I Il est un point sur lequel je crois devoir appeler toute votre attention ; je veux parler des sourdes manoeuvres des adversaires du Spiritisme, qui, après l'avoir inutilement attaqué ouvertement, cherchent à le prendre en dessous. C'est une tactique contre laquelle il est nécessaire que vous soyez prévenus.
On a combattu le Spiritisme, comme vous le savez, par tous les moyens possibles ; on l'a attaqué au nom de la raison, de la science, de la religion ; rien n'a réussi. On lui a déversé le ridicule à pleines mains, et le ridicule a glissé sur lui comme l'eau sur le marbre ; on n'a pas été plus heureux avec la menace et la persécution ; si elles ont trouvé quelques roseaux, elles ont rencontré des chênes qu'elles n'ont pu faire plier, et n'ont d'ailleurs ébranlé aucune conviction. Croyez-vous ses ennemis rendus ? Non ; il leur reste encore deux moyens, dernière ressource qui, nous l'espérons bien, ne leur réussira pas mieux, grâce au bon sens et à la vigilance de tous les vrais Spirites, qui sauront se préserver des ennemis du dedans comme ils ont repoussé ceux du dehors.
N'ayant pu jeter le ridicule sur le Spiritisme, invulnérable sous l'égide de sa sublime morale, ils cherchent à rendre les Spirites ridicules, c'est-à-dire à provoquer des actes ridicules de la part de certains Spirites ou soi-disant tels, ou bien à les rendre responsables des ridicules des autres. Ce qu'ils voudraient surtout, c'est de pouvoir accoler les noms de Spirite, Spiritisme et Médium, à ceux de charlatans, jongleurs, nécromanciens et diseurs de bonne aventure, et il ne leur serait pas difficile de trouver des compères complaisants pour les aider, employant des signes mystiques ou cabalistiques pour justifier ce qu'ils ont osé avancer dans certains journaux, que les Spirites se livrent aux pratiques de la magie et de la sorcellerie, et que leurs réunions sont des scènes renouvelées du sabbat. A la vue d'une affiche de saltimbanque annonçant des représentations de médiums américains ou autres, comme on annonce des Hercules du Nord, ils se frottent les mains et vont crier sur les toits que le grave Spiritisme en est réduit à monter sur les tréteaux.
Les vrais Spirites ne leur donneront certes jamais cette satisfaction, et les gens raisonnables sauront toujours faire la différence entre le sérieux et le burlesque, mais ils n'en doivent pas moins se tenir en garde contre toute incitation qui pourrait donner prise à la critique ; en pareil cas, il faut éviter jusqu'aux apparences. Un point capital donne un démenti formel à ces allégations de la malveillance, c'est le désintéressement. Que dire de gens qui font tout pour rien et par dévouement ? Comment les traiter de charlatans, alors qu'ils ne demandent rien ? A qui l'on ne peut pas dire qu'ils vivent du Spiritisme comme d'autres vivent de leur métier ? Qui, par conséquent, n'ont aucun intérêt à la fraude ? Pour qui, au contraire, leur croyance est une occasion de sacrifices et d'abnégation ? Qui n'y cherchent ni honneurs ni profits ? Je le répète, le désintéressement moral et matériel sera toujours la réponse la plus péremptoire à faire aux détracteurs de la doctrine ; c'est pourquoi, ils seraient enchantés de trouver des prétextes pour lui enlever ce prestige, dussent-ils payer des gens pour jouer la comédie ; agir autrement serait donc leur fournir des armes. En voulez-vous la preuve ? Voici ce qu'on lit dans un article du Courrier de l'Est, journal de Bar-le-Duc, que l'on a eu soin de faire répéter par le Courrier du Lot, journal de Cahors, et d'autres journaux qui ne demandent qu'à trouver à mordre :
« ... Le Spiritisme a pour partisans trois classes bien distinctes d'individus : ceux qui en vivent, ceux que cela amuse, et ceux qui y croient. Des magistrats, des médecins, des gens sérieux donnent aussi dans ce travers, innocent pour eux, mais beaucoup moins pour la classe des individus qui en vivent. Les médiums forment aujourd'hui une catégorie d'industriels non patentés et qui pourtant font un commerce, un véritable commerce que je vais vous expliquer... »
Suit un long article assaisonné de lazzis fort peu spirituels, décrivant une séance à laquelle l'auteur a assisté, et où se trouve le passage suivant, relatif à une mère qui demandait une communication de sa fille : « Et la table se dirige vers la malheureuse mère qui se tord dans des spasmes nerveux. Lorsqu'elle est remise de son émotion, on lui remet une copie de sa phrase : coût vingt francs ; et cela n'est pas cher pour avoir des paroles d'une fille adorée ».
Si l'on en croit l'auteur, la séance n'était pas tenue de manière à commander beaucoup de respect et de recueillement, car il ajoute :
« Le monsieur qui interrogeait les Esprits ne m'a pas paru aussi digne que le comportait la situation des interlocuteurs ; il n'y mettait guère plus de majesté que s'il eût découpé un gigot dans une table d'hôte des Batignolles. »
Le plus fâcheux est qu'il ait pu dire qu'il a vu mettre à prix des manifestations ; mais on ne peut que le plaindre de juger une oeuvre sur la parodie c'est du reste, ce que font la plupart des critiques ; puis ils disent : j'ai vu.
Ces abus, comme je l'ai dit, sont des exceptions, et de rares exceptions, et si j'en parle avec insistance, c'est parce que ce sont les faits qui donnent le plus de prise à la malveillance, si même ils ne sont l'oeuvre d'une malveillance calculée. Du reste, ils ne sauraient se propager en présence de l'immense majorité des gens sérieux qui comprennent la vraie mission du Spiritisme et les obligations qu'il impose ; son essence comporte la dignité et la gravité ; c'est donc pour eux un devoir de décliner toute solidarité avec les abus qui pourraient le compromettre, et de faire savoir qu'ils ne s'en feraient les champions ni devant la justice ni devant l'opinion publique.
Mais là n'est pas le seul écueil. J'ai dit que les adversaires ont une autre tactique pour arriver à leurs fins, c'est de chercher à semer la désunion entre les adeptes, en attisant le feu des petites passions, des jalousies et des rancunes ; en faisant naître des schismes ; en suscitant des causes d'antagonisme et de rivalité entre les groupes pour les amener à former plusieurs camps. Et ne croyez pas que ce soient les ennemis avoués qui agiront ainsi ; ils s'en donneront bien garde ! Ce sont de soi-disant amis de la doctrine, et souvent des plus chaleureux en apparence ; quelquefois même ils feront adroitement tirer les marrons du feu par des amis véritables, mais faibles, qu'ils auront circonvenus et qui agiront de bonne foi et sans défiance. Souvenez-vous que la lutte n'est pas finie et que l'ennemi est encore à votre porte ; soyez constamment sur vos gardes afin qu'il ne vous prenne pas en défaut. En cas d'incertitude, vous avez un phare qui ne peut vous tromper, c'est la charité, qui n'a point d'équivoque ; tenez donc comme étant d'origine suspecte tout conseil, toute insinuation qui tendrait à semer entre vous des germes de discordes, et à vous écarter du droit chemin que vous enseigne la charité en tout et pour tous.
II Ne serait-il pas à désirer que les Spirites eussent un mot d'ordre, un signe quelconque pour se reconnaître quand ils se rencontrent ?
Les Spirites ne forment ni une société secrète, ni une affiliation ; ils ne doivent donc avoir aucun signe secret de reconnaissance ; ils n'enseignent rien et ne pratiquent rien qui ne puisse être connu de tout le monde, et n'ont, par conséquent, rien à cacher. Un signe, un mot d'ordre, pourrait d'ailleurs être pris par de faux frères, et vous n'en seriez pas plus avancés.
Vous avez un mot d'ordre qui est compris d'un bout du monde à l'autre, c'est celui de la charité. Ce mot, il est facile à tout le monde de le prononcer, mais la vraie charité ne peut être falsifiée. A la pratique de la vraie charité, vous reconnaîtrez toujours un frère, ne fût-il même pas Spirite, et vous devez lui tendre la main, car s'il ne partage pas vos croyances, il n'en sera pas moins pour vous bienveillant et tolérant.
Un signe de reconnaissance est d'ailleurs d'autant moins nécessaire aujourd'hui que le Spiritisme ne se cache plus ; pour celui qui n'a pas le courage de son opinion, il serait inutile, car il ne s'en servirait pas ; pour les autres, ils se font reconnaître en parlant sans crainte.
III
Quelques personnes voient dans le Spiritisme un danger pour les classes peu éclairées, qui, ne pouvant le comprendre dans son essence pure, pourraient en dénaturer l'esprit et le faire dégénérer en superstition. Que leur répondre ?
On pourrait en dire autant des choses les plus utiles, et s'il fallait retrancher tout ce dont on peut faire un mauvais usage, je ne sais trop ce qui resterait, à commencer par l'imprimerie, à l'aide de laquelle on peut répandre des doctrines pernicieuses, la lecture, l'écriture, etc. On pourrait même demander à Dieu pourquoi il a donné une langue à certaines personnes. On abuse de tout, même des choses les plus saintes. Si le Spiritisme fût sorti de la classe ignorante, nul doute qu'il ne s'y fût mêlé beaucoup de superstitions, mais il a pris naissance dans la classe éclairée, et ce n'est qu'après y avoir été élaboré et épuré qu'il pénètre aujourd'hui dans les rangs inférieurs, où il arrive dégagé, par l'expérience et l'observation, de tout mauvais mélange. Ce qui serait vraiment dangereux pour le vulgaire, c'est le charlatanisme ; aussi ne saurait-on apporter trop de soin à combattre l'exploitation, source inévitable d'abus, par tous les moyens possibles.
Nous ne sommes plus au temps des parias pour les lumières, où l'on disait : ceci est bon pour les uns, cela est bon pour les autres. La lumière pénètre dans l'atelier et jusque sous le chaume, à mesure que le soleil de l'intelligence s'élève sur l'horizon et darde des rayons plus ardents. Les idées spirites suivent le mouvement ; elles sont dans l'air, et il n'est au pouvoir de personne de les arrêter ; ce qu'il faut, c'est en diriger le cours. Le point capital du Spiritisme, c'est le côté moral ; c'est là qu'il faut s'efforcer de faire comprendre, et il est remarquable que c'est ainsi qu'il est généralement envisagé maintenant, même dans la classe la moins éclairée ; aussi son effet moralisateur est-il manifeste. En voici un exemple entre des milliers :
Dans un groupe auquel j'assistais pendant mon séjour à Lyon, un homme en costume de travailleur se lève au fond de la salle et dit : « Monsieur, il y a six mois, je ne croyais ni à Dieu, ni au diable, ni à mon âme ; j'étais persuadé que quand nous sommes morts, tout est mort ; je ne craignais pas Dieu, puisque je n'y croyais pas ; je ne craignais pas les peines futures, puisque, dans mon idée, tout finissait avec la vie ; c'est vous dire que je ne priais pas, car, depuis ma première communion, je ne crois pas avoir mis le pied dans une église ; de plus j'étais violent et emporté ; enfin, je ne craignais rien, pas même la justice humaine. Il y a six mois, j'étais encore comme cela ; c'est alors que le Spiritisme est venu ; pendant deux mois j'ai lutté ; mais j'ai lu, j'ai compris, et je n'ai pu me refuser à l'évidence ; une vraie révolution s'est faite en moi ; aujourd'hui je ne suis plus le même homme ; je prie tous les jours, et je vais à l'église ; quant à mon caractère, demandez à mes camarades si j'ai changé ! Autrefois, je m'irritais de tout, un rien m'exaspérait : maintenant je suis tranquille et heureux, et je bénis Dieu de m'avoir envoyé la lumière ».
Comprenez-vous ce dont est capable un homme arrivé au point de ne plus craindre même la justice humaine ? Niera-t-on l'effet salutaire du Spiritisme sur celui-ci ? Et il y en a des milliers comme lui. Tout illettré qu'il est, il ne l'a pas moins compris ; c'est que le Spiritisme n'est point une théorie abstraite qui ne s'adresse qu'aux savants ; il parle au coeur, et pour comprendre le langage du coeur, il n'est pas besoin de diplôme ; faites-le pénétrer par cette voie dans la mansarde et sous le chaume, et il fera des miracles.
IV
Puisque le Spiritisme rend les hommes meilleurs et amène à croire à Dieu, à l'âme et à la vie future ceux qui n'y croyaient pas, il ne peut faire que du bien ; pourquoi donc a-t-il des ennemis, et pourquoi ceux qui n'y croient pas ne le laissent-ils pas tranquille ?
Le Spiritisme a des ennemis, comme toute idée nouvelle. Une idée qui s'établirait sans opposition serait un fait miraculeux ; il y a plus : plus elle sera fausse et absurde, moins elle trouvera d'adversaires, tandis qu'elle en rencontrera d'autant plus qu'elle sera plus vraie, plus juste et plus utile. Ceci est une conséquence naturelle de l'état actuel de l'humanité. Toute idée nouvelle vient nécessairement supplanter une idée ancienne ; si elle est fausse, ridicule ou impraticable, personne ne s'en inquiète, parce que, instinctivement, on comprend qu'elle n'a pas de vitalité, et on la laisse mourir de sa belle mort ; si elle est juste et féconde, elle effraye ceux qui, à un titre quelconque, orgueil ou intérêt matériel, sont intéressés au maintien de l'ancienne, et ceux-ci la combattront d'autant plus qu'elle leur paraîtra plus redoutable. Voyez l'histoire, l'industrie, les sciences, les religions, partout vous trouverez l'application de ce principe. Mais l'histoire vous dit aussi que contre la vérité absolue rien ne peut prévaloir ; elle s'établit bon gré mal gré, quand les hommes sont mûrs pour l'accepter ; il faut bien alors que ses adversaires s'en arrangent, puisqu'ils ne peuvent faire autrement ; et, chose bizarre, souvent ils se vantent d'avoir eu les premiers cette idée.
On peut généralement juger de l'importance d'une chose par l'opposition qu'elle suscite. Supposons qu'arrivant dans un pays inconnu, vous appreniez qu'on se prépare à repousser l'ennemi qui veut l'envahir ; or, si l'on n'envoie à la frontière que quatre hommes et un caporal, vous jugerez que l'ennemi n'est pas bien redoutable ; il en sera tout autrement si vous voyez diriger contre lui de nombreux bataillons avec tout l'attirail de guerre. Ainsi en est-il des idées nouvelles. Emettez un système franchement ridicule et impossible touchant les plus grands intérêts de la société, personne ne songera à le combattre. Ce système, au contraire, est-il fondé sur la logique et le bon sens, recrute-t-il des adhérents, les gens intelligents s'en émeuvent, et tous ceux qui vivent sur l'ancien ordre de choses dressent contre lui leurs plus formidables batteries. Telle est l'histoire du Spiritisme ; ceux qui le combattent avec le plus d'acharnement, ce n'est pas comme idée fausse, car alors on se demanderait pourquoi ils en laissent passer tant d'autres sans rien dire, mais parce qu'il leur fait peur ; or, on n'a pas peur d'un moucheron bien qu'on voie quelquefois un moucheron terrasser un lion.
Remarquez la sagesse providentielle en toutes choses : jamais une idée nouvelle d'une certaine importance n'éclate subitement dans toute sa force ; elle grandit, et peu à peu s'infiltre dans les habitudes. De même le Spiritisme, que nous pouvons appeler sans présomption, l'idée capitale du dix-neuvième siècle, et l'on verra plus tard si nous nous sommes abusés, à commencer par l'innocent phénomène des tables tournantes ; c'était un enfant avec lequel ses plus rudes adversaires ont joué, et à la faveur de l'amusement, il a pénétré partout ; mais il a vite grandi ; aujourd'hui il est homme et a pris sa place dans le monde philosophique ; on ne joue plus avec lui ; on le discute et on le combat ; s'il eût été mensonge, utopie, il ne serait pas sorti de ses langes.
V Si la critique n'a pas empêché le Spiritisme de marcher, ses progrès n'auraient-ils pas été encore plus rapides si elle eût gardé le silence ?
Aller plus vite serait chose difficile ; je crois au contraire qu'il serait moins avancé, car la critique a battu pour lui la grosse caisse. En avançant malgré les attaques, il a prouvé sa propre force, puisqu'il a marché en ne s'appuyant que sur lui-même, et n'ayant pour arme que la puissance de l'idée. Le soldat qui atteint le sommet de la redoute à travers une grêle de balles n'a-t-il pas plus de mérite que celui devant lequel les ennemis ouvriraient les rangs pour le laisser passer ? Par leur opposition, les adversaires du Spiritisme lui donnent le prestige de la lutte et de la victoire.
VI Il est une chose encore plus nuisible au Spiritisme que les attaques passionnées de ses ennemis, c'est ce que de soi-disant adeptes publient sous son nom. Certaines publications sont évidemment regrettables, parce qu'elles ne peuvent en donner qu'une idée fausse et prêter au ridicule. On se demande pourquoi Dieu permet ces choses et n'éclaire pas tous les hommes de la même lumière ? Y a-t-il quelque moyen de remédier à cet inconvénient, qui nous semble un des plus grands écueils de la doctrine ?
Cette question est grave et demande quelques développements. Je dirai d'abord qu'il n'est pas une idée nouvelle, quand surtout elle a quelque importance, qui ne rencontre des obstacles ; le christianisme lui-même n'a-t-il pas été frappé dans son chef traité d'imposteur ; dans ses premiers apôtres ; et parmi ses propagateurs mêmes n'a-t-il pas trouvé des enfants terribles ? Pourquoi donc le Spiritisme serait-il privilégié ?
Je dirai ensuite que ce que vous regardez comme un mal est, en définitive, un bien ; pour le comprendre, il ne faut pas regarder que le présent, il faut surtout voir l'avenir. L'humanité est affligée de plusieurs maux qui la rongent et qui ont leur source dans l'orgueil et dans l'égoïsme. Espérez-vous la quérir instantanément ? Croyez-vous que ces passions qui règnent en souveraines vont se laisser détrôner facilement ? Non ; elles dressent la tête pour mordre ceux qui viennent les troubler dans leur quiétude. Telle est, n'en doutez pas, la cause de certaines oppositions ; la morale du Spiritisme ne convient pas à tout le monde ; n'osant l'attaquer, on attaque la source.
Le Spiritisme a sans doute fait de nombreux miracles de réformes morales, mais penser que cette transformation peut être subite et universelle serait ne pas connaître l'humanité. Parmi les croyants il y en a qui, comme je l'ai dit, ne voient du Spiritisme que la surface, qui n'en comprennent pas le but essentiel ; soit défaut de jugement, soit orgueil, ils n'en acceptent que ce qui les flatte, et repoussent ce qui les humilie. Il ne faut donc pas s'étonner que des Spirites le prennent à contre-sens. Cela peut être fâcheux pour le présent, mais je dis que cela est sans conséquence pour l'avenir.
Vous demandez pourquoi Dieu n'empêche pas les erreurs ? Demandez-lui donc pourquoi il n'a pas créé les hommes parfaits tout d'un coup, au lieu de leur laisser la peine et le mérite de se perfectionner ; pourquoi il n'a pas fait naître l'enfant adulte, raisonnable, éclairé, au lieu de lui laisser acquérir l'expérience de la vie ; pourquoi l'arbre n'atteint sa croissance qu'après de longues années, et le fruit sa maturité que lorsque la saison est venue ? Demandez-lui pourquoi le christianisme, qui est sa loi et son oeuvre, a subi tant de fluctuations dès son berceau ; pourquoi il a permis que les hommes se servissent de son nom sacré pour commettre tant d'abus, de crimes même et verser tant de sang ? Rien ne se fait brusquement dans la nature ; tout marche graduellement selon les lois immuables du Créateur, et ces lois conduisent toujours au but qu'il s'est proposé. Or l'humanité, sur la terre, est encore jeune, malgré la prétention de ses docteurs. Le Spiritisme, lui aussi, naît à peine ; il grandit vite, comme vous le voyez, et il est d'une belle santé ; mais donnez-lui le temps d'atteindre l'âge viril. J'ai dit de plus que les écarts dont vous vous plaignez ont leur bon côté ; ce sont les Esprits eux-mêmes qui viennent l'expliquer. Voici un passage d'une communication donnée à ce sujet :
« Les Spirites éclairés doivent se féliciter de ce que les idées fausses et contradictoires se montrent au début, parce qu'elles sont combattues, se ruinent et s'épuisent pendant la période de l'enfance du Spiritisme ; une fois purgé de toutes ces mauvaises choses, il n'en brillera que d'un éclat plus vif, et marchera d'un pas plus ferme lorsqu'il aura pris tout son développement ».
A cette judicieuse appréciation, j'ajoute que c'est comme un enfant qui jette sa gourme et qui après, se porte bien. Mais, pour juger de l'effet de ces dissidences, il suffit d'observer ce qui se passe. Sur quoi s'appuient-elles ? Sur des opinions individuelles qui peuvent rallier quelques personnes, parce qu'il n'est pas d'idée, si absurde soit-elle, qui ne trouve de partisans ; mais on juge de sa valeur par la prépondérance quelle acquiert ; or, où voyez-vous que celles dont nous parlons en aient acquis la moindre ? où voyez-vous qu'elles aient fait école, menaçant par le nombre des adhérents le drapeau que vous avez adopté ? Nulle part ; loin de là, les idées divergentes voient incessamment leurs partisans diminuer pour se rallier à l'unité qui fait loi pour l'immense majorité, si ce n'est encore pour l'unanimité. De tous les systèmes éclos à l'origine des manifestations, combien sont restés debout ? Parmi ces systèmes il en est un qui, dans une certaine ville, avait pris, il y a peu d'années, d'assez grandes proportions ; comptez ses adhérents aujourd'hui. Croyez-vous que s'il eût été dans le vrai, il n'eût pas grandi et absorbé ses concurrents ? En pareil cas, l'assentiment du nombre est un indice qui ne peut tromper. Quant à moi, je vous déclare que si la doctrine dont je me suis fait le propagateur était repoussée d'une manière unanime ; si, au lieu de grandir, je l'avais vue décliner ; si une autre théorie plus rationnelle avait conquis plus de sympathies et en avait péremptoirement démontré l'erreur, je regarderais comme une orgueilleuse puérilité de m'entêter dans une idée fausse, parce qu'avant tout, la vérité ne peut être une question de personne et d'amour-propre, et je serais le premier à vous dire : « Mes frères, voici la lumière, suivez-la ; je vous en donne l'exemple ».
Du reste, l'erreur porte presque toujours avec elle son remède, et son règne ne peut être éternel ; tôt ou tard, aveuglée par quelques succès éphémères, elle est prise d'une sorte de vertige, elle donne tête baissée dans des aberrations qui précipitent sa chute. Ceci est vrai du grand au petit. Vous déplorez les excentricités de certains écrits publiés sous le manteau du Spiritisme ; vous devriez les bénir au contraire, car c'est par ses excès même que l'erreur se perd. Qu'est-ce qui vous a frappés dans ces écrits ? qu'est-ce qui a été pour vous une cause de répulsion, et souvent vous a empêchés d'aller jusqu'au bout, sinon ce qui a heurté violemment votre bon sens ? Si la fausseté des idées n'avait pas été aussi évidente, aussi choquante, peut-être ne l'eussiez-vous pas aperçue, et peut-être même vous y seriez-vous laissé prendre, tandis que vous avez été frappés des erreurs manifestes qui en sont le contre-poison.
Ces erreurs viennent souvent d'Esprits légers, systématiques ou faux savants qui se plaisent à faire éditer leurs rêveries et leurs utopies par les hommes qu'ils sont parvenus à circonvenir au point de leur faire accepter, les yeux fermés, tout ce qu'ils leur débitent à la faveur de quelques bons grains mêlés à l'ivraie ; mais comme ces Esprits ne possèdent ni le vrai savoir ni la vraie sagesse, ils ne peuvent longtemps soutenir leur rôle et leur ignorance les trahit. Dieu permet qu'il se glisse dans leurs communications des erreurs si grossières, des choses si absurdes et même si ridicules, des idées dont les plus vulgaires notions de la science démontrent tellement la fausseté, qu'elles tuent et le système et le livre.
Sans aucun doute, il serait préférable qu'il ne fût publié que de bonnes choses, mais, puisqu'il en est autrement, ne redoutez pas pour l'avenir l'influence de ces ouvrages ; ils peuvent momentanément jeter un feu de paille, mais lorsqu'ils ne s'appuient pas sur une logique rigoureuse, voyez, au bout de quelques années, souvent même de quelques mois, ce qu'ils sont devenus. En pareil cas, les libraires ont un thermomètre infaillible.
Ceci me conduit à dire quelques mots de la publication des communications médianimiques.
Autant cette publication peut être utile si elle est faite avec discernement, autant elle peut être nuisible dans le cas contraire. Dans le nombre des communications, il en est qui, toutes bonnes qu'elles sont, n'intéressent que celui qui les obtient, et n'offriraient aux lecteurs étrangers que des banalités ; d'autres n'ont d'intérêt que par les circonstances dans lesquelles elles ont été données, et sans la connaissance desquelles elles sont insignifiantes ; ceci n'aurait d'inconvénient que pour la bourse de l'éditeur ; mais à côté de cela, il en est qui sont évidemment mauvaises et comme fond et comme style, et qui, sous des noms respectables apocryphes, contiennent des choses absurdes ou triviales, ce qui tout naturellement prête au ridicule et donne des armes à la critique. C'est pire encore quand, sous le manteau de ces mêmes noms, elles formulent des systèmes excentriques ou de grossières hérésies scientifiques. Il n'y aurait aucun inconvénient à publier ces sortes de communications si on les accompagnait de commentaires, soit pour réfuter les erreurs, soit pour rappeler qu'elles sont l'expression d'une opinion individuelle dont on n'assume point la responsabilité ; elles pourraient même avoir un côté instructif en montrant à quelles aberrations d'idées peuvent se livrer certains Esprits ; mais les publier purement et simplement c'est les donner comme l'expression de la vérité et garantir l'authenticité de signatures que le bon sens ne peut admettre ; là est l'inconvénient. Les Esprits ayant leur libre arbitre et leur opinion sur les hommes et les choses, on comprendra qu'il en est que la prudence et les convenances commandent d'écarter. Dans l'intérêt de la doctrine, il convient donc de faire un choix très sévère en pareil cas, et d'écarter avec soin tout ce qui peut, par une cause quelconque, produire une mauvaise impression. Il est tel médium qui, en se conformant à cette règle, pourrait faire un recueil très instructif, qui serait lu avec intérêt, et qui, en publiant tout ce qu'il obtient, sans méthode et sans discernement, pourrait faire plusieurs volumes détestables dont le moindre inconvénient serait de n'être pas lus.
Il faut que l'on sache que si le Spiritisme sérieux patronne avec joie et empressement tout ouvrage fait dans de bonnes conditions, de quelque part qu'il vienne, il répudie toutes ces publications excentriques. Tous les Spirites qui ont à coeur que la doctrine ne soit pas compromise doivent donc s'empresser de les désavouer, d'autant plus que, s'il en est qui sont faites de bonne foi, d'autres peuvent l'être par les ennemis mêmes du Spiritisme, en vue de le discréditer et de pouvoir motiver des accusations contre lui ; c'est pourquoi, je le répète, il est nécessaire que l'on connaisse ce qu'il accepte et ce qu'il repousse.
VII En présence des sages enseignements que donnent les Esprits, et du grand nombre de personnes qui sont ramenées à Dieu par leurs conseils, comment est-il possible de croire que ce soit l'oeuvre du démon ?
Le démon, dans ce cas, serait bien maladroit ; car, qui peut-il mieux tenir que celui qui ne croit ni à Dieu, ni à son âme, ni à la vie future, et à qui il peut par conséquent faire faire tout ce qu'il veut ? Est-il possible d'être plus hors de l'Eglise que celui qui ne croit à rien, quelque baptisé qu'il ait été ? Le démon n'a donc plus rien à faire pour l'attirer à lui, et il serait bien sot de le ramener lui-même à Dieu, à la prière et à toutes les croyances qui peuvent le détourner du mal, pour avoir le plaisir de l'y replonger ensuite. Cette doctrine donne une bien pauvre idée du diable, qu'on représente comme si rusé, et le rend vraiment bien peu redoutable ; l'homme de la fable : le Pêcheur et le petit poisson, lui revendrait de l'Esprit. Que dirait-on de celui qui, ayant un oiseau dans une cage, lui donnerait la volée pour le rattraper ensuite ? Cela n'est pas soutenable. Mais il est une autre réponse plus sérieuse.
Si le démon seul peut se manifester, c'est avec ou sans la permission de Dieu ; s'il le fait sans sa permission, c'est qu'il est plus puissant que lui ; si c'est avec sa permission, c'est que Dieu n'est pas bon ; car, donner à l'Esprit du mal, à l'exclusion de tous autres, le pouvoir de séduire les hommes, sans permettre aux bons Esprits de venir combattre son influence, ne saurait être un acte ni de bonté ni de justice ; ce serait pire encore si, selon l'opinion de ces personnes, le sort des hommes devait être irrévocablement fixé après la mort ; car alors Dieu précipiterait volontairement et en connaissance de cause ses créatures dans les tourments éternels, en leur faisant tendre des embûches. Dieu ne pouvant se concevoir sans l'infini de ses attributs, en retrancher ou en amoindrir un seul serait la négation de Dieu, puisque cela impliquerait la possibilité d'un être plus parfait. Cette doctrine se réfute donc par elle-même ; aussi trouve-t-elle trop peu de crédit, même parmi les indifférents, pour mériter de s'y attacher davantage ; son temps sera bientôt passé, et ceux qui la préconisent l'abandonneront eux-mêmes quand ils verront qu'elle leur nuit plus qu'elle ne leur sert.
VIII
Que faut-il penser de la défense que Moïse fit aux Hébreux d'évoquer les âmes des morts ? Quelle conséquence faut-il en tirer relativement aux évocations actuelles ?
La première conséquence à en tirer, c'est qu'il est possible d'évoquer les âmes des morts et de s'entretenir avec elles, car la défense de faire une chose implique la possibilité de la faire. Serait-il nécessaire, par exemple, de faire une loi pour défendre de monter dans la lune ?
Il est vraiment curieux de voir les ennemis du Spiritisme revendiquer dans le passé ce qu'ils croient pouvoir leur servir, et répudier ce passé toutes les fois qu'il ne leur convient pas. Puisqu'ils invoquent la législation de Moïse en cette circonstance, pourquoi n'en réclament-ils pas l'application pour tout ? Je doute cependant qu'aucun d'eux fût tenté de faire revivre son code, et surtout son code pénal draconien, si prodigue de la peine de mort. Est-ce donc qu'ils trouveraient que Moïse a eu raison dans certains cas et tort dans d'autres ? Mais alors, pourquoi aurait-il eu raison plutôt pour ce qui concerne les évocations ? C'est, disent-ils, que Moïse a fait des lois appropriées à son temps et au peuple ignorant et indocile qu'il conduisait ; mais ces lois, bonnes alors, ne sont plus en rapport avec nos moeurs et nos lumières. C'est précisément ce que nous disons à l'égard de la défense des évocations. Pour la faire, il a dû avoir un motif, le voici :
Les Hébreux, dans le désert, regrettaient vivement les douceurs de l'Egypte, et ce fut la cause de leurs révoltes incessantes, que Moïse ne put souvent réprimer que par l'extermination ; de là l'excessive sévérité de ses lois. Dans cet état de choses, il dut s'appliquer à faire rompre son peuple avec les usages et les coutumes qui pouvaient lui rappeler l'Egypte ; or l'un des usages que les Hébreux en avaient rapportés était celui des évocations, pratiquées en ce pays de temps immémorial. Ce n'est pas tout ; cet usage, qui paraît avoir été bien compris et sagement pratiqué par le petit nombre des initiés aux mystères, avait dégénéré en abus et en superstitions chez le vulgaire, qui n'y voyait qu'un art de divination exploité, sans doute, par des charlatans, comme le font aujourd'hui les diseurs de bonne aventure. Le peuple hébreu, ignorant et grossier, n'en avait pris que l'abus ; par sa défense, Moïse fit donc acte de politique et de sagesse. Aujourd'hui, les choses ne sont plus les mêmes, et ce qui pouvait être un inconvénient alors ne l'est plus dans l'état actuel de la société. Mais nous aussi, nous nous élevons contre l'abus qu'on pourrait faire des relations d'outre-tombe, et nous disons qu'il est sacrilège, non de s'entretenir avec les âmes de ceux qui ont vécu, mais de le faire avec légèreté, d'une manière irrévérencieuse, ou par spéculation ; voilà pourquoi le vrai Spiritisme répudie tout ce qui pourrait ôter à ces rapports leur caractère grave et religieux, car là est la véritable profanation. Puisque les âmes peuvent se communiquer, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu, et il ne saurait y avoir de mal à faire ce que Dieu permet ; le mal, en cela comme en toutes choses, est dans l'abus et le mauvais usage.
IX Comment peut-on expliquer ce passage de l'Evangile : « Il y aura de faux prophètes et de faux Christs qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes à séduire les élus mêmes, s'il est possible » ? Les détracteurs du Spiritisme s'en font une arme contre les Spirites et les médiums.
Si l'on relevait dans l'Evangile toutes les paroles qui sont la condamnation des adversaires du Spiritisme, on en ferait un volume. Il est donc au moins imprudent de soulever une question qu'on peut leur retourner, d'autant mieux qu'elle est toute à l'avantage du Spiritisme.
D'abord, ni les Spirites ni les médiums ne se font passer pour des Christs, ni des prophètes ; ils déclarent qu'ils ne font point de miracles pour frapper les sens, et que tous les phénomènes tangibles qui se produisent par leur influence sont des effets qui rentrent dans les lois de la nature, ce qui n'est pas le caractère des miracles ; donc, s'ils avaient voulu empiéter sur les privilèges des prophètes, ils n'auraient eu garde de se priver du plus puissant prestige : le don des miracles. En donnant l'explication de ces phénomènes qui, sans cela, eussent pu passer pour surnaturels aux yeux du vulgaire, ils tuent la fausse ambition qui aurait pu les exploiter à son profit.
Supposons qu'un homme s'attribue la qualité de prophète, ce n'est pas en faisant ce que font les médiums qu'il le prouvera, et aucun Spirite éclairé ne s'y laissera prendre. A ce titre, M. Home, s'il eût été un charlatan et un ambitieux, eût pu se donner les airs d'un envoyé céleste. Quel est donc le caractère du vrai prophète ? Le vrai prophète est un envoyé de Dieu pour avertir ou éclairer l'humanité ; or, un envoyé de Dieu ne peut être qu'un Esprit supérieur et, comme homme, un homme de bien ; on le reconnaîtra à ses actes, qui porteront le caractère de sa supériorité, et aux grandes choses qu'il accomplira pour le bien et par le bien, et qui révéleront sa mission surtout aux générations futures, car, pour lui, conduit souvent à son insu par une puissance supérieure, il s'ignore presque toujours lui-même. Ce n'est donc pas lui qui se donnera cette qualité, ce sont les hommes qui le reconnaîtront pour tel, le plus souvent après sa mort.
Si donc un homme voulait se faire passer pour l'incarnation de tel ou tel prophète, il devrait le prouver par l'éminence de ses qualités morales, qui ne devraient le céder en rien aux qualités de celui dont il s'attribue le nom ; or ce rôle n'est ni facile à soutenir, ni souvent fort agréable, car il peut imposer de pénibles privations et de durs sacrifices, même celui de la vie. Il y a en ce moment de par le monde plusieurs prétendus Elie, Jérémies, Ezéchiels ou autres qui s'accommoderaient fort peu de la vie du désert, et trouvent très commode de vivre aux dépens de leurs dupes, à la faveur de leur nom d'emprunt. Il y a même plusieurs Christs, comme il y a eu plusieurs Louis XVII, auxquels il ne manque qu'une chose : la charité, l'abnégation, l'humilité, l'éminente supériorité morale, en un mot, toutes les vertus du Christ. Si, comme lui, ils ne savaient où reposer leur tête, et s'ils avaient une croix devant les yeux, ils abdiqueraient bien vite une royauté si peu profitable en ce monde. A l'oeuvre, on reconnaît l'ouvrier ; que ceux donc qui veulent se placer au-dessus de l'humanité s'en montrent dignes, s'ils ne veulent avoir le sort du geai paré des plumes du paon, ou de l'âne revêtu de la peau du lion ; une chute humiliante les attend en ce monde, et un déboire plus terrible dans l'autre, car c'est là que quiconque s'élève sera abaissé.
Supposons maintenant qu'un homme doué d'une grande puissance médianimique ou magnétique veuille s'attribuer le titre de prophète ou de Christ, il fera des prodiges à séduire même les élus, c'est-à-dire quelques hommes bons et de bonne foi ; il en aura l'apparence, mais en aura-t-il les vertus ? car là est la véritable pierre de touche.
Le Spiritisme dit aussi : Méfiez-vous des faux prophètes ! et il vient leur arracher le masque ; il faut que l'on sache qu'il répudie toute jonglerie, et ne couvre de son manteau aucun des abus qu'on pourrait commettre en son nom.
X
Sur la formation des groupes et des sociétés spirites.
On m'a demandé, dans plusieurs endroits, des conseils pour la formation des groupes. J'ai peu de choses à dire à cet égard, si l'on veut bien se reporter aux instructions contenues dans le Livre des Médiums ; je n'y ajouterai donc que quelques mots.
La première condition est de former un noyau de personnes sérieuses, quelque restreint qu'il soit ; ne fût-il que de cinq ou six membres, s'ils sont éclairés, sincères, pénétrés des vérités de la doctrine et unis d'intention, cela vaut cent fois mieux que d'y introduire des curieux et des indifférents. Que ces membres fondateurs établissent ensuite un règlement qui fera loi pour les nouveaux adhérents.
Ce règlement est fort simple et ne comporte guère que les mesures de discipline intérieure, car il n'exige point les mêmes détails que pour une société nombreuse et régulièrement constituée. Chaque groupe peut donc l'établir comme il l'entend ; toutefois, pour plus de facilité et d'uniformité, j'en donnerai un modèle que l'on pourra modifier selon les circonstances et le besoin des localités. Dans tous les cas, le but essentiel que l'on doit se proposer, c'est le recueillement, le maintien de l'ordre le plus parfait, et d'en écarter toute personne qui ne serait pas animée d'intentions sérieuses et pourrait être une cause de trouble ; c'est pourquoi on ne saurait être trop sévère sur les nouveaux éléments à y introduire. Ne craignez pas que cette sévérité nuise à la propagation du Spiritisme ; bien au contraire : les réunions sérieuses sont celles qui font le plus de prosélytes ; les réunions légères, celles qui ne sont pas tenues avec ordre et dignité, où le premier curieux peut venir débiter ses facéties, n'inspirent ni attention ni respect, et les incrédules en sortent moins convaincus qu'en entrant. Ces réunions font la joie des ennemis du Spiritisme, tandis que les autres sont leur cauchemar, et j'en connais qui verraient volontiers se multiplier les premières, pourvu que les autres fussent anéanties ; malheureusement, c'est tout le contraire qui arrive. Il faut en outre se persuader que le désir d'y être admis augmente en raison de la difficulté. Quant à la propagande, elle se fait bien moins par le nombre des assistants, qu'une séance ou deux ne peut convaincre, que par l'étude préalable, et par l'action des membres en dehors de la réunion.
En exclure les femmes serait faire injure à leur jugement qui, soit dit sans flatterie, rendrait parfois des points à celui de certains hommes, voire même de certains critiques lettrés. Leur présence commande une observation plus rigoureuse des lois de l'urbanité, et interdit le laisser-aller des réunions exclusivement composées d'hommes. Pourquoi d'ailleurs les priver de l'influence moralisatrice du Spiritisme ? Une femme sincèrement spirite ne pourra être que bonne fille, bonne épouse et bonne mère de famille ; par sa position même, elle a souvent plus besoin qu'un autre de ses sublimes consolations ; elle sera plus forte et plus résignée dans les épreuves de la vie. Ne sait-on pas, du reste, que les Esprits n'ont de sexe que pour l'incarnation ? Si l'égalité des droits de la femme doit être reconnue quelque part, ce doit être assurément parmi les Spirites, et la propagation du Spiritisme hâtera infailliblement l'abolition des privilèges que l'homme s'est arrogés par le droit du plus fort. L'avènement du Spiritisme marquera l'ère de l'émancipation légale de la femme.
Ne craignez pas non plus d'y admettre les jeunes gens ; la gravité de l'assemblée rejaillira sur leur caractère ; ils deviendront plus sérieux ; ils puiseront de bonne heure dans l'enseignement des bons Esprits cette foi vive en Dieu et en l'avenir, ce sentiment des devoirs de la famille, qui rend plus docile, plus respectueux, et tempère l'effervescence des passions.
Quant aux formalités légales, il n'y en a aucune à remplir en France pour les réunions qui ne dépassent pas vingt personnes. Au delà de ce nombre, les réunions régulières et périodiques doivent être autorisées, à moins d'une tolérance qui ne peut être regardée comme un droit, et dont jouissent la plupart des groupes Spirites, en raison de leur caractère paisible, exclusivement moral, et de ce qu'ils ne constituent ni des associations ni des affiliations. En tout état de cause, les Spirites doivent être les premiers à donner l'exemple de la soumission aux lois, dans le cas où ils en seraient requis.
Il s'est formé depuis peu quelques groupes d'un caractère spécial, et dont nous ne pourrions trop encourager la multiplication ; ce sont ceux qu'on pourrait appeler groupes d'enseignement. On s'y occupe peu ou point de manifestations, mais de la lecture et de l'explication du Livre des Esprits, du Livre des Médiums et des articles de la Revue Spirite. Quelques personnes dévouées réunissent dans ce but un certain nombre d'auditeurs afin de suppléer pour eux à la difficulté de lire et d'étudier par eux-mêmes. Nous applaudissons de tout coeur à cette initiative qui, nous l'espérons, aura des imitateurs, et ne peut manquer, en se développant, de produire les plus heureux résultats. Il n'est besoin pour cela d'être ni orateur ni professeur ; c'est une lecture de famille, suivie de quelques explications sans prétention à l'éloquence, et qui est à la portée de tout le monde.
Sans en faire l'objet d'une occupation exclusive, beaucoup de groupes ont pour habitude d'ouvrir leurs séances par la lecture de quelques passages du Livre des Esprits ou de celui des Médiums. Nous serons heureux de les voir tous adopter cette marche, dont l'effet est d'appeler l'attention sur les principes que l'on aurait mal compris ou perdus de vue. Dans ce cas, il est utile que les chefs ou présidents des groupes préparent d'avance les passages qui devront faire l'objet de la lecture, afin d'approprier ce choix aux circonstances.
On ne peut trouver mauvais que j'indique ces ouvrages comme base de l'enseignement, puisque ce sont les seuls où la science soit développée dans toutes ses parties et d'une manière méthodique ; mais on aurait tort de me croire exclusif au point de repousser les autres, dont plusieurs assurément méritent les sympathies de tous les bons Spirites. Dans une étude complète, d'ailleurs, il faut tout voir, même le mauvais ; je regarde donc comme très utile aussi de lire les critiques pour en faire ressortir le vide et le défaut de logique ; il n'en est pas une assurément qui soit capable d'ébranler la foi d'un Spirite sincère ; elles ne peuvent que la fortifier, puisqu'elles l'ont souvent fait naître chez les incrédules, qui se sont donnés la peine de comparer. Il en est de même de certains ouvrages qui, bien que faits dans un but sérieux, n'en contiennent pas moins des erreurs manifestes ou des excentricités qu'il est bon de faire ressortir.
Voici un autre usage dont l'adoption n'est pas moins utile. Il est essentiel que chaque groupe recueille et transcrive au net les communications qu'il obtient, afin de pouvoir facilement y recourir au besoin ; les Esprits qui verraient leurs instructions délaissées se lasseraient bientôt ; mais il est surtout nécessaire de faire à part un recueil spécial, très propre et très net, des communications les plus belles et les plus instructives, et d'en relire quelques-unes à chaque séance, afin de les mettre à profit.
XI
Sur l'usage des signes extérieurs du culte dans les groupes.
On m'a aussi plusieurs fois demandé s'il est utile de commencer les séances par des prières et des actes extérieurs de religion. Ma réponse n'est seulement de moi ; c'est aussi celle d'Esprits éminents qui ont traité cette question.
Il est sans doute non seulement utile, mais nécessaire d'appeler, par une invocation spéciale, sorte de prière, le concours des bons Esprits ; cela ne peut d'ailleurs que disposer au recueillement, condition essentielle de toute réunion sérieuse. Il n'en est pas de même des signes extérieurs du culte, par lesquels certains groupes croient devoir ouvrir leurs séances, et qui ont plus d'un inconvénient, malgré la bonne intention qui en suggère la pensée.
Tout, dans les réunions, doit se passer religieusement, c'est-à-dire avec gravité, respect et recueillement ; mais il ne faut pas oublier que le Spiritisme s'adresse à tous les cultes ; que, par conséquent, il ne doit affecter les formes d'aucun en particulier. Ses ennemis ne sont déjà que trop portés à le présenter comme une secte nouvelle pour avoir un prétexte de le combattre ; il ne faut donc pas accréditer cette opinion par l'usage de formules dont ils ne manqueraient pas de se prévaloir pour dire que les réunions spirites sont des assemblées de religionnaires, de schismatiques ; car ne croyez pas que ces formules soient de nature à rallier certains antagonistes. Le Spiritisme appelant à lui les hommes de toutes les croyances pour les rapprocher sous le drapeau de la charité et de la fraternité, en les habituant à se regarder comme des frères, quelle que soit leur manière d'adorer Dieu, ne doit froisser les convictions de personne par l'emploi des signes extérieurs d'un culte quelconque. Il est peu de réunions spirites tant soit peu nombreuses, en France surtout, où il n'y ait des membres ou assistants appartenant à différentes religions ; si le Spiritisme se plaçait ouvertement sur le terrain de l'une d'elle, il écarterait les autres ; or, comme il y a des Spirites dans toutes, on verrait se former des groupes catholiques, juifs ou protestants, et se perpétuer l'antagonisme religieux qu'il tend à effacer.
C'est aussi la raison pour laquelle on doit s'abstenir, dans les réunions, de discuter les dogmes particuliers, ce qui nécessairement froisserait certaines consciences, tandis que les questions de morale sont de toutes les religions et de tous les pays. Le Spiritisme est un terrain neutre sur lequel toutes les opinions religieuses peuvent se rencontrer et se donner la main ; or, la désunion pourrait naître de la controverse. N'oubliez pas que la désunion est un des moyens par lesquels les ennemis du Spiritisme cherchent à l'attaquer ; c'est dans ce but que souvent ils poussent certains groupes à s'occuper de questions irritantes ou compromettantes, sous le prétexte spécieux qu'il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau. Ne vous laissez pas prendre à ce piège, et que les chefs de groupes soient fermes pour repousser toutes les suggestions de ce genre, s'ils ne veulent passer eux-mêmes pour complices de ces machinations.
L'emploi des signes extérieurs du culte aurait le même résultat : celui d'une scission entre les adeptes ; les uns finiraient par trouver qu'on n'en fait pas assez, d'autres qu'on en fait trop. Pour éviter cet inconvénient, qui est très grave, il convient de s'abstenir de toute prière liturgique, sans en excepter l'Oraison dominicale, quelque belle qu'elle soit. Comme en entrant dans une réunion spirite, nul n'abjure sa religion, que chacun dise, par devers soi et mentalement, toutes les prières qu'il juge à propos, rien de mieux, et nous y engageons ; mais qu'il n'y ait rien d'ostensible ni surtout d'officiel. Il en est de même des signes de croix, de l'usage de se mettre à genoux, etc. ; autrement, il n'y aurait pas de raison pour empêcher un musulman spirite, faisant partie d'un groupe, de se prosterner la face contre terre et de réciter à haute voix sa formule sacramentelle : « Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète ».
L'inconvénient n'existe pas quand les prières que l'on dit à une intention quelconque sont indépendantes de tout culte particulier. D'après cela, je crois superflu de faire ressortir ce qu'il y aurait de ridicule à faire répéter en choeur, par toute l'assistance, une prière ou formule quelconque, comme on m'a dit l'avoir vu pratiquer.
Il est bien entendu que ce qui vient d'être dit ne s'applique qu'aux groupes ou sociétés formées de personnes étrangères les unes aux autres, mais ne concerne point les réunions intimes de famille, où chacun est naturellement libre d'agir comme il l'entend, parce que là on ne froisse personne.