments, a été reproduit avec des variantes, par différents journaux, avec accompagnement des épithètes obligées. Nous n'avons pas l'habitude de relever les grossièretés : nous les laissons pour compte, notre vulgaire bon sens nous disant qu'on ne prouve rien par des sottises et des injures, quelque savant qu'on soit. Si l'article en question se fût borné à ces banalités, qui ne sont pas toujours marquées au coin de l'urbanité et du savoir vivre, nous ne l'aurions pas relevé ; mais il traite la question au point de vue scientifique ; il nous accable par des démonstrations avec lesquelles il prétend nous pulvériser ; voyons donc si, décidément, nous sommes morts de par l'arrêt de l'Académie des sciences, ou bien, si nous avons quelque chance de vivre comme ce pauvre fou de Fulton dont le système fut déclaré, par l'Institut, un rêve creux, impraticable, ce qui a tout simplement privé la France de l'initiative de la marine à vapeur ; et qui sait les conséquences que cette puissance, entre les mains de Napoléon I°, eût pu avoir sur les événements ultérieurs !

Nous ne ferons qu'une très courte remarque au sujet de la qualification de charlatan donnée aux partisans des idées nouvelles ; elle nous semble quelque peu hasardée, quand elle s'applique à des millions d'individus qui n'en tirent aucun profit, et quand elle atteint les sommets les plus élevés des régions sociales. On oublie que le spiritisme a fait, en quelques années, des progrès incroyables dans toutes les parties du monde ; qu'il se propage, non parmi les ignorants, mais dans les classes éclairées ; qu'il compte dans ses rangs un très grand nombre de médecins, des magistrats, des ecclésiastiques, des artistes, des hommes de lettres, de hauts fonctionnaires : gens auxquels on accorde généralement quelques lumières et un peu de bon sens. Or, les confondre dans le même anathème, et les envoyer sans façon aux Petites-Maisons, c'est agir par trop cavalièrement.

Mais direz-vous, ces gens-là sont de bonne foi ; ils sont dupes d'une illusion ; nous ne nions pas l'effet, nous ne contestons que la cause que vous lui attribuez, la science vient de découvrir la véritable cause, elle la fait connaître, et par cela même, fait crouler tout cet échafaudage mystique d'un monde invisible qui peut séduire des imaginations exaltées, mais loyales.

Nous ne nous piquons pas d'être savant, et encore moins oserions-nous nous placer au niveau de nos honorables adversaires ; nous dirons seulement que nos études personnelles en anatomie, et les sciences physiques et naturelles que nous avons eu l'honneur de professer, nous permettent de comprendre leur théorie et que nous ne sommes nullement étourdi par cette avalanche de mots techniques ; les phénomènes dont ils parlent nous sont parfaitement connus. Dans nos observations sur les effets attribués à des êtres invisibles, nous n'avons eu garde de négliger une cause aussi patente de méprise. Quand un fait se présente, nous ne nous contentons pas d'une seule observation ; nous voulons le voir de tous les côtés, sous toutes ses faces, et avant d'accepter une théorie, nous examinons si elle rend compte de toutes les circonstances, si aucun fait inconnu ne vient la contredire, en un mot si elle résout toutes les questions : la vérité est à ce prix. Vous admettrez bien, messieurs, que cette manière de procéder est assez logique. Eh bien ! malgré tout le respect que commande votre savoir, il se présente quelques difficultés dans l'application de votre système à ce qu'on appelle les Esprits frappeurs. La première c'est qu'il est au moins singulier que cette faculté, jusqu'à présent exceptionnelle et regardée comme un cas pathologique, que M. Jobert (de Lamballe) qualifie de rare et singulière affection, soit devenue tout à coup si commune. M. de Lamballe dit, il est vrai, que tout homme peul l'acquérir par l'exercice ; mais comme il dit aussi qu'elle est accompagnée de douleur et de fatigue, ce qui est assez naturel, on conviendra qu'il faut avoir une bien robuste envie de mystifier pour faire craquer son muscle pendant deux ou trois heures de suite quand cela ne rapporte rien, et pour le seul plaisir d'amuser une société.

Mais parlons sérieusement ; ceci est plus grave, car c'est de la science. Ces messieurs qui ont découvert cette merveilleuse propriété du long péronier, ne se doutent pas de tout ce que peut faire ce muscle ; or voilà un beau problème à résoudre. Les tendons déplacés ne frappent pas seulement dans leurs gouttières osseuses ; par un effet vraiment bizarre, ils vont frapper contre les portes, les murailles, les plafonds, et cela à volonté, dans tel endroit désigné. Mais voici qui est plus fort, et voyez combien la science était loin de se douter de toutes les vertus de ce muscle craqueur : il a le pouvoir de soulever une table sans la toucher, de la faire frapper des pieds, se promener dans une chambre, se maintenir dans l'espace sans point d'appui ; de l'ouvrir et de la fermer, et jugez de sa force ! de la faire briser en retombant. Vous croyez qu'il s'agit d'une table fragile et légère comme une plume, et qu'on enlève en soufflant dessus ? Détrompez-vous, il s'agit de tables lourdes et massives, pesant cinquante à soixante kilos, qui obéissent à de jeunes filles, à des enfants. Mais dira M. Schiff, je n'ai jamais vu ces prodiges. Cela est facile à concevoir, il n'a voulu voir que des jambes.

M. Schiff a-t-il apporté dans ses observations l'indépendance d'idées nécessaire ? Etait-il dégagé de toute prévention ? Il est permis d'en douter ; ce n'est pas nous qui le disons, c'est M. Jobert. Selon lui, M. Schiff s'est demandé, en parlant des médiums, si le siège de ces bruits n'était pas plutôt en eux que hors d'eux ; ses connaissances anatomiques lui ont donné à penser qu'il pouvait bien être dans la jambe. Cette manière de voir étant bien arrêtée dans son esprit, etc. Ainsi, de l'aveu de M. Jobert, M. Schiff a pris pour point de départ, non les faits, mais sa propre idée, son idée préconçue bien arrêtée ; de là des recherches dans un sens exclusif, et par conséquent une théorie exclusive qui explique parfaitement le fait qu'il a vu, mais non ceux qu'il n'a pas vus. - Et pourquoi n'a-t-il pas vu ? - Parce que, dans sa pensée, il n'y avait qu'un point de départ vrai, et une explication vraie ; partant de là, tout le reste devait être faux et ne méritait pas examen ; il en est résulté que, dans son ardeur à pourfendre les médiums, il a frappé à côté.

Vous croyez, Messieurs, connaître toutes les vertus du long péronier, parce que vous l'avez surpris jouant de la guitare dans sa coulisse ? Ah ! bien oui ! voilà bien autre chose à enregistrer dans les annales anatomiques. Vous avez cru que le cerveau était le siège de la pensée ; erreur ! on peut penser par la cheville. Les coups frappés donnent des preuves d'intelligence, donc si ces coups viennent exclusivement du péronier, que ce soit le long, selon M. Schiff, ou le court, selon M. Jobert (il faudrait pourtant bien s'entendre à cet égard) : c'est que le péronier est intelligent. - Cela n'a rien d'étonnant ; le médium faisant craquer son muscle à volonté exécutera ce que vous voudrez : il imitera la scie, le marteau, battra le rappel, le rythme d'un air demandé. - Soit ; mais quand le bruit répond à une chose que le médium ne sait pas du tout, qu'il ne peut savoir ; quand il vous dit de ces petits secrets que vous seul savez, de ces secrets qu'on voudrait cacher à son bonnet de nuit, il faut bien convenir que la pensée vient d'autre part que de son cerveau. D'où vient-elle ? Eh parbleu ! du long péronier. Ce n'est pas tout, il est poète aussi, ce long péronier, car il peut composer des vers charmants, quoique le médium n'ait jamais su en faire de sa vie ; il est polyglotte, car il dicte des choses vraiment fort sensées dans des langues dont le médium ne sait pas le premier mot ; il est musicien... nous le savons, M. Schiff a fait exécuter au sien des sons harmonieux, avec ou sans chaussure, devant cinquante personnes. - Oui ; mais il compose. Vous, Monsieur Dorgeval, qui nous avez donné dernièrement une charmante sonate, vous croyez bonnement que c'est l'Esprit de Mozart qui vous l'a dictée ? Détrompez-vous, c'est votre long péronier qui jouait du piano. En vérité, messieurs les médiums, vous ne vous doutiez pas avoir tant d'esprit dans votre talon. Honneur donc à ceux qui ont fait cette découverte ; que leurs noms soient inscrits en grosses lettres pour l'édification de la postérité et l'honneur de leur mémoire !

Vous plaisantez d'une chose sérieuse, dira-t-on ; mais des plaisanteries ne sont pas des raisons. Non, pas plus que les sottises et les grossièretés. Confessant notre ignorance auprès de ces messieurs, nous acceptons leur savante démonstration et la prenons très sérieusement. Nous avions cru que certains phénomènes étaient produits par des êtres invisibles qui se sont donné le nom d'Esprits : nous nous sommes trompé, soit ; comme nous cherchons la vérité, nous n'aurons pas la sotte prétention de nous entêter sur une idée qui nous est démontrée fausse d'une manière aussi péremptoire. Du moment que M. Jobert, par une incision sous-cutanée, a coupé court aux Esprits, c'est qu'il n'y a plus d'Esprits. Puisqu'il dit que tous les bruits viennent du péronier, il faut bien le croire et en admettre toutes les conséquences ; ainsi, quand les coups se font entendre dans la muraille ou au plafond, c'est que le péronier y correspond, ou que la muraille a un péronier ; quand ces coups dictent des vers par une table qui frappe du pied, de deux choses l'une, c'est la table qui est poète ou bien le péronier ; ceci nous paraît logique. Nous allons même plus loin : un officier de notre connaissance reçut un jour en faisant des expériences spirites, et par une main invisible, une paire de soufflets tellement bien appliqués qu'il s'en ressentit encore deux heures après. Or, le moyen de provoquer une réparation ? Si pareille chose arrivait à M. Jobert, il ne s'en inquiéterait pas, parce qu'il dirait qu'il a été cinglé par le long péronier.

Voici ce que nous lisons à ce sujet dans le journal la Mode du 1° mai 1859.

« L'Académie de médecine continue la croisade des esprits positifs contre le merveilleux en tout genre. Après avoir, à bon droit, mais peut-être un peu maladroitement foudroyé le fameux docteur noir, par l'organe de M. Velpeau, voici maintenant qu'elle vient d'entendre M. Jobert (de Lamballe) déclarer, en plein Institut, le secret de ce qu'il appelle la grande comédie des Esprits frappeurs, qui s'est jouée avec tant de succès dans les deux hémisphères.

« Suivant le célèbre chirurgien, tous les toc toc, tous les pan pan, faisant tressaillir de si bonne foi les gens qui les entendaient ; ces bruits singuliers, ces coups secs frappés successivement et comme en cadence, précurseurs de l'arrivée, signes certains de la présence des habitants de l'autre monde, sont tout simplement le résultat d'un mouvement imprimé à un muscle, à un nerf, à un tendon ! Il s'agit d'une bizarrerie de la nature, habilement exploitée, pour produire, sans qu'il soit possible de le remarquer, cette musique mystérieuse qui a charmé, séduit tant de gens.

« Le siège de l'orchestre est placé dans la jambe. C'est le tendon du péronier, jouant dans une coulisse, qui fait tous ces bruits que l'on entend sous les tables, ou à distance, à la volonté du prestidigitateur.

« Je doute très fort, pour ma part, que M. Jobert ait mis la main, comme il le croit, sur le secret de ce qu'il appelle « une comédie, » et les articles qui ont été publiés dans ce journal même, par notre confrère M. Escande, sur les mystères du monde occulte, me paraissent poser la question avec une largeur bien autrement sincère et philosophique, dans le bon sens du mot.

« Mais, si les charlatans de toutes couleurs sont agaçants avec leurs coups de grosse caisse, il faut convenir que messieurs les savants ne le sont pas moins quelquefois avec l'éteignoir qu'ils prétendent poser sur tout ce qui luit en dehors des flambeaux officiels.

« Ils ne comprennent pas que la soif du merveilleux, qui dévore notre époque, a justement pour causes les excès de positivisme où certains esprits ont voulu l'entraîner. L'âme humaine a besoin de croire, d'admirer et d'avoir vue sur l'infini. On a travaillé à lui boucher les fenêtres que lui ouvrait le catholicisme, elle regarde par n'importe quelles lucarnes. »


HENRY DE PENE.

« Notre excellent ami, M. Henry de Pène, nous permettra une observation. Nous ignorons quand M. Jobert a fait cette immortelle découverte, et quel est le jour mémorable où il l'a communiquée à l'Institut. Ce que nous savons, c'est que cette originale explication avait déjà été donnée par d'autres. En 1854, M. le docteur Rayer, un praticien célèbre, qui ne fit pas ce jour là preuve d'une rare perspicacité, présenta lui aussi, à l'Institut, un Allemand dont le savoir-faire donnait, selon lui, la clé de tous les knokings et rappings des deux mondes. Il s'agissait, comme aujourd'hui, du déplacement de l'un des tendons musculaires de la jambe, appelé le long péronier. La démonstration en fut donnée séance tenante, et l'Académie exprima sa reconnaissance pour cette intéressante communication. Quelques jours après, un professeur agrégé de la Faculté de médecine consigna le fait dans le Constitutionnel, et il eut le courage d'ajouter que « les savants ayant enfin prononcé, le mystère était enfin éclairci. » Ce qui n'a pas empêché le mystère de persister et de grandir, en dépit de la science qui, se refusant à l'expérimenter, se contente de l'attaquer par des explications ridicules et burlesques, comme celles dont nous venons de parler. Par respect pour M. Jobert (de Lamballe), nous nous plaisons à croire qu'on lui a prêté une expérience qui ne lui appartient nullement. Quelque journal, à bout de nouvelles, aura retrouvé dans quelque coin oublié de son portefeuille l'ancienne communication de M. Rayer, et l'aura ressuscitée, en la plaçant sous son patronage, afin de varier un peu. Mutato nomine, de te fabula narratur. C'est fâcheux, sans doute, mais cela vaut encore mieux que si ce journal avait dit vrai. »

A. ESCANDE.


Intervention de la Science dans le Spiritisme

L'opposition des corps savants est un des arguments qu'invoquent sans cesse les adversaires du spiritisme. Pourquoi ne se sont-ils pas emparés du phénomène des tables tournantes ? S'ils y avaient vu quelque chose de sérieux, ils n'auraient eu garde, dit-on, de négliger des faits aussi extraordinaires, et encore moins de les traiter avec dédain, tandis qu'ils sont tous contre vous. Les savants ne sont-ils pas le flambeau des nations, et leur devoir n'est-il pas de répandre la lumière ? Pourquoi voudriez-vous qu'ils l'eussent étouffée, alors qu'une si belle occasion se présentait à eux de révéler au monde une force nouvelle ? - C'est d'abord une erreur grave de dire que tous les savants sont contre nous, puisque le spiritisme se propose précisément dans la classe éclairée. Il n'y a pas de savants que dans la science officielle et dans les corps constitués. De ce que le spiritisme n'a pas encore droit de cité dans la science officielle, cela préjuge-t-il la question ? On connaît la circonspection de celle-ci à l'endroit des idées nouvelles. Si la science ne s'était jamais trompée, son opinion pourrait ici peser dans la balance ; malheureusement l'expérience prouve le contredire. N'a-t-elle pas repoussé comme des chimères une foule de découvertes qui, plus tard, ont illustré la mémoire de leurs auteurs ? Est-ce à dire que les savants sont des ignorants ? cela justifie-t-il les épithètes triviales à force de mauvais goût que certaines gens se plaisent à leur prodiguer ? Assurément non ; il n'est personne de sensé qui ne rende justice à leur savoir, tout en reconnaissant qu'ils ne sont pas infaillibles, et qu'ainsi leur jugement n'est pas en dernier ressort. Leur tort est de trancher certaines questions un peu légèrement, se fiant trop à leurs lumières, avant que le temps n'ait dit son mot, et de s'exposer ainsi à recevoir les démentis de l'expérience.

Chacun n'est bon juge que dans ce qui est de sa compétence. Si vous voulez bâtir une maison, prendrez-vous un musicien ? Si vous êtes malade, vous ferez-vous soigner par un architecte ? Si vous avez un procès, prendrez-vous l'avis d'un danseur ? Enfin, s'il s'agit d'une question de théologie, la ferez-vous résoudre par un chimiste ou un astronome ? Non, chacun son métier. Les sciences vulgaires reposent sur les propriétés de la matière qu'on peut manipuler à son gré ; les phénomènes qu'elle produit ont pour agents des forces matérielles. Ceux du spiritisme ont pour agents des intelligences qui ont leur indépendance, leur libre arbitre, et ne sont point soumises à nos caprices ; ils échappent ainsi à nos procédés anatomiques ou de laboratoire, et à nos calculs, et dès lors ne sont plus du ressort de la science proprement dite. La science s'est donc fourvoyée quand elle a voulu expérimenter les Esprits comme une pile voltaïque ; elle est partie d'une idée fixe, préconçue, à laquelle elle se cramponne et veut forcément rattacher l'idée nouvelle ; elle a échoué et cela devait être, parce qu'elle a opéré en vue d'une analogie qui n'existe pas ; puis, sans aller plus loin, elle a conclu à la négative : jugement téméraire que le temps se charge tous les jours de reformer, comme il en a réformé bien d'autres, et ceux qui l'auront prononcé en seront pour la honte de s'être inscrits trop légèrement en faux contre la puissance infinie du Créateur. Les corps savants n'ont donc point, et n'auront jamais à se prononcer dans la question ; elle n'est pas plus de leur ressort que celle de décréter si Dieu existe ; c'est donc une erreur de les en faire juge. Mais qui donc sera juge ? Les Spirites se croient-ils le droit d'imposer leurs idées ? Non, le grand juge, le juge souverain, c'est l'opinion publique ; quand cette opinion se sera formée par l'assentiment des masses et des hommes éclairés, les savants officiels l'accepteront comme individus et subiront la force des choses. Laissez passer une génération, et avec elle les préjugés de l'amour-propre qui s'entête, et vous verrez qu'il en sera du Spiritisme comme de tant d'autres vérités que l'on a combattues et qu'il serait ridicule maintenant de révoquer en doute. Aujourd'hui, ce sont les croyants qu'on traite de fous ; demain ce sera le tour de ceux qui ne croiront pas, absolument comme on traitait jadis de fous ceux qui croyaient que la terre tourne, ce qui ne l'a pas empêché de tourner.

Mais tous les savants n'ont pas jugé de même ; il en est qui ont fait le raisonnement suivant :

Il n'y a pas d'effet sans cause, et les effets les plus vulgaires peuvent mettre sur la voie des plus grands problèmes. Si Newton eût méprisé la chute d'une pomme, si Galvani eût rebuté sa servante en la traitant de folle et de visionnaire, quand elle lui parla des grenouilles qui dansaient dans le plat, peut-être en serions-nous encore à trouver l'admirable loi de la gravitation et les fécondes propriétés de la pile. Le phénomène qu'on désigne sous le nom burlesque de danse des tables, n'est pas plus ridicule que celui de la danse des grenouilles, et il renferme peut-être aussi quelques-uns de ces secrets de la nature qui font révolution dans l'humanité, quand on en a la clé. Ils se sont dit, en outre : Puisque tant de gens s'en occupent, puisque des hommes sérieux en ont fait une étude, il faut qu'il y ait quelque chose ; une illusion, une tocade si l'on veut, ne peut avoir ce caractère de généralité ; elle peut séduire un cercle, une coterie, mais elle ne fait pas le tour du monde.

Voici, notamment, ce que nous disait un savant docteur médecin, naguère incrédule, et aujourd'hui adepte fervent :

« On dit que des êtres invisibles se communiquent ; et pourquoi pas ? Avant l'invention du microscope, soupçonnait-on l'existence de ces milliards d'animalcules qui causent tant de ravages dans l'économie ? Où est l'impossibilité matérielle qu'il y ait, dans l'espace, des êtres qui échappent à nos sens ? Aurions-nous par hasard la ridicule prétention de tout savoir et de dire à Dieu qu'il ne peut pas nous en apprendre davantage ? Si ces êtres invisibles qui nous entourent sont intelligents, pourquoi ne se communiqueraient-ils pas à nous ? S'ils sont en relation avec les hommes, ils doivent jouer un rôle dans la destinée, dans les événements ; qui sait ? c'est peut-être une des puissances de la nature, une de ces forces occultes que nous ne soupçonnons pas. Quel nouvel horizon cela ouvrirait à la pensée ! quel vaste champ d'observation ! La découverte du monde des invisibles serait bien autre chose que celle des infiniment petits ; ce serait plus qu'une découverte, ce serait toute une révolution dans les idées. Quelle lumière peut en jaillir ! Que de choses mystérieuses expliquées ! Ceux qui y croient, sont tournés en ridicule ; mais qu'est-ce que cela prouve ? N'en a-t-il pas été de même de toutes les grandes découvertes ? Christophe Colomb n'a-t-il pas été rebuté, abreuvé de dégoûts, traité en insensé ? Ces idées, dit-on, sont si étranges, que la raison s'y refuse ; mais à celui qui eût dit, il y a seulement un demi-siècle, qu'en quelques minutes on correspondrait d'un bout du monde à l'autre ; qu'en quelques heures on traverserait la France ; qu'avec la fumée d'un peu d'eau bouillante, un navire marcherait vent debout ; qu'on tirerait de l'eau les moyens de s'éclairer et de se chauffer ; on lui aurait ri au nez. Qu'un homme fût venu proposer un moyen d'éclairer tout Paris à la minute, avec un seul réservoir d'une substance invisible, on l'aurait envoyé à Charenton. Est-ce donc une chose plus prodigieuse que l'espace soit peuplé d'êtres pensants qui, après avoir vécu sur la terre, ont quitté leur enveloppe matérielle ? Ne trouve-t-on pas, dans ce fait, l'explication d'une foule de croyances qui remontent à la plus haute antiquité ? N'est-ce pas la confirmation de l'existence de l'âme, de son individualité après la mort ? N'est-ce pas la preuve de la base même de la religion ? Seulement, la religion ne nous dit que vaguement ce que deviennent les âmes ; le spiritisme le définit. Que peuvent dire à cela les matérialistes et les athées ? De pareilles choses valent bien la peine d'être approfondies. »

Voilà les réflexions d'un savant ; mais d'un savant sans prétentions ; ce sont aussi celles d'une foule d'hommes éclairés ; ils ont réfléchi, étudié sérieusement et sans parti pris ; ils ont eu la modestie de ne pas dire : Je ne comprends pas, donc cela n'est pas ; leur conviction s'est formée par l'observation et le recueillement. Si ces idées eussent été des chimères, pense-t-on que tant de gens d'élite les eussent adoptées ? qu'ils aient pu être longtemps dupes d'une illusion ? Il n'y a donc point impossibilité matérielle à ce qu'il existe des êtres invisibles pour nous et peuplant l'espace, et cette considération seule devrait engager à plus de circonspection. Naguère, qui eût jamais pensé qu'une goutte d'eau limpide pût renfermer des milliers d'êtres vivants, d'une petitesse qui confond notre imagination ? Or, il était plus difficile à la raison de concevoir des êtres d'une telle ténuité, pourvus de tous nos organes et fonctionnant comme nous, que d'admettre ceux que nous nommons Esprits.

Les adversaires demandent pourquoi les Esprits, qui doivent avoir à coeur de faire des prosélytes, ne se prêtent pas mieux qu'ils ne le font aux moyens de convaincre certaines personnes dont l'opinion serait d'une grande influence. Ils ajoutent qu'on leur oppose leur manque de foi ; à cela, ils répondent avec raison qu'ils ne peuvent avoir une foi anticipée.

C'est une erreur de croire que la foi soit nécessaire, mais la bonne foi, c'est autre chose. Il y a des sceptiques qui nient jusqu'à l'évidence, et que des miracles ne pourraient convaincre. Il en est même qui seraient bien fâchés d'être forcés de croire, parce que leur amour-propre souffrirait de convenir qu'ils se sont trompés. Que répondre à des gens qui ne voient partout qu'illusion et charlatanisme ? Rien ; il faut les laisser tranquilles et dire tant qu'ils voudront qu'ils n'ont rien vu, et même qu'on n'a rien pu leur faire voir. A côté de ces sceptiques endurcis, il y a ceux qui veulent voir à leur manière ; qui, s'étant faut une opinion, veulent tout y rapporter, ils ne comprennent pas que des phénomènes ne puissent obéir à leur gré ; ils ne savent pas, ou ne veulent pas se mettre dans les conditions nécessaires. Si les Esprits ne sont pas plus empressés de les convaincre par des prodiges, c'est qu'apparemment ils tiennent peu, pour le moment, à convaincre certaines personnes dont ils ne mesurent pas l'importance comme elles le font elles-mêmes ; c'est peu flatteur, il faut en convenir, mais nous ne commandons pas à leur opinion ; les Esprits ont une manière de juger les choses qui n'est pas toujours la nôtre ; ils voient, pensent et agissent d'après d'autres éléments ; tandis que notre vue est circonscrite par la matière, bornée par le cercle étroit au milieu duquel nous nous trouvons, ils embrassent l'ensemble ; le temps qui nous paraît si long est pour eux un instant, la distance n'est qu'un pas ; certains détails, qui nous semblent d'une importance extrême, sont à leurs yeux des enfantillages, et par contre, ils jugent importantes des choses dont nous ne saisissons pas la portée. Pour les comprendre, il faut s'élever, par la pensée, au-dessus de notre horizon matériel et moral, et nous placer à leur point de vue ; ce n'est pas à eux à descendre jusqu'à nous, c'est à nous de monter jusqu'à eux, et c'est à quoi nous conduisent l'étude et l'observation. Les Esprits aiment les observateurs assidus et consciencieux ; pour eux ils multiplient les sources de lumière ; ce qui les éloigne, ce n'est pas le doute de l'ignorance, c'est la fatuité de ces prétendus observateurs qui n'observent rien, qui prétendent les mettre sur la sellette et les faire manoeuvrer comme des marionnettes. C'est surtout le sentiment d'hostilité et de dénigrement qu'ils apportent, sentiment qui est dans leur pensée, s'il n'est pas dans leurs paroles, malgré leurs protestations contraires. Pour ceux-là, les Esprits ne font rien et s'inquiètent fort peu de ce qu'ils peuvent dire ou penser, parce que leur tour viendra. C'est pourquoi nous avons dit que ce n'est pas la foi qui est nécessaire, mais la bonne foi ; or, nous demandons si nos savants adversaires sont toujours dans ces conditions. Ils veulent les phénomènes à leur commandement, et les Esprits n'obéissent pas au commandement : il faut attendre leur bon vouloir. Il ne suffit pas de dire : montrez-moi tel fait et je croirai ; il faut avoir la volonté de la persévérance, laisser les faits se produire spontanément sans prétendre les forcer ou les diriger ; celui que vous désirez sera précisément celui que vous n'obtiendrez pas, mais il s'en présentera d'autres, et celui que vous voulez viendra peut-être au moment où vous vous y attendrez le moins. Aux yeux de l'observateur attentif et assidu, il en surgit des masses qui se corroborent les uns les autres ; mais celui qui croit qu'il suffit de tourner une manivelle pour faire marcher la machine se trompe étrangement. Que fait le naturaliste qui veut étudier les moeurs d'un animal ? Lui commande-t-il de faire telle ou telle chose pour avoir tout loisir de l'observer à son gré et à sa convenance ? Non ; car il sait bien qu'il ne lui obéira pas ; il épie les manifestations spontanées de son instinct ; il les attend et les saisit au passage. Le simple bon sens nous montre qu'à plus forte raison il doit en être de même des Esprits, qui sont des intelligences bien autrement indépendantes que celles des animaux.




Entretiens familiers d'outre-tombe

M. de Humboldt
Décédé le 6 mai 1859 ; appelé dans la Société parisienne des Etudes spirites les 13 et 20 du même mois.

(A saint Louis). Pouvons-nous appeler l'esprit de M. Alexandre de Humboldt qui vient de mourir ? - R. Si vous voulez, amis.

1. Evocation. - R. Me voilà ; que cela m'étonne !

2. Pourquoi cela vous étonne-t-il ? - R. le suis loin de ce que j'étais, il y a à peine quelques jours.

3. Si nous pouvions vous voir, comment est-ce que nous vous verrions ? - R. Comme homme.

4. Notre appel vous contrarie-t-il ? - Non, non.

5. Avez-vous eu conscience de votre nouvel état aussitôt après votre mort ? - R. Je l'attendais depuis longtemps.

Remarque. Chez les hommes qui, comme M. de Humboldt, meurent de mort naturelle et par l'extinction graduelle des forces vitales, l'Esprit se reconnaît bien plus promptement que chez ceux en qui la vie est brusquement interrompue par accident ou mort violente, attendu qu'il y a déjà eu un commencement de dégagement avant la cessation de la vie organique. Chez M. de Humboldt la supériorité de l'Esprit et l'élévation des pensées facilitaient ce dégagement toujours plus lent et plus pénible chez ceux dont la vie est toute matérielle.

6. Regrettez-vous la vie terrestre ? - R. Non, du tout ; je me sens heureux ; je n'ai plus de prison ; mon Esprit est libre... Quelle joie même ! et quel doux moment que celui qui m'a apporté cette nouvelle grâce de Dieu !

7. Que pensez-vous de la statue qu'on va vous élever en France, quoique vous soyez étranger ? - R. Mes remerciements personnels pour l'honneur qu'on me fait ; ce que j'estime surtout en cela, c'est le sentiment d'union que ce fait décèle, le désir de voir finir toutes les haines.

8. Vos croyances ont-elles changé ? - Oui, beaucoup ; mais je n'ai point encore tout revu ; attendez encore pour me parler plus profondément.

Remarque. Cette réponse et ce mot revu sont caractéristiques de l'état où il se trouve ; malgré le prompt dégagement de son Esprit, il y a encore quelque confusion dans ses idées ; n'avant quitté son corps que depuis huit jours, il n'a pas encore eu le temps de comparer ses idées terrestres avec celles qu'il peut avoir maintenant.

9. Etes-vous satisfait de l'emploi de votre existence terrestre ? - R. Oui ; j'ai rempli (à peu près) le but que je m'étais proposé. J'ai servi l'humanité, c'est pourquoi je suis heureux aujourd'hui.

10. Quand vous étiez-vous proposé ce but ? - En venant sur la terre.

Remarque. Puisqu'il s'était proposé un but en venant sur la terre, c'est donc qu'il y avait eu chez lui un progrès antérieur, et que son âme n'avait pas pris naissance en même temps que son corps. Cette réponse spontanée ne peut avoir été provoquée par la nature de la question ou la pensée de l'interrogateur.

11. Aviez-vous choisi cette existence terrestre ? - R. Il y avait de nombreux candidats pour cette oeuvre ; j'ai demandé à l'Etre par excellence de me l'accorder, et je l'ai obtenue.

12. Vous rappelez-vous l'existence qui a précédé celle que vous venez de quitter ? - R. Oui ; elle eut lieu loin de chez vous et dans un monde bien différent du vôtre.

13. Ce monde est-il égal, inférieur ou supérieur à la terre ? - R. Supérieur ; pardonnez-moi.

14. Nous savons que notre monde est loin de la perfection, et par conséquent nous ne sommes point humiliés qu'il y en ait au-dessus de nous ; mais alors comment êtes-vous venu dans un monde inférieur à celui où vous étiez ? - R. Donne-t-on aux riches ? j'ai voulu donner : je suis descendu dans la cabane du pauvre.

15. Pouvez-vous nous donner une description des êtres animés du monde que vous habitiez ? - R. J'avais ce désir en vous parlant tout à l'heure ; mais j'ai compris à temps que j'aurais de la peine à vous expliquer parfaitement cela. - Les êtres y sont bons, très bons ; comprenez déjà ce point qui est la base de tout le reste du système moral dans ces mondes ; rien n'y entrave l'essor des bonnes pensées ; rien ne rappelle les mauvaises ; tout est heureux, car chacun est content de soi-même et de tous ceux qui l'entourent. - Comme matière, comme sens, toute description est inutile. - Quelle simplification dans les rouages d'une société ! aujourd'hui que je suis à même de comparer les deux, je suis effrayé de la distance. Ne pensez pas que je vous dise cela pour vous décourager ; non, bien au contraire. Il faut que votre esprit soit bien convaincu de l'existence de ces mondes ; alors vous aurez un ardent désir d'y atteindre, et votre travail vous en ouvrira la route.

16. Ce monde fait-il partie de notre système planétaire ? - R. Oui, il est très près de vous. Cependant on ne peut le voir, parce qu'il n'est point lui-même foyer de lumière, et qu'il ne reçoit et ne réfléchit point la lumière des soleils qui l'entourent.

17. Vous nous avez dit tout à l'heure que votre précédente existence avait eu lieu loin de nous, et maintenant vous dites que ce monde est très près ; comment concilier ces deux choses ? - R. Il est loin de vous si vous consultez vos distances, vos mesures terrestres ; mais il en est proche si vous prenez le compas de Dieu, et si vous essayez d'embrasser d'un coup d'oeil toute la création.

Remarque. Il est évident qu'il peut être considéré comme loin si nous prenons comme terme de comparaison les dimensions de notre globe ; mais il est près par rapport aux mondes qui sont à des distances incalculables.

18. Pourriez-vous préciser la région du ciel où il se trouve ? - R. C'est inutile ; les astronomes ne la connaîtront jamais.

19. La densité de ce monde est-elle la même que celle de notre globe ? - R. Il s'en faut de mille à dix.

20. Serait-ce un monde de la nature des comètes ? - R. Non, aucunement.

21. S'il n'est pas foyer de lumière et s'il ne reçoit ni ne réfléchit la lumière solaire, il y règne donc une obscurité perpétuelle ? - R. Les êtres qui vivent là n'ont aucunement besoin de lumière : l'obscurité n'existe pas pour eux ; ils ne la comprennent pas. Vous pensez, parce que vous êtes aveugles, que personne ne peut avoir le sens de la vue.

22. La planète de Jupiter est, au dire de certains Esprits, bien supérieure à la terre ; cela est-il exact ? - R. Oui ; tout ce qu'on vous en a dit est vrai.

23. Avez-vous revu Arago depuis votre rentrée dans le monde des Esprits ? - R. C'est lui qui m'a tendu la main quand j'ai quitté le vôtre.

24. Connaissiez-vous le spiritisme de votre vivant ? - R. Le spiritisme, non ; le magnétisme, oui.

25. Quelle est votre opinion sur l'avenir du spiritisme parmi les corps savants ? - R. Grand ; mais son chemin sera pénible.

26. Pensez-vous qu'un jour il soit accepté par les corps savants ? - R. Certainement ; mais croyez-vous donc que cela soit indispensable ? Occupez-vous plutôt d'en mettre les premiers préceptes au coeur des malheureux qui encombrent votre monde : c'est le baume qui calme les désespoirs et donne l'espérance.

Remarque. François Arago ayant été appelé dans la séance du 27 mai, et par l'intermédiaire d'un autre médium, répondit ainsi à des questions analogues :

Quelle était de votre vivant, votre opinion sur le spiritisme ? - R. Je le connaissais très peu, et n'y attachais, par conséquent que peu d'importance ; je vous laisse à penser si j'ai changé d'avis.

Pensez-vous qu'il soit un jour accepté et reconnu par les corps savants ? j'entends la science officielle, car pour les savants il y en a beaucoup qui individuellement le reconnaissent. - R. Non seulement je le pense, mais j'en suis sûr ; il subira le sort de toutes les découvertes utiles à l'humanité ; bafoué d'abord par les savants orgueilleux et les sots ignorants, il finira par être reconnu par tous.

27. Quelle est votre opinion sur le soleil qui nous éclaire ? - R. Je n'ai encore rien appris ici comme science ; cependant, je crois toujours que le soleil n'est qu'un vaste centre électrique.

28. Cette opinion est-elle le reflet de celle que vous aviez comme homme, ou la vôtre comme Esprit ? - R. Mon opinion de mon vivant, corroborée par ce que je sais maintenant.

29. Puisque vous venez d'un monde supérieur à la terre, comment se fait-il que vous n'ayez pas eu des connaissances précises sur ces choses, avant votre dernière existence, et dont vous vous souveniez aujourd'hui ? - R. Je les avais certainement, mais ce que vous me demandez n'a aucun rapport à tout ce que j'ai pu apprendre dans des préexistences tellement différentes de celle que j'ai quittée ; l'astronomie, par exemple, fut pour moi une science toute nouvelle.

30. Nous avons vu beaucoup d'Esprits nous dire qu'ils habitaient ou avaient habité d'autres planètes, mais aucun ne nous a dit habiter le soleil ; pourquoi cela ? - R. C'est un centre électrique, et non un monde ; c'est un instrument et non une demeure. - Il n'y a donc point d'habitants ? - R. Habitants fixes, non ; visiteurs, oui.

31. Pensez-vous que dans quelque temps, quand vous aurez pu faire de nouvelles observations, vous pourrez mieux nous renseigner sur la nature du soleil ? - R. Oui, peut-être et volontiers ; cependant, ne comptez pas trop sur moi, je ne serai pas longtemps errant.

32. Où croyez-vous aller quand vous ne serez plus errant ? - R. Dieu me permet de me reposer quelques moments ; je vais jouir de cette liberté pour rejoindre des amis bien chers qui m'attendaient. Ensuite, je ne sais encore.

33. Nous vous demandons la permission de vous adresser encore quelques questions auxquelles vos connaissances en histoire naturelle vous mettent sans doute à même de répondre.

La sensitive et la dionée ont des mouvements qui accusent une grande sensibilité, et dans certains cas une sorte de volonté, comme la dernière, par exemple, dont les lobes saisissent la mouche qui vient se poser sur elle pour puiser son suc, et à laquelle elle semble tendre un piège pour ensuite la faire mourir. Nous demandons si ces plantes sont douées de la faculté de penser, si elles ont une volonté, et si elles forment une classe intermédiaire entre la nature végétale et la nature animale ; en un mot, sont-elles une transition de l'une à l'autre ? - R. Tout est transition dans la nature, par le fait même que rien n'est semblable, et que pourtant tout se tient. Ces plantes ne pensent pas, et par conséquent n'ont pas de volonté. L'huître qui s'ouvre et tous les zoophytes n'ont point la pensée ; il n'y a qu'un instinct naturel.

34. Les plantes éprouvent-elles des sensations douloureuses quand on les mutile ? - R. Non.

Remarque. - Un membre de la société exprime l'opinion que, les mouvements des plantes sensitives sont analogues à ceux qui se produisent dans les fonctions digestives et circulatoires de l'organisme animal, et qui ont lieu sans la participation de la volonté. Ne voit-on pas, en effet, le pylore se contracter au contact de certains corps pour refuser le passage ? Il doit en être de même de la sensitive et de la dionée, chez lesquelles les mouvements n'impliquent nullement la nécessité d'une perception et encore moins d'une volonté.

35. Y a-t-il des hommes fossiles ? - R. Le temps les a rongés.

36. Admettez-vous qu'il y ait eu des hommes sur la terre, avant le déluge géologique ? - R. Tu ferais bien de t'expliquer plus clairement sur ce point, avant de poser la question. L'homme était sur la terre avant bien des déluges.

37. Adam n'était donc pas le premier homme ? - R. Adam est un mythe ; où places-tu Adam ?

38. Mythe ou non, je parle de l'époque que l'histoire lui assigne. - R. C'est peu calculable pour vous ; il est même impossible de supputer le nombre d'années que les premiers hommes sont restés dans un état sauvage et bestial qui n'a cessé que bien longtemps après leur première apparition sur le globe.

39. La géologie fera-t-elle trouver un jour des traces matérielles de l'existence de l'homme sur la terre avant la période adamique ? - R. La géologie, non ; le bon sens, oui.

40. Le progrès du règne organique sur la terre est marqué par l'apparition successive des acotylédonées, des monocotylédonées et des dycotylédonées ; l'homme existait-il avant les dycotylédonées ? -R. Non, sa phase suivit celle-là.

41. Nous vous remercions d'avoir bien voulu venir à notre appel, et des renseignements que vous nous avez fournis. - R. C'est avec plaisir. Adieu ; au revoir.

Remarque. - Cette communication se distingue par un caractère général de bonté, de bienveillance, et une grande modestie, signe incontestable de supériorité chez l'Esprit ; là, en effet, nulle trace de la jactance, de la forfanterie, de l'envie de dominer et de s'imposer, que l'on remarque chez ceux qui appartiennent à la classe des faux savants, Esprits toujours plus ou moins imbus de systèmes et de préjugés qu'ils cherchent à faire prévaloir ; tout, chez l'Esprit de Humboldt, même les plus belles pensées, respire la simplicité et dénote l'absence de prétention.

Goëthe

Société parisienne des Etudes spirites ; 25 mars 1856.

1. Evocation. - R. Je suis avec vous.

2. Dans quelle situation êtes-vous comme Esprit : errant ou réincarné ? - R. Errant.

3. Etes-vous plus heureux que de votre vivant ? - R. Oui, car je suis dégagé de mon corps grossier, et je vois ce que je ne pouvais pas voir.

4. Il me semble que vous n'aviez pas une situation malheureuse de votre vivant ; en quoi consiste la supériorité de votre situation actuelle ? - R. Je viens de vous le dire ; vous, adeptes du spiritisme, vous devez comprendre cette situation.

5. Quelle est votre opinion actuelle sur Faust ? - R. C'est une oeuvre qui avait pour but de montrer la vanité et le vide de la science humaine, et par contre exalter, dans ce qu'il avait de beau et de pur, le sentiment de l'amour, et le châtier dans ce qu'il avait de déréglé et de méchant.

6. Est-ce par une certaine intuition du spiritisme que vous avez dépeint l'influence des mauvais Esprits sur l'homme ? Comment avez-vous été conduit à faire cette peinture ? - R. J'avais le souvenir presque exact d'un monde où je voyais agir l'influence des Esprits sur les êtres matériels.

7. Vous aviez donc souvenir d'une précédente existence ? - R. Oui, certes.

8. Pourriez-vous nous dire si cette existence avait eu lieu sur la terre ? - R. Non, parce que dans celui-ci on ne voit pas agir les Esprits ; c'est bien dans un autre.

9. Mais alors, puisque dans ce monde vous pouviez voir agir les Esprits, il devait être supérieur à la terre. Comment se fait-il que vous soyez venu d'un monde supérieur dans un monde inférieur ? Il y avait donc déchéance pour vous ? Veuillez nous expliquer cela. - R. Il était supérieur jusqu'à un certain point, mais pas comme vous l'entendez. Les mondes n'ont pas tous la même organisation, sans être pour cela d'une grande supériorité. Du reste, vous savez bien que je remplissais parmi vous une mission que tous vous ne pouvez vous dissimuler, puisque vous faites encore représenter mes ouvrages ; il n'y avait pas déchéance, puisque j'ai servi et que je sers encore à votre moralisation. J'appliquais ce qu'il pouvait y avoir de supérieur dans le monde précédent à châtier les passions de mes héros.

10. Oui, on représente encore vos ouvrages. On vient même de traduire en opéra votre drame de Faust. Est-ce que vous avez assisté à cette représentation ? - R. Oui.

11. Veuillez nous dire votre opinion sur la manière dont M. Gounod a interprété votre pensée par le moyen de la musique ? - R. Gounod m'a évoqué sans le savoir. Il m'a très bien compris ; moi, musicien allemand, je n'eus pas mieux fait ; il pense peut-être en musicien français.

12. Que pensez-vous de Werther ? - Je blâme maintenant le dénouement.

13. Cet ouvrage n'a-t-il pas fait beaucoup de mal en exaltant les passions ? - R. Il a fait et causé des malheurs.

14. Il a été cause de beaucoup de suicides ; en êtes-vous responsable ? - R. S'il y a eu une influence malheureuse répandue par moi, c'est bien de cela que je souffre encore et dont je me repens.

15. Vous aviez, je crois, de votre vivant, une grande antipathie pour les Français ; en est-il de même actuellement ! - R. Je suis très patriote.

16. Etes-vous encore plutôt attaché à un pays qu'à un autre ? - R. J'aime l'Allemagne dans sa pensée et dans ses moeurs presque patriarcales.

17. Voudriez-vous nous donner votre opinion sur Schiller ? - R. Nous sommes frères par l'esprit et par les missions. Schiller avait une âme grande et noble : ses ouvrages en étaient le reflet ; il a moins fait de mal que moi ; il m'est bien supérieur, parce qu'il était plus simple et plus vrai.

18. Pourriez-vous nous donner votre opinion sur les poètes français en général, comparés aux poètes allemands ? ce n'est point par un vain sentiment de curiosité, mais pour notre instruction. Nous vous croyons des sentiments trop élevés pour qu'il soit nécessaire de vous prier de le faire sans partialité, et en mettant de côté tout préjugé national. - R. Vous êtes bien curieux, mais je veux vous satisfaire :

Les Français nouveaux font souvent de beaux poèmes, mais ils mettent plus de belles paroles que de bonnes pensées ; ils devraient s'attacher plus au coeur et moins à l'esprit. Je parle en général, mais je fais quelques exceptions en faveur de quelques-uns : un grand poète pauvre entre autres.

19. Un nom circule à voix basse dans l'assemblée ; est-ce celui-là dont vous voulez parler ? - R. Pauvre, ou qui le fait.

20. Nous serions heureux d'avoir de vous une dissertation sur un sujet de votre choix, pour notre instruction. Serez-vous assez bon pour nous dicter quelque chose ? - R. Je le ferai plus tard et par d'autres médiums ; évoquez-moi une autre fois.


Le nègre Pa César

Pa César, homme libre de couleur, mort le 8 février 1859 à l'âge de 138 ans, près de Covington, aux Etats-Unis. Il était né en Afrique et fut amené à la Louisiane à l'âge d'environ 15 ans. Les restes mortels de ce patriarche de la race nègre ont été accompagnés au champ du repos par un certain nombre d'habitants de Covington, et une multitude de personnes de couleur.

Société, 25 mars 1859.

1. (A Saint Louis). Voudriez-vous nous dire si nous pouvons appeler le nègre Pa César dont il vient d'être question ? - R. Oui ; je l'aiderai à vous répondre.

Remarque. Ce début fait présager l'état de l'Esprit que l'on désire interroger.

2. Evocation. - R. Que me voulez-vous, et que peut un pauvre Esprit comme moi dans une réunion comme la vôtre ?

3. Etes-vous plus heureux maintenant que de votre vivant ? - R. Oui, car ma condition n'était pas bonne sur la terre.

4. Cependant vous étiez libre ; en quoi êtes-vous plus heureux maintenant ? - R. Parce que mon esprit n'est plus noir.

Remarque. Cette réponse est plus sensée qu'elle ne le paraît au premier abord. Assurément l'Esprit n'est jamais noir ; il veut dire que, comme Esprit, il n'a plus les humiliations auxquelles est en butte la race noire.

5. Vous avez vécu longtemps ; cela vous a-t-il profité pour votre avancement ? - R. Je me suis ennuyé sur la terre, et je ne souffrais pas assez à un certain âge pour avoir le bonheur d'avancer.

6. A quoi employez-vous votre temps maintenant ? - R. Je cherche à m'éclairer et dans quel corps je pourrai le faire.

7. Que pensiez-vous des Blancs de votre vivant ? - Ils sont bons, mais orgueilleux et vains d'une blancheur dont ils ne sont pas cause.

8. Est-ce que vous considérez la blancheur comme une supériorité ? - R. Oui, puisque j'ai été méprisé comme noir.

9. (A saint Louis). Est-ce que la race nègre est véritablement une race inférieure ? - R. La race nègre disparaîtra de la terre. Elle a été faite pour une latitude autre que la vôtre.

10. (A Pa César). Vous avez dit que vous cherchez le corps par lequel vous pourrez avancer ; choisirez-vous un corps blanc ou un corps noir ? - R. Un blanc, car le mépris me ferait du mal.

11. Avez-vous réellement vécu l'âge que l'on vous attribue : 138 ans ? - R. Je n'ai pas bien compté, par la raison que vous dites.

Remarque. On venait de faire observer que les nègres n'ayant pas d'état civil leur âge n'est jugé qu'approximativement, surtout quand ils sont nés en Afrique.

12. (A saint Louis). Est-ce que des Blancs se réincarnent quelquefois dans des corps nègres ? - R. Oui, quand, par exemple, un maître a maltraité un esclave, il se peut qu'il demande, par expiation, à vivre dans un corps de nègre pour souffrir à son tour les souffrances qu'il a fait endurer, et par ce moyen avancer et se faire pardonner par Dieu.




Variétés

La princesse de Rébinine

Vous savez que tous les somnambules, toutes les tables tournantes, tous les oiseaux magnétisés, tous les crayons sympathiques et toutes les tireuses de cartes prédisaient la guerre depuis fort longtemps ?... Des prophéties dans ce sens ont été faites à une foule de personnages importants, qui, tout en affectant de traiter fort légèrement ces soi-disant révélations du monde surnaturel, ne laissaient pas que d'en être assez vivement préoccupés. Pour notre part, sans trancher la question dans un sens ni dans l'autre, et trouvant d'ailleurs que, là où François Arago lui-même doutait, il est au moins permis de ne pas se prononcer, nous nous bornerons à vous raconter sans commentaires quelques faits dont nous avons été témoin.

Il y a huit jours, nous avions été convié à une soirée spirite chez M. le baron de G... A l'heure indiquée, tous les invités, au nombre de douze seulement, se trouvaient autour de la table... miraculeuse, une simple table en acajou, du reste, et sur laquelle, pour le moment, on avait servi le thé et les sandwichs de rigueur. De ces douze convives, nous devons nous hâter de le proclamer, aucun ne pouvait raisonnablement encourir le reproche de charlatanisme. Le maître de la maison, qui compte des ministres parmi ses proches parents, appartient à une grande famille étrangère.

Quant à ses fidèles, ils se composaient de deux officiers anglais distingués, d'un enseigne de vaisseau français, d'un prince russe fort connu, d'un médecin très habile, d'un millionnaire, d'un secrétaire d'ambassade et de deux ou trois gros bonnets du faubourg Saint-Germain. Nous étions le seul profane parmi ces illustres du spiritisme ; mais en notre qualité de chroniqueur parisien, et sceptique par devoir, nous ne saurions être accusé d'une crédulité... exagérée. La réunion en question ne pouvait donc être soupçonnée de jouer la comédie ; et quelle comédie ! une comédie inutile et ridicule, dans laquelle chacun aurait volontairement accepté à la fois le rôle de mystificateur et de mystifié ? Cela n'est pas admissible. Et dans quel but, au surplus ? dans quel intérêt ? C'eût été le cas ou jamais de se demander : Qui trompe-t-on ici ?

Non, il n'y avait là ni mauvaise foi, ni folie... Mettons, si vous le voulez, qu'il y a eu hasard... C'est tout ce que notre conscience nous permet de vous concéder. Or, voici ce qui s'est passé :

Après avoir interrogé l'Esprit sur mille choses, on lui a demandé si les espérances de paix, - qui semblaient alors très fortes, - étaient fondées.

- Non, a-t-il répondu très distinctement à deux reprises différentes.

- Nous aurons donc la guerre ?

- Certainement !...

- Quand cela ?

- Dans huit jours.

- Cependant le Congrès ne se réunit que le mois prochain... Cela rejette assez loin les éventualités d'un commencement d'hostilités.

- Il n'y aura pas de Congrès !

- Pourquoi ?

- L'Autriche le refusera.

- Et quelle est la cause qui triomphera ?

- Celle de la justice et du bon droit... celle de la France.

- Et la guerre, que sera-t-elle ?

- Courte et glorieuse.

Ceci nous remet en mémoire un autre fait du même genre, qui s'est également passé sous nos yeux il y a quelques années.

On se souvient que, lors de la guerre de Crimée, l'empereur Nicolas rappela en Russie tous ceux de ses sujets qui habitaient la France, sous peine, pour ceux-ci, de voir confisquer leurs biens, s'ils refusaient de se rendre à cet ordre.

Nous étions alors en Saxe, à Leipzick, où l'on prenait, comme partout, un vif intérêt à la campagne qui venait de commencer. Un jour, nous reçûmes le petit mot suivant :

« Je suis ici pour quelques heures seulement ; venez me voir, - hôtel de Pologne, n° 13 !

« Princesse DE REBININE. »

Nous avions beaucoup connu ici la princesse Sophie de Rébinine, une femme charmante et distinguée, dont l'histoire était tout un roman (que nous écrirons quelque jour), et qui voulait bien nous appeler son ami. Nous nous empressâmes donc de nous rendre à son aimable invitation, aussi agréablement surpris que charmé de son passage à Leipzick.

C'était un dimanche, un 13, et le temps était naturellement gris et triste comme il l'est toujours dans cette partie de la Saxe. Nous trouvâmes la princesse chez elle, plus gracieuse et plus spirituelle que jamais, seulement un peu pâle, un peu mélancolique. Nous lui en fîmes la remarque.

- D'abord, nous répondit-elle, je suis partie comme une bombe. - C'était le cas, puisque nous voilà en guerre, et je suis un peu fatiguée de mon mode de voyage. Ensuite, bien que nous soyons maintenant ennemis, je ne vous cacherai pas que je quitte Paris à regret. Je me considérais presque comme française depuis longtemps, et l'ordre de l'empereur me fait rompre avec une vieille et douce habitude.

- Pourquoi n'êtes-vous pas restée tranquillement dans votre joli appartement de la rue Rumfort ?

- Parce que l'on m'aurait coupé les vivres.

- Eh bien ! n'avez-vous donc pas chez nous de nombreux et bons amis ?

- Si,... je le crois du moins ; mais, à mon âge, une femme n'aime pas à laisser prendre hypothèque sur elle... les intérêts à payer dépassent souvent la valeur du capital ! Ah ! si j'étais vieille, ce serait autre chose ;... mais alors on ne me prêterait pas.

Et là-dessus la princesse changea de conversation.

Ah ! çà, nous dit-elle, vous savez que je suis d'une nature très absorbante... Je ne connais ici âme qui vive... Puis-je compter sur vous pour toute la journée ?

La réponse que nous fîmes est facile à deviner.

A une heure, la cloche se fit entendre dans la cour, et nous descendîmes dîner à la table d'hôte. Tout le monde parlait, en ce moment, de la guerre... et des tables tournantes.

En ce qui concerne la guerre, la princesse était sûre que la flotte anglo-française serait détruite dans la mer Noire, et elle se serait très bravement chargée d'aller l'incendier elle-même, si l'empereur Nicolas avait voulu lui confier cette mission délicate et périlleuse. En ce qui concerne les tables tournantes, sa foi était moins robuste, et elle nous proposa de faire avec elle et un autre de nos amis, que nous lui avions présenté au dessert, quelques expériences. Nous remontâmes donc dans sa chambre ; on nous servit du café, et, comme il pleuvait, nous passâmes notre après-midi à interroger un guéridon, que nous voyons encore d'ici.

- Et à moi, demanda tout à coup la princesse, n'as-tu rien à me dire ?

- Non.

- Pourquoi ?

La table frappa treize coups. Or, on se rappelle qu'on était un treize, et que la chambre de Mme de Rébinine portait le numéro treize.

- Cela veut-il dire que le nombre treize m'est fatal ? reprit la princesse, qui avait un peu la superstition de ce chiffre.

- Oui ! fit la table.

- N'importe !... Je suis un Bayard du genre féminin et tu peux parler sans crainte, quoi que tu puisse avoir à m'annoncer.

Nous interrogeâmes le guéridon, qui persista d'abord dans sa prudente réserve, mais auquel, cependant, nous finîmes par arracher les mots suivants :

- Malade... huit jours... Paris... mort violente !

La princesse se portait fort bien, elle venait de quitter Paris et n'espérait pas revoir de longtemps la France... La prophétie de la table était donc au moins absurde sur les trois premiers points... Quant au dernier, inutile d'ajouter que nous ne voulûmes pas même nous y arrêter.

La princesse devait partir à huit heures du soir par le train de Dresde, afin d'arriver le surlendemain matin à Varsovie ; mais elle manqua le convoi.

- Ma foi, nous dit-elle, je vais laisser mes bagages ici et je prendrai le train de quatre heures du matin.

- Alors, vous allez rentrer à l'hôtel vous coucher ?

- Je vais y rentrer, mais je ne me coucherai pas... J'assisterai du haut de la loge des étrangers au bal de cette nuit... Voulez-vous me servir de cavalier ?

L'hôtel de Pologne, dont les vastes et magnifiques salons ne contiennent pas moins de deux mille personnes, donne presque chaque jour, été comme hiver, un grand bal, organisé par quelque société de la ville, mais auquel il réserve de faire assister, du haut d'une galerie particulière, ceux des voyageurs désireux de jouir du coup d'oeil, qui est fort animé, et de la musique, qui est excellente.

Du reste, en Allemagne, on n'oublie jamais les étrangers, et ils ont partout leur loge réservée, ce qui explique pourquoi les Allemands qui viennent à Paris, pour la première fois, demandent toujours, dans nos théâtres et nos concerts la loge des étrangers.

Le jour dont il s'agit, le bal était fort brillant, et la princesse, bien que simple spectatrice, y prit un véritable plaisir. Aussi, avait-elle oublié le guéridon et sa sinistre prédiction, lorsqu'un des garçons de l'hôtel lui apporta une dépêche télégraphique qui venait d'arriver pour elle. Cette dépêche étant conçue en ces termes :

« Madame Rébinine, hôtel de Pologne, Leipzig ; présence indispensable, Paris ; intérêts graves ! » et portait la signature de l'homme d'affaires de la princesse. Quelques heures plus tard, celle-ci reprenait la route de Cologne au lieu de monter dans le train de Dresde. Huit jours après nous apprenions qu'elle était morte !

Paulin NIBOYET.

Le major Georges Sydenham

Nous trouvons le récit suivant dans une collection remarquable d'histoires authentiques d'apparitions et autres phénomènes spirites, publiée à Londres en 1682, par le révérend J. Granville et le docteur H. More. Il est intitulé : Apparition de l'esprit du major Georges Sydenham au capitaine V. Dyke, extrait d'une lettre de M. Jacques Douche, de Mongton, à M. J. Granville.

. . . . Peu de temps après la mort du major Georges, le docteur Th. Dyke, proche parent du capitaine, fut appelé pour soigner un enfant malade. Le docteur et le capitaine se couchèrent dans le même lit. Quand ils eurent dormi un peu, le capitaine frappe et ordonne à son domestique de lui apporter deux chandelles allumées, les plus grandes et les plus grosses qu'il puisse trouver. Le docteur lui demanda ce que cela signifiait. « Vous connaissez, dit le capitaine, mes discussions avec le major, touchant l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme : nous n'avons pu nous éclairer sur ces deux points, quoique nous l'ayons toujours désiré.

« Il fut donc convenu que celui de nous deux qui mourrait le premier viendrait la troisième nuit après ses funérailles, entre minuit et une heure, dans le jardin de cette petite maison, et là éclairerait le survivant sur ce sujet. C'est aujourd'hui même, ajouta le capitaine, que le major doit remplir sa promesse. » En conséquence il met sa montre près de lui, et à onze heures et demie il se lève, prend une chandelle dans chaque main, sort par une porte de derrière dont il prend la clef, et se promène ainsi dans le jardin pendant deux heures et demie. A son retour il déclare au docteur qu'il n'a rien vu, ni rien entendu qui ne fût très naturel ; mais, ajouta-t-il, je sais que mon major serait venu s'il avait pu.

Six semaines après, le capitaine se rendait à Eaton pour y placer son fils à l'école, et le docteur vint avec lui. Ils logèrent dans une auberge à l'enseigne de Saint-Christophe, y restèrent deux ou trois jours, mais ne couchèrent pas ensemble comme à Dulversan ; ils étaient dans deux chambres séparées.

Un matin, le capitaine resta plus longtemps que de coutume dans sa chambre, avant d'appeler le docteur. Enfin il entra chez ce dernier, le visage tout bouleversé, les cheveux hérissés, les yeux hagards et le corps tout tremblant. - Qu'y a-t-il donc, cousin capitaine ? dit le docteur. Le capitaine répond : J'ai vu mon major. - Le docteur semble sourire. - Je vous affirme que je ne l'ai jamais vu de ma vie, ou je l'ai vu aujourd'hui. Il me fit alors le récit suivant : « Ce matin, au point du jour, quelqu'un vient à côté de mon lit, arrache les couvertures, en criant : Cap, cap (c'était le terme familier du major, pour appeler le capitaine). - Je réponds : Quoi donc ! mon major ? - Il reprend : Je n'ai pas pu venir le jour dit ; mais maintenant me voici et je vous dis : Il y a un Dieu, et un très juste et terrible ; si vous ne changez pas de peau, vous verrez quand vous y serez ! - Sur la table, il y avait une épée que le major m'avait donnée ; quand celui-ci eut fait deux ou trois tours dans la chambre, il prit l'épée, la dégaina, et ne la trouvant pas si brillante qu'elle devait être : Cap, cap, dit-il, cette épée était mieux entretenue, quand elle était à moi. - A ces mots, il disparut tout à coup. »

Le capitaine fut non seulement parfaitement persuadé de la réalité de ce qu'il avait vu et entendu, mais encore il fut, depuis ce temps, beaucoup plus sérieux. Son caractère, jadis léger et jovial, fut notablement modifié. Quand il invitait ses amis, il les traitait grandement, mais il se montrait fort sobre lui-même. Les personnes qu'il connaissait assurent qu'il croyait souvent entendre répéter à ses oreilles les paroles du major, pendant les deux ans qu'il vécut après cette aventure.

ALLAN KARDEC


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