REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1869

Allan Kardec

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Mars

La chair est faible

Etude physiologique et morale

Il y a des penchants vicieux qui sont évidemment inhérents à l'Esprit, parce qu'ils tiennent plus au moral qu'au physique ; d'autres semblent plutôt la conséquence de l'organisme, et, par ce motif, on s'en croit moins responsable ; telles sont les prédispositions à la colère, à la mollesse, à la sensualité, etc.

Il est parfaitement reconnu aujourd'hui, par les philosophes spiritualistes, que les organes cérébraux correspondant aux diverses aptitudes, doivent leur développement à l'activité de l'Esprit ; que ce développement est ainsi un effet et non une cause. Un homme n'est pas musicien, parce qu'il a la bosse de la musique, mais il n'a la bosse de la musique que parce que son Esprit est musicien (Revue, de juillet 1860, page 198, et avril 1862, page 97.)

Si l'activité de l'Esprit réagit sur le cerveau, elle doit réagir également sur les autres parties de l'organisme. L'Esprit est ainsi l'artisan de son propre corps, qu'il façonne, pour ainsi dire, afin de l'approprier à ses besoins et à la manifestation de ses tendances. Cela étant donné, la perfection du corps chez les races avancées serait le résultat du travail de l'Esprit qui perfectionne son outillage à mesure que ses facultés augmentent. (Genèse selon le Spiritisme, chap. XI ; Genèse spirituelle.)

Par une conséquence naturelle de ce principe, les dispositions morales de l'Esprit doivent modifier les qualités du sang, lui donner plus ou moins d'activité, provoquer une sécrétion plus ou moins abondante de bile ou autres fluides. C'est ainsi, par exemple, que le gourmand se sent venir la salive, ou, comme on le dit vulgairement, l'eau à la bouche à la vue d'un mets appétissant. Ce n'est pas le mets qui peut surexciter l'organe du goût, puisqu'il n'y a pas contact ; c'est donc l'Esprit dont la sensualité est éveillée, qui agit par la pensée sur cet organe, tandis que, sur un autre Esprit, la vue de ce mets ne produit rien. Il en est de même de toutes les convoitises, de tous les désirs provoqués par la vue. La diversité des émotions ne peut s'expliquer, dans une foule de cas, que par la diversité des qualités de l'Esprit. Telle est la raison pour laquelle une personne sensible verse facilement des larmes ; ce n'est pas l'abondance des larmes qui donne la sensibilité à l'Esprit, mais la sensibilité de l'Esprit qui provoque la sécrétion abondante des larmes. Sous l'empire de la sensibilité, l'organisme s'est modelé sur cette disposition normale de l'Esprit, comme il s'est modelé sur celle de l'Esprit gourmand.

En suivant cet ordre d'idées, on comprend qu'un Esprit irascible doit pousser au tempérament bilieux ; d'où il suit qu'un homme n'est pas colère parce qu'il est bilieux, mais qu'il est bilieux, parce qu'il est colère. Ainsi en est-il de toutes les autres dispositions instinctives ; un Esprit mou et indolent laissera son organisme dans un état d'atonie en rapport avec son caractère, tandis que s'il est actif et énergique, il donnera à son sang, à ses nerfs des qualités toutes différentes. L'action de l'Esprit sur le physique est tellement évidente, qu'on voit souvent de graves désordres organiques se produire par l'effet de violentes commotions morales. L'expression vulgaire : L'émotion lui a tourné le sang, n'est pas aussi dénuée de sens qu'on pourrait le croire ; or, qui a pu tourner le sang, sinon les dispositions morales de l'Esprit ?

Cet effet est surtout sensible dans les grandes douleurs, les grandes joies et les grandes frayeurs, dont la réaction peut aller jusqu'à causer la mort. On voit des gens qui meurent de la peur de mourir ; or, quel rapport existe-t-il entre le corps de l'individu et l'objet qui cause sa frayeur, objet qui, souvent, n'a aucune réalité ? C'est, dit-on, l'effet de l'imagination ; soit ; mais qu'est-ce que l'imagination, sinon un attribut, un mode de sensibilité de l'Esprit ? Il paraît difficile d'attribuer l'imagination aux muscles et aux nerfs, car alors on ne s'expliquerait pas pourquoi ces muscles et ces nerfs n'ont pas toujours de l'imagination ; pourquoi ils n'en ont plus après la mort ; pourquoi ce qui cause chez les uns une frayeur mortelle, surexcite le courage chez d'autres.

De quelque subtilité que l'on use pour expliquer les phénomènes moraux par les seules propriétés de la matière, on tombe inévitablement dans une impasse, au fond de laquelle on aperçoit, dans toute son évidence, et comme seule solution possible, l'être spirituel indépendant, pour qui l'organisme n'est qu'un moyen de manifestation, comme le piano est l'instrument des manifestations de la pensée du musicien. De même que le musicien accorde son piano, on peut dire que l'Esprit accorde son corps pour le mettre au diapason de ses dispositions morales.

Il est vraiment curieux de voir le matérialisme parler sans cesse de la nécessité de relever la dignité de l'homme, alors qu'il s'efforce de le réduire à un morceau de chair qui se pourrit et disparaît sans laisser aucun vestige ; de revendiquer pour lui la liberté comme un droit naturel, alors qu'il en fait une mécanique marchant comme un tournebroche, sans responsabilité de ses actes.

Avec l'être spirituel indépendant, préexistant et survivant au corps, la responsabilité est absolue ; or, pour le plus grand nombre, le premier, le principal mobile de la croyance au néantisme, c'est l'effroi que cause cette responsabilité, en dehors de la loi humaine, et à laquelle on croit échapper en se bouchant les yeux. Jusqu'à ce jour cette responsabilité n'avait rien de bien défini ; ce n'était qu'une crainte vague, fondée, il faut bien le reconnaître, sur des croyances qui n'étaient pas toujours admissibles par la raison ; le Spiritisme la démontre comme une réalité patente, effective, sans restriction, comme une conséquence naturelle de la spiritualité de l'être ; c'est pourquoi certaines gens ont peur du Spiritisme qui les troublerait dans leur quiétude, en dressant devant eux le redoutable tribunal de l'avenir. Prouver que l'homme est responsable de tous ses actes, c'est prouver sa liberté, d'action, et prouver sa liberté, c'est relever sa dignité. La perspective de la responsabilité en dehors de la loi humaine est le plus puissant élément moralisateur : c'est le but auquel conduit le Spiritisme par la force des choses.

D'après les observations physiologiques qui précèdent, on peut donc admettre que le tempérament est, au moins en partie, déterminé par la nature de l'Esprit, qui est cause et non effet. Nous disons en partie, parce qu'il est des cas où le physique influe évidemment sur le moral : c'est lorsqu'un état morbide ou anormal est déterminé par une cause externe, accidentelle, indépendante de l'Esprit, comme la température, le climat, les vices héréditaires de constitution, un malaise passager, etc. Le moral de l'Esprit peut alors être affecté dans ses manifestations par l'état pathologique, sans que sa nature intrinsèque soit modifiée.

S'excuser de ses méfaits sur la faiblesse de la chair n'est donc qu'un faux-fuyant pour échapper à la responsabilité. La chair n'est faible que parce que l'Esprit est faible, ce qui renverse la question, et laisse à l'Esprit la responsabilité de tous ses actes. La chair, qui n'a ni pensée ni volonté, ne prévaut jamais sur l'Esprit qui est l'être pensant et voulant ; c'est l'Esprit qui donne à la chair les qualités correspondantes à ses instincts, comme un artiste imprime à son œuvre matérielle le cachet de son génie. L'Esprit affranchi des instincts de la bestialité se façonne un corps qui n'est plus un tyran pour ses aspirations vers la spiritualité de son être ; c'est alors que l'homme mange pour vivre, parce que vivre est une nécessité, mais ne vit plus pour manger.

La responsabilité morale des actes de la vie reste donc entière ; mais la raison dit que les conséquences de cette responsabilité doivent être en raison du développement intellectuel de l'Esprit ; plus il est éclairé, moins il est excusable, parce qu'avec l'intelligence et le sens moral, naissent les notions du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Le sauvage, encore voisin de l'animalité, qui cède à l'instinct de la brute en mangeant son semblable, est, sans contredit, moins coupable que l'homme civilisé qui commet une simple injustice.

Cette loi trouve encore son application dans la médecine, et donne la raison de l'insuccès de celle-ci dans certains cas. Dès lors que le tempérament est un effet et non une cause, les efforts tentés pour le modifier peuvent être paralysés par les dispositions morales de l'Esprit qui oppose une résistance inconsciente et neutralise l'action thérapeutique. C'est donc sur la cause première qu'il faut agir ; si l'on parvient à changer les dispositions morales de l'Esprit, le tempérament se modifiera de lui-même sous l'empire d'une volonté différente, ou, tout au moins, l'action du traitement médical sera secondée au lieu d'être contrecarrée. Donnez, si c'est possible, du courage au poltron, et vous verrez cesser les effets physiologiques de la peur ; il en est de même des autres dispositions.

Mais, dira-t-on, le médecin du corps peut-il se faire le médecin de l'âme ? Est-il dans ses attributions de se faire le moralisateur de ses malades ? Oui, sans doute, dans une certaine limite ; c'est même un devoir qu'un bon médecin ne néglige jamais, dès l'instant qu'il voit dans l'état de l'âme un obstacle au rétablissement de la santé du corps ; l'essentiel est d'appliquer le remède moral avec tact, prudence et à propos, selon les circonstances. A ce point de vue, son action est forcément circonscrite, car, outre qu'il n'a sur son malade qu'un ascendant moral, une transformation du caractère est difficile à un certain âge ; c'est donc à l'éducation, et surtout à l'éducation première, qu'incombent les soins de cette nature. Quand l'éducation sera, dès le berceau, dirigée dans ce sens ; quand on s'attachera à étouffer, dans leur germe, les imperfections morales, comme on le fait pour les imperfections physiques, le médecin ne trouvera plus, dans le tempérament, un obstacle contre lequel sa science est trop souvent impuissante.

C'est, comme on le voit, toute une étude ; mais une étude complètement stérile tant qu'on ne tiendra pas compte de l'action de l'élément spirituel sur l'organisme. Participation incessamment active de l'élément spirituel dans les phénomènes de la vie, telle est la clef de la plupart des problèmes contre lesquels se heurte la science ; quand la science fera entrer en ligne de compte l'action de ce principe, elle verra s'ouvrir devant elle des horizons tout nouveaux. C'est la démonstration de cette vérité qu'apporte le Spiritisme.

Apôtres du Spiritisme en Espagne

Ciudad‑Real, février 1869

A Monsieur Allan Kardec.

Cher Monsieur,

Les Spirites qui composaient le cercle de la ville d'Andujar, aujourd'hui disséminés par la volonté de Dieu pour la propagation de la véritable doctrine, vous saluent fraternellement.

Infimes par le talent, grands par la foi, nous nous proposons de soutenir, tant par la presse que par la parole, tant en public qu'en particulier, la doctrine spirite, parce que c'est celle-là même que Jésus a prêchée, lorsqu'il est venu sur la terre pour la rédemption de l'humanité.

La doctrine spirite, appelée à combattre le matérialisme, à faire prévaloir la divine parole, afin que l'esprit de l'Évangile ne soit plus tronqué par personne, à préparer le chemin de l'égalité et de la fraternité, a besoin aujourd'hui, en Espagne, d'apôtres et de martyrs. Si nous ne pouvons être des premiers, nous serons des derniers : nous sommes prêts pour le sacrifice.

Nous lutterons seuls ou ensemble, avec ceux qui professent notre doctrine. Les temps sont arrivés ; ne perdons pas, par indécision ou par peur, la récompense qui est réservée à ceux qui souffrent et sont persécutés pour la justice.

Notre groupe était composé de six personnes, sous la direction spirituelle de l'Esprit de Fénelon. Notre médium était Francisco Perez Blanca, et les autres : Pobla Medina, Luis Gonzalez, Francisco Marti, José Gonzalez et Manuel Gonzalez.

Après avoir répandu la semence à Andujar, nous sommes aujourd'hui dans différentes villes : Léon, Séville, Salamanca, etc., où chacun de nous travaille à la propagation de la doctrine, ce que nous considérons comme notre mission.

Suivant les conseils de Fénelon, nous allons publier un journal spirite ; désirant l'illustrer d'extraits tirés des œuvres que vous avez publiées, nous vous prions de nous en accorder la permission. Nous serions en outre très heureux de votre bienveillante coopération, et à cette fin, nous mettons à votre disposition les colonnes de notre journal.

Vous remerciant à l'avance, nous vous prions de saluer en notre nom nos frères de la Société de Paris ;

Et vous, cher Monsieur, recevez la fraternelle accolade de vos frères. Pour tous.

Manuel Gonzalez Soriano.

Nous avons eu déjà maintes fois l'occasion de dire que l'Espagne comptait de nombreux adeptes, sincères, dévoués et éclairés ; ici, c'est plus que du dévouement, c'est de l'abnégation ; non une abnégation irréfléchie, mais calme, froide, comme celle du soldat qui marche au combat en se disant : Quoi qu'il m'en coûte, je ferai mon devoir. Ce n'est pas ce courage qui flamboie comme un feu de paille et s'éteint à la première alerte ; qui, avant d'agir, calcule soigneusement ce qu'il peut perdre ou gagner, c'est le dévouement de celui qui met l'intérêt de tous avant l'intérêt personnel.

Que serait-il advenu des grandes idées qui ont fait avancer le monde, si elles n'avaient trouvé que des défenseurs égoïstes, dévoués en paroles tant qu'il n'y avait rien à craindre et rien à perdre, mais fléchissant devant un regard de travers et la peur de compromettre quelques parcelles de leur bien-être ? Les sciences, les arts, l'industrie, le patriotisme, les religions, les philosophies ont eu leurs apôtres et leurs martyrs. Le Spiritisme aussi est une grande idée régénératrice ; il naît à peine ; il n'est pas encore complet, et déjà il trouve des cœurs dévoués jusqu'à l'abnégation, jusqu'au sacrifice ; dévouements souvent obscurs, ne cherchant ni la, gloire ni l'éclat, mais qui, pour agir dans une petite sphère, n'en sont que plus méritoires, parce qu'ils sont plus désintéressés moralement.

Cependant, dans toutes les causes, les dévouements au grand jour sont nécessaires, parce qu'ils électrisent les masses, Le temps n'est pas éloigné, cela est certain, où le Spiritisme aura aussi ses grands défenseurs qui, bravant les sarcasmes, les préjugés et la persécution, en arboreront le drapeau avec la fermeté que donne la conscience de faire une chose utile ; ils l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur talent, et leur exemple entraînera la foule des timides qui se tiennent encore prudemment à l'écart.

Nos frères d'Espagne ouvrent la marche ; ils ceignent leurs reins, et s'apprêtent à la lutte ; qu'ils reçoivent nos félicitations et celles de leurs frères en croyance de tous les pays, car entre les Spirites il n'y a pas de distinction de nationalités. Leurs noms seront inscrits avec honneur à côté des courageux pionniers auxquels la postérité devra un tribut de reconnaissance pour avoir, des premiers, payé de leur personne, et contribué à l'érection de l'édifice.

Est-ce à dire que le dévouement consiste à prendre le bâton de voyage pour aller prêcher de par le monde à tout venant ? Non, certes ; en quelque lieu que l'on soit on peut être utile. Le véritable dévouement consiste à savoir tirer le meilleur parti de sa position, en mettant au service de la cause, le plus utilement possible et avec discernement, les forces physiques et morales que la Providence a départies à chacun.

La dispersion de ces messieurs n'est pas le fait de leur volonté ; réunis d'abord par la nature de leurs fonctions, ces mêmes foncions les ont appelés sur différents points de l'Espagne. Loin de se décourager de cet isolement, ils ont compris que, tout en restant unis de pensée et d'action, ils allaient pouvoir planter le drapeau en plusieurs centres, et qu'ainsi leur séparation tournerait au profit de la vulgarisation de l'idée.

Ainsi en a-t-il été d'un régiment français dont un certain nombre d'officiers avaient formé entre eux un des groupes les plus sérieux et les mieux organisés que nous ayons vus. Animés d'un zèle éclairé et d'un dévouement à l'épreuve, leur but était d'abord de s'instruire à fond des principes de la doctrine, puis de s'exercer à la parole en s'imposant l'obligation de traiter, à tour de rôle, une question, afin de se familiariser avec la controverse. Hors de leur cercle, ils prêchaient de parole et d'exemple, mais avec prudence et modération ; ne cherchant point à faire de la propagande à tout prix, ils la faisaient plus fructueuse. Le régiment ayant changé de résidence fut réparti entre plusieurs villes ; le groupe fut ainsi dispersé matériellement, mais toujours unis d'intentions, ils poursuivent leur œuvre sur des points différents.

Le Spiritisme partout

Extrait de journaux anglais

Un de nos correspondants de Londres nous transmet la notice suivante :

« Le journal anglais The Builder (le Constructeur), organe des architectes, très estimé pour son caractère pratique et la rectitude de son jugement, a traité incidemment, à plusieurs reprises, des questions touchant au Spiritisme ; dans ces articles il est même question des manifestations de nos jours, dont l'auteur donne une appréciation à son point de vue.

Il a été aussi question du Spiritisme dans quelques-unes des dernières notices de la Revue anthropologique de Londres ; on y déclare que le fait de l'intervention ostensible des Esprits, dans certains phénomènes, est trop bien avéré pour être révoqué en doute. On y parle de l'enveloppe corporelle de l'homme comme d'un grossier vêtement approprié à son état actuel que l'on regarde comme le plus bas échelon du règne hominal ; ce règne, bien que le couronnement de l'animalité de la planète, n'est qu'une ébauche du corps glorieux, léger, purifié et lumineux que l'âme doit revêtir dans l'avenir, à mesure que la race humaine se développe et se perfectionne.

Ce n'est pas encore, ajoute notre correspondant, la doctrine homogène et cohérente de l'école spirite française, mais cela s'en rapproche beaucoup et m'a paru intéressant comme indice du mouvement des idées dans le sens spirite de ce côté du détroit. Mais on y manque de direction ; on flotte à l'aventure dans ce monde nouveau qui s'ouvre devant l'humanité, et il n'est pas étonnant qu'on s'y égare, faute de guide. Il n'est pas douteux que, si les ouvrages de la doctrine étaient traduits en anglais, ils y rallieraient de nombreux partisans en fixant les idées encore incertaines.

A. Blackwell. »



Charles Fourier

Dans un ouvrage intitulé : Charles Fourier, sa vie et ses œuvres, par Pellarin, on trouve une lettre de Fourier à M. Muiron, en date du 3 décembre 1826, par laquelle il prévoit les phénomènes futurs du Spiritisme.

Elle est ainsi conçue :

« Il paraît que MM. C. et P. ont renoncé à leur travail sur le magnétisme. Je gagerais qu'ils ne font pas valoir l'argument fondamental : c'est que, si tout est lié dans l'univers, il doit exister des moyens de communication entre les créatures de l'autre monde et celles-ci ; je veux dire : communication de facultés, participation temporaire et accidentelle des facultés des ultra-mondains ou défunts, et non pas communication avec eux. Cette participation ne peut pas avoir lieu dans l'état de veille, mais seulement dans un état mixte, comme le sommeil ou autre. Les magnétiseurs ont-ils trouvé cet état ? Je l'ignore ? mais, en principe, je sais qu'il doit exister. »

Fourier écrivait ceci en 1826, à propos des phénomènes somnambuliques ; il ne pouvait avoir aucune idée des moyens de communication directe découverts vingt-cinq ans plus tard, et n'en concevait la possibilité que dans un état de dégagement, rapprochant en quelque sorte les deux mondes ; mais il n'en avait pas moins la conviction du fait principal, celui de l'existence de ces rapports.

Sa croyance sur un autre point capital, celui de la réincarnation sur la terre, est encore plus précise quand il dit : Tel mauvais riche pourra revenir mendier à la porte du château dont il a été le propriétaire. C'est le principe de l'expiation terrestre dans les existences successives, en tout pareil à ce qu'enseigne le Spiritisme d'après les exemples fournis par ces mêmes rapports entre le monde visible et le monde invisible. Grâce à ces rapports, ce principe de justice, qui n'existait dans la pensée de Fourier qu'à l'état de théorie ou de probabilité, est devenu une vérité patente.


Profession de foi d'un fouriériste.

Le passage suivant est extrait d'un ouvrage nouveau intitulé :Lettres à mon frère sur mes croyances religieuses, par Math. Briancourt[1].

« Je crois en un seul Dieu tout-puissant, juste et bon, ayant pour corps la lumière, pour membres la totalité des astres ordonnés en séries hiérarchiques. ‑ Je crois que Dieu assigne à tous ses membres, grands et petits, une fonction à remplir dans le développement de la vie universelle qui est sa vie, réservant l'intelligence pour ceux de ses membres qu'il s'associe dans le gouvernement du monde. ‑ Je crois que les êtres intelligents du dernier degré, les humanités, ont pour tâche la gestion des astres qu'ils habitent et sur lesquels ils ont mission de faire régner l'ordre, la paix et la justice. ‑ Je crois que les créatures remplissent leurs fonctions en satisfaisant leurs besoins, que Dieu proportionne exactement aux exigences des fonctions ; et, comme dans sa bonté, il attache le plaisir à la satisfaction des besoins, je crois que toute créature, accomplissant sa tâche, est aussi heureuse que le comporte sa nature, et que ses souffrances sont d'autant plus vives, qu'elle s'écarte davantage de l'accomplissement de cette tâche. ‑ Je crois que l'humanité terrestre aura bientôt acquis les connaissances et le matériel qui lui sont indispensables pour remplir sa haute fonction, et qu'en conséquence, le jour du bonheur général ici-bas ne tardera pas longtemps à se lever. ‑ Je crois que l'intelligence des êtres raisonnables dispose de deux corps : l'un formé de substances visibles pour nos yeux ; l'autre de natures plus subtiles et invisibles nommées arômes. ‑ Je crois qu'à la mort de leur corps visible, ces êtres continuent à vivre dans le monde aromal, où ils trouvent la rémunération exacte de leurs œuvres bonnes ou mauvaises ; puis, qu'après un temps plus ou moins long, ils reprennent un corps matériel pour l'abandonner encore à la décomposition, et ainsi de suite. ‑ Je crois que les intelligences qui s'agrandissent en remplissant exactement leurs fonctions, vont animer des êtres du plus en plus élevés dans la divine hiérarchie, jusqu'à ce qu'elles rentrent, à la fin des temps, dans le sein de Dieu d'où elles sont sorties, qu'elles s'unissent à son intelligence et partagent sa vie aromale. »

Avec une telle profession de foi, on comprend que fouriéristes et spirites puissent se donner la main.

[1] 1 vol. in-18. Libr. des sciences sociales.



Variétés

Mademoiselle de Chilly

On lit dans la Petite Presse du 11 février 1869 :

« M. de Chilly, le sympathique directeur de l'Odéon, si cruellement éprouvé par la mort presque foudroyante de sa fille unique, est menacé d'une nouvelle douleur. Sa nièce, Mademoiselle Artus, fille de l'ancien chef d'orchestre de l'Ambigu-Comique, est en ce moment pour ainsi dire aux portes du tombeau. A ce propos, le Figaro rapporte cette triste et touchante histoire :

Mademoiselle de Chilly mourante donna une petite bague à cette cousine dont la vie est aujourd'hui si cruellement menacée, et lui dit : ‑ Prends-la, tu me la rapporteras !

Ces mots ont-ils frappé l'imagination de la pauvre enfant ? Etaient-ils l'expression de cette double vue attribuée à la mort ? Toujours est-il que, quelques jours après les funérailles de Mademoiselle de Chilly, sa jeune cousine tombait malade.

Ce que le Figaro ne dit pas, c'est qu'à ses derniers moments, la pauvre morte, qui se cramponnait à la vie avec toute l'énergie de ses dix-huit belles années, criait de son lit de douleur à sa cousine fondant en larmes dans un coin de la chambre, théâtre de son agonie : ‑ Non je ne veux pas mourir ! je ne veux pas m'en aller seule ! tu viendras avec moi ! je t'attends ! je t'attends ! tu ne te marieras pas ! Quel spectacle et quelles angoisses pour cette infortunée Mademoiselle Artus, dont, en effet, les fiançailles se préparaient au moment même où Mademoiselle de Chilly s'alitait pour ne plus se relever ! »

Oui, certainement, ces paroles sont l'expression de cette double vue attribuée à la mort, et dont les exemples ne sont pas rares. Que de personnes ont eu des pressentiments de ce genre avant de mourir ! Dira-t-on qu'elles jouent la comédie ? Que les néantistes expliquent ces phénomènes s'ils le peuvent ! Si l'intelligence n'était qu'une propriété de la matière, et devait s'éteindre avec celle-ci, comment expliquer la recrudescence d'activité de cette même intelligence, les facultés nouvelles, transcendantes parfois, qui se manifestent si souvent au moment même où l'organisme se dissout, où le dernier soupir va s'exhaler ? Cela ne prouve-t-il pas que quelque chose survit au corps ? On l'a dit cent fois : l'âme indépendante se révèle à chaque instant sous mille formes et dans des conditions tellement évidentes, qu'il faut fermer volontairement les yeux pour ne pas la voir.

Apparition d'un fils vivant à sa mère

Le fait suivant est rapporté par un journal de médecine de Londres, et reproduit par le Journal de Rouen, du 22 décembre 1868 :

« La semaine dernière, M. Samuel W…, un des principaux employés de la Banque, dut quitter de bonne heure une soirée à laquelle il avait été invité avec sa femme, parce qu'il se trouva fort indisposé. Il rentra chez lui avec une fièvre de cheval. On envoya chercher le médecin ; celui-ci avait été appelé dans une ville des environs, et il ne devait rentrer que fort tard dans la nuit.

Madame Samuel se décida à attendre le médecin au chevet de son mari. Bien qu'en proie à une fièvre ardente, le malade dormait tranquillement. Madame Samuel, un peu tranquillisée, voyant que son mari ne souffrait pas, ne lutta pas contre le sommeil et elle s'endormit à son tour.

Vers trois heures, elle entendit résonner la sonnette de la porte d'entrée, côté des maîtres et des visites. Elle quitta avec précipitation son fauteuil, prit un bougeoir et descendit au salon.

Là, elle s'attendait à voir entrer le médecin. La porte du salon s'ouvrit, mais à la place du docteur elle vit entrer son fils Edouard, un garçon de douze ans, qui est dans un collège près de Windsor. Il était très pâle et avait la tête entourée d'un large bandeau blanc.

‑ Tu attendais le médecin pour papa, n'est-ce pas ? fit-il en embrassant sa mère. Mais papa va mieux, ce n'est rien même ; il se lèvera demain. C'est moi qui ai besoin d'un bon médecin. Tâche de l'appeler tout de suite, car celui du collège n'y entend pas grand-chose…

Saisie, effrayée, Madame Samuel eut la force de sonner. La femme de chambre arriva. Elle trouva sa maîtresse au milieu du salon, immobile, le bougeoir à la main. Le bruit de sa voix réveilla Madame Samuel. Elle avait été le jouet d'une vision, d'un rêve, appelons-le comme nous voudrons. Elle se rappelait tout et répéta à sa camériste ce qu'elle avait cru entendre. Puis elle s'écria en pleurant : « Un malheur a dû arriver à mon fils ! »

« Le médecin tant attendu arriva. Il examina M. Samuel. La fièvre avait presque disparu ; il affirma que cela n'avait été qu'une simple fièvre nerveuse, qui suit son cours et finit en quelques heures.

La mère, après ces paroles rassurantes, narra au docteur ce qui lui était arrivé une heure avant. L'homme de l'art ‑ par incrédulité, ou par envie d'aller se reposer peut-être ‑ conseilla à Madame Samuel de n'attacher aucune importance à ces fantômes. Il dut cependant céder aux prières, aux angoisses de la mère et l'accompagner à Windsor.

Au point du jour, ils arrivèrent au collège. Madame Samuel demanda des nouvelles de son fils ; on lui répondit qu'il était à l'infirmerie depuis la veille. Le cœur de la pauvre mère se serra ; le docteur devint soucieux.

Bref, on visita l'enfant. Il s'était fait une large blessure au front en jouant dans le jardin. On lui avait donné les premiers soins, seulement on l'avait mal pansé. La blessure n'avait rien de dangereux pourtant.

Voici le fait dans tous ses détails ; nous le tenons de personnes dignes de foi. Double vue ou rêve, on doit toujours le considérer comme un fait peu ordinaire. »

Comme on le voit, l'idée de la double vue gagne du terrain ; elle s'accrédite en dehors du Spiritisme, comme la pluralité des existences, le périsprit, etc. ; tant il est vrai que le Spiritisme arrive par mille chemins, et s'implante sous toutes sortes de formes, par les soins mêmes de ceux qui n'en veulent pas.

La possibilité du fait ci-dessus est évidente, et il serait superflu de la discuter. Est-ce un rêve ou un effet de double vue ? Madame Samuel dormait, et à son réveil elle se rappelle ce qu'elle a vu ; c'était donc un rêve ; mais un rêve qui apporte l'image d'une actualité aussi précise, et qui est vérifiée presque immédiatement, n'est pas un produit de l'imagination : c'est une vision bien réelle. Il y a en même temps double vue, ou vue spirituelle, car il est bien certain que ce n'est pas avec les yeux du corps que la mère a vu son fils. Il y a eu de part et d'autre dégagement de l'âme ; est-ce l'âme de la mère qui est allée vers le fils, ou celle du fils qui est venue vers la mère ? Les circonstances rendent ce dernier cas le plus probable, car dans l'autre hypothèse la mère aurait vu son fils à l'infirmerie.

Quelqu'un qui ne connaît que très superficiellement le Spiritisme, mais admet parfaitement la possibilité de certaines manifestations, nous demandait à ce sujet comment le fils, qui était dans son lit, avait pu se présenter à sa mère avec ses habits. « Je conçois, disait-il, l'apparition par le fait du dégagement de l'âme ; mais je ne comprendrais pas que des objets purement matériels, comme des vêtements, aient la propriété de transporter au loin une partie quintessenciée de leur substance, ce qui supposerait une volonté. »

Aussi, lui répondîmes-nous, les habits, aussi bien que le corps matériel du jeune homme, sont restés à leur place. Après une courte explication sur le phénomène des créations fluidiques, nous ajoutâmes : L'Esprit du jeune homme s'est présenté chez sa mère avec son corps fluidique ou périsprital. Sans avoir eu le dessein prémédité de se vêtir de ses habits, sans s'être fait ce raisonnement : « Mes habits d'étoffe sont là ; je ne puis les revêtir ; il faut donc me fabriquer des habits fluidiques qui en auront l'apparence, » il lui a suffi de penser à son costume habituel, à celui qu'il aurait pris dans les circonstances ordinaires, pour que cette pensée donnât à son périsprit les apparences de ce même costume ; par la même raison, il aurait pu se présenter en costume de lit, si telle eût été sa pensée. Cette apparence était devenue pour lui-même une sorte de réalité ; il n'avait qu'une conscience imparfaite de son état fluidique, et, de même que certains Esprits se croient encore de ce monde, il croyait venir chez sa mère en chair et en os, puisqu'il l'embrasse comme d'habitude.

Les formes extérieures que revêtent les Esprits qui se rendent visibles sont donc de véritables créations fluidiques, souvent inconscientes ; le costume, les signes particuliers, les blessures, les défectuosités du corps, les objets dont ils font usage, sont le reflet de leur propre pensée dans l'enveloppe périspritale.

‑ Mais alors, dit notre interlocuteur, c'est tout un ordre d'idées nouvelles ; il y a là tout un monde, et ce monde est au milieu de nous ; bien des choses s'expliquent ; les rapports entre les morts et les vivants se comprennent. ‑ Sans aucun doute, et c'est à la connaissance de ce monde, qui nous intéresse à tant de titres, que conduit le Spiritisme. Ce monde se révèle par une multitude de faits que l'on néglige faute d'en comprendre la cause.

Un testament aux États-Unis


« Dans l'Etat du Maine aux Etats-Unis, une dame demandait la nullité d'un testament de sa mère. Elle disait que, membre d'une société spirite, sa mère avait écrit ses dernières volontés sous la dictée d'une table tournante.

Le juge déclara que la loi ne prohibait pas les consultations des tables tournantes, et les clauses du testament furent maintenues. »

Nous n'en sommes pas encore là en Europe ; aussi le journal français qui rapporte ce fait, le fait-il précéder de cette exclamation : Sont-ils forts, ces Américains ! Traduisez : Sont-ils niais !

Quoi qu'en pense l'auteur de cette réflexion critique, ces Américains pourront bien en remontrer, sur certains points, à la vieille Europe, si celle-ci se traîne encore longtemps dans l'ornière des vieux préjugés. Le mouvement progressif de l'humanité est parti de l'Orient et s'est peu à peu propagé vers l'Occident ; aurait-il déjà franchi l'Atlantique et planté son drapeau dans le nouveau continent, laissant l'Europe en arrière comme l'Europe a laissé l'Inde ? Est-ce une loi, et le cycle du progrès aurait-il déjà fait plusieurs fois le tour du monde ? Le fait suivant pourrait le faire supposer.

Emancipation des femmes aux Etats-Unis.

On écrit de Yankton, ville de Dokota (Etats-Unis), que la législature de ce territoire vient d'adopter à une grande majorité un bill de M. Enos Stutsman, qui accorde aux femmes le droit de suffrage et d'éligibilité. (Siècle, du 15 janvier 1869.)

Mercredi 29 juillet, madame Alexandrine Bris a subi devant la Faculté des sciences de Paris, un examen de baccalauréat ès sciences ; elle a été reçue avec quatre boules blanches, succès rare, qui lui a valu de la part du président des félicitations ratifiées par les acclamations de toute l'assistance.

Le Temps assure que madame Bris doit prendre ses inscriptions à la Faculté de médecine, en vue du doctorat. (Grand Moniteur, du 6 août 1868.)

On nous a dit que madame Bris est américaine. Nous connaissons deux demoiselles de New-York, sœurs de miss B…, membre de la Société spirite de Paris, qui ont le diplôme de docteur et exercent la médecine exclusivement pour les femmes et les enfants. Nous n'en sommes pas encore là.


Emancipation des femmes aux Etats-Unis.

On écrit de Yankton, ville de Dokota (Etats-Unis), que la législature de ce territoire vient d'adopter à une grande majorité un bill de M. Enos Stutsman, qui accorde aux femmes le droit de suffrage et d'éligibilité. (Siècle, du 15 janvier 1869.)

Mercredi 29 juillet, madame Alexandrine Bris a subi devant la Faculté des sciences de Paris, un examen de baccalauréat ès sciences ; elle a été reçue avec quatre boules blanches, succès rare, qui lui a valu de la part du président des félicitations ratifiées par les acclamations de toute l'assistance.

Le Temps assure que madame Bris doit prendre ses inscriptions à la Faculté de médecine, en vue du doctorat. (Grand Moniteur, du 6 août 1868.)

On nous a dit que madame Bris est américaine. Nous connaissons deux demoiselles de New-York, sœurs de miss B…, membre de la Société spirite de Paris, qui ont le diplôme de docteur et exercent la médecine exclusivement pour les femmes et les enfants. Nous n'en sommes pas encore là.

Miss Nichol, médium à apports



Ces jours derniers, l'hôtel des Deux-Mondes, de la rue d'Antin, a été le théâtre des séances surnaturelles données par la célèbre médium Nichol, en présence de quelques initiés seulement.

Madame Nichol se rend à Rome pour soumettre à l'examen du Saint-Père sa faculté extraordinaire, qui consiste à faire tomber des pluies de fleurs. ‑ C'est ce qu'on appelle un médium à apport, (Journal Paris, 15 janvier 1869.)

Madame Nichol est de Londres, où elle jouit d'une certaine réputation comme médium. Nous avons assisté à quelques-unes de ses expériences, dans une séance intime, il y a plus d'un an, et nous avouons qu'elles nous ont laissé beaucoup à désirer. Il est vrai que nous sommes passablement sceptique à l'endroit de certaines manifestations, et quelque peu exigeant sur les conditions dans lesquelles elles se produisent, non pas que nous mettions en doute la bonne foi de cette dame : nous disons seulement que ce que nous avons vu ne nous a pas paru de nature à convaincre les incrédules.

Nous lui souhaitons bonne chance auprès du Saint-Père ; elle n'aura certes pas de peine à le convaincre de la réalité des phénomènes qui sont aujourd'hui ouvertement avoués par le clergé (voir l'ouvrage intitulé : Des Esprits et de leurs rapports avec le monde visible, par l'abbé Triboulet)[1] ; mais nous doutons fort qu'elle parvienne à lui faire reconnaître officiellement que ce ne sont pas des œuvres du diable.

Rome est un pays malsain pour les médiums qui ne font pas des miracles selon l'Eglise ; on se rappelle qu'en 1864, M. Home, qui allait à Rome, non pour exercer sa faculté, mais uniquement pour étudier la sculpture, dut céder à l'injonction qui lui fut faite de quitter la ville dans les vingt-quatre heures. (Revue de février 1864, page 33.)






[1] 1 vol. in-8 ; 5 fr.




Les arbres hantés de l'île Maurice


Les dernières nouvelles que nous recevons de l'île Maurice constatent que l'état de cette malheureuse contrée suit exactement les phases annoncées (Revue de juillet 1867, page 208, et novembre 1868, page 321). Elles contiennent en outre un fait remarquable qui a fourni le sujet d'une importante instruction dans la Société de Paris.

« Les chaleurs de l'été, dit notre correspondant, ont ramené la terrible fièvre, plus fréquente, plus tenace que jamais. Ma maison est devenue une sorte d'hôpital, et je passe mon temps à me soigner ou à soigner mes proches. La mortalité n'est pas très grande, il est vrai, mais après les horribles souffrances que nous cause chaque accès, nous éprouvons une perturbation générale qui développe en nous de nouvelles maladies : les facultés s'altèrent peu à peu ; les sens, surtout l'ouïe et la vue, sont particulièrement affectés. Pourtant, nos bons Esprits, parfaitement d'accord dans leurs communications avec les vôtres, nous annoncent la fin prochaine de l'épidémie, mais la ruine et la décadence des riches, qui, du reste, commencent déjà.

Je profite du peu de temps que j'ai de disponible pour vous donner les détails que je vous ai promis sur les phénomènes dont ma maison a été le théâtre. Les personnes auxquelles elle appartenait avant moi, insouciantes et négligentes, selon l'usage du pays, l'avaient laissée tomber presque en ruine, et je fus obligé d'y faire de grandes réparations. Le jardin, métamorphosé en basse-cour, était rempli de ces grands arbres de l'Inde, nommés multipliants, dont les racines, sortant du haut des branches, descendent jusqu'au sol où elles s'implantent, et forment, tantôt des troncs énormes en se superposant les unes aux autres, tantôt des galeries assez étendues.

Ces arbres ont une assez mauvaise réputation dans ce pays, où ils passent pour être hantés par les mauvais Esprits. Sans égards pour leurs soi-disant mystérieux habitants, comme je ne les trouvais nullement de mon goût, et qu'ils encombraient inutilement le jardin, je les fis abattre. Dès ce moment, il nous devint presque impossible d'avoir un jour de repos dans la maison. Il fallait vraiment être spirite pour continuer à l'habiter. A chaque instant nous entendions des coups frappés de tous les côtés, des portes s'ouvrir et se fermer, des meubles remuer, des soupirs, des paroles confuses ; souvent aussi on entendait marcher dans les chambres vides. Les ouvriers, qui réparaient la maison, furent bien des fois dérangés par ces bruits étranges, mais comme c'était pendant le jour, ils ne s'en effrayaient pas beaucoup, car ces manifestations sont très fréquentes dans le pays. Nous eûmes beau faire des prières, évoquer ces Esprits, les sermonner, ils ne répondaient que par des injures et des menaces, et ne cessèrent pas leur tapage.

A cette époque nous avions une réunion une fois par semaine ; mais vous ne pouvez vous imaginer tous les mauvais tours qui nous furent joués pour troubler et interrompre nos séances ; tantôt les communications étaient interceptées, tantôt les médiums éprouvaient des souffrances qui les contraignaient à l'inaction.

Il paraît que les habitués de la maison étaient trop nombreux et trop méchants pour être moralisés, car nous ne pûmes en venir à bout, et nous fûmes obligés de cesser nos réunions où nous ne pouvions plus rien obtenir. Un seul voulut bien nous écouter et se recommander à nos prières. C'était un pauvre portugais, nommé Gulielmo, qui se prétendait victime de ces gens avec lesquels il avait commis, je ne sais quel méfait, et qui le retenaient là, disait-il, pour sa punition. Je pris des informations, et j'appris qu'effectivement un marin portugais de ce nom avait été un des locataires de la maison, et qu'il y était mort.

La fièvre arriva ; les bruits devinrent moins fréquents, mais ne cessèrent pas ; au reste, nous avons fini par nous y habituer. Nous nous réunissons encore, mais la maladie a empêché nos séances d'être bien suivies. J'ai soin qu'elles aient lieu autant que possible dans le jardin, car nous avons remarqué que, dans la maison, les bonnes communications sont plus difficiles à obtenir, et que ces jours-là nous sommes très tourmentés, la nuit surtout. »

La question des lieux hantés est un fait acquis ; les tapages et perturbations sont chose connue ; mais certains arbres ont-ils une puissance attractive particulière ? Dans la circonstance dont il s'agit, existe-il un rapport quelconque entre la destruction de ces arbres et les phénomènes qui suivirent immédiatement ? La croyance populaire aurait-elle ici quelque réalité ? C'est ce dont l'instruction ci-après paraît donner une explication logique jusqu'à plus ample confirmation.

(Société de Paris, 19 Février 1869.)

Toutes les légendes, quelles qu'elles soient, si ridicules et si peu fondées qu'elles paraissent, reposent sur une base réelle, sur une vérité incontestable, démontrée par l'expérience, mais amplifiée et dénaturée par la tradition. Certaines plantes, dit-on, sont bonnes pour chasser les mauvais Esprits ; d'autres peuvent provoquer la possession ; certains arbustes sont plus particulièrement hantés ; tout cela est vrai en fait, isolément. Un fait a eu lieu, une manifestation spéciale a justifié ce dicton, et la masse superstitieuse s'est empressée de le généraliser ; c'est l'histoire d'un homme qui pond un œuf. La chose court en secret de bouche en bouche, et s'amplifie jusqu'à prendre les proportions d'une loi incontestable, et cette loi qui n'existe pas, est acceptée en raison des aspirations vers l'inconnu, vers l'extra naturel de la généralité des hommes.

Les multipliants ont été, à Maurice surtout, et sont encore, des points de repères pour les réunions du soir ; on s'adosse à leur tronc, on respire l'air à leurs côtés ; on s'abrite sous leur feuillage.

Or, les hommes, en se désincarnant, surtout lorsqu'ils sont dans une certaine infériorité, conservent leurs habitudes matérielles ; ils fréquentent les endroits qu'ils aimaient comme incarnés ; ils s'y réunissent et ils y séjournent ; voilà pourquoi il y a des endroits plus particulièrement hantés ; il n'y vient pas les Esprits des premiers venus, mais bien des Esprits qui les ont fréquentés de leur vivant. Les multipliants ne sont donc pas plus propices à l'habitation des Esprits inférieurs que tout autre abri. La coutume les désigne aux revenants de Maurice, comme certains châteaux, certaines clairières des forêts allemandes, certains lacs sont plus particulièrement hantés par les Esprits, en Europe.

Si l'on trouble ces Esprits, tout matériels encore, et qui, pour la plupart se croient vivants, ils s'irritent et tendent à se venger, à chercher noise à ceux qui les ont privés de leur abri ; de là, les manifestations dont cette dame et bien d'autres ont eu à se plaindre.

La population mauricienne étant, en général, inférieure sous le rapport moral, la désincarnation ne peut faire de l'espace qu'une pépinière d'Esprits très peu dématérialisés, encore empreints de toutes leurs habitudes terrestres, et qui continuent, quoique Esprits, à vivre comme s'ils étaient hommes. Ils privent de tranquillité et de sommeil ceux qui les privent de leur habitation de prédilection, et voilà tout. La nature de l'abri, son aspect lugubre, n'a rien à voir là-dedans ; c'est simplement une question de bien-être. On les déloge, et ils se vengent. Matériels par essence, ils se vengent matériellement, en frappant contre les murs, en se plaignant, en manifestant leur mécontentement sous toutes les formes.

Que les Mauritiens s'épurent et progressent, ils retourneront dans l'espace avec des tendances d'autre nature, et les multipliants perdront la faculté d'abriter les revenants.

Clélie Duplantier.

Conférence sur le Spiritisme


Sous le titre de : Le Spiritisme devant la science, une conférence publique, par M. Chevillard, avait été annoncée à la salle du boulevard des Capucines pour le 30 janvier dernier. Dans quel sens l'orateur devait-il parler ? C'est ce que tout le monde ignorait.

L'annonce semblait promettre une discussion ex-professo de toutes les parties de la question. Cependant l'orateur a fait complètement abstraction de la partie la plus essentielle, celle qui constitue à proprement parler le Spiritisme : la partie philosophique et morale, sans laquelle assurément le Spiritisme ne serait pas aujourd'hui implanté dans toutes les parties du monde, et ne compterait pas ses adeptes par millions. Dès 1855, on se lassait déjà des tables tournantes ; certes, si là se fût borné le Spiritisme, il y a longtemps qu'on n'en parlerait plus ; sa rapide propagation date du moment où l'on en a vu sortir quelque chose de sérieux et d'utile, où l'on y a entrevu un but humanitaire.

L'orateur s'est donc borné à l'examen de quelques phénomènes matériels ; car il n'a pas même parlé des phénomènes spontanés si nombreux qui se produisent en dehors de toute croyance spirite ; or, annoncer qu'on va traiter une question aussi vaste, aussi complexe dans ses applications et dans ses conséquences, et s'arrêter à quelques points de la surface, c'est absolument comme si, sous le nom de Cours de littérature, un professeur se bornait à expliquer l'alphabet.

Peut-être M. Chevillard s'est-il dit : « A quoi bon parler de la doctrine philosophique ! Dès lors que cette doctrine s'appuie sur l'intervention des Esprits, quand j'aurai prouvé que cette intervention n'existe pas, tout le reste s'écroulera. » Combien, avant M. Chevillard, se sont flattés d'avoir porté le dernier coup au Spiritisme, sans parler de l'inventeur du fameux muscle craqueur, le docteur Jobert (de Lamballe) qui envoyait sans pitié tous les spirites à Charenton, et qui, deux ans plus tard, mourait lui-même dans une maison d'aliénés ! Cependant, malgré tous ces pourfendeurs, frappant d'estoc et de taille, qui semblaient n'avoir qu'à parler pour le réduire en poussière, le Spiritisme a vécu, il a grandi, et il vit toujours, plus fort, plus vivace que jamais ! C'est là un fait qui a bien sa valeur. Quand une idée résiste à tant d'attaques, c'est qu'il y a quelque chose.

N'a-t-on pas vu jadis des savants s'efforcer de démontrer que le mouvement de la terre était impossible ? Et sans remonter si haut, ce siècle-ci ne nous a-t-il pas montré un corps illustre déclarer que l'application de la vapeur à la navigation était une chimère ? Un livre curieux à faire serait le recueil des erreurs officielles de la science. Ceci est simplement pour arriver à cette conclusion que : lorsqu'une chose est vraie, elle marche quand même, malgré l'opinion contraire des savants ; or, si le Spiritisme a marché malgré tous les arguments que lui ont opposés la haute et la basse science, c'est une présomption en sa faveur.

M. Jobert (de Lamballe) traitait sans façon tous les spirites de charlatans et d'escrocs ; il faut rendre cette justice à M. Chevillard, qu'il ne leur reproche que de se tromper sur la cause. Au reste, des épithètes malséantes, outre qu'elles ne prouvent rien, accusent toujours un manque de savoir-vivre, et auraient été fort déplacées devant un auditoire où devaient nécessairement se trouver beaucoup de spirites. La chaire évangélique est moins scrupuleuse ; on y a dit maintes fois : « Fuyez les Spirites comme la peste, et courez sus ; » ce qui prouve que le Spiritisme est quelque chose, puisqu'on en a peur, car on ne tire pas des coups de canon contre des mouches.

M. Chevillard ne nie pas les faits, au contraire ; il les admet, car il les a constatés ; seulement il les explique à sa manière. Apporte-t-il au moins quelque argument nouveau à l'appui de sa thèse ? On en peut juger.

« Chaque homme, dit-il, possède une quantité plus ou moins grande d'électricité animale, qui constitue le fluide nerveux. Ce fluide se dégage sous l'empire de la volonté, du désir de faire mouvoir une table ; il pénètre la table, et la table se meut ; les coups frappés dans la table ne sont autre chose que des décharges électriques, provoqués par la concentration de la pensée. » Ecriture mécanique : même explication.

Mais comment expliquer les coups frappés dans les murailles, sans la participation de la volonté, chez des gens qui ne savent ce que c'est que le Spiritisme, ou qui n'y croient pas ? Surabondance d'électricité qui se dégage d'elle-même et produit des décharges.

Et les communications intelligentes ? Reflet de la pensée du médium. ‑ Et quand le médium obtient, par la typtologie ou l'écriture, des choses qu'il ignore ? On sait toujours quelque chose, et si ce n'est la pensée du médium, ce peut être celle des autres.

Et quand un médium écrit, inconsciemment des choses qui lui sont personnellement désagréables, est-ce sa propre pensée ? De ce fait non plus que de beaucoup d'autres, il n'est pas question. Cependant, une théorie ne peut être vraie qu'a la condition de résoudre toutes les phases d'un problème ; si un seul fait échappe à l'explication, c'est qu'elle est fausse ou incomplète ; or, de combien de faits celle-ci est-elle impuissante à donner la solution ! Nous serions très désireux de savoir comment M. Chevillard expliquerait, par exemple, les faits rapportés ci-dessus concernant mademoiselle de Chilly, l'apparition du jeune Édouard Samuel, tous les incidents de ce qui s'est passé à l'île Maurice ; comment il expliquerait, par le dégagement de l'électricité, l'écriture chez des personnes qui ne savent pas écrire ; par le reflet de la pensée, le fait de cette bonne qui écrivit, devant toute une société : Je vole ma maîtresse ?

En résumé, M. Chevillard reconnaît l'existence des phénomènes, ce qui est quelque chose, mais il nie l'intervention des Esprits. Quant à sa théorie, elle n'offre absolument rien de nouveau ; c'est la répétition de ce qui a été dit, depuis quinze ans, sous toutes les formes, sans que l'idée ait prévalu. Sera-t-il plus heureux que ses devanciers ? C'est ce que l'avenir prouvera.

Il est vraiment curieux de voir les expédients auxquels ont recours ceux qui veulent tout expliquer sans les Esprits ! Au lieu d'aller droit à ce qui se présente devant eux dans la forme la plus simple, ils vont chercher des causes si embrouillées, si compliquées, qu'elles ne sont intelligibles que pour eux. Ils devraient bien au moins, pour compléter leur théorie, dire ce que, selon eux, deviennent les Esprits des hommes après la mort, car cela intéresse tout le monde, et prouver comme quoi ces Esprits ne peuvent pas se manifester aux vivants ; c'est ce que personne n'a encore fait, tandis que le Spiritisme prouve comme quoi ils peuvent le faire.

Mais tout cela est nécessaire ; il faut que tous ces systèmes s'épuisent et montrent leur impuissance. Au reste, il est un fait notoire, c'est que tout ce retentissement donné au Spiritisme, toutes les circonstances qui l'ont mis en évidence, lui ont toujours été profitables ; et, ce qui est digne de remarque, c'est que plus les attaques ont été violentes, plus il a progressé. Est-ce qu'il ne faut pas à toutes les grandes idées le baptême de la persécution, ne fût-ce que celui de la raillerie ? Et pourquoi n'en a-t-il pas souffert ? La raison en est bien simple : c'est parce que, lui faisant dire le contraire de ce qu'il dit, le présentant tout autre qu'il n'est, bossu quand il est droit, il ne peut que gagner à un examen sérieux et consciencieux, et que ceux qui ont voulu le frapper, ont toujours frappé à côté de la vérité. (Voir la Revue de février 1869, page 40 : Puissance du ridicule.)

Or, plus les couleurs sous lesquelles on le présente sont noires, plus on excite la curiosité. Le parti qui s'est escrimé à dire que c'est le diable, lui a fait beaucoup de bien, parce que, parmi ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de voir le diable, beaucoup ont été bien aises de savoir comment il est fait, et ne l'ont pas trouvé aussi noir qu'on l'avait dit. Dites qu'il y a sur une place de Paris un monstre hideux, qui va empester toute la ville, et tout le monde courra le voir. N'a-t-on pas vu des auteurs faire mettre dans les journaux des critiques de leurs propres ouvrages, uniquement pour en faire parler ? Tel a été le résultat des diatribes furibondes contre le Spiritisme ; elles ont provoqué le désir de le connaître, et l'ont plus servi qu'elles ne lui ont nui.

Parler du Spiritisme, dans n'importe quel sens, c'est faire de la propagande à son profit ; l'expérience est là pour le prouver. A ce point de vue, il faut se féliciter de la conférence de M. Chevillard ; mais, hâtons-nous de le dire à la louange de l'orateur, il s'est renfermé dans une polémique honnête, loyale et de bon goût. Il a émis son opinion : c'est son droit, et quoiqu'elle ne soit pas la nôtre, nous n'avons garde de nous en plaindre. Plus tard, sans aucun doute, quand le moment opportun sera venu, le Spiritisme aura aussi ses orateurs sympathiques ; seulement nous leur recommanderons de ne pas tomber dans le travers des adversaires ; c'est-à-dire d'étudier à fond la question, afin de ne parler qu'en parfaite connaissance de la cause.



Dissertations spirites

La musique et les harmonies célestes

Suite ; voir le numéro de janvier, p. 30.

(Paris, groupe Desliens, 5 janvier 1869. - Médium M. Desliens.)

Vous avez raison, messieurs, de me rappeler ma promesse, car le temps, qui passe si rapidement dans le monde de l'espace, a des minutes éternelles pour celui qui le subit sous l'étreinte de l'épreuve ! Il y a quelques jours, quelques semaines, je comptais comme vous ; chaque jour ajoutait toute une série de vicissitudes aux vicissitudes déjà supportées, et la coupe allait s'emplissant piano, piano.

Ah ! vous ne savez pas, vous, combien une renommée de grand homme est lourde à porter ! Ne désirez pas la gloire ; ne soyez pas connus : soyez utiles. La popularité a ses épines, et, plus d'une fois, je me suis trouvé meurtri des caresses trop brutales de la foule.

Aujourd'hui, la fumée de l'encens ne m'enivre plus. Je plane sur les mesquineries du passé, et c'est un horizon sans limite qui s'étend devant mon insatiable curiosité. Aussi, les heures tombent par groupes dans le sablier séculaire, et toujours je cherche, toujours j'étudie, sans jamais compter le temps écoulé.

Oui, je vous ai promis ; mais qui peut se flatter de tenir une promesse, lorsque les éléments nécessaires pour l'accomplir, appartiennent à l'avenir ? Le puissant du monde, encore sous le souffle des adulations des courtisans, a pu vouloir étreindre le problème corps à corps ; mais ce n'était plus d'une lutte factice qu'il s'agissait ici ; il n'y avait pas de bravos, de bruyantes acclamations pour m'encourager et me dérober ma faiblesse. C'était, et c'est encore à un travail surhumain que je m'attaquai ; c'est contre lui que je lutte toujours, et si j'espère en triompher, je ne puis néanmoins dissimuler mon épuisement. Je suis terrassé... aux abois !... Je me repose avant d'explorer de nouveau ; mais, si je ne puis aujourd'hui vous parler de ce que sera l'avenir, je saurai peut-être apprécier le présent : être critique, après avoir été critiqué. Vous me jugerez, et ne m'approuverez que si je suis juste, ce que j'essayerai de faire en évitant les personnalités.

Pourquoi donc tant de musiciens et si peu d'artistes ? tant de compositeurs, et si peu de vérités musicales ? Hélas ! c'est que ce n'est pas, comme on le croit, de l'imagination que l'art peut naître ; il n'a d'autre maître et d'autre créateur que la vérité. Sans elle, il n'est rien, ou il n'est qu'un art de contrebande, du strass, de la contrefaçon. Le peintre peut faire illusion et montrer du blanc, où il n'a mis qu'un mélange de couleurs sans nom ; les oppositions de nuances créent une apparence, et c'est ainsi qu'Horace Vernet, par exemple, a pu faire paraître d'un blanc éclatant un magnifique cheval orange.

Mais la note n'a qu'un son. L'enchaînement des sons ne produit une harmonie, une vérité, que si les ondes sonores se font l'écho d'une autre vérité. Pour être musicien, il ne suffit plus d'aligner des notes sur une portée, de manière à conserver la justesse des rapports musicaux ; on réussit seulement ainsi à produire des bruits agréables ; mais c'est le sentiment qui naît sous la plume du véritable artiste, c'est lui qui chante, qui pleure, qui rit... Il siffle dans la feuillée avec le vent orageux ; il bondit avec la vague écumante ; il rugit avec le tigre furieux !... Mais pour donner une âme à la musique, pour la faire pleurer, rire, hurler, il faut soi-même avoir éprouvé ces différents sentiments, de douleur, de joie, de colère !

Est-ce le rire aux lèvres et l'incrédulité au cœur que vous personnifierez un martyr chrétien ? Sera- ce un sceptique d'amour qui fera un Roméo, une Juliette ? Est-ce un viveur insouciant qui créerait la Marguerite de Faust ? Non ! Il faut la passion tout entière à celui qui fait vibrer la passion !... Et voilà pourquoi, quand on noircit tant de feuilles, les œuvres sont si rares et les vérités exceptionnelles : c'est qu'on ne croit pas, c'est que l'âme ne vibre pas. Le son que l'on entend, c'est celui de l'or qui tinte, du vin qui pétille !... L'inspiration, c'est la femme qui se compose une beauté menteuse ; et, comme on ne possède que des défauts et des vertus maquillés, on ne produit qu'un placage, qu'un maquillage musical. Grattez la surface, et vous aurez bientôt trouvé le caillou. Rossini.


(17 janvier 1869. - Médium, M. Nivard.)

Le silence que j'ai gardé sur la question que le Maître de la doctrine spirite m'a adressée a été expliqué. Il était convenable, avant d'aborder ce difficile sujet, de me recueillir, de me souvenir, et de condenser les éléments qui étaient sous ma main. Je n'avais point à étudier la musique, j'avais seulement à classer les arguments avec méthode, afin de présenter un résumé capable de donner l'idée de ma conception sur l'harmonie. Ce travail, que je n'ai pas fait sans difficulté, est terminé, et je suis prêt à le soumettre à l'appréciation des spirites.

L'harmonie est difficile à définir ; souvent on la confond avec la musique, avec les sons, résultant d'un arrangement de notes, et des vibrations d'instruments reproduisant cet arrangement. Mais l'harmonie n'est point cela, pas plus que la flamme n'est la lumière. La flamme résulte de la combinaison de deux gaz : elle est tangible ; la lumière qu'elle projette est un effet de cette combinaison, et non la flamme elle-même : elle n'est pas tangible. Ici, l'effet est supérieur à la cause. Ainsi en est-il de l'harmonie ; elle résulte d'un arrangement musical ; c'est un effet qui est également supérieur à sa cause : la cause est brutale et tangible ; l'effet est subtil et n'est point tangible.

On peut concevoir la lumière sans flamme et on comprend l'harmonie sans musique. L'âme est apte à percevoir l'harmonie en dehors de tout concours d'instrumentation, comme elle est apte à voir la lumière en dehors de tout concours de combinaisons matérielles. La lumière est un sens intime que possède l'âme ; plus ce sens est développé, mieux elle perçoit la lumière. L'harmonie est également un sens intime de l'âme : elle est perçue en raison du développement de ce sens. En dehors du monde matériel, c'est-à-dire, en dehors des causes tangibles, la lumière et l'harmonie sont d'essence divine ; on les possède en raison des efforts que l'on a faits pour les acquérir. Si je compare la lumière et l'harmonie, c'est pour mieux me faire comprendre, et aussi, parce que ces deux sublimes jouissances de l'âme sont filles de Dieu, et par conséquent sont sœurs.

L'harmonie de l'espace est si complexe, elle a tant de degrés que je connais, et bien plus encore qui me sont cachés dans l'éther infini, que celui qui est placé à une certaine hauteur de perceptions, est comme saisi d'étonnement en contemplant ces harmonies diverses, qui constitueraient, si elles étaient assemblées, la plus insupportable cacophonie ; tandis qu'au contraire, perçues séparément, elles constituent l'harmonie particulière à chaque degré. Ces harmonies sont élémentaires et grossières dans les degrés inférieurs ; elles portent à l'extase dans les degrés supérieurs. Telle harmonie qui blesse un Esprit aux perceptions subtiles, ravit un Esprit aux perceptions grossières ; et quand il est donné à l'Esprit inférieur de se délecter dans les délices des harmonies supérieures, l'extase le saisit et la prière entre en lui ; le ravissement l'emporte dans les sphères élevées du monde moral ; il vit d'une vie supérieure à la sienne et voudrait continuer de vivre toujours ainsi. Mais, quand l'harmonie cesse de le pénétrer, il se réveille, ou, si l'on veut, il s'endort ; dans tous les cas, il revient à la réalité de sa situation, et dans les regrets qu'il laisse s'échapper d'être descendu, s'exhale une prière à l'Eternel, pour demander la force de remonter. C'est pour lui un grand sujet d'émulation. Je n'essaierai pas de donner l'explication des effets musicaux que produit l'Esprit en agissant sur l'éther ; ce qui est certain, c'est que l'Esprit produit les sons qu'il veut, et qu'il ne peut vouloir ce qu'il ne sait pas. Or donc, celui qui comprend beaucoup, qui a en lui l'harmonie, qui en est saturé, qui jouit lui-même de son sens intime, de ce rien impalpable, de cette abstraction qui est la conception de l'harmonie, agit quand il le veut sur le fluide universel qui, instrument fidèle, reproduit ce que l'Esprit conçoit et veut. L'éther vibre sous l'action de la volonté de l'Esprit ; l'harmonie que ce dernier porte en lui se concrète, pour ainsi dire ; elle s'exhale douce et suave comme le parfum de la violette, ou elle mugit comme la tempête, ou elle éclate comme la foudre, ou elle se plaint comme la brise ; elle est rapide comme l'éclair, ou lente comme la nuée ; elle est brisée comme un sanglot, ou unie comme un gazon ; elle est échevelée comme une cataracte, ou calme comme un lac ; elle murmure comme un ruisseau ou gronde comme un torrent. Tantôt elle a l'âpreté agreste des montagnes et tantôt la fraîcheur d'une oasis ; elle est tour à tour triste et mélancolique comme la nuit, joyeuse et gaie comme le jour ; elle est capricieuse comme l'enfant, consolatrice comme la mère et protectrice comme le père ; elle est désordonnée comme la passion, limpide comme l'amour, et grandiose comme la nature. Quand elle en est à ce dernier terme, elle se confond avec la prière, elle glorifie Dieu, et met dans le ravissement celui-là même qui la produit ou la conçoit.

O comparaison ! Comparaison ! Pourquoi faut-il être obligé de t'employer ! Pourquoi faut-il se plier à tes nécessités dégradantes et emprunter, à la nature tangible, des images grossières pour faire concevoir la sublime harmonie dans laquelle l'Esprit se délecte. Et encore, malgré les comparaisons, ne peut-on faire comprendre cette abstraction qui est un sentiment quand elle est cause, et une sensation quand elle devient effet.

L'Esprit qui a le sentiment de l'harmonie est comme l'Esprit qui a l'acquit intellectuel ; ils jouissent constamment, l'un et l'autre, de la propriété inaliénable qu'ils ont amassée. L'Esprit intelligent, qui enseigne sa science à ceux qui ignorent, éprouve le bonheur d'enseigner, parce qu'il sait qu'il fait des heureux de ceux qu'il instruit ; l'Esprit qui fait résonner l'éther des accords de l'harmonie qui est en lui, éprouve le bonheur de voir satisfaits ceux qui l'écoutent.

L'harmonie, la science et la vertu sont les trois grandes conceptions de l'Esprit : la première le ravit, la seconde l'éclaire, la troisième l'élève. Possédées dans leurs plénitudes, elles se confondent et constituent la pureté. O Esprits purs qui les contenez ! Descendez dans nos ténèbres et éclairez notre marche ; montrez-nous le chemin que vous avez pris, afin que nous suivions vos traces !

Et quand je pense que ces Esprits, dont je peux comprendre l'existence, sont des êtres finis, des atomes, en face du Maître universel et éternel, ma raison reste confondue en songeant à la grandeur de Dieu, et du bonheur infini qu'il goûte en lui-même, par le seul fait de sa pureté infinie, puisque tout ce que la créature acquiert n'est qu'une parcelle qui émane du créateur. Or, si la parcelle arrive à fasciner par la volonté, à captiver et à ravir par la suavité, à resplendir par la vertu, que doit donc produire la source éternelle et infinie d'où elle est tirée ? Si l'Esprit, être créé, arrive à puiser dans sa pureté tant de félicité, quelle idée doit-on avoir de celle que le créateur puise dans sa pureté absolue ? Eternel problème !

Le compositeur qui conçoit l'harmonie, la traduit dans le grossier langage appelé la musique ; il concrète son idée, il l'écrit. L'artiste apprend la forme et saisit l'instrument qui doit lui permettre de rendre l'idée. L'air mis en jeu par l'instrument, la porte à l'oreille qui la transmet à l'âme de l'auditeur. Mais le compositeur a été impuissant à rendre entièrement l'harmonie qu'il concevait, faute d'une langue suffisante ; l'exécutant, à son tour, n'a pas compris toute l'idée écrite, et l'instrument indocile dont il se sert ne lui permet pas de traduire tout ce qu'il a compris. L'oreille est frappée par l'air grossier qui l'entoure, et l'âme reçoit enfin, par un organe rebelle, l'horrible traduction de l'idée éclose dans l'âme du maestro. L'idée du maestro était son sentiment intime ; quoique déflorée par les agents d'instrumentation et de perception, elle produit cependant des sensations chez ceux qui l'entendent traduire ; ces sensations sont l'harmonie. La musique les a produites : elles sont des effets de cette dernière. La musique s'est mise au service du sentiment pour produire la sensation. Le sentiment, chez le compositeur, c'est l'harmonie ; la sensation chez l'auditeur, c'est aussi l'harmonie, avec cette différence qu'elle est conçue par l'un et reçue par l'autre. La musique est le médium de l'harmonie ; elle la reçoit et elle la donne, comme le réflecteur est le médium de la lumière, comme tu es le médium des Esprits. Elle la rend plus ou moins déflorée selon qu'elle est plus ou moins bien exécutée, comme le réflecteur renvoie plus ou moins bien la lumière, selon qu'il est plus ou moins brillant et poli, comme le médium rend plus ou moins les pensées de l'Esprit, selon qu'il est plus ou moins flexible.

Et maintenant que l'harmonie est bien comprise dans sa signification, qu'on sait qu'elle est conçue par l'âme et transmise à l'âme, on comprendra la différence qu'il y a entre l'harmonie de la terre et l'harmonie de l'espace.
Chez vous, tout est grossier : l'instrument de traduction et l'instrument de perception ; chez nous, tout est subtil : vous avez l'air, nous avons l'éther ; vous avez l'organe qui obstrue et voile ; chez nous, la perception est directe, et rien ne la voile. Chez vous, l'auteur est traduit : chez nous il cause sans intermédiaire, et dans la langue qui exprime toutes les conceptions. Et pourtant, ces harmonies ont la même source, comme la lumière de la lune a la même source que celle du soleil ; de même que la lumière de la lune est le reflet de celle du soleil, l'harmonie de la terre n'est que le reflet de l'harmonie de l'espace.

L'harmonie est aussi indéfinissable que le bonheur, la crainte, la colère : c'est un sentiment. On ne le comprend que lorsqu'on le possède, et on ne le possède que lorsqu'on l'a acquis. L'homme qui est joyeux ne peut expliquer sa joie ; celui qui est craintif ne peut expliquer sa crainte ; ils peuvent dire les faits qui provoquent ces sentiments, les définir, les décrire, mais les sentiments restent inexpliqués. Le fait qui cause la joie de l'un ne produira rien sur l'autre ; l'objet qui occasionne la crainte de l'un produira le courage de l'autre. Les mêmes causes sont suivies d'effets contraires ; en physique cela n'est pas, en métaphysique, cela existe. Cela existe, parce que le sentiment est la propriété de l'âme, et que les âmes diffèrent entre elles de sensibilité, d'impressionnabilité, de liberté. La musique, qui est la cause seconde de l'harmonie perçue, pénètre et transporte l'un et laisse l'autre froid et indifférent. C'est que le premier est en état de recevoir l'impression que produit l'harmonie, et que le second est dans un état contraire ; il entend l'air qui vibre, mais il ne comprend pas l'idée qu'il lui apporte. Celui-ci arrive à l'ennui et s'endort, celui-là à l'enthousiasme et pleure. Evidemment, l'homme qui goûte les délices de l'harmonie est plus élevé, plus épuré, que celui qu'elle ne peut pénétrer ; son âme est plus apte à sentir ; elle se dégage plus facilement, et l'harmonie l'aide à se dégager ; elle la transporte et lui permet de mieux voir le monde moral. D'où il faut conclure que la musique est essentiellement moralisatrice, puisqu'elle porte l'harmonie dans les âmes, et que l'harmonie les élève et les grandit.

L'influence de la musique sur l'âme, sur son progrès moral, est reconnue par tout le monde ; mais la raison de cette influence est généralement ignorée. Son explication est tout entière dans ce fait : que l'harmonie place l'âme sous la puissance d'un sentiment qui la dématérialise. Ce sentiment existe à un certain degré, mais il se développe sous l'action d'un sentiment similaire plus élevé. Celui qui est privé de ce sentiment y est amené par degré ; il finit, lui aussi, par se laisser pénétrer et se laisser entraîner dans le monde idéal, où il oublie, pour un instant, les grossiers plaisirs qu'il préfère à la divine harmonie.

Et maintenant, si l'on considère que l'harmonie sort du concept de l'Esprit, on en déduira que si la musique exerce une heureuse influence sur l'âme, l'âme, qui la conçoit, exerce aussi son influence sur la musique. L'âme vertueuse, qui a la passion du bien, du beau, du grand, et qui a l'acquis de l'harmonie, produira des chefs-d'œuvre capables de pénétrer les âmes les plus cuirassées et de les émouvoir. Si le compositeur est terre-à-terre, comment rendra-t-il la vertu qu'il dédaigne, le beau qu'il ignore et le grand qu'il ne comprend pas ? Ses compositions seront le reflet de ses goûts sensuels, de sa légèreté, de son insouciance. Elles seront tantôt licencieuses et tantôt obscènes, tantôt comiques et tantôt burlesques ; elles communiqueront aux auditeurs les sentiments qu'elles exprimeront, et les pervertiront au lieu de les améliorer.

Le Spiritisme, en moralisant les hommes, exercera donc une grande influence sur la musique. Il produira plus de compositeurs vertueux, qui communiqueront leurs vertus en faisant entendre leurs compositions.
On rira moins, on pleurera davantage ; l'hilarité fera place à l'émotion, la laideur fera place à la beauté et le comique à la grandeur.

D'un autre côté, les auditeurs que le Spiritisme aura disposés à recevoir facilement l'harmonie, goûteront, à l'audition de la musique sérieuse, un charme véritable ; ils dédaigneront la musique frivole et licencieuse qui s'empare des masses. Quand le grotesque et l'obscène seront délaissés pour le beau et pour le bien, les compositeurs de cet ordre disparaîtront ; car, sans auditeurs, ils ne gagneront rien, et c'est pour gagner qu'ils se salissent.

Oh ! oui, le Spiritisme aura de l'influence sur la musique ! Comment en serait-il autrement ? Son avènement changera l'art en l'épurant. Sa source est divine, sa force le conduira partout où il y a des hommes pour aimer, pour s'élever et pour comprendre. Il deviendra l'idéal et l'objectif des artistes. Peintres, sculpteurs, compositeurs, poètes, lui demanderont leurs inspirations, et il leur en fournira, car il est riche, car il est inépuisable.

L'Esprit du maestro Rossini, dans une nouvelle existence, reviendra continuer l'art qu'il considère comme le premier de tous ; le Spiritisme sera son symbole et l'inspirateur de ses compositeurs.

Rossini.


La Médiumnité et l'inspiration

(Paris, groupe Desliens ; 16 Février 1869.)

Sous ses formes variées à l'infini, la médiumnité embrasse l'humanité entière, comme un réseau auquel nul ne peut échapper. Chacun étant journellement en contact, qu'il le sache ou non, qu'il le veuille ou s'en révolte, avec des intelligences libres, il n'est pas un homme qui puisse dire : Je ne suis, je n'ai pas été ou je ne serai pas médium. Sous la forme intuitive, mode de communication auquel on a vulgairement donné le nom de voix de la conscience, chacun est en rapport avec plusieurs influences spirituelles, qui conseillent dans un sens ou dans un autre, et souvent simultanément, qui, le bien pur, absolu ; qui, des accommodements avec l'intérêt ; qui, le mal dans toute sa nudité. - L'homme évoque ces voix ; elles répondent à son appel, et il choisit ; mais il choisit, entre ces différentes inspirations et son propre sentiment. - Les inspirateurs sont des amis invisibles ; comme les amis de la terre, ils sont sérieux ou de passage, intéressés ou véritablement guidés par l'affection.

On les consulte, ou ils conseillent spontanément, mais comme les conseils des amis de la terre, leurs avis sont écoutés ou rejetés ; ils provoquent parfois un résultat contraire à celui qu'on en attend ; souvent, ils ne produisent aucun effet. - Qu'en conclure ? Non que l'homme soit sous le coup d'une médiumnité incessante, mais qu'il obéit librement à sa propre volonté, modifiée par des avis qui ne peuvent jamais, dans l'état normal, être impératifs.

Lorsque l'homme fait plus que s'occuper des menus détails de son existence, et qu'il s'agit des travaux qu'il est venu plus spécialement accomplir, des épreuves décisives qu'il doit supporter, ou d'œuvres destinées à l'instruction et à l'élévation générales, les voix de la conscience ne se font plus seulement et simplement conseillères, elles attirent l'Esprit sur certains sujets, elles provoquent certaines études et collaborent à l'œuvre en faisant résonner certaines cases cérébrales par l'inspiration. C'est ici une œuvre à deux, à trois, à dix, à cent, si vous voulez ; mais, si cent y ont pris part, un seul peut et doit la signer, car un seul l'a faite et en est responsable !

Qu'est-ce qu'une œuvre quelle qu'elle soit après tout ? Ce n'est jamais une création ; c'est toujours une découverte. L'homme ne fait rien, il découvre tout. Il faut éviter de confondre ces deux termes. Inventer, dans son vrai sens, c'est mettre en lumière une loi existante, une connaissance jusqu'alors inconnue, mais déposée en germe dans le berceau de l'univers. Celui qui invente soulève un des coins du voile qui cache la vérité, mais il ne crée pas la vérité. Pour inventer, il faut chercher et chercher beaucoup ; il faut compulser les livres, fouiller au fond des intelligences, demander à l'un la mécanique, à l'autre la géométrie, à un troisième la connaissance des rapports musicaux, à un autre encore les lois historiques, et du tout, faire quelque chose de neuf, d'intéressant, d'inimagé. Celui qui a été explorer les recoins des bibliothèques, qui a écouté parler les maîtres, qui a scruté la science, la philosophie, l'art, la religion, de l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, est-il le médium de l'art, de l'histoire, de la philosophie et de la religion ? Est-il le médium des temps passés lorsqu'il écrit à son tour ? Non pas, car il ne raconte pas les autres, mais il a appris des autres à raconter, et il enrichit ses récits de tout ce qui lui est personnel. - Le musicien a longtemps écoulé la fauvette et le rossignol, avant d'inventer la musique ; Rossini a écouté la nature avant de la traduire au monde civilisé. Est-il le médium du rossignol et de la fauvette ? Non, il compose et il écrit. Il a écouté l'Esprit qui est venu lui chanter les mélodies du ciel ; il a écouté l'Esprit qui a hurlé la passion à ses oreilles ; il a entendu gémir la vierge et la mère laissant tomber, en perles harmonieuses, sa prière sur la tête de son enfant. L'amour et la poésie, la liberté, la haine, la vengeance, et nombre des Esprits que possèdent ces sentiments divers, ont tour à tour chanté leur partition à ses côtés. Il les a écoutées, il les a étudiées, dans le monde et dans l'inspiration, et de l'un et de l'autre, il a fait ses œuvres ; mais il n'était pas médium, pas plus que n'est médium le médecin qui entend les malades raconter ce qu'ils éprouvent et qui donne un nom à leurs maladies. - La médiumnité a eu ses heures chez lui comme chez tout autre ; mais en dehors de ces moments trop courts pour sa gloire, ce qu'il a fait, il l'a fait seul à l'aide des études puisées chez les hommes et chez les Esprits.

A ce compte, on est le médium de tous ; on est le médium de la nature, le médium de la vérité, et médium bien imparfait, car souvent elle apparaît tellement défigurée par la traduction qu'elle est méconnaissable et méconnue.

Halévy.



ERRATUM

Numéro de février -1861), page 63, ligne 32, lisez : ils opposèrent aux catholiques des armes...

Même numéro, page 64, lignes 1.6 et suivantes. lisez : el la plus jeune des soers fut laissée pour morte sous les corps massacrés, sans avoir été blessée. L'aulre soeur fut rapportée, encore vivant, chez sou pére, mais elle mourut de ses blessures quelques jours après.



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