REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Dieu est partout

Comment Dieu si grand, si puisant, si supérieur à tout, peut-il s'immiscer dans des détails infimes, se préoccuper des moindres actes et des moindres pensées de chaque individu ? Telle est la question que l'on se pose souvent.

Dans leur état actuel d'infériorité, les hommes ne peuvent que difficilement comprendre Dieu infini, parce qu'ils sont eux-mêmes bornés et limités, c'est pourquoi ils se le figurent borné et limité comme eux ; ils se le représentent comme un être circonscrit, et s'en font une image à leur image. Nos tableaux qui le peignent sous des traits humains ne contribuent pas peu à entretenir cette erreur dans l'esprit des masses, qui adorent en lui la forme plus que la pensée. C'est pour le plus grand nombre un souverain puissant, sur un trône inaccessible, perdu dans l'immensité des cieux, et parce que leurs facultés et leurs perceptions sont bornées, ils ne comprennent pas que Dieu puisse ou daigne intervenir directement dans les plus petites choses.

Dans l'impuissance où est l'homme de comprendre l'essence même de la divinité, il ne peut s'en faire qu'une idée approximative à l'aide de comparaisons nécessairement très imparfaites, mais qui peuvent du moins lui montrer la possibilité de ce qui, au premier abord, lui semble impossible.

Supposons un fluide assez subtil pour pénétrer tous les corps, il est évident que chaque molécule de ce fluide produira sur chaque molécule de la matière avec laquelle elle est en contact une action identique à celle que produirait la totalité du fluide. C'est ce que la chimie nous montre à chaque pas.

Ce fluide, étant inintelligent, agit mécaniquement par les seules forces matérielles ; mais si nous supposons ce fluide doué d'intelligence, de facultés perceptives et sensitives, il agira, non plus aveuglément, mais avec discernement, avec volonté et liberté ; il verra, entendra et sentira.

Les propriétés du fluide périsprital peuvent nous en donner une idée. Il n'est point intelligent par lui-même puisqu'il est matière, mais il est le véhicule de la pensée, des sensations et des perceptions de l'esprit ; c'est par suite de la subtilité de ce fluide que les Esprits pénètrent partout, qu'ils scrutent nos pensées, qu'ils voient et agissent à distance ; c'est à ce fluide, arrivé à un certain degré d'épuration, que les Esprits supérieurs doivent le don d'ubiquité ; il suffit d'un rayon de leur pensée dirigé sur divers points, pour qu'ils puissent y manifester leur présence simultanément. L'extension de cette faculté est subordonnée au degré d'élévation et d'épuration de l'Esprit.

Mais les Esprits, quelque élevés qu'ils soient, sont des créatures bornées dans leurs facultés, leur puissance et l'étendue de leurs perceptions ne sauraient, sous ce rapport, approcher de Dieu ; cependant ils peuvent nous servir de point de comparaison. Ce que l'Esprit ne peut accomplir que dans une limite restreinte, Dieu, qui est infini, l'accomplit dans des proportions infinies. Il y a encore cette différence que l'action de l'Esprit est momentanée et subordonnée aux circonstances : celle de Dieu est permanente ; la pensée de l'Esprit n'embrasse qu'un temps et un espace circonscrits : celle de Dieu embrasse l'univers et l'éternité. En un mot, entre les Esprits et Dieu, il y a la distance du fini à l'infini.

Le fluide périsprital n'est pas la pensée de l'Esprit, mais l'agent et l'intermédiaire de cette pensée ; comme c'est le fluide qui la transmet, il en est en quelque sorte imprégné, et dans l'impossibilité où nous sommes d'isoler la pensée, elle semble ne faire qu'un avec le fluide, comme le son semble ne faire qu'un avec l'air, de sorte que nous pouvons, pour ainsi dire, la matérialiser. De même que nous disons que l'air devient sonore, nous pourrions, en prenant l'effet pour la cause, dire que le fluide devient intelligent.

Qu'il en soit ou non ainsi de la pensée de Dieu, c'est-à-dire qu'elle agisse directement ou par l'intermédiaire d'un fluide, pour la facilité de notre intelligence, représentons-nous cette pensée sous la forme concrète d'un fluide intelligent remplissant l'univers infini, pénétrant toutes les parties de la création : la nature entière est plongée dans le fluide divin ; tout est soumis à son action intelligente, à sa prévoyance, à sa sollicitude ; pas un être, quelque infime qu'il soit, qui n'en soit en quelque sorte saturé.

Nous sommes ainsi constamment en présence de la divinité ; il n'est pas une seule de nos actions que nous puissions soustraire à son regard ; notre pensée est en contact avec sa pensée, et c'est avec raison qu'on dit que Dieu lit dans les plus profonds replis de notre cœur ; nous sommes en lui comme il est en nous, selon la parole du Christ. Pour étendre sa sollicitude sur les plus petites créatures, il n'a donc pas besoin de plonger son regard du haut de l'immensité, ni de quitter le séjour de sa gloire, car ce séjour est partout ; nos prières, pour être entendues de lui, n'ont pas besoin de franchir l'espace, ni d'être dites d'une voix retentissante, car, sans cesse pénétrés par lui, nos pensées se répercutent en lui.

L'image d'un fluide intelligent universel n'est évidemment qu'une comparaison, mais propre à donner une idée plus juste de Dieu que les tableaux qui le représentent sous la figure d'un vieillard à longue barbe, drapé dans un manteau. Nous ne pouvons prendre nos points de comparaison que dans les choses que nous connaissons ; c'est pour cela qu'on dit tous les jours : L'œil de Dieu, la main de Dieu, la voix de Dieu, le souffle de Dieu, la face de Dieu. Dans l'enfance de l'humanité, l'homme prend ces comparaisons à la lettre ; plus tard, son esprit, plus apte à saisir les abstractions, spiritualise les idées matérielles. Celle d'un fluide universel intelligent, pénétrant tout, comme serait le fluide lumineux, le fluide calorique, le fluide électrique ou tous autres, s'ils étaient intelligents, a pour objet de faire comprendre la possibilité pour Dieu d'être partout, de s'occuper de tout, de veiller sur le brin d'herbe comme sur les mondes. Entre lui et nous la distance est supprimée ; nous comprenons sa présence, et cette pensée, lorsque nous nous adressons à lui, augmente notre confiance, car nous ne pouvons plus dire que Dieu est trop loin et trop grand pour s'occuper de nous. Mais cette pensée, si consolante pour l'humble et l'homme de bien, est trop terrifiante pour le méchant et l'orgueilleux endurcis, qui espéraient se soustraire à lui à la faveur de la distance, et qui, désormais, se sentiront sous les étreintes de sa puissance.

Rien n'empêche d'admettre, pour le principe de souveraine intelligence, un centre d'action, un foyer principal rayonnant sans cesse, inondant l'univers de ses effluves, comme le soleil de sa lumière. Mais où est-il ce foyer ? Il est probable qu'il n'est pas plus fixé sur un point déterminé que ne l'est son action. Si de simples Esprits ont le don d'ubiquité, cette faculté en Dieu doit être sans limites. Dieu remplissant l'univers, on pourrait admettre, à titre d'hypothèse, que ce foyer n'a pas besoin de se transporter, et qu'il se forme sur tous les points où sa souveraine volonté juge à propos de se produire, d'où l'on pourrait dire qu'il est partout et nulle part.

Devant ces problèmes insondables, notre raison doit s'humilier. Dieu existe : nous n'en saurions douter ; il est infiniment juste et bon : c'est son essence ; sa sollicitude s'étend à tout : nous le comprenons maintenant ; sans cesse en contact avec lui, nous pouvons le prier avec la certitude d'en être entendu ; il ne peut vouloir que notre bien, c'est pourquoi nous devons avoir confiance en lui. Voilà l'essentiel ; pour le surplus, attendons que nous soyons dignes de le comprendre.

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