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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1867 > Avril
Avril
Galilée
A propos du drame de M. Ponsard
L'événement littéraire du jour est la représentation de Galilée, drame en vers de M. Ponsard. Quoiqu'il n'y soit point question du Spiritisme, il s'y rattache par un côté essentiel : celui de la pluralité des mondes habités, et à ce point de vue nous pouvons le considérer comme une des œuvres qui sont appelées à favoriser le développement de la doctrine, en popularisant un de ses principes fondamentaux.
La destinée de l'humanité est liée à l'organisation de l'univers, comme celle de l'habitant l'est à son habitation. Dans l'ignorance de cette organisation, l'homme a dû se faire sur son passé et sur son avenir, des idées en rapport avec l'état de ses connaissances. S'il avait toujours connu la structure de la terre, il n'aurait jamais songé à placer l'enfer dans ses entrailles ; s'il avait connu l'infini de l'espace et la multitude des mondes qui s'y meuvent, il n'aurait pas localisé le ciel au-dessus du ciel des étoiles ; il n'aurait pas fait de la terre le point central de l'univers, l'unique habitation des êtres vivants ; il n'aurait pas condamné la croyance aux antipodes comme une hérésie ; s'il avait connu la géologie, jamais il n'aurait cru à la formation de la terre en six jours, et à son existence depuis six mille ans.
L'idée mesquine que l'homme se faisait de la création, devait lui donner une idée mesquine de la divinité. Il n'a pu comprendre la grandeur, la puissance, la sagesse infinies du Créateur que lorsque sa pensée a pu embrasser l'immensité de l'univers et la sagesse des lois qui le régissent, comme on juge le génie d'un mécanicien sur l'ensemble, l'harmonie et la précision d'un mécanisme, et non à la vue d'un seul rouage. Alors seulement ses idées ont pu grandir, et s'élever au-dessus de son horizon borné. Ses croyances religieuses ont de tous temps été calquées sur l'idée qu'il se faisait de Dieu et de son œuvre ; l'erreur de ses croyances sur l'origine et la destinée de l'humanité avait pour cause son ignorance des véritables lois de la nature ; s'il eût, dès l'origine, connu ces lois, ses dogmes eussent été tout autres.
Galilée, en révélant un des premiers les lois du mécanisme de l'univers, non par des hypothèses, mais par une démonstration irrécusable, a ouvert la voie à de nouveaux progrès ; il devait, par cela même, produire une révolution dans les croyances en détruisant l'échafaudage des systèmes scientifiques erronés sur lesquels elles s'appuyaient.
A chacun sa mission. Ni Moïse, ni le Christ n'avaient celle d'enseigner aux hommes les lois de la science ; la connaissance de ces lois devait être le résultat du travail et des recherches de l'homme, de l'activité et du développement de son propre esprit, et non d'une révélation à priori, qui lui eût donné le savoir sans peine. Ils n'ont dû et pu lui parler qu'un langage approprié à son état intellectuel, autrement ils n'en eussent pas été compris. Moïse et le Christ ont eu leur mission moralisatrice ; à des génies d'un autre ordre sont déférées les missions scientifiques. Or, comme les lois morales et les lois de la science sont des lois divines, la religion et la philosophie ne peuvent être vraies que par l'alliance de ces lois.
Le Spiritisme est fondé sur l'existence du principe spirituel, comme élément constitutif de l'univers ; il repose sur l'universalité et la perpétuité des êtres intelligents, sur leur progrès indéfini à travers les mondes et les générations ; sur la pluralité des existences corporelles nécessaires à leur progrès individuel ; sur leur coopération relative, comme incarnés ou désincarnés, à l'œuvre générale dans la mesure du progrès accompli ; sur la solidarité qui relie tous les êtres d'un même monde et des mondes entre eux. Dans ce vaste ensemble, incarnés et désincarnés, chacun a sa mission, son rôle, des devoirs à remplir, depuis le plus infime jusqu'aux anges qui ne sont autres que des Esprits humains arrivés à l'état de purs Esprits, et auxquels sont confiés les grandes missions, les gouvernements des mondes, comme à des généraux expérimentés ; au lieu des solitudes désertes de l'espace sans bornes, partout la vie et l'activité, nulle part l'oisiveté inutile ; partout l'emploi des connaissances acquises ; partout le désir d'avancer encore, et d'augmenter la somme du bonheur, par l'utile usage des facultés de l'intelligence. Au lieu d'une existence éphémère et unique, passée sur un petit coin de terre, qui décide à tout jamais de son sort futur, impose des bornes à son progrès, et rend stérile, pour l'avenir, la peine qu'il se donne de s'instruire, l'homme a pour domaine l'univers ; rien de ce qu'il sait et de ce qu'il fait n'est perdu : l'avenir est à lui ; au lieu de l'isolement égoïste, la solidarité universelle ; au lieu du néant, selon quelques-uns, la vie éternelle ; au lieu d'une béatitude contemplative perpétuelle, selon d'autres, qui en ferait une inutilité perpétuelle, un rôle actif proportionné au mérite acquis ; au lieu de châtiments irrémissibles pour des fautes temporaires, la position que chacun se fait par sa persévérance dans le bien ou dans le mal ; au lieu d'une tache originelle qui rend passible de fautes que l'on n'a pas commises, la conséquence naturelle de ses propres imperfections natives ; au lieu des flammes de l'enfer, l'obligation de réparer le mal qu'on a fait, et de recommencer ce qu'on a mal fait ; au lieu d'un Dieu colère et vindicatif, un Dieu juste et bon, tenant compte de tous les repentirs et de toutes les bonnes volontés.
Tel est, en abrégé, le tableau que présente le Spiritisme, et qui ressort de la situation même des Esprits qui se manifestent ; ce n'est plus une simple théorie, mais un résultat d'observation. L'homme qui envisage les choses à ce point de vue se sent grandir ; il se relève à ses propres yeux ; il est stimulé dans ses instincts progressifs en voyant un but à ses travaux, à ses efforts pour s'améliorer.
Mais pour comprendre le Spiritisme dans son essence, dans l'immensité des choses qu'il embrasse, pour comprendre le but de la vie et la destinée de l'homme, il ne fallait pas reléguer l'humanité sur un petit globe, borner l'existence à quelques années, rapetisser le créateur et la créature ; pour que l'homme pût se faire une idée juste de son rôle dans l'univers, il fallait qu'il comprît, par la pluralité des mondes, le champ ouvert à ses explorations futures et à l'activité de son esprit ; pour reculer indéfiniment les bornes de la création, pour détruire ses préjugés sur les lieux spéciaux de récompense et de punition, sur les différents étages des cieux, il fallait qu'il pénétrât les profondeurs de l'espace ; qu'au lieu du cristallin et de l'empyrée, il y vit circuler, dans une majestueuse et perpétuelle harmonie, les mondes innombrables semblables au sien ; que partout sa pensée rencontrât la créature intelligente.
L'histoire de la terre se lie à celle de l'humanité ; pour que l'homme pût se défaire de ses mesquines fausses opinions sur l'époque, la durée et le mode de création de notre globe, de ses croyances légendaires sur le déluge et sa propre origine ; pour qu'il consentît à déloger du sein de la terre l'enfer et l'empire de Satan, il fallait qu'il pût lire dans les couches géologiques l'histoire de sa formation et de ses révolutions physiques. L'astronomie et la géologie, secondées par les découvertes de la physique et de la chimie, appuyées sur les lois de la mécanique, sont les deux puissants leviers qui ont battu en brèche ses préjugés sur son origine et sa destinée.
La matière et l'esprit sont les deux principes constitutifs de l'univers ; mais la connaissance des lois qui régissent la matière devait précéder celle des lois qui régissent l'élément spirituel ; les premières seules pouvaient combattre victorieusement les préjugés par l'évidence des faits. Le Spiritisme, qui a pour objet spécial la connaissance de l'élément spirituel, ne devait venir qu'en second ; pour qu'il pût prendre son essor et porter des fruits, pour qu'il pût être compris dans son ensemble, il fallait qu'il trouvât le terrain préparé, le champ de l'esprit humain déblayé des préjugés et des idées fausses, sinon en totalité, du moins en grande partie, sans cela on n'aurait eu qu'un Spiritisme étriqué, bâtard, incomplet, et mêlé à des croyances et à des pratiques absurdes, comme il l'est encore aujourd'hui chez les peuples arriérés. Si l'on considère la situation morale actuelle des nations avancées, on reconnaîtra qu'il est venu en temps opportun pour combler les vides qui se font dans les croyances.
Galilée a ouvert la route ; en déchirant le voile qui cachait l'infini, il a élargi le domaine de l'intelligence, et porté un coup fatal aux croyances erronées ; il a détruit plus de superstitions et d'idées fausses que toutes les philosophies, car il les a sapées par la base en montrant la réalité. Le Spiritisme doit le placer au rang des grands génies qui lui ont frayé la voie en abaissant les barrières que lui opposait l'ignorance. Les persécutions dont il fut l'objet, et qui sont le lot de quiconque s'attaque aux préjugés et aux idées reçues, l'ont grandi aux yeux de la postérité, en même temps qu'elles ont abaissé les persécuteurs. Qui est aujourd'hui le plus grand, d'eux ou de lui ?
Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de citer quelques fragments du beau drame de M. Ponsard. Nous le ferons dans le prochain numéro.
L'événement littéraire du jour est la représentation de Galilée, drame en vers de M. Ponsard. Quoiqu'il n'y soit point question du Spiritisme, il s'y rattache par un côté essentiel : celui de la pluralité des mondes habités, et à ce point de vue nous pouvons le considérer comme une des œuvres qui sont appelées à favoriser le développement de la doctrine, en popularisant un de ses principes fondamentaux.
La destinée de l'humanité est liée à l'organisation de l'univers, comme celle de l'habitant l'est à son habitation. Dans l'ignorance de cette organisation, l'homme a dû se faire sur son passé et sur son avenir, des idées en rapport avec l'état de ses connaissances. S'il avait toujours connu la structure de la terre, il n'aurait jamais songé à placer l'enfer dans ses entrailles ; s'il avait connu l'infini de l'espace et la multitude des mondes qui s'y meuvent, il n'aurait pas localisé le ciel au-dessus du ciel des étoiles ; il n'aurait pas fait de la terre le point central de l'univers, l'unique habitation des êtres vivants ; il n'aurait pas condamné la croyance aux antipodes comme une hérésie ; s'il avait connu la géologie, jamais il n'aurait cru à la formation de la terre en six jours, et à son existence depuis six mille ans.
L'idée mesquine que l'homme se faisait de la création, devait lui donner une idée mesquine de la divinité. Il n'a pu comprendre la grandeur, la puissance, la sagesse infinies du Créateur que lorsque sa pensée a pu embrasser l'immensité de l'univers et la sagesse des lois qui le régissent, comme on juge le génie d'un mécanicien sur l'ensemble, l'harmonie et la précision d'un mécanisme, et non à la vue d'un seul rouage. Alors seulement ses idées ont pu grandir, et s'élever au-dessus de son horizon borné. Ses croyances religieuses ont de tous temps été calquées sur l'idée qu'il se faisait de Dieu et de son œuvre ; l'erreur de ses croyances sur l'origine et la destinée de l'humanité avait pour cause son ignorance des véritables lois de la nature ; s'il eût, dès l'origine, connu ces lois, ses dogmes eussent été tout autres.
Galilée, en révélant un des premiers les lois du mécanisme de l'univers, non par des hypothèses, mais par une démonstration irrécusable, a ouvert la voie à de nouveaux progrès ; il devait, par cela même, produire une révolution dans les croyances en détruisant l'échafaudage des systèmes scientifiques erronés sur lesquels elles s'appuyaient.
A chacun sa mission. Ni Moïse, ni le Christ n'avaient celle d'enseigner aux hommes les lois de la science ; la connaissance de ces lois devait être le résultat du travail et des recherches de l'homme, de l'activité et du développement de son propre esprit, et non d'une révélation à priori, qui lui eût donné le savoir sans peine. Ils n'ont dû et pu lui parler qu'un langage approprié à son état intellectuel, autrement ils n'en eussent pas été compris. Moïse et le Christ ont eu leur mission moralisatrice ; à des génies d'un autre ordre sont déférées les missions scientifiques. Or, comme les lois morales et les lois de la science sont des lois divines, la religion et la philosophie ne peuvent être vraies que par l'alliance de ces lois.
Le Spiritisme est fondé sur l'existence du principe spirituel, comme élément constitutif de l'univers ; il repose sur l'universalité et la perpétuité des êtres intelligents, sur leur progrès indéfini à travers les mondes et les générations ; sur la pluralité des existences corporelles nécessaires à leur progrès individuel ; sur leur coopération relative, comme incarnés ou désincarnés, à l'œuvre générale dans la mesure du progrès accompli ; sur la solidarité qui relie tous les êtres d'un même monde et des mondes entre eux. Dans ce vaste ensemble, incarnés et désincarnés, chacun a sa mission, son rôle, des devoirs à remplir, depuis le plus infime jusqu'aux anges qui ne sont autres que des Esprits humains arrivés à l'état de purs Esprits, et auxquels sont confiés les grandes missions, les gouvernements des mondes, comme à des généraux expérimentés ; au lieu des solitudes désertes de l'espace sans bornes, partout la vie et l'activité, nulle part l'oisiveté inutile ; partout l'emploi des connaissances acquises ; partout le désir d'avancer encore, et d'augmenter la somme du bonheur, par l'utile usage des facultés de l'intelligence. Au lieu d'une existence éphémère et unique, passée sur un petit coin de terre, qui décide à tout jamais de son sort futur, impose des bornes à son progrès, et rend stérile, pour l'avenir, la peine qu'il se donne de s'instruire, l'homme a pour domaine l'univers ; rien de ce qu'il sait et de ce qu'il fait n'est perdu : l'avenir est à lui ; au lieu de l'isolement égoïste, la solidarité universelle ; au lieu du néant, selon quelques-uns, la vie éternelle ; au lieu d'une béatitude contemplative perpétuelle, selon d'autres, qui en ferait une inutilité perpétuelle, un rôle actif proportionné au mérite acquis ; au lieu de châtiments irrémissibles pour des fautes temporaires, la position que chacun se fait par sa persévérance dans le bien ou dans le mal ; au lieu d'une tache originelle qui rend passible de fautes que l'on n'a pas commises, la conséquence naturelle de ses propres imperfections natives ; au lieu des flammes de l'enfer, l'obligation de réparer le mal qu'on a fait, et de recommencer ce qu'on a mal fait ; au lieu d'un Dieu colère et vindicatif, un Dieu juste et bon, tenant compte de tous les repentirs et de toutes les bonnes volontés.
Tel est, en abrégé, le tableau que présente le Spiritisme, et qui ressort de la situation même des Esprits qui se manifestent ; ce n'est plus une simple théorie, mais un résultat d'observation. L'homme qui envisage les choses à ce point de vue se sent grandir ; il se relève à ses propres yeux ; il est stimulé dans ses instincts progressifs en voyant un but à ses travaux, à ses efforts pour s'améliorer.
Mais pour comprendre le Spiritisme dans son essence, dans l'immensité des choses qu'il embrasse, pour comprendre le but de la vie et la destinée de l'homme, il ne fallait pas reléguer l'humanité sur un petit globe, borner l'existence à quelques années, rapetisser le créateur et la créature ; pour que l'homme pût se faire une idée juste de son rôle dans l'univers, il fallait qu'il comprît, par la pluralité des mondes, le champ ouvert à ses explorations futures et à l'activité de son esprit ; pour reculer indéfiniment les bornes de la création, pour détruire ses préjugés sur les lieux spéciaux de récompense et de punition, sur les différents étages des cieux, il fallait qu'il pénétrât les profondeurs de l'espace ; qu'au lieu du cristallin et de l'empyrée, il y vit circuler, dans une majestueuse et perpétuelle harmonie, les mondes innombrables semblables au sien ; que partout sa pensée rencontrât la créature intelligente.
L'histoire de la terre se lie à celle de l'humanité ; pour que l'homme pût se défaire de ses mesquines fausses opinions sur l'époque, la durée et le mode de création de notre globe, de ses croyances légendaires sur le déluge et sa propre origine ; pour qu'il consentît à déloger du sein de la terre l'enfer et l'empire de Satan, il fallait qu'il pût lire dans les couches géologiques l'histoire de sa formation et de ses révolutions physiques. L'astronomie et la géologie, secondées par les découvertes de la physique et de la chimie, appuyées sur les lois de la mécanique, sont les deux puissants leviers qui ont battu en brèche ses préjugés sur son origine et sa destinée.
La matière et l'esprit sont les deux principes constitutifs de l'univers ; mais la connaissance des lois qui régissent la matière devait précéder celle des lois qui régissent l'élément spirituel ; les premières seules pouvaient combattre victorieusement les préjugés par l'évidence des faits. Le Spiritisme, qui a pour objet spécial la connaissance de l'élément spirituel, ne devait venir qu'en second ; pour qu'il pût prendre son essor et porter des fruits, pour qu'il pût être compris dans son ensemble, il fallait qu'il trouvât le terrain préparé, le champ de l'esprit humain déblayé des préjugés et des idées fausses, sinon en totalité, du moins en grande partie, sans cela on n'aurait eu qu'un Spiritisme étriqué, bâtard, incomplet, et mêlé à des croyances et à des pratiques absurdes, comme il l'est encore aujourd'hui chez les peuples arriérés. Si l'on considère la situation morale actuelle des nations avancées, on reconnaîtra qu'il est venu en temps opportun pour combler les vides qui se font dans les croyances.
Galilée a ouvert la route ; en déchirant le voile qui cachait l'infini, il a élargi le domaine de l'intelligence, et porté un coup fatal aux croyances erronées ; il a détruit plus de superstitions et d'idées fausses que toutes les philosophies, car il les a sapées par la base en montrant la réalité. Le Spiritisme doit le placer au rang des grands génies qui lui ont frayé la voie en abaissant les barrières que lui opposait l'ignorance. Les persécutions dont il fut l'objet, et qui sont le lot de quiconque s'attaque aux préjugés et aux idées reçues, l'ont grandi aux yeux de la postérité, en même temps qu'elles ont abaissé les persécuteurs. Qui est aujourd'hui le plus grand, d'eux ou de lui ?
Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de citer quelques fragments du beau drame de M. Ponsard. Nous le ferons dans le prochain numéro.
De l'Esprit prophétique
Par le comte Joseph de Maistre
Le comte Joseph de Maistre, né à Chambéry en 1753, mort en 1821, fut envoyé par le roi de Sardaigne, comme ministre plénipotentiaire en Russie, en 1803. Il quitta ce pays en 1817 lors de l'expulsion des Jésuites dont il avait embrassé la cause. Parmi ses ouvrages, l'un des plus connus dans la littérature et dans le monde religieux, est celui qui est intitulé : Soirées de Saint-Pétersbourg, publié en 1821. Quoique écrit à un point de vue exclusivement catholique, certaines pensées semblent inspirées par la prévision des temps présents, et à ce titre méritent une attention particulière. Les passages suivants sont tirés du onzième entretien, tome II, page 121, édition de 1844.
… Plus que jamais, Messieurs, nous devons nous occuper de ces hautes spéculations, car il nous faut tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Il n'y a plus de religion sur la terre : le genre humain ne peut demeurer dans cet état. Des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés.
Plusieurs théologiens, même catholiques, ont cru que des faits du premier ordre et peu éloignés étaient annoncés dans la révélation de saint Jean, et quoique les théologiens protestants n'aient débité en général que de tristes rêves sur ce même livre, où ils n'ont jamais vu que ce qu'ils désiraient, cependant, après avoir payé ce malheureux tribut au fanatisme de secte, je vois que certains écrivains de ce parti adoptent déjà le principe que : Plusieurs prophéties contenues dans l'Apocalypse, se rapportaient à nos temps modernes. Un de ces écrivains même est allé jusqu'à dire que l'évènement avait déjà commencé, et que la nation française devait être le grand instrument de la plus grande des révolutions.
Il n'y a peut être pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite), qui n'attende dans ce moment quelque chose d'extraordinaire ; or, dites-moi, Messieurs, croyez-vous que cet accord de tous les hommes puisse être méprisé ? N'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses ? Remontez aux siècles passés ; transportez-vous à la naissance du Sauveur. A cette époque une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas : « L'Orient est sur le point de triompher ? Le vainqueur partira de la Judée ; un enfant divin nous est donné ; il va paraître ; il descend du plus haut des cieux ; il ramènera l'âge d'or sur la terre. » Vous savez le reste.
Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes il était bien digne de la Providence d'ordonner que ce grand cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile ; mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la onzième églogue de ce poète. Le matérialisme qui souille la philosophie de notre siècle l'empêche de voir que la doctrine des Esprits, et en particulier, celle de l'esprit prophétique, est tout à fait plausible en elle-même, et de plus, la mieux soutenue par la tradition la plus universelle et la plus imposante qui fut jamais. Comme l'éternelle maladie de l'homme est de pénétrer l'avenir, c'est une preuve certaine qu'il a des droits sur cet avenir, et qu'il a des moyens de l'atteindre, au moins dans de certaines circonstances. Les oracles antiques tenaient à ce mouvement intérieur de l'homme qui l'avertit de sa nature et de ses droits. La pesante érudition de Van Dale, et les jolies phrases de Fontenelle furent employées vainement dans le siècle passé pour établir la nullité générale de ces oracles. Mais, quoi qu'il en soit, jamais l'homme n'aurait eu recours aux oracles, jamais il n'aurait pu les imaginer, s'il n'était parti d'une idée primitive en vertu de laquelle il les regardait comme possibles, et même comme existants.
L'homme est assujetti au temps, et néanmoins, par sa nature, étranger au temps. Le prophète jouissait du privilège de sortir du temps ; ses idées n'étant plus distribuées dans la durée, se touchent en vertu de la simple analogie et se confondent, ce qui répand nécessairement une grande confusion dans ses discours. Le Sauveur lui-même se soumit à cet état lorsque, livré volontairement à l'esprit prophétique, les idées analogues de grands désastres, séparées du temps, le conduisirent à mêler la destruction de Jérusalem à celle du monde. C'est encore ainsi que David, conduit par ses propres souffrances à méditer sur « le juste persécuté, » sort tout à coup du temps et s'écrie, présent à l'avenir : « Ils ont percé mes pieds et mes mains ; ils ont compté mes os ; ils se sont partagé mes habits ; ils ont jeté le sort sur mes vêtements. » (Ps. xxv, v. 17.)
On pourrait ajouter d'autres réflexions tirées de l'astrologie judiciaire, des oracles, des divinations en tous genres, dont l'abus a sans doute déshonoré l'esprit humain, mais qui avaient cependant une racine vraie comme toutes les croyances générales. L'esprit prophétique est naturel à l'homme, et ne cessera de s'agiter dans le monde. L'homme, en essayant, à toutes les époques et dans tous les lieux, de pénétrer dans l'avenir, déclare qu'il n'est pas fait pour le temps, car le temps est quelque chose de forcé qui ne demande qu'à finir. De là vient que, dans nos songes, jamais nous n'avons l'idée du temps, et que l'état du sommeil fut toujours jugé favorable aux communications divines.
Si vous me demandez ensuite ce que c'est que cet esprit prophétique que je nommais tout à l'heure, je vous répondrai que « jamais il n'y a eu dans le monde de grands événements qui n'aient été prédits de quelque manière. » Machiavel est le premier homme à ma connaissance qui avait avancé cette proposition ; mais si vous y réfléchissez vous-mêmes, vous trouverez que son assertion est justifiée par toute l'histoire. Vous en avez un dernier exemple dans la Révolution française, prédite de tous les côtés et de la manière la plus incontestable.
Mais pour en revenir au point d'où je suis parti, croyez-vous que le siècle de Virgile manquât de beaux esprits qui se moquaient et « de la grande année, et du siècle d'or, et de la chaste Lucine, et de l'auguste mère, et du mystérieux enfant ? » Cependant tout cela était arrivé : « L'enfant, du haut du ciel, était prêt à descendre. » Et vous pouvez voir dans plusieurs écrits, nommément dans les notes que Pope a jointes à sa traduction en vers du Pollion, que cette pièce pourrait passer pour une version d'Isaïe. Pourquoi voulez-vous qu'il n'en soit pas de même aujourd'hui ? L'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion ; et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches ?
Voulez-vous une nouvelle preuve de ce qui se prépare ? Cherchez dans les sciences ; considérez bien la marche de la chimie, de l'astronomie même, et vous verrez où elles nous conduisent. Croiriez-vous par exemple, si vous n'en étiez averti, que Newton nous ramène à Pythagore, et qu'incessamment il sera démontré que les corps célestes sont mus précisément comme les corps humains, par des intelligences qui leur sont unies, sans qu'on sache comment ? C'est cependant ce qui est sur le point de se vérifier, sans qu'il y ait bientôt aucun moyen de disputer. Cette doctrine pourra sembler paradoxale sans doute, et même ridicule, parce que l'opinion environnante en impose ; mais attendez que l'affinité naturelle de la religion et de la science les réunisse dans la tête d'un seul homme de génie ; l'apparition de cet homme ne saurait être éloignée, et peut-être même existe-t-il déjà. Celui-là sera fameux et mettra fin au dix-huitième siècle qui dure toujours ; car les siècles intellectuels ne se règlent pas sur le calendrier comme les siècles proprement dits. Alors les opinions qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insensées, seront des axiomes dont il ne sera pas permis de douter, et l'on parlera de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la superstition du moyen âge. Déjà même la force des choses a contraint quelques savants de l'école matérielle à faire des concessions qui les rapprochent de l'esprit. Et d'autres, ne pouvant s'empêcher de pressentir cette tendance sourde d'une opinion puissante, prennent contre elle des précautions qui font peut-être sur les véritables observateurs plus d'impression qu'une résistance directe. De là leur attention scrupuleuse à n'employer que des expressions matérielles. Il ne s'agit jamais, dans leurs écrits : que de lois mécaniques, de principes mécaniques, d'astronomie physique, etc. Ce n'est pas qu'ils ne sentent à merveille que les théories matérielles ne contentent nullement l'intelligence, car il y a quelque chose d'évident pour l'esprit humain non préoccupé, c'est que les mouvements de l'univers ne peuvent s'expliquer par les seules lois mécaniques ; mais c'est précisément parce qu'ils le sentent, qu'ils mettent pour ainsi dire des mots en garde contre la vérité. On ne veut pas l'avouer, mais on n'est plus retenu que par l'engagement ou le respect humain. Les savants européens sont dans ce moment des espèces de conjurés ou d'initiés, comme il vous plaira de les appeler, qui ont fait de la science une sorte de monopole, et qui ne veulent pas absolument qu'on sache plus ou autrement qu'eux. Mais cette science sera incessamment honnie par une postérité illuminée qui accusera justement les adeptes d'aujourd'hui de n'avoir pas su tirer des vérités que Dieu leur avait livrées les conséquences les plus précieuses pour l'homme. Alors toute la science changera de face ; l'esprit longtemps détrôné reprendra sa place.
Il sera démontré que les traditions antiques sont toutes vraies ; que le paganisme entier n'est qu'un système de vérités corrompues et déplacées ; qu'il suffit de les nettoyer pour ainsi dire et de les remettre à leur place, pour les voir briller de tous leurs rayons. En un mot, toutes les idées changeront ; et puisque de tous côtés une foule d'élus s'écrient de concert : « Venez, Seigneur, venez ! » pourquoi blâmeriez-vous ces hommes qui s'élancent dans cet avenir majestueux et se glorifient de le deviner. Comme les poètes qui, jusque dans nos temps de faiblesse et de décrépitude, présentent encore quelques lueurs pâles de l'esprit prophétique, les hommes spirituels éprouvent quelquefois des mouvements d'enthousiasme et d'inspiration qui les transportent dans l'avenir, et leur permettent de pressentir les événements que le temps mûrit dans le lointain.
Rappelez-vous, monsieur le comte, le compliment que vous m'avez adressé sur mon érudition au sujet du nombre trois. Ce nombre, en effet, se montre de tous côtés, dans le monde physique comme dans le monde moral, et dans les choses divines. Dieu parla une première fois aux hommes sur le mont Sinaï, et cette révélation fut resserrée, par des raisons que nous ignorons, dans les limites étroites d'un seul peuple et d'un seul pays. Après quinze siècles, une seconde révélation s'adressa à tous les hommes sans distinction, et c'est celle dont nous jouissons. Mais l'universalité de son action devait être encore infiniment restreinte par les circonstances de temps et de lieux. Quinze siècles de plus devaient s'écouler avant que l'Amérique vît la lumière, et ses vastes contrées recèlent encore une foule de hordes sauvages si étrangères au grand bienfait, qu'on serait porté à croire qu'elles en sont exclues par nature en vertu de quelque anathème primitif inexplicable. Le grand Lama seul a plus de sujets spirituels que le Pape ; le Bengale a soixante millions d'habitants, la Chine en a deux cents, le Japon vingt-cinq ou trente. Contemplez ces archipels du grand Océan qui forment aujourd'hui une cinquième partie du monde. Vos missionnaires ont fait sans doute des efforts merveilleux pour annoncer l'Evangile dans quelques-unes de ces contrées lointaines, mais vous voyez avec quel succès. Combien de myriades d'hommes que la bonne nouvelle n'atteindra jamais ! Le cimeterre du fils d'Ismaël n'a-t-il pas chassé entièrement le christianisme de l'Afrique et de l'Asie ? Et dans notre Europe, quel spectacle s'offre à l'œil religieux !…
Contemplez ce tableau lugubre ; joignez-y l'attente des hommes choisis, et vous verrez si les illuminés ont tort d'envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté en faveur du genre humain. Je ne finirais pas si je voulais rassembler toutes les preuves qui se réunissent pour justifier cette grande attente. Encore une fois, ne blâmez pas les gens qui s'en occupent et qui voient dans la révélation même des raisons de prévoir une révélation de la révélation. Appelez, si vous le voulez, ces hommes illuminés, je serai tout à fait d'accord avec vous, pourvu que vous prononciez ce nom sérieusement.
Tout annonce, et vos propres observations le démontrent, je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité, et qui essayent, suivant leurs forces, de pénétrer des mystères si redoutables, sans doute, mais tout à la fois si consolants pour nous.
Et ne dites point que tout est dit, que tout est révélé, et qu'il ne nous est pas permis d'attendre rien de nouveau. Sans doute que rien ne nous manque pour le salut ; mais du côté des connaissances divines, il nous manque beaucoup ; et quant aux manifestations futures, j'ai, comme vous voyez, mille raisons pour m'y attendre, tandis que vous n'en avez pas une pour me prouver le contraire. L'hébreu qui accomplissait la loi n'était-il pas en sûreté de conscience ? Je vous citerais, s'il le fallait, je ne sais combien de passages de la Bible qui promettent au sacrifice judaïque et au trône de David une durée égale à celle du soleil. Le juif, qui s'en tenait à l'écorce, avait toute raison, jusqu'à l'événement, de croire au règne temporel du Messie ; il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis ; mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes ? Dieu sera avec nous jusqu'à la consommation des siècles ; les portes de l'enfer ne prévaudront point contre l'Église, etc. ; fort bien ! En résulte-t-il, je vous prie, que Dieu s'est interdit toute manifestation nouvelle, et qu'il ne lui est plus permis de nous apprendre rien au delà de ce que nous savons ? ce serait, il faut l'avouer, un étrange raisonnement.
Une nouvelle effusion de l'Esprit-Saint étant désormais au rang des choses les plus raisonnablement attendues, il faut que les prédicateurs de ce don nouveau puissent citer l'Écriture sainte à tous les peuples. Les apôtres ne sont pas des traducteurs ; ils ont bien d'autres occupations ; mais la Société biblique, instrument aveugle de la Providence, prépare ses différentes versions que les véritables envoyés expliqueront un jour en vertu d'une mission légitime, nouvelle ou primitive, n'importe ! qui chassera le doute de la cité de Dieu ; et c'est ainsi que les terribles ennemis de l'unité travaillent à l'établir.
Remarque. – Ces paroles sont d'autant plus remarquables qu'elles émanent d'un homme d'un mérite incontestable comme écrivain, et qui est tenu en grande estime dans le monde religieux. Peut-être n'y a-t-on pas vu tout ce qu'elles renferment, car elles sont une protestation évidente contre l'absolutisme et l'exclusivisme étroit de certaines doctrines. Elles dénotent chez l'auteur une ampleur de vues qui frisent l'indépendance philosophique. L'orthodoxie s'est maintes fois scandalisée à moins. Les passages soulignés sont assez explicites pour qu'il soit superflu de les commenter ; les Spirites surtout en comprendront facilement la portée. Il serait impossible de n'y pas voir la prévision des choses qui se passent aujourd'hui et de celles que l'avenir réserve à l'humanité, tant ces tant ces paroles ont de rapports avec l'état actuel, et avec ce qu'annoncent de toutes parts les Esprits.
Le comte Joseph de Maistre, né à Chambéry en 1753, mort en 1821, fut envoyé par le roi de Sardaigne, comme ministre plénipotentiaire en Russie, en 1803. Il quitta ce pays en 1817 lors de l'expulsion des Jésuites dont il avait embrassé la cause. Parmi ses ouvrages, l'un des plus connus dans la littérature et dans le monde religieux, est celui qui est intitulé : Soirées de Saint-Pétersbourg, publié en 1821. Quoique écrit à un point de vue exclusivement catholique, certaines pensées semblent inspirées par la prévision des temps présents, et à ce titre méritent une attention particulière. Les passages suivants sont tirés du onzième entretien, tome II, page 121, édition de 1844.
… Plus que jamais, Messieurs, nous devons nous occuper de ces hautes spéculations, car il nous faut tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Il n'y a plus de religion sur la terre : le genre humain ne peut demeurer dans cet état. Des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés.
Plusieurs théologiens, même catholiques, ont cru que des faits du premier ordre et peu éloignés étaient annoncés dans la révélation de saint Jean, et quoique les théologiens protestants n'aient débité en général que de tristes rêves sur ce même livre, où ils n'ont jamais vu que ce qu'ils désiraient, cependant, après avoir payé ce malheureux tribut au fanatisme de secte, je vois que certains écrivains de ce parti adoptent déjà le principe que : Plusieurs prophéties contenues dans l'Apocalypse, se rapportaient à nos temps modernes. Un de ces écrivains même est allé jusqu'à dire que l'évènement avait déjà commencé, et que la nation française devait être le grand instrument de la plus grande des révolutions.
Il n'y a peut être pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite), qui n'attende dans ce moment quelque chose d'extraordinaire ; or, dites-moi, Messieurs, croyez-vous que cet accord de tous les hommes puisse être méprisé ? N'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses ? Remontez aux siècles passés ; transportez-vous à la naissance du Sauveur. A cette époque une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas : « L'Orient est sur le point de triompher ? Le vainqueur partira de la Judée ; un enfant divin nous est donné ; il va paraître ; il descend du plus haut des cieux ; il ramènera l'âge d'or sur la terre. » Vous savez le reste.
Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes il était bien digne de la Providence d'ordonner que ce grand cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile ; mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la onzième églogue de ce poète. Le matérialisme qui souille la philosophie de notre siècle l'empêche de voir que la doctrine des Esprits, et en particulier, celle de l'esprit prophétique, est tout à fait plausible en elle-même, et de plus, la mieux soutenue par la tradition la plus universelle et la plus imposante qui fut jamais. Comme l'éternelle maladie de l'homme est de pénétrer l'avenir, c'est une preuve certaine qu'il a des droits sur cet avenir, et qu'il a des moyens de l'atteindre, au moins dans de certaines circonstances. Les oracles antiques tenaient à ce mouvement intérieur de l'homme qui l'avertit de sa nature et de ses droits. La pesante érudition de Van Dale, et les jolies phrases de Fontenelle furent employées vainement dans le siècle passé pour établir la nullité générale de ces oracles. Mais, quoi qu'il en soit, jamais l'homme n'aurait eu recours aux oracles, jamais il n'aurait pu les imaginer, s'il n'était parti d'une idée primitive en vertu de laquelle il les regardait comme possibles, et même comme existants.
L'homme est assujetti au temps, et néanmoins, par sa nature, étranger au temps. Le prophète jouissait du privilège de sortir du temps ; ses idées n'étant plus distribuées dans la durée, se touchent en vertu de la simple analogie et se confondent, ce qui répand nécessairement une grande confusion dans ses discours. Le Sauveur lui-même se soumit à cet état lorsque, livré volontairement à l'esprit prophétique, les idées analogues de grands désastres, séparées du temps, le conduisirent à mêler la destruction de Jérusalem à celle du monde. C'est encore ainsi que David, conduit par ses propres souffrances à méditer sur « le juste persécuté, » sort tout à coup du temps et s'écrie, présent à l'avenir : « Ils ont percé mes pieds et mes mains ; ils ont compté mes os ; ils se sont partagé mes habits ; ils ont jeté le sort sur mes vêtements. » (Ps. xxv, v. 17.)
On pourrait ajouter d'autres réflexions tirées de l'astrologie judiciaire, des oracles, des divinations en tous genres, dont l'abus a sans doute déshonoré l'esprit humain, mais qui avaient cependant une racine vraie comme toutes les croyances générales. L'esprit prophétique est naturel à l'homme, et ne cessera de s'agiter dans le monde. L'homme, en essayant, à toutes les époques et dans tous les lieux, de pénétrer dans l'avenir, déclare qu'il n'est pas fait pour le temps, car le temps est quelque chose de forcé qui ne demande qu'à finir. De là vient que, dans nos songes, jamais nous n'avons l'idée du temps, et que l'état du sommeil fut toujours jugé favorable aux communications divines.
Si vous me demandez ensuite ce que c'est que cet esprit prophétique que je nommais tout à l'heure, je vous répondrai que « jamais il n'y a eu dans le monde de grands événements qui n'aient été prédits de quelque manière. » Machiavel est le premier homme à ma connaissance qui avait avancé cette proposition ; mais si vous y réfléchissez vous-mêmes, vous trouverez que son assertion est justifiée par toute l'histoire. Vous en avez un dernier exemple dans la Révolution française, prédite de tous les côtés et de la manière la plus incontestable.
Mais pour en revenir au point d'où je suis parti, croyez-vous que le siècle de Virgile manquât de beaux esprits qui se moquaient et « de la grande année, et du siècle d'or, et de la chaste Lucine, et de l'auguste mère, et du mystérieux enfant ? » Cependant tout cela était arrivé : « L'enfant, du haut du ciel, était prêt à descendre. » Et vous pouvez voir dans plusieurs écrits, nommément dans les notes que Pope a jointes à sa traduction en vers du Pollion, que cette pièce pourrait passer pour une version d'Isaïe. Pourquoi voulez-vous qu'il n'en soit pas de même aujourd'hui ? L'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion ; et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches ?
Voulez-vous une nouvelle preuve de ce qui se prépare ? Cherchez dans les sciences ; considérez bien la marche de la chimie, de l'astronomie même, et vous verrez où elles nous conduisent. Croiriez-vous par exemple, si vous n'en étiez averti, que Newton nous ramène à Pythagore, et qu'incessamment il sera démontré que les corps célestes sont mus précisément comme les corps humains, par des intelligences qui leur sont unies, sans qu'on sache comment ? C'est cependant ce qui est sur le point de se vérifier, sans qu'il y ait bientôt aucun moyen de disputer. Cette doctrine pourra sembler paradoxale sans doute, et même ridicule, parce que l'opinion environnante en impose ; mais attendez que l'affinité naturelle de la religion et de la science les réunisse dans la tête d'un seul homme de génie ; l'apparition de cet homme ne saurait être éloignée, et peut-être même existe-t-il déjà. Celui-là sera fameux et mettra fin au dix-huitième siècle qui dure toujours ; car les siècles intellectuels ne se règlent pas sur le calendrier comme les siècles proprement dits. Alors les opinions qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insensées, seront des axiomes dont il ne sera pas permis de douter, et l'on parlera de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la superstition du moyen âge. Déjà même la force des choses a contraint quelques savants de l'école matérielle à faire des concessions qui les rapprochent de l'esprit. Et d'autres, ne pouvant s'empêcher de pressentir cette tendance sourde d'une opinion puissante, prennent contre elle des précautions qui font peut-être sur les véritables observateurs plus d'impression qu'une résistance directe. De là leur attention scrupuleuse à n'employer que des expressions matérielles. Il ne s'agit jamais, dans leurs écrits : que de lois mécaniques, de principes mécaniques, d'astronomie physique, etc. Ce n'est pas qu'ils ne sentent à merveille que les théories matérielles ne contentent nullement l'intelligence, car il y a quelque chose d'évident pour l'esprit humain non préoccupé, c'est que les mouvements de l'univers ne peuvent s'expliquer par les seules lois mécaniques ; mais c'est précisément parce qu'ils le sentent, qu'ils mettent pour ainsi dire des mots en garde contre la vérité. On ne veut pas l'avouer, mais on n'est plus retenu que par l'engagement ou le respect humain. Les savants européens sont dans ce moment des espèces de conjurés ou d'initiés, comme il vous plaira de les appeler, qui ont fait de la science une sorte de monopole, et qui ne veulent pas absolument qu'on sache plus ou autrement qu'eux. Mais cette science sera incessamment honnie par une postérité illuminée qui accusera justement les adeptes d'aujourd'hui de n'avoir pas su tirer des vérités que Dieu leur avait livrées les conséquences les plus précieuses pour l'homme. Alors toute la science changera de face ; l'esprit longtemps détrôné reprendra sa place.
Il sera démontré que les traditions antiques sont toutes vraies ; que le paganisme entier n'est qu'un système de vérités corrompues et déplacées ; qu'il suffit de les nettoyer pour ainsi dire et de les remettre à leur place, pour les voir briller de tous leurs rayons. En un mot, toutes les idées changeront ; et puisque de tous côtés une foule d'élus s'écrient de concert : « Venez, Seigneur, venez ! » pourquoi blâmeriez-vous ces hommes qui s'élancent dans cet avenir majestueux et se glorifient de le deviner. Comme les poètes qui, jusque dans nos temps de faiblesse et de décrépitude, présentent encore quelques lueurs pâles de l'esprit prophétique, les hommes spirituels éprouvent quelquefois des mouvements d'enthousiasme et d'inspiration qui les transportent dans l'avenir, et leur permettent de pressentir les événements que le temps mûrit dans le lointain.
Rappelez-vous, monsieur le comte, le compliment que vous m'avez adressé sur mon érudition au sujet du nombre trois. Ce nombre, en effet, se montre de tous côtés, dans le monde physique comme dans le monde moral, et dans les choses divines. Dieu parla une première fois aux hommes sur le mont Sinaï, et cette révélation fut resserrée, par des raisons que nous ignorons, dans les limites étroites d'un seul peuple et d'un seul pays. Après quinze siècles, une seconde révélation s'adressa à tous les hommes sans distinction, et c'est celle dont nous jouissons. Mais l'universalité de son action devait être encore infiniment restreinte par les circonstances de temps et de lieux. Quinze siècles de plus devaient s'écouler avant que l'Amérique vît la lumière, et ses vastes contrées recèlent encore une foule de hordes sauvages si étrangères au grand bienfait, qu'on serait porté à croire qu'elles en sont exclues par nature en vertu de quelque anathème primitif inexplicable. Le grand Lama seul a plus de sujets spirituels que le Pape ; le Bengale a soixante millions d'habitants, la Chine en a deux cents, le Japon vingt-cinq ou trente. Contemplez ces archipels du grand Océan qui forment aujourd'hui une cinquième partie du monde. Vos missionnaires ont fait sans doute des efforts merveilleux pour annoncer l'Evangile dans quelques-unes de ces contrées lointaines, mais vous voyez avec quel succès. Combien de myriades d'hommes que la bonne nouvelle n'atteindra jamais ! Le cimeterre du fils d'Ismaël n'a-t-il pas chassé entièrement le christianisme de l'Afrique et de l'Asie ? Et dans notre Europe, quel spectacle s'offre à l'œil religieux !…
Contemplez ce tableau lugubre ; joignez-y l'attente des hommes choisis, et vous verrez si les illuminés ont tort d'envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté en faveur du genre humain. Je ne finirais pas si je voulais rassembler toutes les preuves qui se réunissent pour justifier cette grande attente. Encore une fois, ne blâmez pas les gens qui s'en occupent et qui voient dans la révélation même des raisons de prévoir une révélation de la révélation. Appelez, si vous le voulez, ces hommes illuminés, je serai tout à fait d'accord avec vous, pourvu que vous prononciez ce nom sérieusement.
Tout annonce, et vos propres observations le démontrent, je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité, et qui essayent, suivant leurs forces, de pénétrer des mystères si redoutables, sans doute, mais tout à la fois si consolants pour nous.
Et ne dites point que tout est dit, que tout est révélé, et qu'il ne nous est pas permis d'attendre rien de nouveau. Sans doute que rien ne nous manque pour le salut ; mais du côté des connaissances divines, il nous manque beaucoup ; et quant aux manifestations futures, j'ai, comme vous voyez, mille raisons pour m'y attendre, tandis que vous n'en avez pas une pour me prouver le contraire. L'hébreu qui accomplissait la loi n'était-il pas en sûreté de conscience ? Je vous citerais, s'il le fallait, je ne sais combien de passages de la Bible qui promettent au sacrifice judaïque et au trône de David une durée égale à celle du soleil. Le juif, qui s'en tenait à l'écorce, avait toute raison, jusqu'à l'événement, de croire au règne temporel du Messie ; il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis ; mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes ? Dieu sera avec nous jusqu'à la consommation des siècles ; les portes de l'enfer ne prévaudront point contre l'Église, etc. ; fort bien ! En résulte-t-il, je vous prie, que Dieu s'est interdit toute manifestation nouvelle, et qu'il ne lui est plus permis de nous apprendre rien au delà de ce que nous savons ? ce serait, il faut l'avouer, un étrange raisonnement.
Une nouvelle effusion de l'Esprit-Saint étant désormais au rang des choses les plus raisonnablement attendues, il faut que les prédicateurs de ce don nouveau puissent citer l'Écriture sainte à tous les peuples. Les apôtres ne sont pas des traducteurs ; ils ont bien d'autres occupations ; mais la Société biblique, instrument aveugle de la Providence, prépare ses différentes versions que les véritables envoyés expliqueront un jour en vertu d'une mission légitime, nouvelle ou primitive, n'importe ! qui chassera le doute de la cité de Dieu ; et c'est ainsi que les terribles ennemis de l'unité travaillent à l'établir.
Remarque. – Ces paroles sont d'autant plus remarquables qu'elles émanent d'un homme d'un mérite incontestable comme écrivain, et qui est tenu en grande estime dans le monde religieux. Peut-être n'y a-t-on pas vu tout ce qu'elles renferment, car elles sont une protestation évidente contre l'absolutisme et l'exclusivisme étroit de certaines doctrines. Elles dénotent chez l'auteur une ampleur de vues qui frisent l'indépendance philosophique. L'orthodoxie s'est maintes fois scandalisée à moins. Les passages soulignés sont assez explicites pour qu'il soit superflu de les commenter ; les Spirites surtout en comprendront facilement la portée. Il serait impossible de n'y pas voir la prévision des choses qui se passent aujourd'hui et de celles que l'avenir réserve à l'humanité, tant ces tant ces paroles ont de rapports avec l'état actuel, et avec ce qu'annoncent de toutes parts les Esprits.
Communication de Joseph de Maistre
Société de Paris, 22 mars 1867. Méd. M. Desliens
Demande. D'après les pensées contenues dans les fragments dont il vient d'être donné lecture, vous paraissez avoir été animé vous-même de l'esprit prophétique dont vous parlez, et que vous décrivez si bien. Un demi-siècle à peine nous sépare de l'époque où vous écriviez ces lignes remarquables, que déjà nous voyons nos prévisions se réaliser. Peut-être n'est-ce pas au point de vue exclusif où vous plaçaient alors vos croyances, mais à coup sûr tout nous montre comme imminente et en voie de s'accomplir, la grande révolution morale que vous avez pressentie, et que préparent les idées nouvelles. Ce que vous dites a un rapport si évident avec le Spiritisme, que nous pouvons avec toute raison vous considérer comme l'un des prophètes de son avènement. Sans doute que la Providence vous avait placé dans le milieu où, par le fait même de vos principes, vos paroles devaient avoir plus d'autorité. Ont-elles été comprises par votre parti ? Les comprend-il encore maintenant ? Il est permis d'en douter.
Aujourd'hui que vous pouvez envisager les choses d'une manière plus large, et embrasser de plus vastes horizons, nous serions heureux d'avoir votre appréciation actuelle sur l'esprit prophétique, et sur la part que doit avoir le Spiritisme dans le mouvement régénérateur.
Nous serions de plus très honorés si nous pouvions vous compter désormais au nombre des bons Esprits qui veulent bien concourir à notre instruction.
Réponse. Messieurs, bien que ce ne soit point la première fois que je me trouve parmi vous, comme je m'y introduis officiellement aujourd'hui, je vous prierai d'agréer mes remerciements pour les paroles bienveillantes que vous avez bien voulu prononcer à mon intention, et de recevoir mes félicitations pour la sincérité et le dévouement qui président à vos travaux.
L'amour de la vérité fut mon seul guide, et si je fus de mon vivant le partisan d'une secte que l'on a appris à juger avec sévérité, c'est que je croyais trouver en elle les éléments, la force d'action nécessaires pour arriver à la connaissance de cette vérité que je soupçonnais. – J'ai vu la terre promise, mais je n'ai pu y pénétrer de mon vivant. Plus heureux que moi, messieurs, profitez de la faveur qui vous est accordée pour votre bonne volonté, en améliorant votre cœur et votre esprit, et en faisant partager votre bonheur à tous ceux de vos frères en humanité, qui n'opposeront à votre propagande que la réserve naturelle à chaque homme placé en face de l'inconnu.
Comme eux, j'aurais voulu raisonner votre croyance avant de l'accepter, mais je ne l'aurais pas honnie, quelque bizarre que soient ses moyens de manifestation, par la seule raison qu'elle pouvait nuire à mes intérêts ou qu'il me plaisait d'en agir ainsi.
Vous avez pu vous en convaincre, j'étais avec le clergé, adepte de la morale de l'Évangile, mais, je n'étais pas avec lui, partisan de l'immuabilité de l'enseignement et de l'impossibilité de nouvelles manifestations de la volonté divine. Pénétré des saintes Écritures que j'ai lues, relues et commentées, la lettre et l'Esprit me faisaient prévoir l'avènement nouveau. J'en remercie Dieu, car j'étais heureux en espérance, pour moi qui sentais intuitivement que je participerais au bonheur de connaître les nouvelles vérités, en quelque endroit que je fusse ; pour mes frères en humanité qui verraient se dissiper les ténèbres de l'ignorance et de l'erreur devant une évidence irrécusable.
L'Esprit prophétique embrase le monde entier de ses effluves régénérateurs. – En Europe comme en Amérique, en Asie, partout, chez les catholiques comme chez les musulmans, dans tous les pays, dans tous les climats, dans toutes les sectes religieuses, la nouvelle révélation s'infiltre, avec l'enfant qui naît, avec le jeune homme qui se développe, avec le vieillard qui s'en va. – Les uns arrivent avec les matériaux nécessaires pour l'édification de l'œuvre ; les autres aspirent à un monde qui leur révélera les mystères qu'ils pressentent. – Et, si la persécution morale vous plie sous son joug, si l'intérêt matériel, la position sociale arrête quelques-uns des fils de l'Esprit dans leur marche ascendante, ceux-là seront les martyrs de la pensée, dont les sueurs intellectuelles féconderont l'enseignement, et prépareront les générations de l'avenir à une vie nouvelle.
Le Spiritisme, en France, se manifeste sous un autre nom en Asie. Il a des agents dans les différentes nuances de la religion catholique, comme il en a parmi les sectateurs de la religion musulmane. – Là-bas, la révélation, à un degré inférieur de développement, est noyée dans le sang ; mais, elle n'en poursuit pas moins sa marche, et ses ramifications entourent le monde dans un vaste réseau, dont les mailles vont se resserrant à mesure que l'élément régénérateur se dévoile davantage. – Des catholiques, des protestants, cherchant à faire pénétrer la nouvelle croyance chez les fils de l'Islam, eussent rencontré des obstacles insurmontables, et de bien rares adeptes fussent venus se ranger sous leur drapeau.
L'esprit prophétique y a pris une autre forme ; il a assimilé son langage, ses instructions, aux formes matérielles et aux pensées intimes de ceux auxquels il s'adressait. – Bénissez-en la Providence qui voit mieux que vous comment et par qui elle doit amener le mouvement qui pousse les mondes vers l'infini.
L'aspiration à de nouvelles connaissances est dans l'air qu'on respire, dans le livre qu'on écrit, dans le tableau que l'on peint ; l'idée s'imprime sur le marbre du statuaire, comme sous la plume de l'historien, et tel, qui serait bien étonné d'être rangé parmi les Spirites, est un instrument de la Toute-puissance pour l'édification du Spiritisme.
J'interromps cette communication qui devient fatigante pour le médium qui n'est pas habitué à mon influx fluidique. Je la continuerai une autre fois, et je viendrai, puisque tel est votre désir, apporter ma part d'action à vos travaux, ne me contentant plus d'y assister, témoin invisible, ou inspirateur inconnu, comme je l'ai déjà fait maintes fois.
J. de Maistre.
Demande. D'après les pensées contenues dans les fragments dont il vient d'être donné lecture, vous paraissez avoir été animé vous-même de l'esprit prophétique dont vous parlez, et que vous décrivez si bien. Un demi-siècle à peine nous sépare de l'époque où vous écriviez ces lignes remarquables, que déjà nous voyons nos prévisions se réaliser. Peut-être n'est-ce pas au point de vue exclusif où vous plaçaient alors vos croyances, mais à coup sûr tout nous montre comme imminente et en voie de s'accomplir, la grande révolution morale que vous avez pressentie, et que préparent les idées nouvelles. Ce que vous dites a un rapport si évident avec le Spiritisme, que nous pouvons avec toute raison vous considérer comme l'un des prophètes de son avènement. Sans doute que la Providence vous avait placé dans le milieu où, par le fait même de vos principes, vos paroles devaient avoir plus d'autorité. Ont-elles été comprises par votre parti ? Les comprend-il encore maintenant ? Il est permis d'en douter.
Aujourd'hui que vous pouvez envisager les choses d'une manière plus large, et embrasser de plus vastes horizons, nous serions heureux d'avoir votre appréciation actuelle sur l'esprit prophétique, et sur la part que doit avoir le Spiritisme dans le mouvement régénérateur.
Nous serions de plus très honorés si nous pouvions vous compter désormais au nombre des bons Esprits qui veulent bien concourir à notre instruction.
Réponse. Messieurs, bien que ce ne soit point la première fois que je me trouve parmi vous, comme je m'y introduis officiellement aujourd'hui, je vous prierai d'agréer mes remerciements pour les paroles bienveillantes que vous avez bien voulu prononcer à mon intention, et de recevoir mes félicitations pour la sincérité et le dévouement qui président à vos travaux.
L'amour de la vérité fut mon seul guide, et si je fus de mon vivant le partisan d'une secte que l'on a appris à juger avec sévérité, c'est que je croyais trouver en elle les éléments, la force d'action nécessaires pour arriver à la connaissance de cette vérité que je soupçonnais. – J'ai vu la terre promise, mais je n'ai pu y pénétrer de mon vivant. Plus heureux que moi, messieurs, profitez de la faveur qui vous est accordée pour votre bonne volonté, en améliorant votre cœur et votre esprit, et en faisant partager votre bonheur à tous ceux de vos frères en humanité, qui n'opposeront à votre propagande que la réserve naturelle à chaque homme placé en face de l'inconnu.
Comme eux, j'aurais voulu raisonner votre croyance avant de l'accepter, mais je ne l'aurais pas honnie, quelque bizarre que soient ses moyens de manifestation, par la seule raison qu'elle pouvait nuire à mes intérêts ou qu'il me plaisait d'en agir ainsi.
Vous avez pu vous en convaincre, j'étais avec le clergé, adepte de la morale de l'Évangile, mais, je n'étais pas avec lui, partisan de l'immuabilité de l'enseignement et de l'impossibilité de nouvelles manifestations de la volonté divine. Pénétré des saintes Écritures que j'ai lues, relues et commentées, la lettre et l'Esprit me faisaient prévoir l'avènement nouveau. J'en remercie Dieu, car j'étais heureux en espérance, pour moi qui sentais intuitivement que je participerais au bonheur de connaître les nouvelles vérités, en quelque endroit que je fusse ; pour mes frères en humanité qui verraient se dissiper les ténèbres de l'ignorance et de l'erreur devant une évidence irrécusable.
L'Esprit prophétique embrase le monde entier de ses effluves régénérateurs. – En Europe comme en Amérique, en Asie, partout, chez les catholiques comme chez les musulmans, dans tous les pays, dans tous les climats, dans toutes les sectes religieuses, la nouvelle révélation s'infiltre, avec l'enfant qui naît, avec le jeune homme qui se développe, avec le vieillard qui s'en va. – Les uns arrivent avec les matériaux nécessaires pour l'édification de l'œuvre ; les autres aspirent à un monde qui leur révélera les mystères qu'ils pressentent. – Et, si la persécution morale vous plie sous son joug, si l'intérêt matériel, la position sociale arrête quelques-uns des fils de l'Esprit dans leur marche ascendante, ceux-là seront les martyrs de la pensée, dont les sueurs intellectuelles féconderont l'enseignement, et prépareront les générations de l'avenir à une vie nouvelle.
Le Spiritisme, en France, se manifeste sous un autre nom en Asie. Il a des agents dans les différentes nuances de la religion catholique, comme il en a parmi les sectateurs de la religion musulmane. – Là-bas, la révélation, à un degré inférieur de développement, est noyée dans le sang ; mais, elle n'en poursuit pas moins sa marche, et ses ramifications entourent le monde dans un vaste réseau, dont les mailles vont se resserrant à mesure que l'élément régénérateur se dévoile davantage. – Des catholiques, des protestants, cherchant à faire pénétrer la nouvelle croyance chez les fils de l'Islam, eussent rencontré des obstacles insurmontables, et de bien rares adeptes fussent venus se ranger sous leur drapeau.
L'esprit prophétique y a pris une autre forme ; il a assimilé son langage, ses instructions, aux formes matérielles et aux pensées intimes de ceux auxquels il s'adressait. – Bénissez-en la Providence qui voit mieux que vous comment et par qui elle doit amener le mouvement qui pousse les mondes vers l'infini.
L'aspiration à de nouvelles connaissances est dans l'air qu'on respire, dans le livre qu'on écrit, dans le tableau que l'on peint ; l'idée s'imprime sur le marbre du statuaire, comme sous la plume de l'historien, et tel, qui serait bien étonné d'être rangé parmi les Spirites, est un instrument de la Toute-puissance pour l'édification du Spiritisme.
J'interromps cette communication qui devient fatigante pour le médium qui n'est pas habitué à mon influx fluidique. Je la continuerai une autre fois, et je viendrai, puisque tel est votre désir, apporter ma part d'action à vos travaux, ne me contentant plus d'y assister, témoin invisible, ou inspirateur inconnu, comme je l'ai déjà fait maintes fois.
J. de Maistre.
La Ligue de l'Enseignement
2e Article - Voir le n° précédent, page 79
A propos de l'article que nous avons publié sur la ligue de l'enseignement nous avons reçu de M. Macé, son fondateur, la lettre suivante que nous nous faisons un devoir de publier. Si nous avons exposé les motifs sur lesquels nous appuyons l'opinion restrictive que nous avons émise, il est de toute équité de mettre en regard les explications de l'auteur.
Beblenheim, 5 mars 1867.
Monsieur,
M. Ed. Vauchez me communique ce que vous avez dit de la ligue de l'enseignement dans la Revue Spirite, et je prends la liberté de vous adresser, non pas une réponse à publier dans votre Revue, mais quelques explications personnelles sur le but que je poursuis, et le plan que j'ai dressé. Je serais heureux si elles pouvaient dissiper les scrupules qui vous arrêtent, et vous rallier à un projet qui n'a pas, dans mon esprit du moins, le vague que vous y avez vu.
Il s'agit de grouper, dans chaque localité, tous ceux qui se sentent prêts à faire acte de citoyens en contribuant personnellement au développement de l'instruction publique autour d'eux. Chaque groupe aura nécessairement à se faire lui-même son programme, la mesure de son action étant nécessairement déterminée par ses moyens d'actions. Là, il m'était bien impossible de rien préciser ; mais la nature de cette action, le point capital, je l'ai précisé de la manière la plus claire et la plus nette : Faire de l'instruction pure et simple, en dehors de toute préoccupation de secte et de parti ; c'est là un premier article uniforme, inscrit d'avance en tête de tous les prospectus ; là sera leur unité morale. Tout cercle qui viendrait à l'enfreindre sortirait de plein droit de la ligue.
Vous êtes, je ne saurais en douter, trop loyal pour ne pas convenir qu'il n'y aura place après cela pour aucune déception quand on en viendra à l'exécution. Il ne pourrait y avoir de déçus que ceux qui seraient entrés dans la ligue avec l'espoir secret de la faire servir au triomphe d'une opinion particulière : ils sont prévenus.
Quant aux intentions que pourrait avoir l'auteur du projet lui-même et à la confiance qu'il convient de lui accorder, permettez-moi de m'en tenir à la réponse que j'ai déjà faite une fois à un soupçon émis dans les Annales du travail, et dont je vous prie de vouloir bien prendre connaissance. Elle s'adresse à un doute sur mes tendances libérales ; elle peut s'adresser tout aussi bien aux doutes qui pourraient s'élever dans d'autres esprits sur la loyauté de ma déclaration de neutralité.
J'ose espérer, monsieur, que ces explications vous paraîtront suffisamment nettes pour modifier votre impression première, et que vous croirez bon, s'il en est ainsi, de le dire à vos lecteurs. Tout bon citoyen doit l'appui de son influence personnelle à ce qu'il reconnaît utile, et je me sens si convaincu de l'utilité de notre projet de Ligue, qu'il me paraît impossible qu'elle puisse échapper à un esprit aussi exercé que le vôtre.
Recevez, monsieur, mes bien cordiales et fraternelles salutations ;
Jean Macé.
A cette lettre, M. Macé a bien voulu joindre le n° des Annales du travail, où se trouve la réponse mentionnée ci-dessus, et que nous reproduisons intégralement :
Beblenheim, le 4 janvier 1867.
Monsieur le rédacteur,
L'objection qui vous a été faite relativement à une modification possible de mes idées libérales, et par suite au danger, possible aussi, d'une direction mauvaise donnée à l'enseignement de la Ligue, cette objection me paraît affligeante, et je vous demande la permission de répondre à ceux qui vous l'ont faite, non pas pour ce qui me concerne, – je le juge inutile, – mais pour l'honneur de mon idée qu'ils n'ont pas comprise. La Ligue n'enseigne rien, et n'aura pas de direction à donner ; il est donc superflu de s'inquiéter dès à présent des opinions plus ou moins libérales de celui qui cherche à la fonder.
Je fais appel à tous ceux qui prennent à cœur le développement de l'instruction dans leur pays et qui désirent y travailler, soit sur les autres, en enseignant, soit sur eux-mêmes, en apprenant. Je les invite à s'associer sur tous les points du territoire ; à faire acte de citoyens, en combattant l'ignorance, et de leur bourse, et de leur personne, ce qui vaut mieux encore ; à pourchasser homme à homme, les mauvais pères qui n'envoient pas leurs enfants à l'école ; à faire honte aux camarades qui ne savent ni lire, ni écrire, et à leur rappeler qu'il est toujours temps ; à leur mettre au besoin le livre et la plume à la main, en s'improvisant professeurs, chacun de ce qu'il sait ; à créer des cours et des bibliothèques, au profit des ignorants qui désirent cesser de l'être ; à former enfin par toute la France, un seul faisceau pour se prêter un mutuel appui contre les influences ennemies, – il y en a malheureusement d'une élévation, censée dangereuse, dans le niveau intellectuel du peuple.
Que tout cela parvienne à se faire, en quoi, s'il vous plaît, et dans quel sens inquiétant, ce mouvement universel pourrait-il être dirigé par n'importe qui ? Qu'il s'organise, par exemple, à Paris, entre ouvriers, des Sociétés de culture intellectuelle comme celles qui existent par centaines dans les villes d'Allemagne, et dont M. Edouard Pfeiffer, le président de l'association d'instruction populaire de Wurtemberg, expliquait le fonctionnement d'une façon si intéressante dans le n° de la Coopération du 30 septembre dernier ; que, dans le faubourg Saint-Antoine, dans le quartier du Temple, à Montmartre, aux Batignolles, des groupes de travailleurs, entrés dans la Ligue, s'entendent ensemble pour se donner, à certains jours, des soirées d'instruction avec des professeurs de bonne volonté, ou même rétribués, pourquoi pas ? – les ouvriers anglais et allemands ne se refusent pas ce luxe-là, – je voudrais bien savoir ce que viendront faire là-dedans les doctrines d'un professeur de demoiselles qui fait sa classe à Beblenheim, et qui n'a aucune envie de changer d'élèves. – Est-ce que ces gens-là ne seront pas chez eux ? Est-ce qu'ils auront des permissions à me demander ?
Ce n'est pas que je me défende d'avoir une doctrine en matière d'enseignement populaire. J'en ai une assurément ; je ne me serais pas permis, sans cela, de me mettre de mon propre chef, à la tête d'un mouvement comme celui-ci. La voici telle que je viens de la formuler dans l'Annuaire de l'association de 1867. C'est la dénégation même de toute direction « dans tel sens plutôt que dans un autre » pour me servir de l'expression de ceux qui ne sont pas entièrement sûrs de moi, et je me déclare prêt à mettre à son service tout ce que je puis avoir d'autorité personnelle, – je ne crains pas d'en parler parce que j'ai conscience de l'avoir légalement gagnée :
« Prêcher l'ignorant dans un sens ou dans un autre n'avance à rien et ne l'avance pas. Il demeure ensuite à la merci des prédications contraires, et n'en sait guère plus long qu'avant. Qu'il apprenne ce que savent ceux qui le prêchent, c'est tout autre chose ; il sera en état de se prêcher lui-même, et ceux qui craindraient qu'il soit à lui-même un mauvais prédicateur peuvent se rassurer d'avance. L'instruction n'a pas deux manières d'agir sur ceux qui la possèdent. S'ils s'en trouvent bien pour leur compte, pourquoi ne rendrait-elle pas le même service aux autres ? » Si vos correspondants « du dehors » connaissent une façon plus libérale d'entendre la question de l'enseignement populaire, qu'ils veuillent bien me l'apprendre. Je n'en connais pas.
Jean Macé.
P.-S. : Vous me priez de répondre à une question qui vous été faite sur la destination future des sommes souscrites pour la Ligue.
La souscription ouverte présentement est destinée à couvrir les frais de propagande du projet. Je publierai dans chaque bulletin, comme je viens de le faire dans le premier, l'état des recettes et des dépenses, et je rendrai mes comptes, avec pièces à l'appui, à la commission qui sera nommée à cet effet, dans la première assemblée générale.
Quand la Ligue sera constituée, l'emploi des cotisations annuelles devra être déterminé – c'est du moins mon avis – au sein des groupes d'adhérents qui se forment. Chaque groupe fixerait lui-même la part qu'il lui conviendrait de verser au fonds général de propagande de l'œuvre, où iraient également les cotisations des adhérents qui ne jugeraient pas à propos de s'engager dans un groupe spécial.
A propos de l'article que nous avons publié sur la ligue de l'enseignement nous avons reçu de M. Macé, son fondateur, la lettre suivante que nous nous faisons un devoir de publier. Si nous avons exposé les motifs sur lesquels nous appuyons l'opinion restrictive que nous avons émise, il est de toute équité de mettre en regard les explications de l'auteur.
Beblenheim, 5 mars 1867.
Monsieur,
M. Ed. Vauchez me communique ce que vous avez dit de la ligue de l'enseignement dans la Revue Spirite, et je prends la liberté de vous adresser, non pas une réponse à publier dans votre Revue, mais quelques explications personnelles sur le but que je poursuis, et le plan que j'ai dressé. Je serais heureux si elles pouvaient dissiper les scrupules qui vous arrêtent, et vous rallier à un projet qui n'a pas, dans mon esprit du moins, le vague que vous y avez vu.
Il s'agit de grouper, dans chaque localité, tous ceux qui se sentent prêts à faire acte de citoyens en contribuant personnellement au développement de l'instruction publique autour d'eux. Chaque groupe aura nécessairement à se faire lui-même son programme, la mesure de son action étant nécessairement déterminée par ses moyens d'actions. Là, il m'était bien impossible de rien préciser ; mais la nature de cette action, le point capital, je l'ai précisé de la manière la plus claire et la plus nette : Faire de l'instruction pure et simple, en dehors de toute préoccupation de secte et de parti ; c'est là un premier article uniforme, inscrit d'avance en tête de tous les prospectus ; là sera leur unité morale. Tout cercle qui viendrait à l'enfreindre sortirait de plein droit de la ligue.
Vous êtes, je ne saurais en douter, trop loyal pour ne pas convenir qu'il n'y aura place après cela pour aucune déception quand on en viendra à l'exécution. Il ne pourrait y avoir de déçus que ceux qui seraient entrés dans la ligue avec l'espoir secret de la faire servir au triomphe d'une opinion particulière : ils sont prévenus.
Quant aux intentions que pourrait avoir l'auteur du projet lui-même et à la confiance qu'il convient de lui accorder, permettez-moi de m'en tenir à la réponse que j'ai déjà faite une fois à un soupçon émis dans les Annales du travail, et dont je vous prie de vouloir bien prendre connaissance. Elle s'adresse à un doute sur mes tendances libérales ; elle peut s'adresser tout aussi bien aux doutes qui pourraient s'élever dans d'autres esprits sur la loyauté de ma déclaration de neutralité.
J'ose espérer, monsieur, que ces explications vous paraîtront suffisamment nettes pour modifier votre impression première, et que vous croirez bon, s'il en est ainsi, de le dire à vos lecteurs. Tout bon citoyen doit l'appui de son influence personnelle à ce qu'il reconnaît utile, et je me sens si convaincu de l'utilité de notre projet de Ligue, qu'il me paraît impossible qu'elle puisse échapper à un esprit aussi exercé que le vôtre.
Recevez, monsieur, mes bien cordiales et fraternelles salutations ;
Jean Macé.
A cette lettre, M. Macé a bien voulu joindre le n° des Annales du travail, où se trouve la réponse mentionnée ci-dessus, et que nous reproduisons intégralement :
Beblenheim, le 4 janvier 1867.
Monsieur le rédacteur,
L'objection qui vous a été faite relativement à une modification possible de mes idées libérales, et par suite au danger, possible aussi, d'une direction mauvaise donnée à l'enseignement de la Ligue, cette objection me paraît affligeante, et je vous demande la permission de répondre à ceux qui vous l'ont faite, non pas pour ce qui me concerne, – je le juge inutile, – mais pour l'honneur de mon idée qu'ils n'ont pas comprise. La Ligue n'enseigne rien, et n'aura pas de direction à donner ; il est donc superflu de s'inquiéter dès à présent des opinions plus ou moins libérales de celui qui cherche à la fonder.
Je fais appel à tous ceux qui prennent à cœur le développement de l'instruction dans leur pays et qui désirent y travailler, soit sur les autres, en enseignant, soit sur eux-mêmes, en apprenant. Je les invite à s'associer sur tous les points du territoire ; à faire acte de citoyens, en combattant l'ignorance, et de leur bourse, et de leur personne, ce qui vaut mieux encore ; à pourchasser homme à homme, les mauvais pères qui n'envoient pas leurs enfants à l'école ; à faire honte aux camarades qui ne savent ni lire, ni écrire, et à leur rappeler qu'il est toujours temps ; à leur mettre au besoin le livre et la plume à la main, en s'improvisant professeurs, chacun de ce qu'il sait ; à créer des cours et des bibliothèques, au profit des ignorants qui désirent cesser de l'être ; à former enfin par toute la France, un seul faisceau pour se prêter un mutuel appui contre les influences ennemies, – il y en a malheureusement d'une élévation, censée dangereuse, dans le niveau intellectuel du peuple.
Que tout cela parvienne à se faire, en quoi, s'il vous plaît, et dans quel sens inquiétant, ce mouvement universel pourrait-il être dirigé par n'importe qui ? Qu'il s'organise, par exemple, à Paris, entre ouvriers, des Sociétés de culture intellectuelle comme celles qui existent par centaines dans les villes d'Allemagne, et dont M. Edouard Pfeiffer, le président de l'association d'instruction populaire de Wurtemberg, expliquait le fonctionnement d'une façon si intéressante dans le n° de la Coopération du 30 septembre dernier ; que, dans le faubourg Saint-Antoine, dans le quartier du Temple, à Montmartre, aux Batignolles, des groupes de travailleurs, entrés dans la Ligue, s'entendent ensemble pour se donner, à certains jours, des soirées d'instruction avec des professeurs de bonne volonté, ou même rétribués, pourquoi pas ? – les ouvriers anglais et allemands ne se refusent pas ce luxe-là, – je voudrais bien savoir ce que viendront faire là-dedans les doctrines d'un professeur de demoiselles qui fait sa classe à Beblenheim, et qui n'a aucune envie de changer d'élèves. – Est-ce que ces gens-là ne seront pas chez eux ? Est-ce qu'ils auront des permissions à me demander ?
Ce n'est pas que je me défende d'avoir une doctrine en matière d'enseignement populaire. J'en ai une assurément ; je ne me serais pas permis, sans cela, de me mettre de mon propre chef, à la tête d'un mouvement comme celui-ci. La voici telle que je viens de la formuler dans l'Annuaire de l'association de 1867. C'est la dénégation même de toute direction « dans tel sens plutôt que dans un autre » pour me servir de l'expression de ceux qui ne sont pas entièrement sûrs de moi, et je me déclare prêt à mettre à son service tout ce que je puis avoir d'autorité personnelle, – je ne crains pas d'en parler parce que j'ai conscience de l'avoir légalement gagnée :
« Prêcher l'ignorant dans un sens ou dans un autre n'avance à rien et ne l'avance pas. Il demeure ensuite à la merci des prédications contraires, et n'en sait guère plus long qu'avant. Qu'il apprenne ce que savent ceux qui le prêchent, c'est tout autre chose ; il sera en état de se prêcher lui-même, et ceux qui craindraient qu'il soit à lui-même un mauvais prédicateur peuvent se rassurer d'avance. L'instruction n'a pas deux manières d'agir sur ceux qui la possèdent. S'ils s'en trouvent bien pour leur compte, pourquoi ne rendrait-elle pas le même service aux autres ? » Si vos correspondants « du dehors » connaissent une façon plus libérale d'entendre la question de l'enseignement populaire, qu'ils veuillent bien me l'apprendre. Je n'en connais pas.
Jean Macé.
P.-S. : Vous me priez de répondre à une question qui vous été faite sur la destination future des sommes souscrites pour la Ligue.
La souscription ouverte présentement est destinée à couvrir les frais de propagande du projet. Je publierai dans chaque bulletin, comme je viens de le faire dans le premier, l'état des recettes et des dépenses, et je rendrai mes comptes, avec pièces à l'appui, à la commission qui sera nommée à cet effet, dans la première assemblée générale.
Quand la Ligue sera constituée, l'emploi des cotisations annuelles devra être déterminé – c'est du moins mon avis – au sein des groupes d'adhérents qui se forment. Chaque groupe fixerait lui-même la part qu'il lui conviendrait de verser au fonds général de propagande de l'œuvre, où iraient également les cotisations des adhérents qui ne jugeraient pas à propos de s'engager dans un groupe spécial.
Réflexions sur les lettres précédentes
Cela tient sans doute au défaut de perspicacité de notre intelligence,
mais nous avouons en toute humilité n'être pas plus éclairé
qu'auparavant ; nous dirons même que les explications ci-dessus viennent
confirmer notre opinion. Il nous avait été dit que l'auteur du projet
avait un programme bien défini, mais qu'il se réservait de le faire
connaître lorsque les adhésions seraient suffisantes. Cette manière de
procéder ne nous paraissait ni logique, ni pratique, car en on ne peut
rationnellement adhérer à ce que l'on ne connaît pas ; or, la lettre que
M. Macé a bien voulu nous écrire, ne donne nullement à entendre qu'il
en soit ainsi ; elle dit au contraire : « Chaque groupe aura
nécessairement à faire lui-même son programme, ce qui signifie que
l'auteur n'en a pas un qui lui soit personnel. Il en résulte que s'il y a
mille groupes, il peut y avoir mille programmes ; c'est la porte
ouverte à l'anarchie des systèmes.
Il ajoute, il est vrai, que le point capital est précisé de la manière la plus claire et la plus nette par l'indication du but qui est de : « Faire de l'instruction pure et simple, en dehors de toute préoccupation de secte et de parti. » Le but est louable, sans doute, mais nous n'y voyons qu'une bonne intention, et non la précision indispensable dans les choses pratiques.
« Tout cercle, ajoute-t-il, qui viendrait à l'enfreindre sortirait de plein droit de la Ligue. » C'est là la mesure comminatoire ; eh bien ! ces cercles en seront quittes pour sortir de la Ligue, et pour en former d'autres à côté, sans croire avoir démérité en quoi que ce soit ; voilà donc la Ligue principale rompue dès son principe, faute d'une unité de vue et d'ensemble. Le but indiqué est si général qu'il se prête à une faute d'applications très contradictoires, et que chacun l'interprétant selon ses opinions personnelles, croira être dans le vrai. Où est d'ailleurs l'autorité qui peut légalement prononcer cette exclusion ? Il n'y en a pas ; il n'y a aucun centre régulateur ayant qualité pour apprécier ou contrôler les programmes individuels qui s'écarteraient du plan général. Chaque groupe étant sa propre autorité, et son centre d'action, est seul juge de ce qu'il fait ; dans de telles conditions, nous croyons une entente impossible.
Nous ne voyons jusqu'ici, dans ce projet, qu'une idée générale ; or, une idée n'est point un programme. Un programme est une ligne tracée dont nul ne peut s'écarter consciemment, un plan arrêté dans les plus minutieux détails, et qui ne laisse rien à l'arbitraire, où toutes les difficultés d'exécution sont prévues, où les voies et moyens sont indiqués. Le meilleur programme est celui qui laisse le moins possible à l'imprévu.
« Il m'était bien impossible de rien préciser, dit l'auteur, puisque la mesure d'action de chaque groupe sera nécessairement déterminée par ses moyens d'action ; » en d'autres termes, par les ressources matérielles dont il pourra disposer. Mais ce n'est pas là une raison. Tous les jours on fait des plans, on élabore des projets subordonnés aux moyens éventuels d'exécution ; c'est seulement en voyant un plan, que le public se décide à s'y associer selon qu'il en comprend l'utilité et y voit des éléments de succès.
Ce qu'il aurait fallu faire avant tout, c'eût été de signaler avec précision les lacunes de l'enseignement que l'on se proposait de combler, les besoins auxquels on voulait pourvoir ; dire : si l'on entendait favoriser la gratuité de l'enseignement en rétribuant ou indemnisant les instituteurs et les institutrices ; fonder des écoles où il n'y en a pas ; suppléer à l'insuffisance du matériel d'instruction dans les écoles trop pauvres pour s'en pourvoir ; fournir les livres aux enfants qui ne peuvent s'en procurer ; fonder des prix d'encouragement pour les élèves et les instituteurs ; créer des cours d'adultes ; payer des hommes de talent pour aller, comme des missionnaires, faire des conférences instructives dans les campagnes, y détruire les idées superstitieuses à l'aide de la science ; définir l'objet et l'esprit de ces cours et de ces conférences, etc., ces choses-là ou d'autres. Alors seulement le but aurait été nettement spécifié. Puis on aurait dit : « Pour l'atteindre, il faut des ressources matérielles ; nous faisons appel aux hommes de bonne volonté, aux amis du progrès, à ceux qui sympathisent avec nos idées ; qu'ils forment des comités par départements, arrondissements, cantons ou communes, chargés de recueillir les souscriptions. Il n'y aura point de caisse générale et centrale, chaque comité aura la sienne dont il dirigera l'emploi selon le programme tracé, en raison des ressources dont il pourra disposer ; s'il recueille beaucoup, il fera beaucoup, s'il recueille peu, il fera moins. Mais il y aura un comité directeur, chargé de centraliser les renseignements, de transmettre les avis et les instructions nécessaires, de résoudre les difficultés qui pourraient surgir, d'imprimer à l'ensemble le cachet d'unité, sans lequel la ligue serait un vain mot. Une ligue s'entend d'une association d'individus marchant d'un commun accord et solidairement vers la réalisation d'un but déterminé ; or, dès l'instant que chacun peut entendre ce but à sa manière, et agir à sa guise, il n'y a plus ni ligue, ni association.
Il ne s'agit pas seulement ici d'un but à atteindre ; dès l'instant que sa réalisation repose sur des capitaux à recueillir par voie de souscriptions, il y a combinaison financière ; la partie économique du projet ne peut être laissée au caprice des individus, ni au hasard des événements sous peine de péricliter ; elle demande une élaboration préalable sérieuse, un plan conçu avec prévoyance en prévision de toutes les éventualités.
Un point essentiel auquel on ne paraît pas avoir songé, est celui-ci : Le but qu'on se propose étant permanent, et non temporaire comme lorsqu'il s'agit d'une infortune à soulager, ou d'un monument à élever, exige des ressources permanentes. L'expérience prouvant qu'il ne faut jamais compter sur des souscriptions volontaires régulières et perpétuelles, si l'on opérait directement avec le produit des souscriptions, ce produit serait bientôt absorbé. Si l'on veut que l'opération ne soit pas arrêtée dans sa source même, il faut constituer un revenu pour ne pas vivre sur son capital ; par conséquent, capitaliser les souscriptions de la manière la plus sûre et la plus productive. Comment ? avec quelle garantie et sous quel contrôle ? Voilà ce que tout projet reposant sur un mouvement de capitaux, doit avant tout prévoir et déterminer avant de rien encaisser, comme il doit également déterminer l'emploi et la répartition des fonds versés par anticipation, dans le cas où, par une cause quelconque, il n'y serait pas donné suite. Par sa nature, le projet comporte une partie économique d'autant plus importante, que c'est d'elle que dépend son avenir, et qui fait ici totalement défaut.
Supposons qu'avant l'établissement des sociétés d'assurance, un homme eût dit : « Les incendies font journellement des ravages ; j'ai pensé qu'en s'associant et en se cotisant on pourrait atténuer les effets du fléau ; comment ? je l'ignore ; souscrivez d'abord, et nous aviserons ensuite ; vous chercherez vous-mêmes le moyen qui vous conviendra le mieux, et vous tâcherez de vous entendre. » Sans doute, l'idée eut souri à beaucoup ; mais quand on se serait mis à l'œuvre, à combien de difficultés pratiques ne se serait-on pas heurté, faute d'avoir eu une base préalablement élaborée ! Il nous semble que le cas est ici à peu près le même.
La lettre publiée dans les Annales du travail, et rapportée ci-dessus, n'élucide pas davantage la question ; elle confirme que le plan et l'exécution du projet sont laissés à l'arbitraire et à l'initiative des souscripteurs ; or, quand l'initiative est laissée à tout le monde, personne ne la prend. D'ailleurs, si les hommes ont assez de jugement pour apprécier si ce qu'on leur offre est bon ou mauvais, tous ne sont pas aptes à élaborer une idée, surtout lorsqu'elle embrasse un champ aussi vaste que celui-ci. Cette élaboration est le complément indispensable de l'idée première. Une ligue est un corps organisé qui doit avoir un règlement, des statuts, pour marcher avec ensemble, si elle veut arriver à un résultat. Si M. Macé eût établi des statuts, même provisoires, sauf à les soumettre plus tard à l'approbation des souscripteurs qui eussent été libres de les modifier, ainsi que cela se pratique dans toutes les associations, il eût donné un corps à la Ligue, un point de ralliement, tandis qu'elle n'a ni l'un ni l'autre. Nous disons même qu'elle n'a pas de drapeau, puisqu'il est dit dans la lettre précitée : La ligue n'enseignera rien, et n'aura pas de direction à donner ; il est donc superflu de s'inquiéter dès à présent des opinions plus ou moins libérales de celui qui cherche à la fonder. Nous concevrions ce raisonnement s'il s'agissait d'une opération industrielle ; mais dans une question aussi délicate que l'enseignement, qui est envisagé à des points de vue si controversés, qui touche aux plus graves intérêts de l'ordre social, nous ne comprenons pas qu'il puisse être fait abstraction de l'opinion de celui qui, à titre de fondateur, doit être l'âme de l'entreprise. Cette assertion est une erreur regrettable.
Du vague qui règne dans l'économie du projet, il résulte qu'en souscrivant, nul ne sait à quoi ni pour quoi il s'engage, puisqu'il ne sait quelle direction prendra le groupe dont il fera partie ; qu'il se trouvera même des souscripteurs ne faisant partie d'aucun groupe. L'organisation de ces groupes n'est pas même déterminée ; leurs circonscriptions, leurs attributions, leur sphère d'activité, tout est laissé dans l'inconnu. Personne n'a qualité pour les convoquer ; contrairement à ce qui se pratique en pareil cas, aucun comité de surveillance n'est institué pour régler et contrôler l'emploi des fonds versés par anticipation et qui servent à payer les frais de propagande de l'idée. Puisqu'il y a des frais généraux acquittés avec les fonds des souscripteurs, il faudrait que ces derniers sussent en quoi ils consistent. L'auteur veut leur laisser toute latitude pour s'organiser comme ils l'entendront ; il ne veut être que le promoteur de l'idée ; soit, et loin de nous la pensée d'élever contre sa personne le moindre soupçon de défiance ; mais nous disons que pour la marche régulière d'une opération de ce genre et pour en assurer le succès, il est des mesures préliminaires indispensables qui ont été totalement négligées, ce que nous voyons avec regret, dans l'intérêt même de la chose ; si c'est à dessein, nous croyons la pensée mal fondée ; si c'est oubli, c'est fâcheux.
Nous n'avons qualité pour donner aucun conseil dans cette question, mais voici généralement comment on procède en pareil cas.
Lorsque l'auteur d'un projet qui nécessite un appel à la confiance publique, ne veut pas assumer sur lui seul la responsabilité de l'exécution, et aussi dans le but de s'entourer de plus de lumières, il réunit tout d'abord autour de lui un certain nombre de personnes dont les noms sont une recommandation, qui s'associent à son idée et l'élaborent avec lui. Ces personnes constituent un premier comité, soit consultatif, soit coopératif, provisoire jusqu'à la constitution définitive de l'opération et à la nomination d'un conseil permanent de surveillance par les intéressés. Ce comité est pour ces derniers une garantie par le contrôle qu'il exerce sur les premières opérations dont il est chargé de rendre compte ainsi que des premières dépenses. C'est en outre un appui et une décharge de responsabilité pour le fondateur. Celui-ci parlant au nom, et s'étayant de l'avis de plusieurs, puise, dans cette autorité collective une force morale toujours plus prépondérante sur l'opinion des masses que l'autorité d'un seul. Si l'on eût procédé ainsi pour la Ligue de l'enseignement, et si ce projet eût été présenté dans les formes usitées, et dans des conditions plus pratiques, les adhérents auraient sans aucun doute été plus nombreux, mais tel qu'il est, il laisse trop à l'indécis, selon nous.
Quoique ce projet soit livré à la publicité, et par conséquent au libre examen de chacun, nous n'en aurions point parlé, si nous n'y eussions été en quelque sorte contraint par les demandes qui nous étaient adressées. En principe, sur les choses auxquelles, à notre point de vue, nous ne pouvons donner une approbation entière, nous préférons garder le silence afin de n'y apporter aucune entrave. De nouvelles explications nous ayant été demandées à propos de notre dernier article, nous avons cru nécessaire de motiver notre manière de voir avec plus de précision. Mais encore une fois, nous ne donnons que notre opinion qui n'engage personne ; nous serions heureux d'être seul de notre avis, et que l'événement vînt prouver que nous nous sommes trompé. Nous nous associons de grand cœur à l'idée mère, mais non à son mode d'exécution.
Il ajoute, il est vrai, que le point capital est précisé de la manière la plus claire et la plus nette par l'indication du but qui est de : « Faire de l'instruction pure et simple, en dehors de toute préoccupation de secte et de parti. » Le but est louable, sans doute, mais nous n'y voyons qu'une bonne intention, et non la précision indispensable dans les choses pratiques.
« Tout cercle, ajoute-t-il, qui viendrait à l'enfreindre sortirait de plein droit de la Ligue. » C'est là la mesure comminatoire ; eh bien ! ces cercles en seront quittes pour sortir de la Ligue, et pour en former d'autres à côté, sans croire avoir démérité en quoi que ce soit ; voilà donc la Ligue principale rompue dès son principe, faute d'une unité de vue et d'ensemble. Le but indiqué est si général qu'il se prête à une faute d'applications très contradictoires, et que chacun l'interprétant selon ses opinions personnelles, croira être dans le vrai. Où est d'ailleurs l'autorité qui peut légalement prononcer cette exclusion ? Il n'y en a pas ; il n'y a aucun centre régulateur ayant qualité pour apprécier ou contrôler les programmes individuels qui s'écarteraient du plan général. Chaque groupe étant sa propre autorité, et son centre d'action, est seul juge de ce qu'il fait ; dans de telles conditions, nous croyons une entente impossible.
Nous ne voyons jusqu'ici, dans ce projet, qu'une idée générale ; or, une idée n'est point un programme. Un programme est une ligne tracée dont nul ne peut s'écarter consciemment, un plan arrêté dans les plus minutieux détails, et qui ne laisse rien à l'arbitraire, où toutes les difficultés d'exécution sont prévues, où les voies et moyens sont indiqués. Le meilleur programme est celui qui laisse le moins possible à l'imprévu.
« Il m'était bien impossible de rien préciser, dit l'auteur, puisque la mesure d'action de chaque groupe sera nécessairement déterminée par ses moyens d'action ; » en d'autres termes, par les ressources matérielles dont il pourra disposer. Mais ce n'est pas là une raison. Tous les jours on fait des plans, on élabore des projets subordonnés aux moyens éventuels d'exécution ; c'est seulement en voyant un plan, que le public se décide à s'y associer selon qu'il en comprend l'utilité et y voit des éléments de succès.
Ce qu'il aurait fallu faire avant tout, c'eût été de signaler avec précision les lacunes de l'enseignement que l'on se proposait de combler, les besoins auxquels on voulait pourvoir ; dire : si l'on entendait favoriser la gratuité de l'enseignement en rétribuant ou indemnisant les instituteurs et les institutrices ; fonder des écoles où il n'y en a pas ; suppléer à l'insuffisance du matériel d'instruction dans les écoles trop pauvres pour s'en pourvoir ; fournir les livres aux enfants qui ne peuvent s'en procurer ; fonder des prix d'encouragement pour les élèves et les instituteurs ; créer des cours d'adultes ; payer des hommes de talent pour aller, comme des missionnaires, faire des conférences instructives dans les campagnes, y détruire les idées superstitieuses à l'aide de la science ; définir l'objet et l'esprit de ces cours et de ces conférences, etc., ces choses-là ou d'autres. Alors seulement le but aurait été nettement spécifié. Puis on aurait dit : « Pour l'atteindre, il faut des ressources matérielles ; nous faisons appel aux hommes de bonne volonté, aux amis du progrès, à ceux qui sympathisent avec nos idées ; qu'ils forment des comités par départements, arrondissements, cantons ou communes, chargés de recueillir les souscriptions. Il n'y aura point de caisse générale et centrale, chaque comité aura la sienne dont il dirigera l'emploi selon le programme tracé, en raison des ressources dont il pourra disposer ; s'il recueille beaucoup, il fera beaucoup, s'il recueille peu, il fera moins. Mais il y aura un comité directeur, chargé de centraliser les renseignements, de transmettre les avis et les instructions nécessaires, de résoudre les difficultés qui pourraient surgir, d'imprimer à l'ensemble le cachet d'unité, sans lequel la ligue serait un vain mot. Une ligue s'entend d'une association d'individus marchant d'un commun accord et solidairement vers la réalisation d'un but déterminé ; or, dès l'instant que chacun peut entendre ce but à sa manière, et agir à sa guise, il n'y a plus ni ligue, ni association.
Il ne s'agit pas seulement ici d'un but à atteindre ; dès l'instant que sa réalisation repose sur des capitaux à recueillir par voie de souscriptions, il y a combinaison financière ; la partie économique du projet ne peut être laissée au caprice des individus, ni au hasard des événements sous peine de péricliter ; elle demande une élaboration préalable sérieuse, un plan conçu avec prévoyance en prévision de toutes les éventualités.
Un point essentiel auquel on ne paraît pas avoir songé, est celui-ci : Le but qu'on se propose étant permanent, et non temporaire comme lorsqu'il s'agit d'une infortune à soulager, ou d'un monument à élever, exige des ressources permanentes. L'expérience prouvant qu'il ne faut jamais compter sur des souscriptions volontaires régulières et perpétuelles, si l'on opérait directement avec le produit des souscriptions, ce produit serait bientôt absorbé. Si l'on veut que l'opération ne soit pas arrêtée dans sa source même, il faut constituer un revenu pour ne pas vivre sur son capital ; par conséquent, capitaliser les souscriptions de la manière la plus sûre et la plus productive. Comment ? avec quelle garantie et sous quel contrôle ? Voilà ce que tout projet reposant sur un mouvement de capitaux, doit avant tout prévoir et déterminer avant de rien encaisser, comme il doit également déterminer l'emploi et la répartition des fonds versés par anticipation, dans le cas où, par une cause quelconque, il n'y serait pas donné suite. Par sa nature, le projet comporte une partie économique d'autant plus importante, que c'est d'elle que dépend son avenir, et qui fait ici totalement défaut.
Supposons qu'avant l'établissement des sociétés d'assurance, un homme eût dit : « Les incendies font journellement des ravages ; j'ai pensé qu'en s'associant et en se cotisant on pourrait atténuer les effets du fléau ; comment ? je l'ignore ; souscrivez d'abord, et nous aviserons ensuite ; vous chercherez vous-mêmes le moyen qui vous conviendra le mieux, et vous tâcherez de vous entendre. » Sans doute, l'idée eut souri à beaucoup ; mais quand on se serait mis à l'œuvre, à combien de difficultés pratiques ne se serait-on pas heurté, faute d'avoir eu une base préalablement élaborée ! Il nous semble que le cas est ici à peu près le même.
La lettre publiée dans les Annales du travail, et rapportée ci-dessus, n'élucide pas davantage la question ; elle confirme que le plan et l'exécution du projet sont laissés à l'arbitraire et à l'initiative des souscripteurs ; or, quand l'initiative est laissée à tout le monde, personne ne la prend. D'ailleurs, si les hommes ont assez de jugement pour apprécier si ce qu'on leur offre est bon ou mauvais, tous ne sont pas aptes à élaborer une idée, surtout lorsqu'elle embrasse un champ aussi vaste que celui-ci. Cette élaboration est le complément indispensable de l'idée première. Une ligue est un corps organisé qui doit avoir un règlement, des statuts, pour marcher avec ensemble, si elle veut arriver à un résultat. Si M. Macé eût établi des statuts, même provisoires, sauf à les soumettre plus tard à l'approbation des souscripteurs qui eussent été libres de les modifier, ainsi que cela se pratique dans toutes les associations, il eût donné un corps à la Ligue, un point de ralliement, tandis qu'elle n'a ni l'un ni l'autre. Nous disons même qu'elle n'a pas de drapeau, puisqu'il est dit dans la lettre précitée : La ligue n'enseignera rien, et n'aura pas de direction à donner ; il est donc superflu de s'inquiéter dès à présent des opinions plus ou moins libérales de celui qui cherche à la fonder. Nous concevrions ce raisonnement s'il s'agissait d'une opération industrielle ; mais dans une question aussi délicate que l'enseignement, qui est envisagé à des points de vue si controversés, qui touche aux plus graves intérêts de l'ordre social, nous ne comprenons pas qu'il puisse être fait abstraction de l'opinion de celui qui, à titre de fondateur, doit être l'âme de l'entreprise. Cette assertion est une erreur regrettable.
Du vague qui règne dans l'économie du projet, il résulte qu'en souscrivant, nul ne sait à quoi ni pour quoi il s'engage, puisqu'il ne sait quelle direction prendra le groupe dont il fera partie ; qu'il se trouvera même des souscripteurs ne faisant partie d'aucun groupe. L'organisation de ces groupes n'est pas même déterminée ; leurs circonscriptions, leurs attributions, leur sphère d'activité, tout est laissé dans l'inconnu. Personne n'a qualité pour les convoquer ; contrairement à ce qui se pratique en pareil cas, aucun comité de surveillance n'est institué pour régler et contrôler l'emploi des fonds versés par anticipation et qui servent à payer les frais de propagande de l'idée. Puisqu'il y a des frais généraux acquittés avec les fonds des souscripteurs, il faudrait que ces derniers sussent en quoi ils consistent. L'auteur veut leur laisser toute latitude pour s'organiser comme ils l'entendront ; il ne veut être que le promoteur de l'idée ; soit, et loin de nous la pensée d'élever contre sa personne le moindre soupçon de défiance ; mais nous disons que pour la marche régulière d'une opération de ce genre et pour en assurer le succès, il est des mesures préliminaires indispensables qui ont été totalement négligées, ce que nous voyons avec regret, dans l'intérêt même de la chose ; si c'est à dessein, nous croyons la pensée mal fondée ; si c'est oubli, c'est fâcheux.
Nous n'avons qualité pour donner aucun conseil dans cette question, mais voici généralement comment on procède en pareil cas.
Lorsque l'auteur d'un projet qui nécessite un appel à la confiance publique, ne veut pas assumer sur lui seul la responsabilité de l'exécution, et aussi dans le but de s'entourer de plus de lumières, il réunit tout d'abord autour de lui un certain nombre de personnes dont les noms sont une recommandation, qui s'associent à son idée et l'élaborent avec lui. Ces personnes constituent un premier comité, soit consultatif, soit coopératif, provisoire jusqu'à la constitution définitive de l'opération et à la nomination d'un conseil permanent de surveillance par les intéressés. Ce comité est pour ces derniers une garantie par le contrôle qu'il exerce sur les premières opérations dont il est chargé de rendre compte ainsi que des premières dépenses. C'est en outre un appui et une décharge de responsabilité pour le fondateur. Celui-ci parlant au nom, et s'étayant de l'avis de plusieurs, puise, dans cette autorité collective une force morale toujours plus prépondérante sur l'opinion des masses que l'autorité d'un seul. Si l'on eût procédé ainsi pour la Ligue de l'enseignement, et si ce projet eût été présenté dans les formes usitées, et dans des conditions plus pratiques, les adhérents auraient sans aucun doute été plus nombreux, mais tel qu'il est, il laisse trop à l'indécis, selon nous.
Quoique ce projet soit livré à la publicité, et par conséquent au libre examen de chacun, nous n'en aurions point parlé, si nous n'y eussions été en quelque sorte contraint par les demandes qui nous étaient adressées. En principe, sur les choses auxquelles, à notre point de vue, nous ne pouvons donner une approbation entière, nous préférons garder le silence afin de n'y apporter aucune entrave. De nouvelles explications nous ayant été demandées à propos de notre dernier article, nous avons cru nécessaire de motiver notre manière de voir avec plus de précision. Mais encore une fois, nous ne donnons que notre opinion qui n'engage personne ; nous serions heureux d'être seul de notre avis, et que l'événement vînt prouver que nous nous sommes trompé. Nous nous associons de grand cœur à l'idée mère, mais non à son mode d'exécution.
Manifestations spontanées
Moulin de Vicq-sur-Nahon
Sous le titre de : Le diable au moulin, le Moniteur de l'Indre de février 1867 contient le récit suivant :
« Le sieur Garnier, François, est fermier et meunier au bourg de Vicq-sur-Nahon. C'est, nous aimons à le penser, un homme paisible, et cependant, depuis le mois de septembre, son moulin est le théâtre de faits miraculeux, propres à faire supposer que le Diable, ou tout au moins un Esprit facétieux, y a fait élection de domicile. Par exemple, il paraît hors de doute que, diable ou Esprit, l'auteur des faits que nous avons à raconter, aime à dormir la nuit, car il ne travaille que le jour.
Notre Esprit aime à jongler avec les draps des lits. Il les prend sans que personne s'en aperçoive, les emporte et va les cacher soit dans un poinçon, soit dans le four, soit sous des bottes de foin. Il transporte d'une écurie dans une autre les draps du lit du garçon d'écurie, et on les retrouve plus d'une heure après sous du foin ou dans un râtelier. Pour ouvrir les portes, l'Esprit de Vicq-sur-Nahon n'a pas besoin de clé. Un jour le sieur Garnier, en présence de ses domestiques, ferme à double tour la porte de la boulangerie et met la clé dans sa poche, et cependant cette porte s'ouvre presque immédiatement sous les yeux de Garnier et de ses domestiques sans qu'ils puissent s'expliquer comment.
Une autre fois, le 1er janvier, – façon tout à fait neuve de souhaiter la bonne année à quelqu'un, – un peu avant la nuit, le lit de plumes, les draps, les couvertures d'un lit placé dans une chambre sont enlevés sans que le lit soit dérangé, et on retrouve ces objets à terre près de la porte de la chambre. Garnier et les siens imaginent alors, dans l'espérance de conjurer toute cette sorcellerie, de changer les lits de chambre, ce qui a lieu en effet ; mais le déménagement opéré, les faits diaboliques que nous venons de raconter recommencent de plus belle. A différentes reprises, un garçon d'écurie trouve ouvert le coffre où il serre ses effets, et ceux-ci épars dans l'écurie.
Mais voici deux circonstances où se révèle toute l'habileté diabolique de l'Esprit. Au nombre des domestiques du sieur Garnier se trouve une petite fille de 13 ans, nommée Marie Richard. Un jour, cette enfant, étant dans une chambre, vit tout à coup se dresser sur le lit une petite chapelle, et tous les objets placés sur la cheminée, 4 vases, 1 christ, 3 verres, 2 tasses, dans l'une desquelles était de l'eau bénite, et une petite bouteille remplie aussi d'eau bénite, aller successivement, comme obéissant à l'ordre d'un être invisible, prendre place sur l'autel improvisé. La porte de la chambre était entrouverte, et la femme du frère de la petite Richard près de la porte. Une ombre est sortie de la chapelle, au dire de la petite Richard, s'est approchée de l'enfant et l'a chargée d'inviter ses maîtres à donner un pain bénit et à faire dire une messe. L'enfant le promit ; pendant neuf jours le calme régna dans le moulin ; Garnier fait dire la messe par le curé de Vicq, offre un pain bénit, et dès le lendemain, 15 janvier, les diableries recommencent.
Les clés des portes disparaissent ; les portes qu'on a laissées ouvertes se trouvent fermées, et un serrurier appelé pour ouvrir la porte du moulin, ne peut y parvenir et se voit dans la nécessité de démonter la serrure. Ces derniers faits se passaient le 29 janvier. Le même jour, vers midi, comme les domestiques prenaient leurs repas, la fille Richard prend un broc de boisson, se sert à boire, et la montre du sieur Garnier, accrochée à un clou de la cheminée, tombe dans son verre. On replace la montre à la cheminée ; mais la fille Richard, en se servant d'un plat servi sur la table, amène la montre avec sa cuillère. Pour la troisième fois, on accroche la montre à sa place, et, pour la troisième fois, la petite Richard la trouve dans un pot qui bouillait devant le feu, ainsi qu'une petite bouteille renfermant un médicament, et dont le bouchon lui saute au visage.
Bref, la terreur s'empare des habitants du moulin ; personne ne veut plus rester dans une maison ensorcelée. Enfin Garnier prit le parti de prévenir M. le commissaire de police de Valençay qui se rendit à Vicq, accompagné de deux gendarmes. Mais le diable n'a pas jugé à propos de se montrer aux agents de l'autorité. Seulement, ceux-ci ont conseillé à Garnier de renvoyer la fille Richard, ce qu'il a fait aussitôt. Cette mesure aura-t-elle suffi à mettre le diable en déroute ? Espérons-le, pour le repos des gens du moulin.
Dans un numéro postérieur, le Moniteur de l'Indre contient ce qui suit :
« Nous avons raconté, en leur temps, toutes les diableries qui se sont passées au moulin de Vicq-sur-Nahon, dont le sieur Garnier est locataire. Ces diableries, jusqu'à présent comiques, commencent à tourner à la tragédie. Après les farces, les jongleries, les tours de prestidigitation, voici que le diable a recours à l'incendie.
Le 12 de ce mois, deux tentatives d'incendie ont eu lieu presque simultanément dans les écuries du sieur Garnier. La première a lieu vers cinq heures du soir. Le feu a pris dans la paille, au pied du lit des garçons meuniers. Le second incendie a éclaté environ une heure après le premier, mais dans une autre écurie. Le feu a pris également au pied d'un lit et dans la paille.
Ces deux incendies ont été heureusement éteints par le père de Garnier, âgé de quatre-vingts ans, et ses domestiques, prévenus par la nommée Marie Richard.
Nos lecteurs doivent se rappeler que cette jeune fille, âgée de quatorze ans, s'apercevait toujours la première des sorcelleries qui avaient lieu au moulin, si bien que, sur les conseils qui lui avaient été donnés, Garnier avait renvoyé de chez lui la fille Richard. Lorsque les deux incendies ont éclaté, cette fille était rentrée depuis quinze jours chez le sieur Garnier. C'est elle encore qui s'est aperçue la première des deux incendies du 12 mars.
D'après les recherches faites au moulin, les soupçons se portèrent sur deux domestiques.
La famille Garnier est tellement frappée des événements dont son moulin a été le théâtre, qu'elle s'est persuadée que le diable, ou tout au moins quelque Esprit malfaisant a élu domicile dans leur demeure. »
Un de nos amis a écrit au sieur Garnier, en le priant de lui faire savoir si les faits rapportés par le journal étaient réels ou des contes faits à plaisir, et dans tous les cas, ce qu'il pouvait y avoir de vrai ou d'exagéré dans ce récit.
M. Garnier a répondu que tout était d'une parfaite exactitude et conforme à la déclaration que lui-même avait faite au commissaire de police de Valençay. Il confirme aussi les deux incendies et ajoute : Le journal n'a même pas tout raconté. Selon sa lettre, les faits se produisaient depuis quatre à cinq mois, et ce n'est que, poussé à bout par leur répétition, sans pouvoir en découvrir l'auteur, qu'il a fait sa déclaration. Il termine en disant : « Je ne sais, monsieur, dans quel but vous me demandez ces renseignements ; mais, si vous avez quelques connaissances dans ces choses-là, je vous prie de prendre part à mes peines, car je vous assure que nous ne sommes pas à notre aise dans notre maison. Si vous pouvez trouver un moyen de découvrir l'auteur de tous ces faits scandaleux, vous nous rendriez un grand service. »
Un point important à éclaircir était de savoir quelle pouvait être la participation de la jeune fille, soit volontairement par malice, soit inconsciemment par son influence. Sur cette question, le sieur Garnier dit que l'enfant n'ayant été hors de la maison que pendant quinze jours, il n'a pu juger de l'effet de son absence ; mais qu'il n'a aucun soupçon sur elle, comme malveillance, non plus que sur ses autres domestiques ; qu'elle avait presque toujours annoncé ce qui se passait hors de sa portée ; qu'ainsi, elle avait dit plusieurs fois : « Voilà le lit qui se bouleverse dans telle chambre, » et qu'y étant entré sans la perdre de vue, on trouvait le lit bouleversé ; qu'elle a pareillement prévenu des deux incendies arrivés depuis son retour.
Ces faits, comme on le voit, appartiennent au même genre de phénomènes que ceux de Poitiers (revue de février et mars 1864, pages 47 et 78, – id., mai 1865, page 134) ; de Marseille (avril 1865, page 121) ; de Dieppe (mars 1860, page 76), et tant d'autres qu'on peut appeler manifestations tapageuses et perturbatrices.
Nous ferons d'abord remarquer la différence qui existe entre le ton de ce récit et celui du journal de Poitiers à l'occasion de ce qui s'est passé dans cette ville. On se rappelle le déluge de sarcasmes qu'il fit pleuvoir à ce sujet sur les Spirites, et sa persistance à soutenir contre l'évidence que ce ne pouvait être que l'œuvre de mauvais plaisants qu'on ne tarderait pas à découvrir, et qu'en définitive on n'a jamais découverts. Le Moniteur de l'Indre, plus prudent, se borne à un récit qui n'est assaisonné d'aucune plaisanterie déplacée, et qui implique plutôt une affirmation qu'une négation.
Une autre remarque, c'est que des faits de ce genre ont eu lieu bien avant qu'il ne fût question du Spiritisme, et que depuis ils se sont presque toujours passés chez des gens qui ne le connaissaient même pas de nom, ce qui exclut toute influence due à la croyance et à l'imagination. Si l'on accusait les Spirites de simuler ces manifestations dans un but de propagande, on demanderait qui pouvait les produire avant qu'il n'y eût des Spirites.
Ne connaissant ce qui s'est passé au moulin de Vicq-sur-Nahon que par le récit qui en est fait, nous nous bornons à constater qu'ici rien ne s'écarte de ce dont le Spiritisme admet la possibilité, ni des conditions normales dans lesquelles de pareils faits peuvent se produire ; que ces faits s'expliquent par des lois parfaitement naturelles, et n'ont par conséquent rien de merveilleux. L'ignorance de ces lois a seule pu, jusqu'à ce jour, les faire considérer comme des effets surnaturels, ainsi qu'il en a été de presque tous les phénomènes dont la science a plus tard révélé les lois.
Ce qui peut sembler plus extraordinaire, et s'explique moins facilement, c'est le fait des portes ouvertes après avoir été soigneusement fermées à clef. Les manifestations modernes en offrent plusieurs exemples. Un fait analogue s'est passé à Limoges, il y a quelques années (Revue d'août 1860, page 249). De ce que l'état de nos connaissances ne nous permettrait pas d'en donner encore une explication concluante, cela ne préjugerait rien, car nous sommes loin de connaître toutes les lois qui régissent le monde invisible, toutes les forces que recèle ce monde, ni toutes les applications des lois que nous connaissons. Le Spiritisme n'a pas encore dit son dernier mot, tant s'en faut, pas plus sur les choses physiques que sur les choses spirituelles. Bien des découvertes seront le fruit d'observations ultérieures. Le Spiritisme n'a fait en quelque sorte, jusqu'à présent, que poser les premiers jalons d'une science dont la portée est inconnue. A l'aide de ce qu'il a déjà découvert, il ouvre à ceux qui viendront après nous la voie des investigations dans un ordre spécial d'idées. Il ne procède que par observations et déductions et jamais par supposition. Si un fait est constaté, il se dit qu'il doit avoir une cause, et que cette cause ne peut être que naturelle, et alors il la cherche. A défaut d'une démonstration catégorique, il peut donner une hypothèse, mais jusqu'à confirmation, il ne la donne que comme hypothèse, et non comme vérité absolue. A l'égard du phénomène des portes ouvertes, comme à celui des apports à travers les corps rigides, il en est encore réduit à une hypothèse basée sur les propriétés fluidiques de la matière, très imparfaitement connues, ou, pour mieux dire, qui ne sont encore que soupçonnées. Si le fait en question est confirmé par l'expérience, il doit avoir, comme nous l'avons dit, une cause naturelle ; s'il se répète, c'est qu'il n'est pas une exception mais la conséquence d'une loi. La possibilité de la délivrance de saint Pierre dans sa prison, rapportée Actes des apôtres, chap. xii, serait ainsi démontrée sans qu'il fût besoin d'avoir recours à un miracle.
De tous les effets médianimiques, les manifestations physiques sont les plus faciles à simuler ; aussi faut-il se garder d'accepter trop légèrement comme authentiques les faits de ce genre, qu'ils soient spontanés comme ceux du moulin de Vicq-sur-Nahon, ou consciemment provoqués par un médium. L'imitation ne saurait, il est vrai, être que grossière et imparfaite, mais avec de l'adresse on peut aisément donner le change, comme on l'a fait dans un temps pour la double vue, à ceux qui ne connaissent pas les conditions dans lesquelles les phénomènes réels peuvent se produire. Nous avons vu de soi-disant médiums d'une rare habileté à simuler les apports, l'écriture directe et autres genres de manifestations. Il faut donc n'admettre qu'à bon escient l'intervention des Esprits dans ces sortes de choses.
Dans le cas dont il s'agit, nous n'affirmons pas cette intervention ; nous nous bornons à dire qu'elle est possible. Les deux commencements d'incendie pourraient seuls faire suspecter un acte humain suscité par la malveillance, que l'avenir fera sans doute découvrir. Il est bon toutefois de remarquer que, grâce à la clairvoyance de la jeune fille, les suites en ont pu être prévenues. A l'exception de ce dernier fait, les autres n'étaient que des espiègleries sans conséquences fâcheuses. S'ils sont l'œuvre des Esprits, ils ne peuvent provenir que d'Esprits légers, s'amusant des frayeurs et des impatiences qu'ils causent. On sait qu'il y en a de tous les caractères comme ici-bas. Le meilleur moyen de s'en débarrasser, c'est de ne pas s'en inquiéter, et de lasser leur patience qui n'est jamais de bien longue durée, quand ils voient qu'on n'en prend nul souci, ce qu'on leur prouve en riant soi-même de leurs malices et en les mettant au défi d'en faire davantage. Le plus sûr moyen de les exciter à persévérer, c'est de se tourmenter et de se mettre en colère contre eux. On peut encore s'en débarrasser en les évoquant à l'aide d'un bon médium, et en priant pour eux ; alors, en s'entretenant avec eux, on peut savoir ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent, et leur faire entendre raison.
Ces sortes de manifestations ont, du reste, un résultat plus sérieux ; celui de propager l'idée du monde invisible qui nous entoure, et d'affirmer son action sur le monde matériel. C'est pour cela qu'elles se produisent de préférence chez les gens étrangers au Spiritisme, plutôt que chez les Spirites qui n'en ont pas besoin pour se convaincre.
La fraude, en pareil cas, peut quelquefois n'être qu'une innocente plaisanterie, ou un moyen de se donner de l'importance en faisant croire à une faculté qu'on ne possède pas, ou qu'on ne possède qu'imparfaitement ; mais le plus souvent elle a pour mobile un intérêt patent ou dissimulé, et pour but d'exploiter la confiance de gens trop crédules ou inexpérimentés ; c'est alors une véritable escroquerie. Il serait superflu d'insister pour dire que ceux qui se rendent coupables de tromperies quelconques en ce genre, n'y fussent-ils sollicités que par l'amour-propre, ne sont pas Spirites, lors même qu'ils se donneraient pour tels. Les phénomènes réels ont un caractère sui generis, et se produisent dans des circonstances qui défient toute suspicion. Une connaissance complète de ces caractères et de ces circonstances peut facilement faire découvrir la supercherie.
Si ces explications vont à la connaissance du sieur Garnier, il y trouvera la réponse à la demande qu'il fait dans sa lettre.
Un de nos correspondants nous transmet le récit, écrit par un témoin oculaire, de manifestations analogues qui ont eu lieu en janvier dernier au bourg de la Basse-Indre (Loire inférieure). Elles ont consisté en des coups frappés avec obstination pendant plusieurs semaines, et qui ont mis en émoi tous les habitants d'une maison. Toutes les recherches et les investigations de l'autorité pour découvrir la cause, n'ont abouti à rien. Ce fait ne présente du reste aucune particularité bien remarquable, si ce n'est que, comme toutes les manifestations spontanées, il appelle l'attention sur les phénomènes spirites.
En fait de manifestations physiques, celles qui se produisent ainsi spontanément, exercent sur l'opinion publique une influence infiniment plus grande que les effets provoqués directement par un médium, soit parce qu'elles ont plus de retentissement et de notoriété, soit parce qu'elles donnent moins prise au soupçon de charlatanisme et de prestidigitation.
Ceci nous rappelle un fait qui s'est passé à Paris au mois de mai de l'année dernière. Le voici, tel qu'il a été rapporté dans le temps par le Petit Journal.
« Le sieur Garnier, François, est fermier et meunier au bourg de Vicq-sur-Nahon. C'est, nous aimons à le penser, un homme paisible, et cependant, depuis le mois de septembre, son moulin est le théâtre de faits miraculeux, propres à faire supposer que le Diable, ou tout au moins un Esprit facétieux, y a fait élection de domicile. Par exemple, il paraît hors de doute que, diable ou Esprit, l'auteur des faits que nous avons à raconter, aime à dormir la nuit, car il ne travaille que le jour.
Notre Esprit aime à jongler avec les draps des lits. Il les prend sans que personne s'en aperçoive, les emporte et va les cacher soit dans un poinçon, soit dans le four, soit sous des bottes de foin. Il transporte d'une écurie dans une autre les draps du lit du garçon d'écurie, et on les retrouve plus d'une heure après sous du foin ou dans un râtelier. Pour ouvrir les portes, l'Esprit de Vicq-sur-Nahon n'a pas besoin de clé. Un jour le sieur Garnier, en présence de ses domestiques, ferme à double tour la porte de la boulangerie et met la clé dans sa poche, et cependant cette porte s'ouvre presque immédiatement sous les yeux de Garnier et de ses domestiques sans qu'ils puissent s'expliquer comment.
Une autre fois, le 1er janvier, – façon tout à fait neuve de souhaiter la bonne année à quelqu'un, – un peu avant la nuit, le lit de plumes, les draps, les couvertures d'un lit placé dans une chambre sont enlevés sans que le lit soit dérangé, et on retrouve ces objets à terre près de la porte de la chambre. Garnier et les siens imaginent alors, dans l'espérance de conjurer toute cette sorcellerie, de changer les lits de chambre, ce qui a lieu en effet ; mais le déménagement opéré, les faits diaboliques que nous venons de raconter recommencent de plus belle. A différentes reprises, un garçon d'écurie trouve ouvert le coffre où il serre ses effets, et ceux-ci épars dans l'écurie.
Mais voici deux circonstances où se révèle toute l'habileté diabolique de l'Esprit. Au nombre des domestiques du sieur Garnier se trouve une petite fille de 13 ans, nommée Marie Richard. Un jour, cette enfant, étant dans une chambre, vit tout à coup se dresser sur le lit une petite chapelle, et tous les objets placés sur la cheminée, 4 vases, 1 christ, 3 verres, 2 tasses, dans l'une desquelles était de l'eau bénite, et une petite bouteille remplie aussi d'eau bénite, aller successivement, comme obéissant à l'ordre d'un être invisible, prendre place sur l'autel improvisé. La porte de la chambre était entrouverte, et la femme du frère de la petite Richard près de la porte. Une ombre est sortie de la chapelle, au dire de la petite Richard, s'est approchée de l'enfant et l'a chargée d'inviter ses maîtres à donner un pain bénit et à faire dire une messe. L'enfant le promit ; pendant neuf jours le calme régna dans le moulin ; Garnier fait dire la messe par le curé de Vicq, offre un pain bénit, et dès le lendemain, 15 janvier, les diableries recommencent.
Les clés des portes disparaissent ; les portes qu'on a laissées ouvertes se trouvent fermées, et un serrurier appelé pour ouvrir la porte du moulin, ne peut y parvenir et se voit dans la nécessité de démonter la serrure. Ces derniers faits se passaient le 29 janvier. Le même jour, vers midi, comme les domestiques prenaient leurs repas, la fille Richard prend un broc de boisson, se sert à boire, et la montre du sieur Garnier, accrochée à un clou de la cheminée, tombe dans son verre. On replace la montre à la cheminée ; mais la fille Richard, en se servant d'un plat servi sur la table, amène la montre avec sa cuillère. Pour la troisième fois, on accroche la montre à sa place, et, pour la troisième fois, la petite Richard la trouve dans un pot qui bouillait devant le feu, ainsi qu'une petite bouteille renfermant un médicament, et dont le bouchon lui saute au visage.
Bref, la terreur s'empare des habitants du moulin ; personne ne veut plus rester dans une maison ensorcelée. Enfin Garnier prit le parti de prévenir M. le commissaire de police de Valençay qui se rendit à Vicq, accompagné de deux gendarmes. Mais le diable n'a pas jugé à propos de se montrer aux agents de l'autorité. Seulement, ceux-ci ont conseillé à Garnier de renvoyer la fille Richard, ce qu'il a fait aussitôt. Cette mesure aura-t-elle suffi à mettre le diable en déroute ? Espérons-le, pour le repos des gens du moulin.
Dans un numéro postérieur, le Moniteur de l'Indre contient ce qui suit :
« Nous avons raconté, en leur temps, toutes les diableries qui se sont passées au moulin de Vicq-sur-Nahon, dont le sieur Garnier est locataire. Ces diableries, jusqu'à présent comiques, commencent à tourner à la tragédie. Après les farces, les jongleries, les tours de prestidigitation, voici que le diable a recours à l'incendie.
Le 12 de ce mois, deux tentatives d'incendie ont eu lieu presque simultanément dans les écuries du sieur Garnier. La première a lieu vers cinq heures du soir. Le feu a pris dans la paille, au pied du lit des garçons meuniers. Le second incendie a éclaté environ une heure après le premier, mais dans une autre écurie. Le feu a pris également au pied d'un lit et dans la paille.
Ces deux incendies ont été heureusement éteints par le père de Garnier, âgé de quatre-vingts ans, et ses domestiques, prévenus par la nommée Marie Richard.
Nos lecteurs doivent se rappeler que cette jeune fille, âgée de quatorze ans, s'apercevait toujours la première des sorcelleries qui avaient lieu au moulin, si bien que, sur les conseils qui lui avaient été donnés, Garnier avait renvoyé de chez lui la fille Richard. Lorsque les deux incendies ont éclaté, cette fille était rentrée depuis quinze jours chez le sieur Garnier. C'est elle encore qui s'est aperçue la première des deux incendies du 12 mars.
D'après les recherches faites au moulin, les soupçons se portèrent sur deux domestiques.
La famille Garnier est tellement frappée des événements dont son moulin a été le théâtre, qu'elle s'est persuadée que le diable, ou tout au moins quelque Esprit malfaisant a élu domicile dans leur demeure. »
Un de nos amis a écrit au sieur Garnier, en le priant de lui faire savoir si les faits rapportés par le journal étaient réels ou des contes faits à plaisir, et dans tous les cas, ce qu'il pouvait y avoir de vrai ou d'exagéré dans ce récit.
M. Garnier a répondu que tout était d'une parfaite exactitude et conforme à la déclaration que lui-même avait faite au commissaire de police de Valençay. Il confirme aussi les deux incendies et ajoute : Le journal n'a même pas tout raconté. Selon sa lettre, les faits se produisaient depuis quatre à cinq mois, et ce n'est que, poussé à bout par leur répétition, sans pouvoir en découvrir l'auteur, qu'il a fait sa déclaration. Il termine en disant : « Je ne sais, monsieur, dans quel but vous me demandez ces renseignements ; mais, si vous avez quelques connaissances dans ces choses-là, je vous prie de prendre part à mes peines, car je vous assure que nous ne sommes pas à notre aise dans notre maison. Si vous pouvez trouver un moyen de découvrir l'auteur de tous ces faits scandaleux, vous nous rendriez un grand service. »
Un point important à éclaircir était de savoir quelle pouvait être la participation de la jeune fille, soit volontairement par malice, soit inconsciemment par son influence. Sur cette question, le sieur Garnier dit que l'enfant n'ayant été hors de la maison que pendant quinze jours, il n'a pu juger de l'effet de son absence ; mais qu'il n'a aucun soupçon sur elle, comme malveillance, non plus que sur ses autres domestiques ; qu'elle avait presque toujours annoncé ce qui se passait hors de sa portée ; qu'ainsi, elle avait dit plusieurs fois : « Voilà le lit qui se bouleverse dans telle chambre, » et qu'y étant entré sans la perdre de vue, on trouvait le lit bouleversé ; qu'elle a pareillement prévenu des deux incendies arrivés depuis son retour.
Ces faits, comme on le voit, appartiennent au même genre de phénomènes que ceux de Poitiers (revue de février et mars 1864, pages 47 et 78, – id., mai 1865, page 134) ; de Marseille (avril 1865, page 121) ; de Dieppe (mars 1860, page 76), et tant d'autres qu'on peut appeler manifestations tapageuses et perturbatrices.
Nous ferons d'abord remarquer la différence qui existe entre le ton de ce récit et celui du journal de Poitiers à l'occasion de ce qui s'est passé dans cette ville. On se rappelle le déluge de sarcasmes qu'il fit pleuvoir à ce sujet sur les Spirites, et sa persistance à soutenir contre l'évidence que ce ne pouvait être que l'œuvre de mauvais plaisants qu'on ne tarderait pas à découvrir, et qu'en définitive on n'a jamais découverts. Le Moniteur de l'Indre, plus prudent, se borne à un récit qui n'est assaisonné d'aucune plaisanterie déplacée, et qui implique plutôt une affirmation qu'une négation.
Une autre remarque, c'est que des faits de ce genre ont eu lieu bien avant qu'il ne fût question du Spiritisme, et que depuis ils se sont presque toujours passés chez des gens qui ne le connaissaient même pas de nom, ce qui exclut toute influence due à la croyance et à l'imagination. Si l'on accusait les Spirites de simuler ces manifestations dans un but de propagande, on demanderait qui pouvait les produire avant qu'il n'y eût des Spirites.
Ne connaissant ce qui s'est passé au moulin de Vicq-sur-Nahon que par le récit qui en est fait, nous nous bornons à constater qu'ici rien ne s'écarte de ce dont le Spiritisme admet la possibilité, ni des conditions normales dans lesquelles de pareils faits peuvent se produire ; que ces faits s'expliquent par des lois parfaitement naturelles, et n'ont par conséquent rien de merveilleux. L'ignorance de ces lois a seule pu, jusqu'à ce jour, les faire considérer comme des effets surnaturels, ainsi qu'il en a été de presque tous les phénomènes dont la science a plus tard révélé les lois.
Ce qui peut sembler plus extraordinaire, et s'explique moins facilement, c'est le fait des portes ouvertes après avoir été soigneusement fermées à clef. Les manifestations modernes en offrent plusieurs exemples. Un fait analogue s'est passé à Limoges, il y a quelques années (Revue d'août 1860, page 249). De ce que l'état de nos connaissances ne nous permettrait pas d'en donner encore une explication concluante, cela ne préjugerait rien, car nous sommes loin de connaître toutes les lois qui régissent le monde invisible, toutes les forces que recèle ce monde, ni toutes les applications des lois que nous connaissons. Le Spiritisme n'a pas encore dit son dernier mot, tant s'en faut, pas plus sur les choses physiques que sur les choses spirituelles. Bien des découvertes seront le fruit d'observations ultérieures. Le Spiritisme n'a fait en quelque sorte, jusqu'à présent, que poser les premiers jalons d'une science dont la portée est inconnue. A l'aide de ce qu'il a déjà découvert, il ouvre à ceux qui viendront après nous la voie des investigations dans un ordre spécial d'idées. Il ne procède que par observations et déductions et jamais par supposition. Si un fait est constaté, il se dit qu'il doit avoir une cause, et que cette cause ne peut être que naturelle, et alors il la cherche. A défaut d'une démonstration catégorique, il peut donner une hypothèse, mais jusqu'à confirmation, il ne la donne que comme hypothèse, et non comme vérité absolue. A l'égard du phénomène des portes ouvertes, comme à celui des apports à travers les corps rigides, il en est encore réduit à une hypothèse basée sur les propriétés fluidiques de la matière, très imparfaitement connues, ou, pour mieux dire, qui ne sont encore que soupçonnées. Si le fait en question est confirmé par l'expérience, il doit avoir, comme nous l'avons dit, une cause naturelle ; s'il se répète, c'est qu'il n'est pas une exception mais la conséquence d'une loi. La possibilité de la délivrance de saint Pierre dans sa prison, rapportée Actes des apôtres, chap. xii, serait ainsi démontrée sans qu'il fût besoin d'avoir recours à un miracle.
De tous les effets médianimiques, les manifestations physiques sont les plus faciles à simuler ; aussi faut-il se garder d'accepter trop légèrement comme authentiques les faits de ce genre, qu'ils soient spontanés comme ceux du moulin de Vicq-sur-Nahon, ou consciemment provoqués par un médium. L'imitation ne saurait, il est vrai, être que grossière et imparfaite, mais avec de l'adresse on peut aisément donner le change, comme on l'a fait dans un temps pour la double vue, à ceux qui ne connaissent pas les conditions dans lesquelles les phénomènes réels peuvent se produire. Nous avons vu de soi-disant médiums d'une rare habileté à simuler les apports, l'écriture directe et autres genres de manifestations. Il faut donc n'admettre qu'à bon escient l'intervention des Esprits dans ces sortes de choses.
Dans le cas dont il s'agit, nous n'affirmons pas cette intervention ; nous nous bornons à dire qu'elle est possible. Les deux commencements d'incendie pourraient seuls faire suspecter un acte humain suscité par la malveillance, que l'avenir fera sans doute découvrir. Il est bon toutefois de remarquer que, grâce à la clairvoyance de la jeune fille, les suites en ont pu être prévenues. A l'exception de ce dernier fait, les autres n'étaient que des espiègleries sans conséquences fâcheuses. S'ils sont l'œuvre des Esprits, ils ne peuvent provenir que d'Esprits légers, s'amusant des frayeurs et des impatiences qu'ils causent. On sait qu'il y en a de tous les caractères comme ici-bas. Le meilleur moyen de s'en débarrasser, c'est de ne pas s'en inquiéter, et de lasser leur patience qui n'est jamais de bien longue durée, quand ils voient qu'on n'en prend nul souci, ce qu'on leur prouve en riant soi-même de leurs malices et en les mettant au défi d'en faire davantage. Le plus sûr moyen de les exciter à persévérer, c'est de se tourmenter et de se mettre en colère contre eux. On peut encore s'en débarrasser en les évoquant à l'aide d'un bon médium, et en priant pour eux ; alors, en s'entretenant avec eux, on peut savoir ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent, et leur faire entendre raison.
Ces sortes de manifestations ont, du reste, un résultat plus sérieux ; celui de propager l'idée du monde invisible qui nous entoure, et d'affirmer son action sur le monde matériel. C'est pour cela qu'elles se produisent de préférence chez les gens étrangers au Spiritisme, plutôt que chez les Spirites qui n'en ont pas besoin pour se convaincre.
La fraude, en pareil cas, peut quelquefois n'être qu'une innocente plaisanterie, ou un moyen de se donner de l'importance en faisant croire à une faculté qu'on ne possède pas, ou qu'on ne possède qu'imparfaitement ; mais le plus souvent elle a pour mobile un intérêt patent ou dissimulé, et pour but d'exploiter la confiance de gens trop crédules ou inexpérimentés ; c'est alors une véritable escroquerie. Il serait superflu d'insister pour dire que ceux qui se rendent coupables de tromperies quelconques en ce genre, n'y fussent-ils sollicités que par l'amour-propre, ne sont pas Spirites, lors même qu'ils se donneraient pour tels. Les phénomènes réels ont un caractère sui generis, et se produisent dans des circonstances qui défient toute suspicion. Une connaissance complète de ces caractères et de ces circonstances peut facilement faire découvrir la supercherie.
Si ces explications vont à la connaissance du sieur Garnier, il y trouvera la réponse à la demande qu'il fait dans sa lettre.
Un de nos correspondants nous transmet le récit, écrit par un témoin oculaire, de manifestations analogues qui ont eu lieu en janvier dernier au bourg de la Basse-Indre (Loire inférieure). Elles ont consisté en des coups frappés avec obstination pendant plusieurs semaines, et qui ont mis en émoi tous les habitants d'une maison. Toutes les recherches et les investigations de l'autorité pour découvrir la cause, n'ont abouti à rien. Ce fait ne présente du reste aucune particularité bien remarquable, si ce n'est que, comme toutes les manifestations spontanées, il appelle l'attention sur les phénomènes spirites.
En fait de manifestations physiques, celles qui se produisent ainsi spontanément, exercent sur l'opinion publique une influence infiniment plus grande que les effets provoqués directement par un médium, soit parce qu'elles ont plus de retentissement et de notoriété, soit parce qu'elles donnent moins prise au soupçon de charlatanisme et de prestidigitation.
Ceci nous rappelle un fait qui s'est passé à Paris au mois de mai de l'année dernière. Le voici, tel qu'il a été rapporté dans le temps par le Petit Journal.
Manifestations de Ménilmontant
« Un fait singulier se renouvelle fréquemment dans le quartier Ménilmontant, sans qu'on ait pu encore en expliquer la cause.
M. X…, fabricant de bronzes, habite un pavillon qui se trouve au fond de la maison ; on y entre par le jardin. Les ateliers sont à gauche et la salle à manger est à droite. Une sonnette est placée au-dessus de la porte de la salle à manger ; naturellement, le cordon est à la porte du jardin. L'allée est assez longue pour qu'une personne ayant sonné ne puisse s'enfuir avant qu'on ne soit venu ouvrir.
Plusieurs fois le contremaître, ayant entendu la sonnette, alla à la porte et ne vit personne. On crut d'abord à une mystification ; mais on eut beau être aux aguets et s'assurer qu'aucun fil conducteur n'aboutissait à la sonnette, on ne put rien découvrir, et le manège continuait toujours. Un jour même la sonnette s'agita pendant que M. et Mme X… se trouvaient précisément au-dessous et qu'un apprenti était dans l'allée devant le cordon. Ce fait s'est renouvelé trois fois dans la même soirée. Ajoutons que parfois la sonnette s'agitait tout doucement, parfois d'une manière très bruyante.
Depuis quelques jours, ce phénomène avait cessé, mais avant-hier au soir il s'est renouvelé avec plus de persistance.
Mme X… est une femme très pieuse ; c'est une croyance dans son pays que les morts viennent réclamer les prières des parents. Elle pensa à une tante défunte et crut avoir trouvé l'explication ; mais prières, messes, neuvaines, rien n'y a fait ; la sonnette tinte toujours.
Un métallurgiste distingué, à qui le fait était raconté, pensait que c'était un phénomène scientifique et qu'une certaine quantité d'eau forte et de vitriol, qui se trouvait dans l'atelier, pouvait dégager une force assez grande pour faire mouvoir le fil de fer ; mais ces substances ayant été éloignées, le fait n'a pas cessé de se produire.
Nous ne chercherons pas à l'expliquer, c'est l'affaire des savants, dit la Patrie, qui pourrait bien se tromper. Ces sortes de mystères s'expliquent souvent à la fin sans que la science ait à y constater le moindre phénomène encore inconnu. »
M. X…, fabricant de bronzes, habite un pavillon qui se trouve au fond de la maison ; on y entre par le jardin. Les ateliers sont à gauche et la salle à manger est à droite. Une sonnette est placée au-dessus de la porte de la salle à manger ; naturellement, le cordon est à la porte du jardin. L'allée est assez longue pour qu'une personne ayant sonné ne puisse s'enfuir avant qu'on ne soit venu ouvrir.
Plusieurs fois le contremaître, ayant entendu la sonnette, alla à la porte et ne vit personne. On crut d'abord à une mystification ; mais on eut beau être aux aguets et s'assurer qu'aucun fil conducteur n'aboutissait à la sonnette, on ne put rien découvrir, et le manège continuait toujours. Un jour même la sonnette s'agita pendant que M. et Mme X… se trouvaient précisément au-dessous et qu'un apprenti était dans l'allée devant le cordon. Ce fait s'est renouvelé trois fois dans la même soirée. Ajoutons que parfois la sonnette s'agitait tout doucement, parfois d'une manière très bruyante.
Depuis quelques jours, ce phénomène avait cessé, mais avant-hier au soir il s'est renouvelé avec plus de persistance.
Mme X… est une femme très pieuse ; c'est une croyance dans son pays que les morts viennent réclamer les prières des parents. Elle pensa à une tante défunte et crut avoir trouvé l'explication ; mais prières, messes, neuvaines, rien n'y a fait ; la sonnette tinte toujours.
Un métallurgiste distingué, à qui le fait était raconté, pensait que c'était un phénomène scientifique et qu'une certaine quantité d'eau forte et de vitriol, qui se trouvait dans l'atelier, pouvait dégager une force assez grande pour faire mouvoir le fil de fer ; mais ces substances ayant été éloignées, le fait n'a pas cessé de se produire.
Nous ne chercherons pas à l'expliquer, c'est l'affaire des savants, dit la Patrie, qui pourrait bien se tromper. Ces sortes de mystères s'expliquent souvent à la fin sans que la science ait à y constater le moindre phénomène encore inconnu. »
Dissertations spirites
Mission de la femme
Lyon, 6 juillet 1866, groupe de Mad. Ducard, méd. Mad. B…
Chaque jour les évènements de la vie vous apportent des enseignements de nature à vous servir d'exemple, et cependant vous passez sans les comprendre, sans tirer une déduction utile des circonstances qui les ont provoqués. Pourtant, dans cette union intime de la terre et de l'espace, des Esprits libres et des Esprits captifs, attachés à l'accomplissement de leur tâche, il y a de ces exemples dont le souvenir doit se perpétuer parmi vous : c'est la paix proposée dans la guerre. Une femme dont la position sociale attire tous les yeux, s'en va, humble sœur de charité, porter à tous la consolation de sa parole, l'affection de son cœur, la caresse de ses yeux. Elle est impératrice, sur son front brille la couronne de diamants, et elle oublie son rang, elle oublie le danger pour accourir au milieu de la souffrance, dire à tous : « Consolez-vous, me voilà ! Ne souffrez plus, je vous parle ; soyez sans inquiétude, je prendrai soin de vos orphelins !… » Le danger est imminent, la contagion est dans l'air, et pourtant, elle passe, calme et radieuse, au milieu de ces lits, où gît la douleur. Elle n'a rien calculé, rien appréhendé, elle est allée où l'appelait son cœur, comme la brise va rafraîchir les fleurs flétries et redresser leurs tiges chancelantes.
Cet exemple de dévouement et d'abnégation, alors que les splendeurs de la vie devraient engendrer l'orgueil et l'égoïsme, est certes, un stimulant pour les femmes qui sentent vibrer en elles cette exquisivité de sentiment que Dieu leur a donnée pour accomplir leur tâche ; car elles sont principalement chargées de répandre la consolation et surtout la conciliation. N'ont-elles pas la grâce et le sourire, le charme de la voix et la douceur de l'âme ? C'est à elles que Dieu confie les premiers pas de ses enfants ; il les a choisies comme les nourrices des douces créatures qui vont naître.
Cet Esprit rebelle et orgueilleux, dont l'existence sera une lutte constante contre le malheur, ne vient-il pas leur demander de lui inculquer d'autres idées que celles qu'il apporte en naissant ? C'est vers elles qu'il tend ses petites mains, et sa voix jadis rude et ses accents qui vibraient comme un cuivre, s'adouciront comme un doux écho lorsqu'il dira : maman.
C'est la femme qu'il implore, ce doux chérubin qui vient apprendre à lire dans le livre de la science ; c'est pour lui plaire qu'il fera tous ses efforts pour s'instruire et se rendre utile à l'humanité. – C'est encore vers elle qu'il tend les mains, ce jeune homme qui s'est égaré dans sa route, et qui veut revenir au bien ; il n'oserait implorer son père dont il redoute la colère, mais sa mère, si douce, si généreuse, n'aura pour lui qu'oubli et pardon.
Ne sont-elles pas les fleurs animées de la vie, les dévouements inaltérables, ces âmes que Dieu a créées femmes. Elles attirent et elles charment. On les appelle la tentation, mais on devrait les nommer le souvenir ; car leur image demeure gravée en caractères ineffaçables dans le cœur de leurs fils, lorsqu'elles ne sont plus ; ce n'est pas dans le présent qu'elles sont appréciées, c'est dans le passé, lorsque la mort les a rendues à Dieu. – Alors leurs enfants les cherchent dans l'espace, comme le marin cherche l'étoile qui doit le conduire au port. Elles sont la sphère d'attraction, la boussole de l'Esprit resté sur la terre, et qui espère les retrouver au ciel. Elles sont encore la main qui conduit et soutient, l'âme qui inspire et la voix qui pardonne, et de même qu'elles ont été l'ange du foyer terrestre, elles deviennent l'ange consolateur qui apprend à prier.
Oh ! vous qui avez été accablées sur terre, femmes qui vous êtes crues les esclaves de l'homme, parce que vous étiez soumises à sa domination, votre royaume n'est pas de ce monde ! Contentez-vous donc du sort qui vous est réservé ; continuez votre tâche ; restez les médiatrices entre l'homme et Dieu, et comprenez bien l'influence de votre intervention. – Celui-ci est un Esprit ardent, impétueux, le sang bouillonne dans ses veines ; il va s'emporter, il sera injuste ; mais Dieu a mis la douceur dans vos yeux, la caresse dans votre voix ; regardez-le, parlez-lui, la colère s'apaisera et l'injustice sera écartée. Vous aurez souffert peut-être, mais vous aurez épargné une faute à votre compagnon de route et votre tâche s'accomplit. Celui-là encore est malheureux, il souffre, la fortune l'abandonne, il se croit un paria !… Mais, il y a là, un dévouement à l'épreuve, une abnégation constante pour relever ce moral abattu, pour rendre à cet Esprit l'espérance qui l'avait abandonné.
Femmes, vous êtes les compagnes inséparables de l'homme ; vous formez avec lui une chaîne indissoluble que le malheur ne peut rompre, que l'ingratitude ne doit pas souiller, et qui ne saurait se briser, car Dieu lui-même l'a formée, et, bien que vous ayez parfois dans l'âme, ces sombres soucis qui accompagnent la lutte, réjouissez-vous cependant, car dans cet immense travail de l'harmonie terrestre. Dieu vous a donné la plus belle part.
Courage donc ! O vous qui vivez humblement en travaillant à améliorer votre intérieur, Dieu vous sourit, car il vous a donné cette aménité qui caractérise la femme ; qu'elles soient impératrices, sœurs de charité, humbles travailleuses ou douces mères de famille, elles sont toutes enrôlées sous la même bannière, et portent écrit au front et dans le cœur, ces deux mots magiques qui remplissent l'éternité : Amour et charité.
Carita.
Lyon, 6 juillet 1866, groupe de Mad. Ducard, méd. Mad. B…
Chaque jour les évènements de la vie vous apportent des enseignements de nature à vous servir d'exemple, et cependant vous passez sans les comprendre, sans tirer une déduction utile des circonstances qui les ont provoqués. Pourtant, dans cette union intime de la terre et de l'espace, des Esprits libres et des Esprits captifs, attachés à l'accomplissement de leur tâche, il y a de ces exemples dont le souvenir doit se perpétuer parmi vous : c'est la paix proposée dans la guerre. Une femme dont la position sociale attire tous les yeux, s'en va, humble sœur de charité, porter à tous la consolation de sa parole, l'affection de son cœur, la caresse de ses yeux. Elle est impératrice, sur son front brille la couronne de diamants, et elle oublie son rang, elle oublie le danger pour accourir au milieu de la souffrance, dire à tous : « Consolez-vous, me voilà ! Ne souffrez plus, je vous parle ; soyez sans inquiétude, je prendrai soin de vos orphelins !… » Le danger est imminent, la contagion est dans l'air, et pourtant, elle passe, calme et radieuse, au milieu de ces lits, où gît la douleur. Elle n'a rien calculé, rien appréhendé, elle est allée où l'appelait son cœur, comme la brise va rafraîchir les fleurs flétries et redresser leurs tiges chancelantes.
Cet exemple de dévouement et d'abnégation, alors que les splendeurs de la vie devraient engendrer l'orgueil et l'égoïsme, est certes, un stimulant pour les femmes qui sentent vibrer en elles cette exquisivité de sentiment que Dieu leur a donnée pour accomplir leur tâche ; car elles sont principalement chargées de répandre la consolation et surtout la conciliation. N'ont-elles pas la grâce et le sourire, le charme de la voix et la douceur de l'âme ? C'est à elles que Dieu confie les premiers pas de ses enfants ; il les a choisies comme les nourrices des douces créatures qui vont naître.
Cet Esprit rebelle et orgueilleux, dont l'existence sera une lutte constante contre le malheur, ne vient-il pas leur demander de lui inculquer d'autres idées que celles qu'il apporte en naissant ? C'est vers elles qu'il tend ses petites mains, et sa voix jadis rude et ses accents qui vibraient comme un cuivre, s'adouciront comme un doux écho lorsqu'il dira : maman.
C'est la femme qu'il implore, ce doux chérubin qui vient apprendre à lire dans le livre de la science ; c'est pour lui plaire qu'il fera tous ses efforts pour s'instruire et se rendre utile à l'humanité. – C'est encore vers elle qu'il tend les mains, ce jeune homme qui s'est égaré dans sa route, et qui veut revenir au bien ; il n'oserait implorer son père dont il redoute la colère, mais sa mère, si douce, si généreuse, n'aura pour lui qu'oubli et pardon.
Ne sont-elles pas les fleurs animées de la vie, les dévouements inaltérables, ces âmes que Dieu a créées femmes. Elles attirent et elles charment. On les appelle la tentation, mais on devrait les nommer le souvenir ; car leur image demeure gravée en caractères ineffaçables dans le cœur de leurs fils, lorsqu'elles ne sont plus ; ce n'est pas dans le présent qu'elles sont appréciées, c'est dans le passé, lorsque la mort les a rendues à Dieu. – Alors leurs enfants les cherchent dans l'espace, comme le marin cherche l'étoile qui doit le conduire au port. Elles sont la sphère d'attraction, la boussole de l'Esprit resté sur la terre, et qui espère les retrouver au ciel. Elles sont encore la main qui conduit et soutient, l'âme qui inspire et la voix qui pardonne, et de même qu'elles ont été l'ange du foyer terrestre, elles deviennent l'ange consolateur qui apprend à prier.
Oh ! vous qui avez été accablées sur terre, femmes qui vous êtes crues les esclaves de l'homme, parce que vous étiez soumises à sa domination, votre royaume n'est pas de ce monde ! Contentez-vous donc du sort qui vous est réservé ; continuez votre tâche ; restez les médiatrices entre l'homme et Dieu, et comprenez bien l'influence de votre intervention. – Celui-ci est un Esprit ardent, impétueux, le sang bouillonne dans ses veines ; il va s'emporter, il sera injuste ; mais Dieu a mis la douceur dans vos yeux, la caresse dans votre voix ; regardez-le, parlez-lui, la colère s'apaisera et l'injustice sera écartée. Vous aurez souffert peut-être, mais vous aurez épargné une faute à votre compagnon de route et votre tâche s'accomplit. Celui-là encore est malheureux, il souffre, la fortune l'abandonne, il se croit un paria !… Mais, il y a là, un dévouement à l'épreuve, une abnégation constante pour relever ce moral abattu, pour rendre à cet Esprit l'espérance qui l'avait abandonné.
Femmes, vous êtes les compagnes inséparables de l'homme ; vous formez avec lui une chaîne indissoluble que le malheur ne peut rompre, que l'ingratitude ne doit pas souiller, et qui ne saurait se briser, car Dieu lui-même l'a formée, et, bien que vous ayez parfois dans l'âme, ces sombres soucis qui accompagnent la lutte, réjouissez-vous cependant, car dans cet immense travail de l'harmonie terrestre. Dieu vous a donné la plus belle part.
Courage donc ! O vous qui vivez humblement en travaillant à améliorer votre intérieur, Dieu vous sourit, car il vous a donné cette aménité qui caractérise la femme ; qu'elles soient impératrices, sœurs de charité, humbles travailleuses ou douces mères de famille, elles sont toutes enrôlées sous la même bannière, et portent écrit au front et dans le cœur, ces deux mots magiques qui remplissent l'éternité : Amour et charité.
Carita.
Bibliographie
Changement de titre de la Vérité de Lyon
Le journal la Vérité, de Lyon, vient de changer son titre ; à partir du 10 mars 1867, elle prend celui de La tribune universelle, journal de la libre conscience et de la libre pensée. Elle l'annonce et en expose les motifs dans la note suivante insérée dans le numéro du 24 février.
A nos frères et sœurs Spirites.
Philaléthès, le champion infatigable que vous connaissez, a cru devoir vous informer qu'il dirigerait désormais ses investigations vers la philosophie générale et non plus seulement vers le Spiritisme dont, grâce à leurs préjugés, les savants ne veulent pas même entendre prononcer le nom. Mais il ne faudrait pas vous imaginer, chers frères et sœurs, qu'en enlevant l'étiquette du sac, après tout fort indifférente, il veuille en jeter, pas plus que nous-mêmes, le contenu aux orties ! En ce qui nous concerne personnellement, nous serions désolés que nos lecteurs puissent nous soupçonner un seul instant de vouloir déserter une idée pour laquelle nous avons dépensé toutes les forces vives dont nous étions capables. L'idée spirite fait aujourd'hui partie intégrale de notre être, et nous l'enlever serait vouer à la mort notre cœur, notre esprit.
Si nous sommes spirites, néanmoins, et précisément parce que nous croyons l'être dans le vrai sens du mot, nous voulons nous montrer charitables, tolérants pour tous les systèmes opposés, et nous voulons courir vers eux puisqu'ils refusent de venir à nous.
L'étiquette de Spirites collée à notre front est pour vous un épouvantail, messieurs les négateurs ? eh bien, nous consentons volontiers à l'enlever, nous réservant de la porter haut dans nos âmes. Nous ne nous appellerons donc plus La Vérité, journal du Spiritisme, mais la Tribune universelle, journal de la libre conscience et de la libre pensée. Ce terrain est aussi vaste que le monde, et les systèmes de toute sorte pourront s'y débattre à leur aise, risquer des passes d'armes avec les transfuges de la Vérité, qui réclameront pour eux-mêmes le droit accordé à tous : la discussion. C'est alors qu'enflammés par la lutte, inspirés par la foi et guidés par la raison, nous espérons faire briller aux yeux de nos adversaires une si vive lumière, que Dieu et l'immortalité se dresseront devant eux non plus comme un hideux fantôme produit des siècles d'ignorance, mais comme une douce et suave vision où se reposera enfin l'humanité entière.
E. E.
Le journal la Vérité, de Lyon, vient de changer son titre ; à partir du 10 mars 1867, elle prend celui de La tribune universelle, journal de la libre conscience et de la libre pensée. Elle l'annonce et en expose les motifs dans la note suivante insérée dans le numéro du 24 février.
A nos frères et sœurs Spirites.
Philaléthès, le champion infatigable que vous connaissez, a cru devoir vous informer qu'il dirigerait désormais ses investigations vers la philosophie générale et non plus seulement vers le Spiritisme dont, grâce à leurs préjugés, les savants ne veulent pas même entendre prononcer le nom. Mais il ne faudrait pas vous imaginer, chers frères et sœurs, qu'en enlevant l'étiquette du sac, après tout fort indifférente, il veuille en jeter, pas plus que nous-mêmes, le contenu aux orties ! En ce qui nous concerne personnellement, nous serions désolés que nos lecteurs puissent nous soupçonner un seul instant de vouloir déserter une idée pour laquelle nous avons dépensé toutes les forces vives dont nous étions capables. L'idée spirite fait aujourd'hui partie intégrale de notre être, et nous l'enlever serait vouer à la mort notre cœur, notre esprit.
Si nous sommes spirites, néanmoins, et précisément parce que nous croyons l'être dans le vrai sens du mot, nous voulons nous montrer charitables, tolérants pour tous les systèmes opposés, et nous voulons courir vers eux puisqu'ils refusent de venir à nous.
L'étiquette de Spirites collée à notre front est pour vous un épouvantail, messieurs les négateurs ? eh bien, nous consentons volontiers à l'enlever, nous réservant de la porter haut dans nos âmes. Nous ne nous appellerons donc plus La Vérité, journal du Spiritisme, mais la Tribune universelle, journal de la libre conscience et de la libre pensée. Ce terrain est aussi vaste que le monde, et les systèmes de toute sorte pourront s'y débattre à leur aise, risquer des passes d'armes avec les transfuges de la Vérité, qui réclameront pour eux-mêmes le droit accordé à tous : la discussion. C'est alors qu'enflammés par la lutte, inspirés par la foi et guidés par la raison, nous espérons faire briller aux yeux de nos adversaires une si vive lumière, que Dieu et l'immortalité se dresseront devant eux non plus comme un hideux fantôme produit des siècles d'ignorance, mais comme une douce et suave vision où se reposera enfin l'humanité entière.
E. E.
Carta de un Espiritista
Lettre d'un Spirite au Docteur Francisco de Paula Canalejas.
Brochure imprimée à Madrid[1], en langue espagnole, contenant les principes fondamentaux de la doctrine spirite, tirés du Qu'est-ce que le Spiritisme ? avec cette dédicace :
« A monsieur Allan Kardec, le premier qui a décrit avec méthode, et coordonné avec clarté les principes philosophiques de la nouvelle école, est dédié ce faible travail, par son dévoué coreligionnaire. » Malgré les entraves que les idées nouvelles rencontrent dans ce pays, le Spiritisme y trouve des sympathies plus profondes qu'on ne pourrait le supposer, principalement dans les classes élevées, où il compte des adeptes nombreux, fervents et dévoués ; car là, en fait d'opinions religieuses, les extrêmes se touchent, et, comme partout ailleurs, les excès des uns produisent des réactions contraires. Dans l'ancienne et poétique mythologie, on aurait fait du fanatisme le père de l'incrédulité.
Nous félicitons l'auteur de cet opuscule de son zèle pour la propagation de la doctrine, et le remercions de sa gracieuse dédicace, ainsi que des bonnes paroles qui accompagnaient l'envoi de la brochure. Ses sentiments et ceux de ses frères en croyance se reflètent dans cette phrase caractéristique de sa lettre: «Nous sommes prêts à tout, même à baisser la tête pour recevoir le martyre, de même que nous la levons très haut pour confesser notre foi.»
Allan Kardec
[1] Imprimerie de Manuel Galiano, Plaza de los Ministerios, 3.
Brochure imprimée à Madrid[1], en langue espagnole, contenant les principes fondamentaux de la doctrine spirite, tirés du Qu'est-ce que le Spiritisme ? avec cette dédicace :
« A monsieur Allan Kardec, le premier qui a décrit avec méthode, et coordonné avec clarté les principes philosophiques de la nouvelle école, est dédié ce faible travail, par son dévoué coreligionnaire. » Malgré les entraves que les idées nouvelles rencontrent dans ce pays, le Spiritisme y trouve des sympathies plus profondes qu'on ne pourrait le supposer, principalement dans les classes élevées, où il compte des adeptes nombreux, fervents et dévoués ; car là, en fait d'opinions religieuses, les extrêmes se touchent, et, comme partout ailleurs, les excès des uns produisent des réactions contraires. Dans l'ancienne et poétique mythologie, on aurait fait du fanatisme le père de l'incrédulité.
Nous félicitons l'auteur de cet opuscule de son zèle pour la propagation de la doctrine, et le remercions de sa gracieuse dédicace, ainsi que des bonnes paroles qui accompagnaient l'envoi de la brochure. Ses sentiments et ceux de ses frères en croyance se reflètent dans cette phrase caractéristique de sa lettre: «Nous sommes prêts à tout, même à baisser la tête pour recevoir le martyre, de même que nous la levons très haut pour confesser notre foi.»
Allan Kardec
[1] Imprimerie de Manuel Galiano, Plaza de los Ministerios, 3.