Revue spirite — Journal d'études psychologiques — 1859

Allan Kardec

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Mars

Etude sur les médiums

Les médiums étant les interprètes des communications spirites, leur rôle est extrêmement important, et l'on ne saurait donner trop d'attention à l'étude de toutes les causes qui peuvent les influencer, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour ceux qui, n'étant pas médiums, se servent de leur intermédiaire, afin de pouvoir juger le degré de confiance que méritent les communications qu'ils peuvent recevoir.

Tout le monde, nous l'avons dit, est plus ou moins médium ; mais on est convenu de donner ce nom à ceux chez qui les manifestations sont patentes, et pour ainsi dire facultatives. Or, parmi ces derniers, il y a des aptitudes très diverses : on peut dire que chacun a sa spécialité. Au premier aspect, se dessinent deux catégories assez nettement tranchées : les médiums à influences physiques, et ceux à communications intelligentes. Ces derniers présentent de nombreuses variétés dont les principales sont : les écrivains ou psychographes, les dessinateurs, les parlants, les auditifs et les voyants. Les médiums poètes, musiciens et polyglottes, sont des variétés des écrivains et des parlants. Nous ne reviendrons pas sur les définitions que nous avons données de ces différents genres, nous ne voulions qu'en rappeler succinctement l'ensemble pour plus de clarté.

De tous les genres de médiums, le plus commun est celui des écrivains ; c'est celui qu'il est le plus facile d'acquérir par l'exercice ; aussi est-ce de ce côté, et avec raison, que sont généralement dirigés les désirs et les efforts des aspirants. Ils présentent eux-mêmes deux variétés que l'on retrouve également dans plusieurs autres catégories : les écrivains mécaniques et les écrivains intuitifs. Dans les premiers, l'impulsion de la main est indépendante de la volonté ; elle se meut d'elle-même sans que le médium ait aucune conscience de ce qu'il écrit, sa pensée pouvant être à toute autre chose. Chez le médium intuitif, l'Esprit agit sur le cerveau ; sa pensée traverse pour ainsi dire la pensée du médium, sans qu'il y ait confusion. Il en résulte chez celui-ci la conscience de ce qu'il écrit, souvent même une conscience anticipée, car l'intuition devance quelquefois le mouvement de la main, et pourtant la pensée exprimée n'est pas celle du médium. Une comparaison bien simple nous fait comprendre ce phénomène. Lorsque nous voulons converser avec quelqu'un dont nous ne savons pas la langue, nous nous servons d'un truchement ; le truchement a conscience de la pensée des interlocuteurs, il doit la comprendre pour l'exprimer, et pourtant cette pensée n'est pas la sienne. Eh bien, le rôle du médium intuitif est celui d'un truchement entre l'Esprit et nous. L'expérience nous a appris que les médiums mécaniques et les médiums intuitifs sont également bons, également aptes à recevoir et à transmettre de bonnes communications. Comme moyen de conviction, les premiers valent mieux sans doute, mais quand la conviction est acquise, il n'y a pas de préférence utile ; l'attention doit se porter toute entière sur la nature des communications, c'est-à-dire sur l'aptitude du médium à recevoir celles des bons ou des mauvais Esprits, et sous ce rapport on dit qu'il est bien ou mal assisté : toute la question est là, et cette question est capitale, car elle seule peut déterminer le degré de confiance qu'il mérite ; c'est un résultat d'étude et d'observation pour lequel nous renvoyons à notre précédent article sur les écueils des médiums.

La difficulté, avec un médium intuitif, consiste à distinguer les pensées qui lui sont propres de celles qui lui sont suggérées. Cette difficulté existe pour lui-même ; la pensée suggérée lui semble si naturelle, qu'il la prend souvent pour la sienne, et qu'il doute de sa faculté. Le moyen de le convaincre, lui et les autres, est un exercice fréquent. Alors, dans le nombre des évocations auxquelles il concourra, il se présentera mille circonstances, une foule de communications intimes, de particularités dont il ne pouvait avoir aucune connaissance préalable, et qui constateront d'une manière irrécusable l'entière indépendance de son propre Esprit.

Les différentes variétés de médiums reposent sur des aptitudes spéciales, et jusqu'à présent on ne sait trop quel en est le principe. Au premier abord, et pour les personnes qui n'ont pas fait de cette science une étude suivie, il ne semble pas plus difficile à un médium d'écrire des vers que de la prose ; s'il est mécanique surtout, l'Esprit, dira-t-on, peut tout aussi bien le faire écrire dans une langue étrangère, le faire dessiner ou lui dicter de la musique. Il n'en est rien pourtant. Bien que l'on voit à chaque instant des dessins, des vers, de la musique faits par des médiums qui, dans leur état normal, ne sont ni dessinateurs, ni poètes, ni musiciens, tous ne sont pas aptes à produire ces choses. Malgré leur ignorance, il y a en eux une faculté intuitive, une flexibilité qui en fait des instruments plus dociles. C'est ce qu'a très bien exprimé Bernard Palissy quand on lui a demandé pourquoi il avait choisi, pour faire ses admirables dessins, M. Victorien Sardou, qui ne sait pas dessiner ; c'est parce que, a-t-il dit, je le trouve plus souple. Il en est de même des autres aptitudes ; et chose bizarre, nous avons vu des Esprits se refuser à dicter des vers à des médiums qui connaissaient la poésie, et en donner de charmants à des personnes qui n'en savaient pas les premières règles ; ce qui prouve une fois de plus que les Esprits ont leur libre arbitre, et que c'est en vain que nous voudrions les soumettre à nos caprices.

Il résulte des observations précédentes qu'un médium doit suivre l'impulsion qui lui est donnée selon son aptitude ; qu'il doit tâcher de perfectionner cette aptitude par l'exercice, mais qu'il chercherait inutilement à acquérir celle qui lui manque, ou tout au moins que ce serait au préjudice de celle qu'il possède. Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce, a dit La Fontaine ; nous pouvons ajouter : nous ne ferions rien de bon. Lorsqu'un médium possède une faculté précieuse avec laquelle il peut se rendre vraiment utile, qu'il s'en contente, et ne cherche pas une vaine satisfaction d'amour-propre dans une variété qui serait l'affaiblissement de la faculté primordiale ; si celle-ci doit être transformée, ce qui arrive souvent, ou s'il doit en acquérir une nouvelle, cela aura lieu spontanément et non par un effet de sa volonté.

La faculté de produire des effets physiques forme une catégorie bien tranchée qui s'allie rarement avec les communications intelligentes, surtout avec celles d'une haute portée. On sait que les effets physiques sont dévolus aux Esprits de bas étage, comme chez nous les tours de force aux saltimbanques ; or, les Esprits frappeurs appartiennent à cette classe inférieure ; ils agissent le plus souvent pour leur propre compte, pour s'amuser ou vexer, mais quelquefois aussi par l'ordre d'Esprits élevés qui s'en servent, comme nous nous servons de manoeuvres ; il serait absurde de croire que des Esprits supérieurs vinssent s'amuser à faire tourner ou frapper des tables. Ils se servent de ces moyens, disons-nous, par des intermédiaires, soit dans le but de convaincre, soit pour communiquer avec nous quand nous n'en avons pas d'autres ; mais ils les abandonnent du moment qu'ils peuvent agir par un moyen plus rapide, plus commode et plus direct, comme nous avons abandonné le télégraphe aérien, dès que nous avons eu le télégraphe électrique. Les effets physiques ne sont point à dédaigner, parce que, pour beaucoup de gens, c'est un moyen de conviction ; ils offrent d'ailleurs un précieux sujet d'étude sur les forces occultes ; mais il est remarquable que les Esprits les refusent en général à ceux qui n'en ont pas besoin, ou que tout au moins ils leur conseillent de ne pas s'en occuper d'une manière spéciale. Voilà ce qu'écrivait à ce sujet l'Esprit de saint Louis à la Société parisienne des Etudes spirites :

« On s'est moqué des tables tournantes, on ne se moquera jamais de la philosophie, de la sagesse et de la charité qui brillent dans les communications sérieuses. Ce fut le vestibule de la science ; c'est là qu'en entrant on doit laisser ses préjugés, comme on laisse son manteau. Je ne puis trop vous engager à faire de vos réunions un centre sérieux : qu'ailleurs on fasse des démonstrations physiques, qu'ailleurs on voie, qu'ailleurs on entende, que chez vous on comprenne et qu'on aime. Que pensez-vous être aux yeux des Esprits supérieurs quand vous avez fait tourner une table ? Des ignorants. Le savant passe-t-il son temps à repasser l'a b c de la science ? Tandis qu'en vous voyant rechercher les communications intelligentes et instructives, on vous considère comme des hommes sérieux en quête de la vérité. »

Il est impossible de résumer d'une manière plus logique et plus précise le caractère des deux genres de manifestations. Celui qui a des communications élevées le doit à l'assistance des bons Esprits : c'est une marque de leur sympathie pour lui ; y renoncer pour rechercher les effets matériels, c'est quitter une société choisie pour une plus infime ; vouloir allier les deux choses, c'est appeler autour de soi des êtres antipathiques, et dans ce conflit il est probable que les bons s'en iront et que les mauvais resteront. Loin de nous de mépriser les médiums à influences physiques ; ils ont leur raison d'être, leur but providentiel ; ils rendent d'incontestables services à la science spirite ; mais lorsqu'un médium possède une faculté qui peut le mettre en rapport avec des êtres supérieurs, nous ne comprenons pas qu'il l'abdique, ou même qu'il en désire d'autres, autrement que par ignorance ; car souvent l'ambition de vouloir être tout, fait que l'on finit par n'être rien.


Médiums intéressés

Dans notre article sur les écueils des médiums, nous avons placé la cupidité au nombre des travers qui peuvent donner prise sur eux aux Esprits imparfaits. Quelques développements sur ce sujet ne seront pas inutiles. Il faut placer au premier rang des médiums intéressés ceux qui pourraient faire un métier de leur faculté, en donnant ce qu'on appelle des consultations ou séances rétribuées. Nous n'en connaissons pas, en France du moins, mais comme tout peut devenir un sujet d'exploitation, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'on voulût un jour exploiter les Esprits ; reste à savoir comment ils prendraient la chose, si jamais une telle spéculation tentait de s'introduire. Sans être complètement initié au spiritisme, on comprend ce qu'elle aurait d'avilissant ; mais quiconque connaît tant soit peu les conditions difficiles dans lesquelles les bons Esprits se communiquent à nous, combien il faut peu de chose pour les éloigner, leur répulsion pour tout ce qui est d'intérêt égoïste, ne pourra jamais admettre que des Esprits supérieurs soient au caprice du premier venu qui les ferait venir à tant par heure ; le simple bon sens repousse une pareille supposition. Ne serait-ce pas aussi une profanation d'évoquer son père, sa mère, son enfant ou son ami par un pareil moyen ? Sans doute on peut avoir ainsi des communications, mais Dieu sait de quelle source ! Les Esprits légers, menteurs, espiègles, moqueurs et toute la cohue des Esprits inférieurs viennent toujours ; ils sont toujours prêts à répondre à tout ; Saint-Louis nous disait l'autre jour à la société : Evoquez un rocher, il vous répondra. Celui qui veut des communications sérieuses, doit s'édifier avant tout sur la nature des sympathies du médium avec les êtres d'outre-tombe ; or, celles que peut donner l'appât du gain ne peuvent inspirer qu'une fort médiocre confiance.

Les médiums intéressés ne sont pas uniquement ceux qui pourraient exiger une rétribution fixe ; l'intérêt ne se traduit pas toujours par l'espoir d'un gain matériel, mais aussi par les vues ambitieuses de toute nature sur lesquelles on peut fonder des espérances personnelles ; c'est encore là un travers que savent très bien saisir les Esprits moqueurs et dont ils profitent avec une adresse, une rouerie vraiment remarquable, en berçant de trompeuses illusions ceux qui se mettent ainsi sous leur dépendances. En résumé, la médiumnité est une faculté donnée pour le bien, et les bons Esprits s'éloignent de quiconque prétendrait s'en faire un marchepied pour arriver à quoi que ce soit qui ne répondrait pas aux vues de la Providence. L'égoïsme est la plaie de la société ; les bons Esprits le combattent, on ne peut supposer qu'ils viennent le servir. Cela est si rationnel qu'il serait inutile d'insister davantage sur ce point.

Les médiums à effets physiques ne sont pas dans la même catégorie ; ces effets étant produits par des Esprits inférieurs peu scrupuleux sur les sentiments moraux, un médium de cette catégorie qui voudrait exploiter sa faculté, pourrait donc en avoir qui l'assisteraient sans trop de répugnance ; mais là encore se présente un autre inconvénient. Le médium à effets physiques, pas plus que celui à communications intelligentes, n'a reçu sa faculté pour son plaisir : elle lui a été donnée à la condition d'en faire un bon usage, et s'il en abuse, elle peut lui être retirée, ou bien tourner à son détriment, parce qu'en définitive les Esprits inférieurs sont aux ordres des Esprits supérieurs. Les Esprits inférieurs aiment bien à mystifier, mais ils n'aiment pas être mystifiés ; s'ils se prêtent volontiers à la plaisanterie, aux choses de curiosité, ils n'aiment pas plus que les autres à être exploités, et ils prouvent à chaque instant qu'ils ont leur volonté, qu'ils agissent quand et comme bon leur semble, ce qui fait que le médium à effets physiques est encore moins sûr de la régularité des manifestations que le médium écrivain. Prétendre les produire à jours et heures fixes, serait faire preuve de la plus profonde ignorance. Que faire alors pour gagner son argent ? Simuler les phénomènes ; c'est ce qui peut arriver non seulement à ceux qui en feraient un métier avoué, mais même à des gens simples en apparence, et qui se bornent à recevoir une rétribution quelconque des visiteurs. Si l'Esprit ne donne pas, on y supplée : l'imagination est si féconde quand il s'agit de gagner de l'argent ; c'est une thèse que nous développerons dans un article spécial afin de mettre en garde contre la fraude.

De tout ce qui précède, nous concluons que le désintéressement le plus absolu est la meilleure garantie contre le charlatanisme, car il n'y a pas de charlatans désintéressés ; s'il n'assure pas toujours la bonté des communications intelligentes, il enlève aux mauvais Esprits un puissant moyen d'action et ferme la bouche à certains détracteurs.

Phénomène de transfiguration

Nous extrayons le fait suivant d'une lettre que nous écrivait, au mois de septembre 1857, un de nos correspondants de St-Etienne. Après avoir parlé de diverses communications dont il a été témoin, il ajoute :

« Un fait plus étonnant se passe dans une famille de nos environs. Des tables tournantes on a passé au fauteuil qui parle ; puis on a attaché un crayon au pied de ce fauteuil et ce fauteuil a indiqué la psychographie ; on l'a pratiquée longtemps, plutôt comme jouet que comme chose sérieuse. Enfin l'écriture a désigné l'une des filles de la maison, a ordonné de passer les mains sur sa tête après l'avoir fait coucher ; elle s'est endormie presque aussitôt, et après un certain nombre d'expériences, cette jeune fille s'est transfigurée : elle prenait les traits, la voix, les gestes de parents morts, de grands parents qu'elle n'avait jamais connus, d'un frère décédé depuis quelques mois ; ces transfigurations se faisaient successivement dans une même séance. Elle parlait un patois qui n'est plus celui de l'époque, m'a-t-on dit, car je ne connais ni l'un ni l'autre ; mais ce que je puis affirmer, c'est que dans une séance où elle avait pris les apparences de son frère, vigoureux gaillard, cette jeune fille de 13 ans m'a serré la main d'une rude étreinte.

« Depuis 18 mois ou deux ans ce phénomène s'est constamment répété de la même manière, seulement aujourd'hui il se produit spontanément et naturellement, sans imposition des mains. »

Cet étrange phénomène, bien qu'assez rare, n'est point exceptionnel ; on nous a déjà parlé de plusieurs faits semblables, et nous-même avons plusieurs fois été témoin de quelque chose d'analogue chez des somnambules à l'état d'extase, et même chez des extatiques qui n'étaient point en somnambulisme. Il est certain, en outre, que des émotions violentes opèrent sur la physionomie un changement qui lui donne un tout autre caractère que celui de l'état normal. Ne voyons-nous pas également des personnes dont les traits mobiles se prêtent, suivant la volonté, à des modifications qui leur permettent de prendre les apparences de certaines autres personnes ? On voit donc par là que la rigidité de la face n'est pas telle qu'elle ne puisse se plier à des modifications passagères plus ou moins profondes, et il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un fait semblable puisse se produire dans le cas dont il s'agit, quoique, peut-être, par une cause indépendante de la volonté.

Voici les réponses que nous avons obtenues de saint Louis à ce sujet, dans la séance de la société du 25 février dernier.

1. Le fait de transfiguration dont nous venons de parler est-il réel ? - R. Oui.

2. Dans ce phénomène y a-t-il un effet matériel ? - R. Le phénomène de la transfiguration peut avoir lieu d'une manière matérielle, à tel point que, dans les phases diverses qu'il présente, on pourrait le reproduire au daguerréotype.

3. Comment cet effet est-il produit ? - R. La transfiguration, comme vous l'entendez, n'est qu'une modification d'apparence, un changement, une altération dans les traits qui peut être produite par l'action de l'Esprit lui-même sur son enveloppe, ou par une influence extérieure. Le corps ne change jamais, mais par suite d'une contraction nerveuse, il subit des apparences diverses.

4. Peut-il arriver que les spectateurs soient trompés par une fausse apparence ? - R. Il peut arriver aussi que le périsprit joue le rôle que vous connaissez. Dans le fait cité il y a eu contraction nerveuse, et l'imagination l'a beaucoup augmenté ; du reste, ce phénomène est assez rare.

5. Le rôle du périsprit serait-il analogue à ce qui se passe dans le phénomène de bi-corporéité ? - R. Oui.

6. Il faut alors que, dans le cas de la transfiguration, il y ait disparition du corps réel pour les spectateurs qui ne voient plus que le périsprit sous une forme différente ? - R. Disparition, pas physique, mais occlusion. Entendez-vous sur les mots.

7. Il semble résulter de ce que vous venez de dire, que dans le phénomène de la transfiguration il peut y avoir deux effets : 1° Altération des traits du corps réel, par suite d'une contraction nerveuse. 2° Apparence variable du périsprit rendu visible. Est-ce ainsi que nous devons l'entendre ? - R. Certainement.

8. Quelle est la cause première de ce phénomène ? - R. La volonté de l'Esprit.

9. Tous les Esprits peuvent-ils le produire ? - R. Non ; les Esprits ne peuvent pas toujours faire ce qu'ils voudraient.

10. Comment expliquer la force anormale de cette jeune fille transfigurée en la personne de son frère ? - R. L'Esprit ne possède-t-il pas une grande force ? Du reste c'est celle du corps à son état normal.



Remarque. Ce fait n'a rien de surprenant ; on voit souvent les personnes les plus faibles douées momentanément d'une force musculaire prodigieuse par une cause surexcitante.

11. Puisque, dans le phénomène de la transfiguration, l'oeil de l'observateur peut voir une image différente de la réalité, en est-il de même dans certaines manifestations physiques ? Quand, par exemple, une table s'enlève sans le contact des mains, et qu'on la voit au-dessus du sol, est-ce véritablement la table qui est déplacée ? - R. Pouvez-vous le demander ?



12. Qu'est-ce qui la soulève ? - R. La force de l'Esprit.



Remarque. Ce phénomène a déjà été expliqué par saint Louis, et nous avons traité cette question d'une manière complète dans les numéros de mai et juin 1858, à propos de la théorie des manifestations physiques. Il nous a été dit que, dans ce cas, la table, ou l'objet quelconque qui se meut, s'anime d'une vie factice momentanée qui lui permet d'obéir à la volonté de l'Esprit.

Certaines personnes ont voulu voir dans ce fait une simple illusion d'optique qui ferait voir, par une sorte de mirage, la table dans l'espace, tandis qu'elle est réellement sur le sol. La chose fût-elle ainsi, qu'elle n'en serait pas moins digne d'attention ; il est remarquable que ceux qui veulent contester ou dénigrer les phénomènes spirites, les expliquent par des causes qui seraient elles-mêmes de véritables prodiges, et bien autrement difficiles à comprendre ; or, pourquoi donc traiter cela avec tant de dédain ? Si la cause qu'ils assignent est réelle, pourquoi ne pas l'approfondir ? le physicien cherche à se rendre compte du moindre mouvement anormal de l'aiguille aimantée ; le chimiste du plus léger changement dans l'attraction musculaire ; pourquoi donc verrait-on avec indifférence des phénomènes aussi bizarres que ceux dont nous parlons, fussent-ils le résultat d'une simple déviation du rayon visuel et une nouvelle application des lois connues ? cela n'est pas logique.

Il ne serait certes pas impossible que, par un effet d'optique analogue à celui qui nous fait voir un objet dans l'eau plus haut qu'il n'est par suite de la réfraction du rayon lumineux, une table nous apparût dans l'espace, tandis qu'elle serait sur le sol ; mais il y a un fait qui résout péremptoirement la question, c'est quand la table retombe bruyamment sur le sol et quand elle se brise ; ceci ne nous paraît pas être une illusion d'optique. Revenons à la transfiguration.

Si une contraction musculaire peut modifier les traits du visage, ce ne peut être que dans une certaine limite ; mais assurément si une jeune fille prend l'apparence d'un vieillard, aucun effet physiologique ne lui fera pousser de la barbe ; il faut donc en chercher la cause ailleurs. Si l'on veut bien se reporter à ce que nous avons dit précédemment sur le rôle du périsprit dans tous les faits d'apparitions, même de personnes vivantes, on comprendra que là est encore la clef du phénomène de la transfiguration. En effet, puisque le périsprit peut s'isoler du corps, qu'il peut devenir visible, que par son extrême subtilité il peut prendre diverses apparences au gré de l'Esprit, on concevra sans peine qu'il en soit ainsi dans une personne transfigurée : le corps reste le même, le périsprit seul a changé d'aspect. Mais alors, dira-t-on, que devient le corps ? Pourquoi l'observateur ne voit-il pas une double image ? D'un côté le corps réel et de l'autre le périsprit transfiguré ? Des faits étranges dont nous aurons à parler prochainement prouvent que par suite de la fascination qui s'opère en cette circonstance chez l'observateur, le corps réel peut être en quelque sorte voilé par le périsprit.

Le phénomène qui fait l'objet de cet article nous a été transmis il y a déjà fort longtemps, et si nous n'en avons pas encore parlé, c'est que nous ne nous proposons pas de faire de notre Revue un simple catalogue de faits propres à alimenter la curiosité, une aride compilation sans appréciation ni commentaires ; notre tâche serait par trop facile, et nous la prenons plus au sérieux ; nous nous adressons avant tout aux hommes de raisonnement, à ceux qui, comme nous, veulent se rendre compte des choses, autant du moins que cela est possible. Or, l'expérience nous a appris que les faits, quelque étranges et multipliés qu'ils soient, ne sont point des éléments de conviction ; ils le sont d'autant moins qu'ils sont plus étranges ; plus un fait est extraordinaire, plus il paraît anormal, moins on est disposé à y croire ; on veut voir, et quand on a vu on doute encore ; on se défie de l'illusion et des connivences. Il n'en est pas ainsi quand on trouve aux faits une raison d'être par une cause plausible. Nous voyons tous les jours des personnes qui rejetaient jadis les phénomènes spirites sur le compte de l'imagination et d'une aveugle crédulité, et qui aujourd'hui sont des adeptes fervents, précisément parce que ces phénomènes n'ont maintenant rien qui répugne à leur raison ; elles se les expliquent, elles en comprennent la possibilité, et elles y croient même sans avoir vu. Avant de parler de certains faits, nous avons donc dû attendre que les principes fondamentaux fussent suffisamment développés pour pouvoir s'en rendre compte ; celui de la transfiguration est de ce nombre. Le spiritisme est pour nous plus qu'une croyance : c'est une science, et nous sommes heureux de voir que nos lecteurs nous ont compris.


Diatribes

Quelques personnes s'attendent sans doute à trouver ici une réponse à certaines attaques assez peu mesurées dont la société, nous personnellement, et les partisans du spiritisme en général ont été l'objet dans ces derniers temps. Nous les prions de vouloir bien se reporter à notre article sur la polémique spirite placé en tête de notre numéro de novembre dernier, où nous avons fait notre profession de foi à cet égard. Nous n'y ajouterons que peu de mots, n'ayant pas le loisir de nous occuper de toutes ces discussions oiseuses. Que ceux qui ont du temps à perdre pour rire de tout, même de ce qu'ils ne comprennent pas, faire de la médisance, de la calomnie ou du bel-esprit, se contentent, nous n'avons pas la prétention de les en empêcher. La société parisienne des Etudes spirites, composée d'hommes honorables par leur savoir et leurs positions, tant Français qu'Etrangers, de médecins, de littérateurs, d'artistes, de fonctionnaires, d'officiers, de négociants, etc., recevant chaque jour les plus hautes notabilités sociales, et correspondant avec toutes les parties du monde, est au-dessus des petites intrigues de la jalousie et de l'amour-propre ; elle poursuit ses travaux dans le calme et le recueillement, sans s'inquiéter des quolibets qui n'épargnent pas même les corps les plus respectables.

Quant au spiritisme en général, comme c'est une des puissances de la nature, la raillerie viendra s'y briser, comme elle s'est brisée contre tant d'autres choses que le temps a consacrées ; cette utopie, cette tocade, comme l'appellent certaines gens, a déjà fait le tour du globe et toutes les diatribes ne l'empêcheront pas plus de marcher que jadis les anathèmes n'ont empêché la terre de tourner. Laissons donc les railleurs rire à leur aise, puisque tel est leur bon plaisir ; ils en seront pour leurs frais d'esprit ; ils rient bien de la religion, pourquoi ne riraient-ils pas du spiritisme qui n'est qu'une science ? En attendant ils nous servent plus qu'ils ne nous nuisent et nous économisent des frais de publicité, car il n'est pas un de leurs articles, plus ou moins spirituels, qui n'ait fait vendre quelques-uns de nos livres et procuré quelques abonnements. Merci donc à eux pour le service qu'ils nous rendent sans le vouloir.

Nous dirons également peu de chose pour ce qui nous touche personnellement ; si ceux qui nous attaquent ostensiblement ou par-dessous main, croient nous troubler, ils perdent leur temps ; s'ils pensent à nous barrer le chemin, ils se trompent également, puisque nous ne demandons rien, et n'aspirons à rien qu'à nous rendre utile dans la limite des forces que Dieu nous a données ; quelque modeste que soit notre position, nous nous contentons de ce qui, pour beaucoup, serait de la médiocrité ; nous n'ambitionnons ni rang, ni fortune, ni honneurs ; nous ne recherchons ni le monde, ni ses plaisirs ; ce que nous ne pouvons avoir ne nous cause aucun regret : nous le voyons avec la plus complète indifférence ; cela n'est pas dans nos goûts, par conséquent nous ne portons envie à aucun de ceux qui possèdent ces avantages, si avantages il y a, ce qui à nos yeux est une question, car les puériles jouissances de ce monde n'assurent pas une meilleure place dans l'autre, loin de là ; notre vie est toute de labeur et d'étude, consacrant au travail jusqu'aux instants du repos : il n'y a pas là de quoi faire des jaloux. Nous apportons, comme tant d'autres, notre pierre à l'édifice qui s'élève ; mais nous rougirions de nous en faire un échelon pour arriver à quoi que ce soit ; que d'autres en apportent plus que nous ; que d'autres travaillent autant que nous et mieux que nous, nous le verrons avec une joie sincère ; ce que nous voulons avant tout, c'est le triomphe de la vérité, de quelque part qu'elle vienne, n'ayant pas la prétention d'avoir seul la lumière ; s'il en doit rejaillir quelque gloire, le champ est ouvert à tout le monde, et nous tendrons la main à tous ceux qui, dans cette rude carrière, nous suivront loyalement, avec abnégation et sans arrière pensée personnelle.

Nous savions bien qu'en arborant ouvertement le drapeau des idées dont nous nous sommes fait un des propagateurs, en bravant les préjugés, nous nous attirerions des ennemis, toujours prêts à décocher des traits envenimés contre quiconque lève la tête et se met en évidence ; mais il y a cette différence entre eux et nous, c'est que nous ne leur en voulons pas du mal qu'ils cherchent à nous faire, parce que nous faisons la part de la faiblesse humaine, et c'est en cela seulement que nous croyons leur être supérieur ; on s'abaisse par l'envie, la haine, la jalousie et toutes les mesquines passions : on s'élève par l'oubli des offenses. C'est là la morale spirite ; ne vaut-elle pas celle des gens qui déchirent leur prochain ? c'est celle que nous ont dictée les Esprits qui nous assistent, et l'on peut juger par là s'ils sont bons ou mauvais. Elle nous montre les choses d'en haut si grandes et celles d'en bas si petites qu'on ne peut que plaindre ceux qui se torturent volontairement pour se donner quelque éphémère satisfaction d'amour-propre.



Entretiens familiers d'outre-tombe

Paul Gaimard

Médecin de la marine et voyageur naturaliste, décédé le 11 décembre 1858 ; évoqué le 24 du même mois, à l'âge de 64 ans, par un de ses amis, M. Sardou.

1. Evocation. - R. Je suis là ; que veux-tu ?

2. Quel est ton état actuel ? - R. J'erre comme les Esprits qui quittent la terre et qui ont le désir de s'avancer dans les voies du bien. Nous cherchons, nous étudions, et puis nous choisissons.

3. Tes idées sur la nature de l'homme sont-elles modifiées ? - R. Beaucoup ; tu peux le penser.

4. Quel jugement portes-tu maintenant sur le genre de vie que tu as menée pendant l'existence que tu viens de terminer ici-bas ? - R. J'en suis content, car j'ai travaillé.

5. Tu croyais que, pour l'homme, tout finit à la tombe : de là ton épicurisme et le désir que tu exprimais quelquefois de vivre des siècles pour bien jouir de la vie. Que penses-tu des vivants qui n'ont pas d'autre philosophie que celle-là ? - R. Je les plains, mais cela leur sert néanmoins : avec un tel système, ils peuvent apprécier froidement tout ce qui enthousiasme les autres hommes, et cela leur permet de juger sainement de bien des choses qui fascinent les crédules à trop bon compte.

Remarque. - C'est l'opinion personnelle de l'esprit ; nous la donnons comme telle et non comme maxime.

6. L'homme qui s'efforce moralement plutôt qu'intellectuellement, fait-il mieux que celui qui s'attache surtout au progrès intellectuel et néglige le progrès moral ? - R. Oui ; le moral passe avant. Dieu donne l'esprit comme récompense aux bons, tandis que le moral nous devons l'acquérir.

7. Qu'entends-tu par esprit que Dieu donne ? - R. Une vaste intelligence.

8. Il y a cependant beaucoup de méchants qui ont une vaste intelligence. - R. Je l'ai dit. Vous avez demandé lequel il valait mieux chercher à acquérir ; je vous ai dit que le moral est préférable ; mais celui qui travaille à perfectionner son Esprit peut acquérir un haut degré d'intelligence. Quand donc entendrez-vous à demi-mot ?

9. Es-tu complètement dégagé de l'influence matérielle du corps ? - R. Oui ; ce qui vous en a été dit ne comprend qu'une certaine classe de l'humanité.

Remarque. Il est arrivé plusieurs fois que des Esprits évoqués, même quelques mois après leur mort, ont déclaré être encore sous l'influence de la matière ; mais ces Esprits avaient tous été des hommes qui n'avaient progressé ni moralement ni intellectuellement. C'est de cette classe de l'humanité que veut parler l'Esprit qui fut Paul Gaimard.

10. As-tu eu sur cette terre d'autres existences que la dernière ? - R. Oui.

11. Cette dernière est-elle la conséquence de la précédente ? - R. Non, il y a eu un grand espace de temps entre les deux.

12. Malgré ce long intervalle ne pourrait-il pas y avoir cependant un certain rapport entre ces deux existences ? - R. Chaque minute de notre vie est la conséquence de la minute précédente, si tu l'entends ainsi.

Remarque. Le docteur B..., qui assistait à cet entretien, exprime l'opinion que certains penchants, certains instincts qui parfois s'éveillent en nous, pourraient bien être comme un reflet d'une existence antérieure. Il cite plusieurs faits parfaitement constatés de jeunes femmes qui, dans la grossesse, ont été poussées à des actes féroces, comme, par exemple, celle qui se jeta sur le bras d'un garçon boucher et le mordit à belles dents ; une autre qui coupa la tête à un petit enfant, et porta elle-même cette tête au commissaire de police ; une troisième qui tua son mari, le coupa en petits morceaux qu'elle sala et dont elle se nourrit pendant plusieurs jours. Le docteur demande si, dans une existence antérieure, ces femmes n'avaient pas été anthropophages.

13. Tu as entendu ce que vient de dire le docteur B... ; est-ce que ces instincts désignés sous le nom d'envies de femmes grosses sont des conséquences d'habitudes contractées dans une existence antérieure ? - R. Non ; folie transitoire ; passion à son plus haut degré ; l'Esprit est éclipsé par la volonté.

Remarque. Le docteur B... fait observer qu'effectivement les médecins considèrent ces actes comme des cas de folie transitoire. Nous partageons cette opinion, mais non par les mêmes motifs, attendu que ceux qui ne sont pas familiarisés avec les phénomènes spirites, sont généralement portés à les attribuer aux seules causes qu'ils connaissent. Nous sommes persuadés que nous devons avoir des réminiscences de certaines dispositions morales antérieures ; nous ajoutons même qu'il est impossible qu'il en soit autrement, le progrès ne pouvant s'accomplir que graduellement ; mais ce ne peut être ici le cas, et ce qui le prouve, c'est que les personnes dont on vient de parler ne donnaient aucun signe de férocité en dehors de leur état pathologique : il n'y avait évidemment chez elles qu'une perturbation momentanée des facultés morales. On reconnaît le reflet des dispositions antérieures à d'autres signes en quelque sorte non équivoques et que nous développerons dans un article spécial, avec des faits à l'appui.

14. Chez toi, dans ta dernière existence, y a-t-il eu à la fois progrès moral et progrès intellectuel ? - R. Oui ; intellectuel surtout.

15. Pourrais-tu nous dire quel était le genre de ton avant-dernière existence ? - R. Oh ! je fus obscur. J'eus une famille que je rendis malheureuse ; je l'ai bien expié plus tard. Mais pourquoi me demander cela ? C'est bien passé, et je suis maintenant dans de nouvelles phases.

Remarque. P. Gaimard est mort célibataire à l'âge de 64 ans. Plus d'une fois il a pu regretter de ne pas avoir de foyer domestique.

16. Espères-tu être bientôt réincarné ? - R. Non, je veux chercher avant. Nous aimons cet état d'erraticité, parce que l'âme se possède mieux ; l'Esprit a plus conscience de sa force ; la chair charge, obscurcit, entrave.

Remarque. Tous les Esprits disent qu'à l'état errant ils cherchent, étudient, observent pour faire leur choix. N'est-ce pas la contrepartie de la vie corporelle ? Ne cherchons-nous pas souvent pendant des années avant de fixer notre choix sur la carrière que nous croyons la plus propre à nous faire faire notre chemin ? N'en changeons-nous pas quelquefois à mesure que nous avançons en âge ? Chaque jour n'est-il pas employé à chercher ce que nous ferons le lendemain ?

Or, qu'est-ce que les différentes existences corporelles pour l'Esprit, sinon des phases, des périodes, des jours de la vie spirite qui est, comme nous le savons, la vie normale, la vie corporelle n'étant que transitoire et passagère ? Quoi de plus sublime que cette théorie ? N'est-elle pas en rapport avec l'harmonie grandiose de l'univers ? Encore une fois ce n'est pas nous qui l'avons inventée, et nous regrettons de n'en avoir pas le mérite ; mais plus nous l'approfondissons, plus nous la trouvons féconde en solutions de problèmes jusqu'alors inexpliqués.

17. Sur quelle planète penses-tu, ou désires-tu être réincarné ? - R. Je ne sais pas ; donne-moi le temps de chercher.

18. Quel genre d'existence demanderas-tu à Dieu ? - R. La continuation de cette dernière ; le plus grand développement possible des facultés intellectuelles.

19. Tu parais toujours placer en première ligne le développement des facultés intellectuelles, faisant moins de cas des facultés morales, malgré ce que tu as dit précédemment - R. Mon coeur n'est pas encore assez formé pour bien apprécier les autres.

20. Vois-tu d'autres Esprits, et es-tu en relation avec eux ? - R. Oui.

21. Parmi ces Esprits y en a-t-il que tu aies connu sur cette terre ? - R. Oui ; Dumont-d'Urville.

22. Vois-tu aussi l'Esprit de Jacques Arago, avec lequel tu as voyagé ? - R. Oui.

23. Ces Esprits sont-ils dans la même condition que toi ? - R. Non ; les uns plus haut, les autres plus bas.

24. Nous voulons parler de l'Esprit de Dumont-d'Urville et de Jacques Arago. - R. Je ne veux pas spécialiser.

25. Es-tu satisfait que nous t'ayons évoqué ? - R. Oui, surtout par une personne.

26. Pouvons-nous faire quelque chose pour toi ? - R. Oui.

27. Si nous t'évoquions dans quelques mois, voudrais-tu bien répondre encore à nos questions ? - R. Avec plaisir. Adieu.

28. Tu nous dis adieu ; fais-nous le plaisir de nous dire où tu vas. - R. Je vais de ce pas (pour parler comme j'aurais fait il y a quelques jours) traverser un espace mille fois plus considérable que le chemin que je fis sur terre dans mes voyages que je croyais si lointains ; et cela, en moins d'une seconde, d'une pensée. Je vais dans une réunion d'Esprits où je prendrai des leçons, et où je pourrai apprendre ma nouvelle science, ma nouvelle vie. Adieu.

Remarque. Quiconque a parfaitement connu M. Paul Gaimard, avouera que cette communication est bien marquée du cachet de son individualité. Apprendre, voir, connaître, était sa passion dominante : c'est ce qui explique ses voyages autour du monde et dans les régions du pôle nord, ainsi que ses excursions en Russie et en Pologne, à la première apparition du choléra en Europe. Dominé par cette passion et par le besoin de la satisfaire, il conservait un rare sang-froid dans les plus grands dangers ; c'est ainsi que par son calme et par sa fermeté, il sut se tirer des mains d'une troupe d'anthropophages qui l'avaient surpris dans l'intérieur d'une île de l'Océanie.

Une parole de lui caractérise parfaitement cette avidité de voir des faits nouveaux, d'assister au spectacle d'accidents imprévus. « Quel bonheur ! S'écria-t-il un jour pendant la période la plus dramatique de 1848, quel bonheur de vivre à une époque si fertile en événements extraordinaires et inattendus ! »

Son esprit, tourné presque uniquement vers les sciences qui traitent de la matière organisée, avait trop négligé les sciences philosophiques : aussi serait-on en droit de dire qu'il manquait d'élévation dans les idées. Cependant aucun acte de sa vie ne prouve qu'il ait jamais méconnu les grandes lois morales imposées à l'humanité. En somme, M. Paul Gaimard avait une belle intelligence : essentiellement probe et honnête, naturellement obligeant, il était incapable de faire le moindre tort à personne. On ne peut lui reprocher peut-être que d'avoir été un peu trop ami des plaisirs ; mais le monde et les plaisirs ne corrompirent ni son jugement ni son coeur : aussi M. Paul Gaimard a-t-il mérité les regrets de ses amis et de tous ceux qui le connaissaient.

Mme Reynaud

Somnambule, décédée à Annonay, il y a environ un an ; sa lucidité était surtout remarquable pour les questions médicales, quoique illettrée dans son état naturel.

Un de nos correspondants, qui l'avait connue de son vivant, pensant qu'on pourrait en obtenir des renseignements utiles, nous adressa quelques questions qu'il nous pria de lui faire, si nous jugions à propos de l'interroger, ce que nous fîmes dans la séance de la Société du 28 janvier 1859. Aux questions de notre correspondant, nous avons ajouté toutes celles qui nous ont paru avoir quelque intérêt.
1. Evocation. - R. Je suis là : que me voulez-vous ?

2. Avez-vous un souvenir exact de votre existence corporelle ? - R. Oui, très précis.

3. Pouvez-vous nous dépeindre votre situation actuelle ? - R. C'est la même que celle de tous les Esprits qui habitent notre terre : généralement ils possèdent l'intuition du bien, et pourtant ne peuvent pas obtenir le bonheur parfait, réservé seulement à plus de perfection.

4. De votre vivant, vous étiez somnambule lucide ; pourriez-vous nous dire si votre lucidité d'alors était analogue à celle que vous avez maintenant, comme Esprit ? - R. Non : elle différait en ce qu'elle n'avait pas la promptitude et la justesse que mon Esprit possède aujourd'hui.

5. La lucidité somnambulique est-elle une anticipation de la vie spirite, c'est-à-dire un isolement de l'Esprit, par rapport à la matière ? - R. C'est une des phases de la vie terrestre ; mais la vie terrestre est la même que la vie céleste.

6. Qu'entendez-vous, en disant que la vie terrestre est la même que la vie céleste ? - R. Que la chaîne des existences est formée d'anneaux suivis et continus : aucune interruption n'en vient arrêter le cours. On peut donc dire que la vie terrestre est la suite de la vie céleste précédente et le prélude de la vie céleste future, et ainsi de suite, pour toutes les incarnations qu'un Esprit peut avoir à subir : ce qui fait qu'il n'y a pas entre ces deux existences une séparation aussi absolue que vous le croyez.

Remarque. - Pendant la vie terrestre l'Esprit ou l'âme peut agir indépendamment de la matière, et l'homme jouit, dans certains moments, de la vie spirite, soit pendant le sommeil, soit même à l'état de veille. Les facultés de l'Esprit s'exerçant malgré la présence des corps, il y a entre la vie terrestre et celle d'outre-tombe une corrélation constante qui a fait dire à Mme Reynaud que c'est la même : la réponse subséquente a clairement défini sa pensée.

7. Pourquoi alors tout le monde n'est-il pas somnambule ? - R. Vous ignorez donc encore que vous l'êtes tous, même sans sommeil et très éveillés, à des degrés différents.

8. Nous concevons que nous le soyons tous plus ou moins pendant le sommeil, puisque l'état de rêve est une sorte de somnambulisme imparfait ; mais qu'entendez-vous en disant que nous le sommes, même à l'état de veille ? - R. N'avez-vous pas les intuitions dont on ne se rend pas compte, et qui ne sont autre chose qu'une faculté de l'Esprit ? Le poète est un médium, un somnambule.

9. Votre faculté somnambulique a-t-elle contribué à votre développement comme Esprit après la mort ? - R. Peu.

10. Au moment de la mort, avez-vous été longtemps dans le trouble ? - R. Non ; je me reconnus bientôt : j'étais entourée d'amis.

11. Attribuez-vous à votre lucidité somnambulique votre prompt dégagement ? - R. Oui, un peu. Je connaissais d'avance le sort des mourants mais cela ne m'eût servi de rien, si je n'eusse possédé une âme capable de trouver une vie meilleure par plus de bonnes facultés.

12. Peut-on être bon somnambule sans posséder un Esprit d'un ordre élevé ? - R. Oui. Les facultés sont toujours en rapport : seulement vous vous vous trompez, en croyant que telles facultés demandent de bonnes dispositions ; non, ce que vous croyez bon est souvent mauvais : je développerai cela, si vous ne comprenez pas.

Il y a des somnambules qui possèdent l'avenir, qui racontent des faits arrivés et dont ils n'ont aucune connaissance dans leur état normal ; il y en a d'autres qui savent parfaitement dépeindre les caractères de ceux qui les interrogent, indiquer exactement un nombre d'années, une somme d'argent, etc. : cela ne demande aucune supériorité réelle ; c'est simplement l'exercice de la faculté que possède l'Esprit et qui se manifeste chez la somnambule endormie. Ce qui demande une réelle supériorité, c'est l'usage qu'elle peut en faire pour le bien ; c'est la conscience du bien et du mal ; c'est de connaître Dieu mieux que les hommes ne le connaissent ; c'est de pouvoir donner des conseils propres à faire progresser dans la voie du bien et du bonheur.

13. L'usage qu'un somnambule fait de sa faculté influe-t-il sur son état d'esprit, après la mort ? - R. Oui, beaucoup, comme l'usage bon ou mauvais de toutes les facultés que Dieu nous a données.

14. Veuillez nous expliquer comment vous aviez des connaissances médicales sans avoir fait aucune étude ? - R. Toujours faculté spirituelle : d'autres Esprits me conseillaient ; j'étais médium : c'est l'état de tous les somnambules.

15. Les médicaments que prescrit un somnambule lui sont-ils toujours indiqués par d'autres Esprits, ou bien le sont-ils aussi par l'instinct, comme chez les animaux qui vont chercher l'herbe qui leur est salutaire ? - R. On les lui indique s'il demande des conseils, dans le cas où son expérience ne suffit pas. Il les connaît à leurs qualités.

16. Le fluide magnétique est-il l'agent de la lucidité des somnambules, comme la lumière pour nous ? - Non, il est l'agent du sommeil.

17. Le fluide magnétique est-il l'agent de la vue, à l'état d'Esprit ? - R. Non.

18. Nous voyez-vous ici aussi clairement que si vous étiez vivante, avec votre corps ? - R. Mieux, maintenant : ce que je vois de plus c'est l'homme intérieur.

19. Nous verriez-vous de même, si nous étions dans l'obscurité ? - R. Aussi bien.

20. Nous voyez-vous aussi bien, mieux ou moins bien que vous ne nous auriez vus de votre vivant, mais en somnambulisme ? - R. Mieux encore.

21. Quel est l'agent ou l'intermédiaire qui vous sert à nous voir ? - R. Mon Esprit. Je n'ai ni oeil, ni prunelle, ni rétine, ni cils, et pourtant je vous vois mieux qu'aucun de vous ne voit son voisin : c'est par l'oeil que vous voyez, mais c'est votre Esprit qui voit.

22. Avez-vous conscience de l'obscurité ? - R. Je sais qu'elle existe pour vous ; pour moi il n'y en a pas.

Remarque. Ceci confirme ce qui nous a été dit de tout temps que la faculté de voir est une propriété inhérente à la nature même de l'Esprit et qui réside dans tout son être ; dans le corps elle est localisée.

23. La double vue peut-elle être comparée à l'état somnambulique ? - R. Oui : faculté qui ne vient point du corps.

24. Le fluide magnétique émane-t-il du système nerveux ou est-il répandu dans la masse atmosphérique ? - R. Système nerveux ; mais le système nerveux le puise dans l'atmosphère, foyer principal. L'atmosphère ne le possède pas par elle-même ; il vient des êtres qui peuplent l'univers : ce n'est pas le néant qui le produit, c'est au contraire l'accumulation de la vie et de l'électricité que dégage cette foule d'existences.

25. Le fluide nerveux est-il un fluide propre, où serait-il le résultat d'une combinaison de tous les autres fluides impondérables qui pénètrent dans le corps, tels que le calorique, la lumière, l'électricité ? - R. Oui et non : vous ne connaissez pas assez ces phénomènes pour en parler ainsi ; vos termes n'expriment pas ce que vous voulez dire.

26. D'où vient l'engourdissement produit par l'action magnétique ? - R. Agitation produite par la surcharge du fluide qui encombre le magnétisé.

27. La puissance magnétique, chez le magnétiseur, dépend-elle de sa constitution physique ? - R. Oui, mais beaucoup de son caractère : en un mot, de lui-même.

28. Quelles sont les qualités morales qui, chez un somnambule, peuvent aider au développement de sa faculté ? - R. Les bonnes : vous me demandez ce qui peut aider.

29. Quels sont les défauts qui lui nuisent le plus ? - R. La mauvaise foi.

30. Quelles sont les qualités les plus essentielles, chez le magnétiseur ? - R. Le coeur ; les bonnes intentions toujours soutenues ; le désintéressement.

31. Quels sont les défauts qui lui nuisent le plus ? - R. Les mauvais penchants, ou plutôt le désir de nuire.

32. De votre vivant voyiez-vous les Esprits dans votre état somnambulique ? - R. Oui.

33. Pourquoi tous les somnambules ne les voient-ils pas ? - R. Tous les voient par moments et à différents degrés de clarté.

34. D'où vient à certaines personnes non somnambules la faculté de voir les Esprits à l'état de veille ? - R. Cela est donné par Dieu, comme à d'autres l'intelligence ou la bonté.

35. Cette faculté vient-elle d'une organisation physique spéciale ? - R. Non.

36. Cette faculté peut-elle se perdre ? - R. Oui, comme elle peut s'acquérir.

37. Quelles sont les causes qui peuvent la faire perdre ? - R. Les intentions mauvaises, nous l'avons dit. Pour première condition il faut chercher à se proposer réellement d'en faire un bon usage ; cela une fois défini, jugez si vous méritez cette faveur, car elle n'est pas donnée inutilement. Ce qui nuit à ceux qui la possèdent, c'est qu'il s'y mêle presque toujours cette malheureuse passion humaine que vous connaissez si bien (l'orgueil), même avec le désir d'amener les meilleurs résultats ; on se glorifie de ce qui n'est l'oeuvre que de Dieu, et souvent on veut en faire son profit. - Adieu.

38. Où allez-vous en nous quittant ? - R. A mes occupations.

39. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos occupations ? - R. J'en ai comme vous ; je tâche d'abord de m'instruire, et pour cela je me mêle aux sociétés meilleures que moi ; comme délassement je fais le bien, et ma vie se passe dans l'espérance d'atteindre à un plus grand bonheur. Nous n'avons aucun besoin matériel à satisfaire, et par conséquent toute notre activité se porte vers notre progrès moral.

Hitoti, chef tahitien

Un officier de marine, présent à la séance de la Société du 4 février dernier, témoigna le désir d'évoquer un chef tahitien, nommé Hitoti, qu'il avait personnellement connu pendant son séjour dans l'Océanie.

1. Evocation. - R. Que voulez-vous ?

2. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez embrassé de préférence la cause française dans l'Océanie ? - R. J'aimais cette nation ; du reste, mon intérêt me le commandait.

3. Avez-vous été satisfait du voyage que nous avons fait faire en France à votre petit-fils, et des soins que nous lui avons donnés ? - R. Oui, et non. Ce voyage a peut-être beaucoup perfectionné son esprit, mais cela l'a complètement rendu étranger à sa patrie, en lui donnant des idées qui n'auraient jamais dû naître en lui.

4. Des récompenses que vous avez reçues du gouvernement français, quelles sont celles qui vous ont le plus satisfait ? - R. Les décorations.

5. Et parmi les décorations, laquelle préfériez-vous ? - R. La Légion d'honneur.

Remarque. Cette circonstance était ignorée du médium et de tous les assistants ; elle a été confirmée par la personne qui faisait l'évocation. Quoique le médium qui servait d'intermédiaire fut intuitif, et non mécanique, comment cette pensée aurait-elle pu être la sienne propre ? On le concevrait pour une question banale, mais cela n'est pas admissible quand il s'agit d'un fait positif dont rien ne pouvait lui donner l'idée.

6. Etes-vous plus heureux maintenant que de votre vivant ? - R. Oui, beaucoup plus.

7. Dans quel état est votre Esprit ? - R. Errant, devant me réincarner bientôt.

8. Quelles sont vos occupations dans votre vie errante ? - R. M'instruire.

Remarque. Cette réponse est presque générale chez tous les Esprits errants ; ceux qui sont plus avancés moralement ajoutent qu'ils s'occupent à faire le bien, et assistent ceux qui ont besoin de conseils.

9. De quelle manière vous instruisez-vous, car vous ne devez pas le faire de la même manière que de votre vivant ? - R. Non ; je travaille mon esprit ; je voyage. Je comprends que cela est peu intelligible pour vous ; vous serez au fait plus tard.

10. Quelles sont les contrées que vous fréquentez le plus volontiers ? - R. Contrées ? Je ne voyage plus sur votre terre, soyez-en bien persuadés ; je vais plus haut, plus bas, au-dessus, au-dessous, moralement et physiquement. J'ai vu et examiné avec le plus grand soin des mondes à votre orient et à votre couchant qui sont encore dans un état de barbarie affreuse, et d'autres qui sont puissamment élevés au-dessus de vous.

11. Vous avez dit que vous seriez bientôt réincarné, savez-vous dans quel monde ? - R. Oui, j'y ai été souvent.

12. Pouvez-vous le désigner ? - R. Non.

13. Pourquoi, dans vos voyages négligez-vous la terre ? - R. Je la connais.

14. Quoique vous ne voyagiez plus sur cette terre, pensez-vous encore à quelques-unes des personnes que vous y avez pu aimer ? - R. Peu.

15. Vous ne vous occupez donc plus de ceux qui vous ont témoigné de l'affection ? - R. Peu.

16. Vous les rappelez-vous ? - R. Très-bien ; mais nous nous reverrons, et je compte payer tout cela. On me demande si je m'en occupe ? non, mais je ne les oublie pas pour cela.

17. N'avez-vous pas revu cet ami auquel je faisais allusion tout à l'heure et qui est mort comme vous ? - R. Oui, mais nous nous reverrons plus matériellement ; nous serons incarnés dans une même sphère, et nos existences se toucheront.

18. Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à notre appel. - R. Adieu ; travaillez et pensez.

Remarque. La personne qui a fait l'évocation et qui connaît les moeurs de ces peuples, déclare que cette dernière phrase est conforme à leurs habitudes ; c'est chez eux une locution d'usage en quelque sorte banale, et que ne pouvait deviner le médium. Il reconnaît également que tout l'entretien est en rapport avec le caractère de l'Esprit évoqué, et que son identité est évidente pour lui.

La réponse à la question 17 offre une particularité remarquable : Nous serons incarnés dans une même sphère, et nos existences se toucheront. Il est avéré que les êtres qui se sont aimés se retrouvent dans le monde des Esprits, mais il paraît en outre, d'après beaucoup de réponses analogues, qu'ils peuvent se suivre quelquefois dans une autre existence corporelle où les circonstances les rapprochent sans qu'ils s'en doutent, soit par des liens de parenté, soit par des relations amicales. Ceci nous donne la raison de certaines sympathies.


Un Esprit follet

M. J..., un de nos collègues de la Société, avait vu à plusieurs reprises des flammes bleues se promener sur son lit. Ayant acquis la certitude que c'était une manifestation, nous eûmes l'idée, le 20 janvier dernier, d'évoquer un de ces Esprits, afin de nous édifier sur sa nature.

1. Evocation. - R. Et que me veux-tu ?

2. Dans quel but t'es-tu manifesté chez M. J... ? - R. Que t'importe ?

3. A moi, cela importe peu, c'est vrai ; mais cela n'est pas indifférent pour M. J... - R. Ah ! la belle raison !

Remarque. Ces premières questions ont été faites par M. Kardec. M. J... poursuit l'interrogatoire.

4. C'est que je ne reçois pas volontiers tout le monde chez moi. - R. Tu as tort ; je suis très bon.

5. Fais-moi donc le plaisir de me dire ce que tu venais faire chez moi ? - R. Crois-tu, par hasard, que, parce que je suis bon, je doive t'obéir ?

6. Il m'a été dit que tu es un Esprit très léger. - R. On m'a fait une bien mauvaise réputation mal à propos.

7. Si c'est une calomnie, prouve-le. - R. Je n'y tiens pas.

8. Je pourrais bien employer un moyen pour te faire connaître. - R. Cela ne pourra que me divertir, ma foi, un peu.

9. Je te somme de me dire ce que tu venais faire chez moi. - R. Je n'avais qu'un but, celui de me divertir.

10. Ceci n'est pas en rapport avec ce qui m'a été dit par des Esprits supérieurs. - R. J'ai été envoyé chez toi, tu en connais la raison. Es-tu content ?

11. Tu as donc menti ? - R. Non.

12. Tu n'avais donc pas de mauvaises intentions ? - R. Non ; on te l'a dit ainsi que moi.

13. Pourrais-tu me dire quel est ton rang parmi les Esprits ? - R. Ta curiosité me plaît.

14. Puisque tu prétends être bon, pourquoi me réponds-tu d'une manière aussi peu convenable ? - R. Est-ce que je t'aurais insulté ?

15. Non ; mais pourquoi réponds-tu d'une manière évasive, et te refuses-tu à me donner les renseignements que je te demande ? - R. Je suis libre de faire ce que je veux, sous le commandement cependant de certains Esprits.

16. Allons, je vois avec plaisir que tu commences à devenir plus convenable, et j'en augure que je vais avoir avec toi des rapports plus aimables. - R. Mets tes phrases de côté ; tu feras beaucoup mieux.

17. Sous quelle forme es-tu ici ? - R. De forme, je n'en ai pas.

18. Sais-tu ce que c'est que le périsprit ? - R. Non ; à moins que ce soit du vent.

19. Que pourrais-je faire qui te soit agréable ? - R. Je te l'ai dit : tais-toi.

20. La mission que tu es venu remplir chez moi t'a-t-elle fait avancer comme Esprit ? - R. Ceci est une autre affaire ; ne m'adresse pas de telles questions. Tu sais que j'obéis à certains Esprits ; adresse-toi à eux ; quant à moi, je demande à m'en aller.

21. Aurions-nous eu de mauvais rapports, dans une autre existence, et serait-ce la cause de ta mauvaise humeur ? - R. Tu ne te rappelles pas le mal que tu as dit de moi, et cela à qui voulait l'entendre. Tais-toi, je te dis.

22. Je n'ai dit de toi que ce qui m'a été dit par des Esprits supérieurs à toi. - R. Tu as dit aussi que je t'avais obsédé.

23. As-tu été satisfait du résultat que tu as obtenu ? -R. Ceci est mon affaire.

24. Tu tiens donc toujours à ce que je conserve de toi une mauvaise opinion ? - R. C'est possible ; je m'en vais.

Remarque. On peut voir, par les entretiens que nous rapportons, la diversité extrême qu'il y a dans le langage des Esprits, selon le degré de leur élévation. Celui des Esprits de cette nature est presque toujours caractérisé par la brusquerie et l'impatience ; quand ils sont appelés dans des réunions sérieuses, on sent qu'ils n'y viennent pas de bon gré ; ils ont hâte de s'en aller, et cela parce qu'ils n'y sont pas à leur aise, au milieu de leurs supérieurs et de gens qui les mettent en quelque sorte sur la sellette. Il n'en est pas de même dans les réunions frivoles, où l'on s'amuse de leurs facéties ; ils sont dans leur centre et s'en donnent à coeur joie.




Pline le jeune

Lettre de Pline le jeune à Sura

(Livre VII. - Lettre 27°.)

« Le loisir dont nous jouissons vous permet d'enseigner et me permet d'apprendre. Je voudrais donc bien savoir si les fantômes ont quelque chose de réel, s'ils ont une vraie figure, si ce sont des génies, ou si ce ne sont que de vaines images qui se tracent dans une imagination troublée par la crainte. Ce qui me fait pencher à croire qu'il y a de véritables spectres, c'est ce qu'on m'a dit être arrivé à Curtius Rufus. Dans le temps qu'il était encore sans fortune et sans nom, il avait suivi en Afrique celui à qui le gouvernement en était échu. Sur le déclin du jour, il se promenait sous un portique, lorsqu'une femme, d'une taille et d'une beauté plus qu'humaines se présente à lui : « Je suis, dit-elle, l'Afrique. Je viens te prédire ce qui doit t'arriver. Tu iras à Rome, tu rempliras les plus grandes charges, et tu reviendras ensuite Gouverner cette province où tu mourras. »

Tout arriva comme elle l'avait prédit. On conte même, qu'abordant à Carthage, et sortant de son vaisseau, la même figure se présenta devant lui, et vint à sa rencontre sur le rivage.

« Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il tomba malade, et que, jugeant de l'avenir par le passé, du malheur qui le menaçait par la bonne fortune qu'il avait éprouvée, il désespéra d'abord de sa guérison, malgré la bonne opinion que les siens en avaient conçue.

« Mais voici une autre histoire qui ne vous paraîtra pas moins surprenante, et qui est bien plus horrible. Je vous la donnerai telle que je l'ai reçue ;

- Il y avait à Athènes une maison fort grande et fort logeable, mais décriée et déserte. Dans le plus profond silence de la nuit, on entendait un bruit de fers, et, si l'on prêtait l'oreille avec plus d'attention, un bruit de chaînes, qui paraissait d'abord venir de loin, et ensuite s'approcher. Bientôt on voyait un spectre fait comme un vieillard, très maigre, très abattu, qui avait une longue barbe, les cheveux hérissés, des fers aux pieds et aux mains, qu'il secouait horriblement. De là, des nuits affreuses et sans sommeil pour ceux qui habitaient cette maison. L'insomnie, à la longue, amenait la maladie, et la maladie, en redoublant la frayeur, était suivie de la mort. Car pendant le jour, quoique le spectre ne parût plus, l'impression qu'il avait faite le remettait toujours devant les yeux, et la crainte passée en donnait une nouvelle. A la fin, la maison fut abandonnée, et laissée tout entière au fantôme. On y mit pourtant un écriteau pour avertir qu'elle était à louer ou à vendre, dans la pensée que quelqu'un, peu instruit d'une incommodité si terrible, pourrait y être trompé.

Le philosophe Athénodore vint à Athènes. Il aperçoit l'écriteau, il demande le prix. La modicité le met en défiance ; il s'informe. On lui dit l'histoire, et loin de lui faire rompre son marché, elle l'engage à le conclure sans remise. Il s'y loge, et sur le soir il ordonne qu'on lui dresse son lit dans l'appartement sur le devant, qu'on lui apporte ses tablettes, sa plume et de la lumière, et que ses gens se retirent au fond de la maison. Lui, de peur que son imagination n'allât au gré d'une crainte frivole se figurer des fantômes, il applique son esprit, ses yeux et sa main à écrire. Au commencement de la nuit un profond silence règne dans cette maison, comme partout ailleurs. Ensuite il entend des fers s'entrechoquer, des chaînes se heurter ; il ne lève pas les yeux, il ne quitte point sa plume ; il se rassure et s'efforce d'imposer à ses oreilles. Le bruit augmente, s'approche ; il semble qu'il se fasse près de la porte de la chambre. Il regarde, il aperçoit le spectre, tel qu'on le lui avait dépeint. Ce spectre était debout et l'appelait du doigt. Athénodore lui fait signe de la main d'attendre un peu, et continue à écrire comme si de rien n'était. Le spectre recommence son fracas avec ses chaînes, qu'il fait sonner aux oreilles du philosophe. Celui-ci regarde encore une fois, et voit que l'on continue à l'appeler du doigt. Alors, sans tarder davantage, il se lève, prend la lumière et suit. Le fantôme marche d'un pas lent, comme si le poids des chaînes l'eût accablé. Arrivé dans la cour de la maison, il disparaît tout à coup, et laisse là notre philosophe, qui ramasse des herbes et des feuilles, et les place à l'endroit où il avait été quitté, pour le pouvoir reconnaître. Le lendemain, il va trouver les magistrats, et les supplie d'ordonner que l'on fouille en cet endroit. On le fait ; on y trouve des os encore enlacés dans des chaînes ; le temps avait consumé les chairs. Après qu'on les eut soigneusement rassemblés, on les ensevelit publiquement, et, depuis que l'on eût rendu au mort les derniers devoirs, il ne troubla plus le repos de cette maison.

« Ce que je viens de raconter, je le crois sur la foi d'autrui. Mais voici ce que je puis assurer aux autres sur la mienne. - J'ai un affranchi nommé Marcus, qui n'est point sans savoir. Il était couché avec son jeune frère. Il lui semblait voir quelqu'un assis sur son lit, et qui approchait des ciseaux de sa tête, et même lui coupait des cheveux au-dessus du front. Quand il fut jour, on aperçut qu'il avait le haut de la tête rasé, et ses cheveux furent trouvés répandus près de lui. Peu après, pareille aventure arrivée à un de mes gens ne me permit plus de douter de la vérité de l'autre. Un de mes jeunes esclaves dormait avec ses compagnons dans le lieu qui leur est destiné. Deux hommes vêtus de blanc (c'est ainsi qu'il le racontait) vinrent par les fenêtres, lui rasèrent la tête pendant qu'il était couché, et s'en retournèrent comme ils étaient venus. Le lendemain, lorsque le jour parut, on le trouva rasé, comme on avait trouvé l'autre, et les cheveux qu'on lui avait coupés, épars sur le plancher.

« Ces aventures n'eurent aucune suite, si ce n'est que je ne fus point accusé devant Domitien, sous l'empire de qui elles arrivèrent. Je ne l'eusse pas échappé, s'il eût vécu, car on trouva dans son portefeuille une requête contre moi, donnée par Carus. De là on peut conjecturer que, comme la coutume des accusés est de négliger leurs cheveux, et de les laisser croître, ceux que l'on avait coupés à mes gens marquaient que j'étais hors de danger. Je vous supplie donc de mettre ici toute votre érudition en oeuvre. Le sujet est digne d'une profonde méditation, et peut-être ne suis-je pas indigne que vous me fassiez part de vos lumières. Si, selon votre coutume, vous balancez les deux opinions contraires, faites pourtant que la balance penche de quelque côté pour me tirer de l'inquiétude où je suis, car je ne vous consulte que pour n'y plus être. - Adieu. »

Réponses de Pline le Jeune aux questions qui lui furent adressées dans la séance de la Société du 28 janvier 1859.

1. Evocation. - Rép. Parlez ; je répondrai.

2. Quoique vous soyez mort depuis 1743 ans, avez-vous le souvenir de votre existence à Rome du temps de Trajan ? - R. Pourquoi donc, nous, Esprits, ne pourrions-nous nous souvenir ? Vous vous souvenez bien des actes de votre enfance. Qu'est-ce donc pour l'Esprit une existence passée, sinon l'enfance des existences par lesquelles nous devons passer avant d'arriver à la fin de nos épreuves. Toute existence terrestre, ou enveloppée du voile matériel est un rapprochement vers l'éther et en même temps une enfance spirituelle et matérielle ; spirituelle, parce que l'Esprit est encore au début des épreuves ; matérielle, parce qu'il ne fait qu'entrer dans les phases grossières par lesquelles il doit passer pour s'épurer et s'instruire.

3. Pourriez-vous nous dire ce que vous avez fait depuis cette époque ? - R. Ce que j'ai fait, ce serait bien long ; j'ai cherché à faire le bien ; vous ne voulez pas sans doute passer des heures entières à attendre que j'aie fini ; contentez-vous donc d'une réponse ; je le répète, j'ai cherché à faire le bien, à m'instruire, et à amener les créatures terrestres et errantes à se rapprocher du créateur de toutes choses ; de celui qui nous donne le pain de vie spirituelle et matérielle.

4. Quel monde habitez-vous ? - R. Peu importe ; je suis un peu partout : l'espace est mon domaine et celui de bien d'autres. Ce sont de ces questions auxquelles un Esprit sage et éclairé de la lumière sainte et divine ne doit pas répondre, ou seulement dans des occasions très rares.

5. Dans une lettre que vous écriviez à Sura, vous rapportez trois faits d'apparition ; vous les rappelez-vous ? - R. Je les soutiens parce qu'ils sont vrais ; tous les jours vous avez des faits semblables auxquels vous ne faites pas attention ; ils sont très simples, mais à l'époque à laquelle je vivais, nous les avons trouvés surprenantes ; vous, vous ne devez pas vous en étonner ; laissez donc de côté ces choses, vous en avez de plus extraordinaires.

6. Nous aurions pourtant le désir de vous adresser quelques questions à ce sujet. - R. Puisque je vous réponds d'une manière générale, cela doit suffire ; cependant faites, si vous y tenez absolument ; je serai laconique dans mes réponses.

7. Dans le premier fait, une femme apparaît à Curtius Rufus et lui dit qu'elle est l'Afrique. Qu'était-ce que cette femme ? - R. Une grande figure ; il me semble qu'elle est très simple pour des hommes éclairés tels que ceux du XIX° siècle.

8. Quel motif faisait agir l'Esprit qui apparut à Athénodore, et pourquoi ce bruit de chaînes ? - R. Figure de l'esclavage, manifestation ; moyen de convaincre les hommes, d'appeler leur attention en faisant parler de la chose, et de prouver l'existence du monde spirituel.

9. Vous avez défendu devant Trajan la cause des chrétiens persécutés ; était-ce par un simple motif d'humanité ou par conviction de la vérité de leur doctrine ? - R. J'avais les deux motifs ; l'humanité ne marchait qu'en seconde ligne.

10. Que pensez-vous de votre panégyrique de Trajan ? - R. Il aurait besoin d'être refait.

11. Vous avez écrit une histoire de votre temps, elle a été perdue ; vous serait-il possible de réparer cette perte en nous la dictant ? - R. Le monde des Esprits ne se manifeste pas spécialement pour ces choses-là ; vous avez de ces sortes de manifestations, elles ont leur but ; ce sont autant de jalons semés à droite et à gauche sur la grande voie de vérité, mais laissez faire et ne vous en occupez pas en y consacrant vos études ; à nous le soin de voir et de juger ce qu'il importe que vous sachiez ; chaque chose a son temps ; ne vous écartez donc pas de la ligne que nous vous traçons.

12. On se plaît à rendre justice à vos bonnes qualités et surtout à votre désintéressement. On dit que vous n'exigiez rien de vos clients pour vos plaidoyers ; ce désintéressement était-il aussi rare à Rome qu'il l'est chez nous ? - R. Ne flattez donc pas mes qualités passées : je n'y tiens pas. Le désintéressement n'est guère de votre siècle ; sur deux cents hommes, à peine en avez-vous un ou deux de vraiment désintéressés ; vous savez bien que le siècle est à l'égoïsme et à l'argent. Les hommes d'à présent sont bâtis avec de la boue et ils se revêtent de métal. Autrefois il y avait du coeur, de l'étoffe chez les Anciens, maintenant il n'y a plus que la place.

13. Sans absoudre notre siècle, il nous semble cependant qu'il vaut encore mieux que celui où vous viviez, celui où la corruption était à son comble et où la délation ne connaissait rien de sacré. - R. Je fais une généralité qui est bien vraie ; je sais qu'à l'époque où je vivais il n'y avait pas non plus beaucoup de désintéressement ; mais cependant il y avait ce que vous ne possédez pas, je le répète, ou du moins à une dose très faible : l'amour du beau, du noble et du grand. Je parle pour tout le monde ; l'homme d'à présent, surtout les peuples de l'Occident, particulièrement le Français, ont le coeur prompt à faire de grandes choses, mais ce n'est que l'éclair qui passe ; après vient la réflexion, et la réflexion regarde et dit : le positif, le positif avant tout ; et l'argent, et l'égoïsme de revenir prendre le dessus. Nous nous manifestons justement parce que vous vous écartez des grands principes donnés par Jésus. Au revoir, vous ne comprenez pas.

Remarque. Nous comprenons très bien que notre siècle laisse encore beaucoup à désirer ; sa plaie est l'égoïsme, et l'égoïsme engendre la cupidité et la soif des richesses. Sous ce rapport, il est loin du désintéressement dont le peuple romain a donné tant d'exemples sublimes à une certaine époque, mais qui n'est pas celle de Pline. Il serait injuste pourtant de méconnaître sa supériorité à plus d'un égard, même sur les plus beaux temps de Rome, qui eurent aussi leurs exemples de barbarie. Il y avait alors de la férocité jusque dans la grandeur et le désintéressement ; tandis que notre siècle marquera par l'adoucissement des moeurs, les sentiments de justice et d'humanité qui président à toutes les institutions qu'il voit naître, et jusque dans les querelles des peuples.

ALLAN KARDEC



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