Revue spirite — Journal d'études psychologiques — 1858

Allan Kardec

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Mars

Qui est-ce qui ne s'est pas demandé, en considérant la lune et les autres astres, si ces globes sont habités ? Avant que la science nous eût initiés à la nature de ces astres, on pouvait en douter ; aujourd'hui, dans l'état actuel de nos connaissances, il y a au moins probabilité ; mais on fait à cette idée, vraiment séduisante, des objections tirées de la science même. La lune, dit-on, paraît n'avoir pas d'atmosphère, et peut-être pas d'eau. Dans Mercure, vu son rapprochement du soleil, la température moyenne doit être celle du plomb fondu, de sorte que, s'il y a du plomb, il doit couler comme l'eau de nos rivières. Dans Saturne, c'est tout l'opposé ; nous n'avons pas de terme de comparaison pour le froid qui doit y régner ; la lumière du soleil doit y être très faible, malgré la réflexion de ses sept lunes et de son anneau, car à cette distance le soleil ne doit paraître que comme une étoile de première grandeur. Dans de telles conditions, on se demande s'il serait possible de vivre.

On ne conçoit pas qu'une pareille objection puisse être faite par des hommes sérieux. Si l'atmosphère de la lune n'a pu être aperçue, est-il rationnel d'en inférer qu'elle n'existe pas ? Ne peut-elle être formée d'éléments inconnus ou assez raréfiés pour ne pas produire de réfraction sensible ? Nous dirons la même chose de l'eau ou des liquides qui en tiennent lieu. A l'égard des êtres vivants, ne serait-ce pas nier la puissance divine que de croire impossible une organisation différente de celle que nous connaissons, alors que sous nos yeux la prévoyance de la nature s'étend avec une sollicitude si admirable jusqu'au plus petit insecte, et donne à tous les êtres les organes appropriés au milieu qu'ils doivent habiter, que ce soit l'eau, l'air ou la terre, qu'ils soient plongés dans l'obscurité ou exposés à l'éclat du soleil. Si nous n'avions jamais vu de poissons, nous ne pourrions concevoir des êtres vivant dans l'eau ; nous ne nous ferions pas une idée de leur structure. Qui aurait cru, il y a peu de temps encore, qu'un animal pût vivre un temps indéfini au sein d'une pierre ! Mais sans parler de ces extrêmes, les êtres vivant sous les feux de la zone torride pourraient-ils exister dans les glaces polaires ? et pourtant dans ces glaces il y a des êtres organisés pour ce climat rigoureux, et qui ne pourraient supporter l'ardeur d'un soleil vertical. Pourquoi donc n'admettrions-nous pas que des êtres pussent être constitués de manière à vivre sur d'autres globes et dans un milieu tout différent du nôtre ? Assurément, sans connaître à fond la constitution physique de la lune, nous en savons assez pour être certains que, tels que nous sommes, nous n'y pourrions pas plus vivre que nous ne le pouvons au sein de l'Océan, en compagnie des poissons. Par la même raison, les habitants de la lune, si jamais il en pouvait venir sur la terre, constitués pour vivre sans air ou dans un air très raréfié, peut-être tout différent du nôtre, seraient asphyxiés dans notre épaisse atmosphère, comme nous le sommes quand nous tombons dans l'eau. Encore une fois, si nous n'avons pas la preuve matérielle et de visu de la présence d'êtres vivants dans les autres mondes, rien ne prouve qu'il ne puisse en exister dont l'organisme soit approprié à un milieu ou à un climat quelconque. Le simple bon sens nous dit au contraire qu'il en doit être ainsi, car il répugne à la raison de croire que ces innombrables globes qui circulent dans l'espace ne sont que des masses inertes et improductives. L'observation nous y montre des surfaces accidentées comme ici par des montagnes, des vallées, des ravins, des volcans éteints ou en activité ; pourquoi donc n'y aurait-il pas des êtres organiques ? Soit, dira-t-on ; qu'il y ait des plantes, même des animaux, cela peut être ; mais des êtres humains, des hommes civilisés comme nous, connaissant Dieu, cultivant les arts, les sciences, cela est-il possible ?

Assurément rien ne prouve mathématiquement que les êtres qui habitent les autres mondes soient des hommes comme nous, ni qu'ils soient plus ou moins avancés que nous, moralement parlant ; mais quand les sauvages de l'Amérique virent débarquer les Espagnols, ils ne se doutaient pas non plus qu'au-delà des mers il existait un autre monde cultivant des arts qui leur étaient inconnus. La terre est parsemée d'une innombrable quantité d'îles, petites ou grandes, et tout ce qui est habitable est habité ; il ne surgit pas un rocher de la mer que l'homme n'y plante à l'instant son drapeau. Que dirions-nous si les habitants d'une des plus petites de ces îles, connaissant parfaitement l'existence des autres îles et continents, mais n'ayant jamais eu de relations avec ceux qui les habitent, se croyaient les seuls êtres vivants du globe ? Nous leur dirions : Comment pouvez-vous croire que Dieu ait fait le monde pour vous seuls ? par quelle étrange bizarrerie votre petite île, perdue dans un coin de l'Océan, aurait-elle le privilège d'être seule habitée ? Nous pouvons en dire autant de nous à l'égard des autres sphères. Pourquoi la terre, petit globe imperceptible dans l'immensité de l'univers, qui n'est distinguée des autres planètes ni par sa position, ni par son volume, ni par sa structure, car elle n'est ni la plus petite ni la plus grosse, ni au centre ni à l'extrémité, pourquoi, dis-je, serait-elle parmi tant d'autres l'unique résidence d'êtres raisonnables et pensants ? quel homme sensé pourrait croire que ces millions d'astres qui brillent sur nos têtes n'ont été faits que pour récréer notre vue ? quelle serait alors l'utilité de ces autres millions de globes imperceptibles à l'oeil nu et qui ne servent même pas à nous éclairer ? n'y aurait-il pas à la fois orgueil et impiété à penser qu'il en doit être ainsi ? A ceux que l'impiété touche peu, nous dirons que c'est illogique.

Nous arrivons donc, par un simple raisonnement que bien d'autres ont fait avant nous, à conclure à la pluralité des mondes, et ce raisonnement se trouve confirmé par les révélations des Esprits. Ils nous apprennent en effet que tous ces mondes sont habités par des êtres corporels appropriés à la constitution physique de chaque globe ; que parmi les habitants de ces mondes les uns sont plus, les autres sont moins avancés que nous au point de vue intellectuel, moral et même physique. Il y a plus, nous savons aujourd'hui que nous pouvons entrer en relation avec eux et en obtenir des renseignements sur leur état ; nous savons encore que non seulement tous les globes sont habités par des êtres corporels, mais que l'espace est peuplé d'êtres intelligents, invisible pour nous à cause du voile matériel jeté sur notre âme, et qui révèlent leur existence par des moyens occultes ou patents. Ainsi tout est peuplé dans l'univers, la vie et l'intelligence sont partout : sur les globes solides, dans l'air, dans les entrailles de la terre, et jusque dans les profondeurs éthéréennes. Y a-t-il dans cette doctrine quelque chose qui répugne à la raison ? N'est-elle pas à la fois grandiose et sublime ? Elle nous élève par notre petitesse même, bien autrement que cette pensée égoïste et mesquine qui nous place comme les seuls êtres dignes d'occuper la pensée de Dieu.



Avant d'entrer dans le détail des révélations que les Esprits nous ont faites sur l'état des différents mondes, voyons à quelle conséquence logique nous pourrons arriver par nous-mêmes et par le seul raisonnement. Qu'on veuille bien se reporter à l'échelle spirite que nous avons donnée dans le précédent numéro ; nous prions les personnes désireuses d'approfondir sérieusement cette science nouvelle, d'étudier avec soin ce tableau et de s'en pénétrer ; elles y trouveront la clef de plus d'un mystère.

Le monde des Esprits se compose des âmes de tous les humains de cette terre et des autres sphères, dégagées des liens corporels ; de même tous les humains sont animés par les Esprits incarnés en eux. Il y a donc solidarité entre ces deux mondes : les hommes auront les qualités et les imperfections des Esprits avec lesquels ils sont unis ; les Esprits seront plus ou moins bons ou mauvais, selon les progrès qu'ils auront faits pendant leur existence corporelle. Ces quelques mots résument toute la doctrine. Comme les actes des hommes sont le produit de leur libre arbitre, ils portent le cachet de la perfection ou de l'imperfection de l'Esprit qui les sollicite. Il nous sera donc très facile de nous faire une idée de l'état moral d'un monde quelconque, selon la nature des Esprits qui l'habitent ; nous pourrions, en quelque sorte, décrire sa législation, tracer le tableau de ses moeurs, de ses usages, de ses rapports sociaux.

Supposons donc un globe exclusivement habité par des Esprits de la neuvième classe, par des Esprits impurs, et transportons-nous-y par la pensée. Nous y verrons toutes les passions déchaînées et sans frein ; l'état moral au dernier degré d'abrutissement ; la vie animale dans toute sa brutalité ; point de liens sociaux, car chacun ne vit et n'agit que pour soi et pour satisfaire ses appétits grossiers ; l'égoïsme y règne en souverain absolu et traîne à sa suite la haine, l'envie, la jalousie, la cupidité, le meurtre.

Passons maintenant dans une autre sphère, où se trouvent des Esprits de toutes les classes du troisième ordre : Esprits impurs, Esprits légers, Esprits faux-savants, Esprits neutres. Nous savons que dans toutes les classes de cet ordre le mal domine ; mais sans avoir la pensée du bien, celle du mal décroît à mesure qu'on s'éloigne du dernier rang. L'égoïsme est toujours le mobile principal des actions, mais les moeurs sont plus douces, l'intelligence plus développée ; le mal y est un peu déguisé, il est paré et fardé. Ces qualités mêmes engendrent un autre défaut, c'est l'orgueil ; car les classes les plus élevées sont assez éclairées pour avoir conscience de leur supériorité, mais pas assez pour comprendre ce qui leur manque ; de là leur tendance à l'asservissement des classes inférieures ou des races les plus faibles qu'elles tiennent sous le joug. N'ayant pas le sentiment du bien, elles n'ont que l'instinct du moi et mettent leur intelligence à profit pour satisfaire leurs passions. Dans une telle société, si l'élément impur domine il écrasera l'autre ; dans le cas contraire, les moins mauvais chercheront à détruire leurs adversaires ; dans tous les cas, il y aura lutte, lutte sanglante, lutte d'extermination, car ce sont deux éléments qui ont des intérêts opposés. Pour protéger les biens et les personnes, il faudra des lois ; mais ces lois seront dictées par l'intérêt personnel et non par la justice ; c'est le fort qui les fera au détriment du faible.

Supposons maintenant un monde où, parmi les éléments mauvais que nous venons de voir, se trouvent quelques-uns de ceux du second ordre ; alors au milieu de la perversité nous verrons apparaître quelques vertus. Si les bons sont en minorité, ils seront la victime des méchants ; mais à mesure que s'accroîtra leur prépondérance, la législation sera plus humaine, plus équitable et la charité chrétienne ne sera pas pour tous une lettre morte. De ce bien même va naître un autre vice. Malgré la guerre que les mauvais déclarent sans cesse aux bons, ils ne peuvent s'empêcher de les estimer dans leur for intérieur ; voyant l'ascendant de la vertu sur le vice, et n'ayant ni la force ni la volonté de la pratiquer, ils cherchent à la parodier ; ils en prennent le masque ; de là les hypocrites, si nombreux dans toute société où la civilisation est imparfaite.

Continuons notre route à travers les mondes, et arrêtons-nous dans celui-ci, qui va nous reposer un peu du triste spectacle que nous venons de voir. Il n'est habité que par des Esprits du second ordre. Quelle différence ! Le degré d'épuration auquel ils sont arrivés exclut chez eux toute pensée du mal, et ce seul mot nous donne l'idée de l'état moral de cet heureux pays. La législation y est bien simple, car les hommes n'ont point à se défendre les uns contre les autres ; nul ne veut du mal à son prochain, nul ne s'approprie ce qui ne lui appartient pas, nul ne cherche à vivre au détriment de son voisin. Tout respire la bienveillance et l'amour ; les hommes ne cherchant point à se nuire, il n'y a point de haines ; l'égoïsme y est inconnu, et l'hypocrisie y serait sans but. Là, pourtant, ne règne point l'égalité absolue, car l'égalité absolue suppose une identité parfaite dans le développement intellectuel et moral ; or nous voyons, par l'échelle spirituelle, que le deuxième ordre comprend plusieurs degrés de développement ; il y aura donc dans ce monde des inégalités, parce que les uns seront plus avancés que les autres ; mais comme il n'y a chez eux que la pensée du bien, les plus élevés n'en concevront point d'orgueil, et les autres point de jalousie. L'inférieur comprend l'ascendant du supérieur et s'y soumet, parce que cet ascendant est purement moral et que nul ne s'en sert pour opprimer.

Les conséquences que nous tirons de ces tableaux, quoique présentées d'une manière hypothétique, n'en sont pas moins parfaitement rationnelles, et chacun peut déduire l'état social d'un monde quelconque selon la proportion des éléments moraux dont on le suppose composé. Nous avons vu qu'abstraction faite de la révélation des Esprits, toutes les probabilités sont pour la pluralité des mondes ; or il n'est pas moins rationnel de penser que tous ne sont pas au même degré de perfection, et que, par cela même, nos suppositions peuvent bien être des réalités. Nous n'en connaissons qu'un d'une manière positive, le nôtre. Quel rang occupe-t-il dans cette hiérarchie ? Hélas ! il suffit de considérer ce qui s'y passe pour voir qu'il est loin de mériter le premier rang, et nous sommes convaincus qu'en lisant ces lignes on lui a déjà marqué sa place. Quand les Esprits nous disent qu'il est, sinon à la dernière, du moins dans les dernières, le simple bon sens nous dit malheureusement qu'ils ne se trompent pas ; nous avons bien à faire pour l'élever au rang de celui que nous avons décrit en dernier lieu, et nous avions bien besoin que le Christ vînt nous en montrer le chemin.

Quant à l'application que nous pouvons faire de notre raisonnement aux différents globes de notre tourbillon planétaire, nous n'avons que l'enseignement des Esprits ; or, pour quiconque n'admet que les preuves palpables, il est positif que leur assertion, à cet égard, n'a pas la certitude de l'expérimentation directe. Cependant n'acceptons-nous pas tous les jours de confiance les descriptions que les voyageurs nous font des contrées que nous n'avons jamais vues ? Si nous ne devions croire que par nos yeux, nous ne croirions pas grand chose. Ce qui donne ici un certain poids au dire des Esprits, c'est la corrélation qui existe entre eux, au moins quant aux points principaux. Pour nous qui avons été cent fois témoins de ces communications, qui avons pu les apprécier dans les moindres détails, qui en avons scruté le fort et le faible, observé les similitudes et les contradictions, nous y trouvons tous les caractères de la probabilité ; toutefois, nous ne les donnons que sous bénéfice d'inventaire, à titre de renseignements auxquels chacun sera libre d'attacher l'importance qu'il jugera à propos.

Selon les Esprits, la planète de Mars serait encore moins avancée que la Terre ; les Esprits qui y sont incarnés sembleraient appartenir à peu près exclusivement à la neuvième classe, à celle des Esprits impurs, de sorte que le premier tableau que nous avons donné ci-dessus serait l'image de ce monde. Plusieurs autres petits globes sont, à quelques nuances près, dans la même catégorie. La Terre viendrait ensuite ; la majorité de ses habitants appartient incontestablement à toutes les classes du troisième ordre, et la plus faible partie aux dernières classes du second ordre. Les Esprits supérieurs, ceux de la deuxième et de la troisième classe, y accomplissent quelquefois une mission de civilisation et de progrès, et y sont des exceptions. Mercure et Saturne viennent après la Terre. La supériorité numérique des bons Esprits leur donne la prépondérance sur les Esprits inférieurs, d'où résulte un ordre social plus parfait, des rapports moins égoïstes, et par conséquent une condition d'existence plus heureuse. La Lune et Vénus sont à peu près au même degré et sous tous les rapports plus avancés que Mercure et Saturne. Junon et Uranus seraient encore supérieurs à ces dernières. On peut supposer que les éléments moraux de ces deux planètes sont formés des premières classes du troisième ordre et en grande majorité d'esprits du deuxième ordre. Les hommes y sont infiniment plus heureux que sur la Terre, par la raison qu'ils n'ont ni les mêmes luttes à soutenir, ni les mêmes tribulations à endurer, et qu'ils ne sont point exposés aux mêmes vicissitudes physiques et morales.

De toutes les planètes, la plus avancée, sous tous les rapports, est Jupiter. Là, est le règne exclusif du bien et de la justice, car il n'y a que de bons Esprits. On peut se faire une idée de l'heureux état de ses habitants par le tableau que nous avons donné d'un monde habité sans partage par les Esprits du second ordre.

La supériorité de Jupiter n'est pas seulement dans l'état moral de ses habitants ; elle est aussi dans leur constitution physique. Voici la description qui nous a été donnée de ce monde privilégié, où nous retrouvons la plupart des hommes de bien qui ont honoré notre terre par leurs vertus et leurs talents.

La conformation du corps est à peu près la même qu'ici-bas, mais il est moins matériel, moins dense et d'une plus grande légèreté spécifique. Tandis que nous rampons péniblement sur la Terre, l'habitant de Jupiter se transporte d'un lieu à un autre en effleurant la surface du sol, presque sans fatigue, comme l'oiseau dans l'air ou le poisson dans l'eau. La matière dont le corps est formé étant plus épurée, elle se dissipe après la mort sans être soumise à la décomposition putride. On n'y connaît point la plupart des maladies qui nous affligent, celles surtout qui ont leur source dans les excès de tous genres et dans le ravage des passions. La nourriture est en rapport avec cette organisation éthérée ; elle ne serait point assez substantielle pour nos estomacs grossiers, et la nôtre serait trop lourde pour eux ; elle se compose de fruits et de plantes, et d'ailleurs ils en puisent en quelque sorte la plus grande partie dans le milieu ambiant dont ils aspirent les émanations nutritives. La durée de la vie est proportionnellement beaucoup plus grande que sur la Terre ; la moyenne équivaut environ à cinq de nos siècles. Le développement y est aussi beaucoup plus rapide, et l'enfance y dure à peine quelques-uns de nos mois.

Sous cette enveloppe légère les Esprits se dégagent facilement et entrent en communication réciproque par la seule pensée, sans exclure toutefois le langage articulé ; aussi la seconde vue est-elle pour la plupart une faculté permanente ; leur état normal peut être comparé à celui de nos somnambules lucides ; et c'est aussi pourquoi ils se manifestent à nous plus facilement que ceux qui sont incarnés dans des mondes plus grossiers et plus matériels. L'intuition qu'ils ont de leur avenir, la sécurité que leur donne une conscience exempte de remords, font que la mort ne leur cause aucune appréhension ; ils la voient venir sans crainte et comme une simple transformation.

Les animaux ne sont pas exclus de cet état progressif, sans approcher cependant de l'homme, même sous le rapport physique ; leur corps, plus matériel, tient au sol, comme nous à la Terre. Leur intelligence est plus développée que chez les nôtres ; la structure de leurs membres se plie à toutes les exigences du travail ; ils sont chargés de l'exécution des ouvrages manuels ; ce sont les serviteurs et les manoeuvres : les occupations des hommes sont purement intellectuelles. L'homme est pour eux une divinité, mais une divinité tutélaire qui jamais n'abuse de sa puissance pour les opprimer.

Les Esprits qui habitent Jupiter se complaisent assez généralement, quand ils veulent bien se communiquer à nous, dans la description de leur planète, et quand on leur en demande la raison, ils répondent que c'est afin de nous inspirer l'amour du bien par l'espoir d'y aller un jour. C'est dans ce but que l'un d'eux, qui a vécu sur la terre sous le nom de Bernard Palissy, le célèbre potier du seizième siècle, a entrepris spontanément et sans y être sollicité une série de dessins aussi remarquables par leur singularité que par le talent d'exécution, et destinés à nous faire connaître, jusque dans les moindres détails, ce monde si étrange et si nouveau pour nous. Quelques-uns retracent des personnages, des animaux, des scènes de la vie privée ; mais les plus remarquables sont ceux qui représentent des habitations, véritables chefs-d'oeuvre dont rien sur la Terre ne saurait nous donner une idée, car cela ne ressemble à rien de ce que nous connaissons ; c'est un genre d'architecture indescriptible, si original et pourtant si harmonieux, d'une ornementation si riche et si gracieuse, qu'il défie l'imagination la plus féconde. M. Victorien Sardou, jeune littérateur de nos amis, plein de talent et d'avenir, mais nullement dessinateur, lui a servi d'intermédiaire. Palissy nous promet une suite qui nous donnera en quelque sorte la monographie illustrée de ce monde merveilleux. Espérons que ce curieux et intéressant recueil, sur lequel nous reviendrons dans un article spécial consacré aux médiums dessinateurs, pourra un jour être livré au public.

La planète de Jupiter, malgré le tableau séduisant qui nous en est donné, n'est point le plus parfait d'entre les mondes. Il en est d'autres, inconnus pour nous, qui lui sont bien supérieurs au physique et au moral et dont les habitants jouissent d'une félicité encore plus parfaite ; là est le séjour des Esprits les plus élevés, dont l'enveloppe éthérée n'a plus rien des propriétés connues de la matière.

On nous a plusieurs fois demandé si nous pensions que la condition de l'homme ici-bas était un obstacle absolu à ce qu'il pût passer sans intermédiaire de la Terre dans Jupiter. A toutes les questions qui touchent à la doctrine spirite nous ne répondons jamais d'après nos propres idées, contre lesquelles nous sommes toujours en défiance. Nous nous bornons à transmettre l'enseignement qui nous est donné, enseignement que nous n'acceptons point à la légère et avec un enthousiasme irréfléchi. A la question ci-dessus nous répondons nettement, parce que tel est le sens formel de nos instructions et le résultat de nos propres observations : OUI, l'homme en quittant la Terre peut aller immédiatement dans Jupiter, ou dans un monde analogue, car ce n'est pas le seul de cette catégorie. Peut-il en avoir la certitude ? NON. Il peut y aller, parce qu'il y a sur la Terre, quoique en petit nombre, des Esprits assez bons et assez dématérialisés pour n'être point déplacés dans un monde où le mal n'a point d'accès. Il n'en a pas la certitude, parce qu'il peut se faire illusion sur son mérite personnel et qu'il peut d'ailleurs avoir une autre mission à remplir. Ceux qui peuvent espérer cette faveur ne sont assurément ni les égoïstes, ni les ambitieux, ni les avares, ni les ingrats, ni les jaloux, ni les orgueilleux, ni les vaniteux, ni les hypocrites, ni les sensualistes, ni aucun de ceux qui sont dominés par l'amour des biens terrestres ; à ceux-là il faudra peut-être encore de longues et rudes épreuves. Cela dépend de leur volonté.





En parlant de l'Histoire de Jeanne d'Arc dictée par elle-même, et dont nous nous proposons de citer divers passages, nous avons dit que mademoiselle Dufaux avait écrit de la même manière l'Histoire de Louis XI. Ce travail, l'un des plus complets en ce genre, contient des documents précieux au point de vue historique. Louis XI s'y montre le profond politique que nous connaissons ; mais, de plus, il nous donne la clef de plusieurs faits jusqu'alors inexpliqués. Au point de vue spirite, c'est un des plus curieux échantillons des travaux de longue haleine produits par les Esprits. A cet égard, deux choses sont particulièrement remarquables : la rapidité de l'exécution (quinze jours ont suffi pour dicter la matière d'un fort volume) ; secondement, le souvenir si précis qu'un Esprit peut conserver des événements de la vie terrestre. A ceux qui douteraient de l'origine de ce travail et en feraient honneur à la mémoire de mademoiselle Dufaux, nous répondrons qu'il faudrait, en effet, de la part d'une enfant de quatorze ans, une mémoire bien phénoménale et un talent d'une précocité non moins extraordinaire pour écrire d'un seul trait un ouvrage de cette nature ; mais, à supposer que cela fût, nous demanderons où cette enfant aurait puisé les explications inédites de l'ombrageuse politique de Louis XI, et s'il n'eût pas été plus habile à ses parents de lui en laisser le mérite. Des diverses histoires écrites par son entremise, celle de Jeanne d'Arc est la seule qui ait été publiée. Nous faisons des voeux pour que les autres le soient bientôt, et nous leur prédisons un succès d'autant plus grand, que les idées spirites sont aujourd'hui infiniment plus répandues. Nous extrayons de celle de Louis XI le passage relatif à la mort du comte de Charolais :

Les historiens arrivés à ce fait historique : « Louis XI donna au comte de Charolais la lieutenance générale de Normandie, » avouent qu'ils ne comprennent pas qu'un roi si grand politique ait fait une si grande faute[1].

Les explications données par Louis XI sont difficiles à contredire, attendu qu'elles sont confirmées par trois actes connus de tout le monde : la conspiration de Constain, le voyage du comte de Charolais, qui suivit l'exécution du coupable, et enfin l'obtention par ce prince de la lieutenance générale de la Normandie, province qui réunissait les Etats des ducs de Bourgogne et de Bretagne, ennemis toujours ligués contre Louis XI.

Louis XI s'exprime ainsi :

« Le comte de Charolais fut gratifié de la lieutenance générale de la Normandie et d'une pension de trente-six mille livres. C'était une imprudence bien grande d'augmenter ainsi la puissance de la maison de Bourgogne. Quoique cette digression nous éloigne de la suite des affaires d'Angleterre, je crois devoir indiquer ici les motifs qui me faisaient agir ainsi.

« Quelque temps après son retour dans les Pays-Bas, le duc Philippe de Bourgogne était tombé dangereusement malade. Le comte de Charolais aimait vraiment son père malgré les chagrins qu'il lui avait causés : il est vrai que son caractère bouillant et impétueux et surtout mes perfides insinuations pouvaient l'excuser. Il le soigna avec une affection toute filiale et ne quitta, ni jour ni nuit, le chevet de son lit.

« Le danger du vieux duc m'avait fait faire de sérieuses réflexions ; je haïssais le comte et je croyais avoir tout à craindre de lui ; d'ailleurs il n'avait qu'une fille en bas âge, ce qui eût produit, après la mort du duc, qui ne paraissait pas devoir vivre longtemps, une minorité que les Flamands, toujours turbulents, auraient rendue extrêmement orageuse. J'aurais pu alors m'emparer facilement, si ce n'est de tous les biens de la maison de Bourgogne, du moins d'une partie, soit en couvrant cette usurpation d'une alliance, soit en lui laissant tout ce que la force lui donnait d'odieux. C'était plus de raisons qu'il ne m'en fallait pour faire empoisonner le comte de Charolais ; d'ailleurs la pensée d'un crime ne m'étonnait plus.

« Je parvins à séduire le sommelier du prince, Jean Constain. L'Italie était en quelque sorte le laboratoire des empoisonneurs : ce fut là que Constain envoya Jean d'Ivy, qu'il avait gagné à l'aide d'une somme considérable qu'il devait lui payer à son retour. D'Ivy voulut savoir à qui ce poison était destiné ; le sommelier eut l'imprudence d'avouer que c'était pour le comte de Charolais.

« Après avoir fait sa commission, d'Ivy se présenta pour recevoir la somme promise ; mais, loin de la lui donner, Constain l'accabla d'injures. Furieux de cette réception, d'Ivy jura d'en tirer vengeance. Il alla trouver le comte de Charolais et lui avoua tout ce qu'il savait. Constain fut arrêté et conduit au château de Rippemonde. La crainte de la torture lui fit tout avouer, excepté ma complicité, espérant peut-être que j'intercéderais pour lui. Il était déjà au haut de la tour, lieu destiné à son supplice, et l'on s'apprêtait à le décapiter, lorsqu'il témoigna le désir de parler au comte. Il lui raconta alors le rôle que j'avais joué dans cette tentative. Le comte de Charolais, malgré l'étonnement et la colère qu'il éprouvait, se tut, et les personnes présentes ne purent former que de vagues conjectures fondées sur les mouvements de surprise que ce récit lui arracha. Malgré l'importance de cette révélation, Constain fut décapité et ses biens furent confisqués, mais rendus à sa famille par le duc de Bourgogne.

« Son dénonciateur éprouva le même sort, qu'il dut en partie à l'imprudente réponse qu'il fit au prince de Bourgogne ; celui-ci lui ayant demandé s'il eût dénoncé le complot si on lui eût payé la somme promise, il eut l'inconcevable témérité de répondre que non.

« Quand le comte vint à Tours, il me demanda une entrevue particulière ; là il laissa éclater toute sa fureur et m'accabla de reproches. Je l'apaisai en lui donnant la lieutenance générale de Normandie et la pension de trente-six mille livres ; la lieutenance générale ne fut qu'un vain titre ; quant à la pension, il n'en reçut que le premier terme. »



[1]Histoire de France, par Velly et continuateurs.


La fatalité et les pressentiments.
Instruction donnée par saint Louis.

Un de nos correspondants nous écrit ce qui suit :

« Au mois de septembre dernier, une embarcation légère, faisant la traversée de Dunkerque à Ostende, fut surprise par un gros temps et par la nuit ; l'esquif chavira, et des huit personnes qui le montaient, quatre périrent ; les quatre autres, au nombre desquelles je me trouvais, parvinrent à se maintenir sur la quille. Nous restâmes toute la nuit dans cette affreuse position, sans autre perspective que la mort, qui nous paraissait inévitable et dont nous éprouvâmes toutes les angoisses. Au point du jour, le vent nous ayant poussés à la côte, nous pûmes gagner la terre à la nage.

« Pourquoi dans ce danger, égal pour tous, quatre personnes seulement ont-elles succombé ? Remarquez que, pour mon compte, c'est la sixième ou septième fois que j'échappe à un péril aussi imminent, et à peu près dans les mêmes circonstances. Je suis vraiment porté à croire qu'une main invisible me protège. Qu'ai-je fait pour cela ? Je ne sais trop ; je suis sans importance et sans utilité dans ce monde, et ne me flatte pas de valoir mieux que les autres ; loin de là : il y avait parmi les victimes de l'accident un digne ecclésiastique, modèle des vertus évangéliques, et une vénérable soeur de Saint-Vincent de Paul qui allaient accomplir une sainte mission de charité chrétienne. La fatalité me semble jouer un grand rôle dans ma destinée. Les Esprits n'y seraient-ils pas pour quelque chose ? Serait-il possible d'avoir par eux une explication à ce sujet, en leur demandant, par exemple, si ce sont eux qui provoquent ou détournent les dangers qui nous menacent ?… »

Conformément au désir de notre correspondant, nous adressâmes les questions suivantes à l'Esprit de saint Louis, qui veut bien se communiquer à nous toutes les fois qu'il y a une instruction utile à donner.

1. Lorsqu'un danger imminent menace quelqu'un, est-ce un Esprit qui dirige le danger, et lorsqu'on y échappe, est-ce un autre Esprit qui le détourne ?

Rép. Lorsqu'un Esprit s'incarne, il choisit une épreuve ; en la choisissant il se fait une sorte de destin qu'il ne peut plus conjurer une fois qu'il s'y est soumis ; je parle des épreuves physiques. L'Esprit conservant son libre arbitre sur le bien et le mal, il est toujours le maître de supporter ou de repousser l'épreuve ; un bon Esprit, en le voyant faiblir, peut venir à son aide, mais ne peut influer sur lui de manière à maîtriser sa volonté. Un Esprit mauvais, c'est-à-dire inférieur, en lui montrant, en lui exagérant un péril physique, peut l'ébranler et l'effrayer, mais la volonté de l'Esprit incarné n'en reste pas moins libre de toute entrave.

2. Lorsqu'un homme est sur le point de périr par accident, il me semble que le libre arbitre n'y est pour rien. Je demande donc si c'est un mauvais Esprit qui provoque cet accident, qui en est en quelque sorte l'agent ; et, dans le cas où il se tire de péril, si un bon Esprit est venu à son aide.

Rép. Le bon Esprit ou le mauvais Esprit ne peut que suggérer des pensées bonnes ou mauvaises, selon sa nature. L'accident est marqué dans le destin de l'homme. Lorsque ta vie a été mise en péril, c'est un avertissement que toi-même as désiré, afin de te détourner du mal et de te rendre meilleur. Lorsque tu échappes à ce péril, encore sous l'influence du danger que tu as couru, tu songes plus ou moins fortement, selon l'action plus ou moins forte des bons Esprits, à devenir meilleur. Le mauvais Esprit survenant (je dis mauvais, sous-entendant le mal qui est encore en lui), tu penses que tu échapperas de même à d'autres dangers, et tu laisses de nouveau tes passions se déchaîner.

3. La fatalité qui semble présider aux destinées matérielles de notre vie serait donc encore l'effet de notre libre arbitre ?

Rép. Toi-même as choisi ton épreuve : plus elle est rude, mieux tu la supportes, plus tu t'élèves. Ceux-là qui passent leur vie dans l'abondance et le bonheur humain sont de lâches Esprits qui demeurent stationnaires. Ainsi le nombre des infortunés l'emporte de beaucoup sur celui des heureux de ce monde, attendu que les Esprits cherchent pour la plupart l'épreuve qui leur sera la plus fructueuse. Ils voient trop bien la futilité de vos grandeurs et de vos jouissances. D'ailleurs, la vie la plus heureuse est toujours agitée, toujours troublée, ne serait-ce que par l'absence de la douleur.

4. Nous comprenons parfaitement cette doctrine, mais cela ne nous explique pas si certains Esprits ont une action directe sur la cause matérielle de l'accident. Je suppose qu'au moment où un homme passe sur un pont, le pont s'écroule. Qui a poussé l'homme à passer sur ce pont ?

Rép. Lorsqu'un homme passe sur un pont qui doit se rompre, ce n'est pas un Esprit qui le pousse à passer sur ce pont, c'est l'instinct de sa destinée qui l'y porte.

5. Qui a fait rompre le pont ?

Rép. Les circonstances naturelles. La matière a en elle ses causes de destruction. Dans le cas dont il s'agit, l'Esprit, ayant besoin d'avoir recours à un élément étranger à sa nature pour mouvoir des forces matérielles, aura plutôt recours à l'intuition spirituelle. Ainsi tel pont devant se rompre, l'eau ayant disjoint les pierres qui le composent, la rouille ayant rongé les chaînes qui le suspendent, l'Esprit, dis-je, insinuera plutôt à l'homme de passer par ce pont que d'en faire rompre un autre sous ses pas. D'ailleurs, vous avez une preuve matérielle de ce que j'avance : quelque accident que ce soit arrive toujours naturellement, c'est-à-dire que des causes qui se lient l'une à l'autre l'ont amené insensiblement.

6. Prenons un autre cas où la destruction de la matière ne soit pas la cause de l'accident. Un homme mal intentionné tire sur moi, la balle m'effleure, elle ne m'atteint pas. Un Esprit bienveillant peut-il l'avoir détournée ? - Rép. Non.

7. Les Esprits peuvent-ils nous avertir directement d'un danger ? Voici un fait qui semblerait le confirmer : Une femme sortait de chez elle et suivait le boulevard. Une voix intime lui dit : Va-t'en ; retourne chez toi. Elle hésite. La même voix se fait entendre à plusieurs reprises ; alors elle revient sur ses pas ; mais, se ravisant, elle se dit : Qu'ai-je à faire chez moi ? j'en sors ; c'est sans doute un effet de mon imagination. Alors elle continue son chemin. A quelques pas de là une poutre que l'on sortait d'une maison la frappe à la tête et la renverse sans connaissance. Quelle était cette voix ? N'était-ce pas un pressentiment de ce qui allait arriver à cette femme ? — Rép. Celle de l'instinct ; d'ailleurs aucun pressentiment n'a de tels caractères : toujours ils sont vagues.

8. Qu'entendez-vous par la voix de l'instinct ? — Rép. J'entends que l'Esprit, avant de s'incarner, a connaissance de toutes les phases de son existence ; lorsque celles-ci ont un caractère saillant, il en conserve une sorte d'impression dans son for intérieur, et cette impression, se réveillant quand le moment approche, devient pressentiment.

NOTA. Les explications ci-dessus ont rapport à la fatalité des événements matériels. La fatalité morale est traitée d'une manière complète dans le Livre des Esprits.

Utilité de certaines évocations particulières.

Les communications que l'on obtient des Esprits très supérieurs ou de ceux qui ont animé les grands personnages de l'antiquité sont précieuses par le haut enseignement qu'elles renferment. Ces Esprits ont acquis un degré de perfection qui leur permet d'embrasser une sphère d'idées plus étendue, de pénétrer des mystères qui dépassent la portée vulgaire de l'humanité, et par conséquent de nous initier mieux que d'autres à certaines choses. Il ne s'ensuit pas de là que les communications des Esprits d'un ordre moins élevé soient sans utilité ; loin de là : l'observateur y puise plus d'une instruction. Pour connaître les moeurs d'un peuple, il faut l'étudier à tous les degrés de l'échelle. Quiconque ne l'aurait vu que sous une face le connaîtrait mal. L'histoire d'un peuple n'est pas celle de ses rois et des sommités sociales ; pour le juger, il faut le voir dans la vie intime, dans ses habitudes privées. Or, les Esprits supérieurs sont les sommités du monde spirite ; leur élévation même les place tellement au-dessus de nous que nous sommes effrayés de la distance qui nous sépare. Des Esprits plus bourgeois (qu'on nous passe cette expression) nous en rendent plus palpables les circonstances de leur nouvelle existence. Chez eux, la liaison entre la vie corporelle et la vie spirite est plus intime, nous la comprenons mieux, parce qu'elle nous touche de plus près. En apprenant par eux-mêmes ce que sont devenus, ce que pensent, ce qu'éprouvent les hommes de toutes conditions et de tous caractères, les hommes de bien comme les vicieux, les grands et les petits, les heureux et les malheureux du siècle, en un mot les hommes qui ont vécu parmi nous, que nous avons vus et connus, dont nous connaissons la vie réelle, les vertus et les travers, nous comprenons leurs joies et leurs souffrances, nous nous y associons et nous y puisons un enseignement moral d'autant plus profitable que les rapports entre eux et nous sont plus intimes. Nous nous mettons plus facilement à la place de celui qui a été notre égal que de celui que nous ne voyons qu'à travers le mirage d'une gloire céleste. Les Esprits vulgaires nous montrent l'application pratique des grandes et sublimes vérités dont les Esprits supérieurs nous enseignent la théorie. D'ailleurs dans l'étude d'une science rien n'est inutile : Newton a trouvé la loi des forces de l'univers dans le phénomène le plus simple.

Ces communications ont un autre avantage, c'est de constater l'identité des Esprits d'une manière plus précise. Quand un Esprit nous dit avoir été Socrate ou Platon, nous sommes obligés de le croire sur parole, car il n'apporte pas avec lui un certificat d'authenticité ; nous pouvons voir à ses discours s'il dément ou non l'origine qu'il se donne : nous le jugeons Esprit élevé, voilà tout ; qu'il ait été en réalité Socrate ou Platon, peu nous importe. Mais quand l'Esprit de nos proches, de nos amis ou de ceux que nous avons connus se manifeste à nous, il se présente mille circonstances de détails intimes où l'identité ne saurait être révoquée en doute : on en acquiert en quelque sorte la preuve matérielle. Nous pensons donc qu'on nous saura gré de donner de temps en temps quelques-unes de ces évocations intimes : c'est le roman de moeurs de la vie spirite, moins la fiction.



Entretiens familiers d'outre-tombe

L'assassin Lemaire,

Condamné par la Cour d'assises de l'Aisne à la peine de mort et exécuté le 31 décembre 1857, évoqué le 29 janvier 1858.

1. Je prie Dieu tout-puissant de permettre à l'assassin Lemaire, exécuté le 31 décembre 1857, de venir parmi nous.

Rép. Je suis là.

2. Comment se fait-il que tu sois venu si promptement à notre appel ?

— Rép. Rachel l'a dit.


* Mademoiselle Rachel, ayant été évoquée quelques jours auparavant par l'intermédiaire du même médium, se présenta instantanément. On lui fit, à ce sujet, les questions suivantes :

— Comment se fait-il que vous soyez venue si promptement, à l'instant même où nous vous avons évoquée ; on dirait que vous étiez toute prête ?

Rép. Lorsque Ermance (le médium) nous appelle, nous venons vite.

— Vous avez donc beaucoup de sympathie pour mademoiselle Ermance ?

Rép. Il y a un lien entre elle et nous. Elle venait à nous ; nous venons à elle.

— Il n'y a cependant aucune similitude entre son caractère et le vôtre ; comment se fait-il alors qu'il y ait sympathie ?

Rép. Elle n'a jamais quitté entièrement le monde des Esprits.


3. Quel sentiment éprouves-tu à notre vue ?

Rép. La honte.

4. Comment une jeune fille, douce comme un agneau, peut-elle servir d'intermédiaire à un être sanguinaire comme toi ?

Rép. Dieu l'a permis.

5. As-tu conservé toute ta connaissance jusqu'au dernier moment ?

Rép. Oui.

6. Et immédiatement après ton exécution, as-tu eu la conscience de ta nouvelle existence ?

Rép. J'étais plongé dans un trouble immense dont je ne suis pas encore sorti. J'ai senti une immense douleur ; il m'a semblé que mon coeur la souffrait. J'ai vu je ne sais quoi rouler au pied de l'échafaud ; j'ai vu du sang couler, et ma douleur n'en est devenue que plus poignante.

7. Etait-ce une douleur purement physique, analogue à celle qui serait causée par une grave blessure : par l'amputation d'un membre, par exemple ?

Rép. Non ; figure-toi un remords, une grande douleur morale.

8. Quand as-tu commencé à ressentir cette douleur ?

Rép. Dès que j'ai été libre.

9. La douleur physique causée par le supplice était-elle ressentie par le corps ou par l'Esprit ?

Rép. La douleur morale était dans mon esprit ; le corps a ressenti la douleur physique ; mais l'Esprit séparé s'en ressentait encore.

10. As-tu vu ton corps mutilé ?

— Rép. J'ai vu je ne sais quoi d'informe qu'il me semblait n'avoir pas quitté ; cependant je me sentais encore entier : j'étais moi-même.

11. Quelle impression cette vue a-t-elle faite sur toi ?

Rép. Je sentais trop ma douleur ; j'étais perdu en elle.

12. Est-il vrai que le corps vive encore quelques instants après la décapitation, et que le supplicié ait la conscience de ses idées ?

Rép. L'Esprit se retire peu à peu ; plus les liens de la matière l'enlacent, moins la séparation est prompte.

13. Combien de temps cela dure-t-il ?

Rép. Plus ou moins. (Voir la réponse précédente.)

14. On dit avoir remarqué sur la figure de certains suppliciés l'expression de la colère, et des mouvements comme s'ils voulaient parler ; est-ce l'effet d'une contraction nerveuse, ou bien la volonté y avait-elle part ?

Rép. La volonté ; car l'Esprit ne s'en était pas encore retiré.

15. Quel est le premier sentiment que tu as éprouvé en entrant dans ta nouvelle existence ?

Rép. Une intolérable souffrance ; une sorte de remords poignant dont j'ignorais la cause.

16. T'es-tu trouvé réuni à tes complices exécutés en même temps que toi ?

Rép. Pour notre malheur ; notre vue est un supplice continuel ; chacun de nous reproche à l'autre son crime.

17. Rencontres-tu tes victimes ?

Rép. Je les vois. . . elles sont heureuses. . . leur regard me poursuit. . . je le sens qui plonge jusqu'au fond de mon être. . . en vain je veux le fuir.

18. Quel sentiment éprouves-tu à leur vue ?

Rép. La honte et le remords. Je les ai élevées de mes propres mains, et je les hais encore.

19. Quel sentiment éprouvent-elles à ta vue ?

Rép. La pitié !

20. Ont-elles de la haine et le désir de la vengeance ?

Rép. Non ; leurs voeux appellent pour moi l'expiation. Vous ne sauriez sentir quel horrible supplice de tout devoir à qui l'on hait.

21. Regrettes-tu la vie terrestre ?

Rép. Je ne regrette que mes crimes ; si l'événement était encore dans mes mains, je ne succomberais plus.

22. Comment as-tu été conduit à la vie criminelle que tu as menée ?

Rép. Écoute ! Je me suis cru fort ; j'ai choisi une rude épreuve ; j'ai cédé aux tentations du mal.

23. Le penchant au crime était-il dans ta nature, ou bien as-tu été entraîné par le milieu dans lequel tu as vécu ?

— Rép. Le penchant au crime était dans ma nature, car je n'étais qu'un Esprit inférieur. J'ai voulu m'élever promptement, mais j'ai demandé plus que mes forces.

24. Si tu avais reçu de bons principes d'éducation, aurais-tu pu être détourné de la vie criminelle ?

Rép. Oui ; mais j'ai choisi la position où je suis né.

25. Aurais-tu pu faire un homme de bien ?

Rép. Un homme faible, incapable du bien comme du mal. Je pouvais paralyser le mal de ma nature pendant mon existence, mais je ne pouvais m'élever jusqu'à faire le bien.

26. De ton vivant croyais-tu en Dieu ?

Rép. Non.

27. On dit qu'au moment de mourir tu t'es repenti ; est-ce vrai ?

Rép. J'ai cru à un Dieu vengeur. . . j'ai eu peur de sa justice.

28. En ce moment ton repentir est-il plus sincère ?

— Rép. Hélas ! je vois ce que j'ai fait.

29. Que penses-tu de Dieu maintenant ?

Rép. Je le sens et ne le comprends pas.

30. Trouves-tu juste le châtiment qui t'a été infligé sur la terre ?

Rép. Oui.

31. Espères-tu obtenir le pardon de tes crimes ?

Rép. Je ne sais.

32. Comment espères-tu racheter tes crimes ?

Rép. Par de nouvelles épreuves ; mais il me semble que l'Eternité est entre elles et moi.

33. Ces épreuves s'accompliront-elles sur la terre ou dans un autre monde ?

Rép. Je ne sais pas.

34. Comment pourras-tu expier tes fautes passées dans une nouvelle existence si tu n'en as pas le souvenir ?

Rép. J'en aurai la prescience.

35. Où es-tu maintenant ?

Rép. Je suis dans ma souffrance.

36. Je demande dans quel lieu tu es ?

Rép. Près d'Ermance.

37. Es-tu réincarné ou errant ?

Rép. Errant ; si j'étais réincarné, j'aurais l'espoir. J'ai dit : l'Eternité me semble entre l'expiation et moi.

38. Puisque tu es ici, si nous pouvions te voir, sous quelle forme nous apparaîtrais-tu ?

Rép. Sous ma forme corporelle, ma tête séparée du tronc.

39. Pourrais-tu nous apparaître ?

Rép. Non ; laissez-moi.

40. Voudrais-tu nous dire comment tu t'es évadé de la prison de Montdidier ?

Rép. Je ne sais plus. . . Ma souffrance est si grande que je n'ai plus que le souvenir du crime. . . Laissez-moi.

41. Pourrions-nous apporter quelque soulagement à tes souffrances ?

Rép. Faites des voeux pour que l'expiation arrive.

La reine d'Oude.

Nota. — Dans ces entretiens, nous supprimerons dorénavant la formule d'évocation, qui est toujours la même, à moins qu'elle ne présente, par la réponse, quelque particularité.

1. Quelle sensation avez-vous éprouvée en quittant la vie terrestre ?

Rép. Je ne saurais le dire ; j'éprouve encore du trouble.

2. Etes-vous heureuse ?

Rép. Non.

3. Pourquoi n'êtes-vous pas heureuse ?

Rép. Je regrette la vie. . . je ne sais. . . j'éprouve une poignante douleur ; la vie m'en aurait délivrée. . . je voudrais que mon corps se levât de son sépulcre.

4. Regrettez-vous de n'avoir pas été ensevelie dans votre pays et de l'être parmi des chrétiens ?

— Rép. Oui ; la terre indienne pèserait moins sur mon corps.

5. Que pensez-vous des honneurs funèbres rendus à votre dépouille ?

— Rép. Ils ont été bien peu de chose ; j'étais reine, et tous n'ont pas ployé les genoux devant moi. . . Laissez-moi. . . On me force à parler. . . Je ne veux pas que vous sachiez ce que je suis maintenant. . . J'ai été reine, sachez-le bien.

6. Nous respectons votre rang, et nous vous prions de nous répondre pour notre instruction.

Pensez-vous que votre fils recouvrera un jour les Etats de son père ?

Rép. Certes mon sang régnera ; il en est digne.

7. Attachez-vous à la réintégration de votre fils sur le trône d'Oude la même importance que de votre vivant ? - Rép. Mon sang ne peut être confondu dans la foule.

8. Quelle est votre opinion actuelle sur la véritable cause de la révolte des Indes ? - Rép. L'Indien est fait pour être maître chez lui.

9. Que pensez-vous de l'avenir qui est réservé à ce pays ? - Rép. L'Inde sera grande parmi les nations.

10. On n'a pu inscrire sur votre acte de décès le lieu de votre naissance ; pourriez-vous le dire maintenant ? - Rép. Je suis née du plus noble sang de l'Inde. Je crois que je suis née à Delhy.

11. Vous qui avez vécu dans les splendeurs du luxe et qui avez été entourée d'honneurs, qu'en pensez-vous maintenant ? - Rép. Ils m'étaient dus.

12. Le rang que vous avez occupé sur la terre vous en donne-t-il un plus élevé dans le monde où vous êtes aujourd'hui ? - Rép. Je suis toujours reine... Qu'on m'envoie des esclaves pour me servir !... Je ne sais ; on ne semble pas se soucier de moi ici... Pourtant, je suis toujours moi.

13. Apparteniez-vous à la religion musulmane, ou à une religion hindoue ? - Rép. Musulmane ; mais j'étais trop grande pour m'occuper de Dieu.

14. Quelle différence faites-vous entre la religion que vous professiez et la religion chrétienne, pour le bonheur à venir de l'homme ? - Rép. La religion chrétienne est absurde ; elle dit que tous sont frères.

15. Quelle est votre opinion sur Mahomet ? - Rép. Il n'était pas fils de roi.

16. Avait-il une mission divine ? - Rép. Que m'importe cela !

17. Quelle est votre opinion sur le Christ ? - Rép. Le fils du charpentier n'est pas digne d'occuper ma pensée.

18. Que pensez-vous de l'usage, qui soustrait les femmes musulmanes aux regards des hommes ? - Rép. Je pense que les femmes sont faites pour dominer : moi, j'étais femme.

19. Avez-vous quelquefois envié la liberté dont jouissent les femmes en Europe ? - Rép. Non ; que m'importait leur liberté ! les sert-on à genoux ?

20. Quelle est votre opinion sur la condition de la femme en général dans l'espèce humaine ? - Rép. Que m'importent les femmes ! Si tu me parlais des reines !

21. Vous rappelez-vous avoir eu d'autres existences sur la terre avant celle que vous venez de quitter ? - Rép. J'ai dû toujours être reine.

22. Pourquoi êtes-vous venue si promptement à notre appel ? - Rép. Je ne l'ai pas voulu ; on m'y a forcée... Penses-tu donc que j'eusse daigné répondre ? Qu'êtes-vous donc près de moi ?

23. Qui vous a forcée à venir ? - Rép. Je ne le sais pas... Cependant, il ne doit pas y en avoir de plus grand que moi.

24. Dans quel endroit êtes-vous ici ? - Rép. Près d'Ermance.

25. Sous quelle forme y êtes-vous ? - Rép. Je suis toujours reine... Penses-tu donc que j'aie cessé de l'être ? Vous êtes peu respectueux... Sachez que l'on parle autrement à des reines.

26. Pourquoi ne pouvons-nous pas vous voir ? - Rép. Je ne le veux pas.

27. Si nous pouvions nous voir, est-ce que nous vous verrions avec vos vêtements, vos parures et vos bijoux ? - Rép. Certes !

28. Comment se fait-il qu'ayant quitté tout cela, votre Esprit en ait conservé l'apparence, surtout de vos parures ? - Rép. Elles ne m'ont pas quittée... Je suis toujours aussi belle que j'étais... Je ne sais quelle idée vous vous faites de moi ! Il est vrai que vous ne m'avez jamais vue.

29. Quelle impression éprouvez-vous de vous trouver au milieu de nous ? - Rép. Si je le pouvais, je n'y serais pas : vous me traitez avec si peu de respect ! Je ne veux pas que l'on me tutoie... Nommez-moi Majesté, ou je ne réponds plus.

30. Votre Majesté comprenait-elle la langue française ? - Rép. Pourquoi ne l'aurais-je pas comprise ? Je savais tout.

31. Votre Majesté voudrait-elle nous répondre en anglais ? - Rép. Non... Ne me laisserez-vous donc pas tranquille ?... Je veux m'en aller... Laissez-moi... Me pensez-vous soumise à vos caprices ?... Je suis reine et ne suis pas esclave.

32. Nous vous prions seulement de vouloir bien répondre encore à deux ou trois questions.

Réponse de saint Louis, qui était présent : Laissez-la, la pauvre égarée ; ayez pitié de son aveuglement. Qu'elle vous serve d'exemple ! Vous ne savez pas combien souffre son orgueil.

Remarque. - Cet entretien offre plus d'un enseignement. En évoquant cette grandeur déchue, maintenant dans la tombe, nous n'espérions pas des réponses d'une grande profondeur, vu le genre d'éducation des femmes de ce pays ; mais nous pensions trouver en cet Esprit, sinon de la philosophie, du moins un sentiment plus vrai de la réalité, et des idées plus saines sur les vanités et les grandeurs d'ici-bas. Loin de là : chez lui les idées terrestres ont conservé toute leur force ; c'est l'orgueil qui n'a rien perdu de ses illusions, qui lutte contre sa propre faiblesse, et qui doit en effet bien souffrir de son impuissance. Dans la prévision de réponses d'une tout autre nature, nous avions préparé diverses questions qui sont devenues sans objet. Ces réponses sont si différentes de celles que nous attendions, ainsi que les personnes présentes, qu'on ne saurait y voir l'influence d'une pensée étrangère. Elles ont en outre un cachet de personnalité si caractérisé, qu'elles accusent clairement l'identité de l'Esprit qui s'est manifesté.

On pourrait s'étonner avec raison de voir Lemaire, homme dégradé et souillé de tous les crimes, manifester par son langage d'outre-tombe des sentiments qui dénotent une certaine élévation et une appréciation assez exacte de sa situation, tandis que chez la reine d'Oude, dont le rang qu'elle occupait aurait dû développer le sens moral, les idées terrestres n'ont subi aucune modification. La cause de cette anomalie nous paraît facile à expliquer. Lemaire, tout dégradé qu'il était, vivait au milieu d'une société civilisée et éclairée qui avait réagi sur sa nature grossière ; il avait absorbé à son insu quelques rayons de la lumière qui l'entourait, et cette lumière a dû faire naître en lui des pensées étouffées par son abjection, mais dont le germe n'en subsistait pas moins. Il en est tout autrement de la reine d'Oude : le milieu où elle a vécu, les habitudes, le défaut absolu de culture intellectuelle, tout a dû contribuer à maintenir dans toute leur force les idées dont elle était imbue dès l'enfance ; rien n'est venu modifier cette nature primitive, sur laquelle les préjugés ont conservé tout leur empire.

Le Docteur Xavier

Sur diverses questions Psycho-Physiologiques.

Un médecin de grand talent, que nous désignerons sous le nom de Xavier, mort il y a quelques mois, et qui s'était beaucoup occupé de magnétisme, avait laissé un manuscrit destiné, pensait-il, à faire une révolution dans la science. Avant de mourir il avait lu le Livre des Esprits et désiré se mettre en rapport avec l'auteur. La maladie à laquelle il a succombé ne lui en a pas laissé le temps. Son évocation a eu lieu sur la demande de sa famille, et les réponses, éminemment instructives, qu'elle renferme nous ont engagé à en insérer un extrait dans notre recueil, en supprimant tout ce qui est d'un intérêt privé.

1. Vous rappelez-vous le manuscrit que vous avez laissé ? - Rép. J'y attache peu d'importance.

2. Quelle est votre opinion actuelle sur ce manuscrit ? - Rép. Vaine oeuvre d'un être qui s'ignorait lui-même.

3. Vous pensiez cependant que cet ouvrage pourrait faire une révolution dans la science ? - Rép. Je vois trop clair maintenant.

4. Pourriez-vous, comme Esprit, corriger et achever ce manuscrit ? - Rép. Je suis parti d'un point que je connaissais mal ; peut-être faudrait-il tout refaire.

5. Etes-vous heureux ou malheureux ? - Rép. J'attends et je souffre.

6. Qu'attendez-vous ? - Rép. De nouvelles épreuves.

7. Quelle est la cause de vos souffrances ? - Rép. Le mal que j'ai fait.

8. Vous n'avez cependant pas fait de mal avec intention ? - Rép. Connais-tu bien le coeur de l'homme ?

9. Etes-vous errant ou incarné ? - Rép. Errant.

10. Quel était, de votre vivant, votre opinion sur la Divinité ? - Rép. Je n'y croyais pas.

11. Quelle est-elle maintenant ? - Rép. Je n'y crois que trop.

12. Vous aviez le désir de vous mettre en rapport avec moi ; vous le rappelez-vous ? - Rép. Oui.

13. Me voyez-vous et me reconnaissez-vous pour la personne avec qui vous vouliez entrer en relation ? - Rép. Oui.

14. Quelle impression le Livre des Esprits a-t-il faite sur vous ? - Rép. Il m'a bouleversé.

15. Qu'en pensez-vous maintenant ? - Rép. C'est une grande oeuvre.

16. Que pensez-vous de l'avenir de la doctrine spirite ? - Rép. Il est grand, mais certains disciples la gâtent.

17. Quels sont ceux qui la gâtent ? - Rép. Ceux qui attaquent ce qui existe : les religions, les premières et les plus simples croyances des hommes.

18. Comme médecin, et en raison des études que vous avez faites, vous pourrez sans doute répondre aux questions suivantes :

Le corps peut-il conserver quelques instants la vie organique après la séparation de l'âme ? - Rép. Oui.

19. Combien de temps ? - Rép. Il n'y a pas de temps.

20. Précisez votre réponse, je vous prie. - Rép. Cela ne dure que quelques instants.

21. Comment s'opère la séparation de l'âme du corps ? - Rép. Comme un fluide qui s'échappe d'un vase quelconque.

22. Y a-t-il une ligne de démarcation réellement tranchée entre la vie et la mort ? - Rép. Ces deux états se touchent et se confondent ; ainsi l'Esprit se dégage peu à peu de ses liens ; il se dénoue et ne se brise pas.

23. Ce dégagement de l'âme s'opère-t-il plus promptement chez les uns que chez les autres ? - Rép. Oui : ceux qui, de leur vivant, se sont déjà élevés au-dessus de la matière, car alors leur âme appartient plus au monde des Esprits qu'au monde terrestre.

24. A quel moment s'opère l'union de l'âme et du corps chez l'enfant ? - Rép. Lorsque l'enfant respire ; comme s'il recevait l'âme avec l'air extérieur.

Remarque. Cette opinion est la conséquence du dogme catholique. En effet, l'Eglise enseigne que l'âme ne peut être sauvée que par le baptême ; or, comme la mort naturelle intra-utérine est très fréquente, que deviendrait cette âme privée, selon elle, de cet unique moyen de salut, si elle existait dans le corps avant la naissance ? Pour être conséquent, il faudrait que le baptême eût lieu, sinon de fait, du moins d'intention, dès l'instant de la conception.

25. Comment expliquez-vous alors la vie intra-utérine ? - Rép. Comme la plante qui végète. L'enfant vit de sa vie animale.

26. Y a-t-il crime à priver un enfant de la vie avant sa naissance, puisque, avant cette époque, l'enfant n'ayant pas d'âme n'est point en quelque sorte un être humain ? - Rép. La mère, ou tout autre commettra toujours un crime en ôtant la vie à l'enfant avant sa naissance, car c'est empêcher l'âme de supporter les épreuves dont le corps devait être l'instrument.

27. L'expiation qui devait être subie par l'âme empêchée de s'incarner aura-t-elle lieu néanmoins ? - Rép. Oui, mais Dieu savait que l'âme ne s'unirait pas à ce corps ; ainsi aucune âme ne devait s'unir à cette enveloppe corporelle : c'était l'épreuve de la mère.

28. Dans le cas où la vie de la mère serait en danger par la naissance de l'enfant, y a-t-il crime à sacrifier l'enfant pour sauver sa mère ? - Rép. Non ; il faut sacrifier l'être qui n'existe pas à l'être qui existe.

29. L'union de l'âme et du corps s'opère-t-elle instantanément ou graduellement ; c'est-à-dire faut-il un temps appréciable pour que cette union soit complète ? - Rép. L'Esprit n'entre pas brusquement dans le corps. Pour mesurer ce temps, imaginez-vous que le premier souffle que l'enfant reçoit est l'âme qui entre dans le corps : le temps que la poitrine se soulève et s'abaisse.

30. L'union d'une âme avec tel ou tel corps est-elle prédestinée, ou bien n'est-ce qu'au moment de la naissance que le choix se fait ? - Rép. Dieu l'a marqué ; cette question demande de plus longs développements. L'Esprit en choisissant l'épreuve qu'il veut subir demande à s'incarner ; or Dieu, qui sait tout et voit tout, a su et vu d'avance que telle âme s'unirait à tel corps. Lorsque l'Esprit naît dans les basses classes de la société, il sait que sa vie ne sera que labeur et souffrances. L'enfant qui va naître a une existence qui résulte, jusqu'à un certain point, de la position de ses parents.

31. Pourquoi des parents bons et vertueux donnent-ils naissance à des enfants d'une nature perverse ? autrement dit, pourquoi les bonnes qualités des parents n'attirent-elles pas toujours, par sympathie, un bon Esprit pour animer leur enfant ? - Rép. Un mauvais Esprit demande de bons parents, dans l'espérance que leurs conseils le dirigeront dans une voie meilleure.

32. Les parents peuvent-ils, par leurs pensées et leurs prières, attirer dans le corps de l'enfant un bon Esprit plutôt qu'un Esprit inférieur ? - Rép. Non ; mais ils peuvent améliorer l'Esprit de l'enfant qu'ils ont fait naître : c'est leur devoir ; de mauvais enfants sont une épreuve pour les parents.

33. On conçoit l'amour maternel pour la conservation de la vie de l'enfant, mais puisque cet amour est dans la nature, pourquoi y a-t-il des mères qui haïssent leurs enfants, et cela souvent dès leur naissance ? -Rép. Mauvais Esprits qui tâchent d'entraver l'Esprit de l'enfant, afin qu'il succombe sous l'épreuve qu'il a voulue.

34. Nous vous remercions des explications que vous avez bien voulu nous donner. - Rép. Pour vous instruire, je ferai tout.

Remarque. La théorie donnée par cet Esprit sur l'instant de l'union de l'âme et du corps n'est pas tout à fait exacte. L'union commence dès la conception ; c'est-à-dire que, dès ce moment, l'Esprit, sans être incarné, tient au corps par un lien fluidique qui va se resserrant de plus en plus jusqu'à la naissance ; l'incarnation n'est complète que lorsque l'enfant respire. (Voy. le Livre des Esprits, n° 344 et suiv.)



Deuxième article. - Voir le numéro de février 1858.

M. Home, ainsi que nous l'avons dit, est un médium du genre de ceux sous l'influence desquels se produisent plus spécialement des phénomènes physiques, sans exclure pour cela les manifestations intelligentes. Tout effet qui révèle l'action d'une volonté libre est par cela même intelligent ; c'est-à-dire qu'il n'est pas purement mécanique et qu'il ne saurait être attribué à un agent exclusivement matériel ; mais de là aux communications instructives d'une haute portée morale et philosophique, il y a une grande distance, et il n'est pas à notre connaissance que M. Home en obtienne de cette nature. N'étant pas médium écrivain, la plupart des réponses sont données par des coups frappés indiquant les lettres de l'alphabet, moyen toujours imparfait et trop lent, qui se prête difficilement à des développements d'une certaine étendue. Il obtient pourtant aussi l'écriture, mais par un autre moyen dont nous parlerons tout à l'heure.

Disons d'abord, comme principe général, que les manifestations ostensibles, celles qui frappent nos sens, peuvent être spontanées ou provoquées. Les premières sont indépendantes de la volonté ; elles ont même souvent lieu contre la volonté de celui qui en est l'objet, et auquel elles ne sont pas toujours agréables. Les faits de ce genre sont fréquents, et, sans remonter aux récits plus ou moins authentiques des temps reculés, l'histoire contemporaine nous en offre de nombreux exemples dont la cause, ignorée dans le principe, est aujourd'hui parfaitement connue : tels sont, par exemple, les bruits insolites, le mouvement désordonné des objets, les rideaux tirés, les couvertures arrachées, certaines apparitions, etc. Quelques personnes sont douées d'une faculté spéciale qui leur donne le pouvoir de provoquer ces phénomènes, au moins en partie, pour ainsi dire à volonté. Cette faculté n'est point très rare, et, sur cent personnes, cinquante au moins la possèdent à un degré plus ou moins grand. Ce qui distingue M. Home, c'est qu'elle est développée en lui, comme chez les médiums de sa force, d'une manière pour ainsi dire exceptionnelle. Tel n'obtiendra que des coups légers, ou le déplacement insignifiant d'une table, alors que sous l'influence de M. Home les bruits les plus retentissants se font entendre, et tout le mobilier d'une chambre peut être bouleversé, les meubles montant les uns sur les autres. Quelque étranges que soient ces phénomènes, l'enthousiasme de quelques admirateurs trop zélés a encore trouvé moyen de les amplifier par des faits de pure invention. D'un autre côté, les détracteurs ne sont pas restés inactifs ; ils ont raconté sur lui toutes sortes d'anecdotes qui n'ont existé que dans leur imagination. En voici un exemple. M. le marquis de ..., un des personnages qui ont porté le plus d'intérêt à M. Home, et chez lequel il était reçu dans l'intimité, se trouvait un jour à l'Opéra avec ce dernier. A l'orchestre était M. de P..., un de nos abonnés, qui les connaît personnellement l'un et l'autre. Son voisin lie conversation avec lui ; elle tombe sur M. Home. « Croiriez-vous, dit-il, que ce prétendu sorcier, ce charlatan, a trouvé moyen de s'introduire chez le marquis de... ; mais ses artifices ont été découverts, et il a été mis à la porte à coups de pieds comme un vil intrigant. - En êtes-vous bien sûr ? dit M. de P... et connaissez-vous M. le marquis de... ? -Certainement, reprend l'interlocuteur. - En ce cas, dit M. de P... regardez dans cette loge, vous pouvez le voir en compagnie de M. Home lui-même, auquel il n'a pas l'air de donner des coups de pied. » Là-dessus, notre malencontreux narrateur, ne jugeant pas à propos de poursuivre l'entretien, prit son chapeau et ne reparut plus. On peut juger par là de la valeur de certaines assertions. Assurément, si certains faits colportés par la malveillance étaient réels, ils lui auraient fait fermer plus d'une porte ; mais comme les maisons les plus honorables lui ont toujours été ouvertes, on doit en conclure qu'il s'est toujours et partout conduit en galant homme. Il suffit d'ailleurs d'avoir causé quelquefois avec M. Home, pour voir qu'avec sa timidité et la simplicité de son caractère, il serait le plus maladroit de tous les intrigants ; nous insistons sur ce point pour la moralité de la cause. Revenons à ses manifestations. Notre but étant de faire connaître la vérité dans l'intérêt de la science, tout ce que nous rapporterons est puisé à des sources tellement authentiques que nous pouvons en garantir la plus scrupuleuse exactitude ; nous le tenons de témoins oculaires trop graves, trop éclairés et trop haut placés pour que leur sincérité puisse être révoquée en doute. Si l'on disait que ces personnes ont pu, de bonne foi, être dupes d'une illusion, nous répondrions qu'il est des circonstances qui échappent à toute supposition de ce genre ; d'ailleurs ces personnes étaient trop intéressées à connaître la vérité pour ne pas se prémunir contre toute fausse apparence.

Home commence généralement ses séances par les faits connus : des coups frappés dans une table ou dans toute autre partie de l'appartement, en procédant comme nous l'avons dit ailleurs. Vient ensuite le mouvement de la table, qui s'opère d'abord par l'imposition des mains de lui seul ou de plusieurs personnes réunies, puis à distance et sans contact ; c'est une sorte de mise en train. Très souvent il n'obtient rien de plus ; cela dépend de la disposition où il se trouve et quelquefois aussi de celle des assistants ; il est telles personnes devant lesquelles il n'a jamais rien produit, fussent-elles de ses amis. Nous ne nous étendrons pas sur ces phénomènes aujourd'hui si connus et qui ne se distinguent que par leur rapidité et leur énergie. Souvent après plusieurs oscillations et balancements, la table se détache du sol, s'élève graduellement, lentement, par petites saccades, non plus de quelques centimètres, mais jusqu'au plafond, et hors de la portée des mains ; après être restée suspendue quelques secondes dans l'espace, elle descend comme elle était montée, lentement, graduellement.

La suspension d'un corps inerte, et d'une pesanteur spécifique incomparablement plus grande que celle de l'air, étant un fait acquis, on conçoit qu'il peut en être de même d'un corps animé. Nous n'avons pas appris que M. Home eût opéré sur aucune autre personne que sur lui-même, et encore ce fait ne s'est point produit à Paris, mais il est avéré qu'il a eu lieu plusieurs fois tant à Florence qu'en France, et notamment à Bordeaux, en présence des témoins les plus respectables que nous pourrions citer au besoin. Il s'est, comme la table, élevé jusqu'au plafond, puis est redescendu de même. Ce qu'il y a de bizarre dans ce phénomène, c'est que, quand il se produit, ce n'est point par un acte de sa volonté, et il nous a dit lui-même qu'il ne s'en aperçoit pas et croit toujours être sur le sol, à moins qu'il ne regarde en bas ; les témoins seuls le voient s'enlever ; quant à lui, il éprouve à ce moment la sensation produite par le soulèvement d'un navire sur les vagues. Du reste, le fait que nous rapportons n'est point personnel à M. Home. L'histoire en cite plus d'un exemple authentique que nous relaterons ultérieurement.

De toutes les manifestations produites par M. Home, la plus extraordinaire est sans contredit celle des apparitions, c'est pourquoi nous y insisterons davantage, en raison des graves conséquences qui en découlent et de la lumière qu'elles jettent sur une foule d'autres faits. Il en est de même des sons produits dans l'air, des instruments de musique qui jouent seuls, etc. Nous examinerons ces phénomènes en détail dans notre prochain numéro.

M. Home, de retour d'un voyage en Hollande où il a produit à la cour et dans la haute société une profonde sensation, vient de partir pour l'Italie. Sa santé, gravement altérée, lui rendait nécessaire un climat plus doux.

Nous confirmons avec plaisir ce que certains journaux ont rapporté d'un legs de 6 000 fr. de rente qui lui a été fait par une dame anglaise convertie par lui à la doctrine spirite, et en reconnaissance de la satisfaction qu'elle en a éprouvée. M. Home méritait à tous égards cet honorable témoignage. Cet acte, de la part de la donatrice, est un précédent auquel applaudiront tous ceux qui partagent nos convictions ; espérons qu'un jour la doctrine aura son Mécène : la postérité inscrira son nom parmi les bienfaiteurs de l'humanité. La religion nous enseigne l'existence de l'âme et son immortalité ; le Spiritisme nous en donne la preuve palpable et vivante, non plus par le raisonnement, mais par des faits. Le matérialisme est un des vices de la société actuelle, parce qu'il engendre l'égoïsme. Qu'y a-t-il, en effet, en dehors du moi pour quiconque rapporte tout à la matière et à la vie présente ? La doctrine spirite, intimement liée aux idées religieuses, en nous éclairant sur notre nature, nous montre le bonheur dans la pratique des vertus évangéliques ; elle rappelle l'homme à ses devoirs envers Dieu, la société et lui-même ; aider à sa propagation, c'est porter le coup mortel à la plaie du scepticisme qui nous envahit comme un mal contagieux ; honneur donc à ceux qui emploient à cette oeuvre les biens dont Dieu les a favorisés sur la terre !


Lorsque parurent les premiers phénomènes spirites, quelques personnes ont pensé que cette découverte (si on peut y appliquer ce nom) allait porter un coup fatal au magnétisme, et qu'il en serait de cela comme des inventions, dont la plus perfectionnée fait oublier sa devancière. Cette erreur n'a pas tardé à se dissiper, et l'on a promptement reconnu la proche parenté de ces deux sciences. Toutes deux, en effet, basées sur l'existence et la manifestation de l'âme, loin de se combattre, peuvent et doivent se prêter un mutuel appui : elles se complètent et s'expliquent l'une par l'autre. Leurs adeptes respectifs diffèrent pourtant sur quelques points : certains magnétistes[1] n'admettent pas encore l'existence, ou tout au moins la manifestation des Esprits : ils croient pouvoir tout expliquer par la seule action du fluide magnétique, opinion que nous nous bornons à constater, nous réservant de la discuter plus tard. Nous-même l'avons partagée dans le principe ; mais nous avons dû, comme tant d'autres, nous rendre à l'évidence des faits. Les adeptes du Spiritisme, au contraire, sont tous ralliés au magnétisme ; tous admettent son action et reconnaissent dans les phénomènes somnambuliques une manifestation de l'âme. Cette opposition, du reste, s'affaiblit de jour en jour, et il est aisé de prévoir que le temps n'est pas loin où toute distinction aura cessé. Cette divergence d'opinions n'a rien qui doive surprendre. Au début d'une science encore si nouvelle, il est tout simple que chacun, envisageant la chose à son point de vue, s'en soit formé une idée différente. Les sciences les plus positives ont eu, et ont encore, leurs sectes qui soutiennent avec ardeur des théories contraires ; les savants ont élevé écoles contre écoles, drapeau contre drapeau, et, trop souvent pour leur dignité, leur polémique, devenue irritante et agressive par l'amour-propre froissé, est sortie des limites d'une sage discussion. Espérons que les sectateurs du magnétisme et du Spiritisme, mieux inspirés, ne donneront pas au monde le scandale de discussions fort peu édifiantes et toujours fatales à la propagation de la vérité, de quelque côté qu'elle soit. On peut avoir son opinion, la soutenir, la discuter ; mais le moyen de s'éclairer n'est pas de se déchirer, procédé toujours peu digne d'hommes graves et qui devient ignoble si l'intérêt personnel est en jeu.

Le magnétisme a préparé les voies du Spiritisme, et les rapides progrès de cette dernière doctrine sont incontestablement dus à la vulgarisation des idées sur la première. Des phénomènes magnétiques, du somnambulisme et de l'extase aux manifestations spirites, il n'y a qu'un pas ; leur connexion est telle, qu'il est pour ainsi dire impossible de parler de l'un sans parler de l'autre. Si nous devions rester en dehors de la science magnétique, notre cadre serait incomplet, et l'on pourrait nous comparer à un professeur de physique qui s'abstiendrait de parler de la lumière. Toutefois, comme le magnétisme a déjà parmi nous des organes spéciaux justement accrédités, il deviendrait superflu de nous appesantir sur un sujet traité avec la supériorité du talent et de l'expérience ; nous n'en parlerons donc qu'accessoirement, mais suffisamment pour montrer les rapports intimes de deux sciences qui, en réalité, n'en font qu'une.

Nous devions à nos lecteurs cette profession de foi, que nous terminons en rendant un juste hommage aux hommes de conviction qui, bravant le ridicule, les sarcasmes et les déboires, se sont courageusement dévoués pour la défense d'une cause tout humanitaire. Quelle que soit l'opinion des contemporains sur leur compte personnel, opinion qui est toujours plus ou moins le reflet des passions vivantes, la postérité leur rendra justice ; elle placera les noms du baron Du Potet, directeur du Journal du Magnétisme, de M. Millet, directeur de l'Union magnétique, à côté de leurs illustres devanciers, le marquis de Puységur et le savant Deleuze. Grâce à leurs efforts persévérants, le magnétisme, devenu populaire, a mis un pied dans la science officielle, où l'on en parle déjà à voix basse. Ce mot est passé dans la langue usuelle ; il n'effarouche plus, et lorsque quelqu'un se dit magnétiseur, on ne lui rit plus au nez.

ALLAN KARDEC.





[1]Le magnétiseur est celui qui pratique le magnétisme ; magnétiste se dit de quiconque en adopte les principes. On peut être magnétiste sans être magnétiseur ; mais on ne peut pas être magnétiseur sans être magnétiste.


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