Revue spirite — Journal d'études psychologiques — 1859

Allan Kardec

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Janvier

A S. A. le prince G.

PRINCE,
Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'adresser plusieurs questions touchant le spiritisme ; je vais essayer d'y répondre, autant que peut le permettre l'état des connaissances actuelles sur la matière, en résumant en peu de mots ce que l'étude et l'observation nous ont appris à ce sujet. Ces questions reposent sur les principes mêmes de la science : pour donner plus de clarté à la solution, il est nécessaire d'avoir ces principes présents à la pensée ; permettez-moi donc de prendre la chose d'un peu plus haut, en posant comme préliminaires certaines propositions fondamentales qui, du reste, serviront elles-mêmes de réponse à quelques-unes de vos demandes.
Il existe en dehors du monde corporel visible des êtres invisibles qui constituent le monde des Esprits.

Les Esprits ne sont point des êtres à part, mais les âmes mêmes de ceux qui ont vécu sur la terre ou dans d'autres sphères, et qui ont dépouillé leurs enveloppes matérielles.

Les Esprits présentent tous les degrés de développement intellectuel et moral. Il y en a par conséquent de bons et de mauvais, d'éclairés et d'ignorants, de légers, de menteurs, de fourbes, d'hypocrites, qui cherchent à tromper et à induire au mal, comme il y en a de très supérieurs en tout, et qui ne cherchent qu'à faire le bien. Cette distinction est un point capital.

Les Esprits nous entourent sans cesse ; à notre insu, ils dirigent nos pensées et nos actions, et par là influent sur les événements et les destinées de l'humanité.

Les Esprits attestent souvent leur présence par des effets matériels. Ces effets n'ont rien de surnaturel ; ils ne nous paraissent tels que parce qu'ils reposent sur des bases en dehors des lois connues de la matière. Ces bases une fois connues, l'effet rentre dans la catégorie des phénomènes naturels.

C'est ainsi que les Esprits peuvent agir sur les corps inertes et les faire mouvoir sans le concours de nos agents extérieurs. Nier l'existence d'agents inconnus, par cela seul qu'on ne les comprend pas, ce serait poser des bornes à la puissance de Dieu, et croire que la nature nous a dit son dernier mot.

Tout effet a une cause ; nul ne le conteste. Il est donc illogique de nier la cause, par cela seul qu'elle est inconnue.

Si tout effet a une cause, tout effet intelligent doit avoir une cause intelligente. Lorsqu'on voit les bras du télégraphe faire des signaux qui répondent à la pensée, on en conclut, non pas que ces bras sont intelligents, mais qu'une intelligence les fait mouvoir. Il en est de même des phénomènes spirites. Si l'intelligence qui les produit n'est pas la nôtre, il est évident qu'elle est en dehors de nous.

Dans les phénomènes des sciences naturelles, on agit sur la matière inerte qu'on manipule à son gré ; dans les phénomènes spirites on agit sur des intelligences qui ont leur libre arbitre, et ne sont pas soumises à notre volonté. Il y a donc entre les phénomènes usuels et les phénomènes spirites une différence radicale quant au principe : c'est pourquoi la science vulgaire est incompétente pour les juger.

L'Esprit incarné a deux enveloppes, l'une matérielle qui est le corps, l'autre semi-matérielle et indestructible qui est le périsprit. En quittant la première, il conserve la seconde qui constitue pour lui une sorte de corps, mais dont les propriétés sont essentiellement différentes. Dans son état normal, il est invisible pour nous, mais il peut devenir momentanément visible et même tangible : telle est la cause du phénomène des apparitions.

Les Esprits ne sont donc pas des êtres abstraits, indéfinis, mais des êtres réels et limités, ayant leur existence propre, qui pensent et agissent en vertu de leur libre arbitre. Ils sont partout, autour de nous ; ils peuplent les espaces et se transportent avec la rapidité de la pensée.

Les hommes peuvent entrer en relation avec les Esprits et en recevoir des communications directes par l'écriture, la parole et d'autres moyens. Les Esprits étant à nos côtés, ou pouvant se rendre à notre appel, on peut, par certains intermédiaires, établir avec eux des communications suivies, comme un aveugle peut le faire avec les personnes qu'il ne voit pas.

Certaines personnes sont douées plus que d'autres d'une aptitude spéciale pour transmettre les communications des Esprits : ce sont les médiums. Le rôle du médium est celui d'un interprète ; c'est un instrument dont se sert l'Esprit : cet instrument peut être plus ou moins parfait, et de là les communications plus ou moins faciles.

Les phénomènes spirites sont de deux ordres : les manifestations physiques et matérielles, et les communications intelligentes. Les effets physiques sont produits par des Esprits inférieurs ; les Esprits élevés ne s'occupent pas plus de ces choses que nos savants ne s'occupent à faire des tours de force : leur rôle est d'instruire par le raisonnement.

Les communications peuvent émaner des Esprits inférieurs, comme des Esprits supérieurs. On reconnaît les Esprits, comme les hommes, à leur langage : celui des Esprits supérieurs est toujours sérieux, digne, noble et empreint de bienveillance ; toute expression triviale ou inconvenante, toute pensée qui choque la raison ou le bon sens, qui dénote l'orgueil, l'acrimonie ou la malveillance, émane nécessairement d'un Esprit inférieur.

Les Esprits élevés n'enseignent que de bonnes choses ; leur morale est celle de l'Evangile, ils ne prêchent que l'union et la charité, ils ne trompent jamais. Les Esprits inférieurs disent des absurdités, des mensonges, et souvent même des grossièretés.

La bonté d'un médium ne consiste pas seulement dans la facilité des communications, mais surtout dans la nature des communications qu'il reçoit. Un bon médium est celui qui sympathise avec les bons Esprits et ne reçoit que de bonnes communications.

Nous avons tous un Esprit familier qui s'attache à nous depuis notre naissance, nous guide, nous conseille et nous protège ; cet Esprit est toujours bon.

Outre l'Esprit familier, il y a des Esprits qui sont attirés vers nous par leur sympathie pour nos qualités et nos défauts, ou par d'anciennes affections terrestres. D'où il suit que, dans toute réunion, il y a une foule d'Esprits plus ou moins bons, selon la nature du milieu.

Les Esprits peuvent-ils révéler l'avenir ?

Les Esprits ne connaissent l'avenir qu'en raison de leur élévation. Ceux qui sont inférieurs ne connaissent même pas le leur, à plus forte raison celui des autres. Les Esprits supérieurs le connaissent, mais il ne leur est pas toujours permis de le révéler. En principe, et par une vue très sage de la Providence, l'avenir doit nous être caché ; si nous le connaissions, notre libre arbitre en serait entravé. La certitude du succès nous ôterait l'envie de rien faire, parce que nous ne verrions pas la nécessité de nous donner de la peine ; la certitude d'un malheur nous découragerait. Toutefois, il est des cas où la connaissance de l'avenir peut être utile, mais nous n'en pouvons jamais être juges : les Esprits nous le révèlent quand ils le croient utile et quand ils en ont la permission de Dieu ; ils le font alors spontanément et non sur notre demande. Il faut attendre avec confiance l'opportunité, et surtout ne pas insister en cas de refus, autrement on risque d'avoir affaire à des Esprits légers qui s'amusent à nos dépens.

Les Esprits peuvent-ils nous guider par des conseils directs dans les choses de la vie ?

Oui, ils le peuvent et le font volontiers. Ces conseils nous arrivent journellement par les pensées qu'ils nous suggèrent. Souvent nous faisons des choses dont nous nous attribuons le mérite, et qui ne sont en réalité que le résultat d'une inspiration qui nous a été transmise. Or comme nous sommes entourés d'Esprits qui nous sollicitent, les uns dans un sens, les autres dans un autre, nous avons toujours notre libre arbitre pour nous guider dans le choix, heureux pour nous quand nous donnons la préférence à notre bon génie.

Outre ces conseils occultes, on peut en avoir de directs par un médium ; mais c'est ici le cas de se rappeler les principes fondamentaux que nous avons émis tout à l'heure. La première chose à considérer, c'est la qualité du médium, si on ne l'est pas soi-même. Un médium qui n'a que de bonnes communications, qui, par ses qualités personnelles ne sympathise qu'avec les bons Esprits, est un être précieux dont on peut attendre de grandes choses, si toutefois on le seconde par la pureté de ses propres instructions, et en s'y prenant convenablement : je dis plus, c'est un instrument providentiel.

Le second point, qui n'est pas moins important, consiste dans la nature des Esprits auxquels on s'adresse, et il ne faut pas croire que le premier venu puisse nous guider utilement. Quiconque ne verrait dans les communications spirites qu'un moyen de divination, et dans un médium une sorte de diseur de bonne aventure, se tromperait étrangement. Il faut considérer que nous avons dans le monde des Esprits, des amis qui s'intéressent à nous, plus sincères et plus dévoués que ceux qui prennent ce titre sur la terre, et qui n'ont aucun intérêt à nous flatter et à nous tromper. Ce sont, outre notre Esprit protecteur, des parents ou des personnes qui nous ont affectionné de leur vivant, ou des Esprits qui nous veulent du bien par sympathie. Ceux-là viennent volontiers quand on les appelle et viennent même sans qu'on les appelle ; nous les avons souvent à nos côtés sans nous en douter. Ce sont ceux auxquels on peut demander des conseils par la voie directe des médiums, et qui en donnent même spontanément sans qu'on leur en demande. Ils le font surtout dans l'intimité, dans le silence, et alors qu'aucune influence étrangère ne vient les troubler : ils sont d'ailleurs très prudents, et l'on n'a jamais à craindre de leur part une indiscrétion déplacée : ils se taisent quand il y a des oreilles de trop. Ils le font encore plus volontiers lorsqu'ils sont en communication fréquente avec nous ; comme ils ne disent les choses qu'à propos et selon l'opportunité, il faut attendre leur bon vouloir et ne pas croire qu'à première vue ils vont satisfaire à toutes nos demandes ; ils veulent nous prouver par là qu'ils ne sont pas à nos ordres.

La nature des réponses dépend beaucoup de la manière de poser les questions ; il faut apprendre à converser avec les Esprits comme on apprend à converser avec les hommes : en toutes choses il faut l'expérience. D'un autre côté l'habitude fait que les Esprits s'identifient avec nous et avec le médium ; les fluides se combinent et les communications sont plus faciles ; alors il s'établit entre eux et nous de véritables conversations familières ; ce qu'ils ne disent pas un jour, ils le disent un autre ; ils s'habituent à notre manière d'être, comme nous à la leur : on est réciproquement plus à l'aise. Quant à l'immixtion des mauvais Esprits et des Esprits trompeurs, ce qui est le grand écueil, l'expérience apprend à les combattre, et on peut toujours l'éviter. Si on ne leur donne pas prise, ils ne viennent pas où ils savent perdre leur temps.

Quelle peut être l'utilité de la propagation des idées spirites ? - Le spiritisme étant la preuve palpable, évidente de l'existence, de l'individualité et de l'immortalité de l'âme, c'est la destruction du matérialisme, cette négation de toute religion, cette plaie de toute société. Le nombre des matérialistes qu'il a ramenés à des idées plus saines est considérable et s'augmente tous les jours : cela seul serait un bienfait social. Il ne prouve pas seulement l'existence de l'âme et son immortalité ; il montre l'état heureux ou malheureux de celle-ci selon les mérites de cette vie. Les peines et les récompenses futures ne sont plus une théorie, c'est un fait patent que l'on a sous les yeux. Or, comme il n'y a pas de religion possible sans la croyance en Dieu, à l'immortalité de l'âme, aux peines et aux récompenses futures, que le spiritisme ramène à ces croyances ceux en qui elles étaient éteintes, il en résulte que c'est le plus puissant auxiliaire des idées religieuses : il donne de la religion à ceux qui n'en ont pas ; il la fortifie chez ceux en qui elle est chancelante ; il console par la certitude de l'avenir, fait prendre avec patience et résignation les tribulations de cette vie, et détourne de la pensée du suicide, pensée que l'on repousse naturellement quand on en voit les conséquences : voilà pourquoi ceux qui ont pénétré ces mystères en sont heureux ; c'est pour eux une lumière qui dissipe les ténèbres et les angoisses du doute.

Si nous considérons maintenant la morale enseignée par les Esprits supérieurs, elle est tout évangélique, c'est tout dire : elle prêche la charité chrétienne dans toute sa sublimité ; elle fait plus, elle en montre la nécessité pour le bonheur présent et à venir, car les conséquences du bien et du mal que nous faisons sont là devant nos yeux. En ramenant les hommes aux sentiments de leurs devoirs réciproques, le spiritisme neutralise l'effet des doctrines subversives de l'ordre social.


Ces croyances ne peuvent-elles pas avoir un danger pour la raison ? - Toutes les sciences n'ont-elles pas fourni leur continent aux maisons d'aliénés ? Faut-il les condamner pour cela ? Les croyances religieuses n'y sont-elles pas rarement représentées ? Serait-il juste pour cela de proscrire la religion ? Connaît-on tous les fous qu'a produits la peur du diable ? Toutes les grandes préoccupations intellectuelles portent à l'exaltation et peuvent réagir fâcheusement sur un cerveau faible ; on serait fondé à voir dans le spiritisme un danger spécial sous ce rapport, s'il était la cause unique ou même prépondérante des cas de folie. On fait grand bruit de deux ou trois cas auxquels on n'aurait fait aucune attention en toute autre circonstance ; et encore ne tient-on pas compte des causes prédisposantes antérieures. Je pourrais en citer d'autres où les idées spirites bien comprises ont arrêté le développement de la folie. En résumé, le spiritisme n'offre pas plus de danger sous ce rapport que les mille et une causes qui la produisent journellement ; je dis plus, c'est qu'il en offre beaucoup moins, en ce qu'il porte en lui-même son correctif, et qu'il peut, par la direction qu'il donne aux idées, par le calme qu'il procure à l'esprit de ceux qui le comprennent, neutraliser l'effet des causes étrangères. Le désespoir est une de ces causes ; or le spiritisme, en nous faisant envisager les choses les plus fâcheuses avec sang froid et résignation, nous donne la force de les supporter avec courage et résignation, et atténue les funestes effets du désespoir.

Les croyances spirites ne sont-elles pas la consécration des idées superstitieuses de l'antiquité et du moyen âge, et ne peuvent-elles pas les accréditer ? - Les gens sans religion ne taxent-ils pas de superstition la plupart des croyances religieuses ? Une idée n'est superstitieuse que parce qu'elle est fausse ; elle cesse de l'être si elle devient une vérité. Il est prouvé qu'au fond de la plupart des superstitions il y a une vérité amplifiée et dénaturée par l'imagination. Or, ôter à ces idées tout leur appareil fantastique, et ne laisser que la réalité, c'est détruire la superstition : tel est l'effet de la science, spirite, qui met à nu ce qu'il y a de vrai ou de faux dans les croyances populaires. On a longtemps regardé les apparitions comme une croyance superstitieuse ; aujourd'hui qu'elles sont un fait prouvé, et, qui plus est, parfaitement expliqué, elles rentrent dans le domaine des phénomènes naturels. On aura beau les condamner, on ne les empêchera pas de se produire ; mais ceux qui s'en rendent compte et les comprennent, non seulement n'en sont point effrayés, mais en sont satisfaits, et c'est au point que ceux qui n'en ont pas désirent en avoir. Les phénomènes incompris, laissant le champ libre à l'imagination, sont la source d'une foule d'idées accessoires, absurdes, qui dégénèrent en superstitions. Montrez la réalité, expliquez la cause, et l'imagination s'arrête sur la limite du possible ; le merveilleux, l'absurde et l'impossible disparaissent, et avec eux la superstition ; telles sont, entre autres, les pratiques cabalistiques, la vertu des signes et des paroles magiques, les formules sacramentelles, les amulettes, les jours néfastes, les heures diaboliques, et tant d'autres choses dont le spiritisme bien compris démontre le ridicule.

Telles sont, Prince, les réponses que j'ai cru devoir faire aux demandes que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, heureux si elles peuvent corroborer les idées que Votre Altesse possède déjà sur ces matières, et vous engager à approfondir une question d'un si haut intérêt ; plus heureux encore si mon concours ultérieur peut vous être de quelque utilité.
Je suis, avec le plus profond respect,

de Votre Altesse,

le très humble et très obéissant serviteur,

ALLAN KARDEC.


M. Adrien, médium voyant II

Depuis la publication de notre article sur M. Adrien, médium voyant, il nous a été communiqué un grand nombre de faits qui nous confirment dans notre opinion que cette faculté, de même que toutes les autres facultés médiatrices, est plus commune qu'on ne pense ; nous l'avions déjà observée dans une foule de cas particuliers et surtout dans l'état somnambulique. Le phénomène des apparitions est aujourd'hui un fait acquis et on peut dire fréquent, sans parler des nombreux exemples que nous offrent l'histoire profane et les Ecritures sacrées. Beaucoup nous ont été rapportés qui sont personnels à ceux de qui nous les tenons, mais ces faits sont presque toujours fortuits et accidentels ; nous n'avions encore vu personne dont cette faculté fût en quelque sorte l'état normal. Chez M. Adrien elle est permanente ; partout où il est, le peuple occulte qui fourmille autour de nous est visible pour lui, sans qu'il l'appelle : il joue pour nous le rôle d'un voyant au milieu d'un peuple d'aveugles ; il voit ces êtres, qu'on pourrait dire la doublure du genre humain, aller, venir, se mêler à nos actions, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, vaquer à ses affaires. Les incrédules diront que c'est une hallucination, mot sacramentel par lequel on prétend expliquer ce que l'on ne comprend pas. Nous voudrions bien qu'ils pussent nous définir eux-mêmes l'hallucination, et surtout nous en expliquer la cause. Toutefois, chez M. Adrien, elle offrirait un caractère bien insolite : celui de la permanence. Jusqu'à présent, ce que l'on est convenu d'appeler hallucination est un fait anormal et presque toujours la suite d'un état pathologique, ce qui n'est point ici le cas. Pour nous, qui avons étudié cette faculté, qui l'observons tous les jours dans ses plus minutieux détails, nous avons été à même d'en constater la réalité. Elle ne fait donc pour nous l'objet d'aucun doute, et, comme on le verra, elle nous a été d'un éminent secours dans nos études spirites ; elle nous a permis de porter le scalpel de l'investigation dans la vie extra-corporelle : c'est le flambeau dans l'obscurité. M. Home, doué d'une faculté remarquable comme médium à influence physique, a produit des effets surprenants. M. Adrien nous initie à la cause de ces effets, parce qu'il les voit se produire et qu'il va bien au-delà de ce qui frappe nos sens.

La réalité de la vision de M. Adrien est prouvée par le portrait qu'il fait de personnes qu'il n'a jamais vues, et dont le signalement est reconnu exact. Assurément quand il décrit avec une minutie rigoureuse jusqu'aux moindres traits d'un parent ou d'un ami que l'on évoque par son intermédiaire, on est certain qu'il le voit, car il ne peut prendre la chose dans son imagination ; mais il est des gens chez lesquels c'est un parti pris de rejeter même l'évidence ; et ce qu'il y a de bizarre, c'est que pour réfuter ce qu'ils ne veulent pas admettre, ils l'expliquent par des causes plus difficiles encore que celles qu'on leur donne.

Les portraits de M. Adrien ne sont cependant pas toujours infaillibles, et en cela comme en toute science, quand une anomalie se présente, il faut en rechercher la cause, car la cause d'une exception est souvent la confirmation du principe général. Pour comprendre ce fait, il ne faut pas perdre de vue ce que nous avons déjà dit sur la forme apparente des Esprits. Cette forme tient au périsprit, dont la nature essentiellement flexible se prête à toutes les modifications qu'il plaît à l'Esprit de lui donner. En quittant l'enveloppe matérielle, l'Esprit emporte avec lui son enveloppe éthérée, qui constitue une autre espèce de corps. Dans son état normal, ce corps a une forme humaine, mais qui n'est pas calquée trait pour trait sur celui qu'il a quitté, surtout quand il l'a quitté depuis un certain temps. Dans les premiers instants qui suivent la mort, et pendant tout le temps qu'il existe encore un lien entre les deux existences, la similitude est plus grande ; mais cette similitude s'efface à mesure que le dégagement s'opère et que l'Esprit devient plus étranger à sa dernière enveloppe. Toutefois, il peut toujours reprendre cette première apparence, soit pour la figure, soit pour le costume, lorsqu'il le juge utile pour se faire reconnaître ; mais ce n'est en général que par suite d'un très grand effort de volonté. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, dans certains cas, la ressemblance pèche par quelques détails : il suffit des traits principaux. Chez le médium cette investigation ne se fait pas non plus sans un certain effort qui devient pénible quand il est trop répété. Ses visions ordinaires ne lui coûtent aucune fatigue, parce qu'il ne s'attache qu'aux généralités. Il en est de même de nous quand nous voyons une foule : nous voyons tout ; tous les individus se détachent à nos yeux avec leurs traits distinctifs, sans qu'aucun de ces traits nous frappe assez pour pouvoir les décrire ; pour les préciser, il faut concentrer notre attention sur les détails intimes que nous voulons analyser, avec cette différence que, dans les circonstances ordinaires, la vue se porte sur une forme matérielle, invariable, tandis que dans la vision elle repose sur une forme essentiellement mobile qu'un simple effet de la volonté peut modifier. Sachons donc prendre les choses pour ce qu'elles sont ; considérons-les en elles-mêmes et en raison de leurs propriétés. N'oublions pas que, dans le spiritisme, on n'opère point sur la matière inerte, mais sur des intelligences qui ont leur libre arbitre, et que nous ne pouvons par conséquent soumettre à notre caprice, ni faire agir à notre gré comme un mouvement de pendule. Toutes les fois qu'on voudra prendre nos sciences exactes pour point de départ dans les observations spirites, on se fourvoiera ; c'est pourquoi la science vulgaire est incompétente dans cette question : c'est absolument comme si un musicien voulait juger l'architecture au point de vue musical. Le spiritisme nous révèle un nouvel ordre d'idées, de nouvelles forces, de nouveaux éléments, des phénomènes qui ne reposent en rien sur ce que nous connaissons ; sachons donc, pour les juger, nous dépouiller de nos préjugés et de toute idée préconçue ; pénétrons-nous surtout de cette vérité qu'en dehors de ce que nous connaissons il peut y avoir autre chose, si nous ne voulons pas tomber dans cette erreur absurde, fruit de notre orgueil, que Dieu n'a plus de secrets pour nous.

On comprend, d'après cela, quelles influences délicates peuvent agir sur la production des phénomènes spirites ; mais il en est d'autres qui méritent une attention non moins sérieuse. L'Esprit dépouillé du corps conserve, disons-nous, toute sa volonté, et une liberté de penser bien plus grande que de son vivant : il a des susceptibilités que nous avons de la peine à comprendre ; ce qui nous parait souvent tout simple et tout naturel, le froisse et lui déplaît ; une question déplacée le choque, le blesse ; et il nous montre son indépendance en ne faisant pas ce que nous voulons, tandis que de lui-même il fait quelquefois plus que nous n'aurions songé à demander. C'est par cette raison que les questions d'épreuve et de curiosité sont essentiellement antipathiques aux Esprits, et qu'ils y répondent rarement d'une manière satisfaisante ; les Esprits sérieux surtout ne s'y prêtent jamais, et dans aucun cas, ne veulent servir d'amusement. On conçoit donc que l'intention peut influer beaucoup sur leur bonne volonté à se présenter aux yeux d'un médium voyant, sous telle ou telle apparence ; et comme en définitive ils ne revêtent une apparence déterminée qu'autant que cela leur convient, ils ne le font que s'ils y voient un motif sérieux et utile.

Une autre raison tient en quelque sorte à ce que nous pourrions appeler la physiologie spirite. La vue de l'Esprit par le médium se fait par une sorte de rayonnement fluidique partant de l'Esprit et se dirigeant sur le médium ; celui-ci absorbe pour ainsi dire ces rayons et se les assimile. S'il est seul, ou s'il n'est entouré que de personnes sympathiques, unies d'intention et de pensées, ces rayons se concentrent sur lui ; alors la vue est nette, précise, et c'est dans ces circonstances que les portraits sont presque toujours d'une exactitude remarquable. Si, au contraire, il y a autour de lui des influences antipathiques, des pensées divergentes et hostiles, s'il n'y a pas recueillement, les rayons fluidiques se dispersent, s'absorbent par le milieu ambiant : de là une sorte de brouillard qui se projette sur l'Esprit et ne permet pas d'en distinguer les nuances. Telle serait une lumière avec ou sans réflecteur. Une autre comparaison moins matérielle peut encore nous rendre raison de ce phénomène. Chacun sait que la verve d'un orateur est excitée par la sympathie et l'attention de son auditoire ; qu'il soit au contraire distrait par le bruit, l'inattention ou le mauvais vouloir, ses pensées ne sont plus aussi libres, elles se dispersent, et ses moyens en souffrent. L'Esprit qui est influencé par un milieu absorbant est dans le même cas : son rayonnement, au lieu de se diriger sur un point unique, perd de sa force en se disséminant.

Aux considérations qui précèdent, nous devons en ajouter une dont l'importance sera facilement comprise de tous ceux qui connaissent la marche des phénomènes spirites. On sait que plusieurs causes peuvent empêcher un Esprit de se rendre à notre appel au moment où nous l'évoquons : il peut être réincarné ou occupé ailleurs. Or, parmi les Esprits qui se présentent presque toujours simultanément, le médium doit distinguer celui qu'on demande, et s'il n'est pas là, il peut prendre pour lui un autre Esprit également sympathique à la personne qui évoque. Il décrit l'Esprit qu'il voit sans pouvoir toujours affirmer que c'est plutôt tel ou tel ; mais si l'Esprit qui se présente est sérieux, il ne trompera pas sur son identité ; si on l'interroge à cet effet, il peut expliquer la cause de la méprise, et dire ce qu'il est.

Un milieu peu propice nuit encore par une autre cause. Chaque individu a pour acolytes des Esprits qui sympathisent avec ses défauts et ses qualités. Ces Esprits sont bons ou mauvais selon les individus ; plus il y a de personnes réunies, plus il y a de variété parmi eux, et plus il y a de chances d'en trouver d'antipathiques. Si donc dans la réunion il y a des personnes hostiles, soit par des pensées dénigrantes, soit par la légèreté de leur caractère, soit par une incrédulité systématique, elles attirent par cela même des Esprits peu bienveillants qui souvent viennent entraver les manifestations, de quelque nature qu'elles soient, écrites aussi bien que visuelles ; de là la nécessité de se placer dans les conditions les plus favorables si l'on veut avoir des manifestations sérieuses : qui veut la fin veut les moyens. Les manifestations spirites ne sont pas de ces choses dont il soit permis de se jouer impunément. Soyez sérieux selon toute l'acception du mot si vous voulez des choses sérieuses, autrement ne vous attendez qu'à être le jouet des Esprits légers, qui s'amuseront à vos dépens.

Le Follet de Bayonne

Dans notre dernier numéro nous avons dit quelques mots de cette étrange manifestation. Ces renseignements nous avaient été donnés de vive voix et très succinctement par un de nos abonnés, ami de la famille où les faits se sont accomplis. Il nous avait promis des détails plus circonstanciés, et nous devons à son obligeance la communication des lettres qui en contiennent un récit plus détaillé.

Cette famille habite près de Bayonne, et ces lettres ont été écrites par la mère même de la jeune fille, enfant d'une dizaine d'années, à son fils qui demeure à Bordeaux, pour lui rendre compte de ce qui se passait dans sa maison. Ce dernier a bien voulu se donner la peine de les transcrire pour nous, afin que l'authenticité n'en pût être contestée ; c'est une attention dont nous lui sommes infiniment reconnaissant. On conçoit la réserve à laquelle nous sommes tenu à l'égard des noms propres, réserve que nous nous sommes toujours fait une loi d'observer, à moins d'une autorisation formelle. Tout le monde ne se soucie pas d'attirer chez soi la foule des curieux. A ceux pour qui cette réserve serait un motif de suspicion, nous dirons qu'il faut faire une différence entre un journal éminemment sérieux et ceux qui n'ont en vue que d'amuser le public. Notre but n'est pas de raconter des faits pour remplir notre cadre, mais d'éclairer la science ; si nous étions trompé, nous le serions de bonne foi : quand, à nos yeux, une chose n'est pas formellement avérée, nous la donnons sous bénéfice d'inventaire ; il n'en saurait être ainsi quand elle émane de personnes graves dont l'honorabilité nous est connue, et qui, loin d'avoir aucun intérêt à nous induire en erreur, veulent elles-mêmes s'instruire.

La première lettre est celle du fils à notre abonné en lui adressant celles de sa mère.

Saint-Esprit, 20 novembre 1858.

Mon cher ami,

« Appelé dans ma famille par la mort d'un de mes petits frères, que Dieu vient de nous enlever, cette circonstance, qui m'a tenu éloigné depuis quelque temps de chez moi, est cause du retard que j'ai apporté à vous répondre. Je serais très peiné de vous faire passer pour un faiseur de contes auprès de M. Allan Kardec, aussi vais-je vous donner quelques détails sommaires sur les faits accomplis dans ma famille. Je crois vous avoir déjà dit que les apparitions ont cessé depuis longtemps et ne se manifestent plus à ma soeur. Voici les lettres que ma mère m'écrivait à ce sujet. Je dois observer que beaucoup de faits y sont omis, et ce ne sont pas les moins intéressants. Je vous écrirai de nouveau pour compléter l'histoire si, par vous-même, vous ne pouvez le faire en vous souvenant de ce que je vous ai dit de vive voix.



23 avril 1855.

Il y a environ trois mois qu'un soir ta soeur X. eut besoin de sortir pour faire une emplette. Le corridor de la maison qui est très long, tu le sais, n'est jamais éclairé, et la grande habitude que nous avons de le parcourir sans lumière fait que nous évitons de trébucher sur les marches de l'escalier. X. nous avait déjà dit que chaque fois qu'elle sortait elle entendait une voix qui lui tenait des discours dont elle ne comprit pas tout d'abord le sens, mais qui, plus tard, sont devenus intelligibles. Quelque temps après elle vit une ombre, et ne cessait, durant le trajet, d'entendre la même voix. Les discours tenus par cet être invisible tendaient toujours à la rassurer et à lui donner des conseils très sages. Une bonne morale était le fond de ses paroles. X. fut très troublée, et souvent, nous a-t-elle dit, elle n'eut pas la force de continuer son chemin. Mon enfant, lui disait l'invisible, chaque fois qu'elle était troublée, ne crains rien, car je ne te veux que du bien. Il lui enseigna un endroit où pendant plusieurs jours elle trouva quelques pièces de monnaie ; d'autres fois elle ne trouvait rien. X. s'est conformée à la recommandation qui lui était faite, et pendant très longtemps elle a trouvé, si ce n'est des pièces de monnaie, quelques joujoux que tu verras. Ces dons sans doute ne lui étaient faits que pour l'encourager. Tu n'étais pas oublié dans les conversations de cet être ; il parlait souvent de toi et nous donnait de tes nouvelles par l'intermédiaire de ta soeur. Plusieurs fois il nous a rendu compte de l'emploi de tes soirées ; il t'a vu lisant dans ta chambre ; d'autres fois il nous disait que tes amis étaient réunis chez toi ; enfin il nous rassurait toujours quand la paresse t'empêchait de nous écrire.

Depuis quelque temps X. a des rapports presque continuels avec l'invisible. Dans le jour elle ne voit rien ; elle entend toujours la même voix qui lui tient des discours très sages, qui ne cesse de l'encourager au travail et à l'amour de Dieu. La nuit elle voit, dans la direction d'où part la voix, une lumière rose qui n'éclaire pas, mais qui d'après elle pourrait être comparée à l'éclat d'un diamant dans l'ombre. Maintenant toute crainte a disparu chez elle ; si je lui manifeste des doutes : « Maman, me dit-elle, c'est un ange qui me parle, et si pour te convaincre, tu veux t'armer de courante, il me prie de te dire que ce soir il te fera lever. S'il te parle, tu devras répondre. Vas où il te dira d'aller ; tu verras devant toi des personnes, n'aie aucune peur. » Je n'ai pas voulu mettre mon courage à l'épreuve : j'ai eu peur, et l'impression que cela m'a fait m'a empêchée de dormir. Très souvent, dans la nuit, il me semblait entendre un souffle au chevet de mon lit. Mes chaises se mouvaient sans qu'aucune main y touchât. Mes frayeurs ont complètement disparu depuis quelque temps, et j'ai grand regret de ne m'être pas soumise à l'épreuve qui m'était proposée pour avoir des rapports directs avec l'invisible, et aussi pour n'avoir pas continuellement à lutter contre des doutes.

J'ai engagé X. à interroger l'invisible sur sa nature ; voici l'entretien qu'ils ont eu ensemble :

X. Qui es-tu ?

Inv. Je suis ton frère Elysée.

X. Mon frère est mort il y a douze ans.

Inv. C'est vrai ; ton frère est mort il y a douze ans ; mais il y avait en lui comme en tous les êtres une âme qui ne meurt pas et qui est devant toi à l'instant même, qui t'aime et te protège tous.

X. Je voudrais te voir.

Inv. Je suis devant toi.

X. Je ne vois rien, cependant.

Inv. Je prendrai une forme visible pour toi. Après l'office religieux tu descendras, tu me verras alors et je t'embrasserai.

X. Maman voudrait te connaître aussi.

Inv. Ta mère est la mienne ; elle me connaît. J'aurais plutôt voulu me manifester à elle qu'à toi : c'était mon devoir ; mais je ne puis me montrer à plusieurs personnes, car Dieu me le défend ; je regrette que maman ait manqué de courage. Je te promets de donner des preuves de mon existence et alors tous les doutes disparaîtront.

Le soir, au moment marqué, X. se rendit à la porte du temple. Un jeune homme s'est présenté à elle et lui a dit : « Je suis ton frère. Tu as demandé à me voir ; te voilà satisfaite. Embrasse-moi, car je ne puis conserver longtemps la forme que j'ai prise. »

Comme tu le penses bien, la présence de cet être dût étonner X. au point de l'empêcher de faire aucune observation. Aussitôt qu'il l'eut embrassée, il disparut dans l'air.

Le lendemain matin l'invisible, profitant du moment où X. a été obligée de sortir, s'est manifesté de nouveau à elle et lui a dit : « Tu as dû être bien surprise de ma disparition. Eh bien ! je veux t'apprendre à t'enlever dans les airs, et il te sera possible de me suivre. » Toute autre que X. eut sans doute été épouvantée de la proposition. Elle accepta l'offre avec empressement et aussitôt elle se sentit enlever comme une hirondelle. Elle est arrivée en peu de temps à un endroit où il y avait une foule considérable. Elle a vu, nous a-t-elle dit, de l'or, des diamants, et tout ce qui, sur cette terre, satisfait notre imagination. Personne ne considérait ces choses plus que nous ne le faisons des pavés sur lesquels nous marchons. Elle a reconnu plusieurs enfants de son âge qui habitaient la même rue que nous et qui étaient morts depuis longtemps. Dans un appartement richement décoré, et où il n'y avait personne, ce qui frappa surtout son attention, c'est une grande table où de distance en distance il y avait du papier. Devant chaque cahier se trouvait un encrier ; elle voyait les plumes s'humecter elles-mêmes et tracer des caractères sans qu'aucune main les fit mouvoir.

A son retour je lui ai reproché de s'être absentée sans mon autorisation, et lui ai expressément défendu de recommencer de pareilles excursions. L'invisible lui a témoigné beaucoup de regret de m'avoir mécontentée, et lui a formellement promis que dorénavant il ne l'engagerait plus à faire d'absence sans m'en prévenir.



26 avril.

L'invisible s'est transformé sous les yeux de X. Il a pris ta forme, si bien que ta soeur a cru que tu étais dans le salon ; pour s'en assurer elle lui dit de reprendre sa forme primitive ; aussitôt tu disparus et tu fus remplacé par moi. Son étonnement fut grand ; elle me demanda comment je me trouvais là, la porte du salon étant fermée à clef. Alors une nouvelle transformation eut lieu ; il prit la forme du frère mort et dit à X : « Ta mère et tous les membres de ta famille ne voient point sans étonnement, et même sans un sentiment de crainte, tous les faits qui s'accomplissent par mon intervention. Mon désir n'est point d'occasionner de la frayeur ; cependant, je veux prouver mon existence, et te mettre à l'abri de l'incrédulité de tous, parce qu'on pourrait prendre pour un mensonge de ta part ce qui ne serait de la leur qu'une obstination à ne pas se rendre à l'évidence. Madame C. est une mercière ; tu sais qu'on a besoin d'acheter des boutons ; nous irons tous les deux les acheter. Je me transformerai en ton petit frère (il avait alors 9 ans) et quand tu seras de retour à la maison, tu prieras maman d'envoyer chez Madame C. demander avec qui tu te trouvais au moment où l'on t'a vendu les boutons. » X. n'a pas manqué de se conformer à ces instructions. J'ai envoyé chez Madame C. ; elle m'a fait répondre que ta soeur était avec son frère, dont elle a fait un grand éloge, disant qu'on ne pouvait pas se figurer qu'à son âge il fût possible d'avoir la répartie si facile, et surtout si peu de timidité. Il est bon de dire que le petit frère était en classe depuis le matin et ne devait revenir que le soir vers sept heures, et qu'en outre il est très timide et n'a pas cette facilité qu'on voulait bien lui accorder. C'est fort curieux, n'est-ce pas ? Je crois que la main de Dieu n'est point étrangère à ces choses inexplicables.



7 mai 1855.

Je ne suis pas plus crédule qu'on ne doit l'être et ne me laisse pas dominer par des idées superstitieuses. Je ne puis cependant pas me refuser à croire à des faits qui s'accomplissent sous mes yeux. Il me fallait des preuves bien évidentes pour ne plus infliger à ta soeur les punitions que je lui donnais quelquefois à regret, dans la crainte qu'elle ne voulût se jouer de nous en abusant de notre confiance.

Hier il était cinq heures environ, quand l'invisible dit à X : « Il est probable que maman va t'envoyer quelque part faire une commission. Dans ta course tu seras agréablement surprise par l'arrivée de la famille de ton oncle. » X me transmet aussitôt ce que l'invisible avait dit, j'étais bien loin de m'attendre à cette arrivée, et plus surprise encore de l'apprendre de cette façon. Ta soeur est sortie et les premières personnes qu'elle a rencontrées étaient effectivement mon frère, sa femme et ses enfants, qui venaient nous voir. X. s'empressa de me dire que je devais avoir une preuve de plus de la véracité de tout ce qu'elle me disait.



10 mai 1855.

Je ne puis plus douter aujourd'hui de quelque chose d'extraordinaire dans la maison ; je vois accomplir tous ces faits singuliers sans frayeur, mais n'en puis retirer aucun enseignement, car ces mystères sont inexplicables pour moi.

Hier après avoir établi l'ordre dans tous les appartements, et tu sais que c'est une chose à laquelle je tiens essentiellement, l'invisible dit à X, que malgré les preuves qu'il avait données de son intervention dans tous les faits curieux que je t'ai racontés, j'avais toujours des doutes qu'il voulait faire complètement cesser. Sans qu'aucun bruit se soit fait entendre, une minute a suffi pour mettre le plus grand désordre dans les appartements. Sur les parquets une matière rouge avait été répandue ; je crois que c'était du sang. Si c'eût été quelques gouttes seulement, j'aurais cru que X. s'était piquée ou avait saigné au nez, mais figure-toi que le plancher était inondé. Cette preuve bizarre nous a donné un travail considérable pour rendre au salon son luisant primitif.

Avant de décacheter les lettres que tu nous adresses, X en connaît le contenu. L'invisible le lui transmet.



16 mai 1855.

X n'a pas accepté une observation que sa soeur lui a faite, je ne sais à propos de quoi ; elle fit une réponse d'autant moins convenable que le reproche était fondé. Je lui infligeai une punition et elle alla se coucher sans souper. Avant de se coucher elle a l'habitude de prier Dieu. Ce soir là elle l'oublia ; mais peu d'instants après qu'elle fut au lit l'invisible lui apparut ; il lui présenta un flambeau et un livre de prières pareil à celui dont elle a l'habitude de se servir, et lui dit que malgré la punition qu'elle avait si bien méritée, elle ne devait pas oublier de remplir son devoir. Alors elle se leva, fit ce qui lui était ordonné, et sitôt sa prière achevée, tout disparut.

Le lendemain matin, X, après m'avoir embrassée, m'a demandé si le chandelier qui se trouvait sur la table à un étage au-dessus de sa chambre avait été enlevé. Or ce flambeau, semblable à celui qui lui avait été présenté la veille, n'avait pas bougé de sa place, non plus que son livre de prières.



4 juin 1855.

Depuis quelque temps aucun fait bien saillant ne s'est accompli, si ce n'est le suivant. J'étais enrhumée ces jours-ci ; avant hier toutes tes soeurs étaient occupées et je ne pouvais disposer de personne pour envoyer acheter de la pâte pectorale. Je dis à X que quand elle aurait achevé son ouvrage elle ferait bien d'aller me chercher quelque chose chez le pharmacien le plus près. Elle oublia ma recommandation, et moi-même n'y pensai plus. Je suis certaine qu'elle n'est pas sortie et n'a quitté son travail que pour aller prendre une soupière dont nous avions besoin. Sa surprise fut grande en ôtant le couvercle d'y trouver un paquet de sucre d'orge que l'invisible y avait déposé pour lui épargner une course, et aussi pour satisfaire mon désir que l'on avait perdu de vue.



Nous avons évoqué cet Esprit dans une des séances de la Société et lui avons adressé les questions suivantes. M. Adrien l'a vu sous les traits d'un enfant de 10 à 12 ans ; jolie tête, cheveux noirs et ondoyants, oeil noir et vif, teint pâle, bouche moqueuse, caractère léger, mais bon. L'Esprit dit ne pas trop savoir pourquoi on l'a évoqué.

Notre correspondant qui était présent à la séance dit que ce sont bien là les traits sous lesquels la jeune fille l'a dépeint en plusieurs circonstances.

1. Nous avons entendu raconter l'histoire de tes manifestations dans une famille de Bayonne et nous désirons t'adresser à ce sujet quelques questions. - R. Faites et je répondrai ; faites vite, je suis pressé, je veux m'en aller.

2. Où as-tu été prendre l'argent que tu donnais à la jeune fille ? - R. J'ai été puiser dans l'escarcelle des autres ; vous comprenez bien que je ne vais pas m'amuser à frapper monnaie. Je prends à ceux qui peuvent donner.

3. Pourquoi t'es-tu attaché à cette jeune fille ? - R. Grande sympathie.

4. Est-il vrai que tu aies été son frère mort à l'âge de 4 ans ? - R. Oui.

5. Pourquoi étais-tu visible pour elle et non pour sa mère ? - R. Ma mère doit être privée de ma vue ; mais ma soeur n'avait pas besoin de punition ; du reste c'est par permission spéciale que je lui ai apparu.

6. Pourrais-tu nous expliquer comment tu te rends visible ou invisible à volonté ? - R. Je ne suis pas assez élevé, et suis trop préoccupé de ce qui m'attire, pour répondre à cette question.

7. Pourrais-tu, si tu le voulais, paraître ici au milieu de nous, comme tu t'es montré à la mercière ? - R. Non.

8. Dans cet état, serais-tu sensible à la douleur si l'on te frappait ? - R. Non.

9. Que serait-il arrivé si la mercière eut voulu te frapper ? - R. Elle n'eut frappé que dans le vide.

10. Sous quel nom pouvons-nous te désigner quand nous parlerons de toi ? - R. Appelez-moi Follet si vous voulez. Laissez-moi, il faut que je m'en aille.

11. (A Saint-Louis). Serait-il utile d'avoir à ses ordres un esprit semblable ? - R. Vous en avez souvent autour de vous qui vous assistent sans que vous vous en doutiez.

Considérations sur le Follet de Bayonne

Si nous rapprochons ces faits de ceux de Bergzabern, dont nos lecteurs n'ont sans doute pas perdu le souvenir, on y verra une différence capitale. Là c'était plus qu'un Esprit frappeur ; c'était, et c'est encore en ce moment, un Esprit perturbateur dans toute l'acception du mot. Sans faire de mal, c'est un commensal fort incommode et fort désagréable, sur lequel nous reviendrons, dans notre prochain numéro, ayant eu des nouvelles de ses récentes prouesses. Celui de Bayonne, au contraire, est éminemment bienveillant et obligeant ; c'est le type de ces bons Esprits servants dont les légendes allemandes nous racontent les hauts faits, preuve nouvelle qu'il peut y avoir, dans les histoires légendaires, un fond de vérité. On conviendra, du reste, que l'imagination aurait peu de choses à faire pour mettre ces faits à la hauteur d'une légende, et qu'on pourrait les prendre pour un conte du moyen âge, s'ils ne s'étaient passés, pour ainsi dire, sous nos yeux.

Un des traits les plus saillants de l'Esprit auquel nous avons donné le nom de follet de Bayonne, ce sont ses transformations. Que dira-t-on maintenant de la fable de Protée ? Il y a encore cette différence entre lui et l'Esprit de Bergzabern que ce dernier ne s'est jamais montré autrement qu'en rêve, tandis que notre petit lutin se rendait visible et tangible, comme une personne réelle, non seulement à sa soeur, mais à des étrangers : témoin l'achat des boutons chez la mercière. Pourquoi ne se montrait-il pas à tout le monde et à toute heure ? c'est ce que nous ne savons pas ; il paraît que ce n'était pas en son pouvoir, et qu'il ne pouvait même pas rester longtemps en cet état. Il fallait peut être pour cela un travail intime, une puissance de volonté au-dessus de ses forces.

De nouveaux détails nous étant promis sur ces étranges phénomènes, nous aurons occasion d'y revenir.




Entretiens familiers d'outre-tombe

Duclos

1. Evocation. - R. Je suis là.

M. Adrien, médium voyant, qui ne l'avait jamais vu de son vivant, en fait le portrait suivant, trouvé très exact par les personnes présentes qui l'avaient connu.

Figure allongée ; joues creuses ; front bombé et ridé. Nez un peu long et courbé légèrement ; yeux gris et un peu à fleur de tête ; bouche moyenne, moqueuse ; teint un peu jaune ; cheveux grisonnants, et longue barbe. Taille, plutôt grande que petite.

Paletot drap bleu, tout râpé et troué ; pantalon noir, usé et en loques ; gilet de couleur claire ; fichu noué en cravate, d'une couleur sans nom.

2. Vous rappelez-vous votre dernière existence terrestre ? - R. Parfaitement.

3. Quel motif a pu vous porter au genre de vie excentrique que vous aviez adopté ? - R. J'étais fatigué de la vie et je prenais en pitié les hommes et les motifs de leurs actions.

4. On dit que c'était une vengeance et pour humilier un parent élevé ; est-ce vrai ? - R. Non seulement pour cela ; en humiliant cet homme j'en humiliais beaucoup d'autres.

5. Si c'était une vengeance, elle vous coûtait cher, car vous vous êtes privé pendant de longues années de toutes les jouissances sociales pour la satisfaire. Ne trouviez-vous pas cela un peu dur ? - R. Je jouissais d'une autre manière.

6. Y avait-il, à côté de cela, une pensée philosophique, et est-ce avec raison qu'on vous a comparé à Diogène ? - R. Il y avait quelque rapport avec la partie la moins saine de la philosophie de cet homme.

7. Que pensez-vous de Diogène ? - R. Peu de chose ; c'est un peu ce que je pense de moi. Diogène avait sur nous l'avantage d'avoir fait quelques mille ans plus tôt ce que j'ai fait, et au milieu d'hommes moins policés que ceux au milieu desquels je vivais.

8. Il y a cependant une différence entre Diogène et vous : chez lui sa conduite était une conséquence de son système philosophique ; Tandis que chez vous elle avait son principe dans la vengeance ! - R. La vengeance, chez moi, a amené la philosophie.

9. Souffriez-vous de vous voir ainsi isolé, et d'être un objet de mépris et de dégoût ; car votre éducation vous éloignait de la société des mendiants et des vagabonds, et vous étiez repoussé par les gens bien élevés ? - R. Je savais qu'on n'a pas d'amis sur terre ; je l'avais assez éprouvé, hélas !

10. Quelles sont vos occupations actuelles et où passez-vous votre temps ? - R. Je parcours des mondes meilleurs et je m'instruis... Là il y a tant de bonnes âmes qui nous révèlent la science céleste des Esprits.

11. Revenez-vous quelquefois au Palais-Royal, depuis votre mort ? - R. Que m'importe le Palais-Royal !

12. Parmi les personnes qui sont ici en reconnaissez-vous que vous avez connues dans vos pérégrinations au Palais-Royal ? - R. Comment ne le ferais-je pas ?

13. Les revoyez-vous avec plaisir ? - R. Avec plaisir ; avec même le plus grand plaisir : ils furent bons pour moi.

14. Revoyez-vous votre ami Charles Nodier ? - R. Oui, surtout depuis sa mort.

15. Est-il errant ou réincarné ? - R. Errant comme moi.

16. Pourquoi aviez-vous choisi le Palais-Royal, le lieu le plus fréquenté alors de Paris, pour vos promenades ; cela n'est pas d'accord avec vos goûts misanthropes ? - R. Là je voyais tous les mondes, toutes les sociétés.

17. N'y avait-il pas, peut-être, un sentiment d'orgueil de votre part ? - R. Oui, malheureusement ; l'orgueil a eu une bonne part dans ma vie.

18. Etes-vous plus heureux maintenant ? - R. Oh ! oui.

19. Cependant votre genre d'existence n'a pas dû contribuer à votre perfectionnement ? - R. Cette existence terrestre ! plus que vous ne pensez pourtant : n'avais-je pas de sombres moments, quand je rentrais seul et délaissé chez moi ? Là, j'avais le temps de mûrir bien des pensées.

20. Si vous aviez à choisir une autre existence, comment la choisiriez-vous ? - Non pas sur votre terre ; je puis espérer mieux aujourd'hui.

21. Vous souvenez-vous de votre avant-dernière existence ? - R. Oui, et des autres aussi.

22. Où avez-vous eu ces existences ? - R. Sur la terre et dans d'autres mondes.

23. Et l'avant-dernière ? - R. Sur la terre.

24. Pouvez-vous nous la faire connaître ? - R. Je ne le puis ; c'était une existence obscure et cachée.

25. Sans nous révéler cette existence, vous pourriez nous dire quel rapport elle avait avec celle que nous connaissons, car celle-ci doit être une conséquence de l'autre ? - R. Une conséquence, pas positivement, mais un complément : j'avais vécu malheureux par des vices et des défauts qui se sont bien modifiés avant que je vinsse habiter le corps que vous avez connu.

26. Pouvons-nous faire quelque chose qui vous soit utile, ou agréable ? - R. Hélas ! peu ; je suis bien au-dessus de la terre, aujourd'hui.

Diogène

1. Evocation. - R. Ah ! que je viens de loin !

2. Pouvez-vous apparaître à M. Adrien, notre médium voyant, tel que vous étiez dans l'existence que nous vous connaissons ? - R. Oui ; et même venir avec ma lanterne, si vous le voulez.

Portrait.

Front large et les bosses de côté très osseuses ; nez mince et courbé ; bouche grande et sérieuse ; yeux noirs et enfoncés dans l'orbite ; regard perçant et moqueur. Figure un peu allongée, maigre et ridée ; teint jaune ; moustaches et barbe incultes ; cheveux gris et clair-semés.

Draperies blanches et très sales ; les bras nus ainsi que les jambes ; le corps maigre, osseux. Mauvaises sandales attachées aux jambes par des cordes.

3. Vous dites que vous venez de loin : de quel monde venez-vous ? - R. Vous ne le connaissez.

4. Auriez-vous la bonté de répondre à quelques questions ? - R. Avec plaisir.

5. L'existence que nous vous connaissons sous le nom de Diogène le Cynique vous a-t-elle profité pour votre bonheur futur ? - R. Beaucoup ; vous avez eu tort de la tourner en dérision, comme l'ont fait mes contemporains ; je m'étonne même que l'histoire ait si peu éclairé mon existence, et que la postérité ait été, on peut le dire, injuste à mon égard.

6. Quel bien avez-vous pu faire, car votre existence était assez personnelle ? - R. J'ai travaillé pour moi, mais on pouvait beaucoup apprendre en me voyant.

7. Quelles sont les qualités que vous vouliez trouver dans l'homme que vous cherchiez avec votre lanterne ? - R. De l'énergie.

8. Si vous aviez rencontré sur votre route l'homme que nous venons d'évoquer, Chaudruc-Duclos, auriez-vous trouvé en lui l'homme que vous cherchiez ; car lui aussi se passait volontairement de tout superflu ? - R. Non.

9. Que pensez-vous de lui ? - R. Son âme fut égarée sur la terre ; combien sont comme lui et ne le savent pas ; lui le savait au moins.

10. Les qualités que vous cherchiez dans l'homme, selon vous, avez-vous cru les posséder ? - R. Sans doute : j'étais mon critérium.

11. Quel est celui des philosophes de votre temps que vous préfériez ? - R. Socrate.

12. Quel est celui que vous préférez maintenant ? - R. Socrate.

13. Et Platon, qu'en dites-vous ? - R. Trop dur ; sa philosophie est trop sévère : j'admettais les poètes, et lui, non.

14. Ce que l'on raconte de votre entrevue avec Alexandre est-il réel ? - R. Très réel ; l'histoire même l'a tronqué.

15. En quoi l'histoire l'a-t-elle tronqué ? - R. J'entends parler des autres discours que nous avons tenus ensemble : croyez-vous qu'il fût venu me voir pour ne me dire qu'un mot ?

16. Le mot qu'on lui prête, savoir, que s'il n'était Alexandre il voudrait être Diogène, est-il réel ? - R. Il l'a dit, peut-être, mais pas devant moi. Alexandre était un jeune fou, vain et fier ; j'étais à ses yeux un mendiant : comment le tyran aurait-il osé se montrer instruit par le misérable ?

17. Depuis votre existence à Athènes, avez-vous été réincarné sur la terre ? - R. Non, mais dans d'autres mondes. Actuellement j'appartiens à un monde dont nous ne sommes pas esclaves : cela veut dire que si l'on vous évoquait éveillés, vous ne feriez pas ce que j'ai fait ce soir.

18. Voudriez-vous nous tracer le tableau des qualités que vous cherchiez dans l'homme telles que tous les conceviez alors, et telles que vous les concevez maintenant ?



Les Anges gardiens

Communication spontanée obtenue par M. L..., un des médiums de la Société.

Il est une doctrine qui devrait convertir les plus incrédules par son charme et par sa douceur : celle des anges gardiens. Penser qu'on a toujours près de soi des êtres qui vous sont supérieurs, qui sont toujours là pour vous conseiller, vous soutenir, pour vous aider à gravir l'âpre montagne du bien, qui sont des amis plus sûrs et plus dévoués que les plus intimes liaisons que l'on puisse contracter sur cette terre, n'est-ce pas une idée bien consolante ? Ces êtres sont là par l'ordre de Dieu ; c'est lui qui les a mis près de nous, ils sont là pour l'amour de lui, et ils accomplissent auprès de nous une belle mais pénible mission. Oui, quelque part que vous soyez, il sera avec vous : les cachots, les hôpitaux, les lieux de débauche, la solitude, rien ne vous sépare de cet ami que vous ne pouvez voir, mais dont votre âme sent les plus douces impulsions et entend les sages conseils.

Que ne connaissez-vous mieux cette vérité ! combien de fois elle vous aiderait dans les moments de crise, combien de fois elle vous sauverait des mains des mauvais Esprits ! Mais au grand jour cet ange de bien aura souvent à vous dire : « Ne t'ai-je pas dit cela ? et tu ne l'as pas fait ; ne t'ai-je pas montré l'abîme, et tu t'y es précipité ; ne t'ai-je pas fait entendre dans la conscience la voix de la vérité, et n'as-tu pas suivi les conseils du mensonge ? » Ah ! questionnez vos anges gardiens ; établissez entre eux et vous cette tendre intimité qui règne entre les meilleurs amis. Ne pensez pas à leur rien cacher, car ils ont l'oeil de Dieu, et vous ne pouvez les tromper. Songez à l'avenir, cherchez à avancer dans cette vie, vos épreuves en seront plus courtes, vos existences plus heureuses. Allons ! hommes, du courage ; rejetez loin de vous, une fois pour toutes, préjugés et arrière-pensées ; entrez dans la nouvelle voie qui s'ouvre devant vous ; marchez, marchez, vous avez des guides, suivez-les : le but ne peut vous manquer, car ce but, c'est Dieu lui-même.

A ceux qui penseraient qu'il est impossible à des Esprits vraiment élevés de s'astreindre à une tâche si laborieuse et de tous les instants, nous dirons que nous influençons vos âmes tout en étant à plusieurs millions de lieues de vous : pour nous l'espace n'est rien, et tout en vivant dans un autre monde, nos esprits conservent leur liaison avec le vôtre. Nous jouissons de qualités que vous ne pouvez comprendre, mais soyez surs que Dieu ne nous a pas imposé une tâche au-dessus de nos forces, et qu'ils ne vous a pas abandonnés seuls sur la terre sans amis et sans soutiens. Chaque ange gardien a son protégé sur lequel il veille, comme un père veille sur son enfant ; il est heureux quand il le voit suivre le bon chemin, il gémit quand ses conseils sont méconnus.

Ne craignez pas de nous fatiguer de vos questions ; soyez au contraire toujours en rapport avec nous : vous serez plus forts et plus heureux. Ce sont ces communications de chaque homme avec son Esprit familier, qui font tous les hommes médiums, médiums ignorés aujourd'hui mais qui se manifesteront plus tard, et qui se répandront comme un océan sans bornes pour refouler l'incrédulité et l'ignorance. Hommes instruits, instruisez ; hommes de talents, élevez vos frères. Vous ne savez pas quelle oeuvre vous accomplissez ainsi : c'est celle du Christ, celle que Dieu vous impose. Pourquoi Dieu vous a-t-il donné l'intelligence et la science, si ce n'est pour en faire part à vos frères, pour les avancer dans la voie du bonheur et de la félicité éternelle.

Saint Louis, Saint Augustin.

Remarque. - La doctrine des anges gardiens veillant sur leurs protégés malgré la distance qui sépare les mondes n'a rien qui doive surprendre ; elle est au contraire grande et sublime. Ne voyons-nous pas sur la terre, un père veiller sur son enfant, quoiqu'il en soit éloigné, l'aider de ses conseils par correspondance ? Qu'y aurait-il donc d'étonnant à ce que les Esprits pussent guider ceux qu'ils prennent sous leur protection, d'un monde à l'autre, puisque pour eux la distance qui sépare les mondes est moindre que celle qui, sur la terre, sépare les continents ?

Une nuit oubliée ou la sorcière Manouza

Mille deuxième nuit des contes arabes, Dictée par l'Esprit de Frédéric Soulié. Deuxième article
Remarque. - Les chiffres romains indiquent les suspensions qui ont eu lieu dans la dictée. Souvent elle n'était reprise qu'après une interruption de deux ou trois semaines, et malgré cela, ainsi que nous l'avons fait observer, le récit se suit comme s'il eût été écrit d'un seul jet ; et ce n'est pas là un des caractères les moins curieux de cette production d'outre-tombe. Le style en est correct et parfaitement approprié au sujet. Nous le répétons, pour ceux qui n'y verraient qu'une chose futile, nous ne le donnons pas comme une oeuvre philosophique, mais comme étude. Pour l'observateur, rien n'est inutile : il sait profiter de tout pour approfondir la science qu'il étudie.



III

Rien cependant ne semblait devoir troubler notre bonheur ; tout était calme autour de nous : nous vivions dans une parfaite sécurité, lorsqu'un soir, au moment où nous nous croyions le plus en sûreté, parut tout à coup à nos côtés (je puis dire ainsi, car nous étions à un rond-point où venaient aboutir plusieurs allées), tout à coup donc et à nos côtés, apparut le sultan accompagné de son grand vizir. Tous deux avaient une figure effrayante : la colère avait bouleversé leurs traits ; ils étaient, le sultan surtout, dans une exaspération facile à comprendre. La première pensée du sultan fut de me faire périr, mais sachant à quelle famille j'appartiens, et le sort qui l'attendait s'il osait ôter un seul cheveu de ma tête, il fit semblant (comme à son arrivée je m'étais jeté à l'écart), il fit, dis-je, semblant de ne pas m'apercevoir, et se précipita comme un furieux sur Nazara, à qui il promit de ne pas faire attendre le châtiment qu'elle méritait. Il l'emmena avec lui, toujours accompagné du vizir. Pour moi, le premier moment de frayeur passé, je me hâtai de retourner dans mon palais pour chercher un moyen de soustraire l'astre de ma vie aux mains de ce barbare, qui probablement, allait trancher cette chère existence.

- Et puis après, que fis-tu ? demanda Manouza ; car enfin, dans tout cela, je ne vois pas en quoi tu t'es tant tourmenté pour tirer ta maîtresse du mauvais pas où tu l'as mise par ta faute. Tu me fais l'effet d'un pauvre homme qui n'a ni courage ni volonté, lorsqu'il s'agit de choses difficiles.

- Manouza, avant de condamner, il faut écouter. Je ne viens pas auprès de toi sans avoir essayé de tous les moyens en mon pouvoir. J'ai fait des offres au sultan ; je lui ai promis de l'or, des bijoux, des chameaux, des palais même, s'il me rendait ma douce gazelle ; il a tout dédaigné. Voyant mes sacrifices repoussés, j'ai fait des menaces ; les menaces ont été méprisées comme le reste : à tout il a ri et s'est moqué de moi. J'ai aussi essayé de m'introduire dans le palais ; j'ai corrompu les esclaves, je suis arrivé dans l'intérieur des appartements ; malgré tous mes efforts, je n'ai pu parvenir jusqu'à ma bien-aimée.

- Tu es franc, Noureddin ; ta sincérité mérite une récompense, et tu auras ce que tu viens chercher. Je vais te faire voir une chose terrible : si tu as la force de subir l'épreuve par laquelle je te ferai passer, tu peux être sûr que tu retrouveras ton bonheur d'autrefois. Je te donne cinq minutes pour te décider.

Ce temps écoulé, Noureddin dit à Manouza qu'il était prêt à faire tout ce qu'elle voudrait pour sauver Nazara. Alors la sorcière se levant lui dit : Eh bien ! marche. Puis, ouvrant une porte placée au fond de l'appartement, elle le fit passer devant elle. Ils traversèrent une cour sombre, remplie d'objets hideux : des serpents, des crapauds qui se promenaient gravement en compagnie de chats noirs ayant l'air de trôner parmi ces animaux immondes.



IV

A l'extrémité de cette cour se trouvait une autre porte que Manouza ouvrit également ; et, ayant fait passer Noureddin, ils entrèrent dans une salle basse, éclairée seulement par le haut : le jour venait d'un dôme très élevé garni de verres de couleur qui formaient toutes sortes d'arabesques. Au milieu de cette salle se trouvait un réchaud allumé, et sur un trépied posé sur ce réchaud, un grand vase d'airain dans lequel bouillaient toutes sortes d'herbes aromatiques, dont l'odeur était si forte qu'on pouvait à peine la supporter. A côté de ce vase se trouvait une espèce de grand fauteuil en velours noir, d'une forme extraordinaire. Lorsqu'on s'asseyait dessus, à l'instant on disparaissait entièrement ; car Manouza s'y étant placée, Noureddin la chercha pendant quelques instants sans pouvoir l'apercevoir. Tout à coup elle reparut et lui dit : « Es-tu toujours disposé ? » - Oui, reprit Noureddin. - « Eh bien ! va t'asseoir dans ce fauteuil et attends. »

Noureddin ne fut pas plutôt dans le fauteuil que tout changea d'aspect, et la salle se peupla d'une multitude de grandes figures blanches qui, d'abord à peine visibles, parurent ensuite d'un rouge de sang, on eut dit des hommes couverts de plaies saignantes, dansant des rondes infernales, et au milieu d'eux, Manouza, les cheveux épars, les yeux flamboyants, les habits en lambeaux, et sur la tête une couronne de serpents. Dans la main, en guise de sceptre, elle brandissait une torche allumée lançant des flammes dont l'odeur prenait à la gorge. Après avoir dansé un quart d'heure, ils s'arrêtèrent tout à coup sur un signe de leur reine qui, à cet effet, avait jeté sa torche dans la chaudière en ébullition. Quand toutes ces figures se furent rangées autour de la chaudière, Manouza fit approcher le plus vieux que l'on reconnaissait à sa longue barbe blanche, et lui dit : « Viens ici, toi le suivant du diable ; j'ai à te charger d'une mission fort délicate. Noureddin veut Nazara, je lui ai promis de la lui rendre ; c'est chose difficile ; je compte, Tanaple, sur ton concours à tous. Noureddin supportera toutes les épreuves nécessaires ; agis en conséquence. Tu sais ce que je veux, fais ce que tu voudras, mais arrive ; tremble si tu échoues. Je récompense qui m'obéit, mais malheur à qui ne fait pas ma volonté. - Tu seras satisfaite, dit Tanaple, et tu peux compter sur moi. - Eh bien, va et agis. »



V

« A peine eut-elle achevé ces mots que tout changea aux yeux de Noureddin ; les objets devinrent ce qu'ils étaient auparavant, et Manouza se trouva seule avec lui. « Maintenant, dit-elle, retourne chez toi et attends ; je t'enverrai un de mes gnomes, il te dira ce que tu as à faire, obéis et tout ira bien. »

Noureddin fut très heureux de cette parole, et plus heureux encore de quitter l'antre de la sorcière. Il traversa de nouveau la cour et la chambre par où il était entré, puis elle le reconduisit jusqu'à la porte extérieure. Là, Noureddin lui ayant demandé s'il devait revenir, elle répondit : « Non ; pour le moment, c'est inutile ; si cela devient nécessaire, je te le ferai savoir. »

Noureddin se hâta de retourner à son palais ; il était impatient de savoir s'il s'y était passé quelque chose de nouveau depuis sa sortie. Il trouva tout dans le même état ; seulement, dans la salle de marbre, salle de repos en été chez les habitants de Bagdad, il vit près du bassin placé au milieu de cette salle, une espèce de nain d'une laideur repoussante. Son habillement était de couleur jaune, brodé de rouge et de bleu ; il avait une bosse monstrueuse, de petites jambes, la figure grosse, avec des yeux verts et louches, une bouche fendue jusqu'aux oreilles, et les cheveux d'un roux pouvant rivaliser avec le soleil.

Noureddin lui demanda comment il se trouvait là, et ce qu'il venait y faire. « Je suis envoyé par Manouza, dit-il, pour te rendre ta maîtresse ; je m'appelle Tanaple. - Si tu es réellement l'envoyé, de Manouza, je suis prêt à obéir à tes ordres, mais dépêche-toi, celle que j'aime est dans les fers et j'ai hâte de l'en sortir. - Si tu es prêt, conduis-moi de suite dans ton appartement, et je te dirai ce qu'il faudra faire. - Suis-moi donc, dit Noureddin. »



VI

Après avoir traversé plusieurs cours et jardins, Tanaple se trouva dans l'appartement du jeune homme ; il en ferma toutes les portes, et lui dit : « Tu sais que tu dois faire tout ce que je te dirai, sans objection. Tu vas mettre ces habits de marchand. Tu porteras sur ton dos ce ballot qui renferme les objets qui nous sont nécessaires ; moi, je vais m'habiller en esclave et je porterai un autre ballot. »

A sa grande stupéfaction, Noureddin vit deux énormes paquets à côté du nain, et pourtant il n'avait vu ni entendu personne les apporter. « Ensuite, continua Tanaple, nous irons chez le sultan. Tu lui feras dire que tu as des objets rares et curieux ; que s'il veut en offrir à la sultane favorite, jamais houri n'en aura porté de pareils. Tu connais sa curiosité ; il aura le désir de nous voir. Une fois admis en sa présence, tu ne feras pas de difficulté de déployer ta marchandise et tu lui vendras tout ce que nous portons : ce sont des habits merveilleux qui changent les personnes qui les mettent. Sitôt que le sultan et la sultane s'en seront revêtus, tout le palais les prendra pour nous et non pour eux : toi pour le sultan, et moi pour Ozara, la nouvelle sultane. Cette métamorphose opérée, nous serons libres d'agir à notre guise et tu délivreras Nazara. »

Tout se passa comme Tanaple l'avait annoncé ; la vente au sultan et la transformation. Après quelques minutes d'une horrible fureur de la part du sultan, qui voulait faire chasser ces importuns et faisait un bruit épouvantable, Noureddin ayant, d'après l'ordre de Tanaple, appelé plusieurs esclaves, fit enfermer le sultan et Ozara comme étant des esclaves rebelles, et ordonna qu'on le conduisit de suite auprès de la prisonnière Nazara. Il voulait, disait-il, savoir si elle était disposée à avouer son crime, et si elle était prête à mourir. Il voulut aussi que la favorite Ozara vint avec lui pour voir le supplice qu'il infligeait aux femmes infidèles. Cela dit, il marcha, précédé du chef des eunuques, pendant un quart d'heure dans un sombre couloir, au bout duquel était une porte de fer lourde et massive. L'esclave ayant pris une clef, ouvrit trois serrures, et ils entrèrent dans un cabinet large, long et haut de trois ou quatre coudées ; là, sur une natte de paille, était assise Nazara, une cruche d'eau et quelques dattes à côté d'elle. Ce n'était plus la brillante Nazara d'autrefois ; elle était toujours belle, mais pâle et amaigrie. A la vue de celui qu'elle prit pour son maître, elle tressaillit de frayeur, car elle pensait bien que son heure était venue.

(La suite au prochain numéro).

Aphorismes spirites

Sous ce titre, nous donnerons de temps en temps des pensées détachées qui résumeront, en peut de mots, certains principes essentiels du spiritisme.

I. Ceux qui croient se préserver de l'action des mauvais Esprits en s'abstenant des communications spirites, sont comme ces enfants qui croient éviter un danger en se bandant les yeux. Autant vaudrait dire qu'il est préférable de ne savoir lire ni écrire, parce qu'on ne serait pas exposé à lire de mauvais livres ou à écrire des sottises.

II. Quiconque a de mauvaises communications spirites, verbales ou par écrit, est sous une mauvaise influence ; cette influence s'exerce sur lui, qu'il écrive ou qu'il n'écrive pas. L'écriture lui donne un moyen de s'assurer de la nature des Esprits qui agissent sur lui. S'il est assez fasciné pour ne pas les comprendre, d'autres peuvent lui ouvrir les yeux.

III. Est-il besoin d'être médium pour écrire des absurdités ? Qui dit que parmi toutes les choses ridicules ou mauvaises qui s'impriment, il n'en est pas où l'écrivain, poussé par quelque Esprit moqueur ou malveillant, joue le rôle de médium obsédé sans le savoir ?

IV. Les Esprit bons, mais ignorants, avouent leur insuffisance sur les choses qu'ils ne savent pas ; les mauvais disent tout savoir.

V. Les Esprits élevés prouvent leur supériorité par leurs paroles et la constante sublimité de leurs pensées, mais ils ne s'en vantent pas. Défiez-vous de ceux qui disent avec emphase être au plus haut degré de perfection, et parmi les élus ; la forfanterie, chez les Esprits, comme chez les hommes, est toujours un signe de médiocrité.

Société parisienne des études spirites

Avis. Les séances qui se tenaient le mardi ont lieu maintenant le vendredi dans le nouveau local de la Société, rue Montpensier, 12, au Palais-Royal, à 8 heures du soir. Les étrangers n'y sont admis que le deuxième et le quatrième vendredi, du moins sur lettres personnelles d'introduction. - S'adresser, pour tout ce qui concerne la Société, à M. Allan Kardec, rue des Martyrs, 8, ou à M. Le Doyen, libraire, galerie d'Orléans, 31, au Palais-Royal.

ALLAN KARDEC


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