REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1867

Allan Kardec

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Juillet

Courte excursion spirite

La société de Bordeaux, reconstituée ainsi que nous l'avons dit dans notre précédent numéro, s'est réunie cette année, comme l'année passée, en un banquet qui a eu lieu le jour de la Pentecôte, banquet simple, disons-le tout de suite, comme il convient en pareille circonstance, et à des gens dont le but principal est de trouver une occasion de se réunir et de resserrer les liens de confraternité ; la recherche et le luxe y seraient un non-sens. Malgré les occupations qui nous retenaient à Paris, nous avons pu nous rendre à la gracieuse et pressante invitation qui nous a été faite d'y assister. Celui de l'année dernière, qui était le premier, n'avait réuni qu'une trentaine de convives ; à celui de cette année, il y en avait quatre fois plus, dont plusieurs venus d'une grande distance ; Toulouse, Marmande, Villeneuve, Libourne, Niort, Blaye et jusqu'à Carcassonne, qui est à 80 lieues, y avaient leurs représentants. Tous les rangs de la société y étaient confondus dans une communauté de sentiments ; là, se trouvaient l'artisan, le cultivateur à côté du bourgeois, du négociant, du médecin, des fonctionnaires, des avocats, des hommes de science, etc.

Il serait superflu d'ajouter que tout s'est passé comme cela devait être entre gens qui ont pour devise : « Hors la charité point de salut, » et qui professent la tolérance pour toutes les opinions et toutes les convictions. Aussi, dans les allocutions de circonstance qui ont été prononcées, pas une parole n'a été dite, dont la susceptibilité la plus ombrageuse aurait pu s'effaroucher ; nos plus grands adversaires même s'y seraient trouvés, qu'ils n'auraient pas entendu un mot, ni une allusion à leur adresse.L'autorité s'était montrée pleine de bienveillance et de courtoisie à l'égard de cette réunion, et nous devons l'en remercier. Nous ignorons si elle y était représentée d'une manière occulte, mais à coup sûr elle a pu se convaincre là, comme toujours, que les doctrines professées par les Spirites, loin d'être subversives, sont une garantie de paix et de tranquillité ; que l'ordre public n'a rien à craindre de gens dont les principes sont ceux du respect des lois, et qui, dans aucune circonstance, n'ont cédé aux suggestions des agents provocateurs qui cherchaient à les compromettre. On les a toujours vus se retirer et s'abstenir de toute manifestation ostensible, toutes les fois qu'ils ont pu craindre qu'on n'en fît un prétexte de scandale.

Est-ce faiblesse de leur part ? Non certes ; c'est au contraire la conscience de la force de leurs principes qui les rend calmes, et la certitude qu'ils ont de l'inutilité des efforts tentés pour les étouffer ; quand ils s'abstiennent, ce n'est pas pour mettre leurs personnes à l'abri, mais pour éviter ce qui pourrait rejaillir sur la doctrine. Ils savent qu'elle n'a pas besoin de démonstrations extérieures pour triompher. Ils voient leurs idées germer partout, se propager avec une puissance irrésistible ; qu'auraient-ils besoin de faire du bruit ? Ils laissent ce soin à leurs antagonistes, qui, par leurs clameurs, aident à la propagation. Les persécutions même sont le baptême nécessaire de toutes les idées nouvelles un peu grandes ; au lieu de leur nuire, elles leur donnent de l'éclat ; on en mesure l'importance à l'acharnement qu'on met à les combattre. Les idées qui ne s'acclimatent qu'à force de réclames et de mises en scène, n'ont qu'une vitalité factice et de courte durée ; celles qui se propagent d'elles-mêmes et par la force des choses ont la vie en elles, et sont seules durables ; c'est le cas où se trouve le Spiritisme.

La fête s'est terminée par une collecte au profit des malheureux, sans distinction de croyances, et avec une précaution dont on ne peut que louer la sagesse. Pour laisser toute liberté, n'humilier personne, et ne pas stimuler la vanité de ceux qui donneraient plus que les autres, les choses ont été disposées de manière à ce que personne, pas même les collecteurs, ne sût ce que chacun avait donné. La recette a été de 85 fr., et des commissaires ont été immédiatement désignés pour en faire l'emploi.

Malgré la brièveté de notre séjour à Bordeaux, nous avons pu assister à deux séances de la société : l'une consacrée au traitement des malades, et l'autre aux études philosophiques. Nous avons ainsi pu constater par nous-mêmes les bons résultats qui sont toujours le fruit de la persévérance et de la bonne volonté. Au compte rendu que nous avons publié dans notre précédent numéro sur la société bordelaise, nous pouvons, en connaissance de cause, ajouter nos félicitations personnelles. Mais elle ne doit pas se dissimuler que plus elle prospérera, plus elle sera en butte aux attaques de nos adversaires ; qu'elle se défie surtout des sourdes manœuvres que l'on pourrait ourdir contre elle, et des pommes de discorde que, sous l'apparence d'un zèle exagéré, on pourrait lancer dans son sein.Le temps de notre absence de Paris étant limité par l'obligation d'y être de retour à jour fixe, nous n'avons pu, à notre grand regret, nous rendre dans les différents centres où nous étions convié ; nous n'avons pu que nous arrêter quelques instants à Tours et à Orléans qui se trouvaient sur notre route. Là aussi nous avons pu constater l'ascendant que la doctrine acquiert chaque jour dans l'opinion, et ses heureux résultats qui, pour n'être encore qu'individuels, n'en sont pas moins satisfaisants.

A Tours la réunion devait être à peu près de cent cinquante personnes, tant de la ville que des environs, mais par suite de la précipitation avec laquelle la convocation a été faite, les deux tiers seulement ont pu s'y rendre. Une circonstance imprévue n'ayant pas permis de profiter de la salle qui avait été choisie, on s'est réuni, par une magnifique soirée, dans le jardin d'un des membres de la société. A Orléans les Spirites sont moins nombreux, mais ce centre n'en compte pas moins bon nombre d'adeptes sincères et dévoués auxquels nous avons été heureux de serrer la main.Un fait constant et caractéristique, et que l'on doit considérer comme un grand progrès, c'est la diminution graduelle et à peu près générale, des préventions contre les idées spirites, même chez ceux qui ne les partagent pas ; on reconnaît maintenant à chacun le droit d'être Spirite, comme on a celui d'être juif ou protestant ; c'est quelque chose. Les localités où, comme à Illiers, dans le département d'Eure et Loir, on ameute les gamins pour leur courir dessus à coups de pierres, sont des exceptions de plus en plus rares.

Un autre signe de progrès non moins caractéristique, c'est le peu d'importance que partout les adeptes, même dans les classes les moins éclairées, attachent aux faits de manifestations extraordinaires. Si des effets de ce genre se produisent spontanément, on les constate, mais on ne s'en émeut pas, on ne les recherche pas, et l'on s'attache encore moins à les provoquer. On prise peu ce qui ne satisfait que les yeux et la curiosité ; le but sérieux, de la doctrine, ses conséquences morales, les ressources qu'elle peut offrir pour le soulagement de la souffrance, le bonheur de retrouver les parents ou amis que l'on a perdus, et de s'entretenir avec eux, d'écouter les conseils qu'ils viennent donner, font l'objet exclusif et préféré des réunions spirites. Dans les campagnes mêmes et parmi les artisans, un puissant médium à effets physiques serait moins apprécié qu'un bon médium écrivain donnant, par des communications raisonnées, la consolation et l'espérance. Ce qu'on cherche dans la doctrine, c'est avant tout ce qui touche le cœur. C'est une chose remarquable que la facilité avec laquelle les gens même les plus illettrés* comprennent et s'assimilent les principes de cette philosophie ; c'est parce qu'il n'est pas nécessaire d'être savant pour avoir du cœur et du jugement. Ah ! disent-ils, si l'on nous avait toujours parlé ainsi, nous n'aurions jamais douté de Dieu et de sa bonté, même dans nos plus grandes misères !

C'est quelque chose sans doute de croire, car c'est déjà un pied mis dans la bonne voie ; mais la croyance sans la pratique est une lettre morte ; or, nous sommes heureux de dire que, dans notre courte excursion, parmi de nombreux exemples des effets moralisateurs de la doctrine, nous avons rencontré bon nombre de ces Spirites de cœur qu'on pourrait dire complets s'il était donné à l'homme d'être complet en quoi que ce soit, et qu'on peut regarder comme les types de la génération future transformée ; il y en a de tous sexes, de tous âges et de toutes conditions, depuis la jeunesse jusqu'à la limite extrême de l'âge, qui réalisent dès cette vie les promesses qui nous sont faites pour l'avenir. Ils sont faciles à reconnaître ; il y a dans tout leur être un reflet de franchise et de sincérité qui commande la confiance ; dès l'abord on sent qu'il n'y a aucune arrière-pensée dissimulée sous des paroles dorées ou d'hypocrites compliments. Autour d'eux, et dans la médiocrité même, ils savent faire régner le calme et le contentement. Dans ces intérieurs bénis on respire une atmosphère sereine qui réconcilie avec l'humanité, et l'on comprend le règne de Dieu sur la terre ; bienheureux ceux qui savent en jouir par anticipation !

Dans nos tournées spirites, c'est moins le nombre des croyants que nous supputons, et qui nous satisfait le plus, que celui de ces adeptes qui sont l'honneur de la doctrine, et qui en sont en même temps les plus fermes soutiens, parce qu'ils la font estimer et respecter en eux.En voyant le nombre des heureux que fait le Spiritisme, nous oublions facilement les fatigues inséparables de notre tâche. C'est là une satisfaction, un résultat positif, que la malveillance la plus acharnée ne peut nous enlever ; on pourrait nous ôter la vie, les biens matériels, mais jamais le bonheur d'avoir contribué à ramener la paix dans des cœurs ulcérés. Pour quiconque sonde les motifs secrets qui font agir certains hommes, il y a des boues qui salissent ceux qui la jettent, et non ceux à qui ils la jettent.

Que tous ceux qui nous ont donné, dans ce dernier voyage, de si touchants témoignages de sympathie, en reçoivent ici nos bien sincères remerciements, et soient assurés qu'ils sont payés de retour.

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* Errata - Janvier 1868- Revue Spirite 1868 - Lisez: illettrés



La loi et les médiums guérisseurs

Sous le titre de Un Mystère, plusieurs journaux du mois de mai dernier ont rapporté le fait suivant :

« Deux dames du faubourg Saint-Germain se présentèrent, un de ces jours derniers, chez le commissaire de leur quartier et lui signalèrent le nommé P…, qui avait, dirent-elles, abusé de leur confiance et de leur crédulité, en leur affirmant qu'il les guérirait de maladies, contre lesquelles ses soins avaient été impuissants.

Ayant ouvert à ce sujet une enquête, le magistrat apprit que P… passait pour un habile médecin, dont la clientèle augmentait chaque jour, et qui faisait des cures extraordinaires.

D'après ses réponses aux questions du commissaire, P… paraît convaincu qu'il est doué d'une faculté surnaturelle qui lui donne le pouvoir de guérir rien que par l'apposition des mains sur les organes malades.

Pendant vingt ans il a été cuisinier ; il était même cité pour un des habiles dans son métier, qu'il a abandonné depuis un an pour se consacrer à l'art de guérir.

A l'en croire, il aurait eu plusieurs visions et apparitions mystérieuses dans lesquelles un envoyé de Dieu lui aurait révélé qu'il avait à accomplir sur la terre une mission d'humanité, à laquelle il ne devait pas faire défaut sous peine d'être damné. Obéissant, dit-il, à cet ordre venu du ciel, l'ancien cuisinier s'est installé dans un appartement de la rue Saint-Placide, et les malades n'ont pas tardé à abonder à ses consultations.

Il n'ordonne pas de médicaments ; il examine le sujet qu'il doit traiter lorsqu'il est à jeun, le palpe, cherche, et découvre le siège du mal, sur lequel il applique ses mains disposées en croix, prononce quelques paroles qui sont, dit-il, son secret ; puis, à sa prière, un Esprit invisible vient et enlève le mal.

P… est certainement un fou ; mais ce qu'il y a d'extraordinaire, d'inexplicable, c'est qu'il a prouvé, ainsi que le constate l'enquête, que, par ce singulier procédé, il a guéri plus de quarante personnes affectées de maladies graves.

Plusieurs lui ont témoigné leur reconnaissance par des dons en argent ; une vieille dame, propriétaire aux environs de Fontainebleau, l'a, par un testament trouvé chez lui, où une perquisition a été pratiquée, fait son héritier pour une somme de 40,000 fr.

P… a été maintenu en état d'arrestation, et son procès, qui ne tardera pas sans doute à avoir lieu en police correctionnelle, promet d'être curieux. »

Nous ne nous faisons ni l'apologiste ni le détracteur de M. P… que nous ne connaissons pas. Est-il dans de bonnes ou de mauvaises conditions ? Est-il sincère ou charlatan ? Nous l'ignorons ; c'est l'avenir qui le prouvera ; nous ne prenons fait et cause ni pour ni contre lui. Nous mentionnons le fait tel qu'il est rapporté, parce qu'il vient s'ajouter à tous ceux qui accréditent l'idée de l'existence d'une de ces facultés étranges qui confondent la science et ceux qui ne veulent rien admettre en dehors du monde visible et tangible. A force d'en entendre parler et de voir les faits se multiplier, on est bien forcé de convenir qu'il y a quelque chose, et peu à peu on fait la distinction entre la vérité et la jonglerie.

Dans le récit qui précède, on a sans doute remarqué ce curieux passage, et la contradiction non moins curieuse qu'il renferme :

« P… est certainement un fou, mais ce qu'il y a d'extraordinaire, d'inexplicable, c'est qu'il a prouvé, ainsi que le constate l'enquête, que, par ce singulier procédé, il a guéri plus de quarante personnes affectées de maladies graves. »

Ainsi l'enquête constate les guérisons ; mais parce que le moyen qu'il emploie est inexplicable et n'est pas reconnu par la Faculté, il est certainement fou. A ce compte, l'abbé prince de Hohenlohe, dont nous avons rapporté les cures merveilleuses dans la Revue de décembre 1866, p. 368, était un fou ; le vénérable curé d'Ars, qui lui aussi, faisait des guérisons par ces singuliers procédés, était un fou, et tant d'autres ; le Christ, qui guérissait sans diplôme et n'employait pas de médicaments, était fou, et eût payé bien des amendes nos jours. Fous ou non, lorsqu'il y a guérison, il y a bien des gens qui préfèrent être guéris par un fou que d'être enterrés par homme de bon sens.

Avec un diplôme, toutes les excentricités médicales sont permises. Un médecin, dont nous avons oublié le nom, mais qui gagne beaucoup d'argent, emploie un procédé bien autrement bizarre ; avec un pinceau il maquille la figure de ses malades de petits losanges rouges, jaunes, verts, bleus dont il entoure les yeux, le nez, la bouche en quantité proportionnée à la nature de la maladie. Sur quelle donnée scientifique est fondé ce genre de médication ? Un mauvais plaisant de rédacteur a prétendu que pour s'épargner d'énormes frais de réclames, ce médecin les faisait porter gratis par ses malades, sur leur figure. En voyant dans les rues ces visages tatoués, on demande naturellement ce que c'est ? Et les malades de répondre : C'est le procédé du célèbre docteur un tel. Mais il est médecin ; que son procédé soit bon, mauvais ou insignifiant, là n'est pas la question ; tout lui est permis, même d'être charlatan : il y est autorisé de par la Faculté ; qu'un individu non diplômé veuille l'imiter, il sera poursuivi pour escroquerie.

On se récrie sur la crédulité du public à l'endroit des charlatans ; on s'étonne de l'affluence qui se porte chez le premier venu qui annonce un nouveau moyen de guérir, chez les somnambules, rebouteurs et autres ; de la prédilection pour les remèdes de bonne femme, et l'on s'en prend à l'ineptie de l'espèce humaine ! La véritable cause tient à l'envie bien naturelle que les malades ont de guérir, et à l'insuccès de la médecine dans un trop grand nombre de cas ; si les médecins guérissaient plus souvent et plus sûrement, on n'irait pas ailleurs ; il arrive même presque toujours qu'on n'a recours à des moyens exceptionnels qu'après avoir épuisé inutilement les ressources officielles ; or, le malade qui veut être guéri à tout prix, s'inquiète peu de l'être selon la règle ou contre la règle.

Nous ne répéterons pas ici ce qui est aujourd'hui clairement démontré sur les causes de certaines guérisons, inexplicables seulement pour ceux qui ne veulent pas se donner la peine de remonter à la source du phénomène. Si la guérison a lieu, c'est un fait, et ce fait a une cause ; est-il plus rationnel de la nier que de la chercher ? – C'est le hasard, dira-t-on ; le malade eût guéri tout seul. – Soit ; mais alors le médecin qui le déclarait incurable faisait preuve d'une grande ignorance. Et puis, s'il y a vingt, quarante, cent guérisons pareilles, est-ce toujours le hasard ? Ce serait, il faut en convenir un hasard singulièrement persévérant et intelligent, auquel on pourrait donner le nom de docteur Hasard.

Nous examinerons la question sous un point de vue plus sérieux. Les personnes non diplômées qui traitent les malades par le magnétisme ; par l'eau magnétisée qui n'est qu'une dissolution de fluide magnétique ; par l'imposition des mains qui est une magnétisation instantanée et puissante ; par la prière qui est une magnétisation mentale ; avec le concours des Esprits, ce qui est encore une variété de magnétisation, sont-elles passibles de la loi contre l'exercice illégal de la médecine ?

Les termes de la loi sont certainement très élastiques, car elle ne spécifie pas les moyens. Rigoureusement et logiquement on ne peut considérer comme exerçant l'art de guérir, que ceux qui font profession, c'est-à-dire, qui en tirent profit. Cependant on a vu des condamnations prononcées contre des individus s'occupant de ces soins par pur dévouement, sans aucun intérêt ostensible ou dissimulé. Le délit est donc surtout dans la prescription des remèdes. Toutefois le désintéressement notoire est généralement pris en considération comme circonstance atténuante.

Jusqu'à présent, on n'avait pas pensé qu'une guérison pût être opérée sans l'emploi de médicaments ; la loi n'a donc pas prévu le cas des traitements curatifs sans remèdes, et ce ne serait que par extension qu'on l'appliquerait aux magnétiseurs et aux médiums guérisseurs. La médecine officielle ne reconnaissant aucune efficacité au magnétisme et ses annexes, et encore moins à l'intervention des Esprits, on ne saurait légalement condamner pour exercice illégal de la médecine, les magnétiseurs et les médiums guérisseur qui ne prescrivent rien, ou rien autre que l'eau magnétisée, car alors ce serait reconnaître officiellement une vertu à l'agent magnétique, et le placer au rang des moyens curatifs ; ce serait comprendre le magnétisme et la médiumnité guérissante dans l'art de guérir, et donner un démenti à la faculté. Ce que l'on fait quelquefois en pareil cas, c'est de condamner pour délit d'escroquerie, et abus de confiance, comme faisant payer une chose sans valeur, celui qui en tire un profit direct ou détourné, ou même dissimulé sous le nom de rétribution facultative, voile auquel il ne faut pas toujours se fier. L'appréciation du fait dépend entièrement de la manière d'envisager la chose en elle-même ; c'est souvent une question d'opinion personnelle, à moins qu'il n'y ait abus présumé, auquel cas la question bonne foi entre toujours en ligne de compte ; la justice alors apprécie les circonstances aggravantes ou atténuantes.

Il en est tout autrement pour celui dont le désintéressement est avéré et complet ; dès lors qu'il ne prescrit rien et ne reçoit rien, la loi ne peut l'atteindre, ou bien il faudrait y donner une extension que ne comportent ni l'esprit ni la lettre. Où il n'y a rien à gagner, on ne saurait voir du charlatanisme. Il n'y a aucun pouvoir au monde qui puisse s'opposer à l'exercice de la médiumnité ou magnétisation guérissante, dans la véritable acception du mot.

Cependant, dira-t-on, M. Jacob ne faisait rien payer, et il n'en a pas moins été interdit. Cela est vrai, mais il n'a été ni poursuivi, ni condamné pour le fait dont il s'agissait ; l'interdiction était une mesure de discipline militaire, à cause du trouble que pouvait causer au camp l'affluence des personnes qui s'y rendaient, et si depuis, il a excipé de cette interdiction, c'est que cela lui a convenu. S'il n'eût pas appartenu à l'armée, personne ne pouvait l'inquiéter. (Voyez, Revue de mars 1865, page 76 : Le Spiritisme et la Magistrature.)

Sous ce titre, le Journal de Chartres, du 26 mai dernier, contenait la correspondance suivante :

Illiers, 20 mai 1867.

« Sommes-nous au mois de mai ou au carnaval ? Je me suis cru à cette dernière époque dimanche dernier. Comme je traversais Illiers, vers quatre heures du soir, je me trouvai en face d'un rassemblement de soixante, quatre-vingts, cent gamins peut-être, suivis d'une foule nombreuse criant à tue-tête sur l'air des Lampions : V'là le sorcier ! v'là le sorcier ! v'là l'chien fou ! v'là Grezelle ! et accompagnant de huées un brave et placide paysan, à l'œil hagard, à l'air effaré, qui fut fort heureux de rencontrer une boutique d'épicier pour lui servir de refuge. C'est qu'après les chants et les huées venaient les injures et volaient les pierres, et le pauvre diable, sans cet asile, allait peut-être avoir un mauvais parti.

Je demandai à un groupe qui se trouvait là ce que cela voulait dire ; on me raconta que depuis quelque temps il y avait tous les vendredis une réunion de Spirites à la Sorcellerie, commune de Vieu-vicq, à la porte d'Illiers. Le grand Pontife qui présidait à ces réunions était un maçon nommé Grezelle, et c'était ce malheureux qui venait de se voir si malmené. C'est que, disait-on, il s'était passé depuis quelques jours des choses fort drôles. Il aurait vu le diable, il aurait évoqué des âmes qui lui auraient révélé des choses peu flatteuses pour certaines familles.

Bref, plusieurs femmes seraient devenues folles, et certains hommes marchaient sur leurs traces ; il paraît même que le Pontife ouvre la marche ; toujours est-il qu'une jeune femme d'Illiers a totalement perdu la tête. On lui aurait dit que pour certaines fautes il fallait qu'elle allât en purgatoire. Vendredi, elle faisait ses adieux à tous ses parents et voisins, et samedi, après avoir fait ses préparatifs de départ, elle allait se jeter à la rivière ; heureusement on la surveillait et l'on arriva assez à temps pour retarder le voyage.

On comprend que cet évènement ait ému l'opinion publique. La famille de cette jeune femme s'était monté la tête, et plusieurs membres armés d'un bon fouet firent la conduite au Pontife, qui eut le bonheur de s'échapper de leurs mains. Il voulait quitter la Sorcellerie de Vieuvicq pour venir établir son sabbat à Illiers, au lieu dit la Folie-Valleran. On dit que deux braves pères de famille qui lui servaient d'enfants de chœur l'ont prié de ne pas venir à la Folie, c'est la folie qui ira chez lui ; on parlait aussi que la police allait s'en occuper.

Laissez donc faire les gamins d'Illiers. Ils sauront bien en venir à bout. Il y a de ces choses qui meurent assommées par le ridicule.

Léon Gaubert. »



Le même journal, dans son numéro du 13 juin 1867, contient ce qui suit :

En réponse à une lettre portant la signature de M. Léon Gaubert, publiée dans notre numéro du 26 mai dernier nous avons reçu la communication suivante, à laquelle nous conservons scrupuleusement son originalité :

« La Certellerie, 4 juin 1867.

Monsieur le Rédacteur,

Dans votre journal du 26 mai, vous rendez publique une lettre dans laquelle votre correspondant m'assomme pour faire voir comment j'ai été maltraité à Illiers. Maçon et père de famille, j'ai droit à réparation après avoir été si violemment attaqué, et j'espère que vous voudrez bien faire connaître la vérité après avoir laissé propager l'erreur.

Il est bien vrai, comme cette lettre le dit, que les enfants de l'école et bien des personnes que j'estimais me poursuivent à chaque fois que je passe à Illiers. Deux fois surtout j'ai manqué succomber aux coups de pierres, de bâtons et autres objets qu'on lançait sur moi, et aujourd'hui encore, si j'allais à Illiers où je suis très connu, je serais entouré, menacé, maltraité. Outre les matériaux qui pleuvent, on remplit l'air d'injures : fou, sorcier, spirite, telles sont les douceurs les plus ordinaires dont on me régale. Heureusement il n'y a que cela de vrai, tout ce que votre correspondant vous écrit (le texte porte : tout ce que votre correspondant ajoute), est faux et n'a jamais existé que dans l'imagination des personnes qui ont cherché à ameuter la population contre nous.

M. Léon Gaubert qui a signé votre lettre est complètement inconnu dans le pays ; on me dit que c'est un anonyme, si j'ai bien retenu le mot. Je dis que si l'on se cache, c'est qu'on sent qu'on ne fait pas bien ; je dirai donc en toute franchise à M. Léon Gaubert : Faites comme moi, mettez votre vrai nom.

M. Léon Gaubert dit qu'une femme, par suite d'excitations et de pratiques spirites, est devenue folle et a voulu se noyer. Je ne sais si réellement elle a voulu se noyer ; beaucoup de personnes me disent que ce n'est pas vrai, mais quand même cela serait, je n'y puis absolument rien. Cette femme est une revendeuse, sa réputation est faite ici depuis fort longtemps, et on ne parlait pas encore de Spiritisme que déjà elle était comme ici (le texte porte connue ici), comme elle l'est à cette heure. Ses sœurs l'aident à me poursuivre. Je vous déclare qu'elle ne s'est jamais occupée de Spiritisme : ses instincts la portent dans une direction contraire. Elle n'a jamais assisté à nos réunions, et jamais elle n'a mis les pieds dans la maison d'aucun Spirite du pays.

Pourquoi donc, me direz-vous, vous en veut-elle, et pourquoi vous en veut-on tant à Illiers ? C'est une énigme pour moi ; je ne me suis aperçu que d'une chose, c'est que beaucoup de personnes, avant que la première scène éclatât, en paraissaient instruites d'avance, et ce jour, quand je suis entré dans les rues d'Illiers, je remarquai bien du monde sur les portes et aux fenêtres.

Je suis un honnête ouvrier, Monsieur ; je gagne honorablement mon pain. Le Spiritisme ne m'empêche nullement de travailler, et si quelqu'un a le moindre reproche sérieux à m'adresser, qu'il ne craigne rien. Nous avons des lois, et, dans les circonstances où je me trouve, le premier je demande que les lois du pays soient bien observées.

Quant à être Spirite, je ne m'en cache pas ; c'est très vrai, je suis Spirite. Mes deux garçons, jeunes gens actifs, rangés et florissants, sont l'un et l'autre médiums. L'un et l'autre aiment le Spiritisme et, comme leur père, croient, prient, travaillent, s'améliorent et tâchent de s'élever. Mais quel mal y a-t-il là ? Lorsque la colère me dit de me venger, le Spiritisme m'arrête et me dit : Tous les hommes sont frères ; fais du bien à ceux mêmes qui te font du mal, et je me trouve plus calme, plus fort.

Le curé me repousse du confessionnal, parce que je suis Spirite ; si je venais à lui chargé de tous les crimes possibles, il m'absoudrait ; mais Spirite, croyant en Dieu et faisant le bien selon mon pouvoir, je ne trouve point grâce à ses yeux. Bien des gens d'Illiers ne font pas autrement, et tel de nos ennemis qui, à cette heure, me jette la pierre parce que je suis Spirite, ferait mieux que m'absoudre, et m'applaudirait le jour où il me rencontrerait dans une orgie. »

Remarque. Ce paragraphe guillemeté, qui était dans la lettre originale, a été supprimé par le journal.

« Pour plaire, je ne saurais dire noir quand je vois blanc ; j'ai des convictions ; le spiritisme est pour moi la plus belle des vérités ; que voulez-vous ? Veut-on me forcer à dire le contraire de ce que je pense, de tout ce que je vois, et lorsqu'on parle tant de liberté, faut-il qu'on la supprime en pratique ?

Votre correspondant dit que je voulais quitter la Sorcellerie pour aller établir mon sabbat à la Folie-Valleran. A voir M. Léon Gaubert inventer tant de mots désagréables, on dirait vraiment qu'il est possédé de la rage de donner sur la tête de tout le monde les plus maladroits coups de truelle. M. Valleran est un des propriétaires les plus respectables du pays, et, en élevant une construction magnifique, il a fait gagner de l'argent à bien des ouvriers par un travail honnête et lucratif. Tant pis pour celui qui en est vexé ou ne l'imiterait qu'à reculons.

Soyez assez bon, Monsieur, pour faire part de ma lettre à vos lecteurs, et détromper comme de juste les personnes que la première lettre publiée par vous a induites en erreur.

Agréez, etc.

Grezelle. »



Le rédacteur du journal dit qu'il conserve scrupuleusement à cette lettre son originalité ; il veut sans doute dire par là la forme du style qui, chez un maçon de village, n'est pas celle d'un littérateur. Il est probable que si, et d'un style plus incorrect encore, ce maçon avait écrit contre le Spiritisme, on ne l'aura pas trouvé ridicule. Mais puisqu'on tenait si scrupuleusement à conserver l'originalité de la lettre, pourquoi supprimer un paragraphe ? En cas d'inexactitude la responsabilité en retombait sur son auteur. Pour être rigoureusement dans le vrai, le journal aurait dû ajouter qu'il s'était d'abord refusé à la publication de cette lettre, et qu'il n'a cédé que devant l'imminence de poursuites judiciaires dont les conséquences étaient inévitables, puisqu'il s'agissait d'un homme estimable attaqué par le journal même, dans son honneur et sa considération.

L'auteur de la première lettre a sans doute pensé que le travestissement burlesque des faits ne suffisait pas pour jeter le ridicule sur les Spirites ; il y a abouté une grosse malice, en transformant le nom de la localité, qui est la Certellerie en celui de la Sorcellerie ; c'est peut-être très spirituel pour les gens qui aiment le sel à gros grains, mais ce n'est pas du sel attique, et encore moins de l'adresse ; ce genre de ridicule n'a jamais rien tué.

Faut-il considérer ces faits comme regrettables ? Ils le sont sans doute pour ceux qui en ont été les victimes, mais non pour la doctrine à laquelle ils ne peuvent que profiter.

De deux choses l'une : ou les personnes qui se réunissent dans cette localité se livrent à une indigne comédie, ou ce sont des gens honorables, sincèrement Spirites. Dans le premier cas, c'est rendre un grand service à la doctrine que de démasquer ceux qui en abusent ou qui mêlent son nom à des pratiques ridicules. Les Spirites sincères ne peuvent qu'applaudir à tout ce qui tend à débarrasser le Spiritisme des parasites de mauvaise foi, sous quelque forme qu'ils se présentent, et jamais ils n'ont pris fait et cause pour les jongleurs et les charlatans. Dans le second, il ne peut que gagner au retentissement que lui donne une persécution appuyée sur des faits controuvés, parce qu'elle excite les gens à s'enquérir de ce qu'il en est ; or, le Spiritisme ne demande qu'à être connu, bien certain qu'un examen sérieux est le meilleur moyen de détruire les préventions suscitées par la malveillance chez ceux qui ne le connaissent pas. Nous ne serions donc pas surpris que cette échauffourée n'ait un résultat tout autre que celui qu'en espéraient ceux qui l'ont provoquée, et qu'elle ne soit la cause d'une recrudescence dans le nombre des adeptes de la localité. C'est ainsi qu'il en a été partout où une opposition un peu violente s'est manifestée.

Que faire alors, se diront les adversaires ? Si nous laissons faire, le Spiritisme marche ; si nous agissons contre, il marche plus fort. – La réponse est bien simple : reconnaître que ce qu'on ne peut empêcher est dans la volonté de Dieu, et ce qu'il y a de mieux à faire c'est de le laisser passer.

Deux de nos correspondants, étrangers l'un à l'autre, nous ont transmis sur ces faits des renseignements précis et parfaitement concordants. M. Quômes d'Arras, l'un d'eux, homme de science et écrivain distingué, au premier récit de ces événements rapportés par le journal de Chartres, ignorant la cause du conflit, ne voulut point se hâter de prendre la défense des faits ni des personnes qu'il abandonnait à la sévérité de la critique s'ils le méritaient ; mais il prit celle du Spiritisme. Dans une lettre pleine de modération et de convenance adressée au journal, il s'attacha à démontrer que si les faits étaient tels qu'ils étaient rapportés par M. Léon Gaubert, le Spiritisme n'y était pour rien, lors même qu'on en aurait pu pris le nom. Toute personne impartiale aurait regardé comme un devoir de donner place à une rectification aussi légitime. Il n'en fut point ainsi, et les instances réitérées n'aboutirent qu'à un refus formel. Ceci se passait avant la lettre de Grezelle, qui, ainsi qu'on l'a vu, devait avoir le même sort. Si le journal craignait de soulever dans ses colonnes la question du Spiritisme, il ne devait pas admettre la lettre de M. Gaubert ; se réserver le droit d'attaquer, et refuser celui de la défense, c'est un moyen facile, mais très peu logique, de se donner raison.

M. Quômes d'Arras, afin de se rendre compte par lui-même de l'état des choses, se rendit sur les lieux. Il a bien voulu nous envoyer une relation détaillée de sa visite ; nous regrettons que l'étendue de ce document ne nous permette pas de le publier dans ce numéro, où déjà tout ce qui devait y être n'a pu trouver place ; nous en résumons les conséquences principales. Voici ce qu'il apprit à Illiers auprès de différentes personnes honorables, étrangères au Spiritisme.

Grezelle est un excellent maçon, propriétaire à La Certellerie. Loin de déraisonner, tous ceux qui le connaissent ne peuvent que rendre justice à son bon sens, à ses habitudes d'ordre, de travail, de régularité. C'est un bon père de famille ; tout son tort est d'inquiéter les matérialistes et les indifférents du pays par ses affirmations énergiques, multipliées, sur l'âme, sur ses manifestations après la mort, et sur nos destinées futures. Il est loin d'être, dans la contrée, l'unique partisan du Spiritisme qui y compte, à Brou surtout, des adeptes nombreux et dévoués.

Quant aux femmes que, selon le Journal de Chartres, le Spiritisme aurait rendues folles ou entraînées à des actes coupables, c'est une pure invention. Le fait auquel il fait allusion est une revendeuse bien connue à Illiers, adonnée à la boisson, et dont la raison a toujours été faible. Elle en veut à Grezelle et dit du mal de lui, on ne sait pourquoi. Comme les idées spirites circulent dans le pays, elle a dû en entendre parler, et elle les mêle à ses propos incohérents, mais elle ne s'en est jamais occupée sérieusement. Quant à avoir voulu se noyer, cette pensée n'aurait rien d'impossible, vu son état habituel ; mais le fait paraît controuvé.

De là, M. Quômes d'Arras se rendit à La Certellerie, à cinq kilomètres au delà d'Illiers. « En arrivant, dit-il, je demandai l'habitation de madame Jacquet dont on m'avait dit le nom à Illiers. Elle était au jardin avec son enfant au milieu des fleurs, occupée à des travaux d'aiguille. Aussitôt qu'elle sut le motif de mon voyage, elle me conduisit à sa maison où nous fûmes bientôt rejoints par sa servante, jeune fille de vingt ans, médium parlant et Spirite fervente, par Grezelle et son fils aîné âgé de vingt ans. Il ne fut pas besoin de causer longtemps avec ce groupe de personnes pour s'apercevoir que l'on se trouvait en rapport, non avec des esprits agités, chagrins, singuliers, exaltés ou fanatiques, mais avec des personnes sérieuses, raisonnables, bienveillantes, d'une socialité parfaite ; franchise, netteté, simplicité, amour du bien, tels étaient les traits saillants qui se peignaient dans leur extérieur, dans leurs paroles, et, je l'avouerai à ma confusion, je ne m'attendais pas à si bien.

« Grezelle a quarante-cinq ans, il est marié et a deux garçons ; tous les deux sont médiums écrivains ainsi que lui. Il me raconta avec calme les souffrances qu'il endurait et les menées dont il était l'objet. Madame Jacquet me dit aussi que dans le pays, bien des personnes nourrissaient contre eux les plus mauvais sentiments parce qu'ils sont Spirites. A mes yeux il parut très probable, et dans la suite j'acquis la plus entière certitude, que ces diverses familles sont tranquilles, bienveillantes pour tout le monde, incapables le faire de mal à personne, sincèrement attachées à tous leurs devoirs ; j'admirai, en rendant grâce au ciel, la fermeté, la force de caractère, la solidité des convictions, le profond attachement au bien de ces excellentes gens qui, à la campagne, sans grande instruction, sans encouragement et sans ressources visibles, entourés d'ennemis et de railleurs, maintiennent haut, depuis quatre ans, leurs principes, leur foi, leurs espérances ; ils ont pour défendre leur drapeau contre les rires un courage qui, trop souvent malheureusement, fait encore défaut à nos savants des villes, et même à bien des Spirites avancés.

Grezelle qui seul a été positivement maltraité, quoiqu'il y ait trois ans qu'il est Spirite, a toute la ferveur d'un néophyte, tout le zèle d'un apôtre, et aussi toute l'activité exubérante d'une nature prompte, énergique et entreprenante. A raison de ses affaires, il est continuellement mêlé à la population du pays, et, plein du Spiritisme, l'aimant plus que la vie, il ne peut s'empêcher d'en parler, de le faire ressortir, d'en montrer les beautés, les grandeurs, les merveilles. D'une parole réellement pressante et forte, il produit au milieu des indifférents qui l'environnent l'effet du feu sur l'eau. Comme il ne tient compte ni du temps, ni des circonstances contraires, on pourrait dire qu'il pèche un peu par excès de zèle, et peut-être aussi par défaut de prudence. »

Le lendemain, dans la soirée, M. Quômes assista, chez Grezelle, à une séance spirite composée de dix-huit à vingt personnes, parmi lesquelles se trouvaient le maire, des notabilités de l'endroit, des gens d'une honorabilité notoire, qui ne fussent certainement pas venus dans une assemblée de fous et d'illuminés. Tout s'y est passé dans le plus grand ordre, avec le plus parfait recueillement, et sans le moindre vestige des pratiques ridicules de magie et de sorcellerie. On débute par la prière, pendant laquelle tout le monde se met à genoux. Aux prières tirées de l'Évangile selon le Spiritisme, on ajoute la prière du soir et d'autres, tirées du rituel ordinaire de l'Église. « Nos détracteurs, surtout les ecclésiastiques, ajoute M. Quômes, n'auraient peut-être pas remarqué sans embarras et sans étonnement la ferveur de ces âmes sincères, et leur attitude recueillie dénotant un sentiment religieux profond. Il y avait six médiums dont quatre hommes et deux femmes, parmi lesquelles la servante de madame Jacquet, médium parlant et écrivain. Les communications sont en général faibles de style, les idées y sont délayées et sans enchaînement ; quelques manies même se font jour dans le mode de communication ; mais, somme toute, il n'y a rien de mauvais, de dangereux, et tout ce qui s'obtient édifie, encourage, fortifie, porte l'esprit au bien ou l'élève vers Dieu. »

M. Quômes a trouvé chez ces Spirites la sincérité et un dévouement à toute épreuve, mais aussi un défaut d'expérience auquel il s'est efforcé de suppléer par ses conseils. Le fait essentiel qu'il a constaté, c'est que rien, dans leur manière d'agir, ne justifie le tableau ridicule qu'en fait le Journal de Chartres. Les actes sauvages qui se sont passés à Illiers ont donc évidemment été suscités par la malveillance, et paraissent avoir été prémédités.

Nous sommes heureux, pour notre part, qu'il en soit ainsi, et nous félicitons nos frères du canton d'Illiers des excellents sentiments qui les animent.

Les persécutions, comme nous l'avons dit, sont le lot inévitable de toutes les grandes idées nouvelles, qui toutes ont eu leurs martyrs ; ceux qui les endurent seront heureux un jour d'avoir souffert pour le triomphe de la vérité. Qu'ils persévèrent donc sans se rebuter et sans faiblir, et ils seront soutenus par les bons Esprits qui les observent ; mais aussi qu'ils ne se départissent jamais de la prudence que commandent les circonstances, et qu'ils évitent avec soin tout ce qui pourrait donner prise à nos adversaires ; c'est dans l'intérêt de la doctrine.

Épidémie de l'île Maurice

Il y a quelques mois, un de nos médiums, M. T…, qui tombe souvent en somnambulisme spontané sous la magnétisation des Esprits, nous dit que l'île Maurice était en ce moment ravagée par une épidémie terrible qui décimait la population. Cette prévision s'est réalisée, même avec des circonstances aggravantes. Nous venons de recevoir d'un de nos correspondants de l'île Maurice, une lettre datée du 8 mai, et dont nous extrayons les passages suivants :

« Plusieurs Esprits nous ont annoncé, les uns clairement, les autres en termes prophétiques, un fléau destructeur prêt à nous frapper. Nous prîmes ces révélations au point de vue moral et non au point de vue physique. Soudain une maladie étrange éclate sur cette pauvre île ; une fièvre sans nom, qui revêt toutes les formes, commence doucement, hypocritement, puis grandit et renverse tous ceux qu'elle peut atteindre. C'est maintenant une véritable peste ; les médecins n'y entendent rien ; tous ceux qui en sont frappés n'ont pu guérir jusqu'à présent. Ce sont de terribles accès qui vous brisent et vous torturent pendant douze heures, au moins, en attaquant à tour de rôle, chaque organe important ; puis, le mal cesse pendant un jour ou deux, laissant le malade accablé jusqu'à son prochain retour, et l'on marche ainsi, plus ou moins rapidement, vers le terme fatal.

Pour moi, je vois en tout ceci un de ces fléaux annoncés, qui doivent retirer du monde une partie de la génération présente, et destinés à opérer un renouvellement devenu nécessaire. Je vais vous donner un exemple des infamies qui se passent ici :

La quinine à très forte dose enraye les accès, pour quelques jours seulement ; c'est le seul spécifique capable d'arrêter, momentanément du moins, les progrès de la cruelle maladie qui nous décime.

Les négociants et les pharmaciens en avaient une certaine quantité qui leur revenait à peu près à 7 fr. l'once, or, comme ce remède était forcément acheté par tout le monde, ces messieurs profitèrent de l'occasion pour élever le prix de la potion d'un individu, de 1 fr. prix ordinaire, jusqu'à 15 fr. Puis la quinine vint à manquer ; c'est-à-dire, que ceux qui en avaient, ou qui en recevaient par les malles, la vendirent au prix fabuleux de 2 fr. 50 c. le grain au détail, et en gros 675 et 800 fr. l'once. Dans une potion il entre au moins 30 grains, ce qui fait 75 fr. la potion. Les riches seuls pouvaient donc s'en procurer, et ces marchands voyaient avec indifférence des milliers de malheureux expirer autour d'eux, faute de l'argent nécessaire pour se procurer ce médicament.

Que dites-vous de ceci ? Hélas ! c'est de l'histoire ! Encore en ce moment, la quinine arrive en quantité ; les boutiques des pharmaciens en regorgent, mais néanmoins ils ne veulent pas donner une dose à moins de 12 fr. 50 c. ; aussi les pauvres meurent toujours, en regardant d'un œil désolé ce trésor qu'ils ne peuvent atteindre !

Moi-même, j'ai été atteinte par l'épidémie, et j'en suis à ma quatrième rechute. Je me ruine en quinine ; cela prolonge mon existence, mais si, comme je le crains, les rechutes continuent, ma foi, cher monsieur, il est assez probable qu'avant peu, j'aurai le plaisir d'assister en Esprit à vos séances parisiennes, et d'y prendre part, si Dieu le permet. Une fois dans le monde des Esprits, je serai plus près de vous et de la société, que je ne le suis à l'île Maurice ; en une pensée je me rends à vos séances sans fatigue, et sans craindre le mauvais temps. Du reste, je n'ai pas la moindre crainte, je vous le jure ; je suis trop sincèrement Spirite pour cela. Toutes mes précautions sont prises, et si je viens à quitter ce monde, vous en serez instruit.

En attendant, cher monsieur, veuillez avoir la bonté de prier mes frères de la société Spirite de joindre leurs prières aux nôtres pour les malheureuses victimes de l'épidémie, pauvres Esprits bien matériels, pour la plupart, et dont le dégagement doit être pénible et long. Prions aussi pour ceux, bien autrement malheureux, qui au fléau de la maladie, ajoutent celui de l'inhumanité.

Notre petit groupe est disséminé depuis trois mois ; tous les membres ont été plus ou moins frappés, mais aucun de nous n'est mort jusqu'à présent.

Recevez, etc. »



Il faut être vraiment Spirite pour envisager la mort avec ce sang-froid et cette indifférence alors qu'elle étend ses ravages autour de nous, et qu'on en a ressenti les atteintes ; c'est qu'en pareil cas, la foi sérieuse en l'avenir, telle que le Spiritisme seul peut la donner, procure une force morale qui est elle-même un puissant préservatif, ainsi que cela a été dit à propos du choléra. (Revue de novembre 1865, page 336). Ce n'est pas à dire que, dans les épidémies, les Spirites soient nécessairement épargnés, mais il est certain qu'en pareil cas, ils ont jusqu'à présent été les moins frappés. Il va sans dire, qu'il s'agit des Spirites de cœur, et non de ceux qui n'en ont que l'apparence.

Les fléaux destructeurs, qui doivent sévir contre l'humanité, non sur un point du globe, mais partout, sont pressentis de toutes parts par les Esprits.

La communication suivante, verbale et spontanée, a été donnée sur ce sujet et à la suite de la lecture de la lettre ci-dessus.

(Société de Paris, 21 juin 1867 ; méd. M. Morin, ou somnambulisme spontané.)

« L'heure s'avance, l'heure marquée au grand et perpétuel cadran de l'infini, l'heure à laquelle va commencer à s'opérer la transformation de votre globe pour le faire graviter vers la perfection. Il vous a été dit souvent que les plus terribles fléaux décimeraient les populations ; ne faut-il pas que tout meure pour se régénérer ? Mais qu'est-ce que cela ? La mort n'est que la transformation de la matière, l'Esprit ne meurt pas : il ne fait que changer d'habitation. Observez, et vous verrez commencer la réalisation de toutes ces prévisions. Oh ! qu'ils sont heureux, ceux qu'en ces terribles épreuves la foi spirite sincère a touchés ! Ils demeurent calmes au milieu de la tourmente, comme le marin aguerri devant la tempête.

Moi, en ce moment personnalité spirituelle, accusé souvent par les personnalités terrestres, de brutalité, de dureté, d'insensibilité !… Il est vrai, je contemple avec calme tous ces fléaux destructeurs, toutes ces terribles souffrances physiques ; oui, je traverse sans m'émouvoir toutes ces plaines dévastées, jonchées de débris humains ! Mais si je puis le faire, c'est que ma vue spirituelle se porte au delà de ces souffrances ; c'est qu'anticipant sur l'avenir, elle s'appuie sur le bien-être général qui sera la conséquence de ces maux passagers pour la génération future, pour vous-mêmes qui ferez partie de cette génération, et qui recueillerez alors les fruits que vous aurez semés.

Esprit de l'ensemble, regardant du haut d'une sphère qu'il habitait (souvent il parle de lui à la troisième personne), son œil reste sec ; cependant son âme palpite, son cœur saigne en face de toutes les misères que l'humanité doit traverser, mais la vue spirituelle se repose de l'autre côté de l'horizon, en contemplant le résultat qui en sera la suite certaine.

La grande émigration est utile, et l'heure approche où elle doit s'effectuer… déjà elle commence… A qui sera-t-elle fatale ou profitable ? Regardez bien, observateurs ; considérez les actes de ces exploiteurs des fléaux humains, et vous distinguerez, même avec les yeux du corps, les hommes prédestinés à la déchéance. Voyez-les âpres à la curée, roides au gain, attachés comme à leur vie à toutes les possessions terrestres, et souffrant mille morts à la perte d'une parcelle de ce qu'il leur faudra cependant quitter… Combien elle sera terrible pour eux la peine du talion, car dans l'exil qui les attend, ils se verront refuser un verre d'eau pour étancher leur soif !… Regardez-les, ceux-là, et vous reconnaîtrez en eux, sous les richesses qu'ils accumulent aux dépens des malheureux, les futurs humains déchus ! Considérez leurs travaux, et votre conscience vous dira si ces travaux doivent être payés là-haut, ou en bas ! Regardez-les bien, hommes de bonne volonté, et vous verrez que l'ivraie commence, dès cette terre, à être séparée du bon grain.

Mon âme est forte, ma volonté est grande ! – mon âme est forte, parce que sa force est le résultat d'un travail collectif d'âme à âme ; ma volonté est grande, parce qu'elle a pour point d'appui l'immense colonne formée de tous les sentiments de justice et de bien, d'amour et de charité. Voilà pourquoi je suis fort, voilà pourquoi je suis calme pour regarder ; voilà pourquoi son cœur qui bat à se rompre dans sa poitrine ne s'émeut pas. Si la décomposition est l'instrument nécessaire de la transformation, assiste, ô mon âme, calme et impassible, à cette destruction ! »



Variétés

Fait d'identité

Un de nos correspondants de Maine-et-Loire nous transmet le fait suivant, qui s'est passé sous ses yeux, comme preuve d'identité :

M. X… était depuis quelque temps gravement malade à C…, en Touraine, et l'on attendait sa mort à chaque instant. Le 23 avril dernier, nous avions à notre groupe, pour quelques jours, une dame médium à qui nous devons de très intéressantes communications. Il vint à la pensée d'un des assistants, qui connaissait M. X…, de demander à un Esprit familier de notre groupe, Esprit léger, mais non mauvais, si ce Monsieur était mort. – Oui ; fut-il répondu. – Mais, est-ce bien vrai, car tu parles quelquefois légèrement ? – L'Esprit répondit de nouveau affirmativement. Le lendemain, M. A. C…, qui jusqu'alors avait été peu croyant, et qui connaissait aussi particulièrement M. X…, voulut essayer de l'évoquer lui-même, si en effet il était mort. L'Esprit vint à l'instant à son appel et dit : « De grâce ne m'oubliez pas ; priez pour moi. » – Depuis combien de temps êtes-vous mort ? demanda M. A. C. – Un jour. – Quand serez-vous enterré ? – Ce soir, à quatre heures. – Souffrez-vous ? – Tout ce qu'une âme peut souffrir. – Me conservez-vous rancune ? – Oui. – Pourquoi ? – J'ai toujours été trop roide avec vous.

Les relations de ces deux Messieurs avaient toujours été froides, quoique parfaitement polies. L'Esprit, prié de signer, donna les trois initiales de ses prénoms et de son nom. Le jour même, M. A. C. reçut une lettre lui annonçant la mort de M. X… Le soir, après le dîner, des coups se firent entendre. M. A. C. prit la plume et écrivit sous la dictée frappée de l'Esprit :

Je fus ambitieux, tout homme l'est sans doute ;

Mais jamais roi, pontife ou chef ou citoyen,

N'ont conçu un projet aussi grand que le mien.

Les frappements étaient forts, accentués, presque impérieux, comme venant d'un Esprit initié depuis longtemps aux rapports du monde invisible avec les hommes. M. X… avait rempli de hautes fonctions administratives ; peut-être, dans les loisirs de la retraite et sous l'influence du souvenir de ses anciennes occupations, son Esprit avait-il élaboré quelque grand projet. Une lettre reçue il y a deux jours confirme tous les détails ci-dessus.

Remarque. Ce fait n'a sans doute rien d'extraordinaire et qui ne se rencontre souvent ; mais ces faits intimes ne sont pas toujours les moins instructifs et les moins convaincants ; ils font plus d'impression dans les cercles où ils se passent que ne le feraient des phénomènes étranges que l'on regardait comme exceptionnels. Le monde invisible s'y révèle dans des conditions de simplicité qui le rapprochent de nous, et convainquent mieux de la continuité de ses rapports avec le monde visible ; en un mot, les morts et les vivants y sont plus en famille et s'y reconnaissent mieux. Les faits de ce genre, par leur multiplicité et la facilité de les obtenir, ont plus contribué à la propagation du Spiritisme que les manifestations qui ont les apparences du merveilleux. Un incrédule sera bien plus frappé d'une simple preuve d'identité donnée spontanément, dans l'intimité, par quelque parent, ami ou connaissance, que par des prodiges qui ne le touchent que peu, et auxquels il ne croit pas.

Poésie Spirite

Aux Esprits protecteurs


Plus haut, plus haut encor ! Prends ton vol, ô mon âme

Vers ce pur idéal que Dieu t'a révélé !

Par delà tous les cieux, et ces mondes de flamme,

Vers l'absolu divin, je me sens appelé.

De Jacob, endormi je gravirai l'échelle,

Je monterai toujours et ne descendrai pas ;

Car, bienveillant et doux, d'une main fraternelle,

Sur la route, un Esprit assurera mes pas.

Il me montre le but, il m'aime, il me console ;

Il est là, je sens, et j'écoute sa voix

Résonner dans mon cœur, comme un souffle d'Eole

Résonne sur les monts, les plaines et les bois !

Que m'importe son nom ! Il n'est pas de la terre ;

Ange mystérieux des célestes amours,

Il a de l'inconnu, le charme solitaire ;

Il habite bien loin, d'ineffables séjours !

Là !… son corps, qu'un rayon de gloire transfigure,

A la subtilité de l'impalpable éther ;

Il ignore les maux de la faible nature,

Et pourtant, il est bon, parce qu'il a souffert.

Tu me parles dans le silence,

Je te vois dans l'obscurité ;

Tu me fais pressentir d'avance

Les gloires de l'éternité.

Si je fais mal, tu me relèves :

Dans mes veilles et dans mes rêves,

Ce que j'entreprends tu l'achèves ;

Flambeau qui, dans une ombre, luit,

C'est toi qui soutiens mon courage,

Qui pousses ma nef au rivage,

Qui me préserves dans l'orage,

Et qui m'éclaires dans la nuit.

Tu dis : amour ; tu dis : prière ;

Tu dis : espoir ; tu dis : vertu,

Et tu donnes le nom de frère

A l'humble enfant, faible, abattu ;

Si fort, tu cherches ma faiblesse,

Si grand, tu cherches ma bassesse

Et si fortuné, ma détresse.

Ange béni, gardien sacré,

Ton fluide épuré se mêle

A mon enveloppe mortelle,

Et je sens le vent de ton aile

Passer sur mon cœur enivré.

Qui que tu sois, merci, chère âme,

Merci, mon frère d'au-delà ;

Enfant, vieillard, ou jeune femme,

Que m'importe ! n'es-tu pas là ?

Tu planes souvent sur ma tête,

Toi qui, dans ta course inquiète

A traversé quelque comète,

Quelque terre en formation ;

Habites-tu dans l'atmosphère,

Mars ou Saturne, énorme sphère,

Descends-tu de l'Ourse polaire,

D'Aldébaran ou d'Orion ?

Et que me fait où tu résides !

Et que m'importe d'où tu viens !

Quels cieux inouïs et splendides,

Quand je te sens, valent les miens ?

Salut donc, ô ma douce étoile ;

Guide mon incertaine voile,

Sur la mer que la brune voile,

Loin des écueils, loin du péril.

Sois un phare dans la tourmente,

Dressant sur la vague écumante,

La lumière amie et tremblante,

Et viens me prendre après l'exil.


Jules-Stany Doinel. (d'Aurillac).
Notices bibliographiques

Le Roman de l'avenir par E. Bonnemère

L'année dernière, les Esprits nous avaient dit qu'avant peu la littérature entrerait dans la voie du Spiritisme, et que 1867 verrait paraître plusieurs ouvrages importants. Peu après parut en effet le Spirite, de Théophile Gautier; c'était, comme nous l'avons dit, moins un roman spirite que le roman du Spiritisme, mais qui a eu son importance par le nom de l'auteur.

Vint ensuite, au commencement de cette année, la touchante et gracieuse histoire de Mirette. A cette occasion, l'Esprit du docteur Morel Lavallée dit à la société :

«L'année 1866 présente la philosophie nouvelle sous toutes les formes; mais c'est encore la tige verte qui renferme l'épi de blé, et attend pour le montrer que la chaleur du printemps l'ait fait mûrir et s'entrouvrir. 1866 a préparé, 1867 mûrira et réalisera. L'année s'ouvre sous les auspices de Mirette, et elle ne s'écoulera pas sans voir apparaître de nouvelles publications du même genre, et de plus sérieuses encore, en ce sens que le roman se fera philosophie et que la philosophie se fera histoire.» (Revue de février 1867, page 64.)

Ces paroles prophétiques se réalisent; nous tenons pour certain qu'un ouvrage important paraîtra avant peu; ce ne sera pas un roman, qu'on peut considérer comme une œuvre d'imagination et de fantaisie, mais la philosophie même du spiritisme, hautement proclamée et développée par un nom qui pourra donner à réfléchir à ceux qui prétendent que tous les partisans du Spiritisme sont des fous.

En attendant, voici un ouvrage qui n'a du roman que le nom, car l'intrigue y est à peu près nulle, et n'est qu'un cadre pour développer sous forme d'entretien les plus hautes pensées de la philosophie morale, sociale et religieuse. Le titre de Roman de l'avenir ne paraît lui avoir été donné que par allusion aux idées qui régiront la société dans l'avenir, et qui ne sont pour l'instant qu'à l'état de roman. Le Spiritisme n'y est pas nommé, mais il peut d'autant mieux en revendiquer les idées, que la plupart semblent puisées textuellement dans la doctrine, et que s'il en est quelques-unes qui s'en écartent un peu, elles sont en petit nombre et ne touchent pas au fond de la question. L'auteur admet la pluralité des existences, non-seulement comme rationnelle, conforme à la justice de Dieu, mais comme nécessaire, indispensable à la progression de l'âme, et acquise à la saine philosophie ; mais l'auteur paraît pencher à croire, quoiqu'il ne le dise pas nettement, que la succession des existences s'accomplit plutôt de monde en monde que dans le même milieu, car il ne parle pas d'une manière explicite des existences multiples sur un même monde, bien que cette idée puisse être sous-entendue. C'est peut-être là un des points les plus divergents, mais qui, du reste, ne préjudicie nullement au fond, puisqu'en définitive le principe serait le même.

Cet ouvrage peut donc être mis au rang des livres les plus sérieux destinés à vulgariser les principes philosophiques de la doctrine dans le monde littéraire où l'auteur tient un rang distingué. On nous a dit que lorsqu'il l'a écrit, il ne connaissait pas le Spiritisme ; cela paraît difficile, mais s'il en est ainsi, ce serait une des plus éclatantes preuves de la fermentation spontanée de ces idées et de leur irrésistible puissance, car le hasard seul ne fait pas rencontrer tant de chercheurs sur le même terrain.

La préface n'est pas la partie la moins curieuse de ce livre. L'auteur y explique l'origine de son manuscrit.

«Quelle est, dit-il, ma collaboration dans le Roman de l'avenir? Sommes-nous deux, ou trois, ou bien l'auteur ne s'appelle-t-il pas légion? Je laisse ces choses à l'appréciation du lecteur, après que je lui aurai raconté une aventure très véridique, bien qu'elle ait toutes les apparences d'une histoire de l'autre monde.»

S'étant un jour arrêté dans un modeste village de la Bretagne, la maîtresse de l'auberge lui raconta qu'il y avait dans le pays un jeune homme qui faisait des choses extraordinaires, de vrais miracles.

«Sans avoir rien appris, dit-elle, il en sait plus long que le recteur, le médecin et le notaire ensemble, et que tous les sorciers réunis. Il s'enferme tous les matins dans sa chambre; on voit sa lampe à travers ses rideaux, car il lui faut sa lampe, même quand il fait jour, et alors il écrit des choses que jamais personne n'a vues, mais qui sont superbes. Il vous annonce dès six mois à l'avance, le jour, l'heure, la minute où il tombera dans ses grands accès de sorcellerie. Une fois qu'il l'a dit ou écrit, il n'en sait plus rien, mais c'est vrai comme parole d'Evangile, et infaillible comme décision du pape, à Rome. Il guérit du premier coup, et sans se faire payer, ceux qui lui sont sympathiques, et à la barbe du médecin, les malades que celui-ci ne guérit pas pour leur argent. M. le recteur dit que ce ne peut être que le diable qui lui donne le pouvoir de guérir ceux à qui le bon Dieu envoie des maladies pour leur bien, afin de les éprouver ou de les châtier.»

«Je fus le voir, ajoute l'auteur, et ma bonne étoile voulut que je lui fusse sympathique. C'était un jeune homme de vingt-cinq ans, auquel son père, riche paysan du canton, avait fait donner une certaine éducation, quoi qu'en ait dit mon hôtesse; simple, mélancolique et rêveur, poussant la bonté jusqu'à l'excellence, et doué d'un tempérament chez lequel le système nerveux dominait sans contrepoids. Il se levait à l'aube, en proie à une fièvre d'inspiration qu'il ne pouvait maîtriser, et répandait à flots sur le papier les idées étranges qui germaient d'elles-mêmes, à son insu et souvent malgré lui, dans son cerveau.»

«Je le vis à l'œuvre. Dans l'espace d'une heure, il couvrait invariablement son cahier de quinze ou seize pages d'écriture, sans hésitation, sans ratures, sans s'arrêter une seconde à chercher une idée, une phrase, un mot. C'était un robinet ouvert, d'où l'inspiration s'écoulait en jet toujours égal. Absolument muet pendant ces heures de travail acharné, les dents serrées et les lèvres contractées, la parole lui revenait à l'instant où la pendule sonnait la reprise des travaux champêtres. Il rentrait alors dans la vie de tout le monde, et tout ce qu'il venait de penser ou d'écrire pendant ces deux ou trois heures d'une autre existence s'effaçait peu à peu de sa mémoire, comme le rêve qui s'évanouit et disparaît à mesure que l'on s'éveille. Le lendemain, chassé de sa couche par une force invincible, il se remettait à l'ouvrage et continuait la phrase ou le mot commencé le jour précédent.»

«Il m'ouvrit une armoire dans laquelle s'accumulaient des cahiers chargés ainsi de son écriture. – Qu'y a-t-il dans tout cela? lui demandai-je? – Je l'ignore autant que vous, me répondit-il en souriant. – Mais comment tout cela vous vient-il? – Je ne puis que vous renouveler la même réponse: je l'ignore autant que vous. Parfois je sens que c'est en moi; d'autres fois j'entends qu'on me le dit. Alors, sans en avoir conscience et sans entendre le bruit de mes propres paroles, je le répète à ceux qui m'entourent ou bien je l'écris.»

«Cela constituait dix-sept mille pages environ, écrites en quatre années. Il s'y trouvait une centaine de nouvelles et de romans, des traités sur divers sujets, des recettes médicales et autres, des maximes, etc. J'y remarquai surtout ceci:»

«Ces choses me sont révélées, à moi simple d'esprit et d'instruction, parce que, n'en sachant rien, n'ayant pas à leur égard d'idées préconçues, je suis plus apte à m'assimiler les idées des autres.»

«Les êtres supérieurs, partis les premiers, épurés encore par la transformation, viennent m'envelopper et me dire:»

«On vous donne tout ce qui ne s'apprend pas et qui peut éclairer le monde où nous avons en partant laissé notre empreinte ineffaçable. Mais il faut réserver sa part au travail personnel, sans empiéter sur la science acquise, ni sur le labeur que chacun peut et doit faire.»

«Dans cet immense fouillis, j'ai choisi une simple idylle, œuvre de fantaisie, étrange, impossible, et dans laquelle sont jetées, sous une forme plus ou moins légère, les bases d'une nouvelle cosmogonie tout entière. Dans ses cahiers, cette étude portait pour titre: l'Unité, que j'ai cru devoir remplacer par celui de Roman de l'Avenir.» Voici la donnée principale du sujet.

Paul de Villeblanche habitait en Normandie, avec son père, les restes d'un vieux château, jadis demeure seigneuriale de sa famille, ruinée et dispersée par la Révolution. C'était un jeune homme d'une vingtaine d'années, d'une haute intelligence, aux idées les plus larges et les plus avancées, et qui avait mis de côté tous les préjugés de race.

Dans le même canton, vivait une vieille marquise très dévote, qui, pour racheter ses péchés et sauver son âme, avait imaginé de tirer de la misère et de la fange sociale une petite Bohémienne pour en faire une religieuse ; de cette manière, pensait-elle, elle serait assurée d'avoir quelqu'un qui, par reconnaissance et par devoir, prierait sans cesse pour elle, pendant sa vie et après sa mort. Cette jeune fille était donc élevée au couvent depuis environ huit ans, et en attendant qu'elle prît le voile, elle venait tous les deux ans passer six semaines chez sa bienfaitrice. Mais cette jeune fille, d'une rare intelligence, avait intuitivement sur bien des choses des idées à la hauteur de celles de Paul. Elle avait alors seize ans. Dans une de ses vacances, les deux jeunes gens se rencontrent, se lient d'une affection toute fraternelle, et ont ensemble des entretiens où Paul développe à son intelligente compagne des principes philosophiques nouveaux pour elle, mais que celle-ci comprend sans effort et devance même souvent. Ces deux âmes d'élite sont à la hauteur l'une de l'autre. Le roman finit par un mariage, comme de raison, mais là encore ce n'est qu'un prétexte pour donner une leçon pratique sur un des points les plus importants de l'ordre social et les préjugés de castes.

Nous inscrivons volontiers ce livre au nombre de ceux qu'il est utile de propager, et qui ont leur place marquée dans la bibliothèque des Spirites.

Ce sont ces entretiens qui font le sujet principal du livre; le reste n'est qu'un cadre très simple pour l'exposition des idées qui doivent un jour prévaloir dans la société.

Pour rapporter tout ce qui, à ce point de vue, mériterait de l'être, il faudrait citer la moitié de l'ouvrage ; nous reproduisons seulement quelques-unes des pensées qui pourront faire juger de l'esprit dans lequel il est conçu.

«Trouver, c'est la récompense d'avoir cherché, et tout ce que nous pouvons faire nous-mêmes, il ne faut pas le demander aux autres.»

«Le monde est un vaste chantier dans lequel Dieu distribue à chacun sa besogne, nous dispensant notre tâche suivant nos forces. De cet immense frottement d'intelligences diverses, opposées, hostiles en apparence, la lumière jaillit, sans qu'elle s'éteigne à l'heure de notre dernier sommeil. Au contraire, la marche constante des générations qui se succèdent apporte une nouvelle pierre à l'édifice social; la lumière devient plus brillante lorsqu'un enfant naît en apportant, pour continuer le progrès, le premier élément d'une intelligence toujours renouvelée.»

«Mais la marquise me répète sans cesse (dit la jeune fille) que nous naissons tous mauvais, que nous ne différons que par le plus ou le moins de propension vers le péché, et que l'existence tout entière est une lutte contre nos penchants, qui tous tendraient à l'éternelle damnation, si la religion qu'elle m'enseigne ne nous retenait sur le bord de l'abîme.»

«– Ne crois pas ces blasphémateurs. Dieu serait l'agent du mal, s'il n'avait pas placé en chacun de nous la boussole qui doit guider nos pas vers l'accomplissement de nos destinées, et si l'homme n'avait pu marcher dans sa voie jusqu'au jour où l'Église est venue corriger l'œuvre imparfaite et mal réussie de l'Éternel.»

«Qui sait si, dans l'immense rotation du monde, nos fils ne deviendront pas nos pères à leur tour, et s'ils ne nous restitueront pas intacte cette somme de misères que nous leur aurons laissées en partant?»

«Aucun mal ne peut venir de Dieu, dans le temps ni dans l'éternité. La douleur est notre œuvre, c'est la protestation de la nature pour nous indiquer que nous ne sommes plus dans les voies qu'elle assigne à l'activité humaine. Elle devient un moyen de salut, car c'est son excès même qui nous pousse en avant, incite notre paresseuse imagination, et nous fait faire les grandes découvertes qui ajoutent au bien-être de ceux qui doivent passer sur ce globe après nous.»

«Chacun de nous est un des anneaux de cette chaîne sublime et mystérieuse qui relie tous les hommes entre eux, comme aussi avec la création tout entière, et qui, jamais ni nulle part, ne saurait être brisés.»

«Après la mort, les organes usés ont besoin de repos, et le corps rend à la terre les éléments dont se constituent à l'infini les êtres qui se succèdent. Mais la vie renaît de la mort.»

«Nous partons, emportant avec nous le souvenir des connaissances acquises ici-bas ; le monde où nous irons nous donnera les siennes, et nous les grouperons toutes en faisceau pour en former le progrès.»

«Pourtant, hasarda la jeune fille, il y aura un terme, une inévitable fin, si éloignée que tu la supposes.»

«- Pourquoi limiter l'éternité, après l'avoir admise en principe? Ce qu'on appelle la fin du monde n'est qu'une figure. Il n'y a jamais eu de commencement, il n'y aura jamais de fin du monde; tout vit, tout respire, tout est peuplé. Pour que le jugement dernier pût arriver, il faudrait un cataclysme général qui fît rentrer l'univers tout entier dans le néant. Dieu qui a tout créé ne peut détruire son œuvre. A quoi bon l'anéantissement de la vie?»

«La mort, sans doute est inévitable. Mais mieux comprise dans l'avenir, cette mort qui nous épouvante ne sera plus que l'heure prévue, attendue peut-être du départ, pour fournir une nouvelle étape. L'un arrive, l'autre se met en route, et l'espérance essuie des pleurs qui coulent à l'instant des adieux. L'immensité, l'infini, l'éternité prolongent à nos regards avides leurs perspectives, dont l'inconnu nous attire. Plus perfectionnés déjà, nous ferons un plus beau voyage, puis nous repartirons encore, et nous marcherons toujours pour nous élever sans cesse.»

«Car il dépend de nous que la mort soit la récompense du devoir accompli, ou le châtiment, quand l'œuvre commandée n'aura pas été faite.»

«En quelque lieu que nous soyons de l'univers, nous nous tenons par des liens mystérieux et sacrés qui nous rendent solidaires les uns des autres, et nous récolterons fatalement la moisson de bien et de mal que chacun de nous a semée derrière soi avant de partir pour le grand voyage.»

«L'enfant qui naît apporte son germe de progrès ; l'homme qui meurt laisse sa place pour qu'après lui le progrès s'accomplisse, et qu'il aille continuer d'y travailler lui-même, en apportant ailleurs, et chez un autre être, son âme perfectionnée.»

«Ceux à qui tu dois le jour ont expié dans cette vie les fautes d'un passé mystérieux. Ils ont souffert, mais souffert courageusement. Le Dieu d'amour et de miséricorde avait besoin d'eux, sans doute, pour une mission plus importante dans un autre monde. Il les a appelés à lui, leur accordant ainsi le salaire mérité avant que la journée fût finie tout entière.»



A propos d'une jeune fille qui, encore enfant, opérait des guérisons surprenantes en indiquant les remèdes par intuition.

«Cela fit du bruit, et la principale autorité, le curé, s'émut et intervint. Une enfant faisait, par des moyens naturels, ce que ni le médecin avec sa science, ni lui avec ses prières ne pouvaient obtenir !… Évidemment elle était possédée. Pour les hommes de petite foi et d'intelligence obtuse, c'est Dieu qui, dans le but de nous châtier, comme s'il n'avait pas l'éternité devant lui, ou de nous éprouver, comme s'il ne savait pas ce que nous allons faire, nous envoie tous les maux, les fléaux de tout genre, les ruines, la perte de ceux qui nous sont chers ; c'est Satan, au contraire, qui donne la prospérité, fait trouver les trésors, guérit les maladies, et nous prodigue tous les bonheurs, toutes les joies de ce monde. Dieu enfin, suivant eux, fait le mal, tandis que le diable est l'auteur de tout le bien.»

«Marie fut donc exorcisée, rebaptisée à tout hasard, afin qu'elle ne pût plus soulager ses semblables. Mais rien n'y fit, et elle continua à faire du bien autour d'elle.»

«- Mais toi qui sais tout, Paul, que dis-tu de tout cela?»

«- Si je ne crois jamais ce que ma raison repousse, répondit le jeune comte, je ne nie pas les faits attestés par de nombreux témoins, par ce seul motif que la science ne sait pas encore les expliquer. Dieu a donné aux animaux l'instinct d'aller droit vers la plante qui peut guérir les rares maladies qui les atteignent; pourquoi nous aurait-il refusé ce précieux privilège? Mais l'homme est sorti des voies que le Créateur lui avait assignées; il s'est mis en hostilité avec la nature dont il a cessé d'écouter les avertissements. Ce flambeau s'est éteint en lui, et la science est venue remplacer l'instinct que, dans sa fierté de parvenue, elle a nié, combattu, persécuté, anéanti autant qu'il est en elle de le faire. Mais qui peut affirmer qu'il ne survit pas chez quelques êtres simples et primitifs, décidés à s'éclairer docilement de toutes les lueurs qu'ils entrevoient eux-mêmes, animés qu'ils sont du désir de venir en aide aux souffrances d'autrui?»

«Qui sait si Marie ayant déjà vécu jadis parmi ces peuplades en enfance chez lesquelles l'instinct survit encore et qui savent de merveilleux secrets, ou bien dans quelque monde plus avancé d'où ses fautes l'ont fait déchoir, Dieu ne lui accorde pas de se ressouvenir des choses que les autres ont oubliées?»

«N'est-il pas, pour chacun de nous, certaines connaissances que nous semblons retrouver en nous-mêmes, tant l'étude nous en est facile, tandis que d'autres ne peuvent pénétrer dans notre esprit, sans doute parce qu'elles viennent le frapper pour la première fois, ou parce que plusieurs générations ont accumulé sur elles des montagnes d'ignorance et d'oubli?»



A propos des visions dans les rêves.

«C'est l'âme demeurée dans son exil qui cause avec l'âme dégagée de sa partie terrestre; aussi ces visions sont éclairées par un rayon lumineux qui laisse entrevoir aux pauvres humains combien est resplendissant le point où sont arrivés ceux qui surent diriger leur esquif sur les océans périlleux où flotte l'existence.»

«Sans doute, dans des mondes différents, nos corps se constituent d'éléments différents, et nous y revêtons une autre enveloppe, plus parfaite ou plus imparfaite, suivant le milieu où ils doivent agir. Mais toujours est-il certain que ces corps vivent, animés tous par le même souffle de Dieu; que la transmission des âmes se fait, dans les unes comme dans les autres des planètes sans nombre qui peuplent l'espace infini, et qu'étant l'émanation même de Dieu, elles existent identiquement les mêmes dans tous les mondes. De l'autre côté de la vie, il nous rend une âme toujours purifiée, qui nous permet de nous rapprocher incessamment du ciel; notre volonté seule la fait dévier parfois du droit chemin.»

«- Pourtant, Paul, on nous enseigne que nous ressusciterons avec nos corps d'aujourd'hui!»

«- Folie et orgueil que tout cela! Nos corps ne sont pas à nous, mais à tout le monde, aux êtres que nous avons dévorés hier, à ceux qui nous dévoreront demain. Ils sont d'un jour; la terre nous les prête, elle nous les reprendra. Notre âme seule nous appartient; elle seule est éternelle, comme tout ce qui vient de Dieu et y retourne.»


Dissertations spirites

Lutte des Esprits pour revenir au bien

Paris, 24 mars 1867. Médium M. Rul.

Merci, cher frère, de votre compassion pour celui qui expie par la souffrance les fautes qu'il a commises ; merci pour vos bonnes prières inspirées par votre amour pour vos frères. Appelez-moi quelquefois, ce sera un rendez-vous auquel je ne manquerai jamais, soyez-en assuré. Je vous ai dit dans une communication donnée à la société qu'après avoir souffert il me serait permis de venir vous donner mon opinion dans quelques-unes des questions dont vous vous occupez. Dieu est si bon, qu'après m'avoir imposé l'expiation par la souffrance, il a eu pitié de mon repentir, car il sait que si j'ai failli, ce fut par faiblesse, et que l'orgueil est fils de l'ignorance. Il m'est permis de m'instruire, et si je ne puis, comme les bons Esprits qui ont quitté la terre, pénétrer les mystères de la création, je puis étudier les rudiments de la science universelle, afin de progresser et d'aider mes frères à progresser aussi.

Je vous dirai le rapport qui existe entre l'état de l'âme et la nature des fluides qui l'enveloppent dans chaque milieu où elle se trouve momentanément placée ; et si, comme cela vous a été dit, l'âme pure assainit les fluides, croyez bien que la pensée impure les vicie. Jugez quels efforts doit faire l'Esprit qui se repent, pour combattre l'influence de ces fluides dont il est enveloppé, augmentée encore par la réunion de tous les mauvais fluides que lui apportent, pour l'étouffer, les Esprits pervers. – Ne croyez pas qu'il me suffise de vouloir m'améliorer, pour chasser les Esprits d'orgueil dont j'étais entouré pendant mon séjour sur la terre. Ils sont toujours près de moi, cherchant à me retenir dans leur atmosphère malsaine. Les bons Esprits viennent m'éclairer, m'apporter la force dont j'ai besoin pour lutter contre l'influence des mauvais Esprits, puis ils s'éloignent me laissant livré à mes propres forces pour lutter contre le mal. C'est alors que je ressens l'influence bienfaisante de vos bonnes prières, car, sans le savoir, vous continuez l'œuvre des bons Esprits d'outre-tombe.

Vous voyez, cher frère, que tout s'enchaîne dans l'immensité ; que tous nous sommes solidaires les uns des autres, et qu'il n'y a pas une seule bonne pensée qui ne porte avec elle des fruits d'amour, d'amélioration et de progrès moral. Oui, vous avez raison de dire à vos frères qui souffrent qu'un mot suffit pour expliquer le Créateur ; que ce mot doit être l'étoile qui guide chaque Esprit, à quelque degré de l'échelle spirite qu'il appartienne par toutes ses pensées, par tous ses actes, dans les mondes inférieurs comme dans les mondes supérieurs ; que ce mot, l'évangile de tous les siècles, l'alpha et l'oméga de toute science, la lumière de la vérité éternelle, c'est amour ! Amour de Dieu, amour de ses frères. Heureux ceux qui prient pour leurs frères qui souffrent. Leurs épreuves de la terre deviendront légères, et la récompense qui les attend sera au-dessus de leurs espérances !…

Vous voyez, cher frère, combien le Seigneur est plein de miséricorde, puisque, malgré mes souffrances, il me permet de venir vous parler le langage d'un bon Esprit.

A…



Allan Kardec

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